Mardi 8 juillet 2025
- Présidence de M. Simon Uzenat, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Examen du rapport
M. Simon Uzenat, président. - Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée pour notre regretté collègue député Olivier Marleix, dont nous connaissions tous l'engagement sur les questions de souveraineté. Je n'ai pas eu l'honneur de le connaître, mais j'ai pu suivre ses combats et nous pouvions les partager, quelles que soient nos sensibilités respectives.
Il y a presque quatre mois jour pour jour, le 5 mars dernier, notre commission d'enquête créée sur l'initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires tenait sa réunion constitutive. Je veux saisir cette occasion pour remercier très chaleureusement notre rapporteur Dany Wattebled et son groupe pour avoir pris l'initiative de cette commission, sur un sujet d'une grande importance pour les élus locaux et les opérateurs économiques Nous nous retrouvons aujourd'hui pour clore des travaux qui ont été contraints par le temps et menés tambour battant. Nous avons collectivement accompli une véritable performance et, avec le rapporteur, avancé en tandem, dans le respect, l'écoute et le dialogue. Je tiens à saluer son engagement et sa capacité à faire confiance de notre commission.
Je veux aussi saluer la très bonne entente qui s'est immédiatement installée entre nous tous. Nous avons rapidement acquis une vision partagée du périmètre de nos travaux, des principaux constats et des insuffisances que nous devions mettre en lumière. Cela nous a permis de concentrer nos auditions et nos déplacements sur les enjeux principaux : la commande publique en tant que politique publique à part entière au service de la souveraineté économique, agricole, industrielle et numérique, française et européenne, son rôle de levier des transitions écologique et sociale, la nécessaire simplification - ni totem ni tabou - au service des acheteurs et des opérateurs économiques, et enfin la révision des directives européennes, avec l'horizon d'une préférence européenne élargie.
Je tiens également à saluer l'esprit de travail collaboratif qui a régné lors de nos auditions et déplacements et l'investissement régulier ou plus ponctuel de chacun des membres de la commission, en fonction de nos multiples contraintes et sollicitations.
Sans compter les réunions constitutive et finale, nous avons mené 51 auditions plénières au cours desquelles nous avons entendu 75 experts, structures et organismes incarnant la commande publique dans toute sa diversité : élus locaux, services de l'État, experts, juristes, économistes, acheteurs publics, acteurs économiques ou encore représentants du secteur hospitalier. Mentionnons également deux anciens ministres et deux membres du gouvernement actuel, M. Éric Lombard et Mme Clara Chappaz.
Nous avons aussi réussi, dans le temps limité qui nous était imparti, à réaliser trois déplacements, à Vannes, Lille et Bruxelles, en compagnie de certains d'entre vous.
Dans le Morbihan comme dans le Nord, nous sommes allés à la rencontre des élus et des acteurs économiques locaux, qui sont les premiers usagers de la commande publique et les meilleurs indicateurs de sa vitalité. Leurs témoignages ont permis de confirmer et d'approfondir les premières intuitions tirées de nos auditions et d'identifier des insuffisances ou des inadaptations du cadre juridique actuel, pour donner corps à une vraie simplification. Nous avons aussi été confortés dans l'idée que les collectivités ont réussi à développer, chacune à leur échelle, de bonnes pratiques qui mériteraient d'être mieux prises en compte par l'État.
À Bruxelles, l'objectif était de prendre le pouls du processus de révision des directives européennes sur la commande publique et de convaincre nos interlocuteurs d'adopter une approche ambitieuse et non purement juridique dans ce processus.
Il s'agit d'une opportunité qui ne se présente qu'une fois tous les dix ans : faire évoluer le cadre réglementaire commun à l'ensemble d'un continent. L'élection de Donald Trump bouleverse certes un peu la donne, mais nous parlons là de tendances lourdes à l'oeuvre depuis de nombreuses années. L'Europe doit prendre conscience qu'il est temps de changer de logiciel et de mettre en place des outils permettant de favoriser les acteurs européens. J'ai senti certains de nos interlocuteurs, notamment les services de la Commission européenne et le commissaire Stéphane Séjourné, très réceptifs à ce message. C'était exactement l'inverse avec d'autres, comme le lobby des collectivités locales européennes ou celui des entreprises. Un long travail de conviction va devoir être mené par la France dans les mois à venir pour surmonter la tentation d'une réforme a minima.
Au total, en additionnant nos travaux à Paris et lors de nos déplacements, nous avons rencontré 134 organismes, pour un total de 160 personnes, ce qui est remarquable dans le temps qui nous était imparti. Nous avons également pleinement tiré parti des outils offerts par le Sénat en appui de ses travaux de contrôle. Une étude de législation comparée sur la commande publique, présentant les cadres juridiques en vigueur aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, a été réalisée et sera, si vous l'acceptez, annexée au rapport. À notre initiative, une consultation des élus locaux a également été organisée sur la plateforme dématérialisée du Sénat, recueillant 1 182 réponses. J'y vois le signe du grand intérêt qu'ils portent à ce sujet, qui fait partie de leur quotidien. Les résultats de cette consultation sont présentés dans le projet de rapport.
Le rapporteur a également fait un très large usage de son droit de communication, à trente-trois reprises, auprès de diverses structures publiques et d'entreprises, préalablement et après leurs auditions. Les informations récoltées dans ce cadre, couvertes par le secret, sont venues alimenter son rapport.
À titre personnel, ce fut un honneur et une fierté d'assurer la présidence de cette commission d'enquête, qui fut une véritable aventure humaine. J'ai essayé de donner le meilleur de moi-même, en permettant à chacun de s'exprimer, en veillant au respect de l'institution sénatoriale et en considérant que nous sommes toujours plus forts et intelligents ensemble. Le plan que nous avions adopté ensemble le 6 mai dernier a été respecté. Je voudrais également remercier l'ensemble des fonctionnaires du secrétariat de la commission d'enquête pour la très grande qualité du travail accompli.
Je me dois à présent, mes chers collègues, de vous rappeler les règles de procédure applicables à la présente réunion.
Nos échanges ce matin sont confidentiels, nos travaux étant soumis au secret jusqu'à la publication de nos conclusions. Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et au chapitre V de l'Instruction générale du Bureau, le rapport est sous embargo pendant vingt-quatre heures à compter de la fin de notre réunion. Dans ce délai, une demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée par un dixième de ses membres ou le Premier ministre pour débattre de sa publication.
Si vous décidiez de l'adopter, le rapport serait rendu public demain en fin de journée et Le résultat de nos travaux présenté au cours d'une conférence de presse demain à 14 heures. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.
Toute infraction à cette règle expose aux peines prévues à l'article 226-13 du code pénal - un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende - et à l'article 8 ter du Règlement du Sénat - interdiction de faire partie d'une autre commission d'enquête pour la durée restant à courir du mandat.
La consultation du rapport a eu lieu les 2, 3 et 4 juillet dernier. Des exemplaires nominatifs vous ont été distribués contre émargement et il vous sera demandé de les restituer à la fin de la réunion.
Après l'exposé du rapporteur, je céderai la parole à ceux d'entre vous qui souhaiteraient s'exprimer. Nous procéderons ensuite à l'examen des éventuelles propositions de modification. Après le vote sur ces éventuelles propositions de modification, nous voterons sur les recommandations, puis sur le titre du rapport. Nous nous prononcerons enfin sur son adoption et sa publication. Je vous propose d'y annexer le compte rendu de notre réunion.
Je rappelle également que les éventuelles contributions des groupes politiques doivent être adressées au secrétariat avant demain 9 juillet midi. Elles seront annexées au rapport.
J'aimerais terminer mon propos par quelques brèves considérations sur ce que je retiens de nos travaux.
Nous avons, me semble-t-il, réussi à démontrer que les masses financières en jeu sont d'une telle importance - 400 milliards d'euros par an, soit bien davantage que les 170 milliards d'euros de l'estimation officielle - que la commande publique constitue bel et bien une politique publique à part entière, qui a vocation à être un levier d'accélération des transitions écologique, sociale et numérique, et plus largement un outil de souveraineté économique, pour accélérer la structuration de filière, renforcer notre autonomie stratégique et offrir, par son effet levier, un soutien à nos opérateurs économiques.
Le bilan en demi-teinte qu'en tire le rapport, lié à un défaut d'accompagnement de la part de l'État, est assez édifiant. On peut parler d'un État défaillant, d'un manque criant de volonté politique, d'incohérence majeure entre les actes et les discours. Plusieurs exemples viennent à l'esprit, notamment la loi 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim. Cela ne doit pas nous inciter au renoncement, mais au contraire à poursuivre et amplifier les efforts. Nous avons la conviction que souveraineté et transition écologique et sociale marchent d'un même pas. La commande publique est un outil majeur de soutien à l'emploi local et à nos très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME). Je ne crois pas qu'elle devrait se cantonner au choix du moins-disant.
Il nous semble donc indispensable d'améliorer le pilotage par la donnée de la commande publique, c'est-à-dire la capacité pour les acheteurs d'assurer un suivi fin de leur politique d'achat et de ses effets, au travers d'indicateurs pertinents, permettant notamment d'assurer la traçabilité de la création de valeur. À l'échelle de l'État, il convient de compiler et de rendre publiques et facilement accessibles, au-delà de quelques grandes masses financières, des données détaillées sur la commande publique en France. C'est une condition de l'efficacité de la dépense publique et de mesure de son retour sur investissement territorial.
D'importants progrès restent à réaliser en la matière. L'État n'est pas exemplaire, malgré des efforts récents, tandis que les initiatives des autres acheteurs publics restent éparses, malgré la volonté politique de certaines collectivités. Le rapport préconise donc plusieurs mesures fortes en ce sens, notamment le recensement dès le premier euro, une meilleure publicité des achats de l'État et des données de l'Observatoire économique de la commande publique ou encore le développement de la programmation des achats. Ces mesures sont indissociables des mesures de simplification concrètes pour faciliter l'accès des TPE et PME à la commande publique.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Je tiens tout d'abord à remercier le président de notre commission d'enquête, ainsi que l'ensemble de ses membres. Ce fut une belle expérience, qui montre que nous pouvons réaliser au Sénat un travail collectif transpartisan, dans un climat courtois et constructif. Cette commission d'enquête restera comme un de mes meilleurs souvenirs de mon mandat sénatorial.
Je tiens également à remercier les fonctionnaires du secrétariat de la commission d'enquête pour leur disponibilité et la qualité du travail réalisé.
Les travaux de notre commission d'enquête se sont avérés particulièrement riches et ont abouti à des conclusions que je qualifierais d'inquiétantes à bien des égards.
Je retire deux principaux constats de ces quatre mois passés à vos côtés.
Premièrement, la commande publique est une matière technique et aride, qui pèse lourdement sur le quotidien des élus locaux. Les collectivités sont en première ligne dans sa mise en oeuvre et leurs équipes souvent restreintes et insuffisamment formées à ces enjeux. Les élus locaux peuvent ainsi se trouver en difficulté face à une réglementation foisonnante et instable. Ils redoutent en permanence le risque contentieux. Il est donc grand temps d'agir pour simplifier le quotidien des acheteurs publics et des collectivités locales. Cela ira inévitablement de pair avec la facilitation de l'accès des TPE et PME aux marchés publics.
Deuxièmement, au niveau national, alors que la commande publique représente 14 % du PIB, force est de constater qu'elle ne fait pas l'objet d'un pilotage clair et cohérent.
Sur des sujets aussi primordiaux que le soutien aux TPE et PME et la souveraineté économique et numérique des achats, les choses sont claires : derrière de grands discours, les responsables politiques se renvoient la balle, esquivent les questions, se rejettent la faute. Combien d'occasions ont-elles été manquées à cause de ces atermoiements, au détriment des entreprises françaises ?
Nous avons été très surpris de l'imprécision de certaines réponses de hauts dirigeants politiques, de responsables d'administrations et de centrales d'achat à des questions pourtant concrètes et légitimes. Quelle politique la France mène-t-elle aujourd'hui pour soutenir nos entreprises via la commande publique ? Comment nous assurons-nous que les contrats conclus auprès d'entreprises étrangères n'empiètent pas encore davantage sur notre souveraineté économique et numérique ? Pourquoi l'État recourt-il encore massivement aux Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft - pour ses marchés, alors que, depuis plusieurs années, il dépense des milliards pour soutenir l'innovation française ?
Certains parleront de naïveté ; j'y vois, pour ma part, une déresponsabilisation inacceptable de l'État et de ses dirigeants.
Il est donc grand temps de mettre un terme aux errements de l'État en matière de pilotage de la commande publique. Aujourd'hui, les administrations de l'État comme la direction des achats de l'État (DAE), la direction des affaires juridiques (DAJ) ou le Commissariat général au développement durable (CGDD) se concurrencent sans qu'aucune d'elles puisse véritablement être qualifiée de pilote de la commande publique. Il n'y a pas de pilote dans l'avion ! Cela aboutit nécessairement à une dilution des responsabilités et à une forte illisibilité.
Comment mettre de l'ordre dans ce maquis inextricable au travers duquel il a parfois été pénible d'avancer au cours de nos travaux ? À nos yeux, il s'agit, en priorité, de confier au Premier ministre la responsabilité du pilotage, de la cohérence et de l'efficience de la commande publique.
En parallèle, le Parlement devrait être mieux associé à la conduite et au suivi de cette politique. Nous préconisons donc d'organiser chaque année un débat parlementaire sur la politique d'achat de l'État, qui nous permettra d'exprimer nos sensibilités et nos attentes dans ce domaine et de veiller à la cohérence de l'action publique en la matière.
Nous considérons également que les sommes dépensées dans ce cadre doivent bénéficier à nos filières souveraines. Or, c'est souvent le contraire que nous avons constaté. Dans le cadre de la sécurisation de la nouvelle carte nationale d'identité électronique, par exemple, l'Imprimerie nationale a visiblement écarté CST, une entreprise française innovante proposant des technologies de pointe dont la performance est pourtant reconnue à l'international.
Nous proposons donc d'inscrire dans les textes européens le principe d'une préférence européenne dans l'achat public. Sans enfreindre les engagements internationaux de l'Union européenne, il nous faut cesser de faire preuve de naïveté à l'égard des pays étrangers qui, eux, ferment leurs marchés publics à nos entreprises, alors qu'ils profitent des nôtres.
Il faut adopter une approche transversale s'appliquant à l'ensemble des secteurs économiques à l'échelle européenne. La révision des directives européennes arrive donc à point nommé. Dans cette perspective, la France doit défendre et obtenir des avancées décisives pour la croissance économique de nos territoires.
Le rapport contient plusieurs recommandations en ce sens et appelle notamment à l'adoption d'un Small Business Act européen permettant de réserver une part des marchés publics, ainsi que certains marchés, à des petites et moyennes entreprises, sur le modèle des États-Unis. Ce sont des mesures fortement plébiscitées par les collectivités territoriales, qui souhaitent pouvoir soutenir leur tissu économique local.
Par ailleurs, dans un contexte géopolitique extrêmement tendu, la France et l'Europe doivent désormais garantir leur souveraineté économique et numérique dans le cadre de la commande publique.
Nos travaux ont mis en lumière la dépendance de la France à l'égard de solutions numériques étrangères, notamment américaines. Or, ces entreprises sont toutes assujetties au droit extraterritorial.
À titre d'exemple, le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) et le Cloud Act permettent au gouvernement américain d'ordonner à ces sociétés de lui transmettre les données qu'elles détiennent sur simple autorisation d'un juge, même si ces données sont stockées ailleurs qu'aux États-Unis, sans aucune information de leur propriétaire. Et je ne parle pas du cas des entreprises qui collaborent avec les autorités américaines dans le cadre de programmes de surveillance...
Face aux risques encourus, l'État semble rester passif. L'exemple le plus criant de cette inertie est bien sûr la plateforme des données de santé (PDS), hébergée depuis six ans chez Microsoft, et au sujet de laquelle des alertes sont régulièrement émises, notamment par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Pourtant rien n'est fait, au prétexte qu'aucune solution souveraine d'hébergement ne serait disponible.
Les réponses apportées par les responsables de la PDS ainsi que par les ministres chargés du dossier à l'époque ne nous ont aucunement convaincus. Les dirigeants d'entreprises françaises et européennes que nous avons rencontrés nous ont assuré à plusieurs reprises être en mesure de répondre à un appel d'offres en vue de son hébergement et d'en assurer la protection.
Je rappelle à ce propos qu'en dépit de toutes les assurances qu'il a tenu à nous donner, le directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France n'a pas été en mesure de nous garantir sous serment que les données des citoyens français hébergées par son entreprise ne seront jamais transmises à des autorités étrangères sans l'accord des autorités françaises.
Preuve qu'une autre voie est possible, certains États européens, comme le Danemark, ont décidé de cesser progressivement d'utiliser les solutions Microsoft.
Pourtant, ces dernières années, l'État a élaboré la doctrine « cloud au centre », qui impose, lorsque le recours à une solution commerciale est choisi pour l'hébergement de données particulièrement sensibles, de recourir à des services disposant de la qualification SecNumCloud. Cette obligation a d'ailleurs récemment été inscrite dans la loi, à l'article 31 de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), dont le décret d'application n'a toujours pas été publié à ce jour...
Pourtant, le ministère de l'éducation nationale a récemment passé un important marché à hauteur de 75 millions d'euros pour l'équipement de ses services et des établissements d'enseignement supérieur en solutions Microsoft, sans même le soumettre au contrôle de la direction interministérielle du numérique (Dinum), pourtant obligatoire pour tout projet de cette nature d'un montant supérieur à 9 millions d'euros.
J'en conclus donc que ces nouvelles règles ne font pas l'objet d'une mise en oeuvre effective et que les administrations de l'État n'ont pas encore pris conscience des risques auxquels elles exposent nos données sensibles.
Ceux d'entre vous qui ont assisté à certaines auditions auront d'ailleurs perçu, comme nous, l'ambivalence des relations entre le secteur du numérique français et l'État, ainsi que la déconnexion entre les discours et les actes de ce dernier.
Cette tendance est malheureusement entretenue par les grandes centrales d'achat, et en premier lieu par l'Union des groupements d'achats publics (Ugap). Son PDG a reconnu devant nous qu'il ne conseillait pas suffisamment ses clients en matière de souveraineté numérique ; il a admis qu'il restait des progrès à accomplir en la matière.
En conséquence, nous vous proposons de formuler des recommandations claires sur ces questions.
Il convient tout d'abord d'assurer la mise en oeuvre effective de l'article 31 de la loi Sren dans les plus brefs délais.
Il est ensuite indispensable de reconnaître le caractère sensible de toutes les données détenues par des personnes publiques. En conséquence, l'insertion d'une clause de non-soumission aux législations extraterritoriales étrangères devrait être rendue obligatoire dans tous les marchés comportant des prestations d'hébergement de données publiques.
Quant aux cabinets de conseil, ils devraient faire la preuve de leur totale immunité à l'égard du droit extraterritorial étranger lorsqu'ils travaillent pour une personne publique. Il faut aussi interdire la transmission des livrables qu'ils produisent dans le cadre de leurs missions vers un pays tiers, où est souvent situé leur siège social.
En ce qui concerne les centrales d'achat, il est urgent d'assigner à l'Ugap une mission d'appui à la structuration des filières économiques françaises et européennes. Elle a la masse critique nécessaire pour diffuser les solutions souveraines en matière de logiciels et d'hébergement de données en nuage.
Nous proposons également de renforcer son pilotage politique, en confiant sa tutelle au seul ministère de la souveraineté industrielle et numérique, en nommant des parlementaires au sein de son conseil d'administration et surtout en limitant à deux le nombre de mandats successifs susceptibles d'être exercés en tant que membre de ce conseil. Je rappelle en effet que l'actuel PDG de l'Ugap est en poste depuis bientôt quinze ans, et que ses résultats sont pour le moins mitigés, notamment sur le plan de la promotion de notre souveraineté numérique, ce qu'il a d'ailleurs reconnu lui-même.
Enfin, je vous propose de formuler des recommandations en matière de simplification du droit de la commande publique et d'allégement des contraintes. En effet, les lourdeurs administratives de la passation des marchés publics ont été unanimement déplorées au cours de nos auditions et de nos rencontres.
Les collectivités sont ainsi soumises à des règles parfois aberrantes et souvent chronophages. Je pense notamment à l'obligation imposée aux acheteurs publics de vérifier que l'attributaire pressenti d'un marché respecte ses obligations légales et réglementaires, notamment en matière sociale et fiscale ; aux cas de défaillance du titulaire d'un marché du fait d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires, dans lesquels l'acheteur est contraint de passer le nouveau marché selon la même procédure que celle qui a été suivie initialement ; ou à la limitation excessive de la possibilité de recourir à la négociation, pourtant indispensable à la réalisation d'économies et à l'adaptation des offres aux besoins de l'acheteur public.
Ces contraintes s'ajoutent au risque contentieux qui pèse sur les acheteurs et entrave leur action. De fait, la moindre erreur est susceptible d'entraîner des poursuites pour favoritisme, qui peuvent déboucher, entre autres, sur une peine d'inéligibilité, et ce même si l'acheteur était de bonne foi.
Nous proposons donc de conduire une vaste réforme simplificatrice, laquelle inclurait notamment la suppression de la procédure adaptée de passation de marché (Mapa). Alors que le droit européen n'exige pas l'existence d'une telle procédure, celle-ci implique un certain formalisme en matière de mise en concurrence et de publicité lorsque le montant du marché, tout en étant inférieur aux seuils européens des procédures formalisées, excède les seuils de la procédure négociée ou de gré à gré.
Nous proposons dès lors de supprimer cette procédure, tout en garantissant, par des obligations renforcées en matière de publicité, le respect des principes fondamentaux du droit de la commande publique : égalité de traitement des candidats, liberté d'accès et transparence des procédures. Une telle mesure permettrait aux acheteurs publics de soutenir le tissu économique local et d'être moins exposés au risque de contentieux.
Nous recommandons également de faciliter le travail des acheteurs publics en leur permettant de recueillir, par le biais d'une plateforme en ligne qui serait alimentée par l'administration à partir des données qu'elle détient, un « passeport commande publique » garantissant le respect par les candidats à un marché de leurs obligations légales et réglementaires.
En outre, pour redonner confiance aux acheteurs dans la commande publique, sans renoncer à sanctionner les abus volontaires, nous jugeons qu'il est indispensable d'exclure du champ du délit de favoritisme les cas de méconnaissance du droit de la commande publique les moins graves. Il en irait ainsi lorsque la méconnaissance s'expliquerait par un motif d'intérêt général impérieux ou si celle-ci n'a pas été commise dans l'intention d'octroyer un avantage injustifié.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous ne voulons pas faire dans la demi-mesure. Je vous propose d'adopter soixante-huit recommandations ; certaines sont particulièrement techniques, d'autres de portée plus générale. Il s'agit de donner un nouveau souffle à la commande publique, au service de nos entreprises et au bénéfice des acheteurs.
La commande publique représente un levier unique d'action publique, d'un montant de 400 milliards d'euros par an, à la main des acheteurs. Si ces derniers étaient convenablement sensibilisés aux enjeux, ils pourraient accélérer la transformation de nos politiques publiques vers une plus grande souveraineté économique, agricole, industrielle et numérique, française comme européenne.
J'espère que nos travaux contribueront à une prise de conscience des enjeux de la commande publique, et je vous renouvelle la satisfaction que j'ai eue à travailler avec l'ensemble d'entre vous ces derniers mois.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre commission d'enquête a travaillé dans une excellente ambiance, grâce à son président et à son rapporteur. Je remercie le groupe Les Indépendants - République et Territoires qui a demandé sa création, car le sujet est très important.
Dans la continuité des travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, nous avons étudié de manière fine et précise les dysfonctionnements de l'État. Les recommandations, qui confortent des analyses réalisées de longue date par le Sénat, arrivent à point nommé, au moment où nous devons réfléchir à la manière de résorber le déficit public et de combler nos lacunes en matière de politique industrielle et de souveraineté.
J'ai été frappée, lors des auditions, par la déresponsabilisation de l'État depuis une quinzaine d'années, sous les différents gouvernements successifs.
La commande publique représente une dépense non négligeable de 400 milliards d'euros. L'enjeu est, d'une part, la protection de nos données, qui constituent un actif stratégique majeur, et la défense de notre souveraineté, et, d'autre part, le développement de la Nation. Faute d'une stratégie claire en matière de commande publique, nous n'aidons pas notre tissu industriel et nous ne pouvons pas mener de politique industrielle ambitieuse. Les rapports Draghi et Letta, au niveau européen, sont particulièrement sévères en la matière.
Les travaux du Sénat ont déjà permis de mettre en lumière notre dépendance à l'égard des Gafam. Le Sénat a déjà formulé des recommandations en la matière, que notre rapporteur martèle utilement dans son rapport. Le Gouvernement est donc d'autant plus coupable que le législateur a déjà posé le diagnostic et proposé des solutions.
Je ne peux que soutenir les recommandations portant sur le chapitre « Changer de logiciel, garantir la souveraineté numérique européenne dans le cadre de la commande publique », puisque ces dernières ont déjà été formulées à de nombreuses reprises par le Sénat, notamment dans le rapport d'information intitulé L'Union européenne, colonie du monde numérique ?, que j'ai rédigé en 2013 au nom de la commission de la culture, et dans le rapport de la mission commune d'information transpartisane intitulée Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet, en 2014, dont j'étais la rapporteure.
La responsabilité des gouvernants est donc extrêmement importante. Il ne s'agit pas seulement, selon moi, de naïveté, car nous avons pu constater que la manière de répondre à nos questions de certaines personnes que nous avons auditionnées était parfaitement scandaleuse, mais plutôt d'une forme de connivence avec les Gafam, voire d'une forme de dépendance assumée à leur égard. Certains responsables tiennent un discours d'autodénigrement quant à notre capacité à développer des solutions souveraines, alors qu'elles existent et ne demandent qu'à être mises en oeuvre.
Lors des auditions, j'ai également été frappée de constater, lorsque nous avons évoqué la plateforme des données de santé, que chacun se repassait la patate chaude : c'était le jeu de la défausse, à croire que personne n'avait jamais pris la moindre décision sur le sujet ! Je remercie le rapporteur d'avoir mis cela en lumière.
Je souscris, dans l'ensemble, à ses recommandations.
La recommandation no 26, qui vise à privilégier, parmi les solutions qualifiées SecNumCloud, le recours à celles qui reposent sur des technologies intégralement souveraines, est très importante.
Les recommandations nos 24 et 25 ne concernent que les prestations d'hébergement des données. Il conviendrait de mentionner également les prestations de traitement des données. L'hébergement et le traitement constituent en effet des fonctionnalités différentes, et les entreprises jouent parfois de cette ambivalence, car si les données doivent être hébergées en Europe, rien n'empêche qu'elles soient traitées ailleurs !
Le décret d'application de l'article 31 de la loi Sren n'a toujours pas été publié. L'avant-projet a été examiné la semaine dernière par la Cnil, dont je suis membre : le rapporteur a été très sévère sur le texte proposé, qui ne respecte absolument pas la volonté du législateur de privilégier le recours à des solutions souveraines. Selon le commissaire du Gouvernement qui était présent, tout serait compliqué - ce sont les mêmes arguments que ceux que nous avons entendus durant les auditions ! Je propose donc de modifier la recommandation no 22 pour préciser que le décret doit correspondre à la volonté du législateur. Dans cet avant-projet, la prise en compte de l'autonomie stratégique et de la souveraineté n'est pas mentionnée parmi les critères d'acceptation de l'offre, contrairement au coût financier.
Je soutiens la proposition visant à rattacher au Premier ministre le pilotage de la politique numérique de l'État. La mission commune d'information sur la gouvernance d'Internet de 2014 avait déjà formulé cette proposition, et celle-ci a de nouveau été évoquée lors de l'examen de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. J'ai eu, par ailleurs, l'occasion d'évoquer ce point lors d'un entretien avec le Premier ministre, la semaine dernière. Il s'est dit choqué par l'attribution à une société extraeuropéenne, par le service d'information du Gouvernement (SIG), du marché relatif à la surveillance des réseaux sociaux pour le Gouvernement. Quelle que soit son implication, la ministre déléguée chargée du numérique ne pourra pas, à elle seule, prescrire aux autres ministères de se mettre en ordre de marche sur le sujet.
M. Jean-Luc Ruelle. - Je suis très favorable à la recommandation no 61 qui tend à mettre en place un mécanisme d'habilitation des organismes assurant des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage au profit des personnes publiques, afin de faire disparaître les risques de conflit d'intérêts.
Je ne sais pas si la recommandation no 28 est suffisamment explicite. Celle-ci vise à « exiger l'immunité aux législations extraterritoriales des cabinets de conseil travaillant pour le secteur public ». La version initiale du texte concernait les livrables, qui sont les rapports finaux. Mais ces derniers contiennent des éléments très succincts, qui comportent relativement peu d'informations. Il est donc judicieux d'avoir supprimé cette notion, car tous les travaux réalisés comprennent des informations confidentielles. Il convient de viser toutes les informations auxquelles pourraient avoir accès les cabinets de conseil et qui pourraient être communiquées à des institutions étrangères.
M. Simon Uzenat, président. - La question des livrables avait bien été identifiée par Alain Juillet. La recommandation no 27 vise à interdire le transfert vers un pays tiers des livrables fournis dans le cadre de la fourniture de prestations de conseil. La recommandation n° 28 va dans le même sens.
M. Jean-Luc Ruelle. - Notre rapport ne concerne que la commande publique, mais il ne faut pas oublier que les quatre plus grands cabinets de conseil et d'audit, les Big Four, contrôlent la quasi-totalité des comptes des sociétés du CAC 40. Des pays étrangers peuvent ainsi avoir accès à des données stratégiques pour notre économie.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - J'avais été contacté par un avocat d'affaires à propos de la vente d'une société qui gérait les comptes à court terme de sociétés du CAC 40. J'ai alerté le ministre de l'économie : son directeur de cabinet s'était déclaré très intéressé mais le Gouvernement n'a rien fait. La société a été rachetée par un groupe américain. Celui-ci sait désormais tout de la situation financière à court terme de Thales ou de Safran, par exemple.
Mme Céline Brulin. - Je voudrais souligner la qualité du travail réalisé par notre rapporteur sur un sujet qui présente de multiples ramifications. Les volumes financiers en jeu, qui sont de l'ordre de 400 milliards d'euros, sont considérables et peuvent donner à la puissance publique des leviers d'action extrêmement importants.
Comme notre rapporteur, je déplore le manque de pilotage de la commande publique, en dépit des enjeux sous-jacents, qu'ils soient financiers, de souveraineté, sociaux ou environnementaux. La difficulté d'accès à la commande publique des TPE et des PME, qui constituent l'essentiel du tissu économique de notre pays, est bien mise en évidence dans le rapport, tout comme le sont les difficultés qu'ont les élus locaux pour s'y retrouver dans le maquis des règles de la commande publique. La protection des données est aussi un véritable enjeu.
La recommandation no 8 vise à transférer aux collectivités les adjoints gestionnaires des établissements publics locaux d'enseignement. Cela nécessite une concertation approfondie avec les personnels concernés. Ces derniers sont sous l'autorité fonctionnelle à la fois du ministère de l'éducation nationale et des collectivités depuis la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS. Cette situation n'est sans doute pas satisfaisante, mais les personnels sont très réticents à un transfert aux seules collectivités, car ils craignent de perdre leur rôle pédagogique dans la direction de l'établissement. Une concertation approfondie avec les personnels concernés me semble nécessaire.
La recommandation no 14 vise à assouplir les conditions de recours aux groupements de commandes. On ne peut qu'être favorable à tout ce qui concourt à simplifier. Néanmoins, l'existence de groupements de commandes contribue parfois à empêcher les TPE et les artisans d'accéder à la commande publique. Les collectivités ou le milieu hospitalier, avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), ont ainsi tendance, de plus en plus, à passer des marchés de très grande taille. Cela est contre-productif si l'on veut soutenir les TPE, notamment dans le domaine alimentaire.
Je m'interroge sur la pertinence de la recommandation no 57, qui tend à accorder aux élus membres des commissions d'appel d'offres (CAO) une indemnité spécifique, qui serait différente de celle que touchent les autres élus. Si l'objectif est de lutter contre la corruption, je ne pense pas que la réévaluation des indemnités soit la solution. Tous les élus travaillent dur, quelle que soit leur délégation. Je ne vois pas pourquoi il faudrait différencier les uns par rapport aux autres. De plus, comme cette mesure serait mise en oeuvre à enveloppe financière constante, cela signifie que ce que l'on donnera en plus aux uns sera retiré aux autres. Je ne suis pas sûre que cela soit bien compris ni parfaitement justifié.
M. Daniel Salmon. - Cette commission d'enquête s'est déroulée dans une très bonne ambiance. Les auditions ont donné lieu à des échanges francs et pugnaces.
La commande publique est un levier fondamental pour mener des politiques publiques, mais son potentiel n'est pas suffisamment utilisé. Je prendrai l'exemple de la transition écologique. La loi d'Egalim n'est pas appliquée ; c'est vrai à tous les échelons, mais en particulier au niveau de l'État. De même, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec n'est pas mise en oeuvre de manière satisfaisante.
Comme Céline Brulin, je suis dubitatif en ce qui concerne l'octroi d'une indemnité particulière aux membres de la CAO. Dans une collectivité territoriale, chaque élu exerce des responsabilités et a reçu des délégations. Siéger au sein de la commission d'appels d'offres représente un travail important, certes, mais d'autres fonctions ont les mêmes contraintes. La différenciation des indemnités proposée semble donc peu pertinente.
Il est nécessaire de simplifier, mais la démarche doit être menée avec précaution. Les règles relatives à la commande publique sont d'une grande complexité, car elles résultent d'une sédimentation de dispositions prises au fil du temps, pour remédier à des dérives ou pour éviter des conflits d'intérêts.
Je soutiens les autres préconisations. J'espère qu'elles seront mises en oeuvre, car ce n'est pas la première fois que l'on formule des préconisations sur la gouvernance de la commande publique. Souhaitons que les obstacles soient enfin surmontés.
Notre commission a mis l'accent sur le numérique. Il est fondamental en effet de disposer d'un numérique souverain. Ce domaine ne doit pas rester dans les mains des Gafam. Les entreprises françaises nous ont assuré de leur compétence en la matière, mais elles déplorent le manque de soutien de l'État, qui pourrait se manifester par le biais de la commande publique. Ce manque de soutien est-il dû à de la frilosité ou à de la paresse ? Chaque gouvernement a tendance naturellement à privilégier les solutions les plus simples et celles qui sont adoptées par les pays voisins. Il faut que nous ayons un déclic et que nous soutenions la prise de risque, comme le font les Américains.
Mme Karine Daniel. - Le rapport est dense et détaillé. Le champ étudié est très large et concerne tous les échelons : l'Union européenne, l'État, les collectivités territoriales, etc. Il convient de bien identifier les différents leviers d'action, à tous les niveaux d'intervention, pour bien valoriser ce travail.
Catherine Morin-Desailly a souligné les responsabilités de l'État dans le domaine du numérique. Lors de nos auditions, il est clairement apparu que la frontière est ténue entre ce qui relève, d'une part, d'une forme de facilité, et, d'autre part, d'un manque de volonté d'agir, voire d'une absence de réalisme politique ou économique, alors que la commande publique constitue un formidable levier d'action. Si nos interlocuteurs n'en ont pas conscience, soyons indulgents et espérons que nos travaux inciteront les responsables publics à activer enfin ces leviers.
Ce rapport sera aussi utile pour les collectivités locales et les élus en ce qui concerne la simplification. Chacun constate la complexité du système. Il a beaucoup été question, dans nos débats, de la responsabilité des élus, ce qui peut se traduire, un peu maladroitement, par la recommandation visant à différencier les indemnités des élus siégeant à la CAO. En tout cas, la question de la responsabilisation, du pilotage et de la simplification est posée. Il faut aussi conforter l'action des élus dans ce domaine. Il convient de mettre l'accent, dans notre communication, sur nos recommandations sur ces sujets, afin que nos travaux puissent être utiles pour les élus et les opérateurs économiques locaux.
M. Stéphane Sautarel. - Je félicite à mon tour notre rapporteur pour la qualité de son travail.
Le volet sur le numérique est essentiel. Il convient aussi de renforcer le pilotage stratégique et politique de la commande publique, afin de l'articuler avec les différentes politiques publiques.
J'ai une question sur le sourcing : proposez-vous de sécuriser le cadre juridique en la matière ? Ce serait un moyen d'améliorer la performance de la commande publique.
Je souscris à la recommandation no 8, relative au transfert aux collectivités territoriales des adjoints gestionnaires d'établissements publics locaux d'enseignement. Il reste à préciser les modalités de ce transfert, mais sur le principe, si l'on raisonne en termes d'efficacité, il est difficile de comprendre que les collectivités n'aient pas une autorité hiérarchique sur ceux qui pilotent la commande publique dans ces établissements.
Je souscris aussi aux recommandations nos 14 et 15 qui visent à faciliter la mutualisation et le développement des groupements de commandes. Il est toutefois important de trouver le bon équilibre pour éviter d'aboutir à une massification de la commande publique qui exclut les TPE et les PME.
Comment ne pas souscrire aux recommandations nos 20 et 21 relatives à la mise en oeuvre d'un véritable Small Business Act européen ? Il est tant attendu ! Je soutiens également les propositions relatives à la simplification, à la modification des seuils, à la suppression de la procédure adaptée, etc.
La recommandation no 45 visant à autoriser le remplacement sans publicité du titulaire d'un marché en cas de défaillance de l'entreprise est tout à fait pertinente.
La recommandation no 49 tend à garantir le versement automatique des intérêts moratoires en cas de retard de paiement. C'est important pour les entreprises, mais il faut distinguer selon que le retard de paiement est dû à l'ordonnateur ou au comptable public. Ce dernier peut en effet rencontrer des difficultés pour effectuer les paiements, notamment pour des raisons de disponibilité d'agents. Il ne faudrait pas que les collectivités paient des intérêts moratoires lorsqu'elles ne sont pas responsables des retards. J'attire votre attention sur ce point.
J'ai aussi quelques réserves sur la recommandation no 57 concernant la différenciation des indemnités entre les élus. Je ne suis pas convaincu que cela permettra de répondre aux enjeux, mais c'est un point marginal. Dans l'ensemble, je souscris aux préconisations formulées dans le rapport.
M. Paul Vidal. - Je m'associe aux félicitations sur la bonne tenue de nos débats et sur la qualité du travail de notre rapporteur. Sénateur depuis le mois d'octobre dernier, c'est la première fois que je participe à une commission d'enquête. J'ai pu mesurer la qualité du travail du Sénat dans ce cadre. Le grand public n'en a pas toujours conscience. Il faudrait peut-être davantage communiquer sur ce point. Les commissions d'enquête ont un grand pouvoir, et l'opinion ne le sait pas.
J'ai aussi été impressionné par la qualité des débats et la pugnacité des membres de notre commission lors des auditions pour obtenir des réponses de la part d'interlocuteurs, qui, souvent, ne répondaient pas aux questions posées.
Je soutiens la recommandation no 8. En tant que conseiller régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, je suis concerné par la gestion des lycées. Le transfert aux collectivités territoriales des adjoints gestionnaires d'établissements publics locaux d'enseignement est nécessaire. Nous avons constaté, en effet, des abus, notamment en ce qui concerne la rénovation énergétique et les certificats d'économies d'énergie (C2E). Il est normal que celui qui finance ait un droit de regard important.
Je suis aussi favorable au développement des groupements de commandes, à condition, évidemment, d'encadrer le dispositif. Lorsque les communes regroupent leurs commandes à l'échelle d'une intercommunalité, elles peuvent obtenir des tarifs avantageux ou des modalités de livraison différentes.
En ce qui concerne la recommandation no 30, mes propositions seraient encore plus sévères que les vôtres. J'ai été affligé par l'audition du président de l'Ugap, qui n'a pas été à la hauteur de l'événement. Un mandat serait suffisant ! Je me demande aussi s'il ne convient pas de veiller à ce que le président de cette structure soit français ou européen. Le titulaire actuel est-il français ou américain ?
Je suis opposé à l'octroi d'une indemnité spécifique aux membres des commissions d'appel d'offres. Cela entraînerait une baisse des indemnités des élus siégeant dans les autres commissions. Attention au risque de surenchère, car chacun souhaitera siéger au sein des commissions d'appel d'offres. Lorsque l'on est élu, on sait à quoi on s'engage, que l'on soit rémunéré ou non. En revanche, je suis très favorable à l'instauration d'une obligation de formation. J'ai constaté que certains membres des commissions d'appel d'offres n'ont aucune notion des enjeux et se contentent de voter ce qu'on leur soumet, sans véritable engagement.
M. Simon Uzenat, président. - En ce qui concerne la recommandation no 8, nous entendons les réserves de Céline Brulin, mais la question n'est pas nouvelle et des concertations ont eu lieu. En tant que conseiller régional de Bretagne chargé du « bien manger », je trouve inacceptable que la collectivité, qui paie, ne puisse pas s'assurer que sa politique soit mise en oeuvre. En Bretagne, certains adjoints gestionnaires sont parfaits, mais d'autres ne veulent rien entendre. Même si la loi 3DS, nous a conféré une partie de l'autorité fonctionnelle, nous n'avons guère de leviers. Or les parents demandent des comptes non pas à l'éducation nationale, mais à la région, ou aux départements en ce qui concerne les collèges. J'ai rencontré des adjoints gestionnaires qui considèrent que le transfert proposé pourrait être avantageux pour eux, car rejoindre la fonction publique territoriale peut offrir des perspectives d'évolution. Il s'agit non pas de mettre en oeuvre cette mesure de manière brutale, mais de fixer un cap. Les collectivités ne parviennent pas à respecter les engagements de la loi Égalim. Il faut leur donner des leviers pour agir.
Sur la recommandation no 14, j'entends également l'inquiétude formulée par Céline Brulin également. Nous ne voulons pas massifier pour massifier, mais disposer d'une taille critique suffisante pour recruter des professionnels disposant de la technicité nécessaire pour mettre en place un allotissement pertinent. Ainsi, nous faciliterons l'accès aux TPE et PME à ces lots.
Concernant la recommandation no 22, Catherine Morin-Desailly souhaite préciser que le décret respecte la volonté du législateur. Cela ne me semble pas poser de problème.
La proposition de modification de Mme Catherine Morin-Desailly est adoptée.
M. Simon Uzenat, président. - Sur la recommandation no 24, Mme Morin-Desailly propose d'ajouter « et de traitement » après « prestations d'hébergement ». Cela ne semble pas problématique.
En revanche, faire cette même modification sur la recommandation no 25 ne me paraît pas opportun, car le SecNumCloud concerne uniquement l'hébergement. Il vaut mieux modifier la seule recommandation no 24.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Soyons précis !
M. Simon Uzenat, président. - Tout à fait, mais la qualification SecNumCloud ne concerne que l'hébergement, et pas le traitement.
Je propose donc de faire la seule modification sur la recommandation no 24, qui serait ainsi rédigée : « Rendre obligatoire l'insertion d'une clause de non-soumission aux lois extraterritoriales étrangères dans tous les marchés publics comportant des prestations d'hébergement et de traitement de données publiques en cloud. »
La proposition de modification de Mme Catherine Morin-Desailly est adoptée.
M. Simon Uzenat, président. - Concernant la recommandation no 49, la remarque de Stéphane Sautarel sur la responsabilité de l'ordonnateur est tout à fait justifiée. Cette précision évitera que les services de l'État et les collectivités qui sont de bonne foi ne soient pas pénalisés. La recommandation no 49 serait donc ainsi rédigée : « Garantir le versement automatique des intérêts moratoires en cas de retard de paiement relevant de la responsabilité de l'ordonnateur. »
La proposition de modification de M. Stéphane Sautarel est adoptée.
M. Simon Uzenat, président. - La recommandation no 57 fait débat. Après discussion avec le rapporteur, nous vous proposons de la retirer, afin de préserver le caractère consensuel de nos travaux. La question demeure cependant. Dans un certain nombre de collectivités, les autres délégations font l'objet d'une indemnité, contrairement à la participation à la commission d'appel d'offres.
J'ai été président de commission d'appel d'offres - je ne le suis plus, je ne peux donc être soupçonné de conflit d'intérêts. Les élus présents dans ces commissions sont en réalité ceux qui sont le plus mobilisés, en présentiel comme en visioconférence. Des réunions se tiennent parfois chaque semaine. Or ces élus n'ont aucune forme de reconnaissance. Le sujet n'est pas de prévenir la corruption, mais d'assurer une forme de reconnaissance à ceux dont l'engagement n'a rien à envier à celui des élus qui ont des délégations exigeantes, mais rarement aussi chronophages.
La recommandation no 57 est retirée.
M. Simon Uzenat, président. - Mes chers collègues, je vous remercie pour votre active participation à cette commission d'enquête. Ce travail restera d'ores et déjà comme un très beau et grand souvenir de mon mandat.
Nous ne sommes qu'au début de l'histoire, même si certains sujets ont été traités depuis plusieurs années.
Je vous propose maintenant d'examiner les propositions de modification à l'initiative du rapporteur, qui sont essentiellement rédactionnelles. Elles ne bouleversent en rien l'économie du rapport.
Les propositions de modification du rapporteur sont adoptées à l'unanimité.
M. Simon Uzenat, président. - Je vous propose de passer au vote sur les 67 recommandations du rapport.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées à l'unanimité.
M. Simon Uzenat, président. - Venons-en au titre du rapport. Nous vous proposons l'intitulé suivant : « L'urgence d'agir pour éviter la sortie de route : piloter la commande publique au service de la souveraineté économique. »
Nous voulons ainsi envoyer plusieurs messages. Il n'est plus temps d'ouvrir les yeux, les constats sont connus. Nous devons désormais agir vite et fort. Nous risquons une sortie de route, c'est-à-dire un décrochage par rapport à nos concurrents internationaux et à nos partenaires européens. Le pilotage de la commande publique, sous l'égide du Premier ministre, doit devenir un levier de souveraineté économique, étant donné que cette souveraineté est aussi appréciée dans sa dimension sociale et écologique, au regard des retours sur investissement territoriaux induits.
Mme Céline Brulin. - Pourquoi ne pas s'arrêter à « souveraineté », et donc supprimer le terme « économique » ?
M. Simon Uzenat, président. - Acheteurs publics et acteurs économiques constituent les deux grandes parties de l'écosystème. Le mot « économique » est pensé dans cette perspective.
Le risque est que si l'on ne parle que de « souveraineté », et non de « souveraineté économique », cela sera interprété comme « souveraineté française ».
M. Dany Wattebled, rapporteur. - La commande publique est un levier économique. Ne pas le rappeler serait une erreur.
M. Stéphane Sautarel. - Les termes de « souveraineté économique » restent assez larges et impliquent une dimension sociale et environnementale. Le titre est déjà assez long ! Le terme seul de « souveraineté » serait un peu pauvre, ou mal interprété.
J'aurais aimé que l'on parle de « performance », au sens de performance économique et de performance de la gestion des fonds publics.
M. Daniel Salmon. - Certains pensent que le terme « économique » brosse tout. Or, dans les faits, l'économie peut vouloir dire moins-disant social et moins-disant écologique. Ajouter « sociale » et « écologique » serait une bonne chose. Dans un monde libéral, c'est l'économie qui prime.
M. Simon Uzenat, président. - Parler de souveraineté économique implique de relocaliser des activités et des emplois, donc réduire l'empreinte carbone et maximiser les considérations sociales. Parler de souveraineté économique, c'est, dans un grand nombre de cas, être dans une logique inverse du moins-disant. L'idée est bien celle d'une économie territorialisée et de proximité.
Mme Lauriane Josende. - Le substantif « économie » peut être réducteur, mais l'adjectif qualificatif « économique » associé à « souveraineté » me semble suffisant. Il n'est pas nécessaire de le décliner. Ce serait rajouter une évidence.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - L'expression « souveraineté économique » a un sens très large. Quand on dit « économique », on parle aussi d'économie circulaire, par exemple.
Mme Céline Brulin. - Je ne veux pas m'arcbouter sur le titre. Cependant, le président lui-même, en nous le lisant, a jugé bon d'ajouter ce que sous-entendait le terme « économique », à savoir environnemental et social.
Je connais le contenu du rapport, et là est l'essentiel.
M. Simon Uzenat, président. - Nous pourrions dire : « Piloter la commande publique au service d'une souveraineté durable. » Mais face aux réactions que suscite la suppression du mot « économique », voilà qui ne semble pas opportun.
M. Fabien Genet. - Et pourquoi pas, au lieu de « au service de la souveraineté économique », écrire « pour plus de performance et de souveraineté » ?
Inclure le terme de « performance » n'est pas inintéressant. Au niveau local, le coût de la construction publique explose. L'idée de performance me séduit assez. Ainsi, nous évoquerions le contexte international, mais aussi l'accès à la commande publique des entreprises locales, dimension à laquelle le Sénat est toujours très attentif.
M. Simon Uzenat, président. - « Plus de » sous-entend que nous serions déjà bien engagés dans cette voie, notamment en matière de souveraineté. Or nos constats en la matière sont très réservés.
À mes yeux, l'idée de performance est comprise dans la notion de souveraineté.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Le mot « souveraineté » est important. Le mot « économique » inclut toutes les dimensions évoquées. Restons sur le titre proposé.
M. Simon Uzenat, président. - Je vous propose donc de conserver le titre proposé : « L'urgence d'agir pour éviter la sortie de route : piloter la commande publique au service de la souveraineté économique. »
Dès lors, accepteriez-vous de donner mandat au rapporteur pour qu'il ajoute, dans l'introduction, dès les premières lignes, une phrase qui indique clairement la portée du concept de souveraineté économique et ce qu'il englobe ? Nous intégrerions aussi la notion de performance.
Il en est ainsi décidé.
La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport ainsi modifié, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.
La réunion est close à 10 h 00.