Mardi 14 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 18 h 05.

Rapport au parlement sur les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je remercie d'abord M. Pierre Moscovici d'avoir accepté notre invitation, à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur l'organisation, le coût et l'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Ce rapport était demandé à la Cour par l'article 20 de la loi du 19 mai 2023, disposition introduite sur l'initiative de notre commission de la culture, sous l'impulsion de son rapporteur Claude Kern. Le rapport de la Cour des comptes vient, par conséquent, compléter le suivi parlementaire attentif que nous avons exercé tout au long de la préparation des Jeux, notamment dans le cadre des auditions réalisées régulièrement par Claude Kern et Jean-Jacques Lozach.

Ces Jeux ont constitué une réussite historique : une réussite sportive, bien sûr, mais aussi une réussite pour l'image de la France et son rayonnement.

Dans son rapport, la Cour des comptes souligne des points forts majeurs : si les dépenses d'organisation ont été élevées - 3 milliards d'euros environ, dont une part significative consacrée à la sécurité -, elles sont restées globalement maîtrisées ; les infrastructures ont été livrées dans les délais ; enfin, l'organisation logistique et la coordination ont été efficaces. Le rapport met aussi en avant l'apport du programme « Ambition Bleue » à la performance de l'équipe de France. La France a ainsi globalement démontré sa capacité à organiser un événement mondial sans défaillance majeure.

Le rapport souligne toutefois aussi des points faibles, notamment une traçabilité incomplète des coûts et un impact économique modeste, probablement non durable. Le bilan environnemental de l'événement est interrogé, de même que son bilan pour la pratique sportive. Enfin, l'héritage paraît limité sur le plan social, s'agissant de l'accessibilité ou de la valorisation du bénévolat. Vous nous préciserez ces points.

Ce bilan d'ensemble était indispensable. Il sera complété en 2026 par la Cour, au terme d'études encore en cours. Mais, au-delà du bilan, ce rapport doit nous permettre de mieux préparer les Jeux d'hiver de 2030. Nous serons particulièrement attentifs à vos propos à ce sujet. Ce retour d'expérience est d'autant plus précieux que les délais d'organisation de l'olympiade d'hiver française sont courts.

Je remercie la présidente Muriel Jourda et le président Claude Raynal de leur présence aujourd'hui et je leur laisse maintenant la parole pour compléter cette introduction.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Je voudrais tout d'abord m'associer aux remerciements du président Lafon ; votre présence aujourd'hui vous permettra de nous présenter, non pas votre dernier rapport, mais bien vos quatre derniers rapports sur le bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La commission des lois en a pris connaissance avec un intérêt tout particulier.

Comme vous et comme la plupart des commissions du Sénat, nous avons eu à débattre à de nombreuses reprises de l'organisation et du bilan des Jeux de 2024. Cela a notamment été le cas lors de l'examen de la loi du 19 mai 2023, dont le rapporteur était Agnès Canayer. Nous avons également fait un usage approfondi de nos prérogatives de contrôle, en amont comme en aval des Jeux. Agnès Canayer et Marie-Pierre de La Gontrie ont ainsi rendu un rapport d'étape transpartisan sur la sécurisation des événements cent jours avant la cérémonie d'ouverture. Enfin, Marie-Pierre de La Gontrie et Françoise Dumont ont, en février 2025, rendu un nouveau rapport d'information évaluant deux aspects précis de la sécurisation des Jeux : l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique et la mobilisation du secteur de la sécurité privée. Nous avons donc été loin d'être inactifs en la matière !

Je crois que nous pouvons nous satisfaire de la convergence générale de nos conclusions. Si je m'en tiens au périmètre de compétence de la commission des lois, la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques a été dans l'ensemble un grand succès, malgré les doutes qui ont pu poindre en amont de l'événement. Le titre du rapport de Mmes Canayer et de La Gontrie appelait à « gagner la médaille d'or de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques ». Cette mission a été accomplie, grâce à un engagement sans faille des services de l'État et des collectivités impliquées, que je tiens ici à saluer. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne disposions pas de marges d'améliorations - j'y reviendrai.

Nous avons pris connaissance de vos conclusions avec un intérêt particulier parce que les cérémonies de clôture parisiennes de l'été 2024 sont loin d'avoir sonné la fin de l'histoire olympique en France. Nous accueillerons dès 2030 les Jeux d'hiver dans les Alpes françaises et, là encore, la commission des lois et le Sénat se sont déjà emparés du sujet. Notre assemblée a examiné en juin le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 qui comprend, sur le modèle parisien, une série d'adaptations temporaires de notre cadre légal nécessaires à la bonne organisation des épreuves olympiques. Il prévoit par ailleurs plusieurs dispositifs inédits et permanents, en particulier s'agissant de la sécurisation des grands événements. Le rapporteur de ce texte pour notre commission est Jean-Michel Arnaud, dont le département - les Hautes-Alpes - est concerné au premier chef par l'organisation de cet événement d'ampleur mondiale.

Les conclusions de vos travaux sont donc précieuses. Elles pourront utilement contribuer aux débats dans la suite de la navette, le calendrier de celle-ci restant toutefois à définir.

Ce tour d'horizon étant fait, je souhaite vous poser trois questions d'ordre général. Je ne doute pas que les rapporteurs que j'ai nommés viendront ensuite vous interroger.

Dans votre rapport thématique sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, vous identifiez plusieurs enseignements à retenir pour l'avenir. Vous citez par exemple certaines difficultés au démarrage rencontrées par la préfecture de police pour gérer l'afflux massif de renforts sur la période estivale, une faible intégration des polices municipales dans le dispositif, ou encore des déficits capacitaires pour la lutte anti-drone ou la détection d'explosifs. Pourriez-vous nous exposer en détail ces différents points ?

Sur les Jeux de 2030 ensuite, nous avons approuvé cet été plusieurs adaptations temporaires de notre cadre légal pour assurer leur bon déroulement. Avez-vous identifié au cours de vos travaux d'autres points de blocage qu'il serait nécessaire de lever pour garantir notre capacité à tenir les délais d'organisation de cet événement d'autant plus complexe qu'il est éclaté dans deux régions hôtes et quatre départements des Alpes françaises ? Je pense notamment à la question délicate de l'application des règles d'urbanisme vis-à-vis de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) ?

Vous êtes ensuite directement concerné par deux articles du projet de loi, les articles 8 et 8 bis. Le premier consacre votre compétence pour contrôler les personnes morales publiques comme privées concourant à l'organisation des Jeux tandis que le second prévoit la remise d'un rapport d'évaluation à l'issue des Jeux. Pourriez-vous, dans la mesure du possible, nous détailler la place que vous comptez accorder aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 dans votre programme de contrôle ?

Je vous remercie par avance et je cède la parole à mon collègue président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - En tant que président de la commission des finances, je dirais que les jeux Olympiques et Paralympiques doivent avant tout être regardés sous l'angle du sport, des performances et des valeurs du sport. Pour que cet événement soit réussi, il était impératif d'assurer la sécurité des sportifs et du public. Évidemment, tout cela devait être permis dans le respect des finances publiques et de l'enveloppe prévue. La Cour des comptes a évalué le coût total des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à 6,65 milliards d'euros. Si ce chiffre peut paraître important, vous prenez soin de préciser qu'il reste mesuré par rapport à d'autres éditions des Jeux - ceux de Londres auraient coûté 14,6 milliards en euros courants, bien qu'il soit toujours difficile de faire des comparaisons directes entre ce type d'événements.

Vous indiquez par ailleurs que le dépassement des coûts par rapport aux prévisions est resté mesuré. Le budget du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) est d'ailleurs en excédent de 75,5 millions d'euros, ce qui écarte tout scénario de mobilisation de la garantie de l'État. Je m'en réjouis, la commission des finances ayant alerté à plusieurs reprises sur ce risque.

Reste tout de même que les dépenses de sécurité ont dépassé de plus d'un milliard d'euros le montant annoncé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, passant ainsi de 200 millions d'euros à près de 1,5 milliard d'euros pour le budget de l'État ! Et votre rapport souligne qu'aucune véritable analyse des coûts n'avait en réalité été menée avant l'adoption de la loi de finances, ce qui est regrettable et avait déjà été mis en lumière par notre collègue Bruno Belin lors de la présentation de son rapport sur la mission « Sécurités » du budget pour 2025.

Je voudrais également saluer le rapporteur de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », Éric Jeansannetas qui, tous les ans à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, nous a présenté l'avancée du projet. Monsieur le Premier président, je vous donne la parole pour que vous puissiez nous présenter vos travaux particulièrement riches.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Merci de m'avoir convié pour vous faire part des principales conclusions de nos rapports relatifs au premier bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ces travaux répondent à une commande du Parlement, inscrite, sur l'initiative du Sénat, dans la loi du 19 mai 2023, selon laquelle la Cour devait remettre au Parlement, avant le 1er octobre 2025, un rapport sur l'organisation, le coût, l'héritage des Jeux, sur les dépenses engagées par l'État et les collectivités territoriales à cette occasion, sur les recettes engendrées et sur les exonérations fiscales dont a bénéficié l'organisateur des Jeux. Il nous a aussi été demandé d'établir un bilan du recours aux bénévoles et une évaluation de la qualité de l'accueil des sportifs et des spectateurs en situation de handicap.

Avant de vous présenter nos principales conclusions, je rappelle notre méthode, qui a consisté à conduire des contrôles in itinere, c'est-à-dire tout au long de la préparation des Jeux. Depuis 2019, la Cour des comptes agit aux côtés des chambres régionales des comptes d'Île-de-France et de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Du fait de la participation de nombreuses collectivités locales à l'organisation des Jeux, il n'était pas concevable que la Cour ne recoure pas aux chambres régionales.

Entre 2020 et 2023, le Sénat a réalisé un travail impressionnant, mais la Cour, de son côté, a fait un très gros investissement, puisque les juridictions financières ont conduit 17 contrôles, avec deux rapports transmis au Parlement, déjà, en 2022 et 2023, conformément aux dispositions de la loi olympique du 26 mars 2018. Ces rapports ont abouti à une centaine de recommandations, dont une très large part a été mise en oeuvre par les services de l'État, les collectivités territoriales concernées, le Cojop et la Solideo. On peut toujours se demander à quoi servent les rapports. En l'occurrence, ce travail a été très utile parce qu'il a permis d'identifier en amont un certain nombre de fragilités et d'y remédier, ce qui a sans doute contribué au succès des Jeux. Envisager un tel dispositif pour les Jeux d'hiver de 2030 est une bonne chose. Le projet de loi prévoit la remise d'un rapport au Parlement en 2028, ce qui veut dire qu'en réalité, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se mettront au travail dès 2026.

Je tiens à souligner l'importance de ce travail d'accompagnement, qui prend d'autant plus de sens dans un contexte où l'impact de l'organisation de grands événements sportifs internationaux sur nos finances publiques peut faire débat.

Je veux remercier les équipes de la Cour des comptes. Ce travail collectif, animé par le président de la troisième chambre, Nacer Meddah, nous a énormément mobilisés et a passionné les équipes.

J'en viens au bilan des Jeux. La Cour a déjà produit, le 23 juin dernier, une première estimation du montant des dépenses publiques liées aux Jeux. Je m'étais, en effet, engagé à la faire connaître rapidement aux Français. Après tout, ce sont eux qui s'acquittent de ce coût. Il fallait commencer ce travail méthodologique de recensement des dépenses et contribuer au débat public. Cette fois-ci, les chiffres sont consolidés. Les juridictions financières se sont très fortement mobilisées. Ce travail se nourrit de trois autres rapports publiés le même jour, le 29 septembre, sur les transports et les mobilités durant les Jeux, sur la sécurité et sur la Solideo. Au-delà de ces rapports, les chambres régionales des comptes ont engagé pas moins de 15 contrôles auprès des principales collectivités territoriales concernées par les Jeux, soit 15 rapports de plus, qui devraient être publiés en novembre. Nous n'en restons pas là, puisque la Cour est en train d'achever un rapport relatif au Cojop, qui sera publié début 2026. Un second rapport de bilan sera enfin publié au premier semestre 2026 afin de mettre à jour les constats et d'examiner plus en détail la question de l'héritage, sur laquelle il nous faut attendre sans doute quelques mois. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'au-delà même de ce rapport, nous abordions l'héritage des Jeux via le contrôle des collectivités territoriales concernées, dans les années à venir. Vous le voyez, la Cour a fourni, fournit et fournira un très gros travail sur cet événement.

J'en viens maintenant aux principaux messages du rapport, qui dresse un premier bilan de l'organisation des Jeux, mais qui en tire aussi des recommandations pour l'avenir. Il peut paraître paradoxal de formuler de telles recommandations alors que les Jeux de 2024 sont derrière nous, mais les Jeux d'hiver 2030 se profilent déjà à l'horizon. Les Jeux parisiens constituent une exceptionnelle réserve d'expérience sur laquelle il faudra s'appuyer. Nos constats et recommandations pourront servir à l'organisation d'autres grands événements sportifs internationaux dans notre pays.

Notre premier message est celui de l'incontestable réussite des Jeux au regard des objectifs des organisateurs. Les Jeux ont témoigné, bien au-delà de nos frontières, du savoir-faire français en matière d'organisation de grands événements sportifs. Les installations et les équipements ont été livrés sans retard. Les compétitions se sont déroulées de façon très satisfaisante. Les infrastructures ont été à la hauteur du défi. Le déploiement massif de forces de l'ordre a permis d'éviter tout incident. C'est un succès collectif qui a fait incontestablement rayonner notre pays dans le monde entier. Jusqu'à cinq milliards de téléspectateurs ont suivi l'événement : c'est un record. Pour notre pays aussi, les Jeux ont été une source de fierté, d'engouement populaire. Ils ont démontré nos capacités à mener à bien un projet d'envergure internationale : quand nous voulons, nous pouvons. Ils ont aussi été un beau succès pour le sport de haut niveau français. Enfin, les avancées sont notables sur les aspects sociaux de durabilité et d'accessibilité que la candidature de Paris avait mis en avant. Ayant dit cela, je pourrais presque m'arrêter, mais j'apporterai ensuite précisions et nuances.

Notre deuxième message concerne les dépenses publiques et le bilan économique des Jeux : une forte mobilisation des finances publiques ; une absence de dérapage malgré des erreurs de prévision notables ; un impact économique encore modeste à ce stade.

Le premier point concerne la forte mobilisation des finances publiques. Nous parvenons à un montant total de 6,6 milliards d'euros, composé de 3 milliards d'euros pour les dépenses d'organisation et de 3,6 milliards d'euros pour les dépenses d'infrastructures. La note d'étape de juin mentionnait 2,8 milliards d'euros et 3,2 milliards d'euros. Nous avons dû actualiser les montants en prenant en compte les dépenses des collectivités territoriales. Ces deux catégories de dépenses - organisation et infrastructures - sont très différentes. Les premières ont un impact ponctuel, lié au déroulement des Jeux, alors que les secondes ont un effet durable, en venant accroître le patrimoine de la Nation. Elles sont un investissement pérenne. Ces montants ont été revus à la hausse pour tenir compte des dépenses des collectivités identifiées depuis juin par les chambres régionales des comptes, mais aussi d'une première estimation du coût des actions engagées pour assurer la baignabilité de la Seine. Dans notre note de juin, nous avions provisoirement décidé de ne comptabiliser aucune des dépenses du plan baignade. En effet, il était alors très difficile, méthodologiquement, de faire la distinction entre les dépenses imputables à l'événement et celles qui correspondaient à la mise en conformité de notre pays avec deux directives européennes sur la qualité de l'eau. Un montant d'environ 200 millions d'euros, sur le milliard d'euros de dépenses engagées dans le cadre du plan baignade, avait été identifié. Il s'agissait des travaux réalisés en vue des Jeux ainsi que des coûts d'accélération liés. L'instruction complémentaire conduite auprès de la Ville de Paris par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France permet de porter ce montant, toujours provisoire, à 331 millions d'euros.

Face à ces dépenses, les recettes publiques générées par l'organisation des Jeux s'élèvent à 294 millions d'euros. Elles sont composées de 83 millions d'euros de recettes de TVA perçues sur les activités du Cojop et de 196 millions d'euros issus de l'activité des services publics mobilisés pour les Jeux, c'est-à-dire Île-de-France Mobilités et France Télévisions. En réponse à l'interrogation du Parlement sur la fiscalité dérogatoire portant sur les revenus générés par les grands événements sportifs, nous évaluons les dépenses fiscales à 250 millions d'euros pour les Jeux. Toutefois, ce n'est qu'une estimation, faute de chiffrage établi par l'administration, malgré une demande de la Cour de 2021. Je réitère fermement cette demande : l'administration doit procéder sans délai à une évaluation des dépenses et recettes fiscales engendrées par les Jeux. Il n'est pas normal d'attendre cinq ans pour connaître ce chiffre, et encore, approximativement.

Ces estimations ont été réalisées selon la même méthodologie que dans la note d'étape, c'est-à-dire une approche élargie des dépenses liées aux Jeux. Ont été comptées les dépenses contribuant à la réussite des Jeux, sans qu'elles conditionnent strictement leur tenue. La Cour a aussi considéré qu'il fallait intégrer les actions des pouvoirs publics au bénéfice des populations dans une logique d'héritage, notamment les opérations d'aménagement urbain autour du village olympique et du village des médias. Je sais que cette approche n'a pas toujours été admise par nos interlocuteurs, qui voulaient absolument vendre la thèse selon laquelle les Jeux finançaient les Jeux. Non, les Jeux ne financent pas les Jeux : ces opérations ne sont pas totalement autoportées, ce n'est pas anormal de le dire et je ne vois pas pourquoi on s'obstine à vouloir imposer cette lecture. Notre méthodologie est rigoureuse et totalement justifiée. Elle répond d'abord à la commande du Parlement. Elle est cohérente avec le dossier de candidature. Elle répond au souhait exprimé par le Comité international olympique (CIO) d'un héritage. Il faut un bilan global des coûts : c'est aussi simple que cela.

Ensuite, il est nécessaire de distinguer le bilan du Cojop de celui des Jeux. Dans sa réponse, M. Estanguet critiquait vivement la Cour, mais en réalité, il se concentrait sur le Cojop, association chargée par le CIO de livrer les compétitions sportives. Ses financements étaient pour l'essentiel d'ordre privé, principalement issus du CIO, du mécénat et de la vente de billets. L'État n'a apporté au Cojop que 6 % de ses ressources, essentiellement pour financer les jeux Paralympiques. Honnêtement, la gestion du Cojop a été un beau succès, qui s'est traduit par un résultat excédentaire de 76 millions d'euros, grâce à la réussite de la billetterie et des levées de fonds. Cette somme a vocation à financer des actions contribuant au développement du sport et libère l'État de tout risque d'appel de sa garantie. Mais les dépenses du Cojop ne représentent qu'une portion réduite des dépenses réalisées à l'occasion des Jeux. Il a fallu que l'État, les collectivités et les entreprises publiques se mobilisent massivement, pour la sécurité en dehors des sites, à hauteur de 1,4 milliard d'euros, ou pour les transports, qui ont coûté 570 millions d'euros au titre de l'organisation des Jeux. En vérité, les dépenses d'organisation n'ont jamais été couvertes par les recettes résultant des Jeux, ni à Paris, ni à Londres, ni à Athènes.

Les dépenses d'infrastructures, que nous estimons à 3,6 milliards d'euros, généreront dans l'avenir des flux économiques et dégageront des externalités positives. C'est du patrimoine utile. Elles produiront aussi, pour les acteurs publics, des recettes ou des dépenses d'entretien par exemple. Ces flux-là ne sont pas évaluables à date. Il sera utile d'y revenir dans quelques années dans le cadre des contrôles futurs de ces infrastructures.

Le deuxième point est l'absence de dérapage ou de dérive budgétaire. Nous estimons que le coût des Jeux a été contenu, malgré la forte mobilisation des finances publiques. Les Jeux de Paris ont été environ deux fois moins coûteux que les Jeux de Londres. Évidemment, ce n'était pas tout à fait les mêmes Jeux, puisque ceux de Paris ont été installés au centre de la ville dans des infrastructures déjà existantes alors que ceux de Londres ont créé une nouvelle partie de la ville. Les dépenses d'infrastructures supervisées par la Solideo ont été globalement conformes aux prévisions, ce qui est plutôt une réussite. Il en va de même pour les investissements dans les transports. Il faut toutefois noter les mesures salariales significatives accordées par les opérateurs de transport pour assurer la mobilisation de leurs équipes.

Le bilan diffère sur un point : la sécurité. Le coût, élevé, a longtemps été sous-estimé. Les dépenses en la matière ont atteint 1,7 milliard d'euros, en raison de choix politiques. Organiser des Jeux au coeur de Paris, ville la plus dense d'Europe, imposait la présence massive des forces de sécurité. L'État est aussi intervenu avec vigueur et succès pour structurer le secteur de la sécurité privée afin d'éviter toute défaillance qui, comme à Londres, aurait nécessité une sorte de substitution par les forces de l'ordre et les militaires. L'État s'est fixé des objectifs et s'est donné les moyens de les atteindre. Ce n'est pas une dérive des coûts, mais une absence de prévision qu'il faut souligner. Le ministère de l'intérieur et le ministère des armées n'avaient tout simplement pas établi de prévision du coût de la sécurité et comptaient sur un hypothétique remboursement a posteriori. En 2023, le ministère de l'intérieur communiquait sur un coût de 200 millions d'euros, puis a évoqué 500 millions. Finalement, ce coût s'élève à 1,7 milliard d'euros. Si les montants en dépenses ne sont pas en soi excessifs au regard des objectifs, la Cour considère qu'il est anormal de ne pas anticiper le coût d'un tel événement. Cette leçon doit valoir pour l'avenir.

Outre cette prévision initiale défaillante, les dépenses de sécurité ont été marquées par une politique indemnitaire très avantageuse. Les dépenses de personnel ont atteint 679 millions d'euros. Le ministère de l'intérieur a dérogé à la circulaire du Premier ministre et a offert une prime plus favorable à ses agents, avec des conditions d'attribution très larges. Au total, un gardien de la paix a bénéficié en moyenne d'une hausse de son salaire de 10 % en 2024 par rapport à 2023. Ceci a d'ailleurs entraîné des effets reconventionnels sur d'autres administrations pour 30 millions d'euros. À l'avenir, dans de telles circonstances, une approche plus coordonnée et plus maîtrisée des politiques de primes mériterait d'être assurée au sein de la sphère publique. Il y a donc incontestablement des marges d'amélioration dans la perspective des Jeux de 2030.

Le troisième point est le bilan économique des Jeux. Leur impact sur l'économie française a été limité à court terme. D'une part, l'effet des dépenses publiques d'infrastructures engagées pendant la phase de préparation des Jeux a été atténué par la hausse des prix. D'autre part, l'effet direct sur le PIB a été réduit par des effets d'éviction, notamment en matière de tourisme. Ainsi, l'impact des Jeux sur la croissance économique annuelle en 2024 a été estimé par la Cour à + 0,07 point de PIB, donc moins de 0,1 point de PIB. Ce n'est pas anormal : l'année des Jeux est généralement mauvaise pour le tourisme, mais ce secteur connaît ensuite un rattrapage. L'année 2025 a sans doute été bonne - on attend le bilan. C'est encore difficile à anticiper. Dans les années à venir, il sera utile d'évaluer les flux économiques, les externalités positives, mais aussi les dépenses d'entretien générées par les 3,6 milliards d'euros de dépenses d'infrastructures.

Le troisième message que nous adressons, dont il faudra sans doute tenir compte pour les jeux Olympiques et Paralympiques d'hiver de 2030, concerne la gouvernance de ces Jeux de Paris 2024. Celle-ci s'est révélée adaptée à leur préparation : la Cour souligne le succès des actions de coordination pilotées par l'État, dans le respect des attributions des multiples acteurs concernés et sans bouleversement institutionnel.

Cela n'était pas gagné d'avance. Par exemple, la maîtrise d'ouvrage des infrastructures pérennes était répartie entre trente-trois maîtres d'ouvrage, mais elle a été assurée sous la seule supervision de la Solideo. Cette dernière est parvenue - c'est un exploit - à faire travailler ces différents maîtres d'ouvrage de manière assez fluide, à faire respecter les délais et les enveloppes budgétaires. Par ailleurs, le délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (Dijop) s'est acquitté efficacement de sa mission. De la même façon, le comité stratégique des mobilités a joué un rôle décisif dans le pilotage du volet « transports ».

De nombreux retours d'expérience ont nourri une démarche que je qualifierai de « relativement pragmatique ». Les différents acteurs de cette gouvernance se sont ainsi efforcés de tirer les leçons des événements sportifs les plus récents et des tests simulant le déroulement des épreuves olympiques. Il ne faut pas non plus oublier le rôle des contrôles in itinere des inspections ministérielles et de la Cour des comptes.

Enfin, au niveau du Cojop et de la Solideo, le rôle des différents comités - audit, éthique, rémunérations - a été positif. Cela s'explique par l'expérience et les compétences de leurs membres, ainsi que par l'indépendance de ces instances.

Voilà autant de points forts concernant la gouvernance des Jeux de 2024, laquelle constitue bien évidemment un capital d'expériences utiles, même si un tel modèle ne saurait être répliqué intégralement dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, qui seront des Jeux assurément différents.

À cet égard, plusieurs enjeux se dégagent d'ores et déjà nettement.

Sur un plan financier, l'enjeu tient tout d'abord à la participation publique au budget du Cojop et de la Solideo : 462 millions d'euros d'argent public sont d'ores et déjà prévus, soit un montant supérieur à celui prévu pour les Jeux de Paris - le financement public s'élevait à 224 millions d'euros. La question porte aussi sur la garantie apportée par l'État au Cojop. Je sais que le Sénat n'a pas voté la disposition figurant à l'article 5 du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, qui autorise les deux régions hôtes de ces Jeux, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, à accorder une garantie financière au déficit du Cojop, d'un montant ne pouvant excéder le quart de ce déficit. Nous verrons ce qu'il adviendra de cette mesure au cours de la navette parlementaire.

Ajoutons que la carte des sites de compétition n'est pas encore arrêtée. Il y a notamment ce fameux match entre Val d'Isère et Méribel au sujet duquel je ne donnerai naturellement pas mon avis, mais qui laisse craindre des surcoûts mal anticipés. La Cour sera également attentive à la budgétisation des dépenses de sécurité, qui a été défaillante en 2024. Ce volet financier impliquera, vous vous en doutez, un suivi tout particulier.

La gouvernance est l'un des autres enjeux fondamentaux en vue de Jeux d'hiver de 2030. Il faudra tenir compte d'un contexte institutionnel très différent de celui de Paris. Le paysage institutionnel est en effet beaucoup plus morcelé : deux régions ; des petites communes de montagne qui ne disposent pas toujours de l'ingénierie nécessaire pour réaliser les ouvrages ; un panel d'acteurs plus complexe que pour les Jeux de 2024 ; enfin, un certain éparpillement géographique. Un tel environnement implique une coopération plus étroite qu'elle ne l'a été lors des Jeux de Paris.

Vous le déduisez facilement : les contrôles seront utiles, tant le sujet des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 n'est pas simple.

Le quatrième message de notre rapport porte sur l'organisation des Jeux.

Nos recommandations portent évidemment sur les comités d'éthique, d'audit et de rémunérations, les conseils d'administration du Cojop et de la Solideo, et visent toutes à faire respecter leur indépendance. Nous recommandons notamment de limiter le nombre d'instances de coordination durant la phase préparatoire, afin d'éviter tout risque de « comitologie ».

Sur ce volet « organisation » des Jeux de 2024, le bilan est globalement satisfaisant. Plusieurs points notables peuvent être relevés.

Le premier tient à ce que le Cojop, qui était chargé de la livraison de l'événement, ait eu recours à un modèle novateur reposant sur une démarche d'externalisation : plutôt que de le faire de manière directe, comme c'était le cas lors de précédentes éditions, le comité a confié la gestion de certains sites à leurs exploitants habituels ou à des entreprises événementielles. Le Cojop estime que cette gestion déléguée a permis de réduire considérablement sa charge de travail dans la phase terminale de préparation des Jeux, tout en offrant un niveau de service équivalent à celui qui a été pratiqué sur les sites gérés en interne. Il s'agit d'une modalité alternative intéressante pour de futurs grands événements sportifs, à deux réserves près : d'une part, elle n'a pas fait l'objet d'une comparaison financière globale de la part du Cojop ; d'autre part, je ne suis pas certain qu'une telle gestion puisse être répliquée partout et en toutes circonstances, tout simplement parce qu'elle suppose l'existence d'une filière événementielle locale, ce qui était évidemment le cas pour les Jeux de Paris, mais ce qui ne le sera pas forcément pour les Jeux d'hiver de 2030.

Ma deuxième remarque porte sur les bénévoles. Leur contribution a été essentielle à l'organisation des Jeux. Le recours au bénévolat a été massif, et une charte du volontariat olympique et paralympique a encadré cette mobilisation. Les bénévoles ont pu bénéficier de deux dispositifs de reconnaissance de leur engagement. Il est toutefois regrettable qu'il n'existe pas de stratégie nationale pour faire fructifier les contributions de ces bénévoles, qui ont été près de 50 000 au total.

Autre point à souligner, les Jeux ont donné lieu à des actions concrètes en matière d'accessibilité, d'équipement, de signalétique, de formation des opérateurs de transports, d'assistance et d'accueil. L'aménagement des infrastructures de transports s'est accéléré : 56 gares franciliennes et 21 stations de métro ont ainsi fait l'objet de travaux d'accessibilité. Cela étant, il faut le reconnaître, l'ambition est restée mesurée au regard des défis qui se posent au quotidien.

Toujours en termes d'organisation, le bilan social des Jeux s'avère très positif, notamment pour ce qui est des conditions de travail sur les chantiers : aucun accident mortel n'est survenu sur les chantiers des ouvrages qui étaient sous la supervision de la Solideo, ce qui, pour des chantiers de cette ampleur, est à souligner. Il en va de même des objectifs d'insertion, de l'accès au marché des TPE et des structures de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les différentes parties prenantes se sont dotées de divers outils, tels que la charte sociale Paris 2024 ou la charte en faveur de l'emploi et du développement territorial, et ont conclu des partenariats en faveur de l'ESS.

En revanche, le bilan des objectifs fixés pour assurer la durabilité des Jeux est plus délicat à dresser. L'ambition exprimée dans le cadre de la candidature de Paris était très claire : parmi la quarantaine d'engagements en matière d'environnement pris alors, nombre d'entre eux ont évolué, ce qui rend leur suivi peu lisible. De ce fait, les résultats des évaluations publiés doivent être nuancés. Quelques enseignements peuvent toutefois être tirés : d'abord, l'importance des choix initiaux, qui limitaient fortement le nombre de constructions ; ensuite, les efforts importants menés sur les chantiers et les ouvrages pour réduire leur empreinte carbone ; enfin, l'impact majeur du transport des spectateurs accrédités. Dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, notre rapport préconise de confier à un comité d'experts indépendant le suivi du respect des engagements environnementaux.

J'en viens maintenant au cinquième et dernier message consacré à l'héritage des Jeux de Paris 2024. Cet héritage multiple présente des aspects positifs, mais il devra être évalué dans la durée.

Le concept d'héritage englobe tous les bénéfices matériels et immatériels à long terme permis ou précipités par la tenue des Jeux. Il constituait un axe fort de la candidature de Paris 2024. Il a été décliné dans le cadre d'une multitude de stratégies, afin de maximiser les retombées positives pour la société. Cet héritage est à l'origine de divers programmes, mais des incertitudes subsistent quant au financement et à la pérennité de ceux-ci, alors que le Cojop est en phase de liquidation et qu'ils ont été transférés à l'Agence nationale du sport (ANS).

L'héritage méthodologique des Jeux s'est révélé particulièrement riche. Je pense notamment à la supervision exercée par la Solideo, laquelle a permis la livraison des ouvrages dans les délais impartis. Dans le domaine de la sécurité, les Jeux ont été l'occasion de nombreuses expérimentations et ont permis de tirer de multiples enseignements, avec notamment une planification en amont de l'action qui a été incontestablement un facteur de succès. Dans l'ensemble, l'État a privilégié la mobilisation des outils existants, une méthode qui a contribué à ce que l'on fasse des économies budgétaires, qui a permis de constater la résilience et la pertinence de l'organisation française en matière de sécurité.

Dans le domaine des transports, la culture partagée de la gestion dynamique des flux pourrait opportunément être réinvestie dans une politique de mobilité du quotidien.

Sur le plan matériel, les Jeux de Paris 2024 ont été perçus comme un catalyseur de la politique d'aménagement urbain d'un département, la Seine-Saint-Denis. Toutefois, l'impact d'ensemble de ces Jeux sur l'urbanisme francilien ne se mesurera qu'à moyen terme. Concernant les équipements sportifs, leur niveau d'appropriation par les usagers ne pourra être évalué que progressivement. J'alerte sur le coût que représentera leur gestion à l'avenir, quelles qu'en soient les modalités, et sur la nécessité de trouver le modèle économique adapté à chacun d'entre eux. Ce point doit faire l'objet de toute notre attention, notamment au regard de la situation financière des collectivités territoriales - je pense là encore plus particulièrement au département de la Seine-Saint-Denis.

Par ailleurs, sept premiers sites de baignade dans la Seine et dans la Marne ont été ouverts durant l'été 2025, avec l'objectif, à terme, d'en ouvrir trente-deux. Si l'on continue d'enregistrer une progression du nombre d'ouvertures de ces sites, malgré des incertitudes subsistant sur la qualité de l'eau après de forts épisodes de pluie, l'ampleur des investissements à réaliser pour mener ces chantiers doit nous conduire à une certaine prudence quant à l'appréciation de l'héritage des Jeux dans ce domaine.

Permettez-moi de conclure sur l'héritage sportif des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La Cour estime que la stratégie de haute performance portée par l'ANS a porté ses fruits en permettant à la France d'atteindre ses objectifs, notamment en termes de médailles d'or. Notre rapport souligne que l'inscription de la stratégie dans la durée doit s'appuyer sur une consolidation des facteurs de réussite, notamment le ciblage des moyens, l'amélioration de l'accompagnement de la jeune génération et le développement du secteur paralympique. Concernant le développement des pratiques sportives, la pérennisation de nombreuses mesures demeure à confirmer. Il est encore trop tôt pour en dresser un bilan définitif.

En matière d'héritage, notre rapport recommande d'anticiper au maximum les conditions de transfert des différents programmes en désignant les structures légataires et en définissant des calendriers de bascule. Nous reviendrons sur cette question de l'héritage des Jeux de Paris 2024 au cours du premier semestre 2026.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, voici les principaux constats, les principales recommandations de la Cour concernant l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La Cour des comptes, tout comme les chambres régionales des comptes, a été au rendez-vous du contrôle et du suivi du chantier des Jeux de Paris, et ce depuis leur lancement. Nous le serons à nouveau, une fois le projet de loi idoine adopté, pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Monsieur le Premier président, je vous remercie de la précision de vos propos.

J'ai plus particulièrement noté que, d'une part, vous aviez reconnu qu'il n'y avait pas eu de dérapage budgétaire à l'occasion de ces Jeux de Paris 2024 et que, d'autre part, vous aviez salué le bilan social des Jeux. À ce sujet, permettez-moi de témoigner de la qualité de la relation que nous avons nouée avec Nicolas Ferrand et les équipes de Solideo, dont le grand professionnalisme a certainement pleinement contribué à ce qu'il n'y ait ni dérive budgétaire inconsidérée ni problèmes majeurs sur les chantiers.

Vous avez conclu votre propos en dressant un bilan globalement positif des Jeux de Paris - les ouvrages ont en effet été livrés dans les temps, et les Jeux se sont déroulés dans de très bonnes conditions, avec un accueil du public et des sportifs des plus appréciables. À cet égard, et sans esprit de polémique, je souhaiterais cependant revenir sur les remarques que vous a adressées le président du Cojop, Tony Estanguet, lequel a reproché à la Cour des comptes, depuis sa note d'étape de juin dernier, d'avoir retenu dans son calcul des dépenses annexes, voire d'opportunité, qui ne sont pas strictement nécessaires à l'organisation des Jeux, comme la construction d'écoles, le prolongement de la ligne 14 du métro, l'enfouissement des lignes à haute tension ou les surcoûts des chantiers de rénovation du Grand Palais. Ma question est donc simple : considérez-vous que ces remarques sont pertinentes ?

Ma deuxième question est également très simple : quels enseignements peut-on tirer des Jeux de Paris 2024 en vue de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 ?

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». - Comme vous le savez, monsieur le Premier président, la commission des lois s'est beaucoup impliquée sur le sujet de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique pendant les Jeux de Paris 2024.

À la lecture du rapport de la Cour des comptes, je constate que les bilans opérationnels que nous tirons de cette expérimentation sont tout à fait similaires, à savoir des bilans mitigés qui varient notamment en fonction des cas d'usage. De fait, les conditions de mise en oeuvre de l'expérimentation ne permettaient pas nécessairement d'en déployer tout le potentiel. Notre commission a donc plaidé pour prolonger cette expérimentation, mais selon des modalités aménagées selon quatre axes : il faut selon nous prévoir la possibilité d'utiliser le dispositif en dehors des grands événements sportifs et culturels ; il faut également autoriser certains agents communaux, qui ne seraient pas policiers municipaux, à accéder aux signalements dans des conditions strictement encadrées ; il convient aussi de favoriser une autonomie accrue des services utilisateurs pour le choix et le calibrage des solutions technologiques ; enfin, il est souhaitable de renforcer l'indépendance du comité d'évaluation.

Ces aménagements, qui ont été pour partie introduits dans le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, sur l'initiative de notre rapporteur Jean-Michel Arnaud, vous semblent-ils de nature à combler les lacunes de l'expérimentation ?

Tout comme la commission des lois dans un rapport qu'elle a rendu en février dernier, vous dressez un bilan plutôt élogieux de la participation de la sécurité privée aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Si la filière a incontestablement gagné en maturité, il serait illusoire de penser que son essor est achevé. Je rappelle que le déficit d'agents de sécurité privée s'élèverait à 20 000 personnes, selon les estimations du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Quels leviers identifiez-vous, dans le sillage des Jeux de Paris, pour répondre à ce problème d'attractivité ?

M. Claude Kern, rapporteur pour avis pour la commission de la culture du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. - Monsieur le Premier président, en préambule, permettez-moi de vous remercier d'avoir respecté le délai que nous vous avions fixé pour la remise de ce rapport au Parlement.

Je voudrais revenir sur le dernier point que vous avez évoqué, l'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Malgré une stratégie visant à développer une nation sportive, la Cour souligne que la pérennisation de l'héritage sportif reste incertaine, notamment faute de garanties sur le financement des programmes et d'évaluation de leur impact réel. Quelles recommandations la Cour pourrait-elle formuler afin de garantir que l'héritage sportif des jeux Olympiques et Paralympiques profite effectivement au développement durable de la pratique sportive pour tous, notamment chez les jeunes et sur l'ensemble du territoire, dans un contexte budgétaire contraint ?

La Cour constate également qu'un modèle innovant d'externalisation partielle de la livraison des sites et des compétitions a été utilisé. Toutefois, vous regrettez l'absence d'analyse comparative entre externalisation et gestion internalisée, ce qui limiterait la possibilité d'en évaluer la pertinence. Quelle est votre appréciation de l'intérêt ou des limites d'un tel dispositif dans l'organisation des grands événements sportifs à venir ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis pour la commission de la culture du programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Monsieur le Premier président, comment expliquez-vous la réaction des organisateurs des Jeux de 2024 à vos annonces sur le coût de ces Jeux pour la collectivité ?

Le rapport de la Cour précise que le coût global des Jeux de Paris 2024 - 3 milliards d'euros pour ce qui concerne leur organisation, et 3,63 milliards d'euros pour les infrastructures - traduit un effort financier considérable, mais contenu au regard des précédentes olympiades, et notamment des Jeux de Londres en 2012 - les Jeux de Paris ont ainsi été deux fois moins coûteux. Pourriez-vous revenir sur les principaux facteurs - mutualisation, externalisation de certaines fonctions, modération des ambitions initiales - ayant permis cette relative maîtrise des coûts ?

Dans les statuts du Cojop, il est prévu que 60 % de l'excédent dégagé serve à financer des actions contribuant au développement du sport en France. Une part de cet excédent a ainsi été affectée à la réinstallation de la vasque olympique. Pourriez-vous nous fournir des détails sur l'utilisation du boni ? L'estimez-vous pertinente ? Que préconisez-vous en matière de transparence, de contrôle et d'affectation de cet excédent, afin que nous nous assurions que cet héritage olympique profite effectivement à tous ?

Par ailleurs, la Cour des comptes relève que l'impact économique des Jeux sur la croissance française est limité - + 0,07 point de PIB en 2024 -, et doit être considéré avec prudence au vu des nombreuses incertitudes pesant sur notre économie. Comment améliorer la méthode d'évaluation des retombées économiques de ce type d'événement, à la fois sur le fond et sur la méthode ? Recommanderiez-vous la mise en place d'un comité d'experts indépendant, comme vous le préconisez pour le suivi du respect des engagements environnementaux ?

Enfin, la Cour formule un certain nombre de recommandations en matière de gouvernance et de coordination des différentes instances. Estimez-vous que le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, que le Sénat a examiné en juin dernier, est suffisamment complet dans ce domaine ? Faudrait-il apporter davantage de garanties en termes de transparence et d'éthique ?

M. Pierre Moscovici. - Messieurs les sénateurs Jeansannetas et Lozach, vous m'interrogez sur la réaction « épidermique » des organisateurs des Jeux de Paris 2024, notamment de Tony Estanguet, à la suite de la publication, en juin 2025, de la note d'étape de la Cour sur l'impact financier de cet événement. À vrai dire, je ne l'ai pas bien comprise, et je pense aujourd'hui que nous ne parlions pas tout à fait de la même chose : le Cojop a adopté un point de vue qui lui est propre, c'est-à-dire celui d'une instance financée presque en totalité par de l'argent privé, quand la Cour des comptes, elle, a répondu à votre commande, mesdames, messieurs les parlementaires, en estimant le coût global de ces Jeux de Paris, sans imputation erronée, et en tenant compte de ce qui était envisagé au moment de la candidature et des critères du CIO. En somme, la Cour n'a fait que son métier...

Peut-être la note d'étape s'est-elle heurtée à la volonté de certains de faire croire que les Jeux pouvaient financer les Jeux. J'en suis désolé, mais cette assertion est fausse. Cela ne signifie pas pour autant que le bilan du Cojop soit négatif - la preuve en est qu'il dégage un excédent. Peut-être aussi a-t-on voulu minimiser le coût des Jeux pour en faciliter l'acceptation sociale, dans un contexte où nos finances publiques sont au coeur des débats, et ce alors même que ce coût n'est pas excessif, je l'ai dit, par rapport à de précédentes éditions.

J'estime pour ma part que l'incident est clos. La Cour des comptes est une institution connue des Français, reconnue, qui fait référence : en définitive, c'est notre estimation qui s'impose, car elle est juste et exhaustive.

Monsieur le sénateur Jeansannetas, pour ce qui est des enseignements à tirer des Jeux de Paris 2024 en vue des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, je ne peux que vous renvoyer aux recommandations que comporte notre rapport. Il ne m'appartient pas, monsieur le sénateur Lozach, puisque vous me questionnez sur le texte relatif à l'organisation des JOP de 2030, de commenter les projets de loi dont est saisie votre Haute Assemblée. Je ne me permettrai pas de me mettre à la place du législateur. Je dirai simplement qu'il ne serait pas inutile de s'inspirer de nos recommandations, notamment en matière d'indépendance des comités d'éthique, d'audit et de rémunérations. En vérité, plus encore que les textes de loi, c'est la mise en oeuvre des Jeux qui importe, d'autant que les Jeux de Paris et les Jeux d'hiver de 2030 sont de natures totalement différentes.

Madame la sénatrice Dumont, la Cour s'est en effet intéressée à ce que l'on appelle parfois la « vidéosurveillance augmentée ». Le recours à cet outil relève d'un choix politique qu'il ne nous appartient absolument pas de commenter, d'autant que tous ces instruments sont autorisés par la loi. Nous avons simplement constaté que les dispositifs de vidéosurveillance ont été déployés sous le contrôle étroit du juge, saisi à de nombreuses reprises, ainsi que de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). En la matière, le bilan est mitigé, parce qu'il nous a semblé que les jeux Olympiques de 2024 n'étaient pas l'événement le plus adapté à une telle expérimentation. Nous n'en tirons pas pour autant de conclusion générale et vous renvoyons vers notre rapport sur la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques, ainsi que vers le rapport du comité d'évaluation sur l'expérimentation de la vidéosurveillance « intelligente », présidé par Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État.

Pour ce qui concerne la sécurité privée, la Cour des comptes revendique d'avoir joué un rôle de lanceur d'alerte : l'un de nos rapports préalables indiquait que nous étions loin du compte dans ce domaine à l'approche des Jeux. On a pu observer une montée en puissance bienvenue des dispositifs grâce à l'implication très forte des pouvoirs publics. La formation, responsabilité essentielle du ministère de l'intérieur, est bien sûr au coeur des enjeux, et les remarques que vous avez faites sur la structuration générale de la filière me semblent parfaitement valables.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'héritage immatériel des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Cet héritage s'évalue sur le temps long, et le rapport que nous avons remis au Parlement ne constitue bien entendu qu'une première étape de cette appréciation.

Dans sa composante immatérielle, les travaux de la Cour ont souligné le legs essentiel des Jeux dans de nombreux domaines : la sécurité ; la gouvernance des pouvoirs publics ; l'insertion professionnelle.

J'évoquerai pour ma part trois héritages emblématiques. D'abord, la Cour a évalué les nombreux dispositifs mis en oeuvre à l'occasion des Jeux de 2024 pour promouvoir l'activité physique et sportive. L'ambition de changer la place du sport dans la société a profité à de nombreux publics, notamment les jeunes. Les clubs sportifs ont également bénéficié de cet élan. Néanmoins se pose aujourd'hui la question de l'inscription de cet effort dans la durée : quid du budget du ministère des sports dans le prochain projet de loi de finances ? Un deuxième héritage fondateur de cette olympiade est l'inclusion des personnes en situation de handicap, avec une visibilité inédite offerte aux sportifs paralympiques. Enfin, il faut saluer la mise en oeuvre d'un programme de haute performance sportive qui a contribué à la réussite des athlètes français en valorisant le modèle sportif national.

Vous avez été plusieurs à m'interroger sur le recours à l'externalisation. Pour les Jeux d'hiver, il faudra y regarder de près, examiner site par site les bénéfices d'une telle démarche. Pour l'instant, les données dont nous disposons en matière de gestion externalisée reposent essentiellement sur l'appréciation du Cojop lui-même, qui estime que cela lui a permis de mieux gérer - et sans surcoût - certains événements qu'il ne l'aurait fait en interne. Il faudra expertiser ce point ultérieurement pour nous en assurer. J'ajoute, s'agissant des Jeux d'hiver, qu'il conviendra de veiller, si l'on recourt à une gestion externalisée, à ce qu'il y ait une filière événementielle suffisamment armée pour répondre à l'ensemble des défis. À Paris, c'était une certitude ; l'est-ce aussi dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur ?

Monsieur le sénateur Lozach, le boni de 75 millions d'euros du Cojop a été reversé dans un fonds de dotation placé sous l'égide du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Ce boni fera l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes en 2026 : il s'agira de nous assurer de sa bonne utilisation. Autre point, vous suggérez d'améliorer l'évaluation des retombées économiques des Jeux par la mise en place d'un comité d'experts indépendant : cette proposition, même si elle ne figure pas dans notre rapport, mériterait d'être discutée. La Cour propose en effet la mise en place d'un tel comité pour l'appréciation du bilan ou de l'héritage des JOP en termes de développement durable ; nous pourrions donc envisager une telle formule pour l'évaluation de leur héritage économique.

M. Michel Canévet. - Concernant les rémunérations, la Cour a-t-elle observé d'éventuels dérapages qui appelleraient un recadrage dans la perspective des prochains jeux Olympiques et Paralympiques ?

Pour la bonne tenue de cette Olympiade, il a été fait appel à des lois d'exception. Quels enseignements pourrait-on tirer de la mise en oeuvre de ces lois d'exception en vue d'encourager notre économie et de stimuler la croissance ?

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. - Monsieur le Premier président, vous avez rappelé à juste titre que la gouvernance des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 serait, au vu de la nature même des territoires concernés, forcément différente de celle des Jeux de Paris. Compte tenu de l'héritage laissé par les jeux de 2024, mais aussi de l'éclatement géographique des territoires qui accueilleront les prochains Jeux d'hiver en France - quatre départements et deux régions sont concernés, et les différents sites sont significativement éloignés -, quelles recommandations feriez-vous pour parvenir à la gouvernance la plus opérationnelle possible ?

Vous avez aussi évoqué l'adoption en première lecture par le Sénat, le 24 juin dernier, du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Vous avez notamment mentionné la suppression de l'article 5 que, à ce stade, le Sénat n'a pas souhaité adopter, dans l'attente de prévisions plus précises sur ce que pourrait être le coût global de ces Jeux. Disposeriez-vous aujourd'hui d'outils méthodologiques permettant d'obtenir une estimation fiable et consolidée du coût de ces Jeux d'hiver ? Si c'est le cas, quelle est-elle ? Sinon, que faire pour éclairer la représentation nationale sur ce point, et ce afin de ne pas exposer les collectivités à un risque mal évalué et à une mesure qui les contraindrait à couvrir une partie du déficit probable de ces Jeux de 2030 ?

Mme Mathilde Ollivier. - Monsieur le Premier président, vous estimez que les objectifs des Jeux de Paris 2024 en matière de sobriété environnementale ont été globalement respectés, tout en déplorant le manque d'indicateurs post-Jeux. Vous soulignez notamment la difficulté qu'il y a à déterminer si les objectifs de durabilité ont été atteints, ce qui vous amène à proposer la mise en place d'un comité d'experts indépendant pour les prochains Jeux. La durabilité et l'adaptation des territoires au changement climatique, notamment au travers des émissions de CO2, de la biodiversité et du recyclage des sites, seront l'un des principaux enjeux des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Dans cette perspective, en quoi un tel comité d'experts indépendant serait-il davantage approprié ? Quelles ont été les limites de la gouvernance des Jeux de 2024 sur ce volet spécifique ?

La Cour des comptes note également que l'héritage réel des Jeux de Paris 2024, qu'il s'agisse de la pratique sportive ou de la cohésion sociale, ne peut être évalué que sur le long terme. Quel dispositif de suivi recommandez-vous pour garantir dans la durée une évaluation rigoureuse et transparente de cet héritage ? Vous avez affirmé que vous aviez un certain nombre d'indicateurs vous permettant d'estimer l'impact des Jeux de 2024 dans le domaine de la haute performance. De quels indicateurs disposons-nous pour ce qui est de la pratique sportive et de la promotion du sport ?

Mme Laurence Harribey. - Monsieur le Premier président, vous avez souligné le faible impact économique des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Votre évaluation prend-elle en compte la dimension territoriale de la question ? Dans les territoires, on a assisté au développement de nombreux projets, qui n'étaient pourtant pas directement liés à l'organisation des Jeux : je pense aux centres d'entraînement, aux dispositifs d'accueil des équipes, etc.

Ma question n'est pas anodine : vos propos laissent entendre que l'organisation de grands événements sportifs n'est pas forcément un facteur d'attractivité pour les territoires, alors même qu'aujourd'hui de nombreuses collectivités locales expriment le souhait de s'engager dans cette voie. Quelle méthodologie nous permettrait, selon vous, d'avoir une idée plus précise de la question et d'éviter ce qui pourrait finalement se révéler être un miroir aux alouettes ?

Vous appelez par ailleurs à la mise en place d'un dispositif d'encadrement et de valorisation des bénévoles. Ma question à ce sujet est simple : le recours à un nombre toujours plus élevé de bénévoles ou de volontaires dans le cadre de grands événements sportifs ne fait-il pas courir un risque juridique inconsidéré à leur organisateur, en particulier au regard de la jurisprudence européenne actuelle ?

M. Hervé Reynaud. - L'un des quatre rapports remis par la Cour des comptes porte sur la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Ce dernier fait notamment état d'une intégration relativement faible des polices municipales. Or, ici, au Sénat, nous sommes très attachés à ces polices locales, car nous nous préoccupons sérieusement du continuum de sécurité dans les territoires. Pourriez-vous revenir sur les raisons qui ont conduit à cet engagement restreint des polices municipales dans le cadre des Jeux ?

Seriez-vous par ailleurs favorable à ce que les préfets puissent placer temporairement des policiers municipaux sous leur autorité dans la perspective de la tenue de grands événements ? Quelle articulation entre préfets et maires faudrait-il imaginer pour que la sécurité continue d'être garantie dans les territoires ? En cas de mobilisation exceptionnelle de policiers municipaux à l'occasion des prochains Jeux, à combien évaluez-vous la compensation financière qu'il faudrait verser aux communes ?

M. David Ros. Monsieur le Premier président, pensez-vous que certaines infrastructures d'entraînement ou certaines pratiques qui se sont développées lors des Jeux de 2024 pourraient faire l'objet d'une reprise par les collectivités locales ? Un tel savoir-faire représente certes une dépense, mais il contribue aussi à stimuler notre économie.

Ma seconde question porte sur les pratiquants et notre ambition de bâtir une nation sportive. Est-il prévu de mener une étude sur le lien entre pratique sportive et santé ? Si un tel lien était clairement établi, cela encouragerait les dépenses en faveur du développement du sport. Ce « sport par ordonnance » aboutirait à des économies substantielles, dans le domaine de la santé notamment.

M. Pierre Moscovici. - Monsieur le sénateur Canévet, nous n'avons pas constaté de dérives au niveau des rémunérations pour ce qui concerne la Solideo. Quant au Cojop, il est trop tôt pour se prononcer : l'instruction de ce dossier est en cours. Par ailleurs, je ne m'exprimerai pas sur la question des lois d'exception, car cela ne relève manifestement pas des compétences de la Cour des comptes.

Monsieur le sénateur Arnaud, vous m'interrogez sur nos propositions en matière de gouvernance en vue des Jeux d'hiver de 2030. Si je devais tirer une seule leçon des Jeux de Paris 2024, c'est l'efficacité d'une coordination interministérielle forte autour du Dijop. Ces dernières semaines, j'ai eu l'occasion de présenter, au nom de la Cour, un autre rapport relatant ce que l'on pourrait appeler une success story, celui sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Dans ce cas comme dans celui des Jeux de 2024, on constate l'importance d'une coordination poussée et de la présence d'une administration de mission, dédiée à l'événement, qui gère le dossier de bout en bout. Cela n'a pas valeur de modèle universel, mais c'est, me semble-t-il, une voie à suivre pour organiser efficacement de grands événements ou pour mener à bien de grands chantiers.

Par ailleurs, pour répondre très directement à votre seconde question, je ne dispose d'aucun élément nouveau pour évaluer plus précisément le coût des prochains jeux Olympiques d'hiver en France, ne serait-ce que parce que les contrôles de la Cour sur les Jeux ne commenceront que l'an prochain. J'ose espérer que ces données vous seront communiquées dans le cadre de la navette parlementaire, afin que vous puissiez émettre un avis éclairé. Sur ce point, disons-le tout de même, mon intuition est que les Jeux d'hiver sont relativement - j'insiste sur ce terme - plus coûteux pour les finances publiques que les Jeux d'été. Leur organisation, leur gouvernance, leur sécurité, bref l'ensemble des paramètres seront beaucoup plus complexes à traiter dans le cadre d'une gestion birégionale, d'autant que beaucoup de petites communes y seront associées. Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur ni d'un a priori de ma part, mais je pense que ce sera sans doute assez « sportif » ! La vigilance devra donc être de mise : il conviendra de mettre en place tous les dispositifs permettant d'apprécier les choses dans le détail et, le cas échéant, de tirer la sonnette d'alarme.

Madame la sénatrice Ollivier, la Cour des comptes n'est pas juge des performances environnementales de la Solideo ou du Cojop. Ce que nous avons constaté, c'est une très forte ambition en matière environnementale, d'ailleurs assumée dès la candidature, l'importance des efforts fournis par tous les acteurs, ainsi que certains résultats mis en exergue par le Dijop, le ministère chargé de l'environnement, ou encore la Solideo, à commencer par la réduction de 47 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux Jeux de Londres. Nous avons également noté un certain nombre d'autres avancées comme l'utilisation de bornes électriques, la réduction de la pollution bactériologique de la Seine ou de l'usage du plastique lors des événements sportifs.

Cette dimension environnementale doit s'apprécier sur le long terme. Nous ne disposons pas de toutes les données nécessaires pour dresser un bilan précis. La Cour relève qu'un grand nombre d'engagements, parfois imprécis, ont été pris au stade de la candidature, et que les plans d'action qui ont été définis et mis en oeuvre ensuite par les différents acteurs ont évolué avant d'être finalement évalués par les acteurs eux-mêmes. C'est pourquoi nous proposons la création d'un comité d'experts indépendant, qui devrait pouvoir porter un regard plus neutre et objectif sur cette question.

Pour ce qui est de la haute performance sportive, nous actualiserons notre analyse à l'occasion du contrôle du Comité national olympique et sportif français en 2026.

Quant à l'impact économique des Jeux, madame la sénatrice, c'est vrai qu'il est modeste, puisqu'il est estimé à 0,07 point de PIB. Cela étant, il faut distinguer croissance et attractivité pour les territoires, un concept qui englobe aussi les externalités positives produites au niveau local. À cet égard, je trouve que la piste d'une approche multifactorielle, suggérée par Jean-Jacques Lozach, mérite d'être explorée. Le PIB n'est peut-être pas le seul indicateur utile pour chiffrer les retombées économiques d'un tel événement : il convient de prendre en considération des externalités que la Cour ne sait pas évaluer aujourd'hui, faute de disposer des instruments adéquats. J'ajoute que l'impact en termes de PIB est certes faible en 2024, mais que cela ne signifie pas pour autant qu'il le demeurera pour 2025. Quoi qu'il en soit, les retombées économiques de ce type d'événement sont par définition incertaines à court et moyen termes, parce qu'il est délicat d'en mesurer l'effet-image et parce que les effets positifs sur le tourisme sont généralement jugés comme non significatifs dans les pays qui sont parmi les principales destinations mondiales.

Madame la sénatrice Harribey, les infrastructures construites ou rénovées pour les Jeux ont bien vocation à être réutilisées après la fin des compétitions. S'agissant du bénévolat, un certain nombre de travaux ont été menés en amont des Jeux pour valoriser l'expérience des bénévoles du Cojop : je pense à la création d'un badge numérique « J'ai fait les Jeux », téléchargé par 25 235 bénévoles, qui peut être intégré par la suite au passeport de compétences sur un compte personnel de formation (CPF). Près de 18 000 bénévoles s'étaient engagés dans cette démarche fin 2024. En ce qui concerne les collectivités territoriales, certaines d'entre elles nous ont informés qu'elles avaient mis en place des actions de valorisation de type fourniture d'un passeport de l'association France Bénévolat.

Les Jeux ont mobilisé massivement les bénévoles, via les programmes du Cojop - 41 189 personnes - et ceux des collectivités territoriales - 5 188 bénévoles. À cela s'ajoute une charte du volontariat olympique et paralympique, certes non contraignante, qui a été élaborée sous l'égide du Dijop. Nous regrettons cependant, je l'ai dit, qu'aucune stratégie nationale de valorisation du bénévolat olympique n'ait été prévue. Dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, la Cour recommande naturellement une telle stratégie.

J'en viens aux polices municipales. Le rapport sur la sécurité montre que l'intégration des polices municipales au continuum de sécurité est imparfaite : conditions d'utilisation trop contraignantes ; trop d'interlocuteurs ; une autonomie opérationnelle insuffisante.

Le ministère de l'intérieur et les municipalités doivent en tirer les conséquences afin de mieux associer les polices municipales, éventuellement sous la double autorité du préfet et du maire. Surtout, il faut une meilleure intégration opérationnelle. Il nous semble que le modèle qui pourrait prévaloir en la matière est celui des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). C'est en tout cas notre recommandation.

Enfin, je terminerai sur le calendrier de reconversion des villages olympiques et paralympiques en quartiers de bureaux et d'habitations. En somme, c'est la question de l'héritage urbain des jeux.

Celui-ci devra se mesurer dans la durée. La Cour souligne qu'au-delà du calendrier de la reconversion des logements des villages en appartements ou en bureaux, opération qui relève de promoteurs immobiliers, il faudra attendre l'installation de nouveaux habitants, d'entreprises, et l'ouverture de services publics de nature à répondre à ces nouveaux besoins pour évaluer plus finement l'impact urbain des jeux. C'est d'ailleurs en 2034 que l'Institut Paris Région rendra ses conclusions définitives sur le sujet.

Pour ce qui nous concerne, nous tirons de premiers constats, mais il faudra sans doute aller plus loin. Le premier est relatif à la commercialisation des logements, qui est en cours. Les premiers habitants du village olympique arriveront à la fin de l'année 2025. Le deuxième constat porte sur le rythme de cette commercialisation, qui est très hétérogène. Selon les sites, l'évolution heurtée du marché immobilier, notamment de bureaux, a ainsi pu produire un effet haussier sur le prix de vente des logements. L'impact, notamment sur la Seine-Saint-Denis, devra être évalué dans la durée pour voir si les formidables annonces qui ont été faites se transformeront réellement en espèces sonnantes et trébuchantes et en réalisations concrètes.

Le troisième constat porte sur les équipements publics qui ont été construits dans ces quartiers : les informations requises par la Cour auprès de la Solideo sont plutôt rassurantes, ce qui nous amène à conclure que les calendriers seront tenus. Néanmoins, là encore, la vigilance reste de mise et la mission de supervision assurée par l'établissement public doit selon nous se poursuivre jusqu'à la livraison de ces programmes, qui sont une partie fondamentale de l'héritage des jeux.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ce bilan est important. Pour la crédibilité de ces grands événements sportifs, il est essentiel de savoir combien ils coûtent et quels apports nous pouvons en attendre. Le travail de la Cour des comptes est aussi utile dans le cadre du dialogue que nous aurons avec le CIO pour les jeux Olympiques d'hiver de 2030. Monsieur le Premier président, au nom de tous mes collègues, je vous remercie.

La réunion est close à 19h30.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 15 octobre 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Proposition de loi relative aux formations en santé - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport de Sonia de La Provôté sur la proposition de loi n° 868 (2024-2025) relative aux formations en santé.

Je vous précise que ce texte, renvoyé à la commission des affaires sociales, sera discuté en séance publique à compter du lundi 20 octobre prochain.

Nous allons prendre connaissance avec beaucoup d'intérêt, ma chère collègue, de votre analyse et de vos propositions sur ce texte. Après votre intervention liminaire, j'ouvrirai bien entendu la discussion générale en donnant d'abord la parole à un représentant par groupe. Nous examinerons ensuite l'amendement proposé par notre rapporteure.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, c'est le troisième rapport que je vous présente en cinq ans sur l'accès aux études de santé, preuve de l'intérêt que notre commission porte à ce sujet.

En 2021, vous m'aviez confié une mission d'information « flash » pour évaluer la première année de mise en oeuvre de la réforme du parcours d'accès spécifique santé (Pass) et de la licence « accès santé » (LAS). Les remontées du terrain faisaient état de nombreux dysfonctionnements et d'un profond désarroi des étudiants et de leurs familles face à un système difficilement compréhensible et peu transparent. J'étais arrivée à la conclusion qu'en dépit d'objectifs pertinents, la réforme avait été insuffisamment préparée, trop vite appliquée et mal pilotée par le ministère de l'enseignement supérieur. Celui-ci s'est d'ailleurs appuyé sur notre rapport pour prendre, quelques semaines plus tard, des mesures exceptionnelles en faveur des étudiants ayant essuyé les plâtres de cette première année particulièrement chaotique, et mettre en oeuvre certains correctifs en matière de pilotage.

Comme nous nous y étions engagés, notre travail de contrôle s'est poursuivi en 2022. Au terme de cette seconde mission « flash », j'ai dressé le constat d'une meilleure appropriation générale de la réforme, dont la deuxième année de mise en oeuvre s'est déroulée dans un climat plus apaisé. J'ai néanmoins pointé la persistance de trop nombreuses difficultés, notamment la très grande hétérogénéité de son déploiement selon les universités.

Deux ans plus tard, en 2024, la Cour des comptes, saisie par nos collègues de la commission des affaires sociales, a procédé à son tour à une évaluation de la réforme, qui a confirmé le diagnostic de notre commission. « Pilotage insuffisant » ; « déploiement hétérogène » ; « défaut d'appropriation » ; « illisibilité du dispositif » ; « inadéquation des moyens financiers » : tels sont les principaux constats de la Cour.

Au-delà de ce diagnostic partagé, cette évaluation de la réforme Pass-LAS apporte un éclairage supplémentaire très intéressant sur son bilan au regard des objectifs qui ont présidé à son élaboration. Je vous le résume brièvement, car il permet de comprendre la genèse de la proposition de loi dont nous nous sommes saisis pour avis.

La réussite des étudiants, entendue comme leur capacité à progresser dans leurs cursus et à intégrer en un an les filières de médecine, de maïeutique, d'odontologie et de pharmacie (MMOP), s'est globalement améliorée, mais de façon trop limitée. Deux ans après leur année d'accès santé, 63 % des étudiants ont « perdu » une année d'étude, contre 79 % avant la réforme. Cette progression cache cependant d'importantes différences entre les taux d'accès en MMOP selon la voie choisie - les étudiants de Pass sont beaucoup plus nombreux à réussir que ceux de LAS -, le modèle retenu par l'université - les universités sans composante santé présentent des taux d'accès très faibles - et le choix des disciplines « hors santé » suivies. En outre, la réforme n'a pas permis d'enrayer le départ d'étudiants français vers d'autres pays européens pour entreprendre des études de santé.

Quant à la diversification tant attendue des profils des étudiants admis en MMOP, objectif « mal spécifié et peu précis » selon la Cour, elle ne s'est pas produite. Sur les plans académique et social, la diversification est très peu perceptible. Sur le plan géographique, l'évolution est légèrement plus visible du fait de l'ouverture de LAS dans de petites universités, accessibles à des populations rurales et plus défavorisées ; les chances d'accès en MMOP y sont cependant très faibles.

Au final, ce bilan très mitigé peine à justifier le coût organisationnel, humain et financier d'une réforme dont nous avions, dès 2019, identifié les défauts de conception.

Voilà qui nous amène à cette initiative législative de notre collègue Corinne Imbert et de plusieurs de ses collègues de la commission des affaires sociales.

Je précise d'emblée que ce texte ne traite pas seulement de l'accès aux études de santé ; il aborde également l'organisation territoriale du troisième cycle de médecine au regard des besoins de santé identifiés. Compte tenu de l'antériorité de notre commission sur la question de l'accès aux études de santé, l'avis que je vous propose de porter sur ce texte se concentre principalement sur les dispositions relatives au premier cycle.

Sur cet aspect, la proposition de loi part du constat, aujourd'hui largement partagé, que le maintien en l'état du dispositif Pass-LAS n'est ni viable ni souhaitable. Le scénario d'évolution proposé est très proche de celui que la Cour des comptes recommande. Il repose sur la création d'une voie unique d'accès aux études de santé, qui n'est pas pour autant un retour à l'ancienne première année commune aux études de santé (Paces).

En effet, la voie unique proposée prend la forme d'une première année de licence donnant accès, d'un côté, aux filières santé, de l'autre, à une deuxième année de licence. Cette voie unique conserve donc le principe de progression dans les études - souvent qualifié de « marche en avant » - qui garde toute sa pertinence.

La proposition de loi prévoit également que cette première année comporte une majorité d'enseignements en santé. Cette part majoritaire, qui figure aussi dans le scénario de la Cour, fait débat entre les acteurs universitaires, certains estimant préférable d'accorder un poids équivalent aux enseignements en santé et aux enseignements « hors santé ». C'est aussi l'option privilégiée par le ministère qui - je l'ai appris au cours des auditions - a récemment lancé une concertation pour faire converger l'ensemble des parties prenantes vers un modèle unique de voie d'accès aux études de santé. J'en profite pour saluer cette démarche qui, je le rappelle, avait cruellement fait défaut en 2019.

Les disciplines « hors santé » enseignées au cours de cette première année de licence font l'objet d'un encadrement au niveau national, la proposition de loi renvoyant au pouvoir réglementaire le soin d'en fixer la liste. Cette mesure est destinée à corriger l'excessive ouverture disciplinaire des LAS, qui n'a pas donné les résultats escomptés en termes de diversification académique. Ce cadrage national, qui me paraît tout à fait pertinent, doit conduire à s'interroger sur les disciplines susceptibles d'apporter des compétences utiles aux futurs professionnels de santé, et dont le suivi peut permettre la poursuite d'études en cas d'échec à l'admission en filières de santé.

De manière plus problématique, la proposition de loi pose le principe selon lequel cette première année de licence commune devra être organisée dans chaque département. Certes, cette disposition part d'une bonne intention - permettre un accès plus équitable aux études de santé, notamment pour les étudiants issus de territoires ruraux -, mais sa pertinence et sa faisabilité à l'échelle de chaque département posent question, surtout si elle est mise en oeuvre à moyens constants. Il ne faudrait en effet pas qu'elle aboutisse à la création de cursus aux conditions d'études insatisfaisantes et inéquitables, avec, par exemple, des formations organisées entièrement à distance...

Enfin, la proposition de loi intègre la filière kinésithérapie aux quatre filières de santé déjà existantes. Dans les faits, l'accès en kinésithérapie par les voies préparant aux études de santé est déjà possible. Il sera désormais « officiel » dans le cadre de la voie unique proposée. Cette intégration, largement plébiscitée, a le mérite de la clarté, tout en participant d'une approche systémique des métiers de la santé.

Ces éléments explicatifs présentés, j'en viens à la position que notre commission pourrait défendre lors de l'examen de ce texte.

Cinq ans après l'entrée en vigueur de la réforme Pass-LAS, le constat est sans appel et quasi unanime : le système mis en place est trop complexe, difficilement lisible, anxiogène et inéquitable. Cet échec de la réforme du point de vue de son acceptabilité et de son appropriation se double d'un bilan très modeste s'agissant de ses deux principaux objectifs, l'amélioration de la réussite étudiante et la diversification des profils.

Au vu de ces éléments, une simplification et une clarification du dispositif, associées à un renforcement du cadrage national, me semblent indispensables. La voie d'accès unique proposée dans cette proposition de loi répond à ces trois exigences ; c'est pourquoi je vous propose de la soutenir.

Je souhaite néanmoins que notre commission appelle à la vigilance sur plusieurs points.

Premièrement, il faut prendre garde à la date d'entrée en vigueur du nouveau dispositif envisagé. Compte tenu du coût organisationnel qu'a représenté le déploiement de la réforme Pass-LAS pour les universités, il serait déraisonnable de leur demander d'être prêtes à mettre en place la voie unique pour la rentrée universitaire 2026, c'est-à-dire dans moins d'un an.

Qui plus est, les universités ont déjà préparé l'édition 2026 de Parcoursup, en définissant leurs capacités d'accueil, leurs attendus locaux et leurs critères généraux d'évaluation.

Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement fixant la date d'entrée en vigueur de la voie d'accès unique au plus tard à la rentrée universitaire 2027.

Deuxièmement, il importe selon moi que notre commission insiste à nouveau sur la nécessité d'un cadrage réglementaire national plus serré de part du ministère de l'enseignement supérieur. Ainsi, il est grand temps de définir, au niveau national, un socle de connaissances en santé commun pour l'accès en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie rééducation (MMOPK) ; cette idée avait déjà été avancée en 2019, sans aboutir à une solution concrète. De même, un cadrage national me semble requis s'agissant des épreuves orales et des modalités d'interclassement, dont l'hétérogénéité n'est pas acceptable.

Troisièmement, la refonte du dispositif Pass-LAS pourrait être l'occasion de renforcer les passerelles qui existent entre certaines formations paramédicales et les filières de santé, dans un objectif de diversification académique des profils. Ayant fait leurs preuves, ces dispositifs pourraient être encouragés en augmentant la part d'étudiants qui en sont issus, part actuellement encadrée au niveau réglementaire ; ils pourraient même être élargis à d'autres formations, y compris de premier cycle.

Quatrièmement, cette réforme est aussi une occasion de rappeler l'importance du tutorat étudiant, qui joue un rôle central dans la préparation aux études de santé et dans la poursuite de l'objectif de diversification sociale. Cet accompagnement pédagogique par les pairs est concurrencé par une offre privée de préparation, qui n'est certes pas nouvelle, mais a la réputation, tenace, d'être indispensable et recourt à des techniques commerciales de plus en plus virulentes. Les universités doivent être incitées à mener une politique active en faveur du tutorat étudiant, ce qui passe par le renforcement de sa visibilité et sa meilleure reconnaissance dans le parcours académique.

Cinquièmement, nous devons réitérer notre appel à un travail conjoint du ministère de l'enseignement supérieur et du ministère de l'éducation nationale sur l'articulation entre la réforme de l'accès aux études de santé et la réforme du lycée. La mise en place d'une voie d'accès unique ne sera pas sans conséquence sur les choix disciplinaires faits au lycée, ce qui impliquera de redoubler d'efforts en matière d'information et d'orientation des lycéens.

Voilà, mes chers collègues, l'ensemble des éléments que je souhaitais porter à votre reconnaissance.

Vous l'aurez compris, je vous propose de donner un avis favorable à cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vais vous présenter dans quelques instants, et moyennant les points de vigilance que je viens de vous exposer.

M. David Ros. - On observe une continuité de réflexion et de vigilance de notre commission sur un sujet - l'accès aux études de santé - devenu de plus en plus complexe depuis la mise en oeuvre du dispositif Pass-LAS. La voie unique constitue, à mon sens, une solution pertinente. Je regrette toutefois que ce texte émane de la commission des affaires sociales et non de la nôtre. Il traite en effet de questions relatives à l'orientation dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire de nombreux aspects régulièrement abordés ici et qui ne sont pas nécessairement appréhendés de la même manière par la commission des affaires sociales.

Face à la réalité préoccupante des déserts médicaux, le cursus des études en santé doit être réorganisé dans sa globalité. Ce texte a le mérite d'attirer l'attention sur cette problématique ; néanmoins, la forme retenue et surtout l'orientation choisie ne me paraissent pas les plus appropriées.

En conséquence, nous voterons l'amendement, mais nous nous abstiendrons sur le texte.

M. Stéphane Piednoir. - Je félicite notre rapporteure pour le travail qu'elle a accompli sur cette proposition de loi, mais aussi, plus largement, pour l'ensemble des travaux de contrôle menés depuis le commencement de la réforme Pass-LAS. Son engagement a été constant, et de nombreux signaux d'alerte ont été émis au fil de ses rapports d'information. En déposant aujourd'hui une proposition de loi, le Sénat assume sa responsabilité : nous cherchons par là à corriger les travers de cette réforme, que nous avons à plusieurs reprises dénoncés.

Le diagnostic que vous formulez est déjà sévère ; je me permettrai un constat encore plus critique. La mise en oeuvre de cette réforme n'a pas enrayé les départs à l'étranger d'étudiants désireux de suivre une formation en santé ; elle n'a pas non plus atteint son objectif de diversification des profils. Cela révèle à la fois un défaut de conception et un manque de pilotage. J'ajouterai qu'elle a, dès son origine, reposé sur une erreur philosophique.

Souvenez-vous : nous n'étions pas nombreux, en 2019, à nous y opposer. Pour ma part, je n'y ai jamais adhéré, considérant qu'il s'agissait d'une faute que de créer des « mineures santé » associées à des licences, disons-le, parfois exotiques. Le seul objectif que doit poursuivre une formation en santé consiste à former des professionnels compétents. J'apprécie de discuter d'histoire médiévale avec mon médecin, mais ce n'est pas, a priori, l'objet de ma consultation !

L'ouverture excessive des LAS n'a pas atteint ses objectifs. En ouvrant la possibilité de suivre des licences « exotiques », on fait miroiter à certains étudiants des débouchés qu'ils n'ont ni le profil ni les aptitudes pour atteindre. L'accès à certaines formations exige des capacités spécifiques.

J'ai assisté à plusieurs auditions, notamment à celle du collectif Pass-LAS, constitué dès la mise en place de la réforme. Le tableau qu'il dresse de la situation est tout simplement catastrophique. Je vous invite, si vous en avez l'occasion, à écouter ces remontées du terrain : elles témoignent d'une véritable désorganisation.

Cette proposition de loi ne revient pas à la Paces - dispositif qui, à l'époque, aurait pu évoluer et s'adapter aux particularités territoriales -, mais instaure une voie unique. Elle vise à garantir aux étudiants une continuité dans le parcours d'études, même en cas d'échec en MMOP.

Je souscris à l'idée d'un cadrage national plus strict. Il paraît normal qu'une politique publique de formation des futurs médecins repose sur un référentiel national clair des compétences et des capacités à acquérir. L'harmonisation constitue, de ce point de vue, une garantie de qualité des formations sur l'ensemble du territoire.

Il faut également renforcer les passerelles : l'échec fait partie du parcours de formation, mais il importe d'offrir des voies de réorientation à ceux qui se sont engagés dans des cursus inadaptés.

Comme dans toute formation universitaire où il n'existe pas de sélection à l'entrée, la sélection intervient plus tard. Dans l'ancienne Paces, elle survenait au bout d'un ou deux redoublements. De toute façon, une sélection finit toujours par s'opérer. On peut laisser croire à un lycéen qu'il aura sa chance dans cette filière, mais l'échec fait partie du réel.

Enfin, un mot sur la réforme du lycée. La disparition de la filière scientifique - à laquelle je n'étais pas favorable - a conduit à une perte d'options scientifiques au lycée. Or les études de santé sont avant tout des études scientifiques. Souvenons-nous aussi du mot d'ordre de l'époque : il fallait former des médecins empathiques. C'est une belle intention ; un médecin sympathique, c'est agréable, mais ce n'est pas l'objectif premier lorsque l'on consulte un professionnel de santé.

Mme Monique de Marco. - Cinq ans après la mise en place de la réforme, un consensus s'est dégagé pour en souligner les limites. La présente proposition de loi vise à refondre le dispositif afin d'en corriger les dysfonctionnements.

Ce texte, déposé par notre collègue Corinne Imbert, reprend les principales recommandations de la Cour des comptes, ainsi que celles issues des nombreuses auditions menées auprès des acteurs de la filière. Ses principes nous paraissent tout à fait louables. Nous nous félicitons notamment de l'inclusion, dans le texte, de la création d'une antenne de première année santé dans chaque département, ainsi que des dispositions relatives à la formation des masseurs-kinésithérapeutes.

Cependant, il convient de rappeler que le principal goulot d'étranglement de la formation des professionnels de santé demeure d'ordre budgétaire. La question est également humaine : le nombre d'enseignants et de professionnels encadrants reste insuffisant. À moyens constants, les améliorations ne pourront donc intervenir qu'à la marge.

Nous compléterons peut-être, en séance, les principales propositions formulées, en défendant des amendements qui porteront notamment sur le financement des unités de formation et de recherche (UFR) de santé, afin de former un nombre suffisant de professionnels et ainsi de répondre aux besoins de la population tout en améliorant leurs conditions de travail.

Nous nous réjouissons également de la généralisation du tutorat public, accessible partout et pour tous. Nous souhaitons que les étudiants en santé soient rémunérés dès la première année de leurs études, sur le modèle des normaliens, afin de mettre un terme au tri social à l'entrée des formations.

Nous insistons, par ailleurs, sur la nécessité d'améliorer la santé mentale des étudiants, en luttant résolument contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles (VSS), ainsi que contre l'exploitation dont sont victimes les externes et les internes lors des stages, durant lesquels ils effectuent un nombre d'heures excessif pour une rémunération insuffisante.

Nous serons donc favorables à ce texte, tout en déposant des amendements en séance.

M. Pierre Ouzoulias. - Si le Gouvernement avait écouté le Sénat, nous ne connaîtrions pas la situation actuelle. Dès la première réforme, j'avais alerté nos collègues : il ne suffit pas de proclamer la fin du numerus clausus pour que le malade soit guéri !

Vous soulignez deux points absolument essentiels. Le premier concerne la nécessité d'une politique nationale. Or on observe aujourd'hui une tension entre cette exigence et la large autonomie accordée aux universités. Il faut parvenir à articuler les deux. On ne saurait accepter que chaque université, dans son coin, organise seule la régulation d'une profession : il s'agit bien de professions nationales, et cette dimension doit rester fondamentale.

Je partage pleinement votre analyse sur le maillage territorial. Nous retrouvons ici les thèmes que nous avons souvent développés au sein de notre commission : il faut se rappeler que l'université constitue un véritable instrument d'aménagement du territoire. C'est un point déterminant.

Néanmoins, les universités nous alertent aujourd'hui : leurs antennes sont sous-financées, très largement déficitaires, et si elles étaient contraintes demain de revenir à l'équilibre budgétaire, elles devraient purement et simplement les fermer. Il faut donc absolument réinvestir des moyens pour garantir la pérennité et la viabilité de ces antennes.

Cette proposition de loi comporte plusieurs dispositions positives. Cependant, toutes les professions de santé nous ont fait part de leurs inquiétudes. En tant que père d'une interne, je mesure la dureté de ces métiers : la situation appelle des réponses urgentes. Nous ne pouvons accepter que, dans notre pays, un ou deux internes se suicident chaque mois. Ce chiffre est monstrueux. On ne peut pas continuer à faire des internes la variable d'ajustement de l'hôpital. Il y a là un problème humain majeur.

Nous comprenons que l'ambition d'une proposition de loi ne saurait être systémique. Mais désormais, une réflexion nationale s'impose sur l'ensemble des professions de santé, sans oublier - j'y insiste - le quotidien des internes.

Faute de vision structurelle, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

M. Bernard Fialaire. - Il faut mettre un terme à un diktat qui a fait bien du mal à la santé : celui de la sélection fondée sur les matières scientifiques. Je rappelle que, pendant des générations, on a recruté les professionnels de santé, y compris les médecins à l'origine de grandes avancées scientifiques, parmi ceux qui avaient suivi ce que l'on appelait les humanités. On privilégiait alors les filières littéraires plutôt que les filières scientifiques pour former les médecins. Ce n'est pas si ancien : cela remonte à moins d'un siècle.

La médecine n'est pas une science : c'est un art d'assemblage de sciences qu'il faut savoir mobiliser. Redonner toute sa place à l'empathie, à la dimension humaine du soin, c'est aussi cela qui fait de bons médecins : des soignants proches de leurs patients, et non de simples chercheurs enfermés dans leurs laboratoires.

Il n'existe pas de « cerveaux mathématiques » ou de « cerveaux littéraires » : on peut tout à fait former de bons scientifiques à partir d'un parcours littéraire, à condition d'un engagement fort durant les études. Dans ma génération, plusieurs personnes issues des filières littéraires sont devenues d'excellents médecins et ont réussi les concours.

Mme Annick Billon. - Il importe de rappeler le contexte dans lequel nous débattons de ces questions : celui d'une difficulté croissante d'accès aux soins, qu'il s'agisse des territoires ruraux ou des zones très urbanisées.

Les propositions de notre rapporteure et de l'auteure du texte, Corinne Imbert, qui s'inspirent directement des recommandations de la Cour des comptes, vont dans le bon sens. Toutefois, la difficulté récurrente des textes successifs sur les études de santé réside dans les espoirs qu'ils suscitent : on en attend trop. En réalité, cette proposition de loi ne répondra pas immédiatement au problème de l'accès aux soins dans nos territoires. Elle améliorera sans doute l'accès aux études de santé, renforcera l'humanité et la place de l'empathie dans la formation, mais n'apportera pas de réponse immédiate à la pénurie de soignants. Aujourd'hui, la seule manière d'accéder aux soins, c'est encore de rester en bonne santé le plus longtemps possible !

Nous réclamons régulièrement, au Sénat, davantage de décentralisation ; or, sur cette question, il est essentiel de préserver un enseignement, des universités et des académies, animé par les mêmes objectifs et dispensant les mêmes formations. Attention donc à ne pas créer des études de médecine à plusieurs vitesses !

Nous voterons le rapport de notre collègue Sonia de La Provôté ainsi que l'amendement qu'elle nous propose.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - Je précise que la proposition de loi ne se limite pas à la question de l'accès aux études de santé : elle traite également du troisième cycle, puisqu'elle s'inscrit dans un travail global de la commission des affaires sociales. Elle aborde notamment la question de la régionalisation, c'est-à-dire la possibilité de régionaliser une partie des postes d'internat. Ce sujet fait débat, les avis sont partagés, mais il mérite d'être examiné.

La proposition de loi traite aussi du statut universitaire des maîtres de stage, qu'il s'agisse de la médecine, de la pharmacie ou de la kinésithérapie. Elle propose d'unifier ce statut, quelle que soit la filière. En somme, il s'agit d'un texte qui embrasse à la fois le début et le continuum de la formation.

S'agissant de la question de l'autonomie, sur laquelle plusieurs d'entre vous ont réagi, elle constitue, depuis le départ, le coeur du sujet : comment concilier autonomie des universités et cadrage national ? Le manque de cadrage national a conduit chaque université à interpréter la réforme à sa manière, si bien que nous avons abouti à autant de déclinaisons de la réforme que d'établissements. C'est pourquoi cette proposition de loi tend à instaurer un modèle unique. Malgré les rappels à l'ordre, les deux missions « flash », les concertations et les rencontres menées, l'hétérogénéité des modèles demeure. Il est donc temps de siffler la fin de la partie !

L'autonomie, c'est la liberté de fonctionnement, mais celle-ci ne peut justifier toutes les dérives. Certaines interprétations locales ont frôlé la maltraitance étudiante. Nous avons vu apparaître des dispositifs multiples, sans cohérence nationale. Il y a eu, au départ, un double défaut : un manque de concertation et une absence de volonté du ministère d'imposer un cadre clair aux universités.

Cette réforme exigeait pourtant une réelle interdisciplinarité : les composantes universitaires devaient coopérer, puisque toutes étaient concernées par le nouveau dispositif. Mais sa mise en oeuvre, en pleine crise sanitaire, n'a pas permis ces échanges. Peut-être aurait-il fallu la reporter d'un an pour laisser le temps à la concertation. Quoi qu'il en soit, la situation est aujourd'hui clarifiée, et c'est un point positif. Le ministère semble désormais décidé à s'en saisir.

La question du cadrage national concerne aussi les contenus. Dans le système actuel, les maquettes sont trop diverses d'un établissement à l'autre. Depuis le début, nous alertons sur ce point. Il est grand temps de fixer un socle commun de connaissances en santé, garantissant à tous une base solide pour accéder en MMOPK.

S'agissant des antennes universitaires dans les départements, la question du financement, soulevée à juste titre par Monique de Marco, demeure centrale. Les difficultés tiennent autant au manque de moyens qu'à la pénurie de locaux adaptés. En augmentant les besoins d'accueil, la départementalisation de la voie unique présente le risque d'un basculement vers des formations organisées à distance. Or cette première année nécessite des enseignements en présentiel. Si le principe de proximité est bon, sa mise en oeuvre pose donc question. Elle mérite un travail préparatoire approfondi ; ne reproduisons pas les erreurs commises lors de la précédente réforme.

Le tutorat public constitue l'un des acquis positifs de cette réforme. À l'époque de la Paces, les officines privées dominaient le paysage. Elles subsistent encore, profitant de la complexité du dispositif, mais le tutorat public s'est considérablement renforcé. Il représente un véritable facteur de réussite. Les tuteurs apportent clarté et soutien dans une réforme encore peu lisible. Il faut toutefois tenir compte du fait qu'ils ne peuvent se déplacer dans toutes les antennes.

Concernant les passerelles, nous y sommes naturellement favorables : la diversité des profils passe par elles.

Enfin, un mot sur l'empathie. Bernard Fialaire en a très bien évoqué les enjeux. Les humanités demeurent essentielles. L'empathie n'a peut-être pas la même efficacité qu'un traitement allopathique, mais elle fait partie intégrante du soin. Lorsqu'elle fait défaut, les patients sont moins bien pris en charge. Considérer qu'il s'agit d'un élément accessoire, c'est se méprendre profondément sur la nature du métier de médecin et, plus largement, sur l'ensemble des métiers de la santé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-23 vise à préciser le calendrier d'application du texte. Je l'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire : son entrée en vigueur doit être décalée à septembre 2027, afin de laisser le temps aux universités de s'y préparer. Il serait déraisonnable de leur demander d'être prêtes à mettre en place le nouveau dispositif pour la rentrée universitaire 2026, c'est-à-dire dans moins un an. Qui plus est, les universités ont déjà préparé l'édition 2026 de Parcoursup, en définissant leurs capacités d'accueil, leurs attendus locaux et leurs critères généraux d'évaluation. L'amendement COM-23 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de cet amendement.

M. Laurent Lafon, président. - Notre rapporteure présentera tout à l'heure cet amendement à la commission des affaires sociales au nom de notre commission, de sorte qu'il soit, le cas échéant, intégré dans son texte.

Mission d'information sur la mise en oeuvre de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales, dite loi Molac - Examen du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Max Brisson et Karine Daniel consacré à la mise en oeuvre de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales, dite loi Molac.

M. Max Brisson, rapporteur. - À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la consolidation de notre République s'est faite par une relégation des particularismes locaux dans la sphère privée, au nom de l'unité nationale. Parmi ces derniers figurent ce que nous appelons aujourd'hui les langues régionales et qui étaient autrefois connus sous le nom de patois, dialectes ou idiomes. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur transmission dans le cadre familial a également commencé à décroître, entraînant à partir des années 60 un recul spectaculaire de leur pratique.

La loi Deixonne de 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux est davantage un texte de tolérance que de valorisation. Les professeurs peuvent recourir à ces langues pour aider leurs élèves à mieux assimiler les savoirs fondamentaux, dont le français.

Quant à la réforme constitutionnelle de 2008 qui introduit la reconnaissance des langues régionales, elle est la conséquence d'un sursaut militant qui s'intensifie à partir des années 70. L'article 75-1 de la Constitution précise que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Cette révision constitutionnelle n'a toutefois pas eu d'effets concrets majeurs.

Aucun projet de loi n'est venu tirer profit de cette révision constitutionnelle.

Dans le même temps, et malgré le sursaut militant, le nombre de locuteurs diminue inexorablement. Voici quelques chiffres pour mesurer cette chute : 60 % des locuteurs en breton ont plus de 60 ans. Pour le gallo, plus de la moitié de la population de Bretagne ignore même l'existence de cette langue. Je pourrais multiplier les exemples. Je citerai seulement les chiffres pour l'alsacien qui sont significatifs de cette perte de transmission intergénérationnelle : 70 % de la population alsacienne de plus de 55 ans maîtrise cette langue ; mais ce taux n'est plus que de 9 % chez les 18-24 ans.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Sans sursaut politique et sociétal fort, nos langues régionales, à de rares exceptions, seront quasiment toutes éteintes d'ici une à deux générations.

C'est dans ce contexte que notre collègue député Paul Molac a déposé la proposition de loi qui porte son nom. Je tiens à le souligner : pour la première fois, nous avons débattu des langues régionales dans un climat serein et apaisé, loin des invectives sur une remise en cause de l'unité nationale.

Notre commission a souhaité en janvier dernier lancer de manière transpartisane une mission d'évaluation de cette loi.

Nous avons centré notre rapport sur les articles relatifs à l'enseignement de cette loi pour deux raisons.

Tout d'abord, parce que l'article relatif au bilinguisme dans les communications institutionnelles et les panneaux de signalisation ne pose pas de problème.

Ensuite et surtout, parce que la transmission familiale, à de rares exceptions, est désormais marginale. L'avenir des langues régionales est désormais à l'école.

Pour cette même raison, nous nous sommes concentrés sur les langues de France en métropole. La transmission familiale est encore forte dans les départements et territoires d'outre-mer. Par ailleurs, une réglementation particulière s'y applique en matière de reconnaissance de ces langues et de rôle des collectivités territoriales, dans les territoires d'outre-mer, mais aussi dans les départements ultramarins.

En revanche, nos recommandations sont applicables à l'ensemble du territoire sur lequel l'État est compétent en matière d'enseignement scolaire. Nous avons également demandé au ministère les effectifs pour toutes les langues enseignées : cela inclut le créole, le tahitien et le mélanésien.

M. Max Brisson, rapporteur. - Que prévoit la loi Molac en matière d'enseignement des langues régionales ? Il s'agit de le renforcer, de prévoir la signature de conventions entre l'État et les collectivités territoriales et de clarifier la participation financière des communes au financement des établissements d'enseignement privés en langue régionale.

Cette loi a fait naître de nombreuses attentes et espoirs parmi les défenseurs des langues régionales. C'est aussi la raison pour laquelle la censure partielle du Conseil constitutionnel de ce texte, notamment de l'article relatif à l'enseignement immersif, a suscité une vague de mécontentement et d'incompréhension sur nos territoires. Elle a frappé des structures qui en 40 ans ont acquis une légitimité, un savoir-faire et une reconnaissance.

Je tiens à l'affirmer avec force : les réseaux privés d'enseignement immersif ont pendant longtemps porté seuls et à bout de bras la survie des langues régionales. Leur rôle ne doit pas être sous-estimé.

L'État a d'ailleurs souvent considéré que les familles souhaitant offrir un enseignement en langue régionale n'avaient qu'à se tourner vers cet enseignement privé.

Celui-ci a une mission de service public reconnue par l'État : les premiers contrats d'association entre le ministère de l'éducation nationale et ces établissements scolaires datent de 1994, soit il y a plus de 30 ans.

C'est aujourd'hui tout un écosystème qui est remis en cause par cette décision constitutionnelle.

À l'initiative du Premier ministre, le ministère de l'éducation nationale a publié le 14 décembre 2021 une circulaire proposant un cadre modernisé pour l'enseignement des langues régionales. Elle reconnaît l'intérêt éducatif du bilinguisme français/langue régionale et appelle à développer les ouvertures de classes bilingues au primaire, collège et lycée.

Surtout, elle trouve une voie de passage pour l'enseignement immersif dans les premiers cycles du primaire. Elle assouplit ainsi l'obligation de parité horaire - comprise dans la précédente circulaire comme l'impossibilité d'avoir plus de 50 % du volume hebdomadaire de cours dans une langue autre que le français - en permettant de calculer ce quota à l'échelle de plusieurs cycles scolaires.

Ce texte permet l'ouverture de filières immersives dans l'enseignement public, avec un cycle de maternelle en langue régionale, qui peut se prolonger sur une partie du cours préparatoire (CP). Le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) de mon département s'est d'ailleurs saisi de cette possibilité pour ouvrir quatre CP immersifs en basque en cette rentrée scolaire dont trois dans le public, dans la suite de parcours immersifs en maternelle. La première partie de l'année de CP est en basque, le français est progressivement introduit à partir de janvier. Aujourd'hui 34 école primaires publiques accueillent au Pays basque une filière immersive en maternelle et en CP.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Quatre ans après le vote de cette loi, quel bilan peut-on en tirer ?

Un point positif tout d'abord : ce texte a permis une reconnaissance des langues régionales et conduit les pouvoirs publics à devoir les prendre en compte.

Toutefois, au-delà de ce symbole, les effets concrets de cette loi restent insuffisants.

Commençons par les effectifs scolaires. À la rentrée 2023, plus de 168 000 élèves suivent un enseignement de langues régionales. Les deux tiers d'entre eux sont scolarisés dans le premier degré. D'ailleurs, dans le primaire, les effectifs sont en progression de 47 % entre 2021 et 2023. Cette augmentation est d'autant plus remarquable que dans le même temps le nombre d'écoliers chute de 172 000 en raison de la déprise démographique.

De leur côté, le nombre de filières bilingues augmente. Enfin, bien qu'encore confidentielles, les filières immersives commencent à se mettre en place, y compris dans le public, notamment pour le basque, le corse ou l'alsacien.

Cette évolution positive doit toutefois être nuancée pour trois raisons.

Tout d'abord, le rythme de développement de l'enseignement est insuffisant pour compenser la rapide diminution du nombre de locuteurs.

Par ailleurs, les ouvertures des filières bilingues sont décrites comme un parcours du combattant par les acteurs concernés.

Enfin, ces chiffres du ministère de l'éducation nationale, qui montrent une croissance des effectifs, ne font pas de distinction entre les différentes intensités d'enseignement. Ils regroupent à la fois des élèves en filière bilingue voire immersive, mais aussi des élèves bénéficiant d'une simple initiation de quelques heures par an. Celle-ci est pourtant insuffisante pour former des locuteurs complets.

Par ailleurs, cette satisfaction sur le primaire cache l'effondrement des effectifs à l'entrée dans le secondaire. Ils poursuivent d'ailleurs leur chute dans la suite de la scolarité. Les réformes du lycée puis du baccalauréat ont été très fortement préjudiciables aux langues régionales. Elles ont été oubliées dans le projet initial et rattrapées in extremis, de manière bancale.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : moins de 1 000 élèves de terminale présentent une langue régionale en LVC au bac. Ils sont moins de 400 à présenter une discipline non linguistique - l'histoire géographique dans la très grande majorité des cas - en langue régionale. Quant à la spécialité « littérature, langue et culture », présentée par le ministère comme leur prise en compte dans les nouvelles spécialités, à peine 230 lycéens, toute langue régionale confondue, l'ont conservée en terminale en 2023.

M. Max Brisson, rapporteur. - Deuxième point de vigilance : les difficultés perdurent dans l'application du forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs. La modification apportée par la loi Molac n'a pas permis de régler la situation.

D'un côté, des réseaux d'établissements d'enseignement immersif nous ont indiqué continuer à avoir des difficultés à percevoir ces sommes. Plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'euros sont en jeu en fonction des réseaux.

Ils hésitent à aller plus loin et à s'engager dans une démarche contentieuse par peur d'une remise en cause de leur méthode pédagogique par le juge administratif au regard de la décision du Conseil constitutionnel.

De l'autre, des élus se sont émus d'avoir reçu des factures sans aucune forme de négociations, et rappellent que la participation financière de la commune résulte d'un accord. Par ailleurs, certaines communes rurales alertent sur une double peine : devoir payer pour les élèves de leur territoire scolarisés dans ces établissements scolaires, et subir une fermeture de classe dans leur école publique à quelques élèves près.

Quoi qu'il en soit, il est urgent de clarifier la rédaction de cette disposition législative.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Je finirai ce bilan par les conventions prévues par la loi entre l'État et les collectivités territoriales pour la promotion et l'apprentissage des langues régionales.

De l'avis des personnes que nous avons rencontrées, ces conventions constituent un élément structurant et permettent de fixer des trajectoires.

La loi a également permis de relancer des discussions qui s'enlisaient.

Mais parce que les attentes par rapport à ces documents sont fortes, la déception l'est tout autant. Là encore, les raisons sont multiples. Certains territoires ne sont pas couverts par des conventions. C'est le cas du département de la Loire-Atlantique pour le breton.

Des conventions arrivées à échéance ne sont pas renouvelées.

Par ailleurs le contenu de la convention n'est pas respecté. Pour l'alsacien, le rectorat a conscience que l'objectif de 50 % des élèves inscrits en section langue régionale à parité horaire en maternelle en 2030 est inatteignable. À la rentrée 2024, seuls 20 % des élèves de maternelle du public et 21 % des élèves de maternelle du privé sont scolarisés dans de telles filières. Il en est de même pour le breton sur le nombre d'élèves en filières bilingue à l'horizon de 2027.

Enfin, le contexte budgétaire impacte nécessairement la mise en place des conventions. Certaines déclinaisons opérationnelles sur trois ans de convention ont désormais pris un rythme annuel, ce qui limite la capacité à se projeter sur le moyen terme pour l'ensemble des parties prenantes.

M. Max Brisson, rapporteur. - Une fois ce bilan dressé, quelles sont nos recommandations ?

Le constat est sans appel : sans sursaut d'envergure, la plupart de nos langues régionales sont condamnées à très court terme.

Nombreux ont été les ministres à affirmer devant les parlementaires leur attachement aux langues régionales. Il est désormais temps que ces propos tenus à la tribune des assemblées se concrétisent dans les politiques publiques. Nos recommandations s'articulent autour de cinq axes.

Il s'agit tout d'abord de définir une stratégie nationale de promotion et d'enseignement des langues régionales.

Le développement de l'enseignement de ces langues relève aujourd'hui de rapports de force, de statuts dérogatoires obtenus dans des négociations bilatérales entre le territoire concerné et l'État. Ces multiples héritages entraînent des différences de traitement entre les langues, parfois pour la même langue entre deux académies.

Cette stratégie nationale doit pour nous se concrétiser de plusieurs manières : il s'agit tout d'abord de renforcer la coordination et la promotion de politiques linguistiques à l'échelle nationale et territoriale. Ce sont nos recommandations nos 1 à 3.

Je m'attarderai un peu plus longtemps sur les recommandations nos 4 et 5. Elles découlent directement de la censure par le Conseil constitutionnel de l'article relatif à l'enseignement immersif.

Il me paraît important de rappeler quatre points. Tout d'abord, en raison de la quasi-extinction de la transmission familiale, le recours à l'enseignement immersif est le moyen le plus efficace pour former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues.

Par ailleurs, les réseaux d'enseignement immersifs jouent un rôle de service public qui va au-delà de ce que prévoit leur contrat d'association avec l'État, notamment en termes de transmission linguistique. Nombreux sont les enseignants brittophones ou bascophones de l'école publique qui sont d'anciens élèves des réseaux Diwan ou Seaska.

Le législateur avait pour objectif, lors de l'introduction de cet article, de former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues, sans préjudice à l'apprentissage du français.

Enfin l'enseignement immersif est avant tout une méthode pédagogique qui n'aurait pas dû relever du domaine de la loi. Toutefois, il faut désormais tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel qui fragilise cette modalité d'enseignement.

La Constitution prévoit que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il doit pour nous en découler la possibilité de prendre les mesures nécessaires à leur sauvegarde, notamment en formant des locuteurs complets.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - J'en viens à notre deuxième axe : le développement d'une véritable offre d'enseignement en langue régionale à l'école publique. Elle a longtemps été un lieu de mise à l'écart de ces langues. C'est donc l'école privée qui, à bout de bras, a porté la sauvegarde des langues régionales. L'éducation nationale, sous la pression des familles et des élus locaux, s'est longtemps contentée, dans de nombreux territoires, de saupoudrer au gré des ressources disponibles, quelques heures dans les écoles publiques, mais sans véritable politique.

À l'instar de l'école privée, l'école publique doit se donner les moyens de former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues.

Tel est l'objet des recommandations nos 6 à 8. Elle porte sur le développement de l'enseignement immersif dans les premiers cycles du primaire public ainsi que sur la construction de parcours bilingues de la maternelle au lycée pour permettre la montée de cohortes.

Par ailleurs, nous plaidons pour les langues pour lesquelles il existe déjà un nombre significatif de filières bilingues de passer à une logique de l'offre sans attendre une mobilisation des parents pour ouvrir une telle filière dans leur école publique de secteur.

Cette politique de l'offre est d'ailleurs celle employée par l'éducation nationale dans de nombreux autres domaines, notamment pour les langues étrangères. Bien évidemment, la scolarisation d'un enfant dans une filière bilingue restera facultative et soumise à l'accord des parents.

M. Max Brisson, rapporteur. - Notre troisième axe vise à sécuriser financièrement les réseaux d'enseignement privés immersifs. La rédaction de l'article 6 de la loi Molac n'a pas permis d'apaiser les tensions sur le terrain. Il est nécessaire que soient clarifiées les conditions d'enseignement d'une langue régionale au sein d'une école de la commune pour que cette dernière soit dispensée du paiement du forfait scolaire. Il est également nécessaire d'indiquer ce que la médiation du préfet recouvre et de rappeler la nécessité dans chaque département de se doter d'un forfait départemental moyen, pour que la contribution demandée à la commune puisse être objectivement analysée.

L'axe 4 concerne l'accroissement des ressources humaines disponibles pour enseigner ces langues. L'ensemble des personnes rencontrées ont pointé comme frein principal au développement de l'enseignement des langues régionales les carences en ressources humaines. C'est d'ailleurs le coeur de notre rapport avec les recommandations nos 9 à 18.

Nous proposons quatre pistes d'action : tout d'abord identifier les ressources dormantes, c'est-à-dire un professeur qui maîtrise une langue régionale mais ne l'enseigne pas dans les académies concernées ou dans toute la France.

Ensuite, il faut davantage inclure les langues régionales dans la formation initiale des enseignants et ne pas manquer le virage de la réforme en cours qui avance le concours à bac+3.

Nous souhaitons mettre en garde le ministère contre toute tentative de réduire la prise en compte des langues régionales dans la formation initiale des enseignants à des cours d'initiation ou de sensibilisation. Un volume horaire conséquent est nécessaire pour disposer d'une bonne maîtrise de la langue. Par ailleurs, maîtriser une langue et être capable d'enseigner une discipline en langue régionale sont deux choses différentes.

Troisième piste d'action face à la carence en ressources humaines : la formation continue. Je profite de ce point pour saluer le travail remarquable que font les collectivités territoriales et les offices publics des langues régionales, qui sont des partenaires essentiels des rectorats pour la formation continue des professeurs - et bien souvent pionniers en la matière.

Enfin, les enseignants doivent être davantage accompagnés. Cela passe par un soutien aux structures produisant des contenus pédagogiques en langue régionale, ainsi que par la mise en place de cadres de l'éducation nationale spécialisés en langue régionale dans chaque territoire concerné. Je pense aux conseillers pédagogiques ou aux inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). Ils sont essentiels pour animer une politique à l'échelle territoriale et soutenir les enseignants.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - J'en viens à notre cinquième et dernier axe : une meilleure valorisation des langues régionales tout au long de la scolarité. Il regroupe les recommandations nos 19 et 23.

La possibilité pour les élèves en filière bilingue ou immersive de pouvoir présenter une partie des épreuves en langue régionale est une question particulièrement sensible pour le diplôme national du brevet (DNB) depuis plus de vingt-cinq ans. Après de longs combats, les textes prévoient cette possibilité pour l'épreuve d'histoire-géographie. Par dérogation, cette possibilité a été élargie aux mathématiques puis à l'épreuve de sciences. Or le brevet est modifié en 2026. De nombreux élèves et enseignants s'interrogent pour savoir si la dérogation pour les épreuves de mathématiques et de sciences est maintenue.

Nous avons interrogé la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) il y a un mois sur ce sujet. Voici la réponse obtenue dans un contexte certes particulier - à savoir un gouvernement démissionnaire : « l'évolution du DNB à compter de la session 2026 implique de revoir la place des langues régionales dans ce nouveau cadre ». J'espère que le nouveau ministre de l'éducation tranchera rapidement ce point.

J'en viens au baccalauréat. Entre 2012 et 2018, dernière année de l'ancien baccalauréat, les élèves bascophones de terminale avaient la possibilité de passer l'épreuve de mathématiques en langue régionale. Les élèves bretons avaient d'ailleurs la même revendication, quatorze d'entre eux ayant rédigé leur copie en breton. De même l'histoire-géographie, épreuve reine des disciplines non linguistiques (DNL), pouvait être passée en langue régionale. Avec la réforme du baccalauréat, ces deux matières font l'objet d'un contrôle continu.

Nouveauté pour la session 2026, il y aura désormais une épreuve anticipée de mathématiques. Nous souhaitons, comme c'était le cas auparavant que les élèves volontaires puissent composer en langue régionale. Plus généralement, nous demandons à ce qu'un nombre plus important d'épreuves puissent être passées en langue régionale au baccalauréat, notamment une partie du grand oral.

Enfin, les langues régionales continuent de pâtir d'une moindre reconnaissance par rapport aux autres langues vivantes. Nous devons changer le regard que nous portons sur celles-ci. Aussi, nous proposons une certification du niveau de langue pour les élèves volontaires de CM2, troisième et en classe de terminale.

Mes chers collègues, les langues régionales appartiennent au patrimoine immatériel de notre Nation. Soyons-en fiers et prenons toutes les mesures nécessaires pour le préserver.

Mme Annick Billon. - Le sujet des langues régionales revient régulièrement dans l'actualité, souvent sous la forme de revendications et d'attentes très fortes. Les vingt-trois recommandations des rapporteurs sont ambitieuses et couvrent l'ensemble des enjeux relatifs à ces langues, de leur préservation à leur diffusion.

J'ai le sentiment que vous appelez à un renforcement des écoles immersives, notamment privées. Est-ce bien votre objectif ? Il est également question de la langue régionale pour le concours d'enseignement du premier degré, avec l'instauration d'une bonification. Ces mesures me laissent penser que le rapport s'inspire directement du modèle catalan, lequel fait l'objet de critiques sur plusieurs points : ostracisation des personnes ne parlant pas catalan, impossibilité d'accéder à certains emplois dans la fonction publique sans maîtriser cette langue. Souhaitez-vous dupliquer ce modèle ou vous en rapprocher ?

Je m'interroge aussi sur les difficultés de mise en oeuvre des recommandations lorsque la langue régionale ne correspond pas à une région administrative, ce qui est le cas du basque. La région Nouvelle-Aquitaine est extrêmement vaste, allant du Pays basque à Niort et plusieurs langues régionales y sont parlées.

Par ailleurs, les propositions ne risquent-elles pas, in fine, d'imposer une deuxième langue officielle plutôt que de préserver la langue régionale ? N'est-ce pas vers cela que l'on se dirige ?

Je m'interroge également sur les moyens, financiers et matériels, nécessaires à la mise en oeuvre de ces propositions. Elles me paraissent ambitieuses et exigeraient des moyens tout aussi considérables. Vos recommandations conduisent-elles inéluctablement à une révision constitutionnelle ?

Enfin, quid de la charge que ces mesures pourraient induire pour les collectivités ?

Mme Sylvie Robert. - Je remercie nos deux rapporteurs pour ce rapport, dont nous partageons à la fois la philosophie et les recommandations. Vous avez eu raison de souligner qu'aujourd'hui l'avenir des langues régionales passe par l'école.

Vous avez également eu raison de qualifier l'enseignement immersif de méthode pédagogique, considérant qu'il constitue le moyen le plus efficace de former les locuteurs dans les deux langues. Je partage pleinement ce constat : il n'est pas anodin de l'affirmer aujourd'hui, surtout au regard des décisions récentes du Conseil constitutionnel.

Je voudrais, en revanche, revenir sur la recommandation n° 9, relative à la question du forfait scolaire. Pour « apaiser les tensions » - ce qui est nécessaire, car le sujet demeure toujours une source de conflits - vous proposez de « définir dans chaque département, lorsqu'il n'existe pas, un forfait scolaire départemental maternel et élémentaire ». Cela signifie-t-il qu'il faille l'imposer ? Cet aspect reste-t-il soumis à un accord ? Qui détermine le montant de ce forfait ?

Quant à la procédure de médiation et à la possibilité pour les préfets d'assurer le mandatement d'office, c'est une disposition bienvenue.

Nous savons que la question du forfait est singulière - comme l'a mentionné Max Brisson -, notamment lorsqu'il s'agit du déplacement d'enfants dans une commune entraînant la fermeture d'une classe. Cela génère de fortes tensions, même à l'échelle d'une communauté de communes ou d'un territoire. Cette éventualité restera-t-elle soumise à un accord et à une médiation, ou ira-t-on plus loin en imposant ce forfait à la commune tierce, au motif qu'il fait partie des coûts engendrés par les enseignants ? J'espère que nous pourrons, lors de l'audition du nouveau ministre de l'éducation nationale, recueillir son point de vue sur ce sujet.

Mme Sabine Drexler. - L'adoption de la loi Molac a été une étape historique. Pour la première fois, un texte législatif de portée nationale reconnaissait clairement le rôle et la valeur des langues régionales dans notre pays. Pour beaucoup d'acteurs associatifs et culturels, c'est un vrai pas en avant.

Toutefois, la réalité est plus nuancée, puisque le Conseil constitutionnel a malheureusement censuré la partie de la loi qui prévoyait la possibilité d'un enseignement immersif dans les écoles publiques, ce qui a fortement réduit sa portée.

Au quotidien, en particulier dans certains territoires, les difficultés sont nombreuses : manque d'enseignants formés, moyens financiers insuffisants et, surtout, la dépendance persistante à l'égard des décisions des rectorats et des académies, qui peuvent, selon les cas, freiner ou au contraire soutenir ces projets. En d'autres termes, la loi Molac a ouvert une porte, mais son application reste très inégale et fragile.

En Alsace, nous voyons bien ce décalage. La loi a marqué une avancée, mais nous sommes encore loin d'une véritable politique de revitalisation du dialecte. Certains vont même jusqu'à craindre un linguicide sans stratégie forte et volontariste. La défense de notre langue régionale - portée par la Collectivité européenne d'Alsace (CeA) - a connu de réelles avancées ces dernières années. Cependant, comme partout ailleurs, les moyens financiers diminuent.

La question du forfait scolaire crée aujourd'hui des tensions extrêmement fortes entre les communes, en particulier dans mon département, le Haut-Rhin. Certaines communes vivent très mal la contrainte de financer des dispositifs qui, in fine, entraînent la fermeture de leurs classes, voire de leurs écoles, tandis que la non-application de ce forfait prive les écoles privées sous contrat d'association - comme les écoles ABCM Zweisprachigkeit en Alsace - de ressources essentielles à leur maintien.

S'ajoute à cela le manque de postes sous contrat, générant un coût important pour la Collectivité européenne d'Alsace, qui cofinance les postes hors contrat à hauteur de 740 000 euros par an, pour des postes non pris en charge par l'éducation nationale.

Le développement de l'enseignement immersif, pourtant le plus efficace, demeure bloqué par le rectorat, alors que l'Alsace ne dispose que de quatre sites, ce qui est largement insuffisant.

Seule une politique volontariste, avec des moyens stables et une vision claire, permettra de véritablement revitaliser nos langues régionales. Sans cela, la loi risque de rester une déclaration d'intention sans effet réel sur la transmission de ces langues aux générations futures. C'est bien là tout l'enjeu : comment passer d'un cadre légal à une véritable dynamique de terrain ? Nous souhaitons que vos recommandations soient très vite mises en oeuvre.

Mme Monique de Marco. - Les langues régionales appartiennent au patrimoine immatériel de la France. Leur valorisation et leur promotion passent par leur utilisation et leur transmission. C'est pour cette raison que nous nous étions saisis du texte de Paul Molac en décembre 2020, que nous avions inscrit dans notre niche parlementaire. Celui-ci a ensuite été adopté à l'Assemblée nationale le 21 mai. Il est très intéressant que nous ayons pu faire un point d'étape, quatre ans après, sur les freins, les tensions, les avancées, les limites et les perspectives en cours. Je vous remercie donc pour tout le travail d'audition que vous avez mené, qui était assez complet.

Pour nous, la loi Molac a représenté une avancée législative importante, avec une reconnaissance plus forte des langues régionales dans la loi et des structures également créées pour soutenir leur promotion. Cependant, beaucoup restait à faire pour que les effets soient tangibles partout : sécurisation des dispositifs, clarté juridique, moyens suffisants, formation, etc.

Le Conseil constitutionnel a partiellement censuré les dispositions, notamment celles qui concernaient l'enseignement immersif. Cette décision a été peu compréhensible à l'époque.

La loi Molac devrait permettre une plus grande reconnaissance et une meilleure accessibilité des langues régionales dans le système éducatif. Comme je l'ai souligné, des progrès ont été faits, mais beaucoup reste à faire. Il y a des écueils d'un territoire à l'autre : offre d'enseignement variable par manque de ressources humaines ; absence de cadrage national ; fragilité juridique de l'enseignement immersif, qui repose sur une simple circulaire. Vous l'avez rappelé, il importe de promouvoir une stratégie à l'échelle nationale et de ne pas s'appuyer exclusivement sur le tissu associatif ou privé. Cette stratégie doit couvrir l'ensemble du parcours scolaire - primaire, collège et lycée.

Lors des auditions, des associations comme la Fédération pour les langues régionales dans l'enseignement public (Flarep) ont fait part d'une application erratique et d'un non-respect de la loi. Elles estiment que le ministère de l'éducation nationale n'a pas encore pris, quatre ans après la publication de la loi, les mesures et les moyens visant à organiser la généralisation de l'enseignement des langues régionales.

Concernant cette liste de vingt-trois recommandations, très intéressante et complète, quelles sont les premières que vous pourriez proposer en priorité au nouveau ministre de l'éducation nationale afin qu'elles soient efficaces le plus rapidement possible ?

M. Pierre Ouzoulias. - Le limousin est parlé par plus de 30 000 locuteurs, avec une moyenne d'âge de 80 ans. C'est une langue qui disparaîtra dans très peu de temps, d'ici dix à vingt ans. C'est un drame culturel, car le limousin constitue la langue d'expression poétique la plus ancienne en France : celle des troubadours, au XIII? siècle. Quand on perd une langue, on perd une part de civilisation.

Je partage totalement le constat que vous faites et les préconisations que vous formulez pour défendre ces langues. J'ajouterai un point : elles sont encore plus mal enseignées à l'université. On assiste à un abandon absolu des langues régionales dans l'enseignement supérieur. À plusieurs reprises, j'ai signalé au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche le problème des « disciplines rares », c'est-à-dire des disciplines qui intéressent peu de personnes, mais qu'il faut absolument continuer à enseigner, car elles permettent de conserver un patrimoine très précieux.

Aujourd'hui, à la fois avec l'autonomie des universités et la volonté d'offrir de plus en plus de formations répondant aux besoins du marché, les universités marginalisent ces formations, les considérant comme totalement inutiles. Là aussi, un plan national s'impose pour permettre à certaines universités de continuer à enseigner les langues régionales.

Je prends l'exemple de la Haute-Corrèze, plus précisément de la commune de Tarnac. Une communauté arrivée de nulle part y a ouvert une école calandreta pour des enfants qui n'avaient jamais parlé l'occitan. Il s'agissait de « bobos » parisiens poursuivant un objectif séparatiste, et ils ont réussi : l'école du village a fermé. La calandreta occitane est devenue le coeur d'un conflit entre le maire communiste de Tarnac et cette petite communauté. Il faut donc dire les choses : les langues régionales peuvent servir d'instrument de contournement de la carte scolaire, comme d'autres disciplines, ce que je regrette.

Sur l'enseignement immersif, la position de notre groupe est parfaitement connue. Nous avons été les seuls, lors de l'examen de la loi Molac, à voter contre l'article 4 et les seuls à avoir suivi le ministre Jean-Michel Blanquer.

Que le Conseil constitutionnel ait censuré cette disposition relève de son rôle. Il n'a pas fragilisé les langues régionales : il défend la Constitution de 1958, qui dispose que le français est la langue de la République. J'ajoute que la loi Toubon dispose que le français est la langue de l'enseignement, des examens et du service public. Lorsque l'État finance quelque chose, cela devient un service public et doit être en français. Je suis profondément attaché aux langues régionales, mais tout aussi respectueux de la Constitution française. Il ne me semble donc pas possible, par le biais d'un rapport ou d'une mission d'information, de rouvrir le débat constitutionnel sur l'unicité de la République.

Un autre cadre permettra de le faire : la loi sur la Corse. Dans le projet gouvernemental tel qu'il nous sera présenté, la co-officialité de la langue corse est prévue, ce qui constitue une rupture totale avec la République telle que nous la connaissons. Nous aurons ce débat au moment de la réforme constitutionnelle pour la Corse. Aujourd'hui, nous ne pouvons voter ce rapport pour les mêmes raisons qui nous avaient conduits à refuser l'article 4 de la loi Molac.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Vous avez mis l'accent sur le déploiement d'une politique publique nationale en faveur de nos langues régionales et j'y suis particulièrement sensible. Je dois reconnaître que je suis très inquiète d'apprendre que ces dernières pourraient s'éteindre d'ici à une ou à deux générations. En effet, elles constituent une richesse inestimable de notre patrimoine national. Cette diversité culturelle de la France participe à la vitalité de nos territoires.

Dans le prolongement de la reconnaissance, symbolique mais essentielle, de ces langues à l'article 75-1 de la Constitution, la loi Molac a eu pour objet de renforcer leur visibilité dans la vie publique. Je constate avec satisfaction que cet attachement se traduit sur le terrain, au travers d'initiatives locales, mais également au sein de notre chambre haute, avec la récente création de l'association des amis du Félibrige et de la langue d'oc.

Ces démarches témoignent d'une volonté sincère et partagée de participer à la transmission de nos traditions linguistiques et culturelles. Au même titre que nos fêtes traditionnelles locales ou que notre patrimoine culinaire, nos langues régionales doivent continuer de bénéficier de mesures de protection et de valorisation : il faut assurer la préservation de notre héritage commun. Toutes reflètent une culture vivante et un enracinement profond. Les préserver revient à entretenir le lien qui unit les générations et les territoires.

M. Claude Kern. - Comme l'a indiqué Sabine Drexler, la région Grand Est et surtout la Collectivité européenne d'Alsace soutiennent énormément le bilinguisme. De nombreuses actions sont également menées par les intercommunalités, les communes et de nombreuses associations.

À l'heure actuelle, la formation des enseignants est notre véritable problème. Notre difficulté tient à la proximité de la frontière allemande : quand un enseignant est bien formé, il part dans le pays voisin parce qu'il y gagne deux fois et demie ce qu'il gagne en France.

J'émets des doutes sur la recommandation n° 9, car il ne faut pas trop charger les communes, et sur l'axe 5, notamment les recommandations nos 20 et 21. Je vois mal les examens, notamment les mathématiques, se dérouler en langue régionale. Le baccalauréat est un diplôme national.

M. Stéphane Piednoir. - Le recul de l'apprentissage intrafamilial des langues régionales est indéniable, d'où la nécessité d'une transmission dès le plus jeune âge par le vecteur le plus puissant et le plus universel qui soit : l'école. Elles sont une richesse. Je doute que les vingt-huit que compte la Nouvelle-Calédonie, pour moins de 300 000 habitants, soient enseignées. C'est dire à quel point la situation est inégale d'un territoire à l'autre.

Par ailleurs, je constate que si nous n'avons aucune difficulté à discuter des identités régionales, il en est tout autre lorsque l'on évoque l'identité nationale.

Je tiens à préciser que nous sommes tous très soucieux des finances locales. Dès lors, faire payer l'enseignement de ces langues aux collectivités et non plus à l'État serait dangereux. Je vous encourage donc à la plus grande vigilance sur ce point.

J'émettrai une réserve sur la généralisation à toutes les disciplines de l'enseignement en langue régionale. Dans le contexte budgétaire actuel de la France, nous devons accepter de prioriser l'allocation des moyens. Il ne faut pas s'éparpiller ! Je ne sais pas s'il faut rendre possible l'enseignement supérieur en langues régionales.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - La singularité de ce rapport est que nous avons mis l'accent sur l'enseignement dans les écoles publiques, lesquelles sont, dans certains territoires, en concurrence avec des écoles privées sous contrat. Celles-ci sont plus attractives, mais nous ne pouvons-nous satisfaire de ce constat.

Aussi, nous affirmons qu'il faut mener une politique de l'offre dans l'école publique, si la demande est suffisamment présente et si le territoire est volontaire. Cela participerait de l'attractivité de l'école publique qui ne doit plus uniquement être sur la défensive. J'y insiste : nos recommandations ne renforceraient ni les écoles privées sous contrat ni le système associatif, au contraire ! Nous souhaitons, grâce à des filières d'immersion ou, selon les territoires, à des filières pleinement bilingues, le développement d'une offre accessible à toutes et à tous, et pas seulement aux enfants dont les parents sont des militants.

Se pose alors la question du forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs. La situation actuelle est pour le moins confuse. M. Brisson et moi-même avons assisté à des tables rondes d'élus locaux remontés. Effectivement, le forfait scolaire est particulièrement important pour les écoles rurales, faute des économies d'échelle que l'on observe dans les écoles urbaines. Pour cette raison, nous prônons un calcul du forfait à l'échelle départementale. Comme celui-ci intègre les forfaits des communes urbaines, généralement moins élevés, il est souvent d'un montant inférieur à celui calculé pour une commune rurale.

En plus de faire baisser le niveau du forfait pour les écoles rurales, donner davantage de responsabilités aux préfets de département permettra d'apaiser les discussions entre les écoles, les réseaux d'écoles et les élus locaux, car ces derniers sont en première ligne pour négocier des tarifs sur lesquels ils n'ont pas la main. Le calcul départemental des forfaits existe déjà, par exemple dans l'Ouest.

Pour réussir à créer cette politique de l'offre et développer ainsi l'enseignement des langues régionales, la priorité est la formation des professeurs sur le terrain. Il faut donc prendre en compte cet enjeu dans la mise en oeuvre de la réforme de la formation des enseignants.

M. Max Brisson, rapporteur. - Premièrement, une heure d'enseignement de mathématiques ne coûte pas plus cher selon qu'elle est dispensée en langue basque ou en langue française. Par conséquent, je ne supporte pas le discours de certains recteurs et directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) qui comptabilisent toutes les heures de cours en langue régionale comme une dépense supplémentaire. Catalan, français, occitan : les élèves ont le même nombre d'heures de cours et de professeurs par enseignement ! Nous n'avons donc pas voulu tomber dans un débat sur les moyens.

Deuxièmement, l'école publique doit assumer ses missions en matière de langues régionales. Les réseaux immersifs existent précisément du fait d'une défaillance passée. Nous souhaitons que l'école publique joue son rôle car c'est celle que fréquente la très grande majorité des élèves. C'est le coeur de notre rapport. Cela doit particulièrement être le cas dans les territoires où les parents n'expriment pas d'attente à l'égard de l'institution scolaire. À titre d'exemple, je travaille actuellement avec le recteur de ma circonscription au développement de classes bilingues français-basque dans les quartiers nord de Bayonne. Ces derniers relèvent de quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les parents n'y expriment pas davantage d'attentes sur la langue basque qu'ils n'en ont pour la musique, le théâtre ou d'autres formes de parcours éducatifs particuliers.

J'y insiste : nous souhaitons que l'éducation nationale bascule peu à peu dans une politique de l'offre, alors que la logique a été jusqu'à présent de répondre à une demande sociale avérée. Encore faut-il que cette demande s'exprime, sans parler du parcours du combattant nécessaire pour qu'elle puisse le faire ! D'ailleurs, pour les langues régionales où leur enseignement est déjà significativement développé, on peut constater qu'il n'est que très rarement présent dans les quartiers de la politique de la ville ou en REP (réseaux d'éducation prioritaire).

Soyons clairs : la République française est « une et indivisible ». Nous ne souhaitons ni ostraciser les langues régionales ni les officialiser, quoique leur reconnaissance soit une revendication politique de certains territoires, par exemple celui où je suis élu. Il est évident que le modèle des communautés autonomes catalane ou basque, au sein du Royaume d'Espagne, n'est pas envisageable en France hexagonale. Cela n'interdit pas de prendre des mesures pour assurer la transmission des langues régionales.

Par ailleurs, il est important de rappeler, comme l'indiquait à juste titre Sylvie Robert, que l'immersion n'est qu'une méthode pédagogique. L'objectif est d'atteindre un bilinguisme complet à la fin du parcours scolaire en français et en langue régionale. Introduire l'immersion dans la loi Molac a peut-être été une erreur. D'ailleurs, nous ne critiquons pas le Conseil constitutionnel dans notre rapport : nous relevons seulement le problème que sa censure pose.

Nous ne demandons pas non plus de révision constitutionnelle, même si cette question politique se pose dans certains territoires, comme au Pays basque. Une solution intermédiaire serait d'inscrire dans la loi, pour les sécuriser, les dispositions de la circulaire du 14 décembre 2021, laquelle intégrait les remarques exprimées par le Conseil constitutionnel dans sa censure partielle de la loi Molac. Une telle loi ne satisferait peut-être pas les mouvements militants, mais elle pourrait constituer une évolution.

Le forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs se trouve dans la loi Molac. Face aux problèmes de financement que rencontrent les réseaux d'enseignement, il est possible d'objectiver les discussions avec les communes en permettant au préfet de définir ce forfait à l'échelle départementale. La compétence est de son ressort mais il peut s'appuyer sur le directeur académique. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le préfet, pour calculer cette moyenne, a lancé une enquête auprès des communes ; de toute manière, elles ne sont appelées à payer le forfait qu'en cas d'absence d'enseignement de la langue régionale à l'école publique dont elles dépendent.

Qu'entendre, néanmoins, par « enseignement de la langue régionale » ? Une simple sensibilisation ou des heures optionnelles sont-elles satisfaisantes ou faut-il une classe bilingue ? Tout dépend également de la langue dont il s'agit. Le nombre d'heures d'enseignement nécessaires à la maîtrise d'une langue latine est bien différent de celui requis pour des langues non latines, comme le basque ou le breton : les liens entre le français et ces dernières sont beaucoup moins forts.

Sabine Drexler a parlé de « linguicide ». Le mot est fort ! Serons-nous la génération qui n'aura pas assuré la transmission de ce patrimoine ? Dans le département où je suis élu, je constate que les personnes qui ont autour de la trentaine reprochent à ma génération de ne pas leur avoir permis de maîtriser la langue basque ou le gascon, sachant que les plus jeunes suivent désormais un tel enseignement.

Le basculement vers une logique de l'offre doit reposer sur le principe de la libre adhésion des parents, qui reste la règle. Personne n'est obligé de suivre une voie bilingue en langue basque ou en langue bretonne. Ceci dit, l'éducation nationale prend moins de gants lorsqu'elle développe une offre d'enseignement du théâtre, de la musique ou du latin : on ne demande pas systématiquement de réaffirmer cette libre adhésion !

De surcroît, certains recteurs, Dasen ou préfets appliquent de manière extrêmement stricte la loi Toubon et l'article 2 de la Constitution lorsqu'il s'agit des langues régionales, mais font montre d'un laxisme total pour l'anglais. Ce « deux poids, deux mesures » donne aux territoires le sentiment insupportable d'un État fort avec les faibles et faible avec les forts : trop souvent, on s'abrite derrière la loi fondamentale pour empêcher le développement de classes bilingues que certains parents souhaitent, outrepassant la volonté du législateur.

J'en viens à nos recommandations sur les examens. Pourquoi un élève ayant reçu un enseignement en basque, en breton ou en alsacien ne passerait-il pas certaines épreuves du baccalauréat ou du brevet dans cette langue régionale, comme le demandent les territoires ? La possibilité existe déjà, mais des reculs ont eu lieu ces dernières années à la suite d'une circulaire d'un ancien directeur général de l'enseignement scolaire. Les sections internationales, elles, ne donnent lieu à aucun débat... Pourquoi ce qui vaut pour l'allemand, l'anglais ou l'espagnol ne vaudrait-il pas pour le catalan ou l'occitan ?

Le coût de la formation, essentielle, varie d'un territoire à l'autre, car toutes les collectivités locales ne s'impliquent pas. Ainsi, la Collectivité européenne d'Alsace est investie, mais celles de mon territoire ne le sont pas. Notre rapport est extrêmement clair : puisque la formation des professeurs relève de la compétence de l'éducation nationale, cette dernière doit en assumer la charge. Il ne doit pas y avoir de transfert aux collectivités, même si certaines d'entre elles, comme la Bretagne ou la Collectivité européenne d'Alsace, participent sur la base du volontariat, un choix politique que je salue.

Plusieurs facteurs expliquent l'absence d'adéquation entre la carte des langues régionales et l'organisation administrative de notre pays. La différence de prise en compte du breton entre la région Bretagne et la Loire-Atlantique est inacceptable. Des harmonisations sont donc nécessaires. Les Pyrénées-Atlantiques ont réglé le problème en créant un groupement d'intérêt public réunissant l'État, représenté par les ministères de l'intérieur, de l'éducation nationale et de la culture, la région Nouvelle-Aquitaine, le département des Pyrénées-Atlantiques et la communauté d'agglomération Pays basque, qui couvre la totalité de l'aire linguistique bascophone.

Je conclurai en précisant que l'ancienne ministre de l'éducation nationale m'a assuré plusieurs fois attendre ce rapport avec beaucoup d'impatience. J'espère que le nouveau ministre témoignera du même sentiment.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - La situation en Loire-Atlantique, à l'origine de ce rapport, est clairement inacceptable. Dans ce département, un inspecteur pédagogique régional (IPR) de mathématiques est complètement réfractaire aux langues régionales. Il pourrait y avoir une coopération entre le rectorat de Nantes et celui de Rennes en matière de langues régionales. Une convention, de fait, permettrait des mutualisations pour améliorer la situation sans en passer par une révolution. Parfois, un peu de bonne volonté suffit ! Ce rapport nous permet de mettre en avant des constats aussi simples.

Ne parlant pas mais comprenant pour ma part le gallo, j'ai constaté que l'apprentissage des langues régionales permet d'être plus à l'aise dans le reste du monde. Je suis attachée à la défense et à la promotion des langues régionales non pas dans une visée de repli sur le territoire, mais dans une visée universaliste.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

« XX=XY, féminiser les sciences, dynamiser la société » - Présentation du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons maintenant entendre la présentation, par Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, intitulé XX=XY, féminiser les sciences, dynamiser la société.

Mme Laure Darcos, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Mes chers collègues, Marie-Pierre Monier et moi-même sommes très heureuses d'avoir l'opportunité de vous présenter à deux voix le rapport d'information que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a adopté il y a tout juste une semaine et qui s'intitule XX=XY, féminiser les sciences, dynamiser la société. Marie-Pierre Monier, qui a été professeure de mathématiques, Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine et moi-même en avons été les autrices, après avoir travaillé sous la présidence de Dominique Vérien.

La délégation demandait depuis plusieurs années à s'emparer du sujet. De surcroît, la place des femmes dans les sciences est un sujet qui intéresse évidemment la commission de la culture, compétente en matière d'éducation, d'enseignement supérieur et de recherche. À titre personnel, il me tient particulièrement à coeur. Je l'ai, d'ailleurs, souvent mis en avant lorsque j'étais rapporteure pour avis, au nom de la commission, des crédits de la recherche.

Je précise d'emblée que le défi est celui de l'accès des filles et des femmes non pas aux sciences de façon générale, mais bien aux mathématiques, aux sciences physiques, à la chimie, à l'informatique et aux sciences de l'ingénieur, soit les filières dites sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (Stim). En effet, si les femmes sont nombreuses dans les sciences médicales, les sciences du vivant et de la terre ou la biologie, elles ne représentent qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France. Féminiser les sciences est un enjeu non pas seulement de justice et d'égalité, mais aussi d'innovation et de compétitivité pour notre recherche et nos entreprises, en un mot de souveraineté pour notre pays.

Marie-Pierre Monier, Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine et moi-même avons oeuvré pendant plus de six mois. Nous avons entendu plus d'une centaine de femmes scientifiques lors d'auditions et effectué plusieurs visites de terrain, sur le campus de ParisSaclay, à l'Institut Curie, au lycée Louis-le-Grand ou encore dans la Meuse, à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Nous nous sommes également rendues au Portugal pour nous inspirer des actions qui y sont menées en matière de diffusion de la culture scientifique.

Notre rapport s'organise en quatre temps : l'école primaire, l'enseignement secondaire et les choix d'orientation, l'enseignement supérieur, les carrières professionnelles.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Nous avons dressé le constat suivant : en matière de féminisation des sciences, tout commence dès la petite enfance.

En effet, l'école primaire est le point de départ de la construction des écarts de performance. Alors que filles et garçons ont des résultats similaires en mathématiques à l'entrée en CP, une nette avance des garçons apparaît dès quatre mois d'école et d'enseignement formel de la discipline, écart qui ne fait que s'accroître tout au long des années de primaire : il augmente d'un facteur quatre jusqu'au CE1.

Ce phénomène est global. Il se retrouve quels que soient le contexte social, familial et territorial ou l'environnement scolaire. Toutefois, les écarts sont encore plus précoces et marqués chez les enfants issus de familles très favorisées, sans doute parce qu'elles encouragent davantage la compétitivité académique de leurs fils. De surcroît, les écarts filles-garçons en mathématiques se retrouvent, certes, dans tous les pays de l'Union européenne et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais nous sommes le pays où ils sont les plus marqués.

Comment les expliquer ? Il convient de rappeler, s'il en était besoin, qu'il n'existe aucune discordance à la naissance entre le cerveau des petites filles et celui des petits garçons : le sens du nombre est identique. Les différences qui apparaissent vers 6 ans sont uniquement la conséquence des stéréotypes et biais de genre auxquels les enfants sont confrontés dans leur environnement dès le plus jeune âge et qu'ils intériorisent.

Ces stéréotypes sont présents à la maison dans les interactions avec les parents, lesquels encouragent davantage la motricité, l'autonomie et le sens de la compétition des garçons. Ils le sont aussi à l'école, où les garçons interviennent davantage quand une question appelle une réflexion, là où les filles sont interrogées sur leur mémorisation. En outre, les enseignants - ils sont aux trois quarts des femmes ayant suivi un cursus littéraire - peuvent transmettre leur anxiété ou, en tout cas, leur moindre appétence des mathématiques à leurs élèves filles, un effet mimétique qui ne se retrouve pas avec leurs élèves garçons. Enfin, les stéréotypes sont également présents dans tout l'environnement socioculturel des petits : dessins animés, magazines... À 6 ans, les enfants associent déjà le talent intellectuel et mathématique à la figure masculine.

Face à ces constats, nous sommes donc convaincues de la priorité d'agir dès le plus jeune âge. Le premier levier à activer est celui de la formation des enseignants, plus particulièrement sur deux volets : d'une part, la formation scientifique et la formation à la pédagogie des mathématiques des professeurs des écoles doivent être renforcées ; d'autre part, la sensibilisation aux biais de genre, à la pédagogie égalitaire, doit être intégrée au concours, en privilégiant notamment la formation entre pairs. Plus globalement, la culture de l'égalité doit davantage se diffuser dans les établissements scolaires, notamment au sein des contenus pédagogiques.

Nous formulons plusieurs recommandations afin de développer la culture scientifique pour tous, dans tous les territoires. La médiation, les stages, les sorties scolaires et les médias à caractère scientifique sont des vecteurs qu'il faut davantage mobiliser, particulièrement à destination des filles.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Après le temps de l'école primaire vient celui du collège et du lycée, ainsi que les premiers choix d'orientation. Il s'agit d'une étape charnière, car, si les bonnes sélections d'options ne sont pas faites à 14-15 ans, il est ensuite compliqué de rejoindre un parcours professionnel à forte dimension scientifique et mathématique. Ces choix sont encore extrêmement genrés. L'on peut douter de leur caractère entièrement libre et éclairé au vu des inégalités, des pressions et des stéréotypes sexistes auxquels les jeunes filles font face.

Si l'écart de niveau entre filles et garçons en mathématiques tend à se réduire au cours du collège, on note, en revanche, de réelles différences dans le rapport à cette discipline : 59 % des garçons déclarent l'aimer et 54 % sont confiants dans leurs capacités en la matière, contre respectivement 42 % et 40 % des filles.

Au lycée, les filles font très nettement moins que les garçons le choix de filières et de spécialités scientifiques. Certes, elles sont plus nombreuses que les garçons à accéder à une seconde générale et technologique, mais, en terminale générale, seul un tiers des filles choisissent une combinaison de deux spécialités scientifiques, contre la moitié des garçons, et seules 10 % choisissent l'option « mathématiques expertes », contre un quart. Aussi, je tiens à souligner la mauvaise foi dont a fait preuve M. Blanquer au cours d'une audition : d'après lui, la fin de la présence des mathématiques dans le tronc commun des enseignements n'avait eu aucune incidence sur le choix de spécialités ultérieur des filles !

Après le lycée, seules 17 % des bachelières poursuivant des études supérieures optent pour des filières Stim, contre 44 % des garçons.

Il faut délaisser la rhétorique autour du « manque de confiance en soi » et de « l'autocensure » des filles, qui fait peser sur elles la responsabilité de leurs choix, peu tournés vers une orientation scientifique. Plutôt que changer les filles, nous pensons qu'il faut changer les mathématiques et les sciences, ainsi que la façon dont elles sont perçues et enseignées, et mettre en valeur leur utilité sociale afin d'encourager l'envie de sciences chez toutes et tous. En outre, il faut agir davantage sur l'attitude des garçons et promouvoir une réelle culture de l'égalité, avec une tolérance zéro pour les comportements sexistes.

Nous avons constaté, par ailleurs, un déficit global d'informations sur les études et carrières scientifiques ainsi que sur les liens entre choix de spécialités et orientation future. Afin de lutter contre ce manque, nous appelons à développer des campagnes de communication sur le portail de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) et sur Parcoursup, mais aussi à soutenir les clubs, les stages, les programmes d'immersion et les interventions de modèles féminins inspirants.

En la matière, nous tenons à préciser que Marie Curie ne saurait être le seul modèle féminin. On ne demande pas aux garçons d'être Einstein pour s'orienter vers une carrière scientifique ! Il faut donc surtout présenter aux filles des modèles accessibles, proches en âge, qui ont brillamment réussi par leur travail sans être forcément des génies.

Nous appelons également à la mise en place d'un véritable service public de l'orientation, qui soit formé aux questions d'égalité femmes-hommes et qui associe les familles. En tant que principales prescriptrices des choix d'orientation de leurs enfants, celles-ci doivent être elles aussi sensibilisées à ces enjeux.

De surcroît, il est impératif d'agir davantage sur les représentations et attitudes des garçons. Ces derniers véhiculent bien souvent dans les classes des propos sexistes alimentant la petite musique selon laquelle les filles ne seraient pas bonnes en mathématiques et donc pas légitimes à poursuivre des carrières scientifiques. Cela implique de donner enfin de véritables moyens aux référents égalité filles-garçons tant au niveau académique qu'au sein des établissements. Soit dit en passant, un label a été créé pour que les manuels scolaires ne présentent plus systématiquement dans leurs illustrations un chercheur masculin en blouse blanche et une fille qui soit infirmière ou femme de ménage...

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Une fois franchies les barrières de l'orientation au collège et au lycée, les jeunes femmes se trouvent confrontées à de nouveaux obstacles : minoritaires dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur, elles y affrontent souvent un sexisme ordinaire, parfois des violences sexistes et sexuelles.

Les classes préparatoires, les grandes écoles et les universités constituent un maillon décisif pour donner toute leur place aux femmes dans les sciences. Pourtant, l'enseignement supérieur concentre les inégalités héritées du secondaire et en introduit même de nouvelles.

En France, on l'a dit, le pourcentage global de filles choisissant les filières Stim est très inférieur à celui des hommes. Elles demeurent sous-représentées dans les filières scientifiques les plus sélectives, notamment au sein des meilleures écoles d'ingénieurs françaises, alors même qu'elles intègrent les classes préparatoires scientifiques avec, en moyenne, de meilleurs résultats scolaires que les hommes.

Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques recrutent dans un vivier aux deux tiers masculin, ratio qui monte même à 70 % si l'on ajoute l'option « mathématiques expertes ». En outre, une véritable stratégie d'évitement des filières à forte composante mathématiques se constate chez les filles. Ainsi, tandis que la plupart des classes préparatoires scientifiques affichent un taux de féminisation supérieur à 25 %, l'absence presque totale de filles dans les nouvelles classes préparatoires mathématiques-informatique est flagrante.

La proportion de filles admises dans les écoles scientifiques les plus prestigieuses, c'est-à-dire les grandes écoles d'ingénieurs ou les écoles normales supérieures (ENS), est particulièrement faible : elles ne représentent plus que 20 % des étudiants admis.

Au total, dans les quelque 200 écoles d'ingénieurs recensées en France, seuls 30 % des 200 000 élèves qui suivent un cursus pour exercer cette profession sont des femmes. Ce taux était de 27 % il y a vingt ans. Même au sein des écoles qui ont mis en place des politiques de féminisation de leur effectif, comme à l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP), à Centrale-Supélec ou encore à l'X, la progression de la proportion d'étudiantes reste lente et insuffisante.

Dans les écoles normales supérieures, autre voie d'excellence en France, le taux de femmes admises dans les filières scientifiques est également très faible, à l'instar de l'ENS Ulm où l'on compte moins de 20 % de filles dans le département « sciences » en 2023 et 0 % dans la filière « mathématiques-informatique ». À l'ENS de Paris-Saclay, les femmes représentent seulement 11,5 % des inscrits en mathématiques.

Enfin, au sein des disciplines scientifiques universitaires, si les femmes sont, en 2023, majoritaires en sciences de la vie et en médecine - elles représentent 66 % des étudiants dans les deux cas -, elles sont minoritaires en sciences fondamentales, à hauteur de 33 % des étudiants.

Les raisons de cette faible présence de femmes au sein des études scientifiques les plus sélectives sont multiples. Elles ne s'y sentent pas attendues ou pas les bienvenues, « pas à leur place » pour reprendre les mots d'Élisabeth Borne. Elles redoutent la très faible mixité de l'environnement et l'éventuelle « toxicité » d'un milieu très majoritairement masculin et compétitif. Elles souffrent de la persistance d'un climat de violences sexistes et sexuelles dont la réalité n'est pas encore suffisamment prise en compte par tous les responsables académiques, malgré une prise de conscience institutionnelle du phénomène.

Garantir un environnement favorable et protecteur est essentiel pour que les talents féminins ne se perdent pas à ce moment décisif de la formation professionnelle, au risque d'alimenter ainsi le phénomène bien connu du tuyau percé. À cette fin, nous proposons d'expérimenter de nouvelles solutions pour assurer une véritable mixité des carrières scientifiques.

Premièrement, nous préconisons l'instauration de quotas en classes préparatoires et à l'entrée des filières scientifiques les plus sélectives et les moins féminisées.

Deuxièmement, nous recommandons la mise en place de dispositifs favorables aux filles : bourses spécifiques, augmentation du nombre de lits en internat et regroupement des filles dans les classes les plus sélectives et compétitives.

Troisièmement, nous proposons l'expérimentation de séquences non mixtes ponctuelles dans les parcours académiques scientifiques.

Quatrièmement, nous suggérons une réforme de l'organisation des processus de sélection à l'entrée des grandes écoles, c'est-à-dire de la préparation aux concours et des épreuves, la facilitation des passerelles et l'hybridation des parcours académiques.

Toutes ces mesures ne donneront aucun résultat si la politique de lutte contre le sexisme et les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur scientifique n'est pas appliquée de façon homogène et volontaire par l'ensemble des responsables académiques.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - La conséquence logique de cette faible féminisation des filières académiques scientifiques est une sous-représentation féminine dans les carrières scientifiques, que ce soit dans le domaine de l'ingénierie, de la recherche, de l'informatique ou du numérique.

Les femmes représentent aujourd'hui moins d'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France. Ce chiffre stagne ces dernières années. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements R&D des entreprises.

Dans un contexte de fortes tensions en compétences dans les secteurs liés à la transition numérique, à la transition écologique, à l'intelligence artificielle ou encore à la santé, un vivier scientifique élargi est vital, où la mixité est gage d'innovation, de performance et de qualité, tant dans les laboratoires que dans les entreprises.

Aujourd'hui, il est indispensable de former au moins 20 000 ingénieurs et 60 000 techniciens de plus chaque année pour permettre à la France de rester compétitive dans ces domaines.

En outre, environ une femme sur deux, après avoir opté pour une carrière scientifique, quitterait ce champ professionnel au cours des dix années suivant l'obtention de son diplôme : c'est le phénomène effectivement bien connu du tuyau percé, que Marie-Pierre Monier évoquait.

Celui-ci creuse les inégalités salariales entre femmes et hommes, notamment dans le domaine de la recherche scientifique. On constate ces inégalités dès la procédure de recrutement des chercheurs.

Le déroulé de la carrière, ensuite, est également pénalisant pour les femmes.

Le modèle professionnel du « bon chercheur scientifique » implicitement masculin, entièrement consacré à son activité professionnelle, peut être dissuasif pour les femmes pour qui la difficile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale aggrave le manque d'attractivité de la recherche scientifique.

Ce manque d'attractivité est également accentué par la prévalence de toute la palette des violences sexistes et sexuelles dans ce domaine : que ce soit le « sexisme ordinaire » encore profondément ancré dans le monde scientifique ou toutes les violences sexistes et sexuelles dont les femmes peuvent être victimes. Ces violences sont particulièrement présentes au moment de l'entrée dans la vie professionnelle, il est donc essentiel d'agir en amont.

À cet égard, nous avons eu connaissance d'une anecdote révélatrice. Une jeune femme auditionnée nous a révélé que son directeur de recherche s'était approprié l'ensemble de ses travaux le temps de son congé maternité. En creusant un peu son récit, nous nous sommes rendu compte que le directeur de recherche en question avait été auditionné auparavant dans le cadre de nos travaux... Ce type de choses arrive bien plus souvent qu'on ne le croit.

Nous formulons plusieurs recommandations.

Dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche : des quotas de genre pour le recrutement et les promotions de femmes ; des formations aux biais de genre pour les jurys de recrutement et les comités de sélection ; la mise en oeuvre de programmes d'accompagnement et de mentorat des femmes vers des postes à responsabilité.

Pour une plus grande mixité au sein des carrières scientifiques dans l'entreprise, notamment au sein des métiers de l'ingénierie, nous recommandons de sensibiliser les chefs d'entreprise et les directions des ressources humaines aux enjeux de la diversité des recrutements comme facteur d'innovation et de performance économique.

La délégation est également favorable à une réflexion plus poussée concernant « l'éga-conditionnalité » des aides publiques à la recherche.

Pour maintenir les femmes dans les carrières scientifiques, nous recommandons des mesures de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale : une réforme du congé paternité et du congé parental pour une plus grande égalité dans le déroulé de carrière des pères et des mères ; pour les jeunes parents, un allègement des charges administratives et pédagogiques des chercheuses au retour de congé maternité ; des décharges d'enseignement et un soutien spécifique aux jeunes parents chercheurs ou encore une valorisation du travail collectif et en équipe.

Enfin, le renforcement de la lutte contre le sexisme ordinaire et les violences sexistes et sexuelles dans les secteurs scientifiques doit contribuer au maintien des femmes dans ces secteurs et à la féminisation de leur recrutement.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Voilà, monsieur le président, mes chers collègues, les éléments d'analyse et de réflexion que nous souhaitions porter à votre connaissance. Je rappelle que le rapport a été adopté à l'unanimité par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous sommes maintenant à votre disposition pour en débattre.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Nos travaux ont reçu un très bon accueil. J'ai notamment planché devant l'Académie des sciences, qui leur a porté un grand intérêt.

En revanche, les jeunes femmes du lycée Louis-le-Grand ont de prime abord été choquées par le système des quotas que nous préconisons. Pour elles, seul le mérite doit compter. Elles veulent réussir par elles-mêmes. Notre but est seulement d'encourager les 20 % de jeunes femmes qui abandonnent en première année de persévérer afin de parvenir à 30 % de féminisation en deuxième année de prépa.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Compte tenu des besoins du pays en ingénieurs, les grandes écoles ont bien vu tout l'intérêt qu'il y avait à attirer plus de femmes dans leurs cursus.

Mme Annick Billon. - Je tiens à remercier nos quatre rapporteures pour leur détermination et leur constance. Chère Laure Darcos, je sais que ce sujet vous tient à coeur depuis longtemps.

Il faut prendre ce rapport comme une boîte à outils pour favoriser la féminisation des carrières scientifiques.

Le système des quotas n'interviendrait qu'en dernier recours. Tout se passe avant, le décrochage des filles étant constaté dès l'école primaire. Il est très mauvais qu'une profession soit trop féminisée, comme la magistrature peut l'être, ou trop masculinisée. Aussi, il est essentiel pour la société que les femmes soient plus nombreuses dans les carrières scientifiques.

Plus largement, une réflexion doit être menée sur le travail et les femmes, notamment au prisme de notre politique familiale.

M. Pierre Ouzoulias. - Mes chères collègues, je connais votre pugnacité et je sais que Laure Darcos avait ce projet en tête depuis longtemps. Je connais au quotidien les difficultés que peut rencontrer une femme menant une carrière scientifique.

La grossesse est presque toujours un problème à un moment décisif de leurs carrières et de leurs recherches. Dans la fonction publique, plus on monte dans la hiérarchie, moins les femmes sont présentes. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de quotas. Sinon, nous ne nous en sortirons pas. Il faut un effet d'entraînement, car le plafond de verre n'a pas bougé. Par exemple, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), il y a plus de femmes, mais on ne les retrouve pas dans les hautes fonctions.

Plus les disciplines sont valorisées dans la société, plus on retrouve d'hommes. Ainsi, ils sont 90 % dans le domaine de l'intelligence artificielle. Qu'est-ce que cela révèle ? À mon sens, c'est le résultat de cette capacité qu'ont les hommes à agir en meute, dans un entresoi exclusif. Il faut casser ce phénomène.

Nous devons exiger un engagement fort des agences de l'État, qui ont les moyens de réguler tout l'écosystème de la recherche scientifique.

M. Max Brisson. - Nous sommes très concernés par ces travaux. À titre personnel, je suis un fervent défenseur de l'universalisme républicain, donc plutôt opposé, par principe, aux quotas et à la discrimination positive. Seulement, force est de constater que c'est parfois le seul moyen d'asseoir un certain équilibre, comme dans la sphère politique.

Je suis quand même stupéfait qu'il y ait encore de tels blocages après tant d'années d'efforts pour lutter contre ces inégalités. Aussi, exceptionnellement, je suis enclin à partager les recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Néanmoins, nous devrons être attentifs à la mise en oeuvre de tels principes pour éviter les effets de bord et les dommages collatéraux.

Enfin, j'exprimerai une forme de regret, qui est autant un encouragement pour notre commission à explorer un autre champ : l'enseignement professionnel, où les inégalités sont actuellement tout aussi criantes.

Mme Monique de Marco. - Je dois d'abord dire que j'aime beaucoup l'intitulé de votre rapport.

Celui-cinous donne les clés pour comprendre le phénomène et ses causes. Je suis néanmoins très dubitative sur l'instauration de quotas en classes préparatoires et reste très défavorable aux séquences non mixtes ponctuelles, qui me rappellent des pratiques contestables de certaines organisations.

J'ajoute un point que, me semble-t-il, vous n'abordez pas : la parité des jurys et des comités de sélection.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Mais les femmes sont justement si peu nombreuses qu'elles y passeraient tout leur temps au détriment de leurs travaux de recherche.

Mme Monique de Marco. - À tout le moins, ceux qui établissent les critères de sélection devraient respecter une forme de parité. Est-ce le cas ?

Enfin, qu'entendez-vous par l'expression « changer le regard sur les mathématiques et les sciences » ?

Mme Karine Daniel. - Il y a partout des noeuds de pouvoir qu'il convient de desserrer. Cela passe effectivement par un effort à faire dans la composition des jurys.

Je suis d'accord, il faut mettre l'accent sur l'exemplarité et les modèles. Lorsque nous avons auditionné Sibyle Veil, PDG de Radio France, je me suis ainsi émue de la faible représentation des femmes dans les panels d'experts appelés à s'exprimer dans les médias audiovisuels. À cet égard, la création d'une plateforme d'experts pour les journalistes me semble une bonne idée.

Enfin, pour attirer les vocations féminines, il faut raisonner non pas en termes de disciplines, mais en termes d'enjeux : par exemple, plutôt que de compartimenter les différents savoirs, il serait plus pertinent de mettre en avant les enjeux liés au dérèglement climatique.

M. Bernard Fialaire. - J'abonde dans ce sens : j'ai toujours entendu dire que les femmes étaient plus éclectiques et avaient une meilleure prédisposition à appréhender la transversalité des enjeux. Il faudrait prévoir des critères de recrutement beaucoup plus larges pour attirer les candidatures féminines.

M. Stéphane Piednoir. - Ce rapport est dense et intéressant.

J'ai pour ma part les mêmes réserves que Max Brisson sur les quotas. Le risque est de dévaloriser et de déprécier les individus qui en profitent. Cela peut devenir un cercle vicieux.

Je suis de surcroît franchement hostile à la non-mixité : c'est pour moi une ligne rouge.

Pour avoir participé aux travaux de la mission Villani-Torossian sur l'enseignement des mathématiques, je connais bien le sujet. Certes, il y a des obstacles dans le déroulement de la carrière que les hommes ne connaissent évidemment pas, comme les grossesses. Néanmoins, il y a 80 % de femmes dans l'enseignement primaire. Cela correspondil à une inclination naturelle des femmes vers la transmission aux tout-petits ? Toujours est-il que l'instauration de quotas aurait dans ce domaine des effets catastrophiques.

Aujourd'hui, de plus en plus d'élèves arrêtent les mathématiques en classe de seconde. On retrouve ensuite devant nos enfants des enseignants qui ne sont pas en mesure de leur transmettre le goût de cette discipline.

En ce qui me concerne, j'ai été particulièrement marqué et encouragé par une professeure lors de mon parcours universitaire, qui m'a mené à l'agrégation de mathématiques. C'est donc possible !

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Bien sûr que nous en sommes capables. Mais pourquoi ne le faisons-nous pas plus ? C'est le but de ce rapport que de lutter contre tous les stéréotypes.

Effectivement, les femmes préfèrent les métiers qui touchent à plusieurs disciplines. Il faut valoriser ces prédispositions, mais ce travail doit être mené dès l'école primaire.

Jusqu'en 1986, les écoles normales supérieures n'étaient pas mixtes et la parité était alors de mise.

Nous avons eu des retours sur les expériences de non-mixité ponctuelle dans certaines écoles. Il avait été en effet constaté qu'en classe préparatoire, les jeunes filles se décourageaient vite et abandonnaient le cursus avant la Toussaint. Il convient de creuser cette piste.

Concernant le congé parental, il s'agit de mettre sur un pied d'égalité les chercheurs hommes et femmes. Une glaciologue française travaillant en Norvège nous a dit que la parité y était scrupuleusement respectée.

Sans les quotas, nous n'y arriverons pas. La discipline des mathématiques est très exigeante. Nous devons améliorer les capacités de vulgarisation de nos enseignants en primaire. Songez à ce test qui a été pratiqué avec des élèves de CP, à qui l'on a montré une figure géométrique : si on leur dit que c'est un dessin, les fillettes le reproduisent parfaitement ; si on leur dit qu'il s'agit d'une figure géométrique, elles se bloquent plus facilement.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Tous les scientifiques auditionnés ont effectivement mis l'accent sur des figures déterminantes rencontrées lors de leurs études.

Je tiens à rendre hommage à Sylvie Retailleau et à Élisabeth Borne, qui ont souhaité renforcer les formations en mathématiques pour corriger les effets négatifs de la réforme Blanquer.

Nous avons fait un constat contre-intuitif : plus on monte dans les classes sociales, plus les études des garçons apparaissent comme une priorité. Paradoxalement, les filles d'agriculteurs sont moins susceptibles de subir une telle différence de traitement.

Je reviens sur les classes non mixtes. Il nous a été rapporté que les filles avaient plus de mal à prendre la parole lors des travaux pratiques. C'est ce qui inspire cette idée de nonmixité ponctuelle. L'école Polytechnique travaille également sur ce sujet.

Un autre frein est le manque de places en internats pour les classes préparatoires en province. Les familles ont du mal à laisser partir leurs filles pour cette raison.

Enfin, cher Max Brisson, vous avez raison, il faut rétablir l'équilibre dans toutes les filières.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je termine sur les besoins en ruralité. Nous pensons que les deux premières années doivent d'effectuer au plus près des territoires, avec un système de bourse spécifique.

La réunion est close à 11 h 45.