- Mercredi 1er octobre
2025
- Programme de travail
- Politique européenne en matière de terres rares - Communication de M. Pascal Allizard
- Bilan des activités de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) depuis le deuxième trimestre 2025 - Communication
Mercredi 1er octobre 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Programme de travail
M. Jean-François Rapin, président. - Nous tenons aujourd'hui notre première réunion de la session 2025-2026 avec deux communications de notre collègue Pascal Allizard.
Je réunirai le bureau de la commission le mercredi 8 octobre à 14 heures. Il n'y aura donc pas de réunion de commission ce jour-là. Celle-ci se tiendra jeudi 9 octobre pour entendre, notamment, une communication de nos collègues Marta de Cidrac et Michaël Weber sur l'objectif climatique de l'Union européenne à l'horizon 2040. Nous entendrons probablement le directeur général des affaires européennes et internationales du ministère de l'intérieur le même jour.
J'attire votre attention sur la réunion que nous tiendrons conjointement avec une délégation de la commission des politiques de l'Union européenne du Sénat italien 16 octobre prochain. Celle-ci devrait compter trois représentants des différents partis composant l'assemblée. Nous côtoyons régulièrement ces collègues dans le cadre de divers organismes, ce sera donc un moment de coopération interparlementaire concrète sur les questions européennes.
Nous aurons ensuite une autre séquence de coopération et d'échange avec la commission des affaires européennes de la Chambre des Lords du Royaume-Uni. Une délégation de la commission se rendra ainsi à Londres lundi 27 octobre en fin d'après-midi et mardi 28 octobre. Comme nous l'avons fait lors des derniers déplacements, je proposerai un format « président et un représentant par groupe politique ». Le service va se rapprocher des différents groupes afin de finaliser la composition de la délégation. Lord Ricketts, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en France, souhaite évoquer les sujets que nous avons en commun, notamment l'immigration et le Brexit, ainsi que les enjeux de sécurité. Nous sommes convenus de ce déplacement au Royaume-Uni, avant une prochaine visite de nos homologues en France. Nous avons besoin d'échanger avec les Britanniques sur de nombreux sujets.
Enfin, une importante note va vous être transmise sur le contrôle du respect du principe de subsidiarité, portant sur vingt-six textes récemment déposés. Le groupe de travail sur la subsidiarité va les examiner rapidement et il faudra ensuite procéder à des nominations de rapporteurs, les délais étant comme toujours très serrés. Je n'y peux malheureusement rien : ces délais sont fixés par le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé aux traités européens. D'autres nominations de rapporteurs devront en outre être envisagées, cette fois sur le fond, pour faire face à l'afflux de propositions de textes présentés par la Commission européenne. Je compte donc sur votre mobilisation.
Politique européenne en matière de terres rares - Communication de M. Pascal Allizard
M. Jean-François Rapin, président. - Le premier point de notre ordre du jour porte sur un enjeu stratégique dans le contexte de compétition économique auquel nous faisons face : la politique européenne en matière de terres rares, alors que l'Union européenne est massivement dépendante de la Chine pour s'approvisionner en ce domaine.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - La commission des affaires étrangères, dont je suis membre par ailleurs, a auditionné, en mars dernier, le directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur le rôle des terres rares pour notre économie et notre sécurité. Ce sujet revient souvent dans l'actualité. J'ai souhaité, en accord avec le président de notre commission, poursuivre cette réflexion en me centrant sur l'action de l'Union européenne dans le domaine des terres rares. J'ai ainsi conduit un cycle d'auditions sur ce thème dont je souhaiterais vous rendre compte.
Les terres rares désignent un groupe de dix-sept éléments aux propriétés magnétiques, électriques et optiques exceptionnelles. Leur appellation s'explique par la complexité de leur extraction et de leur raffinage, qui résulte de leur faible concentration dans les gisements.
Les terres rares sont utilisées dans de nombreux secteurs industriels stratégiques. Elles interviennent notamment dans la fabrication d'aimants puissants, de batteries, d'appareils électroniques, de turbines d'éoliennes, de moteurs de véhicules électriques et hybrides, ainsi que dans l'armement de haute technologie et l'imagerie médicale.
L'accès aux terres rares constitue donc un défi majeur pour l'Europe afin de lui permettre de réussir sa transition énergétique et numérique. C'est pourquoi l'Union européenne a publié, le 11 avril 2024, un règlement établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. En avril 2023, nous avions adopté, sur l'initiative de nos collègues Amel Gacquerre, Daniel Gremillet et Didier Marie, une proposition de résolution européenne sur ce texte.
Ce règlement a été précédé d'un certain nombre d'initiatives de la Commission européenne, notamment l'élaboration, à partir de 2011, d'une première liste de matières premières critiques. Cette liste comprenait alors quatorze éléments ; elle en compte aujourd'hui trente-quatre. Parmi eux, dix-sept ont été identifiés, dans ce cadre, comme stratégiques, dont la famille des terres rares. Par ailleurs, des initiatives industrielles ont été lancées dans le cadre d'un plan d'action de l'Union européenne en faveur des matières premières critiques, présenté en septembre 2020, telles que l'Alliance européenne des batteries et l'Alliance sur les matières premières critiques.
Pour la première fois, l'Union européenne s'est dotée d'objectifs en termes de capacités d'extraction, de production et de recyclage des métaux et terres rares à l'horizon 2030 - c'est demain ! Ces objectifs prévoient qu'au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières critiques soient extraits sur le territoire européen ; qu'au moins 25 % de cette consommation proviennent du recyclage au sein de l'Union européenne ; et qu'au moins 40 % de cette consommation soient raffinés ou transformés dans l'Union européenne.
Enfin, l'Union européenne doit limiter à 65 % la dépendance à un seul pays tiers pour la consommation annuelle d'une même matière première à un stade de transformation donné.
Le règlement prévoit également la mise en place de travaux d'inventaire ou d'exploration ainsi que le soutien à des projets industriels stratégiques. Ces projets bénéficieront aussi de procédures d'autorisation accélérées.
Dans le cadre de sa mise en oeuvre, la Commission européenne a présenté, le 25 mars dernier, une liste de quarante-sept projets stratégiques couvrant l'extraction, le traitement et le recyclage de métaux stratégiques, dont cinq concernent spécifiquement les terres rares, répartis dans treize États membres. Neuf projets sont situés en France. Ils concernent notamment le recyclage ainsi que le raffinage des terres rares. Sont ainsi prévus la construction d'une usine de recyclage et de raffinage de terres rares à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, ainsi qu'un projet de fabrication d'aimants permanents à base de terres rares 100 % recyclées, situé à Noyarey, près de Grenoble. La France mise ainsi sur le recyclage des terres rares pour réduire sa dépendance à l'égard de la Chine.
Une seconde liste a été présentée le 4 mai 2025. Elle comprend treize projets situés en dehors de l'Union européenne, dans des pays tels que le Canada, la République démocratique du Congo et le Kazakhstan. Ces projets bénéficieront d'un financement européen de 22,5 milliards d'euros au total, et se verront attribuer le label de la Commission européenne.
Le lancement d'un nouvel appel à projets a été annoncé par le commissaire européen Stéphane Séjourné, le 25 septembre dernier, lors d'un déplacement dans la ville minière de Kiruna en Suède.
L'ensemble de ces initiatives et projets doit contribuer à réduire la dépendance de l'Union européenne et de ses États membres vis-à-vis des pays tiers, en particulier de la Chine, pour leurs besoins en terres rares et en minéraux. L'Union européenne consomme actuellement environ 10 % des terres rares dans le monde. Par ailleurs, la demande mondiale en terres rares devrait fortement augmenter d'ici à 2030 en raison de l'essor des nouvelles technologies bas-carbone et numérique.
Ce marché est actuellement dominé par la Chine, qui représente les deux tiers de la production mondiale. Plus largement, ce pays exerce un quasi-monopole sur les chaînes d'approvisionnement mondiales en matières premières critiques. Or, cette forte dépendance expose l'Europe à des risques importants de rupture d'approvisionnement, de volatilité des prix et de vulnérabilité géopolitique.
Pourtant, cette situation n'a pas toujours existé. Ainsi, jusque dans les années 1990, la France raffinait à elle seule plus de 50 % des terres rares produites dans le monde, notamment grâce à l'usine de La Rochelle.
Pour des raisons à la fois économiques et environnementales, les économies occidentales ont choisi de délocaliser l'extraction et le raffinage de ces éléments vers des pays dotés d'une réglementation environnementale moins exigeante et, surtout, d'une main-d'oeuvre bon marché. C'est ainsi que la Chine a progressivement acquis une position dominante sur le marché des terres rares et des métaux critiques.
En adoptant une stratégie offensive, la Chine est devenue le premier pays importateur et exportateur de terres rares. Elle assure aujourd'hui environ 70 % de leur production mondiale. En 2024, 46 % des importations européennes de terres rares provenaient de ce pays, 28 % de la Russie, et 20 % de la Malaisie.
En matière de raffinage et de séparation des terres rares, la dépendance est encore plus critique : la Chine contrôle entre 90 % et 95 % des capacités mondiales. J'avais déjà mis en évidence cette situation en 2018 lors de mon premier rapport sur la Chine.
Elle résulte de l'investissement massif de ce pays dans les industries de raffinage et de transformation, fondé sur un accès sécurisé à des pays tiers détenteurs de ressources, que ce soit en Afrique ou en Amérique du Sud. Force est de constater que les propriétés minières appartiennent le plus souvent à des entreprises chinoises.
En outre, la Chine représente aujourd'hui plus de 90 % de la production mondiale d'aimants, alors que, en 1998, 90 % de cette production provenait des États-Unis, de l'Union européenne et du Japon. L'Europe ne représente plus que 5 % environ de cette activité dans le monde.
La Chine exerce également un contrôle de ce marché à des fins de levier géopolitique, en imposant des restrictions à l'exportation concernant les terres rares ainsi qu'une trentaine d'autres matériaux critiques, mais aussi en conditionnant l'accès à certains matériaux critiques à l'obtention de licences. Cette stratégie lui permet à la fois de renforcer son autonomie industrielle, de favoriser ses propres filières de production à haute valeur ajoutée et d'exercer une pression politique et économique sur les pays importateurs fortement dépendants.
Par conséquent, l'Union européenne doit relever de nombreux défis pour réduire cette dépendance et développer ses propres capacités minières et industrielles. Ce pari, particulièrement audacieux, exige à mon sens une politique cohérente, volontariste et de long terme. Les auditions que j'ai menées ont, en effet, témoigné de l'extrême difficulté pour l'Union européenne et ses États membres de réduire cette dépendance à court terme, en raison d'obstacles structurels, économiques et géopolitiques.
Ainsi, pour réussir son pari et atteindre les objectifs fixés dans le règlement sur les matières premières critiques, l'Union européenne doit envisager plusieurs axes d'action.
En premier lieu, il lui revient de développer ses propres capacités industrielles dans le traitement et le recyclage des terres rares. Or depuis plusieurs décennies, la Chine occupe une position de premier plan dans la maîtrise et le développement des techniques de séparation des terres rares, qui sont particulièrement complexes et difficiles à maîtriser. Peu d'acteurs en dehors de la Chine disposent de la capacité industrielle ou du savoir-faire technique pour le faire à grande échelle, que nous avions à une certaine époque et que nous avons perdus.
La France, ainsi que d'autres pays européens, conduit actuellement plusieurs projets dans ce domaine. C'est le cas par exemple de l'usine chimique Solvay, qui développe, sur son site de La Rochelle, une activité de recyclage de terres rares destinée à la production d'aimants permanents.
Toutefois, en dépit de ces initiatives soutenues par la Commission européenne, il ressort, selon plusieurs personnes auditionnées, que ce marché du recyclage des terres rares n'est pas encore suffisamment mature. Par conséquent, atteindre l'objectif européen de couverture de 25 % des besoins par ce procédé d'ici à 2030 apparaît très difficile. Il faut savoir que seulement 1 % des terres rares sont actuellement recyclées. Leurs applications actuelles, sous forme de poudres de polissage, d'encres ou de pigments, rendent leur recyclage très difficile, voire quasi impossible. Néanmoins, avec la croissance de la demande en aimants permanents liée à la transition énergétique, ce marché apparaît prometteur pour l'avenir. Plusieurs entreprises françaises développent actuellement des technologies innovantes dans ce domaine.
Le développement d'une industrie de recyclage des terres rares ne sera pas suffisant pour couvrir les besoins de l'industrie européenne. Ainsi, l'Union européenne doit aussi développer une stratégie d'influence pour sécuriser l'accès aux terres rares et matières premières critiques, en réaction à une diplomatie minérale chinoise particulièrement offensive. Cette diplomatie s'appuie sur un très vaste réseau minier à travers le monde, qui couvre 70 % de la production mondiale. Or l'Union européenne ne possède aucune concession minière attribuée à une entreprise européenne exploitant des terres rares. Une telle politique exige, par ailleurs, des financements très importants.
La transition énergétique et numérique pourrait nécessiter moins de terres rares que prévu en raison des évolutions technologiques. Pour certaines applications, elles peuvent déjà être remplacées par d'autres métaux plus abondants et plus facilement extractibles. Nous sommes dans une logique de transition : il y a des besoins immédiats qu'on peut satisfaire avec les technologies existantes. À l'avenir, de nouvelles technologies consommeront moins, mais la bascule n'est pas encore faite.
Comme l'ont indiqué plusieurs interlocuteurs lors de leur audition, l'atteinte des objectifs fixés par l'Union européenne d'ici à 2030 n'est donc pas garantie au regard de ses hauts niveaux de dépendance. Sur cette question, la Commission européenne fait d'ailleurs preuve d'un optimisme prudent. Cette atteinte dépend, en effet, de la capacité des États membres à mettre en oeuvre leurs propres projets ainsi que des solutions alternatives.
Construire une politique dans ce domaine ne peut se faire que sur le temps long. Entre la prise de décision et les premières productions minières et transformées, il s'écoule bien souvent plus d'une dizaine d'années. Cet élément doit nécessairement être pris en compte pour atteindre les objectifs malgré toute la bonne volonté annoncée. En outre se pose la question de l'acceptabilité sociale de ces projets. Il est donc essentiel de lever les réticences liées à la relocalisation d'activités d'extraction à fort impact environnemental en Europe. L'application de la législation européenne en matière environnementale permet désormais l'exploitation de mines présentant un impact environnemental limité.
Enfin, la réalisation des objectifs nécessite des efforts financiers importants pour rivaliser avec les grandes puissances présentes sur ce marché. En l'absence de financements à la hauteur de l'enjeu, l'Union européenne risque d'accentuer son retard en matière d'investissements dans les activités minières. Seuls les fonds existants peuvent, pour l'instant, être mobilisés, étant donné qu'aucun financement européen additionnel n'est prévu pour appuyer la mise en oeuvre des projets concernant les matières premières stratégiques. Il faudrait étudier en détail ce sujet.
La question de la viabilité économique des exploitations minières dans l'Union européenne doit aussi être posée. Aucun projet minier ne peut actuellement être engagé, en France, sans le soutien de l'État, aucune entreprise n'acceptant d'en assurer le financement intégral. C'est par exemple le cas du projet de séparation des terres rares dans le parc industriel de Lacq, dont la réalisation est assurée en partenariat avec des investisseurs japonais. La rentabilité de tels projets pour un acteur privé n'est, en effet, pas garantie, notamment en raison des surcapacités chinoises et des bas prix actuels des terres rares.
En conclusion, l'Union européenne fait face à des défis majeurs sur ce sujet. Malgré des initiatives ambitieuses, la réduction de sa dépendance vis-à-vis de la Chine et le développement de ses propres capacités d'extraction et de traitement semblent difficiles à concrétiser à court et moyen terme. De tels objectifs relèvent d'une politique de long terme que nous devons soutenir.
Je voudrais également signaler l'émission de Public Sénat, Minerais stratégiques, l'eldorado français, diffusée en mai dernier, à laquelle j'ai eu le plaisir de contribuer aux côtés de notre collègue Bruno Rojouan, sensibilisé aux enjeux d'acceptabilité locale par un projet d'implantation dans son département. Cette émission met en lumière les ambitions françaises en matière d'extraction de lithium, cobalt et autres terres rares, et illustre les enjeux de souveraineté industrielle qui y sont liés.
M. Jean-François Rapin, président. - Le premier objectif de l'Union européenne est qu'au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières critiques soit extraite sur le territoire européen. S'agit-il du territoire de l'Union européenne ou du continent européen ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Il s'agit du territoire de l'Union européenne.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce rapport précis, qui arrive à un moment important, alors que les terres rares sont devenues un enjeu stratégique, sur lequel les Chinois nous ont dépassés, voire débordés. Il faut tenir bon.
Mme Marta de Cidrac. - Je souhaite revenir sur l'acceptabilité sociale. Quels sont les gisements connus dans l'Union européenne et sur le continent européen ? Souvent, lorsqu'on envisage une extraction, est soulevée la question de son impact environnemental, et donc de son acceptabilité ou non.
Dès lors que nous sommes d'importants importateurs de ces matières stratégiques, il faut s'interroger sur leur impact environnemental, comme nous le faisons pour d'autres denrées. Comment mettre dans la balance l'acceptabilité de ce qu'on pourrait extraire chez nous pour être moins dépendants, et l'impact environnemental de ces matières importées ?
M. Daniel Gremillet. - Dispose-t-on d'une cartographie du potentiel minier ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Oui. Nous avons une cartographie, même si de nouveaux gisements sont découverts.
M. Daniel Gremillet. - Pour avoir travaillé sur le sujet au sein de la commission des affaires économiques et au sein de la commission des affaires européennes, je sais que cette cartographie évolue en fonction des connaissances. Le BRGM avait perdu des moyens. Cette cartographie est-elle enrichie en fonction des connaissances du sol et du sous-sol ? Chaque année, on fait de nouvelles découvertes. Il est important de bien l'actualiser.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Elle existe et est actualisée.
M. Daniel Gremillet. - Nous sommes très en retard. Les Chinois l'ont compris depuis longtemps et ont acquis, dans le monde entier, des territoires stratégiques où se trouvent ces minerais. De quels gisements à travers le monde disposent les États membres de l'Union européenne par rapport à la Chine ?
Nous ne recyclons que 1 % des terres rares, car nous manquons de techniques et de savoir-faire. La Chine est bien plus en avance que nous. L'Union européenne prévoit-elle d'adopter des textes communautaires pour empêcher l'évasion d'une matière qu'il serait judicieux de conserver sur l'espace européen pour la recycler, même si l'on ne dispose pas encore de la technologie adéquate ? Cette matière est bien plus riche, une fois le traitement réalisé, que le minerai... Empêcher le départ de ces terres rares existantes est un enjeu stratégique.
M. Michaël Weber. - Les questions se recoupent : nous avons été interpellés à plusieurs reprises.
Président d'un parc naturel régional, j'avais en 2016 été invité par le ministre de l'économie, devenu depuis Président de la République, à débattre de l'exploitation potentielle de terres rares en France. La carte avait été présentée. Même si elle évolue, certains territoires sont particulièrement concernés. Il y avait notamment des inquiétudes pour les parcs naturels régionaux du Morvan, de l'Ariège et du Massif armoricain. Mais depuis, nous avons peu avancé, que ce soit dans le sens d'un recyclage des terres rares pour limiter la dépendance à l'égard de la Chine ou de l'exploitation au risque d'impacter les populations. Économiquement, il y a un paradoxe : on ne peut dire en permanence qu'il faut décarboner et développer les électromobilités tout en niant que nous ayons besoin de terres rares.
Le ministre de l'économie estimait que l'achat de terres rares en Chine posait un problème non seulement de dépendance, mais aussi de coût. Deux tiers de la production est en Chine, avec des coûts d'exploitation et de transport. La mainmise d'un seul pays est préoccupante.
L'État commence-t-il à définir une stratégie de potentielle exploitation de sites, avec toutes les inquiétudes - environnementales, sociales, économiques - que celle-ci peut susciter ?
Mme Christine Lavarde. - J'ai eu du mal à percevoir quelles actions concrètes la Commission européenne a mises en place pour vraiment créer cette filière, notamment pour le recyclage. Nous maîtrisons le recyclage du plastique, mais l'utilisation de la matière recyclée est actuellement plus coûteuse que celle de la matière brute, notamment en raison du faible prix du pétrole.
Certes, le problème est différent pour les terres rares, car elles sont en quantité limitée : à terme, la rareté fera le prix, et la matière recyclée aura son intérêt. Mais avant ce renversement de coûts, la Commission européenne envisage-t-elle d'obliger à l'incorporation d'un pourcentage de matière recyclée dans les produits mis sur le marché ? Pour les produits moins rares, faute d'une telle obligation, il n'y a pas de débouchés pour le recyclage.
M. Jacques Fernique. - Les objectifs européens, ambitieux, sont le résultat de la prise de conscience brutale de la crise accentuée par la guerre russe en Ukraine. Il faudra construire des politiques de transition afin de tenir une trajectoire nous conduisant, en 2030, à produire en Europe 10 % de notre consommation de matières critiques - dont des terres rares - à transformer en Europe 40 % de cette consommation, et à ce que 25 % de cette consommation soit issue du recyclage.
Lors de la préparation du rapport d'information sur le bilan de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), que j'ai rédigé avec Marta de Cidrac, les institutions européennes nous ont affirmé préparer un règlement européen sur l'économie circulaire pour 2026.
Vous évoquez l'extraction - en Alsace, nous avons du lithium, comme en Ardèche -, mais avoir 25 % de notre consommation issue du recyclage, voilà un levier important sur lequel nous avons des moyens d'agir : ces déchets existent chez nous, il faut améliorer la collecte, renforcer la traçabilité des ressources, déployer des outils industriels de recyclage effectif et assurer économiquement la compétitivité économique du recyclage. Il faut éviter de répéter l'erreur du plastique : le plastique recyclé est plus cher que le plastique vierge !
De quels dispositifs européens disposons-nous pour atteindre cet objectif de 25 % issu du recyclage en 2030, à poursuivre dans la prochaine décennie ?
M. François Bonneau. - Une partie des terres rares est extraite au Kivu, en République démocratique du Congo, et peut transiter par d'autres pays. Réussit-on à assurer leur traçabilité ? Il serait intéressant de savoir ce qui rentre sur notre territoire, même si les Chinois ont de l'avance.
Le président américain avait mis en avant le potentiel ukrainien de terres rares, affirmation remise en cause par certains spécialistes. Qu'en sait-on ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Les réponses sont souvent comprises dans vos questions : le sujet évolue en permanence.
J'avais rendu un premier rapport sur l'influence chinoise en 2018, avec Gisèle Jourda. L'Union européenne était alors inexistante sur ce sujet. En 2019, nous avons observé un certain réveil lorsque nous avons étudié plus en détail les dispositions communautaires et celles des États membres de l'Union. Tout n'est pas négatif. Nous revenons d'assez loin : il y a une réelle prise de conscience de notre degré de dépendance par rapport à la Chine dans plusieurs domaines, dont celui-là. Il y a vingt-cinq ans, on pensait que ce pays deviendrait l'usine du monde. C'est le cas, mais la Chine utilise aussi très intelligemment ses ressources et ce qu'elle nous livre.
La cartographie existe et est actualisée. Elle évolue en permanence, sur l'ensemble des pays européens. La difficulté, c'est l'acceptabilité sociale. Les dirigeants ont de bonnes raisons de penser que, même quand il existe des ressources dans certains endroits, le temps nécessaire pour faire accepter un projet d'implantation industrielle d'extraction, avec ses rejets, sa consommation d'énergie et d'eau, sera important même si les procédures sont accélérées, sans être sûr du résultat. Quelques projets sortent au compte-gouttes et de manière insuffisante par rapport aux objectifs quantitatifs et aux échéances. Mais la production avance.
En ce qui concerne le recyclage, voyez le problème des voitures électriques. L'enjeu du recyclage des batteries n'est pas nouveau. J'ai passé vingt-cinq ans de ma vie professionnelle dans le secteur automobile. On ne sait pas encore recycler sérieusement les batteries. Certes, on nous dit qu'on saura le faire un jour, et on protège et on démonte, mais on ne sait pas encore vraiment réutiliser les matériaux.
Nous importons des terres rares extraites et traitées dans des pays tiers, nous les utilisons dans des secteurs industriels stratégiques mais nous ne les stockons et ne les recyclons qu'en quantité très limitée. Il faut mettre en place une économie circulaire sur ce sujet.
L'équilibre de marché entre l'extraction de la matière première nouvelle et le recyclage des terres rares n'existe pas encore, mais sera atteint quand on sera capable de recycler suffisamment de matière, dans des conditions techniques et économiques compatibles avec un niveau de prix acceptable.
M. Jean-François Rapin, président. - Pour quelles raisons ? Est-ce un problème de manque d'avancement de la recherche ou d'implantation industrielle ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Nous n'avons pas encore de solution technique. La recherche avance, mais nous n'avons pas de solutions industrielles dans des conditions de volumes et de prix acceptables. On sait le faire dans l'éprouvette, mais pas à l'échelle industrielle. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Tant la France que l'Union européenne ont pris conscience du problème. Des décisions ont été prises, d'autres sont en cours, mais elles sont insuffisantes face à l'ampleur de la situation de dépendance où nous nous sommes laissés enfermer - en 1990, nous étions les leaders dans le raffinage des terres rares. Désormais, l'Union européenne contrôle 4 à 5 % du marché - soit presque rien -, avec des pertes de savoir-faire. Nous disposions, dans les années 1990, d'ouvriers, de techniciens et d'ingénieurs compétents, mais certains ne sont plus là. Ce n'est pas seulement un problème de technologie, mais aussi de ressources humaines et de niveau d'expertise.
Nous vous donnerons ultérieurement les informations sur les quotas d'incorporation de matières recyclées dans les nouveaux produits. Une réflexion est en cours au niveau européen.
Il y a à la fois une prise de conscience et une volonté affichée : 22 milliards d'euros, ce n'est peut-être pas assez, mais c'est quand même beaucoup d'argent pour lancer la démarche. Les premiers résultats arrivent, mais nous sommes assez loin de l'objectif.
M. Jean-François Rapin, président. - Les réponses à vos remarques seront intégrées dans la note d'actualité que nous publierons.
Mme Marta de Cidrac. - Le journaliste Guillaume Pitron me disait que l'acceptabilité était un élément fondamental pour les citoyens européens. Selon lui, malgré l'importance du recyclage, on ne pourra pas faire l'économie de l'ouverture de mines. Pour les faire accepter, il faudra mettre en balance, sur le plan environnemental, ce que coûtent les matières stratégiques importées et celles que nous produirons.
La Chine est devenue excellente en matière de plastique recyclé, au point qu'on peine à distinguer le plastique recyclé du plastique vierge. Attention à ce qu'il ne nous arrive pas la même aventure avec les matières critiques.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Vous avez totalement raison.
M. Jean-François Rapin, président. - Il faut évoquer l'acceptabilité sociale, mais surtout sociétale. Sénateur du Pas-de-Calais, je sais que refaire travailler des gens dans les mines n'est pas simple à faire accepter à la population.
La commission autorise la publication de la note d'actualité ainsi modifiée reprenant les principaux éléments de la communication.
Bilan des activités de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) depuis le deuxième trimestre 2025 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - En second point, Pascal Allizard présente le bilan des activités de la délégation française auprès de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) depuis le printemps dernier.
Soulignons la forte activité des membres des assemblées interparlementaires ces jours-ci, puisque Mme Gisèle Jourda et M. Didier Marie ont participé, au nom de l'AP-OSCE et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), à une mission d'observation électorale en Moldavie, dont ils rendront compte lors d'une prochaine réunion de la commission, et que se tient cette semaine la quatrième partie de la session plénière de l'APCE à Strasbourg qui mobilise nos collègues Claude Kern et Didier Marie, absents aujourd'hui.
M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE). - Régulièrement rendre compte des activités des assemblées parlementaires au sein desquelles nous siégeons est en effet une bonne habitude que nous avons désormais prise.
Comme indiqué lors d'une précédente communication, l'OSCE commémore cette année le cinquantenaire de l'Acte final d'Helsinki, sous présidence finlandaise, dans des conditions apaisées s'agissant de son fonctionnement, en dépit d'un contexte international particulièrement tendu et évolutif. La particularité de l'OSCE est de compter cinquante-sept États membres de l'hémisphère nord : l'Europe au sens large, à savoir le continent européen, mais aussi le Canada, les États-Unis, des pays partenaires situés au sud de la Méditerranée ou en Asie, la Russie qui demeure membre à part entière de l'Organisation, mais qui ne participe plus aux réunions, et la Turquie qui joue un rôle particulier, j'y reviendrai.
Le contexte international est celui de la relance du dialogue américano-russe, qui aurait pu offrir une occasion favorable à l'OSCE. Toutefois, il n'en a rien été. En effet, si les pourparlers avaient pu aboutir à un cessez-le-feu en Ukraine, il aurait alors fallu observer, délimiter et garantir cet accord, mettre en place un format peut-être inédit, ainsi que des modalités nouvelles et probablement différentes de celles des accords de Minsk ; tout cela relève du travail de l'OSCE et cette dernière en sera probablement chargée le jour venu. Pour le moment, nous assistons à un regain des tensions, à des attaques russes redoublées, à une résistance et à une résilience ukrainiennes renforcées - et qui forcent l'admiration -, ainsi qu'à un soutien de l'Union européenne (UE) et de l'Otan, sous la supervision intéressée des États-Unis. D'ailleurs, avez-vous entendu l'intervention du secrétaire d'État à la Défense américain devant le collège des généraux américains hier ? Même s'il s'agit d'un autre sujet, il convient de l'avoir à l'esprit, tout comme la déclaration de Donald Trump dans ce cadre.
Dans ce climat de tensions internationales sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE fonctionne et se porte plutôt bien, dans le sens où elle fait entendre sa voix. Ce constat vaut pour la session annuelle de l'AP-OSCE, qui s'est tenue à Porto, du 29 juin au 3 juillet derniers. La délégation française comptait neuf des treize membres qui la composent - les sénateurs Gisèle Jourda, Stéphane Demilly et Valérie Boyer, ainsi qu'un certain nombre de députés, la représentation étant ainsi conséquente.
Selon la méthode instaurée depuis que je préside la délégation française, nous avions préparé ce rendez-vous en amont avec l'ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OSCE et les dirigeants du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), qui suivent les activités de l'OSCE. Cela permet une bonne information réciproque, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs : les informations fournies par les ambassadeurs ou les représentants du MEAE sont toujours intéressantes, mais chaque parlementaire conserve son libre arbitre quant à ses votes au sein de l'Assemblée.
Les travaux ont commencé le 29 juin en commission permanente. Comme depuis plusieurs années, les sénateurs ont défendu la position française tendant à stopper la hausse continue du budget de l'Organisation, de 1 % à 5 % chaque année. Cette fois, nous avons été entendus, aussi n'y aura-t-il pas d'augmentation de ce budget. Nous avons aussi appelé à la mise en place d'un mécanisme de contribution volontaire, notamment pour les plus petits contributeurs. La règle en la matière a été fixée lors des débuts de l'OSCE. Or de « petits » pays, qui étaient alors considérés comme pauvres ou en voie de développement, sont devenus de riches États, et acquittent pourtant toujours la même contribution, actualisée de quelques pouillèmes. Ainsi, au hasard, l'Azerbaïdjan, qui ne peut être qualifié de pays pauvre, paie la modique somme de 2 187 euros par an, quand la France verse 409 488 euros au titre de la contribution parlementaire - partagée entre les deux assemblées selon le nombre de membres de la délégation, soit 8/13e pour l'Assemblée nationale et 5/13e pour le Sénat. Un véritable rééquilibrage doit donc être réalisé. Cette question n'est pas un détail ; si les « petits » pays acceptaient de payer ne serait-ce qu'un forfait de 10 000 ou 20 000 euros, ce qui ne les mettrait nullement en difficulté, la capacité d'action de l'OSCE s'en trouverait considérablement changée sans pour autant en faire peser la charge sur les plus grands contributeurs que sont les États-Unis, la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, comme cela a été le cas depuis quinze ans.
Un renouvellement important des instances a également eu lieu. Tout d'abord, nous avons changé de président : notre collègue sénateur socialiste espagnol, Pere Joan Pons, a été élu à la présidence pour deux ans, et succède à la Finlandaise Pia Kauma, du Parti populaire européen (PPE), arrivée au terme de son mandat non renouvelable. Le trésorier suédois est, quant à lui, resté en place. Ce dernier a compris, après avoir été fortement critiqué en raison des augmentations de budget successives, qu'il devait arrêter de procéder à ces hausses pour être réélu. Ensuite, les présidences et les vice-présidences des commissions ont également été renouvelées ; les trois commissions correspondent aux trois dimensions de la sécurité selon la matrice de l'Acte final d'Helsinki. Ainsi, la commission des affaires politiques et de la sécurité est présidée par un collègue américain, la commission des affaires économiques, de la science, de la technologie et de l'environnement, par un collègue azéri, et la commission de la démocratie, des droits de l'homme et des questions humanitaires, par un collègue arménien. Il existe des commissions ad hoc, notamment celle sur les migrations au sein de laquelle la délégation française est représentée par Valérie Boyer, ici présente.
L'essentiel du travail dans les commissions a été consacré à l'élaboration de la déclaration finale de la session annuelle. Je ne vous surprendrai pas en précisant que nos débats ont porté essentiellement sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient. La déclaration finale recommande en conséquence la reconnaissance internationale de l'État de Palestine par les États membres. La solution à deux États est la position adoptée lors de la session de Porto en juillet dernier.
Pour ma part, j'ai présenté un amendement ayant trait au multilinguisme. En effet, parmi les sources d'économies envisagées, la suppression du coût des interprètes reposant sur le principe selon lequel tout le monde devrait parler anglais est une catastrophe. En effet, s'exprimer dans sa langue maternelle permet d'apporter des nuances indispensables à nos échanges. Une assemblée internationale représentant cinquante-sept États doit respecter la culture des uns et des autres. Cet amendement a été adopté à la quasi-unanimité : tous les pays francophones l'ont naturellement soutenu et les autres pays non francophones, mais dont la langue est reconnue au sein de l'Assemblée, ont compris que sans cela, les échanges s'effectueraient à l'avenir en anglais, ce qui serait un facteur d'exclusion important.
Parmi les entretiens bilatéraux conduits en tant que représentant spécial pour les affaires méditerranéennes, ceux avec la délégation marocaine sont toujours intéressants. Dans les semaines à venir, nous avons prévu de nous déplacer dans le Sud marocain pour observer les travaux réalisés par le gouvernement marocain en matière d'immigration et d'accueil au Sahara. Ce sujet reste prégnant dans nos échanges avec les pays partenaires du Maghreb. En effet, la délégation algérienne s'oppose systématiquement à tous les pays et à toutes les délégations qui adoptent une vue semblable à celle de la France en la matière.
Des rencontres se sont également tenues avec notre consul honoraire, avec quelques universitaires, avec le président de l'alliance française locale et avec la société civile portugaise. La France au Portugal se porte en effet très bien, au point que notre ambassadrice à Lisbonne n'a pas cru bon de nous rencontrer, ce qui est tout de même assez curieux.
Au total, il s'agit d'une session annuelle assez dense.
Parmi les perspectives à venir, citons les missions d'observation électorale - je ne les détaillerai pas, puisque le président en a parlé et que nous aurons bientôt le compte rendu de la mission d'observation électorale en Moldavie.
Pour conclure, un mot sur la Turquie. Le nouveau secrétaire général de l'OSCE est un ancien ministre des affaires étrangères turc, Feridun H. Sinirlioðlu ; j'ai pu le saluer à cette occasion. Sa désignation s'est faite en accord avec la Grèce qui a obtenu une autre nomination au sein des instances de l'OSCE, ce qui démontre que se rencontrer et se parler permet parfois de réussir à s'entendre.
Quant aux enjeux de sécurité, ceux-ci ont trait à la problématique Ukraine-Russie, mais aussi au processus de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan qui reste sous surveillance, ainsi qu'aux tensions dans les Balkans occidentaux, où l'OSCE continue de jouer un rôle actif sur le terrain.
Rappelons que la dimension parlementaire de l'OSCE est essentielle pour continuer à apporter notre pierre au renforcement du cadre de sécurité en Europe dans toutes ses dimensions - prévention des crises, respect des droits de l'homme et préservation de l'État de droit, ce qui me semble d'actualité -, dans un cadre plus large que celui de l'Union européenne, déterminant pour notre avenir.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie de ce compte rendu bienvenu. J'ai côtoyé Pere Joan Pons lors des Conférences des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) ; c'est un Espagnol francophone avec lequel il est possible de dialoguer. J'en ai fait l'expérience lors de nombreuses réunions. En outre, il aime et connaît bien la France.
Mme Valérie Boyer. - Je remercie Pascal Allizard de son tableau exhaustif. En effet, je fais partie de la commission migration. À ce titre, j'ai effectué deux déplacements. Le premier, dans le nord du Maroc, s'est extrêmement bien déroulé et nous avons été reçus par les autorités marocaines. La commission était alors présidée par une socialiste allemande qui n'a pas été réélue et qui a été remplacée par une socialiste néerlandaise d'origine iranienne. Ce déplacement était très intéressant ; c'est encore plus intéressant de se rendre vers Dakhla pour observer comment les choses se passent dans le Sud marocain. Concernant le nord du pays, les Marocains sont confrontés aux mêmes problèmes que nous et recourent aux mêmes types de réponses que nous face à une immigration en provenance de l'Afrique subsaharienne. Malheureusement, nous n'avons pas pu nous rendre dans les enclaves espagnoles. Néanmoins, nous avons été reçus de façon très amicale et très chaleureuse par tous les ministres.
Dans le cadre de la commission, j'ai ensuite effectué un second déplacement à Madrid et aux Canaries. En toute franchise, la fin de ce voyage s'est mal passée, car nous n'étions pas d'accord entre nous. Autant il est toujours possible d'échanger avec des collègues aux idées différentes au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, autant cela devient bien plus compliqué sur le terrain, aux Canaries et à Madrid, lorsque l'on pose des questions lors de visites aux camps de migrants. Poser des questions directes en ces circonstances fut en effet mal perçu par nos collègues espagnols, qui ont estimé que nos questions en français aux migrants francophones étaient malvenues.
M. Pierre Cuypers. - Pourquoi ?
Mme Valérie Boyer. - Cela semblait provoquer des tensions au sein de la délégation.
J'imagine que nous avons visité les plus beaux centres. À titre personnel, j'en ai visité quatre, dont un à Madrid, paradoxalement situé dans une ancienne base militaire. Des centaines de migrants africains - que des hommes- y étaient reçus par la Croix-Rouge, accueillis par de jeunes femmes et hommes, qui s'occupaient de tout. Ils étaient tous préparés pour se rendre en France. Nos collègues espagnols soutenaient qu'ils n'iraient pas en France et qu'ils étaient ici pour travailler. Mais il était évident, étant francophones et ayant de la famille en France, que tel était bien leur projet - certains nous l'ont d'ailleurs confié.
Aux Canaries, la situation était pire encore. Nous avons visité des camps énormes, pour certains. Le terme « camp » n'est pas beau, mais les endroits où étaient accueillis les réfugiés, et notamment leurs familles, étaient réellement agréables avec des classes, des logements individuels ou des zones pour les repas. Honnêtement, peu d'écoles sont aussi jolies dans nos régions. Les Canaries ne sont pas de très grandes îles, mais elles accueillent plusieurs camps comme celui-ci.
M. Pierre Cuypers. - Qui finance les installations et leur fonctionnement ?
Mme Valérie Boyer. - L'Europe et le gouvernement espagnol. Je ne m'attendais pas à voir cela ; j'ai été très surprise et mes collègues l'ont également été. Certes, nous n'avons pas visité les autres camps.
Je n'ai obtenu aucune réponse à des questions toutes simples comme « comment êtes-vous venus ? », « combien avez-vous payé ? » ou « qu'allez-vous faire ? ». Ils voulaient évidemment, j'y insiste, tous venir en France. Les structures d'accueil sont magnifiques. Il y a des moyens pour les soigner, des médecins, des écoles pour les enfants, des appartements familiaux, des formations sont dispensées en espagnol. Les conditions matérielles ne peuvent pas être qualifiées de mauvaises dans de tels endroits où sont regroupées des personnes qui viennent illégalement. Mais cette mission était passionnante.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je remercie Pascal Allizard de ce rapport, qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de ces instances et le rôle que vous y jouez, et de défendre le plurilinguisme, comme nous l'avons fait par ailleurs dans le cadre de plusieurs rapports et de résolutions européennes.
À propos des économies réalisées au détriment de la traduction, même si ce n'est pas une bonne nouvelle pour les interprètes, il est désormais possible de traduire simultanément un discours dans toutes les langues grâce aux nouvelles technologies.
Voilà dix jours, j'ai animé deux réunions en anglais, en italien et en français ; chacun s'exprimait dans sa propre langue et ses propos étaient immédiatement traduits grâce à ces nouveaux moyens. Aussi soutenir que tous les échanges doivent s'effectuer en anglais pour des raisons économiques est un faux problème.
M. Jean-François Rapin, président. - Dans le cadre du recours à l'intelligence artificielle, la nuance manque quelquefois.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Les performances des systèmes de traduction sont impressionnantes désormais : la traduction est réalisée directement et apparaît sur un écran sans être retravaillée par un traducteur. Les progrès liés à l'intelligence artificielle sont remarquables.
M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'AP-OSCE. - Concernant la traduction, nous ne sommes pas dupes de l'argument : permettre uniquement aux parlementaires capables de parler anglais de participer aux instances aurait une résonance particulière. Le combat porte aussi sur ce point.
Pour revenir sur les propos de Valérie Boyer et sur ceux du président Rapin ayant trait au nouveau président de l'AP-OSCE, deux candidats à la présidence se sont présentés lors de la session annuelle de Porto. Le PPE avait décidé de ne pas présenter de candidat, pour la première fois depuis que je participe à l'AP-OSCE. Depuis le Brexit, les conservateurs britanniques ne siègent plus au sein du PPE, mais dans le groupe qui est aussi celui de Mme Meloni au Parlement européen. Un collègue britannique de ce groupe avait décidé d'être candidat quoi qu'il arrive. Il l'a donc été en l'absence d'un candidat issu du PPE. Persuadé d'être élu, il ne l'a toutefois pas été au profit du candidat socialiste, officiellement en raison du départ de la délégation américaine avant le vote. C'est la version politiquement correcte.
Notre collègue britannique prend des positions tout de même extrêmes. À mon sens, un nombre important de voix du groupe des libéraux-centristes, avec lequel le PPE a toujours bien travaillé - un peu comme cela se passe au sein du Sénat -, s'est reporté sur le candidat socialiste espagnol, que je connais aussi assez bien. Il est en effet francophone et francophile, car il a vécu en France, ayant réalisé une grande partie de ses études à Paris et y ayant travaillé. Au-delà de la langue, le dialogue avec lui est extrêmement facile.
Cela dit, sur les migrations, deux conceptions s'affrontent : celle du gouvernement espagnol actuel, qui repose notamment sur l'accueil et la formation, et celle qui prône la fermeture des frontières. Nous avons le même débat chez nous. La conception des socialistes espagnols au pouvoir se traduit dans leur politique migratoire. Je confirme, malheureusement, les propos de Valérie Boyer, pour ce qui concerne la difficulté d'échanger sur ces sujets lorsque l'on n'a pas la même vision des choses. Cela n'est toutefois pas nouveau. Voilà quelques années, j'ai été vice-président de cette commission, alors qu'une collègue belge d'origine marocaine la présidait. Il s'agissait alors d'accueillir tout le monde et de laisser tout faire ; il était impossible de s'y opposer.
À mon sens, nous ne sommes pas de dangereux extrémistes, mais appeler à un peu de modération est un discours impossible à tenir. Il est difficile d'échanger sur ce sujet clivant avec une partie de nos collègues, mais nous devrons tout de même l'aborder.
M. Jean-François Rapin, président. - Par conséquent, je vous invite à assister à l'audition du directeur des affaires européennes et internationales à l'administration centrale du ministère de l'intérieur la semaine prochaine.
La réunion est close à 14 h 45.