- Mercredi 1er octobre
2025
- Rapport public thématique sur la transition écologique s'inscrivant dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
- Proposition de nomination de M. Henri Prévost, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de nomination de M. Jean Castex, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de la SNCF - Désignation d'un rapporteur
Mercredi 1er octobre 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Rapport public thématique sur la transition écologique s'inscrivant dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le Premier président, en mai 2024, vous aviez annoncé, devant notre commission, l'initiative de la Cour des comptes consistant à présenter chaque année un rapport consacré à la transition écologique. Un an plus tard, l'engagement pris devant le Sénat est tenu. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous accueillir ce matin, à la suite de la publication du premier rapport public thématique de la Cour sur ce sujet crucial pour l'avenir de notre pays.
Cette première édition, que nous espérons voir pérennisée, dresse un constat sans appel : la France est en retard dans la mise en oeuvre de la transition écologique. Le rapport alerte, à l'instar de nombreux autres travaux, sur des conséquences déjà visibles dans le quotidien de nos concitoyens. Notre commission en est bien consciente : je pense notamment au rapport de nos collègues Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin sur les inondations de 2023 et 2024 - intitulé Le défi de l'adaptation des territoires face aux inondations : simplifier l'action, renforcer la solidarité -, dont les recommandations sont contenues dans la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, adoptée par le Sénat le 6 mars 2025. N'oublions pas la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, déposée par Christine Lavarde, ayant fait l'objet d'un avis de Pascal Martin et adoptée par le Sénat le 29 octobre 2024.
Au-delà de ce constat commun de l'urgence à agir, vous procédez à une évaluation contrastée de l'action publique. Vous soulignez que celle-ci demeure trop sectorielle, insuffisamment évaluée et, parfois, trop descendante, ce que les membres de cette chambre constatent également. Or une transition écologique efficace et juste ne peut se construire que depuis les territoires. Elle ne saurait être unilatéralement imposée depuis Paris : faisons confiance à l'intelligence de nos territoires.
Vos premières recommandations portent sur la gouvernance. À cet égard, nous souhaiterions que vous reveniez sur le rôle et l'efficacité du secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Cette entité comble-t-elle le manque de transversalité que vous identifiez ? Ou n'est-elle, au fond, qu'une structure supplémentaire venant s'ajouter aux nombreuses autres administrations et agences déjà chargées de la transition écologique ?
Dans un contexte de fortes contraintes sur nos finances publiques, vos travaux soulignent aussi la nécessité de mobiliser l'investissement privé. Alors que nous attendons que le projet de loi de finances pour 2026 soit soumis au Parlement, votre analyse des dépenses publiques dommageables à l'environnement, évaluées à 8 milliards d'euros en 2025, retient tout particulièrement notre attention. Vous indiquez que la réduction de ces dépenses reste, pour l'instant, limitée. Comment pourrait-on, selon vous, accélérer leur diminution, afin de contribuer à la fois à la transition écologique et à la réduction de notre déficit public ?
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie de m'avoir convié. Cet exercice a vocation à être annuel ; j'espère que mon successeur aura à coeur d'y veiller, car la question est d'importance et le sera encore pour un siècle au moins.
Publié le 16 septembre dernier, jour anniversaire de la Cour, ce premier rapport public consacré à la transition écologique témoigne non seulement de la place essentielle que nous devons donner à cet enjeu, décisif pour l'avenir de notre société, mais aussi de notre volonté de l'inscrire au coeur de nos travaux. Lors de la présentation de notre rapport public annuel en 2024, j'avais en effet affirmé ma volonté que la Cour publie un tel rapport, afin de répondre aux attentes des citoyens et du Parlement. Cet engagement ambitieux, compte tenu de l'ampleur du sujet, me semble tenu. C'est une étape décisive dans la mobilisation des juridictions financières en la matière.
Pourquoi se pencher, chaque année, sur les politiques de transition écologique ? Il faut agir, et agir vite. Il suffit de rappeler, par exemple, la canicule précoce de juin, qui a entraîné une surmortalité de 5,5 % et un coût que les assureurs estiment à 0,3 point de PIB, ou encore les feux géants de cet été dans l'Aude, lesquels ont mis des semaines à être maîtrisés.
Les groupes d'experts internationaux alertent sur l'ampleur et la rapidité de la dégradation de notre environnement. Les analyses scientifiques en diagnostiquent l'origine sans ambiguïté. Ces experts appellent à des transformations profondes et coordonnées de nos sociétés afin de préserver nos conditions de vie, la santé publique et l'activité économique. Ainsi, il est indispensable que la Cour des comptes analyse la pertinence et l'efficacité du traitement, c'est-à-dire des politiques publiques de transition écologique, afin d'éclairer les citoyens et d'accompagner les décideurs publics. C'est le sens de ma présence parmi vous aujourd'hui, avec, à mes côtés, Inès-Claire Mercereau, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui a piloté ce travail.
Il est vital de répondre à l'urgence écologique, non seulement pour nous adapter au changement climatique, mais aussi pour le limiter en diminuant nos émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu'en contenant l'érosion de la biodiversité et la raréfaction des ressources. Cette action doit être vigoureuse, mais aussi tenir compte de la situation dégradée de nos finances publiques. Maîtrise budgétaire, développement économique et transition écologique ne sont pas antinomiques ; j'y reviendrai. Nous devons affronter ensemble la dette financière et la dette écologique.
Au-delà de ces éléments, connus de tous, nous abordons ce sujet sous la forme d'un rapport particulier, qui est loin d'être la première publication des juridictions financières sur la transition écologique. Nous avons en effet investi depuis plusieurs années ce très large domaine des politiques publiques, qui est devenu un prisme influant sur l'ensemble de nos travaux.
Il est logique que les enjeux de transition écologique fassent l'objet d'une attention croissante de notre part, parce qu'ils mobilisent des budgets très importants, mais aussi parce qu'ils ont des effets croisés sur de très nombreuses politiques publiques. Cela a été reconnu par le législateur, puisque le Parlement a souhaité confier à la Cour des comptes la mission d'évaluer chaque année la mise en oeuvre des mesures de la loi Climat et résilience de 2021. Ce rapport s'inscrit aussi et surtout dans le rôle de tiers de confiance que j'ai souhaité que joue la Cour. Nous devons contribuer au travail d'objectivation et d'explication de la transition écologique, par définition très complexe. L'objet de cette publication est donc de mettre en évidence les travaux des juridictions financières sur la transition écologique dans un rapport unique, par souci de cohérence et de mise en perspective.
L'autre valeur ajoutée de ce rapport, à mes yeux la plus importante, est d'avoir permis de mener une instruction sur quatre enjeux névralgiques communs à toutes les politiques de transition écologique : la gouvernance, les résultats, le financement et les leviers mobilisés.
Le pilotage n'est pas aisé. Le terme de « gouvernance » a ici une importance particulière compte tenu des interférences entre chaque composante de la transition écologique, d'une part, et l'ensemble de nos activités économiques et sociales, d'autre part.
Les résultats de la France doivent être appréciés au regard de nos engagements internationaux sur tous les volets de la transition écologique. Nous empruntons nos indicateurs aux spécialistes du climat, de la biodiversité ou de la santé.
S'agissant de l'effort financier, l'État met-il en oeuvre suffisamment de moyens pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés ? En engage-t-il trop, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint ? La réponse, vous le verrez, n'est pas positive...
Pour les leviers mobilisés, nous avons analysé l'effet des financements, sous toutes leurs formes, mais aussi des autres leviers d'action : la réglementation, la fiscalité, la sobriété des usages et la programmation des dépenses, et ce aux niveaux national comme local. Vous avez raison, monsieur le président, de souligner le rôle des territoires : nous devons agir à toutes les échelles.
La grille d'analyse que je viens de vous présenter devrait valoir pour les éditions des prochaines années.
J'en arrive aux principaux messages de ce rapport annuel. Le premier est le suivant : même si la transition écologique est engagée, les résultats sont très en deçà des objectifs et des enjeux, ce qui impose un pilotage renforcé. La France s'est engagée à réduire fortement ses émissions de carbone, ses pollutions, ses déchets, ainsi qu'à protéger la biodiversité et la ressource en eau. Certes, des progrès sensibles ont été enregistrés : par exemple, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de plus de 30 % depuis 1990 et la qualité de l'air s'est globalement améliorée.
Toutefois, ces avancées restent fragiles. Surtout, le rythme et l'ampleur de notre action restent insuffisants pour atteindre les objectifs fixés. Tout d'abord, le rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre a ralenti ces derniers mois. L'atteinte de la neutralité carbone en 2050 apparaît incertaine, d'autant plus que les capacités d'absorption des puits de carbone diminuent. En outre, l'empreinte carbone totale de notre pays reste élevée, surtout si l'on prend en compte nos émissions importées, en progression depuis 1996 du fait de notre désindustrialisation. En parallèle, le déclin de la biodiversité s'accélère. Ainsi, les populations d'oiseaux communs sont en baisse de 31 % entre 1989 et 2023 dans notre pays. Enfin, l'adaptation au changement climatique, dont les effets ne font que croître, accuse un retard préoccupant.
Face à ces constats, la Cour recommande de prendre des mesures correctrices. Nous relevons que les politiques mises en oeuvre sont nombreuses et ambitieuses, mais aussi dispersées, sectorielles et peu articulées entre elles. Vous l'avez dit, monsieur le président, ni les indicateurs de suivi de ces politiques publiques ni leurs démarches d'évaluation ne suffisent à déterminer si la trajectoire que nous suivons est suffisamment ambitieuse et déjà conforme aux objectifs.
Nous déplorons aussi, dans plusieurs cas, l'absence de coordination, voire des approches divergentes entre acteurs. Le pilotage des politiques de transition écologique doit donc être largement perfectionné pour atteindre nos objectifs.
Pour la décarbonation, la Cour recommande de fixer des objectifs de réduction de l'empreinte carbone en prenant en compte les émissions liées aux biens importés. En effet, l'empreinte carbone de chaque Français équivaut à 9,5 tonnes de CO2, quand l'indicateur des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire, retenu par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), est évalué à 5,9 tonnes par personne. Usons d'indicateurs à la hauteur de nos ambitions et, surtout, des problèmes.
En termes de gouvernance, la France a fait le choix d'un SGPE depuis 2022, ce qui correspondait à l'une des promesses du Président de la République lorsqu'il était candidat. Il s'agit d'un mode de gouvernance original : aucun autre pays ne dispose d'une telle structure interministérielle, laquelle a permis de produire une feuille de route bas-carbone et de coordonner l'action de l'État.
Cependant, si nous approuvons ce mode de gouvernance, nous constatons que cette institution est jeune et qu'il faut conforter son action, qui n'est pas à l'abri de remises en cause. Cette structure n'est pas plus forte qu'il y a quelques mois. La relégation au second plan de la préoccupation écologique affaiblit ainsi le SGPE.
La Cour recommande donc que celui-ci trouve pleinement son rôle de mise en cohérence, d'impulsion et de suivi en appuyant les arbitrages interministériels avec des propositions solides, notamment dans la définition d'une stratégie pluriannuelle de financement. Nous préconisons que cette structure demeure légère et placée auprès du Premier ministre, afin d'être garante de l'intégration des objectifs de transition écologique dans toutes les politiques publiques.
Le deuxième enseignement de notre rapport est la nécessité de planifier, et de planifier mieux. La transition écologique doit s'inscrire dans une planification pluriannuelle cohérente, partagée, ancrée dans les territoires et dotée d'une trajectoire financière globale. Tout d'abord - cela intéresse particulièrement le Sénat -, il faut planifier de manière cohérente et concertée avec et dans les territoires. La territorialisation est vitale dès lors que, en matière de transition écologique, l'action publique territoriale compte autant que celle de l'État. En effet, les collectivités territoriales interviennent dans les domaines clés de la transition écologique et sont au premier rang pour décider des actions les plus pertinentes tendant à adapter le territoire au changement climatique.
Cette approche, pour être efficace, suppose coordination et cohérence. Par exemple, les nombreux instruments de planification doivent être articulés entre eux, et les financements doivent être suivis et évalués avec rigueur. De nombreuses régions se sont ainsi saisies de cet enjeu en élaborant des stratégies transversales.
Parallèlement à ces dynamiques locales, depuis dix ans, le cadre législatif a clarifié les responsabilités de chaque niveau de collectivité. Les régions doivent ainsi établir des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), lesquels doivent intégrer les orientations nationales, comme la SNBC ou le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), et donnent la cohérence nécessaire à des plans infrarégionaux.
Or l'articulation entre ces différents niveaux reste imparfaite. Ce défaut de coordination et de pilotage renchérit le coût de la transition écologique et, surtout, peut retarder sa mise en oeuvre. Les feuilles de route issues des COP régionales, lancées en 2023, constituent une base qu'il faudra consolider et rendre opérationnelle. Leur efficacité dépendra de l'articulation avec les autres instruments existants, en particulier les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE).
La contractualisation doit devenir le vecteur privilégié de convergence entre les objectifs nationaux et les projets locaux. Or la territorialisation de la planification écologique doit s'appuyer sur des données. Il convient donc de rapprocher les données financières et les données physiques des politiques de transition, comme le kilométrage de haies plantées ou les tonnes de CO2 évitées, et de mettre ces données à la disposition des collectivités.
Ensuite, la planification territoriale doit s'appuyer sur des outils financiers pluriannuels. Les élections municipales de 2026, qui approchent à grands pas, seront l'occasion d'inscrire ces priorités dans les programmes d'investissement 2026-2031, notamment les plans d'investissement des intercommunalités. Une cohérence entre ressources locales, dotations de l'État et financements européens est indispensable pour atteindre nos objectifs.
Ces derniers sont ambitieux, vitaux et indispensables, mais ils entraînent un coût important, face auquel nous ne pouvons nous dérober. Ces efforts doivent être supportés par les acteurs publics et privés. Or un investisseur privé ne s'engage dans la transition écologique que s'il en a les moyens et si l'investissement est rentable ! Par conséquent, cet effort devient plus aisé lorsque la trajectoire est claire, la répartition des coûts explicitée et perçue comme juste et, enfin, lorsque les leviers publics sont utilisés avec efficacité, sans gaspillage de fonds publics.
Cela m'amène au troisième message de notre rapport : les leviers d'action à mobiliser pour la transition écologique devraient suivre une doctrine d'emploi mieux définie qu'aujourd'hui. Ils sont de trois ordres : la réglementation, la fixation d'un prix qui prend en compte le principe du pollueur-payeur, comme pour l'eau, les déchets ou le carbone, et la fiscalité, notamment de l'énergie. Un rapport récent de la Cour a montré l'importance de ce dernier outil.
Il faut, en outre, être attentif à la qualité de la dépense publique mobilisée. Par exemple, il est crucial de réduire les dépenses publiques dommageables pour l'environnement telles que les niches fiscales favorables aux énergies fossiles. Cette question des niches fiscales brunes ou fossiles est très clairement dans le débat - dans le débat écologique et dans le débat budgétaire à venir.
La transition écologique exige de mobiliser les instruments disponibles de façon cohérente, en alliant exigences réglementaires et incitations économiques. Les contrôles récents des juridictions financières montrent que des mesures de sobriété simples, semblant dérisoires prises isolément, comme la réduction de l'éclairage public et le passage aux LED, suscitent, à l'échelle nationale, des économies très substantielles. Les avantages sont aussi locaux, avec une réduction des dépenses de fonctionnement.
Une attention particulière doit également être accordée aux ménages, qui supportent une large part des investissements en matière de rénovation des bâtiments et de décarbonation de la mobilité. Pour les plus modestes, le reste à charge demeure souvent élevé malgré les aides. La Cour recommande ainsi d'évaluer la capacité réelle de financement des ménages et les disparités territoriales, tout en choisissant les mécanismes de soutien public les plus efficaces et les moins coûteux pour la collectivité.
Le quatrième et l'enseignement le plus important de ce rapport est qu'il est indispensable et urgent d'agir. Certes, le montant des investissements à réaliser impressionne, mais il reste bien inférieur à ce que nous coûterait la poursuite des politiques actuelles, c'est-à-dire le coût de l'inaction, considérable pour notre société et supérieur aux montants consacrés, aujourd'hui et demain, au financement de la transition écologique.
Selon les grands réassureurs mondiaux, ces coûts s'élèvent à environ 300 milliards d'euros en 2024 à l'échelle mondiale, un montant en progression constante depuis 2015. Dans son rapport sur la stabilité financière de juin 2025, la Banque de France estime qu'un scénario de politique climatique constante entraînerait, à l'horizon 2050, une perte de 11,4 points de PIB pour la France par rapport à un scénario sans changement climatique. À l'inverse, les politiques qui visent la neutralité carbone permettraient de limiter cette perte à 6,5 points, coût de la transition inclus.
Cela signifie deux choses. Premièrement, comme le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz l'a déjà montré, le coût de la transition écologique a un effet déflateur sur le PIB. Deuxièmement, cet effet déflateur reste bien moins important, de l'ordre de 5 points, que celui de l'inaction. Ne pas agir est donc pire pour la croissance qu'agir, à rebours de certaines idées reçues.
Les travaux du réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier convergent dans tous les scénarios étudiés : la transition est nettement moins coûteuse que l'inaction. Ainsi, plus nous différons l'action, plus la facture s'alourdit. Reporter les investissements ne fait qu'augmenter notre dette environnementale et sociale.
Par exemple, la hausse des prix des hydrocarbures entre 2022 et 2024 a majoré de 22 milliards d'euros nets par an la facture française d'énergie et a conduit l'État à dépenser 19,6 milliards d'euros pour financer un bouclier tarifaire fossile. Certes, la Cour des comptes avait pleinement validé le « quoi qu'il en coûte » lié au covid, car, pour protéger des vies, des entreprises et le système social, on peut outrepasser les règles existantes. Tel n'est pas le cas, en revanche, du « quoi qu'il en coûte » énergie, très coûteux pour les finances publiques sans être très efficace pour l'action climatique, voire présentant un effet régressif sur cette dernière. Il aurait fallu arrêter le « quoi qu'il en coûte » après le covid.
Ces sommes considérables n'ont produit aucun effet durable. Par contraste, le soutien public à l'installation d'énergies renouvelables sur la période 2018-2023, qui a coûté un montant équivalent, a permis de mettre en place 22 gigawatts supplémentaires, soit la moitié de la puissance totale installée depuis 2000 en éolien et en solaire.
Le coût de l'inaction ne se limite pas à ses effets conjoncturels ou macroéconomiques en France. Les inondations dans les Hauts-de-France, en 2023, ont occasionné 640 millions d'euros de dommages assurés ; le cyclone Chido a, lui, entraîné un coût de 650 millions à 800 millions d'euros pour le régime des catastrophes naturelles. Sur le seul littoral méditerranéen, la valeur des biens exposés à la montée des eaux pourrait atteindre 11,5 milliards d'euros d'ici à 2100... Je vous invite à relire nos récents travaux sur le trait de côte. Le coût annuel moyen des sinistres climatiques passera de 2,5 milliards d'euros, entre 1986 et 2019, à 4,7 milliards d'euros entre 2020 et 2050, avec un doublement pour les inondations et un triplement pour la sécheresse.
À l'inverse, la prévention s'avère rentable. Selon la Caisse centrale de réassurance, les plans de prévention des risques d'inondation ont permis de réduire de 20 % le coût des sinistres pour les particuliers, alors que les financements publics mobilisés restent limités. Ainsi, chaque euro investi en prévention économise trois euros en dommages évités.
La transition écologique est donc très coûteuse, mais constitue bien un investissement rationnel, économiquement pertinent, socialement protecteur et humainement indispensable. Le problème est que les bénéfices de la transition se manifestent souvent à long terme et ne profitent pas toujours à ceux qui investissent aujourd'hui.
Le chiffrage des efforts d'adaptation souffre encore de nombreuses insuffisances. En revanche, les investissements en faveur de l'atténuation sont mieux documentés. Pour réduire les émissions françaises de 55 % d'ici à 2030 et atteindre la neutralité en 2050 - c'est notre objectif et notre ambition -, il faudrait un effort d'investissement supplémentaire de plus de 100 milliards d'euros par an, portant le total à 200 milliards d'euros par an. À cet effort, il faut ajouter le coût des autres axes de la transition : adaptation, biodiversité, etc.
Ce montant est considérable, mais il doit être mis en perspective. D'une part, il s'agit d'un effort collectif étalé dans le temps, largement partagé entre acteurs publics et acteurs privés. D'autre part, ces investissements représentent autant d'opportunités, car ils vont permettre de réduire durablement nos factures énergétiques, de moderniser nos infrastructures, de renforcer notre indépendance et de créer des emplois. Il s'agit donc, non pas d'une charge, mais d'un levier de transformation et de prospérité à long terme, ce que montre d'ailleurs le rapport Draghi à l'échelle européenne. La poursuite de nos objectifs exige ainsi des investissements additionnels.
Ces derniers relèvent des pouvoirs publics, qui doivent financer bâtiments publics et infrastructures, mais surtout mettre en place des leviers efficaces afin d'orienter l'investissement privé, lequel représente aujourd'hui les trois quarts de l'effort. Ainsi, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, la mise en oeuvre de la planification écologique devra largement reposer sur des investissements privés supplémentaires dans les principaux secteurs d'activité : bâtiment, transports ou énergie.
Pour piloter cet effort, des outils existent, mais ils doivent être consolidés. Je songe à la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (Spafte), dont la première édition a été publiée à l'automne 2024. Cette avancée majeure doit être enrichie et étendue à l'ensemble des volets de la transition et inscrite dans une vision de long terme. La Cour recommande par ailleurs que cette stratégie soit transmise au Parlement dès le printemps, en amont du débat budgétaire, afin que la représentation nationale se saisisse de la question et éclaire les arbitrages financiers au regard de la préoccupation écologique.
Cette stratégie pourra s'appuyer sur des instruments existants, notamment les budgets verts, expérimentés par l'État depuis 2020 et généralisés aux collectivités depuis 2024. Encore faut-il que leur granularité soit suffisante et que leur usage dépasse la simple analyse a posteriori. L'exemple de la métropole du Grand Lyon, qui a utilisé la budgétisation verte pour réorienter ses investissements, montre que cet outil peut devenir un levier stratégique.
Enfin, la transition écologique appelle une cohérence internationale. En effet, les enjeux que nous affrontons ne peuvent, par nature, être traités que par une action collective mondiale. Il ne faut pas céder à l'argument du passager clandestin, sans quoi les émissions continueront d'augmenter et le réchauffement climatique s'aggravera pour l'ensemble de la planète. Des travaux économiques récents montrent que, même dans un monde imparfaitement coopératif, la décarbonation reste rentable, à condition d'être mise en oeuvre à l'échelle d'une grande entité économique intégrée. Or nous en avons une : l'Union européenne.
En définitive, investir dans la transition écologique, c'est éviter des pertes économiques, sociales et humaines. C'est aussi un impératif de justice entre générations. Ce que nous n'engageons pas aujourd'hui, nos enfants devront le payer demain au prix fort, voire très fort. C'est vital.
Reste la question suivante : comment combine-t-on un investissement financier massif avec une situation budgétaire contrainte ?
D'un côté se dresse un mur d'investissements en matière de transition, mais aussi pour notre défense nationale, la recherche ou encore la protection sociale. De l'autre côté, une montagne de dettes ne cesse de croître. Il faut organiser un effet de vases communicants : on ne peut continuer à s'endetter si l'on veut investir dans l'avenir. Je n'ai jamais considéré que l'austérité était pertinente, mais le désendettement est indispensable pour investir. Si nous n'avons pas d'argent, nous n'investirons pas et nous serons de plus en plus contraints dans notre action publique et, par conséquent, de moins en moins efficaces.
Vous aurez compris que le statu quo n'est pas une option à nos yeux. L'action rapide, ordonnée et planifiée constitue le seul chemin à prendre. Ce premier opus est une étape, qui comporte sûrement des marges d'amélioration. Ce rapport a vocation à s'enrichir sur le plan méthodologique et comparatif, et à couvrir des sujets spécifiques chaque année, au-delà des grandes thématiques récurrentes.
Toutefois, la transition écologique n'est pas une politique comme d'autres. Elle doit constituer un objectif commun à chacune des politiques publiques, nationales comme territoriales. Je suis convaincu que c'est possible. C'est le défi et l'ambition du siècle dans lequel nous vivons.
M. Stéphane Demilly. - Le rapport que vous nous avez présenté n'est pas seulement un document d'évaluation ; il doit nous permettre, collectivement, d'élaborer un constat lucide sur notre action. Le réchauffement climatique et les crises qui en découlent nous obligent à en finir avec les comportements contradictoires.
Vous insistez, monsieur le Premier président, sur le rôle des collectivités territoriales. Ce sont effectivement elles qui, au front, portent les plans locaux et qui, avec des moyens souvent de plus en plus limités, concrétisent nos grandes ambitions nationales. Vous soulignez que la territorialisation de la planification écologique « devra davantage refléter les dynamiques territoriales préexistantes ». Nous travaillons tous en ce sens.
Le rapport indique ensuite que ces objectifs de transition écologique devront être mis en cohérence avec les plans pluriannuels d'investissement (PPI), les Sraddet, les PCAET et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Or ce véritable millefeuille administratif finit par rendre illisible la planification écologique et représente parfois un réel obstacle pour nos élus. N'est-il pas temps de hiérarchiser nos documents de planification et de redonner aux collectivités un cadre clair et opérationnel ? Comment alléger le coût administratif et humain de ce millefeuille sans affaiblir nos ambitions ?
Votre rapport met également en lumière la situation du secteur des transports, qui, selon vous, constitue, avec le secteur du bâtiment, l'un des postes les plus déterminants pour atténuer nos émissions. Je souligne la nécessité d'équilibrer nos efforts entre l'entretien du réseau existant et la réalisation de projets nouveaux, tout particulièrement en matière ferroviaire. En effet, le réseau français se dégrade, les petites lignes sont fragilisées et l'absence de trajectoire budgétaire pluriannuelle compromet nos objectifs. Comment mieux garantir la stabilité des financements nécessaires afin d'assurer la pérennité du réseau et d'éviter que son entretien ne soit sans cesse remis à plus tard ? Les usagers subissent encore trop la vétusté des installations, notamment dans ma région des Hauts-de-France.
Concernant les transports aériens, le rapport souligne le déficit estimé de la biomasse à des fins énergétiques, notamment pour la production du biocarburant, tandis que les besoins du secteur aérien croîtront fortement après 2030. Or vous estimez que des « arbitrages sur ce sujet sont d'autant plus indispensables que les besoins corrélés à une augmentation du trafic aérien obéreraient également l'atteinte des objectifs nationaux » et que « les propositions de la filière ne tiennent encore qu'insuffisamment compte de ces limites physiques ». En ma qualité de rapporteur sur les crédits relatifs aux transports aériens pour le projet de loi de finances, je rencontre régulièrement les acteurs du secteur. Ceux-ci, bien conscients des limites de notre production de biocarburant, sont les premiers à plaider pour la création d'une véritable filière souveraine et pérenne, qui nous permettrait d'atteindre nos objectifs environnementaux. Quelles sont les conditions à réunir à cette fin ?
Enfin, le canal Seine-Nord Europe n'est mentionné qu'une seule fois, à la page 82 du rapport, en tant qu'investissement à long terme. Vos équipes m'ont entendu cet été sur ce projet, soutenu par l'Union européenne et pensé pour réduire nos émissions, favoriser le report modal et dynamiser nos territoires. Il est un réel espoir pour notre pays, la région des Hauts-de-France, notre économie et nos ambitions écologiques. Quelle part faites-vous aux grands projets écologiquement vertueux dans un contexte de crise économique ?
M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur le Premier président, je vous remercie pour la présentation de ce premier rapport, qui dénonce bien le coût de l'inaction et souligne avec force l'importance de la territorialisation de l'action publique.
Mon intervention ira pleinement dans le sens de celle de Stéphane Demilly. Les collectivités territoriales sont présentées comme les échelons les plus appropriés pour agir en faveur de l'adaptation au changement climatique. Vous recommandez de conforter l'action du SGPE et souhaitez également élargir le rôle de la Spafte. La première version de celle-ci, publiée en 2024, rappelle que les collectivités s'administrent librement, tout en indiquant qu'elles devront augmenter leur part d'investissement vert tout en maîtrisant leurs dépenses, qu'elles devront obligatoirement évaluer sur le plan environnemental.
Or, dans un contexte de redressement budgétaire, les collectivités craignent que cette planification devienne uniquement prescriptive et contraignante, sans moyens supplémentaires, alourdissant leurs tâches, alors même qu'elles disposent de marges de manoeuvre limitées, compte tenu notamment de la stagnation des dotations de l'État, ou encore de la multiplication des risques environnementaux.
Dans ces conditions, comment garantir que la coordination entre la stratégie pluriannuelle nationale et les plans pluriannuels d'investissement locaux se traduise en moyens réels plutôt qu'en contraintes supplémentaires ? Autrement dit, comment garantir une évaluation environnementale des budgets qui ne se limite pas à une charge administrative et à de la complexité ? La contractualisation entre l'État et les collectivités pourrait-elle sécuriser la cohérence des différentes échelles des plans ?
M. Ronan Dantec. - Je veux tout d'abord dire à quel point ce rapport est remarquable. Je n'ai pas pour habitude de jeter des fleurs, mais le document expose la situation sur les politiques environnementales de manière extrêmement précise.
Il établit que les dernières lois votées ou en cours d'examen nous font régresser, qu'il s'agisse de la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), du volet sur le zéro artificialisation nette (ZAN) du projet de loi de simplification de la vie économique, ou encore de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, dite « loi Duplomb ».
Stéphane Demilly a relevé que les carburants d'aviation durables allaient se fracasser sur les limites physiques. Depuis le temps que nous le disons...
Pour compléter l'intervention de Guillaume Chevrollier, nous défendons, depuis presque dix ans, au Sénat, notamment par la voix de Jean-François Husson, des dotations d'accompagnement des collectivités faisant écho à vos propos relatifs à la contractualisation. En particulier, le PCAET étant un document central, nous sommes partisans d'une contractualisation. Nous avons obtenu 200 millions d'euros, qui ont survécu, grâce à Christine Lavarde, aux ciseaux du ministère de l'économie...
Or, d'expérience, la haute administration et le ministère de l'économie ont toujours refusé cette contractualisation en préférant, certainement avec le soutien des ministres, des dispositifs de saupoudrage, comme le fonds vert. Monsieur le Premier président, pourquoi l'État refuse-t-il la contractualisation que nous proposons, considérant que les territoires savent ce qu'il faut faire et que l'on peut cibler un résultat plutôt que prévoir un saupoudrage ?
Certes, le Sénat est souvent ambigu par rapport aux deux documents clés que sont le Sraddet et le PCAET, car il y ajoute fréquemment des bémols et des astérisques qui, finalement, affaiblissent les documents de planification. Peut-on vraiment faire évoluer la contractualisation, la forme du dialogue entre l'État et les territoires sur la transition écologique ?
Ma deuxième question est plus générale. Vous avez conclu sur la contradiction entre le besoin d'aller plus vite sur la transition écologique et un endettement extrêmement important. La Cour des comptes ne pourrait-elle pas proposer une forme de comptabilité publique différenciée entre investissements rentables à terme, recettes comprises, et dépenses de fonctionnement courant ? Par exemple, le développement d'énergies renouvelables pourrait réduire notre facture fossile et, ce faisant, être considéré différemment dans notre taux d'endettement. Cela vaut y compris à l'échelle des collectivités. Nous attendons des propositions de la Cour des comptes, car le débat sur ce sujet a du mal à se structurer aujourd'hui.
Enfin, en tant que président de la commission spécialisée chargée de l'orientation des actions de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), qui traite du Pnacc auprès du Conseil national de la transition écologique (CNTE), je souhaite connaître les grandes difficultés que vous éprouvez à dimensionner les coûts d'investissement liés à l'adaptation.
M. Hervé Gillé. - Je salue également la qualité du travail réalisé.
Les politiques d'État sont très faiblement conditionnées. Il faudrait clarifier la planification. Je suis favorable à des schémas de cohérence territoriale (Scot) intégrateurs, qui s'inscriraient dans une vision plus globale, départementale et régionale, contenue dans les Sraddet. Nous gagnerions ainsi en lisibilité, pour décliner les politiques publiques dans les Sraddet, les Scot et les PLUi. L'ennui est que la mobilisation des moyens financiers n'est pas conditionnée par des objectifs précis. S'il en était autrement, et si des objectifs forts leur étaient assignés, les collectivités locales, qui mènent une politique volontariste, par exemple, en matière de bilan énergétique, iraient sans doute plus vite, et plus loin. Qu'en pensez-vous ?
La clarification du nombre d'opérateurs est également un enjeu de taille. Les syndicats d'électricité se mobilisent d'un côté, les métropoles interviennent de l'autre, les agences locales de l'énergie et du climat (Alec) suivent, sans compter les autres opérateurs. Dans le cas de MaPrimeRénov', il en a résulté une politique de « stop and go » regrettable, et une véritable dilapidation de l'argent public. Ne faudrait-il pas progresser sur ce plan, pour gagner en efficacité ?
Nous devons réduire l'endettement tout en ayant une véritable ambition financière en matière de politique environnementale. Or, la situation géopolitique étant incertaine, le risque de devoir entrer dans une économie de guerre est prégnant. Dans ce contexte, comment pourrions-nous mettre à part une économie de guerre climatique, afin d'agir plus vite et plus fort sur ces sujets ?
Nous manquons par ailleurs de politiques d'investissement en matière d'adaptation au changement climatique susceptibles de susciter une véritable politique de croissance.
L'évaluation des politiques publiques laisse également à désirer. Les rapports de développement durable, que certaines collectivités sont tenues de produire, coûteux et chronophages, n'ont que peu de résultats. Il faudrait aller plus loin dans ce domaine, en assignant des objectifs précis à chaque niveau de collectivité et en veillant à la qualité de leur évaluation.
M. Pierre Moscovici. - Concernant le rôle des acteurs locaux et l'articulation entre l'action de l'État et celle des territoires, il faut viser la simplification et l'efficacité. Le maître mot de notre rapport est la « coordination ». Nous devons éviter le millefeuille territorial et simplifier les documents locaux. Les PCAET et les Sraddet sont essentiels. Les autres documents ont, en réalité, vocation à les nourrir.
Il a été dit que le fonds vert relevait d'une politique de saupoudrage. Je ne peux pas tout à fait dire le contraire, et tel est d'ailleurs le sentiment de la Cour des comptes.
Nous partageons le constat de la conférence Ambition France Transports sur le transport ferroviaire : l'entretien est prioritaire sur l'ouverture de nouvelles lignes, même si cette dernière n'est pas interdite pour autant. La Cour émet, en outre, un message de vigilance concernant les transports aérien et ferroviaire : veillons à ne pas mobiliser plusieurs fois des ressources limitées.
Pour ce qui est du canal Seine-Nord Europe, la Cour des comptes mène un travail approfondi, qui devrait se traduire par une publication.
La conditionnalité est effectivement insuffisante en certains cas, mais elle ne l'est pas toujours. Un bon équilibre doit être trouvé entre conditionnalité et liberté des acteurs locaux. En revanche, le nombre d'opérateurs nécessite effectivement une clarification.
M. Simon Uzenat. - Je salue à mon tour la grande qualité du travail réalisé.
Dans le second fascicule de son rapport annuel sur les finances publiques locales, que la Cour des comptes vient de publier, il est rappelé que les efforts demandés en 2025 aux collectivités territoriales s'élevaient initialement à 8,1 milliards d'euros - bien loin, donc, des 2,2 milliards d'euros annoncés par certains. S'y ajoutent les annulations supplémentaires de crédits susceptibles d'intervenir avant la fin de l'année et des incertitudes qui pèsent sur le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico).
Tout cela complexifie la programmation pluriannuelle des investissements que vous appelez de vos voeux en matière de transition écologique, et que les élus sont tout à fait disposés à mettre en oeuvre, comme la plupart d'entre eux le prouvent. Le problème est que la prévisibilité des ressources est compromise par des coups d'arrêt brutaux, comme le souligne le rapport que vous nous présentez. Quelles pistes la Cour des comptes pourrait-elle proposer pour y remédier, notamment en matière de fiscalité ? Nombre de recettes fiscales vont à l'encontre des objectifs fixés. Ainsi, la fiscalité locale encourage, d'une certaine façon, l'extension foncière à travers la vente de terrains, pour financer des équipements, notamment dans les plus petites communes. De même, les régions perçoivent des recettes issues des immatriculations et de la consommation d'énergies fossiles, alors qu'elles doivent promouvoir des mobilités décarbonées. Comment résoudre ces contradictions majeures ?
La stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique présentée en 2024 n'est pas à la hauteur des besoins. Nous espérons que la suivante le sera davantage. Avez-vous des informations sur les travaux en cours ?
Au-delà du pilotage par le SGPE que vous appelez de vos voeux, comment s'assurer de la cohérence entre les objectifs affichés au niveau national et les moyens d'accompagnement des acteurs territoriaux ?
M. Michaël Weber. - Ce rapport, d'une grande qualité, est très instructif.
La Cour des comptes estime à 100 milliards d'euros supplémentaires l'investissement public et privé nécessaire à l'horizon 2030 pour accentuer l'adaptation au changement climatique dans les politiques publiques. Elle plaide également pour une juste répartition entre investissements public et privé. Dans le contexte de déficit public que nous connaissons, comment mobiliser davantage d'investissements privés pour le financement de la transition écologique ? Faut-il passer par des leviers réglementaires ou par de nouvelles normes contraignantes ?
Comment accompagner nos concitoyens vers la transition écologique, compte tenu des effets prévisibles de ces politiques sur leur pouvoir d'achat ?
M. Jacques Fernique. - J'aimerais vous entendre sur le sujet de la transition vers l'économie circulaire, axe majeur de la transition écologique. Le rapport pointe l'échec de l'objectif de réduction des déchets ménagers et assimilés. Nous visions une réduction de 15 % sur la période 2010-2030 ; nous en sommes loin. Les déchets ménagers et assimilés sont d'ailleurs plutôt en augmentation, et la valorisation des déchets présente des résultats insuffisants. Les taux d'empreinte matières par habitant restent stables. Le taux de recyclage des déchets non dangereux demeure inférieur de 20 points à l'objectif fixé, qui était de 65 % en 2025. Le rapport déplore, en outre, l'absence étonnante - Marta de Cidrac et moi-même l'avions déjà relevée dans notre rapport sur l'économie circulaire paru en juin dernier - de données chiffrées agrégées sur les efforts publics et privés de réduction et valorisation des déchets et souligne qu'il est, dans ces conditions, impossible d'évaluer la politique d'économie circulaire. Quelles sont vos préconisations pour sortir de cet enlisement ?
M. Olivier Jacquin. - Ce rapport est essentiel, et sa conclusion, selon laquelle la transition coûte moins cher que l'inaction, très forte.
Dans une tribune parue ce matin dans Le Monde, le politiste Benjamin Lemoine affirme que « la rhétorique sur le danger que représente l'endettement public masque les rapports de forces sociaux qu'il organise. Il est un instrument de sécession d'une classe rentière. » Qu'en pensez-vous ?
La Cour des comptes a rendu, par ailleurs, un rapport équilibré et intéressant sur la contribution des usagers au financement des transports en commun urbains. Le rapport compare notamment le modèle lyonnais, axé sur le développement de l'offre de transport et la réduction de la part modale de la voiture, au modèle montpelliérain de gratuité des transports.
Vous proposez que les aides de l'État aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) soient fonction de la contribution des usagers. Mais qu'en est-il du conditionnement du versement mobilité à cette contribution ?
M. Sébastien Fagnen. - Je remercie l'ensemble des auteurs de ce rapport, qui s'avère particulièrement utile dans le moment que nous vivons, où s'opère un véritable retour en arrière en matière de transition écologique.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) se fait toujours attendre, après plus de deux ans de retard. Si un texte sénatorial supplée pour l'instant le projet de loi attendu, il existe une volonté farouche de contrecarrer le développement des énergies renouvelables. Or nous savons quel coût représente, pour les finances publiques comme pour le climat, l'importation massive d'énergies fossiles. La relance de la filière nucléaire ne produira pas ses effets avant plusieurs années. Il est donc indispensable que les énergies renouvelables complètent le bouquet énergétique du pays. Quelle est la vision de la Cour des comptes sur notre politique énergétique ?
Enfin, comme l'a souligné Simon Uzenat, la fiscalité locale repose sur des leviers qui font la part belle à l'artificialisation des sols. Comment diversifier le panier des ressources des collectivités territoriales pour qu'elles puissent mettre en oeuvre la transition écologique ?
M. Pierre Moscovici. - Vos félicitations me touchent et sont autant d'encouragements pour l'avenir. Nous continuerons à travailler sur les différents axes du rapport et les enrichirons de thématiques particulières.
Pour ce qui est des moyens des collectivités locales, la Cour des comptes travaille moins sur la fiscalité que sur la dépense. La première relève davantage du Conseil des prélèvements obligatoires.
Concernant l'extension foncière, nous devons regarder, au cas par cas, dans quelle mesure elle entre en contradiction avec la transition écologique. La Cour des comptes ne se risquerait pas à faire de généralités dans ce domaine.
Les travaux en cours sur les stratégies financières semblent plus territorialisés qu'ils ne le furent, ce qui va dans la bonne direction. De même, les investissements privés semblent mieux orientés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient auparavant.
Un travail doit être mené en 2026 sur la filière de l'économie circulaire, qui traitera notamment de la responsabilité élargie du producteur (REP). Il formera peut-être l'un des axes du prochain rapport annuel de la Cour des comptes sur la transition écologique.
Les AOM conditionnent le versement mobilité à la contribution des usagers. Dire qu'il semble préférable d'enrichir l'offre et de ne pas se priver de la contribution des usagers plutôt que de miser sur la gratuité des transports rejoint d'autres éléments mis en avant par la Cour dans de récents travaux sur la gratuité dans les transports, qui ont été plutôt appréciés par de nombreux élus locaux. La gratuité ne doit pas être générale : elle doit être fonction des revenus des usagers. Or il existe parfois des excès de gratuité.
Enfin, le fait que le versement mobilité soit payé par les entreprises alors qu'il relève des collectivités constitue une spécialité française. Il vous revient d'évaluer ce point.
Le travail de la Cour des comptes doit se poursuivre. Ce premier opus sur la transition écologique est un succès, qui appelle d'autres travaux spécifiques. J'ai plaidé pour qu'il soit la première occurrence d'un rapport public annuel sur la transition écologique, susceptible de se joindre à d'autres grands rapports récurrents publiés par la Cour : le rapport public annuel, le rapport sur le budget de l'État (RBDE), ou encore le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. J'espère que mon successeur aura à coeur de faire respecter cette annualité, et je compte sur la pression amicale mais ferme du Parlement pour faire en sorte qu'il en soit ainsi.
Un phénomène de « backlash » s'observe incontestablement, à l'échelle européenne comme nationale. Nous le voyons clairement au Parlement européen, où la majorité qui existait en faveur du Pacte vert pour l'Europe, étendard du premier mandat de Mme Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, est battue en brèche. Il en résulte un ralentissement manifeste en matière de transition écologique.
En France, même si cette tentation existe, et malgré les contradictions qui demeurent entre le besoin d'investissement et les difficultés financières de l'époque et entre la nécessité de prévoir des investissements sur le long terme et leurs effets, à court terme, sur la croissance, nous devons poursuivre dans cette voie : c'est le message central du rapport. Il faut agir, vite et fort, et mettre en oeuvre les investissements nécessaires. Plus nous investirons dans des activités socialement et écologiquement utiles, plus nous devrons nous désendetter sur celles qui le sont moins. En réalité, il existe une bonne et une mauvaise dettes. La bonne dette est socialement, écologiquement et stratégiquement utile. Malheureusement, plus la dette est importante, et la charge de la dette élevée, moins nous avons les possibilités d'agir. Il faut donc limiter le montant de dette publique, et d'autant plus si nous avons besoin d'investir davantage.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci d'avoir honoré votre promesse de revenir devant nous.
Ce rapport éclairera les décisions que nous aurons à prendre. Nous devons travailler pour l'avenir, afin de faire des économies tout en gérant mieux notre politique environnementale.
Je vous remercie de la qualité de nos échanges.
Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.
Proposition de nomination de M. Henri Prévost, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - Désignation d'un rapporteur
M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons au deuxième point de notre ordre du jour, à savoir la désignation d'un rapporteur sur le projet de nomination aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Le Président de la République propose la candidature de M. Henri Prévost, préfet, actuellement en poste dans la Marne. Nous l'entendrons mercredi 15 octobre prochain, en application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Pour mémoire, c'était M. Stanislas Bourron, préfet, qui occupait ces fonctions jusqu'en mai dernier, avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre François Bayrou, puis celui du Premier ministre Sébastien Lecornu, en tant que chef du pôle « intérieur et territoires ».
Je relève que, deux jours seulement avant l'annonce de son départ de l'ANCT, M. Bourron faisait précisément ses adieux au Palais du Luxembourg, entendu par nos collègues Nicole Bonnefoy et Louis-Jean de Nicolaÿ dans le cadre de leur mission d'information relative au bilan d'un dispositif phare de l'ANCT : le programme national Petites Villes de demain.
À ce propos, nous nous félicitons de la perspective d'examiner les conclusions de la mission d'information le 15 octobre également, dans la foulée de l'audition de M. Prévost : cette transition toute trouvée entre les différents points de l'ordre du jour de cette réunion atteste de la cohérence de nos travaux en matière d'aménagement du territoire.
Je vous rappelle que l'article 19 bis du Règlement du Sénat prévoit que, en amont de cette audition, la commission désigne un rapporteur chargé de la préparer.
La commission désigne M. Paul Vidal rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Henri Prévost aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en application de l'article 13 de la Constitution.
Proposition de nomination de M. Jean Castex, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de la SNCF - Désignation d'un rapporteur
M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons à notre troisième point à l'ordre du jour, à savoir la désignation d'un rapporteur sur le projet de nomination aux fonctions de président-directeur général de la SNCF.
Le Président de la République propose la candidature de M. Jean Castex, actuel président-directeur général de la RATP. Nous l'entendrons prochainement, en application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Pour mémoire, c'est actuellement M. Jean-Pierre Farandou qui assure cette fonction. Celui-ci a d'abord été nommé président du directoire de l'établissement public industriel et commercial SNCF le 1er novembre 2019, avant d'être désigné, l'année suivante, président-directeur général du groupe SNCF, groupe public unifié constitué de sociétés anonymes. La gouvernance de la SNCF a en effet été modifiée au 1er janvier 2020 en application de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.
Son mandat est arrivé à terme le 13 mai 2024. En attendant la nomination de son successeur, il a assuré l'intérim, notamment pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Je vous rappelle que l'article 19 bis du Règlement du Sénat prévoit que, en amont de cette audition, la commission désigne un rapporteur chargé de la conduire.
La commission désigne M. Daniel Gueret rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la SNCF, en application de l'article 13 de la Constitution.
L'audition de M. Jean Castex est prévue le 8 octobre prochain. Je vous précise que si le nouveau gouvernement n'a pas été annoncé d'ici là, cette audition n'aura pas lieu.
La réunion est close à 11 h 20.