Mercredi 1er octobre 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Avenir des concessions hydroélectriques - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je suis heureuse de reprendre avec vous les travaux de notre commission. Nous avions engagé plusieurs missions d'information sur des sujets d'importance et, en attendant que soit précisé l'ordre du jour à venir, nous poursuivons notre action avec la présentation de rapports particulièrement attendus.

Nous avons le plaisir d'entendre aujourd'hui nos collègues Daniel Gremillet, Patrick Chauvet, Fabien Gay et Jean-Jacques Michau, qui vont nous présenter les conclusions de leur mission d'information transpartisane sur l'avenir des concessions hydroélectriques.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Comme vous le savez, notre commission nous a confié une mission d'information transpartisane sur l'avenir des concessions hydroélectriques. Nous avons été désignés rapporteurs le 19 mars dernier, avons défini notre programme le 9 avril et avons engagé nos auditions le 20 mai.

Le différend qui oppose la Commission européenne à l'État depuis vingt ans s'agissant des concessions hydroélectriques du groupe EDF est en passe d'être résolu. En effet, l'ancien Premier ministre François Bayrou a annoncé un accord de principe entre la Commission européenne et l'État à ce sujet, le 28 août dernier. Pour autant, beaucoup reste encore à faire pour définir les modalités d'application de cet accord de principe ; c'est indispensable pour que le compromis trouvé soit appliqué concrètement et effectivement.

Au cours de nos travaux, nous avons organisé 25 auditions, ce qui nous a permis de recueillir le point de vue de l'ensemble des parties prenantes : le ministre chargé de l'énergie, les représentants de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), le président du groupe EDF, les syndicats de ce groupe, ses concurrents, la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ou encore les représentants de la Commission européenne. Nous avons aussi auditionné les députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo, chargés d'une mission d'information sur un sujet proche, pour l'Assemblée nationale.

Au terme de nos travaux, nous avons identifié le changement de régime des concessions vers les autorisations comme la solution la plus prometteuse pour éviter la mise en concurrence des concessions hydroélectriques françaises. C'est pourquoi nous avons formulé quinze recommandations, réunies en quatre axes, visant à évaluer en amont sa robustesse technique et son impact financier, sécuriser ses paramètres économiques et sociaux, territorialiser la gouvernance et les procédures du secteur hydroélectrique, et enfin réviser les cadres réglementaire et européen applicables à ce secteur.

Permettez-moi de revenir, tout d'abord, sur les bénéfices énergétiques, économiques et environnementaux de l'hydroélectricité.

Nous sommes tous ici attachés à l'hydroélectricité, qui constitue une énergie ancienne, pilotable et décarbonée. Or cette source d'énergie voit ses perspectives de développement obérées par un différend avec la Commission européenne, vieux de vingt ans.

L'hydroélectricité représente un atout pour notre transition et notre souveraineté énergétiques. C'est une énergie ancienne, dont les lois fondatrices trouvent leur origine dans la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique et dans la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz. On doit à l'ingénieur Aristide Bergès d'avoir démontré la viabilité du recours à cette énergie, qualifiée de « houille blanche », d'abord pour l'industrie, en 1867, puis pour l'électricité, en 1882. Les barrages hydrauliques ont été construits, d'abord à des fins de navigation et d'irrigation, dès le XIXe siècle, puis à des fins de production d'électricité, au cours du XXe siècle. Puis spécifiquement, les premiers barrages hydroélectriques ont été édifiés dans les années 1920 et les derniers dans les années 1990.

La filière hydroélectrique regroupe une diversité d'installations hydrauliques, qui relèvent du régime des concessions ou de celui des autorisations, selon que leur puissance excède ou non 4,5 mégawatts (MW), selon l'article L. 511-5 du code de l'énergie. Selon la CRE, le parc hydroélectrique a regroupé 2 500 installations hydrauliques en 2020, dont 400 relevant du régime des concessions et 2 100 du régime des autorisations. Pour Réseau de transport d'électricité (RTE), la capacité installée de ce parc a atteint 25,7 gigawatts (GW) en 2023.

La filière hydroélectrique assure une part importante de la production d'électricité, qui contribue à la sécurisation de notre système électrique et hydraulique, à la décarbonation de notre économie ainsi qu'au développement de nos territoires. Selon RTE, la production hydroélectrique s'est élevée à 58,8 térawattheures (TWh) en 2023, ce qui a représenté 12 % de notre production d'électricité totale et 42 % de la production renouvelable. C'est donc la deuxième source d'électricité après le nucléaire, et la première source renouvelable, devant l'éolien. Pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les émissions de gaz à effet de serre (GES) de cette production sont demeurées limitées, entre 40 et 70 grammes de dioxyde de carbone par kilowattheure.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - En dépit de ses bénéfices énergétiques, économiques et environnementaux, rappelés par mon collègue Daniel Gremillet, l'hydroélectricité voit ses perspectives de développement obérées par le différend avec la Commission européenne.

Les concessions hydroélectriques du groupe EDF arrivées à échéance n'ont pas pu être renouvelées. Parmi elles, 38 ont été placées sous le régime dit « des délais glissants », mentionné à l'article L. 521-16 du code de l'énergie, qui permet la prorogation de ces concessions aux conditions antérieures, en contrepartie du paiement d'une redevance ad hoc, prévue à l'article L. 523-2 du même code. Le principal avantage de ce régime est de garantir la continuité de l'exploitation de la concession échue jusqu'à son renouvellement, ce qui permet de poursuivre la production de l'électricité et de la gestion de l'eau, en maintenant un haut niveau de sécurité sans vide juridique. Son principal inconvénient est d'exclure tout développement ou toute modification qui ne seraient pas prévus par le cahier des charges de la concession échue, ce qui n'offre ni la possibilité juridique ni la visibilité économique nécessaires à la réalisation des nouveaux investissements.

Deux mises en demeure ont été adressées à la France par la Commission européenne. La première, engagée par la direction générale de la concurrence (également appelée « DG COMP ») date du 13 octobre 2015. Elle concerne la méconnaissance supposée de l'article 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prohibe les aides d'État accordées aux entreprises publiques, et de l'article 102, qui interdit le fait pour une entreprise d'exploiter de façon abusive une position dominante sur tout ou partie du marché intérieur. La seconde, initiée par la direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des petites et moyennes entreprises (aussi dénommée « DG GROW ») date du 7 mars 2019. Elle porte sur le non-respect allégué de l'article 49 du TFUE, qui prohibe les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants, de l'article 56, qui interdit les restrictions à la liberté de service, et enfin de la directive européenne du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, dite « Concession ».

La France est actuellement le seul pays européen pour lequel une mise en demeure est pendante. En effet, sept autres États membres avaient fait l'objet de la seconde mise en demeure, cinq pays exploitant l'hydroélectricité via un régime d'autorisation - l'Allemagne, l'Autriche, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni - et deux autres pays via un régime de concession - l'Italie et le Portugal. Or la Commission européenne a clos, en 2021, les procédures à l'encontre de ces régimes d'autorisation, pour des raisons d'opportunité, constatant l'absence d'intérêt économique et, en 2023, celles à l'encontre de ces régimes de concession, après la révision par ces pays de leur cadre législatif ou réglementaire. S'agissant de la France, la Commission européenne n'a autorisé que la prolongation jusqu'au 31 décembre 2041 de la concession du Rhône allouée à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), par la loi du 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône.

Je me réjouis que cette loi, adoptée à l'unanimité par les deux assemblées parlementaires et dont j'étais le rapporteur pour notre commission, ait permis de conférer une solution durable à cette concession. Je souhaite indiquer d'emblée que la réorganisation des concessions hydroélectriques du groupe EDF ne doit en aucun cas remettre sur le métier le cas spécifique de la concession du Rhône de la CNR.

En revanche, pour les concessions hydroélectriques du groupe EDF, après l'échec des solutions législatives issues de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite « Transition énergétique », un changement du régime des concessions vers celui des autorisations est aujourd'hui envisagé.

En effet, les solutions législatives issues de cette loi n'ont pas permis de résoudre le différend entre la Commission européenne et l'État. D'une part, un regroupement de concessions hydroélectriques, mentionné aux articles L. 521-16-1 et L. 521-16-2 du code de l'énergie, a été appliqué par un décret du 20 mars 2019 aux concessions de Coindre-Marèges et de Saint-Pierre-Marèges, du groupe Engie, mais annulé par un arrêt du Conseil d'État du 12 avril 2019. D'autre part, une prolongation de concessions contre travaux, prévue à l'article L. 521-16-3 du même code, a été refusée par la Commission européenne, pour le projet de la Truyère, dans sa lettre du 12 juillet 2018, puis en tant que telle, dans sa mise en demeure du 7 mars 2019. Enfin, la constitution de sociétés d'économie mixte hydroélectriques (Semh), permise par l'article L. 521-18 du même code, constitue une option toujours ouverte pour associer les collectivités territoriales autour d'un opérateur économique, mais elle n'exclut pas la mise en concurrence des concessions hydroélectriques.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Dans le contexte de blocage juridique, dépeint par mon collègue Patrick Chauvet, le Gouvernement et le groupe EDF ont exploré plusieurs solutions pour réorganiser les concessions hydroélectriques de ce groupe.

Tout d'abord, le Gouvernement et le groupe EDF ont envisagé le regroupement des activités hydroélectriques du groupe dans une quasi-régie, qui permet de déroger à la mise en concurrence sous trois conditions, mentionnées à l'article L. 3211-1 du code de la commande publique : le contrôle de l'État analogue à ses propres services ; la réalisation par la société de 80 % de son activité dans ce cadre ; l'absence de capitaux privés dans cette société. Il s'agit d'une option compatible avec l'article 17 de la directive dite « Concession » du 26 février 2014. Pour autant, les syndicats des personnels et les associations d'élus locaux ont relevé que la filialisation des activités hydroélectriques du groupe aurait conduit à une désoptimisation, voire à un démembrement de ce groupe. De plus, les concurrents du groupe EDF ont indiqué qu'elle aurait remis en cause la pérennité de leurs propres activités hydroélectriques.

Dans ce contexte, le Gouvernement et le groupe EDF envisagent désormais un changement de régime des concessions vers les autorisations. Il concernerait l'ensemble des concessions du groupe EDF et de ses concurrents, échues et non échues. Pour y parvenir, il requerrait plusieurs étapes : la résiliation des contrats de concession en vigueur et le paiement d'une indemnité de résiliation ; le déclassement des biens hydroélectriques ; la cession de gré à gré de ces biens et le versement d'un prix de cession ; la conception d'un nouveau régime d'autorisation, d'une nouvelle redevance et d'une nouvelle gouvernance pour les installations hydrauliques de plus de 4,5 MW. En contrepartie du maintien des exploitants historiques, une part virtuelle des capacités de production hydroélectriques serait ouverte par enchère aux acteurs de marché.

Un grand nombre de parties prenantes ont fait part de leur intérêt, sur le principe, pour le changement de régime des concessions vers les autorisations, tout en plaidant pour certaines modalités d'application. Tout d'abord, le groupe EDF a rappelé la nécessité que la contrepartie laisse inchangée la gestion opérationnelle de la production hydroélectrique, qu'elle soit appliquée à un volume limité et temporaire d'hydroélectricité et qu'elle ne soit pas semblable à un « Arenh hydraulique » - c'est-à-dire similaire au dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Pour sa part, la CRE a indiqué être disposée à réguler la contrepartie, en plaidant pour laisser telle quelle cette gestion opérationnelle de la production hydroélectrique, mais aussi pour tenir compte des volumes d'hydroélectricité déjà commercialisés sur les marchés par le groupe EDF. De leur côté, les syndicats des personnels ont mis l'accent sur l'incessibilité des ouvrages transférés, le maintien du statut des industries électriques et gazières (IEG), ou le refus de mesures compensatoires excessives, de type « Arenh hydraulique ». Pour ce qui les concerne, les associations d'élus locaux ont proposé la consolidation de la gouvernance locale et le maintien d'une redevance locale. Enfin, les concurrents du groupe EDF ont plaidé pour une mise en concurrence des concessions hydroélectriques de ce dernier par appel d'offres ou, à défaut, un accès à la contrepartie pesant sur sa production d'hydroélectricité.

Le Gouvernement a répondu à certaines de nos interrogations sur ce changement de régime des concessions vers les autorisations. D'une part, l'indemnité de résiliation et le prix de cession doivent être définis par une commission d'experts indépendants. D'autre part, les futures cessions des biens transférés doivent faire l'objet d'un droit d'opposition. Autre point, à l'échelon local, les compétences, gouvernance et redevance actuelles doivent être maintenues. Enfin, la contrepartie doit laisser inchangée l'exploitation opérationnelle de la production hydroélectrique, l'enjeu étant d'introduire une part de concurrence sur la commercialisation des produits et non sur la gestion des ouvrages.

La Commission européenne a aussi répondu à certains de nos questionnements sur ce changement de régime. Tout d'abord, elle a rappelé que les États membres sont libres de choisir l'organisation du secteur hydroélectrique sur leur territoire selon le modèle de leur choix. Plus encore, s'agissant du devenir de la CNR, dont la concession vient d'être renouvelée, elle a confirmé que les États membres peuvent choisir des modèles distincts pour leurs différents aménagements. Enfin, elle a réaffirmé que les États membres doivent respecter les règles européennes relatives à la concurrence, au marché intérieur et à l'énergie.

Dans ce contexte, le 28 août dernier, l'ancien Premier ministre François Bayrou a annoncé par voie de communiqué de presse la conclusion d'un accord de principe entre la Commission européenne et l'État au sujet de l'organisation des concessions hydroélectriques françaises. Cet accord de principe doit permettre de résoudre les deux précontentieux européens : l'un concerne la non-remise en concurrence des concessions échues (celui de 2019 de la « DG GROW ») et l'autre, la position jugée dominante du groupe EDF (celui de 2015 de la « DG COMP »).

Le schéma retenu comporte trois volets : le passage du régime de concession à un régime d'autorisation pour l'exploitation de l'énergie hydraulique, à l'exception des ouvrages de la CNR ; la possibilité du maintien des exploitants en place, de manière à garantir la continuité de l'exploitation des ouvrages, indispensable au regard des enjeux de sécurité, de gestion de l'eau, de maintien des compétences et des emplois et de retour de valeur pour les territoires ; enfin, la mise à disposition par le groupe EDF de 6 GW de capacités hydroélectriques virtuelles à des tiers et au bénéfice final des consommateurs, via des enchères concurrentielles mises en vente par la CRE.

Ce schéma doit se traduire dans un véhicule législatif, le communiqué de presse précité évoquant l'éventualité du dépôt d'une proposition de loi par les députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo. Il ne s'agit, à ce stade, que d'une éventualité ; rappelons que la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative déposée par notre collègue Daniel Gremillet prévoyait, en son article 21, une expérimentation du passage du régime des concessions vers celui des autorisations.

M. Jean-Jacques Michau, rapporteur. - Le passage du régime des concessions vers celui des autorisations apparaît donc comme le schéma retenu par le Gouvernement et accepté par la Commission européenne, comme l'a présenté mon collègue Fabien Gay. Nous sommes convaincus de l'intérêt de l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou sur la réorganisation des concessions hydroélectriques du groupe EDF. Aussi nous félicitons-nous de la résolution attendue du différend opposant la Commission européenne à la France à ce sujet. En effet, ce différend obère les perspectives de développement de toute la filière hydroélectrique française depuis vingt ans. À l'heure où le protectionnisme américain et le bellicisme russe éprouvent chaque jour la sécurité d'approvisionnement énergétique de la France et de l'Union européenne, les autorités nationales et européennes doivent définir les modalités d'application de cet accord de principe, sans rien sacrifier, ni de la garantie fondamentale de notre souveraineté énergétique nationale ni de l'harmonisation légitime des règles du marché européen de l'énergie. Convenir de telles modalités d'application est également indispensable à la réussite de notre transition énergétique nationale et donc à la réduction des émissions de GES européennes de 55 % d'ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, conformément à nos engagements européens et internationaux.

Nous sommes aussi convaincus de la nécessité pour les parlementaires, députés comme sénateurs, de parler d'une même voix sur ce sujet transpartisan, d'intérêt national. C'est pourquoi nous saluons le travail effectué par la mission d'information conduite par les députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo, sur les modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques, dont les conclusions ont été rendues publiques le 13 mai dernier. Nous partageons le constat formulé par les députés sur la préférence donnée au changement de régime des concessions vers les autorisations. Nous constatons que l'accord de principe annoncé par le Premier ministre François Bayrou évoque l'éventualité d'une traduction législative prochaine, le cas échéant dans le cadre d'une proposition de loi déposée par ces députés. Nous rappelons que le Sénat avait proposé l'expérimentation d'un tel passage, à l'article 21 de la proposition de loi dite « Gremillet », déposée le 26 avril 2024 puis adoptée au Sénat, en première lecture, le 16 octobre 2024, et en deuxième lecture, le 8 juillet 2025. Dans la mesure où l'examen en deuxième lecture de cette proposition de loi n'est pas encore intervenu à l'Assemblée nationale, nous appelons les députés à amender ce texte pour y introduire leurs propositions, afin de réaliser le passage du régime des concessions vers celui des autorisations. Il s'agit en effet du véhicule législatif le plus rapide et le plus aisé à faire prospérer.

L'objet de notre rapport d'information est de servir de point d'appui à la définition des modalités d'application de cet accord de principe, en identifiant précisément les lignes directrices du Sénat. Dans ce contexte, nous formulons quinze propositions, réunies en quatre axes.

Le premier axe vise à évaluer en amont la robustesse technique et l'impact financier du changement de régime des concessions vers les autorisations.

Dans la mesure où les implications juridiques et financières d'un changement de régime sont fortes, nous plaidons pour évaluer l'impact financier d'un tel changement, via la Cour des comptes, et sa robustesse technique, via le Conseil d'État.

De plus, nous préconisons de ne légiférer qu'en possession d'une lettre de confort de la Commission européenne, garantissant la compatibilité du changement de régime avec le droit de l'Union européenne.

Enfin, compte tenu de l'urgence de la situation, nous proposons de légiférer préférentiellement par le biais d'amendements à la proposition de loi dite « Gremillet », dès son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

Le deuxième axe tend à sécuriser les paramètres économiques et sociaux du changement de régime des concessions vers les autorisations.

Nous proposons tout d'abord d'exclure du champ du changement de régime les concessions qui viennent d'être renouvelées - comme celle du Rhône, évoquée par mon collègue Patrick Chauvet -, celles pour qui l'activité fluviale est principale et l'activité hydroélectrique accessoire - comme celles de la Seine ou de la Moselle - ou encore celles qui sont régies par des accords internationaux notamment avec l'Allemagne et la Suisse - comme celles du Rhin, du Doubs, de l'Arve ou d'Émosson. À ce stade, nous constatons que l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou maintient l'exception de la CNR, qui relève d'un statut spécifique, sans faire mention des autres catégories d'exception.

S'agissant du transfert de propriété des ouvrages hydroélectriques en tant que tel, nous proposons trois garde-fous. Le premier est financier : il s'agit de garantir la juste évaluation des indemnités de résiliation des contrats de concession et des prix de cession de ces ouvrages par une commission d'experts indépendants. Le deuxième est juridique : il consiste à prévoir la faculté pour l'État de s'opposer à la cession de ces ouvrages, ainsi qu'un haut niveau de contrôle par ce dernier de l'organisation et de l'exploitation de ces ouvrages. Le dernier est social : il vise à préserver le statut national des personnels des IEG sur ces ouvrages.

S'agissant de la contrepartie au maintien des exploitants historiques, nous appelons à confirmer son encadrement par la CRE ; l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou prévoit bien le contrôle par cette commission de la mise en vente des capacités hydroélectriques via des enchères concurrentielles. De plus, nous estimons que cette contrepartie doit laisser inchangée la gestion opérationnelle des installations hydrauliques par leurs propriétaires ; l'accord de principe prévoit bien la possibilité de maintenir les exploitants en place afin de garantir la continuité de l'exploitation. Enfin, nous considérons que cette contrepartie doit être limitée à une part temporaire et restreinte de la commercialisation de l'électricité issue des installations hydrauliques ; l'accord de principe propose la mise à disposition par EDF de 6 GW de capacités à des tiers, au bénéfice des consommateurs.

Le troisième axe de nos propositions vise à territorialiser la gouvernance et les procédures applicables au secteur de l'hydroélectricité, à l'occasion du changement de régime des concessions vers les autorisations.

Plus précisément, nous plaidons pour faciliter la mise en oeuvre des projets hydrauliques. Nous proposons d'abord de consolider les compétences du ministre chargé de l'énergie dans le cadre du nouveau régime. Ensuite, nous appelons à veiller à l'absence de surtransposition en matière de continuité écologique des cours d'eau. Enfin, nous suggérons d'appliquer à l'ensemble des installations hydrauliques deux novations sénatoriales en faveur de la petite hydroélectricité, issues de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat-Résilience » : le médiateur national de l'hydroélectricité, prévu à l'article 89 de cette loi, et le portail national de l'hydroélectricité, inscrit à l'article L. 511-4 du code de l'énergie.

En outre, nous appelons à mieux associer les collectivités territoriales à ces projets. Il convient, d'abord, de préserver la perception de leurs redevances en privilégiant le dispositif calqué sur les concessions non échues, c'est-à-dire excluant tout revenu normatif et tout prix cible, le plus favorable aux collectivités. Ensuite, nous suggérons de consolider la gouvernance tripartite de l'eau - État, collectivités territoriales et exploitants d'installations hydrauliques -, en particulier pour la révision des cahiers des charges. Enfin, nous préconisons de mieux intégrer à cette révision la résilience au changement climatique, notamment la gestion des sécheresses et des crues, capitale pour les territoires ruraux.

Le dernier axe de nos recommandations consiste à compléter le changement législatif par une révision des cadres réglementaire et européen applicables au secteur de l'hydroélectricité.

D'abord, nous plaidons pour intégrer le changement de régime dans le décret en cours d'élaboration sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous proposons aussi d'y fixer au Gouvernement des objectifs précis : atteindre une capacité installée totale de 29 GW d'ici à 2035 ; opérer pour les concessions hydroélectriques leur passage du régime des concessions vers celui des autorisations en instituant une contrepartie sur celles du groupe EDF ; laisser inchangée la concession du Rhône attribuée à la CNR au moins jusqu'à son expiration, le 31 décembre 2041 ; négocier l'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. En outre, nous appelons les autorités nationales à négocier cette exclusion auprès des autorités européennes, quelles qu'en soient les difficultés - une révision suppose le soutien d'autres pays, présente un calendrier d'application éloigné et ne résout pas, à elle seule, le différend entre la Commission européenne et la France.

Vous trouverez le détail de nos propositions dans le tableau de mise en oeuvre et de suivi.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à tous les quatre pour votre important travail et la présentation à la fois synthétique et détaillée de ce rapport.

M. Yannick Jadot. - Merci aux rapporteurs. Il était temps, en effet, de s'emparer de ce sujet... Face au contentieux, trop de gouvernements, depuis longtemps, se sont planqués !

Pour notre part, nous continuons de défendre la quasi-régie. La solution proposée dans ce rapport nous paraît à la fois floue et fragile sur le plan juridique.

Au-delà des principes, nous ne connaissons pas les détails de l'accord conclu avec la Commission européenne par le gouvernement Bayrou. Cette incertitude nous inquiète : nous craignons une privatisation déguisée et le retour d'un outil de type « Arenh hydraulique ».

Par ailleurs, je constate une incohérence avec nos travaux sur la proposition de loi dite « Gremillet » : vous proposez de fixer des objectifs quantifiés pour l'hydroélectricité, après avoir expliqué, dans les débats en séance sur ce texte, qu'il ne fallait pas définir d'objectifs chiffrés par catégorie d'énergie...

Enfin, nous justifions collectivement un régime particulier pour l'hydroélectricité par les différents usages de l'eau et la protection de l'environnement. Si nous nous opposons à la privatisation, ce n'est pas seulement parce que les investissements réalisés l'ont été par la collectivité et que les risques sont considérables - les plus importants après ceux liés au nucléaire. C'est aussi du fait des enjeux liés aux usages de l'eau. Or il semble que la réduction des normes environnementales, écartée lors des débats sur la proposition de loi dite « Gremillet », fasse son retour dans ce rapport. Ces éventuelles évolutions de la hiérarchie des usages de l'eau nous inquiètent, d'autant qu'elles pourraient être incompatibles avec la directive dite « Eau ».

Nous découvrons ce rapport, que nous étudierons avec attention. Mais le flou du régime proposé nous inquiète. Quid, à terme, de la propriété des grands barrages, de la propriété foncière ? EDF devra-t-elle racheter ses propres barrages ? À quel prix les 6 GW d'électricité seront-ils vendus et ne va-t-on pas permettre, une nouvelle fois, à certains acteurs de se faire beaucoup d'argent sur des infrastructures relevant de la collectivité ?

Certes, le rapport propose des garanties, mais qui nous paraissent fragiles, notamment en ce qui concerne l'évaluation du prix des ouvrages et la capacité de l'État à s'opposer à des cessions.

Nous ne soutenons donc pas ces propositions. La quasi-régie, qui n'avait pas été exclue par la Commission européenne, serait à nos yeux une meilleure solution. Le débat existe, y compris entre les organisations syndicales rattachées aux barrages.

Mme Martine Berthet- Merci aux quatre rapporteurs pour leur travail et ces propositions. Sénatrice de la Savoie, département qui compte le plus grand nombre de concessions, je suis particulièrement sensible à ce sujet.

Un important travail juridique et financier sera nécessaire, mais il est temps d'avancer, et la proposition de loi dite « Gremillet » nous en donne l'occasion.

Les élus des territoires concernés sont très attachés au maintien des redevances, destinées à compenser des nuisances et difficultés diverses.

La situation actuelle aurait pu être évitée si nous avions été plus proactifs au moment de l'élaboration de la directive dite « Concession ». Il faut désormais travailler à sa modification - c'est l'objet de votre dernière proposition.

S'agissant de la transition vers le régime d'autorisations, je m'interroge : se fera-t-elle au fur et à mesure de l'échéance des concessions ou au même moment pour toutes ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Madame Berthet, la transition se fera au fur et à mesure que les concessions arriveront à échéance.

Une éventuelle révision de la directive européenne nous amènerait à je ne sais quand... Or nous avons déjà perdu assez de temps, notamment au regard de l'urgence climatique, que nul ne conteste.

Contrairement à vous, monsieur Jadot, nous considérons que notre proposition renforce la place de l'eau et la gestion de celle-ci. En particulier, elle vise à assurer une cohérence territoriale de cette gestion, utile, par exemple, pour la gestion des risques - qu'il s'agisse de la pénurie ou de l'excès d'eau.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Tout le monde est conscient du retard pris. Si nous ne sortons pas du blocage, les investissements seront encore différés.

La meilleure solution aurait été de conserver l'existant, mais ce n'est pas possible. Parmi les options possibles, il y a, en effet, la quasi-régie, que le président Guillaume Gontard, notamment, avait défendue. Pour ma part, je défends la position que soutiennent toutes les organisations syndicales représentatives. Je dis bien : toutes. Seule l'organisation SUD, qui n'est pas représentative - nous l'avons pourtant auditionnée aussi - et que l'on sait très liée à La France insoumise (LFI), soutient plutôt la quasi-régie.

Pourquoi ai-je, avec mon groupe, voté contre la quasi-régie ? Parce que nous étions en pleine bagarre contre le projet dit « Hercule », de l'ancien président-directeur général Jean-Bernard Lévy, dont elle faisait partie. Il s'agissait de scinder l'entreprise en trois et d'en privatiser une partie. Tous les syndicats étaient donc fermement opposés à la quasi-régie et le restent.

Nul ne nie les incertitudes qui entourent le futur régime d'autorisations. En particulier, nous avons débattu entre nous de la compensation, qui doit être la plus limitée possible. S'il s'agit d'instaurer un « Arenh hydraulique », c'est non : nous sommes unanimes sur ce point.

La solution proposée est la moins mauvaise et permet de régler le problème. Tout le monde ou presque y souscrit : Gouvernement, quasi-totalité des groupes parlementaires, ensemble des syndicats, élus locaux. Quant aux risques, il faut les traiter, y compris dans le volet législatif de la réforme.

Soit nous adoptons cette solution, soit nous restons dans l'expectative et continuons de ne pas avancer. Quant au retour du projet dit « Hercule », je ne peux pas le soutenir.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Je souligne à mon tour que nous avons auditionné toutes les organisations syndicales et qu'une seule a émis un avis divergent.

Certes, c'est au moment de la préparation de la directive qu'il fallait faire le match. Mais, au point où nous en sommes, tout retard supplémentaire serait très défavorable à l'intérêt général.

Il n'y a sans doute pas de système parfait, mais celui que nous proposons permet au moins de redémarrer. Voyez la CNR : elle réinvestit. Il est vrai qu'une validation de la Commission européenne était prévue, alors que, dans les autres cas, il faudra aller la chercher.

Second petit regret : dans la proposition de loi de programmation énergétique, nous avions insisté pour expérimenter le régime d'autorisations ; si nous l'avions fait, nous pourrions déjà en mesurer les avantages et les inconvénients.

Si nous ne prenons pas ce petit chemin, nous resterons à l'arrêt.

Nous avons, tous les quatre, travaillé avec objectivité et en écoutant les uns et les autres. Quand un consensus se dégage des auditions, il est important d'en tenir compte.

M. Jean-Jacques Michau, rapporteur. - La situation est ubuesque : alors que le système actuel fonctionne plutôt bien, nous sommes obligés d'inventer des solutions pour pouvoir continuer à produire.

La révision de la directive, nous continuerons d'y travailler ; mais elle prendra des années, notamment parce que, aujourd'hui, nous manquons d'alliés.

La solution que nous préconisons nous paraît la moins mauvaise. Mais ce n'est que le début d'un processus : nous devons travailler aux modalités d'application de l'accord de principe, afin d'éliminer les biais que les uns et les autres ont évoqués.

Au fil des auditions, nous nous sommes aperçus que nous perdions 10 % de production faute de pouvoir produire mieux avec les barrages existants, notamment via des stations de transfert d'énergie par pompage (Step).

Enfin, nous avons auditionné aussi nos collègues députés ; nous sommes tous parfaitement en phase.

M. Daniel Gremillet, rapporteur- J'ajoute, en réponse à M. Jadot, que nous proposons des objectifs quantifiés dans le décret, non dans la loi. De fait, la filière a besoin d'objectifs. Mais nous restons fidèles aux positions prises sur ma proposition de loi.

Tout le monde a été auditionné ; nous n'avons oublié personne. La France est le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir réglé ce problème. Les deux assemblées et le Gouvernement ont la même position : c'est l'occasion de sortir d'une impasse qui a trop duré et qui nous pénalise économiquement - sans compter que, en matière d'hydroélectricité, tout le matériel est français ! Les enjeux environnementaux aussi, que l'on n'évoquait pas au début du conflit avec Bruxelles, mais qui sont majeurs, plaident pour l'option que nous proposons.

Venus d'horizons politiques différents, nous avons trouvé un chemin dans l'intérêt de notre pays et de nos territoires. Aujourd'hui, les planètes sont assez bien alignées pour sortir de ce trop long contentieux.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Projet de loi de finances pour 2026 - Désignation de rapporteurs pour avis

Sont désignés rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2026 :

- M. Laurent Duplomb, M. Franck Menonville et M. Jean-Claude Tissot sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ;

- M. Daniel Gremillet sur les crédits relatifs à l'énergie de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ;

- Mme Sylviane Noël, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Christian Redon-Sarrazy sur la mission « Économie » ;

- Mme Micheline Jacques sur la mission « Outre-mer » ;

- M. Patrick Chaize sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » ;

- Mme Amel Gacquerre sur les crédits relatifs au logement de la mission « Cohésion des territoires » ;

- Mme Viviane Artigalas sur les crédits relatifs à la politique de la ville de la mission « Cohésion des territoires » ;

- et Mme Martine Berthet sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ».

La réunion est close à 10 h 45.