Mardi 1er juillet 2025

- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 15.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit à l'aide à mourir et proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs - Table ronde consacrée aux expériences étrangères de soins palliatifs et d'aide à mourir avec la participation de Mme Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles, présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité de Belgique, de M. Pierre Deschamps, avocat, membre émérite du barreau du Québec et éthicien (en téléconférence) et de M. Theo Boer, professeur d'éthique de la santé à l'université théologique protestante de Groningue et ancien membre d'un comité de contrôle de l'euthanasie du gouvernement néerlandais (en téléconférence)

Mme Pascale Gruny, vice-président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir et la proposition de loi visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs par une table ronde sur les expériences étrangères en la matière.

Cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Je remercie de leur présence, soit dans notre salle, soit en téléconférence : Mme Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles, présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité de Belgique ; M. Pierre Deschamps, avocat, membre émérite du barreau du Québec et éthicien ; et M. Theo Boer, professeur d'éthique de la santé à l'université théologique protestante de Groningue et ancien membre d'un comité de contrôle de l'euthanasie du gouvernement néerlandais.

Madame, messieurs, le Sénat est appelé à l'automne prochain à se prononcer sur les deux propositions de loi que je viens de citer. Or la Belgique, le Canada et les Pays-Bas ont déjà légiféré sur l'aide à mourir et les soins palliatifs et inscrit cette faculté dans leur droit il y a plusieurs années, et même depuis le début du siècle en Belgique et aux Pays-Bas.

Il nous sera donc utile de bénéficier de votre retour d'expérience, notamment quant aux évolutions qui ont eu lieu dans vos sociétés depuis lors.

Vous pourrez débuter cette table ronde par un propos liminaire. Les membres de la commission qui le souhaiteront, à commencer par les rapporteurs des deux textes, pourront ensuite vous interroger.

Mme Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles, présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité de Belgique. - Permettez-moi d'emblée de préciser que je suis certes avocate et présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, mais que je suis également coprésidente de la commission d'évaluation et de contrôle de la loi relative à l'euthanasie, membre du comité consultatif de bioéthique, et vice-présidente de la commission des droits du patient.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie sincèrement de m'avoir invitée aujourd'hui pour cette table ronde. Vous me demandez en quelque sorte l'impossible, en me priant de parler de la loi belge relative à l'euthanasie, d'autant que cette histoire remonte déjà à près d'un quart de siècle, et du développement des soins palliatifs, un phénomène qui est encore plus ancien, ce qui ne fait qu'accentuer la difficulté qui est la mienne.

Pour ce qui concerne le droit médical à l'aide à mourir, sachez que l'année 2002 a représenté un véritable tournant en Belgique. Trois lois ont alors été votées, résultant pour les deux premières d'une initiative parlementaire, puisqu'il s'agissait, d'une part, d'une proposition de loi concernant les soins palliatifs et, d'autre part, d'une proposition de loi sur l'euthanasie, toutes deux déposées par un sénateur appartenant à une majorité constituée de libéraux, de socialistes et d'écologistes.

La troisième loi concernait les droits du patient, une loi fondamentale en ce qu'elle constitue une colonne vertébrale dans ce domaine. En 2024, cette loi a été révisée, essentiellement pour accroître le rôle du patient et promouvoir une coconstruction des décisions médicales, selon le dyptique « autonomie relationnelle du patient - liberté thérapeutique du médecin ». Dans le cadre de cette révision a été mise en oeuvre la planification anticipée des soins, un outil déjà utilisé en soins palliatifs et dans les maisons de repos et de soins, l'équivalent de vos Ehpad. Je n'en dirai pas tellement plus sur le sujet.

Pour ce qui est des soins palliatifs, la loi de 2002 pose un cadre. En Belgique, l'application concrète des soins palliatifs relève de la compétence des entités fédérées, régions et communautés. La loi ne fait en quelque sorte que définir les principes. En 2016, la définition belge des soins palliatifs a été étendue de sorte qu'elle ne se cantonne plus à la seule fin de vie. Cette nouvelle définition repose sur l'idée qu'un accès universel aux soins palliatifs est désormais ouvert à tout patient qui se trouve à un stade avancé ou terminal d'une maladie grave, évolutive, et mettant en péril son pronostic vital, et ce quelle que soit son espérance de vie. Cette définition permet aux patients de pouvoir bénéficier des soins palliatifs plus rapidement, même quand des traitements thérapeutiques peuvent encore leur être administrés.

Je souhaite m'arrêter un instant sur l'introduction en 2018 d'un instrument essentiel, le PICT (le Palliative Care Indicators Tool), une échelle permettant d'identifier un patient palliatif à un stade plus précoce de sa maladie. Je précise, pour être en contact avec de nombreux professionnels de santé en France, que cet outil est parfois également utilisé dans votre pays. Aussi peut-on considérer que les Belges sont des pionniers, et pas seulement en matière d'euthanasie...

Je formulerai trois remarques en ce qui concerne le lien entre euthanasie et soins palliatifs, objets respectifs des deux premières propositions de loi que j'évoquais.

Premièrement, au cours des débats, très riches, qui ont précédé le vote de ces deux lois belges, il a beaucoup été question du développement des soins palliatifs - les débats se sont en réalité concentrés sur ce point. Mais, en Belgique, nous avons d'emblée cherché à éviter l'opposition entre soins palliatifs et euthanasie en privilégiant un continuum, à savoir la possibilité pour un patient remplissant un certain nombre de critères d'accéder aux soins palliatifs puis, éventuellement, si sa situation médicale s'aggrave et s'il n'existe aucune autre solution, de recourir à l'euthanasie.

Deuxièmement, la plupart - pas tous - des chefs de service de soins palliatifs en Belgique étaient favorables à une dépénalisation de l'euthanasie. Cela a également contribué à éviter cette opposition que vous connaissez en France entre soins palliatifs et euthanasie.

Troisièmement, en 2024, 6,3 % des euthanasies se sont déroulées dans des unités de soins palliatifs.

J'en viens maintenant à la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie. Dans un premier temps, j'ai imaginé démonter toutes les caricatures, tous les mythes, toutes les contre-vérités qui s'accumulent à son sujet et au sujet de son application. Mais cela serait vraiment trop long... Je me contenterai de vous expliquer ce qu'est cette loi, tout ce qu'elle est, et rien que ce qu'elle est.

Le jour de son vote, un parlementaire socialiste flamand, Fred Erdman, qui a beaucoup contribué à l'élaboration du texte avec un autre socialiste belge, Roger Lallemand, a déclaré qu'il s'agissait d'« une » loi, et pas de « la » loi, c'est-à-dire d'une solution, avec ses qualités, mais aussi ses imperfections.

À ce stade de mon propos, je me permets une remarque importante : vous ne m'entendrez jamais parler de légalisation de l'euthanasie en Belgique, car il s'agit bel et bien d'une dépénalisation. C'est-à-dire que si les conditions prévues sont observées, les médecins qui pratiquent l'euthanasie ne s'exposent pas à des poursuites ou, du moins, ne commettent pas d'infraction.

Dans le cadre de cette loi relative à l'euthanasie, il est vrai que nous avons confié une responsabilité très importante aux médecins.

À l'époque, nous disposions de peu de références en provenance de l'étranger. Il y avait l'Oregon, avec la loi votée par référendum en 1997 - le Death with Dignity Act -, et les Pays-Bas.

Nous n'étions pas intéressés par la solution mise en oeuvre en Oregon, même si nous reconnaissions qu'il s'agissait d'un pas en avant primordial, notamment pour ce qui est du respect que l'on doit à la volonté des personnes en fin de vie. Si nous n'étions pas très convaincus par ce modèle, c'est parce qu'il était question de patients qui avaient une espérance de vie de six mois maximum, mais aussi parce que, si le médecin avait la responsabilité de prescrire le barbiturique, il n'avait en revanche aucune responsabilité le jour de l'acte. Or ce n'est pas ce que nous souhaitions.

Nous nous sommes donc tournés vers les Pays-Bas et leur modèle de dépénalisation « de fait » de l'euthanasie depuis les années 1990. Il existait là-bas une jurisprudence abondante, et donc des fondements juridiques sur lesquels nous reposer, même si la loi belge sur l'euthanasie n'est pas un simple copier-coller de la loi néerlandaise. Il existe des différences, bien que, en matière d'euthanasie, Belgique et Pays-Bas aient évolué de conserve.

Nous avons aussi choisi le modèle néerlandais, parce que l'euthanasie n'est pas un but en soi. Le colloque singulier qui s'instaure entre médecins et patients permet d'examiner d'autres possibilités, d'autres voies possibles. Nous ne disposons pas des statistiques, mais il se peut que sur dix demandes d'euthanasie, seules trois aillent jusqu'à leur terme, précisément parce qu'il existe ce dialogue avec le patient, une fois que ce dernier a bien été informé.

Nous voulions aussi que le patient et le médecin aient le choix entre voie orale et intraveineuse. D'après les statistiques, en Belgique, rares sont les patients et les médecins qui choisissent la voie orale. Même si cette voie est courante en Suisse, certains médecins belges ne veulent même pas en entendre parler, tout simplement parce qu'ils ont parfois le sentiment de ne pas être capables de bien la maîtriser et, donc, de pouvoir faire accéder le patient à une mort sereine dans les meilleures conditions.

Je résumerai en quelques mots les principaux axes de cette loi belge sur l'euthanasie. D'abord, il est question d'une demande volontaire, réfléchie et répétée, sans pression extérieure, émanant d'un patient compétent, qui éprouve des souffrances physiques ou psychiques inapaisables causées par une affection grave et incurable. Voilà les conditions essentielles.

Il existe aussi des conditions de procédure et de forme : le recueil de la demande écrite du patient ; l'information du patient - c'est essentiel - sur sa situation médicale, les traitements possibles, et, éventuellement, les soins palliatifs ; l'organisation de plusieurs entretiens avec l'équipe, notamment en présence de proches si le patient le souhaite ; l'obligation de consulter un médecin tiers, qui doit être indépendant de la relation thérapeutique patient-médecin, et qui doit trancher si l'affection est grave et incurable, d'une part, et si les souffrances sont inapaisables, d'autre part.

Dans le cas où le décès n'est pas prévisible dans un bref délai, des conditions supplémentaires sont prévues : il faut qu'un autre médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, et lui aussi indépendant, soit consulté.

Voici, dressé brièvement, le tableau des conditions essentielles et des conditions de forme et de procédure propres à cette loi belge relative à l'euthanasie.

Je ne m'étendrai pas par ailleurs sur la déclaration anticipée, car elle fait actuellement l'objet d'une réforme. Il me revient en revanche d'évoquer la clause de conscience : sans entrer dans les détails, nul ne peut être obligé, que ce soit le médecin, un infirmier ou une infirmière, à participer à une procédure d'euthanasie.

Il me faut également mentionner le contrôle a posteriori et, plus exactement, le rôle de la commission d'évaluation et de contrôle, laquelle est composée de huit médecins, de quatre juristes et de quatre personnes issues de la société civile, spécialistes de la problématique des patients incurables.

La loi relative à l'euthanasie a bien été contestée devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Mais, dans son arrêt du 4 octobre 2022 Mortier contre Belgique, la CEDH l'a validée, et, par la même occasion, a validé le cas qui lui était soumis, le contrôle a posteriori et l'existence de la commission d'évaluation et de contrôle - la seule réserve de la Cour concernait un éventuel manque d'indépendance de ladite commission.

Je m'en tiens là pour ce propos liminaire et le compléterai ultérieurement en répondant à vos questions.

M. Pierre Deschamps, avocat, membre émérite du barreau du Québec et éthicien. - Mon propos s'articulera autour de trois axes : d'abord, je vous présenterai de façon globale la législation en vigueur au Canada ; ensuite, je formulerai des commentaires généraux ; enfin, je vous ferai part de mes impressions personnelles.

Je suis membre de la commission sur les soins de fin de vie depuis déjà neuf ans. J'ai contrôlé plus de 15 000 déclarations au sein de cette commission qui traite, en principe, à la fois de l'aide médicale à mourir et des soins palliatifs, mais qui traite, dans les faits, surtout de la fin de vie - car, en toute honnêteté, les soins palliatifs sont le parent pauvre du système.

Au Canada, le médecin québécois est assujetti à deux régimes juridiques distincts en matière d'aide médicale à mourir : le régime fédéral canadien en vertu des dispositions particulières du code criminel canadien ; et le régime provincial québécois en vertu des dispositions de la loi sur les soins de fin de vie.

À la suite des modifications apportées au code criminel canadien en 2015, le Canada a dépénalisé - et non légalisé - l'aide à mourir. Un médecin peut, sans engager sa responsabilité pénale, prescrire une substance létale qu'une personne s'administrera, ou lui administrer lui-même la substance par voie d'injection - au Canada, la proportion de personnes recourant à l'auto-administration de la médication est statistiquement très faible.

Les différents critères pris en compte initialement au niveau fédéral ont évolué avec le temps. On imposait, par exemple, comme critère d'admissibilité que la mort naturelle de la personne soit raisonnablement prévisible. Ce critère a été contesté devant les tribunaux et a été déclaré inconstitutionnel, si bien qu'il a disparu, même s'il est réapparu dans le cadre de mesures de sauvegarde. On a également renoncé au consentement de principe de la personne au moment de l'administration du produit létal : légalement, on a autorisé le patient à renoncer à ce consentement final par voie d'entente avec le médecin. On a en quelque sorte élargi la portée de la loi initiale. Enfin, au Canada, même si c'est encore sujet à débat, la maladie mentale ne peut pas être retenue comme critère pour accéder à l'aide médicale à mourir, et ce au moins jusqu'en 2027.

Je le disais, une seconde législation s'impose aux médecins québécois, la législation provinciale québécoise, qui a vu le jour avant les changements apportés au code criminel canadien. La coexistence de ces deux législations pose un certain nombre de problèmes, dans la mesure où elles ne sont pas identiques en tous points.

Il est nécessaire de retenir que, dans la législation québécoise, contrairement à la législation fédérale, l'aide médicale à mourir est devenue un soin. Elle est en effet définie comme un soin consistant à l'administration de médicaments ou de substances par un médecin, à la demande d'un patient, dans le but de soulager ses souffrances, et entraînant son décès. Au Québec, un médecin ne peut pas prescrire une médication que le patient va s'auto-administrer ; il ne peut qu'injecter une substance létale. Enfin, en 2021, à la suite d'un nouveau jugement, on a supprimé du droit provincial le critère de la fin de vie. Ainsi, au Québec, une personne peut désormais obtenir l'aide médicale à mourir, même si elle n'est pas en fin de vie.

On le voit, la législation initiale peut être contestée devant les tribunaux et est appelée à prendre une tout autre dimension.

En 2023, par exemple, on a permis à des infirmières praticiennes d'administrer l'aide médicale à mourir. On a aussi inclus la déficience physique grave, qui entraîne des incapacités, dans les critères d'obtention de l'aide médicale à mourir, alors même que, dans la législation fédérale, il n'était fait mention que de maladies, d'affections et de handicaps, et que la législation québécoise n'évoquait que les maladies. Enfin, dernier point essentiel, depuis octobre 2024, la loi autorise les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, un nouveau droit dont se sont déjà emparées un certain nombre de personnes.

Retenez surtout que, pour être admissible à l'aide médicale à mourir, il faut que la personne soit atteinte d'une maladie grave, incurable, menant à l'inaptitude à consentir aux soins. Une personne qui deviendrait inapte, qui développerait un cancer, ne peut donc pas, par le biais d'une déclaration anticipée, obtenir l'aide médicale à mourir.

J'en viens au deuxième axe de mon intervention : les commentaires généraux.

Il faut avoir conscience qu'il existe différents types de législations. Certaines d'entre elles privilégient, par exemple, la fourniture d'une substance létale à un patient qui va se l'auto-administrer. C'est notamment le cas aux États-Unis - dans les États américains qui ont cette législation, tout patient en phase terminale, dont le pronostic vital est engagé à moins de six mois, peut s'auto-administrer un tel produit. Le Royaume-Uni s'oriente également vers ce type de législation, de même que la France, me semble-t-il.

Dans les pays qui disposent de telles législations, le nombre de personnes ayant recours à l'aide médicale à mourir est bien moindre que dans les pays dont la législation prévoit que c'est le médecin qui est appelé à intervenir, comme en Belgique, aux Pays-Bas, au Canada et au Québec. Il y a une différence majeure entre les législations privilégiant la prescription d'une médication et celles qui promeuvent l'administration par injection létale. Cela étant, dans certaines juridictions, les deux systèmes peuvent coexister.

Je souhaite maintenant évoquer les mécanismes de surveillance. Au Canada, il n'y a pas de commission nationale de contrôle des modalités d'application de l'aide médicale à mourir. Dans certaines juridictions, c'est le médecin légiste en chef qui contrôle les déclarations anticipées. En réalité, le Québec est la seule province qui dispose d'une commission chargée du contrôle de l'aide à mourir. Ladite commission examine chaque mois environ 500 déclarations qui lui ont été transmises par les médecins ayant administré le produit létal. En 2024, au Québec, le taux de décès par aide médicale à mourir a atteint 7,8 % du nombre total de décès par mort naturelle. En moins de dix ans, ce ratio a fortement progressé au point qu'il dépasse aujourd'hui celui des Pays-Bas - 5,8 % - et de la Belgique - 3,8 %.

Comment expliquer un tel « engouement » des patients et des médecins pour l'aide médicale à mourir au Québec ? À l'origine, on estimait que le nombre d'aides médicales à mourir s'établirait à une centaine environ par an dans la province québécoise. Ce nombre est désormais supérieur à 6 000 !

La pratique médicale est peut-être à l'origine de la situation dans laquelle se trouve le Québec aujourd'hui. Si, initialement, il était prévu que l'aide médicale à mourir serait administrée par le médecin traitant de la personne ayant fait une demande, il apparaît que, dans un grand nombre de cas, le médecin administrant l'aide médicale à mourir et le médecin fournissant la substance létale n'ont jamais traité la personne appelée à en bénéficier avant qu'elle ne formule sa demande.

Il faut savoir que certains médecins ont délaissé le champ de la pratique professionnelle traditionnelle pour développer une pratique exclusivement consacrée à l'administration de l'aide médicale à mourir. Certains médecins administrent deux ou trois aides médicales à mourir dans une seule et même journée. Dans certains cas, la personne ayant formulé une demande doit se plier à l'horaire ou au jour choisi par le médecin administrant l'aide médicale à mourir. En pratique, la relation entre médecin et patient a donc été mise à mal par l'introduction de cette procédure de l'aide médicale à mourir.

Troisième et dernier axe de mon propos : mes impressions personnelles.

Après avoir examiné 15 000 déclarations en plus de neuf ans, je peux dire que toute demande d'aide médicale à mourir conduit généralement un médecin saisi d'une telle demande à l'évaluer, en vue d'apprécier si la personne remplit tous les critères et, dans l'affirmative, à s'assurer que son opinion est validée par un autre médecin. Si les deux opinions concordent, le patient est « en droit » de recevoir le soin qu'est l'aide médicale à mourir, le processus menant à celle-ci se déroulant très souvent en marge de la relation traditionnelle médecin-patient. Voilà ce que la pratique révèle.

Dans bien des cas, la relation médecin-patient est donc malmenée. Dans le cadre de la procédure, il est question d'entretiens entre le médecin et le patient. Or, parfois, lesdits entretiens ont lieu en l'espace de deux ou trois jours, voire au cours d'une seule et même journée. Il est aussi souvent question de la consultation des équipes médicales : dans les faits, cette consultation n'est pas toujours effective.

Souvent, les législations visent à mettre en place un régime juridique permettant un encadrement rigoureux de l'aide médicale à mourir, de sorte que les prescriptions légales en la matière soient respectées par le corps médical. On l'expérience prouve que la pratique médicale s'est affranchie de plusieurs règles relatives à l'administration de l'aide médicale à mourir. Certains médecins ont pris des libertés avec la loi telle qu'elle a été conçue.

Par exemple, la procédure qui dispose que le médecin saisi d'une demande confirme l'admissibilité d'un patient par un second médecin est ignorée : bien souvent, par commodité, l'avis du second médecin est rédigé avant l'évaluation du patient par le premier médecin. Autre exemple, certains médecins ont parfois tendance à considérer qu'une personne qui a une espérance de vie de dix, quinze ou vingt ans remplit le critère d'une mort naturelle raisonnablement prévisible inscrit dans la loi fédérale... D'autres encore tentent de développer des règles particulières et dérogatoires pour ce qui concerne l'administration de l'aide médicale à mourir.

Le message que je souhaite faire passer, c'est que l'on peut concevoir la meilleure loi du monde, avec les meilleures garanties possibles, c'est la pratique, seule, qui peut faire en sorte que les choses changent.

Au fil des ans, l'aide médicale à mourir est devenue une stratégie thérapeutique de première intention. Ce n'est plus un soin de dernier recours ou un soin ultime : c'est un soin qui est présenté et envisagé dès lors que la personne en fait la demande.

Je terminerai en disant que de nouveaux critères permettant l'obtention de l'aide médicale à mourir émergent. Je pense notamment, pour les personnes d'un certain âge, à une fracture de la hanche non opérée, à l'isolement social qui fait suite à la perte d'un proche, au refus d'être de nouveau accueilli dans un centre d'hébergement, aux soins de confort et d'accompagnement déficients. Ce sont autant de facteurs qui renforcent le désir que peut éprouver une personne de demander une aide médicale à mourir.

Au cours des dix dernières années, on estime à plus de 200 000 le nombre des personnes ayant été en contact, directement ou indirectement, avec une personne ayant bénéficié d'une aide médicale à mourir. Mourir de cette manière est la meilleure façon de mourir pour certains médecins qui considèrent qu'il vaut mieux mourir ainsi que dans des souffrances incontrôlables.

M. Theo Boer, professeur d'éthique de la santé à l'université théologique protestante de Groningue et ancien membre d'un comité de contrôle de l'euthanasie du gouvernement néerlandais. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous salue depuis les Pays-Bas et vous remercie de l'occasion que vous m'offrez d'échanger avec vous. Je suis impressionné par le soin avec lequel les questions de fin de vie sont abordées en France.

Les Pays-Bas sont le pays qui a l'expérience la plus longue en matière de mort assistée. Depuis quarante ans, les patients qui éprouvent des souffrances insupportables peuvent demander à un médecin de mettre fin à leurs jours ou demander un suicide assisté.

Depuis 2005, je suis membre d'un comité qui évalue chaque cas d'euthanasie à la lumière de la loi, comme le fait le docteur Deschamps au Canada. J'ai évalué près de 4 000 cas d'euthanasie en dix ans. Et, aux Pays-Bas, cette évaluation se fait de manière très approfondie - il n'est pas rare que les dossiers de notification fassent une centaine de pages.

Quelles évolutions avons-nous observées ?

Premièrement, je citerai les statistiques. En vingt ans, le nombre de cas est passé de 2 000 à 10 000, et ce chiffre continue d'augmenter. Aujourd'hui, près de 6 % des Néerlandais meurent par euthanasie, un chiffre particulièrement élevé. Ce chiffre est une moyenne et masque de grandes disparités entre régions : ainsi, certaines régions affichent des taux de 15 % ou de 20 % de morts par euthanasie. Et ces ratios continuent de progresser...

Deuxièmement, les raisons pour lesquelles certains individus choisissent une mort assistée se multiplient : démence, psychiatrie, handicap, décès du conjoint, vieillissement. Peut-être saviez-vous qu'un texte autorisant les personnes âgées n'étant atteintes d'aucune maladie à recourir au suicide assisté sera bientôt examiné par le Parlement néerlandais. La plupart de ces patients ne craignent pas une mort grave, mais une vie grave. Sachez en outre que l'euthanasie des bébés et des enfants est autorisée depuis un an.

On peut affirmer avec une quasi-certitude que, une ou deux décennies après avoir légalisé l'euthanasie, la France commencera à ressembler à des pays comme les Pays-Bas, le Canada ou la Belgique.

Quelles sont mes réserves en la matière ? En résumé, je crois que la liberté des uns va bientôt devenir la contrainte des autres. Le patient néerlandais moyen doit de plus en plus justifier son choix de vouloir continuer à vivre jusqu'à une fin naturelle. Après tout, la loi autorise la mort assistée ; les médecins gèrent cette possibilité ; et les médias ne diffusent que des signaux positifs. Un tel contexte entraîne l'érosion de l'appréciation de ce que j'appelle les « aspérités » de la vie : le vieillissement, la fragilité, la dépendance aux soins, et une existence socialement marginalisée.

Même les personnes qui meurent de mort naturelle se posent la question du choix de l'euthanasie, dans la mesure où elles ont la faculté d'y recourir. Au début, on « peut » faire un choix, et, après quelques décennies, on « doit » faire ce choix. On est libre, mais, en définitive, on doit faire un choix...

Comme pour d'autres actes médicaux, on peut supposer qu'un médecin qui propose une mort assistée ou accepte d'accéder à une demande d'euthanasie est convaincu du caractère raisonnable de cette option. Il envoie donc un signal indiquant que, pour cette personne ou cette maladie, il considère effectivement que la mort est préférable à la poursuite de la vie. Cela se traduit par une dynamique continue entre les médecins et les futurs patients : les patients demandent la mort pour les maladies A, B ou C ; les médecins accordent la mort pour les maladies A, B ou C ; et cela attire de nouveaux patients. En somme, l'offre crée la demande !

Les personnes qui nourrissent une forme de scepticisme à l'égard de l'euthanasie évoquent souvent la pression sociale qui peut peser sur les publics les plus vulnérables.

Je formulerai deux commentaires à ce sujet.

Premièrement, je pense qu'une telle pression est - fort heureusement ! - rare. Ce n'est pas si simple de dire à un patient qu'il est temps de choisir la mort. En réalité, la pression la plus importante est une pression sociale intériorisée. Les patients eux-mêmes croient, sincèrement et volontairement, que continuer à vivre est imprudent. Autrement, les statistiques que j'ai données il y a un instant sont incompréhensibles.

Deuxièmement, je pense que les personnes sceptiques à l'égard de la mort assistée ont une conception trop étroite de la vulnérabilité. Elles pensent aux personnes seules, aux personnes handicapées, aux personnes peu instruites et aux personnes aux revenus modestes. D'après mon expérience, la vulnérabilité touche toutes les strates de la société, y compris les individus les plus instruits, les plus riches, ceux qui possèdent parquet et piano à queue. Georges et Anne dans le film Amour de Michael Haneke ne sont pas moins vulnérables que les plus démunis. Ce que nous constatons aujourd'hui, c'est une incapacité à faire face aux aspects sombres de la vie humaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, que ce soit clair, je ne suis pas opposé par principe à l'euthanasie, mais je me demande si la légalisation n'a pas eu plus d'inconvénients que d'avantages.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Au Québec, les critères de l'aide à mourir votés par le législateur en 2014 ont été substantiellement modifiés par une décision de justice de 2019.

Un tribunal a en effet considéré que le critère d'appréciation principal devait être la souffrance impossible à soulager plutôt que la perspective d'une mort prochaine « raisonnablement prévisible ». Ce faisant, il a considérablement ouvert le périmètre de l'aide à mourir, au-delà de l'équilibre voté par le législateur, qui a dû tirer les conséquences de cette décision de justice et supprimer de la loi le critère du pronostic vital engagé. Ce faisant, il est revenu sur les motifs « humanitaires » qui avaient prévalu lors de la modification initiale du cadre légal.

Quel regard portez-vous sur cette décision ? Comment la société l'a-t-elle perçue lorsque le jugement a été rendu ?

Selon les données statistiques officielles, le nombre de personnes recourant à l'aide médicale à mourir augmente de façon continue dans les pays ayant reconnu cette possibilité. Aux Pays-Bas, en 2024, les morts par euthanasie ont représenté 5,8 % des décès, contre moitié moins en 2011.

En 2015, au Québec, un an après l'entrée en vigueur de la loi, on répertoriait six cas de demandes d'aide médicale à mourir. Dix ans plus tard, les statistiques publiées par la commission des soins de fin de vie indiquent que 5 717 personnes sont décédées par aide médicale à mourir entre avril 2023 et mars 2024. Cette expansion fulgurante, qu'a très bien décrite M. Deschamps, a même déjoué les pronostics les plus audacieux.

Au Canada, la proportion croissante de morts par cette procédure, en particulier au Québec, ne peut que nous interpeller : la province québécoise est le territoire ayant le plus recours à l'aide médicale à mourir dans le monde, avec 7,3 % des décès qui lui sont aujourd'hui imputables.

Comment expliquez-vous la singularité du Québec, et les évolutions constatées aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique ? Cette tendance vous inquiète-t-elle ? Face à l'effarante explosion du nombre de demandes, il semblerait que les populations, autrefois très favorables à cette aide médicale à mourir, commencent à douter. Qu'en est-il selon vous ?

Plus largement, dans chacun de vos pays, disposez-vous de données sur le profil socio-économique des personnes ayant recours à l'aide à mourir ? Certaines études indiquent une surreprésentation des personnes isolées ou en situation de précarité. Cette réalité correspond-elle à vos expériences respectives ? Ne craignez-vous pas, dans un contexte où la population vieillit et où les dépendances s'accroissent, que l'on puisse recourir à l'aide médicale à mourir pour alléger la charge financière des proches et le coût de la dépendance ?

Mme Jacqueline Herremans. - Madame le rapporteur, vous venez de faire référence à l'arrêt Truchon de la Cour supérieure du Québec. Précisons que le jugement initial, l'arrêt Carter contre Canada, n'avait pas imposé de telles limites. C'est du reste ce sur quoi la réflexion de la juge, Christine Baudouin, a porté. Celle-ci a, de mon point de vue, émis un excellent jugement, exemplaire, dans cette affaire Truchon. Pour ma part, vous l'aurez compris, j'estime que cette précision était de bon aloi.

Pour ce qui est de la hausse du nombre de cas d'euthanasie en Belgique, permettez-moi de corriger une statistique que j'ai entendue et qui me semble erronée : en 2024, il était question de 3,6 % de morts par euthanasie sur l'ensemble des décès enregistrés. Certes, cette proportion augmente, mais il faut noter qu'en Belgique nous sommes partis de zéro. Il est donc logique que le nombre de cas croisse à mesure que la loi gagne en notoriété. Le constat est simple : les personnes jeunes formulent rarement des demandes d'aide médicale à mourir - en Belgique, seuls sept cas ont été enregistrés depuis 2014 - ; il s'agit plutôt de patients de plus de 70 ans qui, ayant vécu l'adoption de cette loi, évoluent en même temps que le cadre légal. À titre personnel, je ne suis donc absolument pas étonnée par une telle évolution. J'ajoute que toutes les demandes ne sont pas toujours prises en compte, ce que je regrette, et ce qui me fait dire que je ne serais guère étonnée si cette statistique continuait à croître dans les années à venir.

Les données sociologiques sont notre point faible. En Belgique, nous manquons de moyens financiers pour réaliser ce type d'études. Ma connaissance de terrain m'amène simplement à constater que les personnes demandeuses sont souvent des personnes diplômées, éduquées, qui sont susceptibles de connaître la loi. Il s'agit plus rarement de personnes issues des classes défavorisées. Pour obtenir une euthanasie, il y a tout un chemin à parcourir. Je pense à la mort par euthanasie du prix Nobel Christian de Duve ou à celle de l'ancien Premier ministre, Wilfried Martens.

M. Theo Boer. - J'ai participé en tant qu'expert-témoin à l'affaire Truchon au Canada. Il s'agissait de l'euthanasie d'un patient qui n'était pas en phase terminale. À mon sens, cette décision était logique ; je pense qu'une telle évolution pourrait se produire en France dans un avenir proche.

Finalement, c'est la question de l'égalité qui se pose. Pourquoi accorder l'euthanasie à des patients en phase terminale et ne pas le faire pour des malades souffrant de pathologies chroniques ? Pourquoi accorder l'euthanasie à des personnes atteintes physiquement et ne pas l'accorder à des patients atteints mentalement ? Pourquoi accorder l'euthanasie à des personnes aptes, capables de faire une telle demande, et non pas à des personnes qui voudraient bénéficier d'une telle aide médicale à mourir, mais qui ne sont pas aptes à la demander ? Enfin, pourquoi accorder l'euthanasie à des patients souffrant d'affections médicales, et pas à ceux qui souffrent pour d'autres motifs, tels que la perte d'un conjoint ou des problèmes financiers ?

À partir du moment où on accorde cette possibilité se pose la question du respect du principe d'égalité.

M. Pierre Deschamps. - Mesdames, messieurs les sénateurs, en premier lieu, je vous invite à comparer la loi relative à l'euthanasie adoptée au Royaume-Uni à la proposition de loi que vous examinez ici, en France. Le dispositif du texte britannique est actuellement plus robuste que celui de la proposition de loi française. Ainsi, davantage de contrôles sont prévus tant a priori qu'a posteriori. Au Royaume-Uni, il faut que le patient soit atteint d'une maladie en phase terminale ; en France, il faut une affection grave et incurable, engageant le pronostic vital et des souffrances.

Les législations sont similaires dans la mesure où, dans la législation française, le rôle du médecin est d'accompagner la personne qui doit s'auto-administrer l'aide à mourir, et que, dans la législation britannique, il est question d'assistance à la personne. Une telle réglementation est très différente des législations belge et néerlandaise.

Au Canada, ce que l'on perçoit, c'est une volonté sociale bien différente, la volonté implicite d'une reconnaissance du droit fondamental de tout être humain de choisir le moment, les modalités et le lieu de son décès. Tout citoyen doit s'interroger à ce propos.

Je tiens à mettre en garde contre les dérives et les possibles complaisances face à des pratiques qui pourraient dévier du cadre légal en vigueur. Je l'ai indiqué tout à l'heure, une loi sur l'euthanasie, une fois adoptée, va évoluer, pas dans un sens plus restrictif bien entendu, mais plus extensif : de plus en plus de personnes seront éligibles, comme cela a été le cas aux Pays-Bas pour les enfants et les nouveau-nés.

Malgré les dispositions législatives mises en oeuvre, il ne faut jamais cesser de réfléchir sur le sens des mesures que nous votons. Malgré l'encadrement des procédures par les législations, la pratique médicale est expansive. Comme je le mentionnais, pour certains médecins, la mort naturelle raisonnablement prévisible peut signifier une espérance de vie de cinq ou dix ans... Les raisons pour lesquelles certaines personnes demandent à pouvoir bénéficier d'une euthanasie nous feraient dresser les cheveux sur la tête aujourd'hui : isolement, fragilité psychique, etc.

Il faut aller plus loin que le simple cadre légal : sur le terrain, j'entends parfois certaines personnes se demander, à propos de personnes âgées, pourquoi il ne serait pas préférable de les faire mourir tout de suite plutôt que dans un an. En tant que législateurs, il nous appartient d'être attentifs face à ce type de considérations.

Loin de moi l'idée de mettre en cause l'aide médicale à mourir, l'aide à mourir, l'euthanasie, ou le suicide assisté. Mais, même si l'on admet qu'il s'agit d'un soin qui devrait être disponible, il faut avoir conscience que, dans nombre de pays - je pense au Québec -, ce n'est plus un soin ultime ou un soin de dernier recours. Elle est devenue un soin de première intention.

Le Canada a choisi de privilégier l'injection d'une substance létale par un médecin. La France semble s'engager sur une autre voie, comme le Royaume-Uni et le Pays de Galles. Les États-Unis, eux, se sont limités aux patients malades en phase terminale. Diverses options existent, mais les mêmes questions se posent : par exemple, la cécité totale ou la surdité totale pour une personne d'un certain âge constitue-t-elle une maladie grave et incurable, sans pour autant qu'elle engage le pronostic vital ? Les maladies chroniques, les polypathologies nous poussent à nous questionner. Légitiment-elles une aide médicale à mourir dans certaines circonstances ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne cessez jamais de vous poser des questions.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je m'exprime au nom de mon collègue rapporteur, Alain Milon.

Les commissions de contrôle telles qu'elles existent dans vos pays sont-elles vraiment en mesure de contrôler les conditions de mise en oeuvre de l'aide à mourir ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées par ces commissions dans l'exercice de leur mission ?

Quel regard portez-vous sur le délit d'entrave que les députés ont inscrit dans la proposition de loi française, contre l'avis du Gouvernement ? De telles dispositions existent-elles dans vos pays respectifs ? Au contraire, existe-t-il des délits d'incitation au recours à l'aide à mourir ?

Les données dont nous disposons montrent que, dans vos pays, une part importante des patients qui recourent à l'aide à mourir sont atteints de cancers. Or la cancérologie connaît de formidables avancées thérapeutiques qui pourraient permettre de traiter des patients que l'on disait incurables. Ne pensez-vous pas qu'en abrégeant la vie de ces patients, ces derniers ont été privés de l'accès à des traitements novateurs qu'ils auraient pu expérimenter ? Quel impact le recours à l'aide médicale à mourir peut-il avoir, selon vous, sur la recherche en oncologie ?

M. Theo Boer. - En réponse à votre première question, je pense que le contrôle des modalités de mise en oeuvre de l'euthanasie est extrêmement difficile. Aux Pays-Bas, les contrôles sur les déclarations en matière d'euthanasie sont extrêmement détaillés et comportent une centaine de pages. En Belgique, ces mêmes déclarations sont limitées à quelques pages. Malgré tout, il est très difficile de mettre le doigt sur la raison exacte pour laquelle une euthanasie a été administrée : était-ce lié à la solitude que ressentait le patient par exemple ?

Aux États comme aux Pays-Bas, où le suicide assisté est autorisé, une grande confiance est accordée aussi bien aux médecins qu'aux patients.

En réponse à la deuxième question, j'indique qu'aux Pays-Bas la pratique de l'euthanasie ne constitue pas une obligation pour le médecin ou pour l'instance médicale. Quant à ce délit d'incitation, il est très difficile, comme je l'ai déjà dit, de trouver la véritable raison pour laquelle l'euthanasie a été demandée. Cette proposition me semble donc vide de sens, étant donné que l'on ne pourra jamais pénétrer totalement dans la vie privée des individus.

Pour répondre à la dernière question de M. Milon, je suis persuadé que l'euthanasie ne va pas avoir d'effet négatif sur la recherche en matière de cancer et la lutte contre le cancer. J'ajoute que le taux d'euthanasie de patients atteints de cancers est passé de 85 % à 53 %, tout simplement grâce à l'émergence de produits anticancéreux de plus en plus innovants.

M. Pierre Deschamps. - Concernant le contrôle et la surveillance, la déclaration du médecin reste une auto-déclaration. Elle contient les éléments qui tendent à démontrer la conformité de la procédure. Lorsque les membres de la commission ont des doutes ou des questions sur certains de ces éléments, ils s'adressent au médecin pour évaluer si la procédure s'est déroulée de manière conforme à la loi.

Par ailleurs, la commission statue sur la conformité de la procédure aux dispositions de la loi. En cas de non-conformité, la loi prévoit que le dossier est envoyé à l'ordre des médecins, qui s'intéresse à la qualité de l'acte professionnel. Il se peut que, même en cas de non-conformité, l'ordre des médecins estime que le médecin en question était bien intentionné et qu'il a agi dans le meilleur intérêt du patient, et décide en conséquence de ne pas donner de suites. Si l'on veut mesurer l'efficacité de la loi, il ne faut pas seulement s'intéresser au nombre de cas de non-conformité relevés par la commission. Bien d'autres éléments doivent être pris en compte.

Concernant le cancer, il est vrai que les patients atteints de cette pathologie ont été les plus nombreux à demander une aide médicale à mourir. Cependant, actuellement, les cas les plus difficiles à évaluer par la commission sont les polypathologies, soit un ensemble de conditions, qui, prises isolément, ne permettraient pas de bénéficier d'une aide médicale à mourir, mais qui, dans leur ensemble, peuvent justifier la demande. Ainsi, la situation a évolué dans le temps, sans changement législatif.

La relation entre le médecin et le patient, qui devait être le cadre dans lequel l'aide médicale à mourir était administrée, ne l'est plus toujours. Dans certaines provinces, la demande est adressée à un service qui choisit les médecins.

Nous avons évoqué l'affaire Truchon. N'oublions cependant pas que cette décision a été rendue par un juge de première instance. L'affaire n'a jamais été portée en appel par le ministère public, probablement parce que cela aurait déclenché un tollé dans la société.

Mme Jacqueline Herremans. - La juge Christine Baudouin préside la Cour supérieure du Québec. En effet, le parquet général n'a pas souhaité interjeter appel, jugeant vraisemblablement que sa décision était bien fondée.

M. Pierre Deschamps. - La Cour supérieure du Québec est l'équivalent du tribunal judiciaire de première instance en France, ce n'est pas une cour suprême.

Mme Jacqueline Herremans. - Ne rentrons pas dans le détail.

Le rôle des commissions de contrôle est très difficile, pour des raisons qui n'ont pas encore été évoquées. En réalité, les déclarations des médecins font découvrir des trajectoires de vie et des souffrances dont la lecture est parfois extrêmement éprouvante, surtout pour les personnes qui n'appartiennent pas au corps médical médecin : je ne suis pas toujours prête à m'y confronter.

La commission d'évaluation et de contrôle tente de jouer un rôle pédagogique. Il arrive que les médecins ne remplissent pas tout à fait correctement leur déclaration. Comme il a été dit, la déclaration prévue en Belgique est moins exhaustive qu'aux Pays-Bas. Cependant, les questions posées portent, par exemple, sur les éléments ayant permis au médecin d'estimer que la demande ne résultait pas d'une pression extérieure. Il doit également décrire l'état du patient afin que la commission puisse apprécier le caractère grave et incurable de la maladie.

Notre rôle s'est quelque peu amélioré depuis que, grâce à l'arrêt de la CEDH du 4 octobre 2022 Mortier contre Belgique, le législateur belge a pris la décision de renoncer à l'anonymat. Nous recevons donc des déclarations qui comprennent les noms des médecins et des patients, avec, très souvent, les avis des médecins consultés, ce qui nous permet d'aller bien plus loin.

Quand nous avons un doute, nous demandons au médecin de compléter sa déclaration, voire de se rendre à la réunion mensuelle de la commission d'évaluation et de contrôle. Si la commission, après un vote qualifié aux deux tiers, estime que le médecin n'a pas respecté les conditions, le dossier doit être transféré au parquet. Jusqu'à présent, cela n'est arrivé qu'une fois - et la chambre du conseil, qui instruit le dossier avant d'aller plus loin, a prononcé un non-lieu : le juge s'est finalement montré moins sévère que la commission.

Pour un médecin, ce n'est pas rien que d'accompagner un patient jusqu'à son dernier souffle. On pourra toujours dire qu'il y a des exceptions. Mais d'après ce que je constate, les demandes d'euthanasie sont examinées avec beaucoup de conscience. Des médecins connus pour être ouverts aux demandes d'euthanasie, comme le Dr François Damas, refusent parfois d'accéder aux voeux des patients, lorsque leur état ne répond pas aux conditions requises. Il est fondamental que la demande émane du patient, et de personne d'autre.

Nous pouvons donc bien effectuer notre mission, qui ne s'arrête d'ailleurs pas au contrôle. Nous avons également l'obligation d'établir un rapport, tous les deux ans, qui est présenté à la commission de la santé et de l'égalité des chances de la Chambre des représentants. Au fil des années, nos discussions évoluent. Les premières fois où nous avons présenté ce rapport, beaucoup de questions nous ont été posées. Cela n'a plus été le cas la dernière fois.

Nous ne connaissons ni le délit d'entrave ni le délit d'incitation. Il existe une amorce de délit d'entrave en ce qui concerne la législation sur l'avortement. Je ne peux donc me prononcer sur le sujet. Le délit d'incitation, en particulier, me semble plus étranger encore à nos préoccupations. En effet, on ne pousse pas à l'euthanasie. D'ailleurs, quand j'entends qu'il y aurait une pression, je m'interroge : de qui émanerait-elle ?

Lorsque l'ancien Premier ministre belge, Wilfried Martens, a demandé l'euthanasie, il était atteint d'un cancer et se trouvait dans une situation médicale sans issue. En revanche, il existe une autre forme de pression : celle de la famille qui s'oppose à la demande d'euthanasie d'un proche. De telles situations existent et sont très difficiles à gérer pour les médecins qui y sont confrontés. Les proches n'ont pas le droit de s'y opposer, mais le médecin tente de crever l'abcès. En effet, l'idéal est d'apaiser toutes les tensions le jour venu. J'ai le souvenir d'une enfant qui avait écrit à sa grand-mère que, si elle avait demandé l'euthanasie, cela voulait sans doute dire qu'elle n'aimait pas sa famille. Il faut donc prendre du temps. En réalité, il faut prendre en compte une demande d'euthanasie dans des délais réduits, mais il faut prendre le temps pour arriver à l'euthanasie.

Enfin, je n'ai aucune crainte concernant les recherches pour le cancer.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je suis rapporteure de la proposition de loi visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs.

Madame Herremans, vous avez commencé votre propos liminaire en parlant de « mourir en toute dignité ». Qu'entendez-vous par là ? Ne s'agit-il pas plutôt de mourir sans souffrance ?

En Belgique, il existe une offre d'accompagnement et de soins palliatifs à domicile. Un forfait palliatif est ainsi attribué sous condition afin de faciliter la prise en charge des patients qui souhaitent rester dans un environnement familier. Des interventions à domicile d'équipes de soutien pluridisciplinaire sont également proposées. Quel bilan faites-vous de ces dispositifs ? Faut-il encore renforcer la prise en charge palliative à domicile ?

Enfin, que faites-vous des enfants et des adolescents ? Ceux-ci sont très rarement évoqués.

Monsieur Deschamps, la proposition de loi qui nous est soumise tend à remplacer l'appellation de soins palliatifs par la notion plus englobante d'« accompagnement et soins palliatifs ». L'accompagnement viserait à prendre en compte les soins de support, comme l'aide à une activité physique adaptée ou encore des soins de confort comme la musicothérapie. Quelle analyse faites-vous de cette évolution sémantique ? Quelle place doit être accordée à ces soins dans l'accompagnement des malades ? Au Québec, comment cet accompagnement se matérialise-t-il dans la prise en charge des patients ?

Qu'en est-il de l'accompagnement des enfants et des parents ?

Monsieur Boer, l'aide à mourir n'est-elle pas une réponse aux insuffisances des systèmes de santé plutôt qu'aux attentes des patients en recherche de soins palliatifs ?

Mme Jacqueline Herremans. - Il ne me semble pas avoir parlé de mourir dans la dignité - je faisais seulement référence au nom de l'association que je préside -, mais plus probablement dans la sérénité. En effet, on peut mourir dans la dignité sans faire le choix de l'euthanasie.

La création de forfaits pour les soins palliatifs ambulatoires a été très utile, tant pour les patients que pour les aidants, dont il ne faut pas oublier le rôle, surtout lorsque les malades restent à domicile. Le forfait n'inclut pas seulement une aide financière, mais aussi des soins médicaux, des soins infirmiers et des soins de kinésithérapie. Dès lors qu'un patient pourrait bénéficier du forfait, je lui conseillerais de se tourner vers son médecin généraliste pour présenter sa demande. Je milite pour une véritable culture palliative.

Concernant les enfants, il y a un bémol. Si nous avons bien développé les soins palliatifs, tant en milieu hospitalier qu'en ambulatoire et dans des centres de jour, surtout dans les Flandres, il n'est pas possible de répondre aux demandes de soins palliatifs des enfants à domicile. Certes, le nombre de ces demandes est plus réduit. Cependant, nous devons encore faire des efforts sur ce point.

En 2014, à l'occasion de la modification de la loi qui a étendu ses dispositions aux mineurs en capacité de discernement, un article, passé quelque peu inaperçu, a été adopté : il prévoyait un accompagnement psychologique pour toute personne impliquée dans une procédure d'euthanasie.

M. Pierre Deschamps. - Je suis très favorable à ce que l'on parle d'accompagnement et de soins palliatifs, entendus au sens large.

La question des proches, cependant, reste quelque peu occultée. Mon épouse a été directrice d'un service de soins palliatifs dans un hôpital général à Montréal : il est crucial d'apporter des soins à la personne, mais aussi d'accompagner tout son entourage.

J'avais lancé un congrès de soins palliatifs au Québec, sous l'intitulé « Accompagner avec humanité ». Ce terme, comme celui de sérénité, me semble préférable à celui de dignité, qui a été accaparé par ceux qui font la promotion de l'euthanasie.

La question des enfants n'a pas été occultée au Québec. Un centre pédiatrique leur est consacré. J'ai été l'instigateur d'un centre de cancérologie à Montréal, à l'hôpital pour enfants Sainte-Justine. Des associations de parents s'occupent des enfants et de leur famille. Des centres de répit, comme Le Phare, existent également. Diverses initiatives de la communauté ont ainsi vu le jour.

La notion d'accompagnement est fondamentale en matière de soins palliatifs. Les discussions ont souvent trait aux adultes, mais les enfants sont aussi partie prenante du processus des soins. J'ai moi-même fait du bénévolat dans un hôpital de soins palliatifs pour accompagner les enfants et les familles.

M. Theo Boer. - L'euthanasie pourrait être liée à l'insuffisance du système de soins. Mais à l'inverse, on pourrait craindre que la possibilité d'euthanasie n'entraîne elle-même une insuffisance de ce système ! La durée des soins palliatifs, qui sont en général dispensés au cours des dernières semaines de vie du patient, pourrait notamment être raccourcie.

J'en viens à l'évolution du volume de demandes d'euthanasie. On constate une tendance à l'ouverture des critères permettant de demander une euthanasie. Je viens de publier un livre, intitulé Vivre avec l'euthanasie, qui rassemble quarante-cinq témoignages de personnes qui ont assisté à l'euthanasie d'un proche. L'un d'entre eux décrit une famille dont l'ensemble des membres sont décédés par euthanasie.

Comment expliquer cette tendance ? Tout d'abord, personne ne prend facilement cette décision. Ma belle-soeur est actuellement en train de réaliser cette démarche.

Ensuite, à une époque où tout est analysé au travers du prisme financier, l'euthanasie ne coûte quasiment rien.

Enfin, l'euthanasie doit être appréhendée comme faisant partie d'une tendance culturelle où nous voulons tout contrôler - transport, déménagements...

M. Daniel Chasseing. - Monsieur Boer, entre 2002 et 2021, le nombre d'euthanasies annuelles en Belgique est passé de 1 800 à 7 800, avant de dépasser 10 000 aujourd'hui. À l'origine, 88 % des patients euthanasiés étaient atteints de cancers en phase terminale, contre 61 % en 2022 et 50 % aujourd'hui. Enfin, vous estimez que 700 personnes par an auraient pu vivre plusieurs années de plus, notamment dans les cas de malades atteints de polypathologies ou de personnes âgées dont la demande était motivée par la peur de rentrer en Ehpad, de gêner leurs proches ou de souffrir du déclin de leurs capacités physiques. Des personnes souffrant de troubles psychiatriques ont également été concernées.

Pourquoi les critères autorisant l'euthanasie se sont-ils considérablement élargis ? Les personnes se sentent-elles obligées de choisir entre une mort naturelle et l'euthanasie ? Les médecins ont-ils été formés à ne pas freiner les demandes d'euthanasie ?

Si les soins palliatifs s'étaient développés dans votre pays, et si la possibilité d'une sédation profonde et continue avait été autorisée, comme c'est le cas en France grâce à la loi Claeys-Leonetti, l'euthanasie aurait-elle été légalisée ?

Mme Patricia Demas. - Je me demande si l'augmentation du nombre de demandes d'euthanasie, dans laquelle vous voyez une tendance sociétale, n'est pas plutôt liée aux politiques d'accompagnement de la douleur. Dans vos pays, depuis que l'euthanasie a été légalisée, une politique de gestion et d'accompagnement de la douleur, bien en amont des soins palliatifs, a-t-elle été mise en place ?

Je pense au témoignage d'un patient âgé rencontré dans un service de soins palliatifs dans mon département des Alpes-Maritimes. Alors que sa douleur était intolérable, il pensait demander à l'un de ses proches de l'aider à mettre fin à ses jours. Mais lorsqu'il a été pris en charge à l'hôpital de l'Archet, à Nice, ces pensées l'ont quitté et il a décidé de reprendre son traitement.

Dans vos commissions de contrôle, réfléchissez-vous aux raisons pour lesquelles un patient peut souhaiter être euthanasié ? Nos sociétés ne devraient-elles pas chercher à promouvoir l'accompagnement et la bienveillance afin de faire de l'euthanasie une réponse à des exceptions, et non à une situation générale ?

Par ailleurs, qui sont les Français qui se rendent dans vos pays respectifs pour se faire euthanasier ?

M. Theo Boer. - Dans ma présentation, j'ai dit qu'au début on « peut » faire un choix, mais qu'après quelques décennies on « doit » faire ce choix. En réalité, à un moment donné, on doit choisir si l'on souhaite ou non se faire euthanasier. Mais le recours à l'euthanasie n'est jamais obligatoire !

Certaines euthanasies auraient-elles pu être évitées ? Posons-nous la question. Beaucoup de patients demandent en effet l'euthanasie, mais ce n'est pas parce que les soins prodigués sont insuffisants. En réalité, ils veulent éviter de se retrouver en situation de dépendance pendant leurs dernières semaines de vie. D'ailleurs, les soins palliatifs sont d'excellente qualité aux Pays-Bas.

Il y a une exception, à mes yeux, absolument tragique : 239 cas d'euthanasie ont concerné des patients souffrant d'une affection psychiatrique. Il faut reconnaître que les soins psychiatriques, hélas, laissent à désirer dans notre pays.

Mme Jacqueline Herremans. - M. Deschamps a parlé de personnes ou d'associations faisant la promotion de l'euthanasie. À mon sens, l'euthanasie doit rester un choix, qui peut aller dans un sens comme dans l'autre, et je réprouve les actes de militantisme en faveur de l'euthanasie

La Belgique investit énormément dans le domaine de l'algologie. Des expériences sont par exemple menées autour du cannabis. La lutte contre la douleur est d'ailleurs inscrite dans la loi relative aux droits du patient. Je connais ainsi un médecin spécialiste en algologie qui accepte de pratiquer des euthanasies.

Lorsqu'un patient sait qu'il n'ira pas mieux le jour suivant, qu'il se sent désespéré, qu'il perd son autonomie, il est parfois difficile de l'apaiser. Cependant, il faut poursuivre les recherches en algologie, comme sur le cancer ou sur la maladie d'Alzheimer.

Une attention particulière doit être prêtée aux soins de santé. On ne peut parler d'un vrai choix de l'euthanasie que si l'on se trouve dans un système où ces soins sont de bonne qualité.

Concernant les Français qui demandent l'euthanasie en Belgique, nous refusons les demandes des non-résidents émanant de patients présentant des troubles psychiatriques, car la procédure prend beaucoup plus de temps. Une concertation avec les professionnels de santé qui suivent le patient, notamment, est nécessaire pour arriver à la conclusion que tous les traitements ont été essayés. Cela ne peut pas se faire à distance : il faut que la personne réside dans le pays.

Les patients qui viennent en Belgique sont ceux qui sont atteints de cancers ou de maladies neurologiques, comme la maladie de Charcot, et qui peuvent encore se déplacer. L'année passée, nous avons reçu 106 déclarations de médecins concernant des patients français. Cette année, nous en sommes déjà à 60 déclarations, et nous n'avons pas encore reçu toutes les déclarations du mois de juin. Vous me direz que c'est peu. Ne perdons pas de vue que ces procédures sont longues. L'un d'entre vous a dit que l'euthanasie ne coûte rien. En réalité, c'est une démarche coûteuse en temps.

Il faut du temps, notamment, pour mener les entretiens et s'assurer qu'il s'agit bien de la demande du patient, que cet avis ne résulte pas d'une pression extérieure. Il est vrai que la Belgique est plus rigoureuse, si j'ose dire, que la Suisse, car cette démarche est inscrite dans notre système de sécurité sociale. Les frais d'hospitalisation, grâce à la réglementation européenne, peuvent même être pris en charge. En effet, dans certains cas, une période d'observation dans un hôpital est nécessaire. On cherche toujours à trouver une autre solution : cela prend donc du temps.

Enfin, beaucoup de demandes de Français ne sont pas acceptées.

M. Pierre Deschamps. - De bons soins palliatifs requièrent un dépistage précoce des besoins de la personne. Or nos établissements de santé sont en retard sur ce point. Cela nécessite du temps et des ressources. Dans un système de santé orienté vers des coupes plutôt que vers des augmentations de budget, dans un système qui se réforme de fond en comble, des patients seront laissés pour compte et ne pourront pas bénéficier de certains soins.

Les soins palliatifs relèvent de l'accompagnement. Ce sont des soins de confort, et non des soins curatifs. Lorsqu'ils sont réalisés à domicile, ils nécessitent des équipes. Mais si nous ne pouvons pas prendre en charge ces personnes de manière adéquate, que leur reste-t-il ?

C'est ainsi que l'aide médicale à mourir devient un boulevard thérapeutique. Ce n'est plus comme autrefois. On compte des centaines de cas chaque mois. Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-ce parce que les soins palliatifs ne sont pas disponibles ? Sommes-nous mal organisés ? N'y aurait-il pas une forme d'engouement sociétal pour une certaine façon de mourir ?

Avec le temps, il devient très difficile de nous confronter aux déclarations que nous recevons, car il ne s'agit pas seulement de statistiques, mais d'histoires de patients qui, au fil des ans, sont passés par l'immunothérapie, la chimiothérapie, la radiothérapie, les soins palliatifs. Ils se sont battus, mais ils n'ont plus d'issue...

Je suis aussi perturbé par la spécialisation dans l'aide médicale à mourir. Des médecins délaissent une pratique pour se consacrer exclusivement à cette activité. Dans un établissement, un service d'aide médicale à mourir a même été créé. Mais que pourrait offrir un tel médecin au patient ? Les délais entre les demandes et les administrations sont parfois de l'ordre d'à peine quelques jours. Cela m'interroge...

En France et au Royaume-Uni, c'est un système axé sur une aide au suicide et un accompagnement de la personne dans sa fin de vie qui a été retenu. Ces régimes sont très différents de ceux qui ont été mis en place aux Pays-Bas et en Belgique. N'y voyez pas une critique : le Québec s'est largement inspiré de la législation belge. Cependant, je constate que l'on tente de faire tomber des barrières. On parlait auparavant de « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Désormais, la pratique médicale est en train, lentement mais sûrement, de faire en sorte qu'un nombre toujours plus important de personnes puisse bénéficier de l'aide médicale à mourir.

Le patient émet une demande, et si les critères sont remplis, nous y répondons. Mais qu'en est-il du soutien à la famille ? Qu'en est-il des soins à la personne ? On observe un changement de paradigme dans la société canadienne. L'aide médicale à mourir est une technique. Ce n'est pas un soin. Une nouvelle dynamique est en cours, et il faut en être conscient, dès la conception de la loi.

À mon sens, les sociétés devront investir encore plus dans des soins palliatifs de qualité, incluant non seulement des soins, mais aussi la musicothérapie, la massothérapie et d'autres formes d'accompagnement. Cependant, le Canada accuse du retard en la matière, malgré tous les efforts déployés et toute la bonne volonté des acteurs.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je veux revenir sur la question des enfants. Vous avez évoqué l'accompagnement, aussi bien pour l'enfant que pour les parents. Mais que se passe-t-il après le décès d'un enfant ? Des dispositifs sont-ils prévus dans vos pays ?

Mme Jacqueline Herremans. - Les parents portent toujours en eux la perte d'un enfant. Il existe des dispositifs d'accompagnement, en particulier lorsque les familles passent par l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Huderf), qui est spécialisé dans la médecine de l'enfant. Le suivi est organisé pendant la procédure et après le décès de l'enfant.

Je connais des parents qui ont transcendé le deuil de leur fille, décédée à l'âge de seize ans, laquelle avait émis le souhait de donner ses organes après son euthanasie. Désormais, ses parents sont très engagés sur cette question. D'autres parents, après avoir connu ce drame personnel, s'investissent dans l'accompagnement d'enfants ou d'autres parents.

M. Pierre Deschamps. - Le deuil est un élément souvent occulté. On compte 6 000 cas d'euthanasie ou d'aide médicale à mourir au Québec chaque année. Mais une fois la procédure terminée, qui s'occupe de la famille ? Des psychologues animent des séances pour les personnes en deuil, mais cette question reste le parent pauvre de notre système de santé.

Concernant les enfants, des associations de parents sont fortement mobilisées dans l'accompagnement des enfants et des parents pendant et après la maladie. Cependant, quelle que soit la situation, le deuil reste présent toute la vie durant. Cette question relève d'un service plus ou moins bien assuré par les systèmes de santé. Ce sont souvent des initiatives de personnes du milieu des soins qui la prennent en charge.

Votre question est en tout cas légitime. Parfois, l'euthanasie, ou l'aide médicale à mourir, a lieu sans que les membres de la famille en soient informés. Comment les personnes qui restent vivent-elles cet événement ? Il s'agit d'une excellente question qu'il faut se poser. Après la mort d'une personne, tout n'est pas terminé. Et que fait-on des endeuillés ?

M. Theo Boer. - Ludwig Wittgenstein a dit : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. » Si vous me le permettez, je ne répondrai pas à cette question.

Mme Pascale Gruny, vice-président. - Je vous remercie de votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 2 juillet 2025

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai - Examen des amendements au texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen des amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.

Je vous précise que 17 amendements et une motion ont été déposés sur ce texte, qui sera examiné en séance demain, jeudi 3 juillet.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement n°  19 vise à renforcer la sécurité juridique du dispositif en précisant le périmètre des activités autorisées le 1er mai. Cette clarification permettra d'exclure sans ambiguïté les grandes surfaces dont l'activité dépasse largement la simple vente de brins de muguet ou de biens culturels.

L'amendement n° 19 est adopté.

EXAMEN DE LA MOTION

Question préalable

M. Olivier Henno, rapporteur. - La motion n°  18 tend à opposer la question préalable à la proposition de loi, au nom de la crainte d'une atteinte à la fête du 1er mai. Cette crainte n'est pas justifiée, à plus forte raison, grâce au texte resserré adopté en commission. Nous avons déjà eu ce débat et développé nos arguments ; il serait donc regrettable que la discussion ne puisse avoir lieu en séance. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à la motion n° 18 tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

M. Olivier Henno, rapporteur. - Les amendements identiques nos  2, 3, 4 et  15 visent à supprimer l'article unique du texte. J'émets bien logiquement un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 2, 3, 4 et 15.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  8 vise à doubler le montant de l'indemnité que l'employeur doit verser au salarié qui travaille le 1er mai. Cette indemnité, égale au montant du salaire, s'ajoute déjà à la rémunération normale de la journée. La loi prévoit donc des contreparties suffisantes au travail le 1er mai et il ne paraît pas souhaitable d'aller plus loin : avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Les amendements nos  17 et  5 tendent à renforcer la garantie de volontariat pour les secteurs qui bénéficieraient d'une dérogation, par principe, au caractère chômé du 1er mai.

Je vous propose un avis favorable à l'amendement no 17, qui encadre encore davantage le volontariat. En revanche, l'avis sera défavorable à l'amendement no 5, car il prévoit un délai d'un mois pour donner cet accord écrit. Cette procédure excessive risque de gêner les entreprises concernées, qui sont souvent de très petites entreprises (TPE).

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 17. Elle émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  10 vise à supprimer le dispositif de dérogation pour les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  11 vise à supprimer le dispositif de dérogation pour les commerces de bouche. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Avis également défavorable à l'amendement no  12, qui concerne la suppression du dispositif de dérogation pour les magasins de fleurs naturelles.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  13 prévoit la suppression du dispositif de dérogation pour les activités culturelles. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Le ministère du travail consulte nécessairement les organisations syndicales et patronales avant la prise d'un décret par le Premier ministre. Il ne semble donc pas nécessaire de le préciser, comme le prévoient les amendements nos  16 et  7. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 16 et 7.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  9 vise à exclure les entreprises intégralement automatisées du champ de la dérogation à l'interdiction d'occuper des salariés le 1er mai. Or il est soit pleinement satisfait, soit inopérant, puisque le code du travail ne régit que la question du travail des salariés le 1er mai. Si une entreprise n'emploie aucun salarié ce jour-là en raison d'une automatisation des tâches, elle n'est concernée ni par l'interdiction ni par sa dérogation. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  6 concerne une demande de bilan annuel au sein des entreprises ayant recours au volontariat le 1er mai. Une telle obligation constitue une charge supplémentaire pour les entreprises concernées, qui sont souvent des TPE. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

Après l'article unique

L'amendement n°  1 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Intitulé de la proposition de loi

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement no  14 tend à modifier l'intitulé de la proposition de loi. Nous l'avons déjà rejeté en commission. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.

Auteur

Objet

Avis de la commission

Motion

Mme APOURCEAU-POLY

18

Question préalable

Défavorable

Article unique :

Dérogation à l'interdiction d'occuper des salariés la journée du 1er mai

Mme PANTEL

2

Suppression de l'article

Défavorable

Mme LUBIN

3

Suppression de l'article

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

4

Suppression de l'article

Défavorable

Mme PONCET MONGE

15

Suppression de l'article

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

8

Doublement du montant de l'indemnité de travail du 1er mai

Défavorable

Mme BILLON

17

Renforcement de la garantie du volontariat du salarié travaillant le 1er mai

Favorable

Mme APOURCEAU-POLY

5

Renforcement de la garantie du volontariat du salarié travaillant le 1er mai

Défavorable

Mme PONCET MONGE

10

Suppression de la dérogation pour les commerces alimentaires destinés à la consommation immédiate

Défavorable

Mme PONCET MONGE

11

Suppression de la dérogation pour les commerces de vente alimentaire au détail

Défavorable

Mme PONCET MONGE

12

Suppression de la dérogation pour la vente de fleurs

Défavorable

Mme de MARCO

13

Suppression de la dérogation pour les activités culturelles

Défavorable

Mme PONCET MONGE

16

Consultation des organisations syndicales en amont du décret précisant les secteurs dérogatoires

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

7

Consultation des organisations syndicales en amont du décret précisant les secteurs dérogatoires

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

9

Exclusion des entreprises intégralement automatisées du champ des dérogations à l'interdiction de faire travailler des salariés le 1er mai

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

6

Bilan annuel au sein des entreprises sur le recours au volontariat le 1er mai

Défavorable

Article additionnel après l'article unique

M. ROCHETTE

1 rect. bis

Exclusion de la journée de solidarité accomplie un jour férié du champ de l'interdiction de circulation de véhicules de transport de marchandises

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Intitulé de la proposition de loi

Mme PONCET MONGE

14

Modification de l'intitulé

Défavorable

Proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental - Examen des amendements au texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Nous passons à l'examen de l'amendement au texte de la commission sur la proposition de loi portant pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental. Ce texte sera également examiné demain en séance publique.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Avant l'article unique

M. Xavier Iacovelli, rapporteur. L'amendement no  1 rectifié vise à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport d'évaluation sur le bilan de l'expérimentation du contrat de professionnalisation. Nous l'avons rejeté en commission : je vous propose donc un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié.

Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Communication

M. Philippe Mouiller, président. - Vous le savez, nous avons adopté le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels (ANI) en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.

Lors du débat en séance publique, de nombreuses questions ont porté sur l'ordonnance, sur la capacité des organisations syndicales et patronales à conclure un accord dans les temps et les suites à donner en matière d'information.

Les rapporteurs, Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec, vont nous faire part de leur échange avec le ministère.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Je m'exprime également au nom de ma collègue Anne-Marie Nédélec. Nous avions gardé une accroche législative à l'article 10 pour permettre aux partenaires sociaux de finaliser un ANI dit « de transition professionnelle ».

Lundi, nous avons eu une réunion avec les représentants de la ministre et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) en vue de retranscrire l'intégralité de cet accord dans l'article 10. Cependant, le texte est quasiment doublé.

Pour être très claire, notre position est la suivante : si aucun accord n'est trouvé avec les partenaires sociaux sur le texte qui doit remplacer l'article 10, nous ne pourrons pas valider ce texte.

Le président s'était engagé à organiser une table ronde avec les partenaires sociaux avant la commission mixte paritaire (CMP), prévue mardi prochain. Cette table ronde aura lieu jeudi, de 15 heures à 16 heures, en téléconférence ou en présentiel, et sera ouverte aux commissaires et même, s'ils le peuvent, aux deux rapporteurs de l'Assemblée nationale. Nous avons respecté la demande des partenaires sociaux d'aller vite, et la transparence promise par le président sera ainsi assurée.

M. Philippe Mouiller, président. - Ce temps d'échange, même bref, nous permettra de suivre de près la négociation, conformément à l'engagement pris en séance.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit à l'aide à mourir et proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs - Audition de Mmes Claudine Esper, présidente du comité de déontologie et vice-présidente du comité d'éthique, et Élisabeth Elefant, secrétaire du comité d'éthique, de l'Académie nationale de médecine

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons à présent entendre des représentantes de l'Académie nationale de médecine dans le cadre de nos travaux sur la proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir ainsi que sur la proposition de loi visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs.

Je vous précise que cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Je remercie de leur présence Mme Claudine Esper, présidente du comité de déontologie et vice-présidente du comité d'éthique, et Mme Élisabeth Elefant, secrétaire du comité d'éthique, de l'Académie nationale de médecine.

Mesdames, le regard de l'Académie nous sera utile sur de nombreux aspects soulevés par ces deux textes, tant les médecins sont au coeur de l'ensemble des dispositifs, qu'il s'agisse du principe même de l'aide à mourir, des critères d'éligibilité retenus, de la procédure de décision, de la responsabilité des médecins ou, par ailleurs, des évolutions envisagées en matière de soins palliatifs.

Je vous propose d'intervenir pour un propos liminaire. Les membres de la commission qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger, à commencer par les rapporteurs de ces deux textes.

Mme Élisabeth Elefant, secrétaire du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine. - Nous sommes très honorées d'être parmi vous pour partager les conclusions des réflexions de l'Académie nationale de médecine et, plus précisément, celles de son comité d'éthique, dont le professeur Claudine Esper est la vice-présidente et moi-même la secrétaire. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre président, Jacques Bringer, qui n'était pas disponible aujourd'hui.

Je suis médecin, biologiste de la reproduction et du développement. Mon activité hospitalière, exercée pendant plus de quarante ans à l'hôpital Trousseau, au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), m'a amenée à étudier l'effet des traitements pris au cours de la grossesse sur le foetus, le nouveau-né, le futur enfant et son développement postnatal à long terme. Cette activité m'a également confrontée, de façon très régulière, à des demandes d'interruptions médicales de grossesse (IMG) ou d'interruptions volontaires de grossesse (IVG) dans des conditions particulières.

Mme Claudine Esper, présidente du comité de déontologie et vice-présidente du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine. - Merci, monsieur le président, pour cette audition, qui permet à l'Académie nationale de médecine de s'exprimer sur un sujet particulièrement délicat et difficile.

Je suis moi-même universitaire, j'étais professeur en faculté de droit ; c'est pourquoi je tiens à souligner que l'Académie comprend des membres de la société civile qui ne sont pas médecins.

Je vais d'abord présenter brièvement l'avis de l'Académie, puis je reviendrai sur quelques points essentiels au regard des travaux parlementaires en cours.

L'avis par lequel l'Académie a apporté sa contribution au débat a été adopté en juin 2023, à l'issue d'une auto-saisine. Il émane de son comité d'éthique, organe multidisciplinaire réunissant des médecins, philosophes, sociologues, juristes, etc., qui a travaillé durant deux ans. Le projet d'avis a ensuite été examiné en assemblée pour un vote.

Ce vote est intervenu à l'issue de la séance la plus longue que l'Académie ait jamais tenue ! Après des débats et des demandes de modification, l'avis a été adopté par environ 60 % des participants, ce qui est un pourcentage habituel sur un sujet aussi difficile. Je le précise car cet avis est probablement parmi les plus importants et les plus difficiles jamais émis par l'Académie. Il est donc très symbolique pour l'institution, surtout venant d'un corps médical avec une longue expérience de terrain, notamment concernant les questions de fin de vie.

Nos travaux ont, comme toujours, été guidés par les quatre grands principes éthiques : le respect de l'autonomie de la personne, de sa capacité à décider de son corps et des soins qui lui sont prodigués ; le principe de bienfaisance, qui consiste à obtenir des conséquences favorables pour la personne ; le principe de non-malfaisance, c'est-à-dire éviter toute conséquence négative et s'abstenir de toute volonté de nuire à la personne ; et enfin, le principe de justice, qui vise à garantir l'équité dans l'accès aux soins. Ces principes ont parfois été en conflit, créant des tensions éthiques que nous avons examinées de manière approfondie.

L'avis que nous avons rédigé contient une annexe, récapitulant les arguments pour et contre, et constitue un complément aux lois actuelles.

Deux axes ont guidé notre réflexion : d'abord, l'autonomie de la personne, la liberté de disposer de sa vie et de sa mort, dans la continuité de l'évolution liée à l'adoption de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; ensuite, et cet aspect était majeur pour nous, la protection des plus vulnérables, expression emblématique de notre solidarité et de notre fraternité, comme le souligne le titre de notre avis : « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ».

La trame essentielle de nos travaux repose sur l'idée qu'aucune personne ne doit mourir dans la solitude, sans une prise en charge médicale et sociale adéquate de sa souffrance.

Notre avis s'appuie sur des constats et formule des recommandations.

Premier constat, qui devrait faire l'objet d'un consensus : lorsque l'issue est proche, le cadre législatif actuel est équilibré et satisfaisant. Il inclut des piliers bien établis : les directives anticipées, l'abandon de l'obstination déraisonnable, le droit de refuser un traitement, et, depuis l'adoption de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, la possibilité de recourir à la sédation profonde et continue.

Nous constatons toutefois des insuffisances dans la formation des professionnels et l'information du public, qui créent un décalage entre la loi et la pratique : il faut combler cette faille béante et enfin mener une action majeure en la matière.

Deuxième constat, plus délicat : on observe la persistance de détresses physique et psychologique des personnes souffrant de maladies graves, incurables, mais dont le pronostic n'est pas engagé à court terme, avec toutefois une issue fatale. Comment faire pour que ces personnes puissent aspirer légitimement à ne pas être spectatrices de leur dégradation et vivre « du mieux possible » une fin de vie apaisée ?

Nous nous sommes demandé ce que pouvait apporter l'Académie si le législateur voulait compléter la loi, avons alerté sur les risques et énoncé des recommandations.

Concernant les risques, nous avons distingué très nettement l'assistance au suicide et le geste euthanasique pour deux raisons majeures. D'abord, donner la mort est totalement contraire au serment d'Hippocrate et transgresse ce serment : le médecin ne donne pas la mort.

Second argument, lié à la démarche elle-même : le geste euthanasique a une force plus contraignante que le suicide assisté qui respecte jusqu'au terme l'hésitation et l'incertitude du choix ultime du patient : là où l'on a mis en place un tel mécanisme, comme dans l'Oregon, aux États-Unis, environ 40 % des personnes n'utilisent pas la prescription faite. Voilà pourquoi nous avons écarté le geste euthanasique.

À l'époque, nous avions réfléchi sur le « suicide assisté », même si désormais - mais sans en avoir débattu - nous préférons nettement l'expression « aide à mourir », beaucoup plus humaine et moins proche de la démarche suicidaire, volontaire, de la personne.

Si le législateur ouvre cette possibilité, nous avons d'abord identifié des risques liés à la nature de la demande : s'agit-il vraiment d'une volonté de partir du mieux possible, d'une vraie fin de vie ? Ensuite, il existe un risque lié à l'état de la personne : est-elle trop isolée ? Est-elle dans un environnement suffisamment bon pour ne plus manifester cette demande de fin de vie ? Enfin, on constate des risques liés à l'inégalité territoriale : dans certains endroits, il manque les soins palliatifs nécessaires pour soulager les souffrances.

Au regard de ces risques, après de nombreux débats et auditions, nous avons exclu le handicap du champ de l'aide à mourir. Nous étions totalement opposés à l'idée que les personnes souffrant d'un handicap soient autorisées à ne plus vivre, car cela met à mal la solidarité que nous devons à ces personnes.

Nous avons aussi exclu toute altération du discernement pour éviter les dérives. Dans un premier temps, si le législateur estime devoir aller dans cette voie, il doit le faire avec modestie, en écartant certaines situations particulièrement difficiles.

Au regard de ces risques, nous avons également proposé des garanties : l'avis contient plusieurs recommandations.

Nous avons mis l'accent sur une évaluation collégiale et pluriprofessionnelle de la situation. Ensuite, nous avons indiqué la nécessité préalable d'avoir accès à des soins palliatifs, ce qui est un prérequis central. Enfin, nous ne voulons pas d'administration du produit létal par un professionnel : il faut laisser, jusqu'au bout, une ultime liberté aux personnes. Pour ne pas reporter la charge de la prescription d'un produit létal sur les professionnels de santé qui ne souhaiteraient pas rédiger celle-ci, nous avons préconisé une clause de conscience. Cela nous a paru tout à fait indispensable pour ne pas imposer aux soignants une mission que nombre d'entre eux rejettent.

Depuis cet avis, les travaux parlementaires se sont poursuivis et nous avons été auditionnés au moins quatre fois par l'Assemblée nationale. Dans la rédaction actuelle, on retrouve quasiment tous les points du texte de l'Académie, mais plus détaillés. Ces points sont essentiels.

J'insiste sur le point suivant, qui figure dans le texte : « la souffrance psychique ne peut, à elle seule, suffire pour permettre une aide à mourir ». Cette condition est essentielle et impérative ; nous l'approuvons à 100 %.

Autre constat essentiel : adopter un texte qui autorise l'aide à mourir ne doit pas être une façade pour occulter l'insuffisance des soins palliatifs dans notre pays. Avant tout, il faut améliorer les soins palliatifs. Nous l'avons mis en exergue dans notre avis. On ne peut envisager d'aide à mourir s'il n'y a pas au préalable un accompagnement et des soins palliatifs proposés à la personne - qu'elle peut accepter ou refuser. C'est un prérequis.

Enfin, le législateur a choisi de déposer deux textes. L'Académie de médecine n'a pas à prendre position sur ce point. Si l'aide à mourir venait à être adoptée par les assemblées, cela impliquerait, pour cette partie du texte, de développer la formation du personnel et l'information des citoyens, c'est-à-dire les mesures prévues pour l'accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs.

Pour conclure, je soulignerai l'humilité qu'il faut avoir sur ce sujet : nous ne sommes sûrs de rien en la matière. Nous en débattons sans être nous-mêmes dans une situation terrible de fin de vie. Qui peut dire alors ce qu'il demandera ou décidera ? Il est certain également qu'aucune loi ne pourra jamais répondre à la multiplicité des situations de fin de vie, à leur complexité, au vécu et aux attentes spécifiques de chacun.

En définitive, il nous revient de faire du mieux possible en déterminant quel chemin est le moins mauvais en la matière. Il existe tout de même un pivot, et c'est un point qui nous paraît majeur : il faut améliorer grandement l'accompagnement et les soins palliatifs.

Mme Élisabeth Elefant. - Pour compléter le tableau assez exhaustif dressé par Mme Esper, je rappelle que nous avons achevé nos travaux en juin 2023, donc avant que le projet de loi du Gouvernement soit mis en discussion, en 2024, que sont venus supplanter ces deux textes. Nous avons conscience qu'ils sont différents de ce sur quoi nous avons débattu collégialement.

De mon point de vue, et au vu de nos auditions, nous avons considéré que dans le cas de pronostics vitaux engagés à court terme en raison d'une pathologie grave et incurable, le cadre juridique actuel était satisfaisant, notamment la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 : l'écriture des directives anticipées s'impose au corps médical, l'obstination déraisonnable est interdite, le patient a le droit de refuser un traitement, et la sédation profonde et continue est possible jusqu'au décès. L'équilibre figurant dans la législation pour des situations de court terme ne peut qu'être approuvé. Il n'a pas à être modifié.

Il persiste cependant des problèmes dans la connaissance et l'application de cette loi. Nous ne voulons pas effacer les textes fondateurs, en particulier la loi Claeys-Leonetti, par une loi nouvelle, mais reconnaître les situations de souffrance insoutenables et inhumaines qui n'entrent pas dans le champ de ces textes, notamment lorsque le pronostic vital n'est pas engagé à court terme. Cela a été évoqué dans les auditions précédentes. Je rends hommage à Jean Leonetti et Alain Claeys pour leurs auditions particulièrement humaines, précises et nuancées. Ils ont souligné que, entre laisser mourir et faire mourir, la frontière est extrêmement ténue, et c'est cela qui peut opposer les uns aux autres.

La première partie du rapport sur l'aide à mourir concerne la position que certains pays ont adoptée sur l'euthanasie. L'Académie nationale de médecine a rappelé très fermement que l'euthanasie n'entre pas dans le champ du possible et qu'elle transgresse le serment d'Hippocrate. Cette position a été largement soutenue.

Nous avons travaillé sur le « suicide assisté », mais ce terme est ambigu. Nous avons entendu des psychiatres, en particulier pour adultes, spécialisés dans les tentatives de suicide à répétition, qui de par leur position et leur expérience professionnelle étaient relativement heurtés par certaines dispositions du texte. Le terme de « suicide assisté » était améliorable. La proposition de loi nous semble conforme à nos souhaits, en privilégiant l'expression « aide à mourir ».

Les conditions d'accès introduites dans la proposition de loi recoupent de façon assez proche les conditions que nous avions proposées à l'époque dans notre avis : la personne doit « être atteinte d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l'entrée dans un processus irréversible marqué par l'aggravation de l'état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale. » Nous sommes d'accord avec cette définition.

Il a été ajouté à l'article 4 de cette proposition de loi qu'il faut « présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d'arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l'aide à mourir. » Claudine Esper l'a rappelé : nous sommes très sensibles à la distinction entre les patients qui vont mourir - certes, nous allons tous mourir - dans un avenir très proche et ceux qui veulent mourir. Le champ des penchants suicidaires à répétition ou des pathologies psychiatriques complexes est en dehors de notre proposition. Les progrès thérapeutiques très récents et qui se poursuivent dans le champ de la psychiatrie adulte laissent l'espoir d'apaiser le désespoir et la souffrance psychique de ces patients.

Dans notre esprit, le suicide assisté ou l'aide à mourir, tels que définis dans notre rapport et dans la proposition de loi, répondent à une « démarche d'exception », et j'insiste sur ce dernier terme. Dans les pays dont nous avons analysé les résultats, 1 % à 5 % des décès au maximum surviennent dans un contexte de demande d'aide à mourir. Un tiers des patients, quand ils ont obtenu une autorisation des commissions compétentes, ne vont pas au bout du processus, notamment en psychiatrie : le simple fait de savoir que l'option est ouverte fait renoncer certains patients suicidaires à utiliser ce processus. Il s'agit de répondre à des situations tragiques mais exceptionnelles. La quasi-totalité des fins de vie ne relève pas d'une aide à mourir, qui reste ainsi dans le domaine très réservé de quelques individus par rapport à tous ceux qui décèdent chaque année - environ 680 000 personnes.

Je souhaite revenir sur certains points évoqués lors des auditions précédentes.

Le comité d'éthique de l'Académie de médecine n'a pas abordé le sujet des enfants. Ayant exercé toute ma carrière à l'hôpital pédiatrique Trousseau, dans un service proche de l'oncohématologie pédiatrique, je suis consciente des problèmes que poserait l'application de la proposition de loi au champ pédiatrique. Ce sujet ne doit pas être abandonné, mais il faut y réfléchir dans un cadre spécifique, avec l'audition d'intervenants que nous n'avons pas encore eu l'occasion de solliciter. Certains pays ont déjà légiféré sur le sujet, dans un contexte juridique très précis. Il ne faut pas fermer la porte.

J'ai été sensible à certains arguments présentés sur de potentiels dérapages. Nous avons été très attentifs à l'analyse des expériences relatées dans les pays où ces lois sont déjà appliquées : euthanasie et, plus ou moins, suicide assisté - dans certains pays, les deux dispositifs sont possibles. Dans la littérature scientifique, nous avons constaté des controverses concernant essentiellement des patients ayant demandé une aide à mourir dans le cadre de pathologies psychiatriques : l'évaluation a posteriori de la décision des médecins acceptant l'aide à mourir est parfois contestée par des collègues de la même spécialité. La proposition de loi n'abordera pas le champ de la psychiatrie, il sera donc plus facile d'écarter ces dissensions d'appréciation des médecins sur la situation réelle d'un patient demandant une aide à mourir.

J'insiste sur le fait que, si dérapage il y a, il est tout à fait indispensable, dans toutes les organisations de soins que nous pourrions éventuellement envisager, qu'un suivi soit mis en place : non seulement une évaluation a priori des dossiers avec un collège qui décidera de l'acceptation ou non de la demande du patient, mais aussi un suivi a posteriori de l'évolution des caractéristiques, des demandes qui ont été faites, des contextes pathologiques des patients qui ont demandé cette aide active à mourir, des conditions d'accès à cette demande, etc. Le suivi et le retour des proches sont également extrêmement importants à nos yeux.

Si l'on applique les conditions prévues par la rédaction actuelle de la proposition de loi, nous n'avons pas connaissance de dérapages, à l'étranger. Les dérapages sont circonscrits aux problèmes de la psychiatrie.

Je rappelle que les médecins français sont très respectueux des obligations légales et réglementaires. Il sera très important d'avoir un cadrage rigoureux. J'en veux pour preuve l'expérience de l'IVG et de l'assistance médicale à la procréation (PMA). J'ai été régulièrement confrontée à des IVG et à des IMG dans mon exercice professionnel. Les médecins français, dans leur grande majorité, quelle qu'ait pu être leur position par rapport à ces décisions très clivantes au moment du vote des lois, ont été rigoureusement respectueux des directives qui leur ont été données et de la loi. Ce n'est pas le corps médical qui sera à l'origine de dérapages incontrôlés ou incontrôlables dans le cadre de cet exercice exceptionnel, qui engage non seulement la responsabilité de chaque médecin mais aussi sa conscience professionnelle.

Bien que nous n'en ayons pas débattu de façon formelle, l'évocation de l'IVG me conduit à conforter le principe du délit d'entrave envisagé dans la proposition de loi. Sans remettre en question la clause de conscience prévue et dans le respect des positions de chaque médecin, l'expérience de l'IVG, où un temps très long a séparé le vote de la loi en 1975 et l'instauration du délit d'entrave en 2017, nous a conduits à observer des complications très douloureuses pour un nombre important de femmes. Pour éviter de réitérer cette expérience malheureuse, il nous semble opportun d'envisager conjointement au cadre défini par cette proposition de loi un délit d'entrave qui lui soit affecté dans le même temps, sans attendre.

La proposition de loi contient des éléments intéressants sur le suivi de ces dossiers. Nous aurons l'occasion dans le débat de revenir sur d'autres recommandations de l'Académie de médecine.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - La notion de phase avancée ou terminale retenue dans le texte de la majorité gouvernementale visait un pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Pour vous, c'est une véritable avancée. Toutefois, Mme Esper a relevé une insuffisance d'information pour les professionnels et pour le public. Comment pallier cet état de fait inquiétant ?

Madame Elefant, vous avez rappelé qu'il s'agit d'une démarche d'exception qui devrait le rester, et avez évoqué des dérapages. Hier, nous avons reçu des personnes témoignant de la situation dans leur pays. J'ai été surprise par M. Boer, qui estimait qu'aux Pays-Bas, l'euthanasie était devenue une « tendance culturelle ».

Vous avez fait une différence claire entre l'assistance au suicide qui pourrait, selon vous, entrer dans la loi de manière stricte et encadrée, et l'euthanasie, que vous rejetez totalement, car vous considérez qu'elle est contraire au serment d'Hippocrate et qu'elle n'est pas un soin.

Dans votre avis, vous avez écrit qu'« il n'y a aucune assurance que le choix de l'euthanasie puisse concourir à mieux mourir en l'absence d'un engagement des soins palliatifs, seuls capables d'apporter l'accompagnement humain requis. » Mme Esper estimait qu'il s'agissait d'un prérequis. En quoi, à l'inverse de l'euthanasie, l'assistance au suicide vous paraît-elle concourir à mieux mourir en l'absence de développement de soins palliatifs ?

Quelles modifications l'Académie appelle-t-elle de ses voeux dans la rédaction de la proposition de loi, qui inclut tant l'assistance au suicide que l'euthanasie ?

Mme Claudine Esper. - La proposition de loi prévoit une campagne d'information annuelle ou bisannuelle. Inspirons-nous de ce qui est fait pour le don d'organes et par l'Agence de la biomédecine : cette agence a mis en place une distribution de documents d'information dans les pharmacies, les mairies, les études de notaires... On peut faire la même chose sur les directives anticipées. L'AP-HP avait édité deux brochures sur les directives anticipées : l'une pour les professionnels, l'autre pour les patients, en expliquant en quoi elles consistent. Ce bon exemple peut être reproduit sur d'autres sujets. Il faut viser très large pour informer nos concitoyens sur leurs futurs droits. Les directives anticipées sont un premier pas. Il faut élargir cette campagne de communication et aller beaucoup plus loin.

Nous sommes très fermes : il est certain qu'on ne peut pas masquer l'insuffisance de soins palliatifs actuels en mettant en place l'aide à mourir - hors euthanasie - par la prescription d'un produit. Ce serait occulter des lacunes considérables dans notre pays. Il faut absolument une première démarche d'accompagnement et de soins palliatifs, accessibles à toutes les personnes en fin de vie, quel que soit leur stade, avant d'envisager éventuellement une aide à mourir. Il ne faut surtout pas dissocier l'aide à mourir de l'accompagnement et des soins palliatifs. Il y a deux textes. Les mesures prévues pour l'accompagnement et les soins palliatifs, à savoir la formation des professionnels et l'information du public, doivent aussi s'appliquer au second texte sur l'aide à mourir. C'est un sujet majeur.

Mme Élisabeth Elefant. - On observe, aux Pays-Bas, une augmentation de la demande des patients dans des conditions d'accès élargies. Cette tendance, dans l'immédiat, laisse à penser que la connaissance de l'accès à l'aide à mourir fait tache d'huile, la population générale prenant conscience de cette possibilité. Il faudrait revoir ces chiffres après quelques années, lorsque la situation se sera stabilisée. Cette loi a été votée en 2001 et élargie une première fois en 2005 pour les enfants. L'accès à ces dispositifs de patients adultes en psychiatrie - je ne sais pas où l'on en est pour les mineurs - fait probablement partie de l'augmentation importante des chiffres.

Je ne sais pas s'il s'agit d'une « tendance culturelle ». Les Pays-Bas sont un pays où un certain nombre de dispositions sociétales ont été prises depuis longtemps, bien avant notre pays. La disposition du corps social par rapport à plusieurs concepts et principes est un peu différente de la nôtre... Culturellement, qu'est-ce qui explique cet élargissement des demandes ? Ces demandes se situent-elles toujours dans le cadre de la loi ou commencent-elles à s'appliquer à des situations qui transgressent ce cadre ? Je vais vous faire une confidence : ma mère est hollandaise, et décédée. Je sais, de tradition familiale, qu'en raison notamment du clivage religieux entre protestants et catholiques, des évolutions sociétales sont poussées par la partie protestante de la population et donnent un certain mouvement social à ce pays, qui est différent du nôtre.

M. Alain Milon, rapporteur. - Je vous fais part d'une phrase que j'ai relue ce matin : « Comment puis-je blâmer le vent pour le désordre qu'il a causé, si c'est moi qui ai ouvert la fenêtre ? »

Ne pensez-vous qu'il s'agit d'un doux euphémisme de parler d'« aide à mourir » plutôt que du « suicide assisté » et de l'« euthanasie » ?

Mme Esper a parlé d'humilité, qualité essentielle de la grandeur humaine. Malheureusement elle est très peu partagée, surtout dans le monde politique.

Vous avez raison, les soins palliatifs sont essentiels. Le malade doit être accompagné dès le diagnostic par les équipes de soins palliatifs, jusqu'à la fin, le cas échéant, de sa maladie. Voilà la véritable solution : des soins palliatifs sur tout le territoire, dès le diagnostic de la maladie.

L'Académie a écrit dans son avis qu'« il n'est pas possible d'affirmer qu'un pronostic vital est engagé de façon inexorable et encore moins de pronostiquer son échéance, compte tenu des incertitudes liées à l'évolution des maladies et à l'émergence des nouvelles thérapeutiques. » Ne risque-t-on pas de laisser mourir des personnes trop vite sans leur donner la possibilité d'accéder à ces nouvelles thérapies ? Tant de maladies autrefois incurables peuvent être désormais soignées grâce aux progrès de la science : je pense notamment aux leucémies aiguës, aux lymphomes et aux lymphoblastiques. En précipitant le décès des malades, ne ferait-on pas obstacle à la progression de nouveaux traitements qui permettraient de rendre curables des maladies qui aujourd'hui ne le sont pas ?

Dans son avis, l'Académie de médecine a exigé, notamment, d'encadrer les prises de décision concernant l'assistance au suicide par une évaluation préalable, réactive, rigoureuse, collégiale et pluriprofessionnelle. L'article 6 de la proposition de loi prévoit que le médecin à qui parvient une demande d'aide à mourir réunisse un collège composé au minimum d'un médecin spécialiste de la pathologie, mais qui n'intervient pas dans le soin, et d'un auxiliaire médical ou aide-soignant, ce collège pouvant être complété par d'autres professionnels. Il revient ensuite au médecin saisi de la demande de statuer. Le modèle retenu à ce stade vous semble-t-il satisfaire les exigences de l'Académie de médecine en matière de collégialité et de pluriprofessionnalité ?

Mme Claudine Esper. - Oui, ne pas parler de « suicide assisté » mais d'« aide à mourir » est probablement un euphémisme, mais qui permet de distinguer deux situations : celle de la personne qui va mourir - avec toutes les difficultés de prévision du moment, mais qui va tout de même mourir - et celle qui demande la mort, qui veut mourir. Pour éviter une ambiguïté dans les termes, il est beaucoup plus sage de ne pas utiliser le mot de « suicide », mais d'utiliser l'expression « aide à mourir ».

Durant nos travaux, nous avons employé l'expression « suicide assisté », car les réflexions n'étaient pas encore suffisamment avancées il y a deux ans. Nous nous rendons compte que l'expression « aide à mourir » est nettement préférable, même si c'est un euphémisme.

Nous ne pouvons que souscrire à la proposition d'accompagner le patient dès le début par des soins palliatifs. C'est toute la trame de notre avis.

Nous avons affirmé qu'il fallait de la collégialité. Attention, nous ne sommes pas entrés dans les détails. Nous avons essayé de tracer des lignes, mais pour la collégialité, nous avons raisonné en termes d'éthique et non d'organisation du processus. La rédaction actuelle du texte nous semble satisfaisante.

Mme Élisabeth Elefant. - Le mot « suicide » a un sens extrêmement lourd. La démarche des patients, entre ceux qui ont des tendances suicidaires répétées dans le cadre de maladies psychiatriques et ceux qui, constatant et partageant le constat, avec les médecins, que leur état est inexorablement voué à un décès dans des conditions qui peuvent être extrêmement tragiques, n'est pas la même. Ce sont des personnes qui appellent à mourir, qui souhaitent mourir, mais qui ne souhaitent pas se suicider au sens où leur vie jusque-là leur aurait causé des troubles justifiant un désespoir tel que, malgré les traitements, ils souhaiteraient y mettre fin. Ce sont des patients qui veulent vivre : c'est là la grande différence.

Par conséquent, assimiler un geste aussi douloureux pour les patients et leur famille à un suicide, qui est celui de patients ne tolérant plus leur situation de vivant - ce qui est bien différent - me paraît relativement agressif. À l'époque, nous avions utilisé ce terme, mais il n'est pas approprié. Sincèrement, sur le plan humain, il est tout à fait préférable d'utiliser le terme indiqué dans la proposition de loi.

Nous sommes tous d'accord sur les soins palliatifs.

Vous avez évoqué la recherche. Je vais être assez brutale. Vous êtes médecin, pensez-vous que ce soit licite de maintenir en vie des personnes qui sont au bout de leur existence pour continuer à faire des recherches ? Pour ma part, sur le plan purement humain et pour avoir beaucoup côtoyé des personnes en fin de vie, des jeunes en particulier, et même si votre idée ne part évidemment pas d'une mauvaise intention à l'endroit de ces patients, j'y suis opposée.

Du point de vue de la recherche médicale, ce ne sont pas ces patients qui sont les plus « utiles » pour faire progresser les thérapeutiques. On ne réalise pas d'essais cliniques sur des patients qui ne peuvent pas se mettre debout. On ne fait pas de recherche clinique sur des patients dont l'état général interdit toute conclusion applicable à d'autres patients dont l'état est bien meilleur. Ces patients ne feront pas perdre de chance à la recherche médicale si leur décès peut être avancé du fait de leur volonté.

On ne peut donc absolument pas résumer la situation d'une forme d'accélération du processus du décès, voulue par certains patients en état extrême, à une perte de chances pour l'humanité à venir en termes de recherche clinique et de progrès thérapeutique.

Mme Jocelyne Guidez. - L'article 4 de la proposition de loi prévoit la mise en oeuvre d'un droit opposable aux soins palliatifs avec une possibilité de recours devant le juge administratif. Depuis 1999, la loi prévoit déjà que toute personne malade, dont l'état de santé le requiert, a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. En l'absence de solutions de soins palliatifs à la hauteur des besoins sur le territoire, cette disposition, qui part d'une bonne intention, ne risque-t-elle pas de se transformer en incitation à l'aide à mourir ? Par ailleurs, une personne vulnérable atteinte d'une maladie grave va-t-elle vraiment interpeller la justice pour que lui soit offerte une place dans un service de soins palliatifs, alors que l'offre est structurellement défaillante ? N'y a-t-il pas un risque d'effet d'annonce ?

De plus, la proposition de loi prévoit de remplacer l'appellation de « soins palliatifs » par la notion plus englobante d'« accompagnement et soins palliatifs ». L'accompagnement viserait à prendre en compte les soins de support, comme l'aide à une activité physique adaptée ou des soins de confort comme la musicothérapie. Comment analysez-vous cette évolution sémantique, est-elle pertinente et assez précise ? Quelle place doit être accordée à ces soins dans l'accompagnement des malades ?

Enfin, la proposition de loi dissocie parfois soins palliatifs et fin de vie, notamment par la mise en place d'un plan personnalisé d'accompagnement dès l'annonce d'une affection grave. Le soulagement de la douleur doit pouvoir intervenir à tout moment de la maladie, si nécessaire, et pas seulement au dernier moment. Je regrette le manque de culture palliative dans notre société et parfois même au sein du corps médical. Comment mieux intégrer les soins palliatifs dans la prise en charge des malades ? La création des maisons d'accompagnement, à l'article 10, vous semble-t-elle contribuer à cet objectif ? Comment mieux diffuser la culture palliative auprès du corps médical ? Plus largement, le regard de la société sur ce type de soins a-t-il évolué ?

Je vous remercie d'avoir abordé, même succinctement, les soins palliatifs chez les enfants. J'y suis très attentive. Il y a un vrai manque dans la loi : il faudra l'aborder et ne pas l'occulter.

Mme Claudine Esper. - Je suis extrêmement perplexe sur le recours à la justice pour des soins palliatifs qui seraient insuffisants. Professeure de droit, je suis frappée de constater, depuis une dizaine d'années, la croissance des affaires sur la fin de vie devant la justice, que ce soit pour contester l'arrêt ou la poursuite des soins. Qu'est-ce que cela apporte aux familles d'aller devant le juge ? C'est terrible. Je préfèrerais que cette disposition ne figure pas dans le texte.

Ce qui importe, c'est de mettre en place des soins palliatifs pour tous : ce sont des unités de soins palliatifs dans tous les départements français, une formation des professionnels, etc. Les maisons d'accompagnement seraient en quelque sorte des lieux où à la fois les patients et leurs familles, leurs aidants et leurs proches, pourraient se reposer un moment. L'idée est très bonne : un accompagnant d'une personne en fin de vie ou atteinte d'une maladie chronique en a largement besoin.

Toutefois, deux points méritent d'être soulevés. D'abord, cela appelle des moyens considérables. Sommes-nous en mesure de les mobiliser pour qu'il y ait un accès équitable aux soins palliatifs dans tout le pays ? Faut-il isoler ces maisons d'accompagnement ou bien les intégrer à des établissements déjà existants, pour des raisons financières ?

Ensuite, faisons attention au risque de financiarisation de ces maisons d'accompagnement. Nous assistons à un phénomène de financiarisation considérable dans des domaines qui rapportent, comme la biologie. Veillons à ce que les maisons d'accompagnement ne deviennent pas une manne réservée aux personnes qui en auraient les moyens au détriment de celles qui ne pourraient pas du tout y accéder.

Mme Élisabeth Elefant. - Madame Guidez, je partage votre point de vue sur l'effet d'annonce.

Les travaux de l'Académie datent de 2023. Un certain nombre d'éléments nouveaux apparaissent dans les textes de loi qui nous sont désormais soumis sur lesquels nous n'avons pas discuté collégialement au sein de l'Académie et du comité d'éthique. Certaines de nos prises de position, et nous le dirons, sont personnelles et ne représentent pas l'Académie nationale de médecine. Je tiens à être transparente sur ce point.

Il existe déjà une culture des soins d'accompagnement aux malades dans un certain nombre de services, en particulier en oncologie, où une partie du service est dévolue à la fin de vie de certains malades : ils sont pris en charge par l'équipe médicale qui les suit jusqu'à leur décès, en les accompagnant et en appliquant la loi Claeys-Leonetti depuis 2016. Il existe de petites unités à cette fin. Il y a toujours, dans les services où les patients ont des pathologies lourdes, autant que j'ai pu en juger dans ma carrière, des espaces qui peuvent accueillir les familles. C'est plus ou moins facile et beaucoup plus difficile pour les adultes qu'en pédiatrie, où ces espaces sont entrés dans les pratiques et dans l'organisation logistique des chambres des patients. La présence de non-soignants, notamment des accompagnants, dans les hôpitaux, est assez facile, en particulier pour les enfants ; pour les adultes, c'est plus compliqué.

Intégrer des unités de cette nature dans les services de soins de pathologies lourdes pour adultes, qui se traduisent par des décès relativement importants - en particulier la cancérologie - peut être une solution. Cela sensibiliserait les médecins à l'accompagnement palliatif, qui commence normalement dès la prise en charge d'un patient et pas seulement au moment où il va mourir. Il est important que cela puisse entrer, comme vous l'avez évoqué, dans la culture des jeunes médecins actuellement formés. Il ne faut pas reléguer cette partie à un fond de scène où personne ne veut mettre son nez, mais intégrer l'accompagnement dès le début de la prise en charge des patients, comme c'est déjà le cas dans de nombreux services.

J'ai un peu plus de difficulté à comprendre l'organisation des maisons d'accompagnement. Dans les services hospitaliers ou hospitalo-universitaires, la continuité des soins prodigués par une équipe médicale qui connaît bien ses patients et que les patients connaissent bien me semble intéressante à organiser. Il s'agirait de petites unités de soins palliatifs qui pourraient éventuellement être proches des services. Mais il est évidemment hors de question de remettre en cause les unités de soins palliatifs en tant que telles. Nous soutenons une politique de développement de ces services sur le territoire, en particulier dans les dix-neuf départements où il en manque.

Et il y aurait parallèlement les maisons d'accompagnement. Il y a effectivement un risque de financiarisation, qui est lié non seulement au coût d'accès pour les familles, mais aussi à l'organisation de ces structures. En médecine et en biologie, et parfois en radiologie, un certain nombre d'activités de soins sont passées sous la coupe de fonds d'investissement qui s'intéressent, comme pour les Ehpad, à la possibilité de monter ce genre de structure dans un objectif purement financier et spéculatif. Cela nous concerne au plus haut point ; des dérives sont possibles.

Évidemment, nous n'allons pas refuser la musicologie et les autres activités qui permettent à certains patients en fin de vie de recouvrer un certain bien-être au milieu de la vie difficile qu'ils mènent.

Mme Claudine Esper. - Faisons très attention à ce risque de financiarisation des maisons d'accompagnement.

Mme Annie Le Houérou. - Vous avez déclaré prendre acte des textes précédents, notamment la loi Claeys-Leonetti, qui accordaient une place assez importante aux directives anticipées. Quelle analyse faites-vous de l'application de celles-ci dans le cadre de la loi ? Quelle appréciation portez-vous aujourd'hui sur la manière dont elles sont considérées dans le texte qui nous est présenté, lequel suppose la pleine conscience et la demande réitérée au moment de l'aide active à mourir ? Quel est votre avis sur les maladies neurodégénératives, qui sont évoquées notamment à l'article 6 ?

Mme Corinne Imbert. - Si un texte sur l'aide à mourir était voté, je crains que certaines associations à but non lucratif qui gèrent aujourd'hui des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées se retirent de leur gestion, que ce soit par conviction à la fois de leurs responsables, des familles et des résidents. Ces établissements deviendraient par conséquent des opportunités pour des acteurs de la financiarisation, qui pourraient les racheter, peut-être pour en faire des maisons d'accompagnement, avec toutes les dérives que vous avez évoquées.

Madame Esper, vous êtes professeure de droit. L'Académie de médecine invite à exclure le handicap de ce dispositif, et je partage votre prise de position. Il y a deux ans, lors d'une audition, nous avions reçu des philosophes. L'un d'entre eux, favorable à un texte en faveur de l'aide à mourir - nous parlions à l'époque d'« aide active à mourir » - avait dit de façon assez simple et franche qu'il voyait trois publics qui pourraient demander cette aide active à mourir. Il avait cité en premier les personnes lourdement handicapées, en deuxième les personnes en situation d'extrême vieillesse, et en troisième les personnes atteintes d'une maladie incurable. Son intervention avait suscité quelque émoi...

Nous défendons depuis des années les droits des personnes handicapées. Comment, sur le plan constitutionnel, pourra-t-on exclure un public handicapé d'un droit qui sera inscrit dans la loi ? J'entends bien la notion de conscience des personnes qui demanderont l'aide à mourir, mais n'est-ce pas un peu simple de dire que l'on exclut le handicap, alors que celui-ci revêt plusieurs formes ?

Pouvez-vous nous confirmer, notamment sur l'article 4 de la proposition de loi, que les conditions d'accès à l'aide à mourir, telles que le texte les détermine aujourd'hui, satisfont l'Académie de médecine ?

Le texte prévoit qu'il faut « présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection » tout en précisant, à la fin de l'alinéa, qu'« une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l'aide à mourir ». On pourrait considérer que ce « ou » est inclusif au sens mathématique, mais n'y a-t-il pas une incohérence dans la rédaction actuelle ?

M. Khalifé Khalifé. - Je voulais souligner le risque de financiarisation, que vous avez très bien évoqué.

L'Académie compte aussi des philosophes. Avez-vous abordé la question des croyances religieuses dans votre avis ?

M. Philippe Mouiller, président. - Vaste question...

Mme Claudine Esper. - En dehors des questions liées à la fin de vie, nous devrions tous nous interroger sur l'expression de notre volonté pour la suite de notre vie, sans que cela conduise à une obligation de rédiger immédiatement des directives anticipées. Les campagnes de communication que nous avons évoquées devraient encourager nos concitoyens à réfléchir à ces questions.

Dans nos discussions, nous avons surtout mis l'accent sur la lucidité de la personne. L'Académie n'a pas débattu de la place précise des directives anticipées concernant la fin de vie. Je m'exprime donc à titre personnel.

En cas d'incertitude sur la volonté de la personne, l'existence de directives anticipées peut aider l'équipe collégiale à se faire une opinion. Cependant, les directives anticipées ne peuvent pas remplacer la lucidité du patient au moment de la prescription létale. Il faut donc être prudent, sans nier l'importance de ces écrits.

L'exclusion du handicap n'a pas fait l'objet d'un débat particulier au sein de l'Académie. Cependant, on peut observer que dans le cadre des essais thérapeutiques, différentes catégories de personnes ont été distinguées - femmes enceintes, personnes détenues, mineurs... J'adopterai donc la même approche, qui ne me paraît pas irrégulière du point de vue du droit.

Vous évoquez les risques de financiarisation et de retrait des associations. Cette question ne relève pas de l'Académie de médecine, qui ne s'est pas prononcée sur l'organisation des soins. Nous avons raisonné seulement au regard des principes éthiques que j'ai rappelés.

De même, nous avons réalisé des auditions et débattu au regard des quatre grands repères éthiques que j'ai cités : ceux-ci incluent les croyances religieuses de chacun.

Mme Élisabeth Elefant. - Je rappelle que le comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine est composé exclusivement d'académiciens. Il s'agit d'un comité interne, et non externe, contrairement au Comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui est nommé par le Président de la République, avec des composantes diverses de personnes qualifiées et en fonction d'un certain nombre de convictions religieuses, ce qui est tout à fait légitime.

Au sein de l'Académie nationale de médecine et du comité d'éthique, la règle générale est que tous les acteurs puissent être entendus. Cependant, nous n'avons pas spécifiquement veillé à convoquer toutes les croyances qui auraient pu participer à nos réflexions.

Madame Imbert, je partage votre avis sur l'ambiguïté de la phrase de l'article 4 que vous avez évoquée. Avec plusieurs membres de l'Académie nationale de médecine, nous avons été auditionnés par la ministre Catherine Vautrin. Nous lui avons signalé l'ambiguïté de l'expression « souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection ». De mon point de vue, il est très clair que l'atteinte psychologique est liée à la gravité de la maladie, des souffrances et du pronostic. Cependant, cette rédaction peut laisser entendre à un lecteur peu attentif qu'il s'agirait d'une affection physique ou psychologique. Or on entrerait là dans le champ de la psychiatrie. C'est la raison pour laquelle il est précisé, à la fin de l'alinéa, que sont exclues les pathologies psychiatriques.

Les témoignages de personnes qui s'occupent de patients en fin de vie le disent : l'épreuve n'est pas uniquement physique, mais bien souvent aussi psychologique. Cependant, cette rédaction n'est peut-être pas optimale.

La question du handicap est importante : chacun doit avoir accès aux mêmes droits. Ne créons pas une discrimination en cherchant précisément à éviter de le faire : nous ne devons surtout pas entraver les décisions tout à fait autonomes de certaines personnes, au motif qu'elles présentent des handicaps. Je suis très sensible à votre remarque. Ce sujet mérite sans doute d'être retravaillé.

Je suis assez choquée que le philosophe que vous avez auditionné vous ait exposé un ordre des personnes qui mériteraient d'être concernées par le sujet. Alors que les sujets âgés représentent une problématique sociétale, compte tenu de la démographie actuelle et de l'organisation de la société vis-à-vis de nos aînés, l'introduction d'une telle notion ouvrirait la porte à une véritable dérive eugénique !

Une difficulté demeure quant à la place des directives anticipées et de la pleine conscience. En effet, si les directives anticipées ont un sens et si elles peuvent être plébiscitées dans la population générale, c'est parce qu'elles peuvent être appliquées. Cependant, dans des situations bien particulières, il arrive que ces directives soient contestées par l'équipe médicale. Cela peut donc susciter des difficultés, en particulier dans le contexte d'une décision relative à la fin de vie, qui nécessite que le patient soit en pleine conscience.

Toute la difficulté est finalement de savoir à quel moment d'effacement de la conscience du patient nous nous trouvons, pour pouvoir utiliser les directives anticipées à l'appui de sa demande préalable. Il est bien complexe d'expliquer toutes ces nuances : dans ces situations, rien n'est complètement noir ou blanc. Il est peu aisé d'articuler tout cela dans un texte de loi, car la distinction relève quasiment de la pratique clinique, avec toutes les nuances que l'on peut apporter à notre exercice...

Mme Claudine Esper. - Si le Parlement adopte l'ensemble du dispositif, nous aurons un texte, certes. Mais aucune loi ne pourra résoudre toutes les difficultés que rencontreront immanquablement les équipes sur place, qu'il s'agisse de la concertation collégiale ou de la décision médicale de prescrire le produit. Il y aura des hésitations et des doutes. La loi ne dira jamais tout. C'est aussi la beauté de l'art médical que de savoir apprécier chaque situation.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie.

J'informe les membres de la commission des affaires sociales que nous auditionnerons mardi 8 juillet Thomas Fatôme, sur le rapport « charges et produits » pour 2026, ainsi que la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs.

Nous recevrons mercredi 9 juillet plusieurs philosophes dans le cadre d'une table ronde sur la fin de vie, avant d'examiner le rapport d'information sur la mission d'information flash sur les dangers liés aux médicaments opioïdes.

Le mardi 23 septembre, le bureau de la commission se réunira pour évoquer les règles de fonctionnement des débats en commission sur les textes sur la fin de vie, puis nous auditionnerons Mme Vautrin sur ce même sujet.

Les deux propositions de loi seront examinées en commission le mercredi 24 septembre. L'examen en séance se déroulera entre le 7 et le 16 octobre. Le scrutin solennel aura lieu le 21 octobre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 15.