- Mardi 21 octobre 2025
- Mercredi 22 octobre 2025
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Macédoine du Nord - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire - Examen du rapport et du texte de la commission
- Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) - Examen du rapport d'information (sera publié ultérieurement)
- Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants
Mardi 21 octobre 2025
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Hommage à un commissaire
M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, c'est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue et ami, le sénateur Gilbert Bouchet, survenu ce lundi 20 octobre 2025, des suites de la maladie de Charcot.
Gilbert Bouchet a consacré sa vie au service des autres, avec cette énergie calme et déterminée qui le caractérisait. Maire de Tain-l'Hermitage pendant plus de vingt ans, il y a profondément marqué l'histoire de sa commune et le coeur de ses habitants.
Chef d'entreprise passionné, élu de terrain reconnu, il avait rejoint le Sénat en 2014, portant avec conviction la voix de la Drôme et celle de tous les territoires. Son engagement au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées fut à la hauteur de sa rigueur et de son sens du devoir.
Atteint par la maladie de Charcot, Gilbert Bouchet a affronté cette épreuve avec la même combativité et la même dignité qui avaient toujours guidé son parcours.
En octobre 2024, alors déjà affaibli, il avait tenu à défendre en personne la proposition de loi qu'il portait, visant à améliorer la prise en charge des personnes atteintes de la maladie de Charcot (SLA). Ce jour-là, dans l'hémicycle, son courage et son témoignage avaient profondément ému l'ensemble de ses collègues. Son texte fut adopté à l'unanimité quelques mois plus tard -- un héritage durable de son humanité et de son combat.
Jusqu'à ses derniers instants, Gilbert Bouchet est resté fidèle à ses idées, à son engagement et à son franc-parler. Il nous laisse l'exemple d'un homme libre, sincère et profondément républicain, attaché à la dignité humaine et au sens du service public.
À sa famille, à ses proches, à ses collaborateurs et à tous ceux qui l'ont accompagné, j'adresse, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mes condoléances les plus sincères et ma profonde solidarité.
Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement (à huis clos) (sera publié ultérieurement)
La réunion est close à 18 h 00.
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Mercredi 22 octobre 2025
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Macédoine du Nord - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Pascal Allizard, président. - Mes chers collègues, je vous prie d'excuser le président Cédric Perrin, qui nous rejoindra dans quelques minutes.
Nous examinons le projet de loi n° 788, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous sommes saisis de ce projet d'accord de coopération, qui comporte à la fois un volet géopolitique et un volet relatif à la défense, en seconde chambre, le dispositif ayant été adopté sans opposition par l'Assemblée nationale le 25 juin dernier. Les auditions que j'ai conduites avec Son Excellence Igor Nikolov, ambassadeur de la République de Macédoine du Nord en France, M. Refet Hajdari, chargé d'affaires, ainsi qu'avec les commissaires du Gouvernement chargés du dossier - au ministère des armées et au ministère de l'Europe et des affaires étrangères - m'ont permis de mesurer l'enjeu de cet accord, qui, au-delà du nécessaire cadre juridique qu'il apporte à notre coopération, est porteur d'opportunités pour les deux parties.
La rapporteure projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.
La Macédoine du Nord est située sur le flanc est des Balkans occidentaux, au sein desquels elle occupe une position stratégique du fait de sa situation au carrefour des corridors VIII et X. Elle est officiellement candidate à l'adhésion à l'Union européenne depuis 2004 et membre de l'Alliance atlantique depuis 2020.
La candidature macédonienne à l'Union européenne fait l'objet d'un accueil de principe très favorable de la part de celle-ci, depuis le sommet de Thessalonique de juin 2003, mais aussi de la part de la France, comme en témoigne la Stratégie française pour les Balkans occidentaux de 2019. Le soutien français a été clairement réaffirmé par le Président Macron dans son discours de clôture du forum Globsec en mai 2023 : « La question pour nous n'est pas de savoir si nous devons élargir, nous y avons répondu il y a un an ; ni même quand nous devons le faire, c'est pour moi le plus vite possible, mais bien comment nous devons le faire. » En effet, pour la France comme pour ses partenaires européens, la perspective de l'élargissement s'inscrit dans une démarche globale visant à assurer durablement la stabilité de la région, encore fragile, en l'arrimant au camp européen, mais aussi en la préservant, autant que possible, des influences étrangères particulièrement agressives dont elle fait l'objet, comme, bien sûr, les ingérences toxiques russes, mais aussi l'emprise chinoise sur ses infrastructures, sans négliger l'omniprésence turque dans ses réseaux d'affaires.
Cependant, en dépit de ce soutien, cette ambition européenne s'est trouvée dès l'origine contrariée par une succession de tensions identitaires. Pour rappel, le pays avait connu au début du siècle une violente insurrection de la communauté albanaise, jusqu'à ce que les accords d'Ohrid, en août 2001, mettent fin à la crise en accordant une reconnaissance de la minorité albanaise. Un différend a ensuite longtemps opposé le pays à la Grèce au sujet de l'utilisation de la dénomination « Macédoine ». L'accord dit « de Prespa », en juin 2018, a permis de lever l'opposition grecque aux candidatures du pays à l'Union européenne et à l'Otan. Enfin, un contentieux avec la Bulgarie concerne la reconnaissance d'une minorité bulgare, les deux autres contentieux existants ayant été réglés. Sur ce point, le rapprochement diplomatique entamé en 2017 a fait évoluer favorablement la situation, mais une modification de la constitution demeure requise pour mener à terme cette démarche. On soulignera sur ce point que la coalition nationaliste au pouvoir depuis mai 2024 ne remet aucunement en question cette perspective, mais la conditionne à la garantie que plus aucun veto ne sera opposé à la candidature macédonienne.
C'est pourquoi, vingt-deux ans après le sommet de Thessalonique, force est de constater que l'Union européenne n'est toujours pas au rendez-vous des espoirs suscités. Certes, malgré la lenteur du processus d'intégration qui distille peu à peu dans la région un découragement de plus en plus tangible par rapport à la perspective d'adhésion, l'aspiration européenne des Macédoniens demeure presque intacte. La patience est une des grandes qualités de ce pays. Je saluerai ici les sacrifices significatifs que le pays a consentis à cette fin, en modifiant à la fois son nom et son drapeau, qui témoignent de son engagement et de son volontarisme.
Le rapport d'information Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique, que j'ai cosigné en juillet 2023, avec nos collègues Olivier Cigolotti, Bernard Fournier et Michelle Gréaume, pointait les conséquences délétères de ces atermoiements successifs, qui favorisent l'emprise croissante des puissances extérieures dans la région. Il insistait par ailleurs sur la nécessité d'y renforcer notre présence stratégique, notamment notre coopération militaire. Les conclusions de ce rapport me semblent conserver toute leur actualité et leur pertinence.
En matière de politique étrangère, la Macédoine du Nord est résolument tournée vers l'Ouest, privilégiant le cadre de l'Otan ou les partenariats stratégiques avec les États-Unis, l'Union européenne et, plus récemment, celui qui a été conclu en mai dernier avec le Royaume-Uni. Elle a su se constituer au fil des années, au-delà des alternances politiques, l'image d'une alliée fiable.
La Macédoine du Nord est alignée sur les décisions et déclarations adoptées par l'Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) ainsi que sur les sanctions européennes imposées à l'encontre de la Russie, et ceci en dépit de lourdes conséquences sur sa propre économie. Elle participe aux opérations européennes dans le cadre de la force de l'Union européenne Althea (Eufor Althea) en Bosnie-Herzégovine et bénéficie depuis 2023 de la Facilité européenne pour la paix (FEP), à hauteur de 37 millions d'euros, notamment pour renforcer la capacité opérationnelle de ses forces armées et développer des outils logistiques, de renseignement ou de guerre électronique.
L'engagement du pays au sein de l'Alliance atlantique est plus que symbolique, puisque la Macédoine du Nord déploie actuellement 67 personnels dans le cadre de la mission Kosovo Force (KFOR) au Kosovo, et 83 dans les opérations de réassurance en Lettonie, en Bulgarie et en Roumanie. L'adhésion à l'Otan a permis d'engager une modernisation de son outil de défense. Avec à peine 6 000 personnels, équipés de matériel vieillissant, les capacités de l'armée macédonienne demeurent modestes. Cependant, à l'échelle du pays, son budget de dépense, soit 332 millions d'euros, dépasse actuellement les 2 % du PIB. Surtout, le pays prévoit une montée en puissance de ses capacités avec, à horizon 2029, un objectif de 955 millions d'euros, soit un quasi triplement : ce chiffre correspond à 530 euros par habitant, alors que le salaire mensuel moyen s'établit à 623 euros, ce qui donne la mesure de l'effort accompli par le pays. Cet objectif ouvre également de réelles possibilités de partenariat et l'accord qui nous occupe aujourd'hui ne manquera pas, de ce point de vue, de constituer un atout pour nos industriels.
La Macédoine du Nord a contribué de manière substantielle à l'aide militaire à l'Ukraine, et figure même parmi les pays l'ayant le plus soutenue en PIB par habitant. Elle a notamment fourni des chars T-72, des avions d'attaque SU-24 et des batteries de missiles antiaériens SA-13 et SA-16. De plus, elle a dispensé une formation à une compagnie ukrainienne en 2023. L'arrivée au pouvoir de la coalition nationaliste a fait craindre un temps un infléchissement de cet engagement en faveur de l'Ukraine et de l'alignement indéfectible de la Macédoine du Nord sur la Pesc, mais les auditions que j'ai conduites ont permis de dissiper cette inquiétude et de nous rassurer sur la continuité de l'engagement macédonien.
S'agissant de nos relations bilatérales, elles reposent sur des liens historiques forts, étayés par l'engagement constant de notre pays aux côtés de la Macédoine du Nord à l'occasion des différends régionaux successifs qui l'ont agitée. Le soutien français à l'adhésion européenne et, d'une manière générale, des intérêts géostratégiques convergents ont également contribué au rapprochement de nos deux pays. Cependant, la France n'est que le vingt-quatrième fournisseur de la Macédoine du Nord, son quinzième client, et n'arrive qu'en trente-quatrième position comme investisseur. Dans le domaine de l'armement, même si la Macédoine du Nord privilégie les partenariats américains - ce en quoi elle n'est pas la seule - anglais, italiens ou turcs, une relation dans le domaine de l'armement a été nouée avec l'achat en 2022 de missiles sol-air Mistral à l'industriel français MBDA. Mais, globalement, ce partenariat embryonnaire apparaît bien modeste au regard de la relation forte qui unit nos deux pays.
Dans le domaine de la défense, notre coopération était régie depuis 1996 par un « arrangement », c'est-à-dire un engagement de nature infraréglementaire, dont la teneur - par ailleurs obsolète - ne permettait ni de couvrir tous les domaines de la coopération en matière de défense ni de sécuriser juridiquement cette coopération. Il manquait ainsi à la relation franco-macédonienne un outil adapté pour développer pleinement des partenariats hors Otan. Avec l'accord qui est aujourd'hui soumis à votre examen, et dont je vais vous présenter les points saillants, cette lacune est dorénavant comblée.
Cet accord, signé le 14 octobre 2022, a vu le jour dans le double contexte de l'entrée de la Macédoine du Nord dans l'Otan et de la Stratégie française pour les Balkans occidentaux, à la demande de la partie macédonienne.
On soulignera pour commencer que le volet relatif au statut des forces, dit « Sofa » (Status of Forces Agreement), est pour l'essentiel traité par un simple renvoi au « Sofa » prévu par le Traité de l'Otan. En effet, d'ordinaire, les accords qui sont soumis à notre examen comportent des clauses spécifiques qui encadrent juridiquement le séjour des forces armées sur le territoire de l'autre partie : dans l'accord qui nous occupe, il a été fait le choix de se référer au « Sofa Otan », car il présente l'avantage de constituer un cadre bien connu de notre partenaire. Cependant, afin de mettre à jour cette rédaction qui date de 1951, les articles 6 à 11 de l'accord introduisent des dérogations aux clauses devenues obsolètes ou inadaptées. Ces dérogations concernent notamment le principe de la non-implication des effectifs dans des opérations de guerre ou de maintien de l'ordre, la domiciliation fiscale des personnels, les dispositions applicables en matière de soutien médical ou en cas de décès, la compétence disciplinaire ou encore l'indemnisation d'éventuels dommages.
Par ailleurs, parmi les domaines de coopération énumérés à l'article 3, j'attire votre attention sur un volet relativement inhabituel dans ce type d'accord : celui de la politique mémorielle.
En effet, les armées de nos deux pays ont noué une relation mémorielle forte autour du souvenir du front d'Orient au cours de la Première Guerre mondiale. En témoignent le cimetière militaire français de Bitola, qui compte entre 12 000 et 15 000 sépultures, et l'espace muséal inauguré en 2018 dans son enceinte. Les deux parties sont très attachées à cette coopération mémorielle, qui pourrait prochainement se voir approfondie grâce à un accord bilatéral, en cours de négociation, sur la gestion des cimetières et des lieux de mémoire.
Les autres clauses figurant dans cet accord sont tout à fait classiques. Ainsi, les traditionnelles dispositions concernant les domaines et les formes de coopération, les échanges d'informations, la répartition des frais, le règlement des différends, etc., fixent le cadre juridique nécessaire à un partenariat large et solide. Vous les trouverez détaillées dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui s'inscrit dans le cadre général de la Stratégie française pour les Balkans occidentaux et traduit la volonté française d'approfondir une relation, certes modeste, mais prometteuse - notamment sur le plan industriel - avec la Macédoine du Nord. Il permettra de renforcer la présence française dans une région tiraillée entre des aspirations européennes contrariées et des influences étrangères pernicieuses. Sa ratification par la partie macédonienne devrait intervenir dans la foulée de sa validation par la partie française.
L'examen de ce projet de loi est inscrit en séance publique à l'ordre du jour du mercredi 29 octobre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des Présidents, ainsi que votre rapporteure, a souscrit.
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
M. Roger Karoutchi. - Il existe beaucoup de difficultés dans l'ancienne Yougoslavie, notamment en Serbie, concernant la politique mémorielle. Or les cimetières français de l'armée d'Orient sont bien plus nombreux en Serbie qu'en Macédoine du Nord. La France a-t-elle une politique claire en la matière pour toute l'ancienne Yougoslavie ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Les représentants du ministère que nous avons reçus en audition nous ont parlé de la seule Macédoine du Nord, car ce texte contient pour la première fois une partie mémorielle. Toutefois, cela pourra avoir un effet d'entraînement pour l'ensemble de la région, d'autant que le Président de la République est assez attaché à ce volet.
M. Cédric Perrin, président. - Je vous prie d'excuser mon retard, je me trouvais à l'hôtel de Brienne avec la ministre des armées.
Le projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire - Examen du rapport et du texte de la commission
M. André Guiol, rapporteur. - Nous examinons un accord entre les gouvernements de la République française et de la République de Moldavie relatif à l'échange des permis de conduire, qui est attendu avec impatience par la partie moldave.
Le rapporteur projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.
Petit pays enclavé entre la Roumanie, avec laquelle il partage une histoire commune, et l'Ukraine, la Moldavie compte 3,5 millions d'habitants, dont une importante diaspora de près de 1 million de personnes.
En son sein, on soulignera la situation très spécifique de la Transnistrie, territoire frontalier avec l'oblast ukrainien d'Odessa, sécessionniste et indépendant de facto depuis 1992. Bien que la communauté internationale ne le reconnaisse pas comme tel, il n'est plus contrôlé par la Moldavie, mais bien par la Russie, et sa population a largement soutenu, en 2006, un référendum proposant son rattachement à la Russie, qui y maintient une présence militaire de quelque 1 500 soldats. Enfin, au sud du pays, la Gagaouzie, territoire turcophone sous influence russe, a quant à lui le statut de région autonome.
Cette situation géostratégique particulièrement complexe et sensible place la République moldave au coeur de tensions extrêmes. Pays neutre, il cultive un équilibre fragile entre ses voisins européens et une Russie qui met tout en oeuvre pour accroître son influence sur lui. L'agression russe de l'Ukraine, le 24 février 2022, fut l'événement déclencheur de sa demande d'adhésion à l'Union européenne, engageant un processus d'intégration long et exigeant, mais aussi une modification sensible du fragile équilibre antérieur.
C'est pourquoi le 28 septembre dernier, alors que les élections législatives opposaient le camp pro-européen, dirigé par son actuelle présidente Maia Sandu, et le camp pro-russe, le peuple moldave se trouvait à la croisée des chemins. Le scrutin a fait l'objet de la part d'acteurs proches du Kremlin d'ingérences et de tentatives de manipulation d'une ampleur peut-être sans précédent, à travers des campagnes de désinformation massives telles que Overload ou Matriochka, orchestrées par des hackers et relayées par des robots ou des influenceurs à la solde de Moscou. Des achats de votes et des intimidations ont également été signalés, ainsi que de nombreuses fake news. À titre d'exemple, le déplacement récent d'un groupe de sénateurs a été le prétexte d'un deepfake contrefaisant un article de La Tribune dont le titre était : « Un groupe de sénateurs français a l'intention de se mettre d'accord avec la présidente Sandu sur la réinstallation de réfugiés de la France vers la Moldavie en échange d'un soutien financier. »
Mais, comme vous le savez, les électeurs moldaves ont majoritairement soutenu le camp européen, infligeant à la propagande du Kremlin une défaite que l'on pourrait qualifier de cuisante compte tenu des moyens mis en jeu.
Tel est le contexte dans lequel a été élaboré ce projet d'accord, que l'on ne peut appréhender pleinement sans avoir en tête l'enjeu majeur que constituent la stabilité du pays et la consolidation de son arrimage, encore fragile, au camp européen. L'accord qui est soumis à votre examen va dans ce sens et exprime la volonté française d'approfondir ses liens avec la Moldavie. Le Président de la République s'était engagé, le 7 mars 2024, lors d'un entretien avec la Présidente Sandu, à sa rapide ratification.
Sur le fond, on pourrait penser que son enjeu est mineur au regard des problématiques de défense qui font d'ordinaire l'objet de nos travaux. Cependant, pour les quelque 100 000 à 150 000 Moldaves vivant en France, la validité de leurs permis de conduire représente de longue date une problématique importante, notamment en milieu professionnel.
En effet, l'utilisation en France de permis de conduire émis hors Union européenne est juridiquement encadrée par une procédure stricte, à deux niveaux.
Le premier niveau, qui constitue actuellement pour la Moldavie la procédure en vigueur par défaut, prévoit, en vertu de l'article R. 222-3 du code de la route, la reconnaissance temporaire du permis étranger. Cependant, à l'issue d'une période d'un an à compter de la date d'établissement de la résidence en France du titulaire, ce dernier doit obtenir un permis français, soit par échange, s'il existe un cadre conventionnel à cet effet, soit en repassant l'examen en France, moyennant quelques aménagements relatifs au nombre d'heures de cours requis. Pour les ressortissants moldaves résidant en France, qui sont bien souvent des travailleurs du bâtiment ou des travailleurs saisonniers pour lesquels la voiture est un instrument de travail essentiel, cette contrainte, en l'absence de cadre conventionnel d'échange, est ressentie comme très pénalisante.
Le second niveau est la procédure d'échange à proprement parler, qui fait l'objet de cet accord. Dans ce cadre, le ressortissant moldave remettrait aux autorités françaises son permis de conduire moldave en échange de la délivrance du permis français, et inversement lorsqu'il quitte le territoire français.
Seraient concernés uniquement les permis de conduire des véhicules de moins de dix places et d'un poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes - c'est-à-dire de catégories A et B, à l'exclusion des permis professionnels -, délivrés depuis le 1er janvier 2020. Je précise que l'accord ne vise que les permis spécifiquement moldaves, les documents transnistriens étant hors périmètre.
L'accord prévoit, bien sûr, une réciprocité, même si, côté français, seul un petit nombre de résidents en Moldavie - de l'ordre de quelques centaines - serait concerné. Il n'en reste pas moins que les facilités permises par cet accord seront pour eux bienvenues.
Ce mécanisme d'échange de permis est une procédure courante. La France a par ailleurs signé des accords bilatéraux comparables avec Monaco, le Qatar et la Chine. En outre, elle a conclu une vingtaine d'arrangements administratifs dans le même sens avec divers pays et pratique également des échanges de permis en l'absence de tout cadre juridique. Le Conseil d'État estime cependant que seul le cadre conventionnel apporte une sécurité juridique convenable aux échanges pratiqués, ce qui explique le choix qui a été fait ici d'un accord bilatéral.
De son côté, la Moldavie a d'ores et déjà conclu des accords comparables avec plusieurs pays européens : l'Italie, l'Allemagne, la Lituanie et la Roumanie.
Convenu le 7 mars 2024 par les présidents Macron et Sandu, conclu par échange de notes verbales le 12 juillet de la même année, ratifié par la partie moldave dès le 30 septembre 2024, ce texte a fait l'objet dans sa genèse d'une diligence pour le moins remarquable au regard des délais habituels. Il a été déposé sur le bureau du Sénat le 19 juin dernier, et l'objectif du Quai d'Orsay est qu'il puisse être adopté par les deux chambres avant la fin de l'année.
Dans un premier temps, je vous avouerai que cette célérité m'a quelque peu inquiété et fait craindre une rédaction hâtive ou inappropriée. C'est pourquoi j'ai réclamé des commissaires du Gouvernement des éléments complémentaires afin de m'assurer qu'aucune vérification indispensable n'avait été négligée et que les permis moldaves offraient des garanties comparables à celles des permis européens. Les éléments transmis m'ont pleinement rassuré. Il apparaît notamment que l'obtention du permis est conditionnée, par catégorie de permis, à un quota d'heures de formation minimum, ainsi qu'à un avis médical. En outre, les examens comportent une partie théorique et une partie pratique, d'une teneur et d'une durée comparables à celle des examens français ; le recrutement par concours et la formation des examinateurs paraissent sérieux ; et les infractions routières sont, comme en France, sanctionnées par des peines d'intensité graduelle : contravention, retrait du permis, travaux d'intérêt général, privation de liberté. La Moldavie porte également une attention toute particulière à la prévention de la conduite en état d'ébriété ou sous stupéfiants. Les permis concernés par l'accord sont au format biométrique et comportent huit éléments de sécurisation, ils sont donc difficilement falsifiables. Enfin, les transferts de données personnelles occasionnés par cet accord sont conformes au règlement général sur la protection des données (RGPD).
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui tout en répondant à une demande récurrente des ressortissants moldaves établis en France, consolide nos liens avec la République moldave, dans un contexte où un tel rapprochement constitue un signal fort.
L'examen de ce projet de loi est inscrit en séance publique à l'ordre du jour du mercredi 29 octobre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des Présidents, ainsi que votre rapporteur, a souscrit.
Mme Évelyne Perrot. - Tous les trafics observés dans le Grand Est - cambriolages, ou autres - sont le fait de bandes venues de pays de l'Est, comme la Serbie ou la Moldavie. J'espère que cet échange de permis de conduire ne se fera qu'à des fins professionnelles. Pour ma part, je m'abstiendrai sur ce texte.
M. André Guiol, rapporteur. - Les accords bilatéraux ont précisément pour intérêt d'aider à la gestion de telles difficultés.
Le projet de loi est adopté sans modification.
Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) - Examen du rapport d'information (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 11 h 30.
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants
M. Cédric Perrin, président. - Nous accueillons aujourd'hui pour la première fois Mmes Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants, et Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre.
Mesdames les ministres, je vous souhaite la bienvenue devant notre commission et je vous adresse, au nom de l'ensemble de ses membres, tous nos voeux dans la tâche si lourde qui vous attend, à l'heure de la montée des périls.
Pour ouvrir cette audition, je propose une citation de Shakespeare, qui me paraît très significative de ce qui vous attend et, en réalité, de ce qui nous attend tous : « Beaucoup peuvent supporter le mauvais temps qui n'ont pas le goût pour la tempête. »
Madame le ministre, madame la ministre déléguée, vous allez être des capitaines de gros temps, peut-être au-delà de ce que l'on peut aujourd'hui imaginer.
Car nous sommes à un « point de bascule ». Ces mots sont du Président de la République et ouvrent l'actualisation de la Revue nationale stratégique (RNS) publiée le 14 juillet dernier. Ce document fixe le cadre de nos travaux ces prochaines années.
Et le Président de la République est, avec lucidité, alarmant : « Il est désormais clair que nous entrons dans une nouvelle ère, celle d'un risque particulièrement élevé d'une guerre majeure de haute intensité en dehors du territoire national en Europe, qui impliquerait la France et ses alliés en particulier européens, à l'horizon 2030, et verrait notre territoire visé en même temps par des actions hybrides massives ».
Les défis qui s'imposent à nous sont immenses et nécessitent dès aujourd'hui des décisions difficiles, trop longtemps retardées ou délayées, aussi bien en matière militaire que budgétaire. Ces défis rendent urgent de nous mettre immédiatement en ordre de marche.
C'est de cela que vous êtes désormais toutes deux comptables devant la représentation nationale et devant nos concitoyens. Il va de soi, dans notre esprit, que l'augmentation des moyens qui sont alloués au ministère des armées (Minarm) suppose une augmentation du contrôle exercé par le Parlement. C'est la condition pour que l'effort demandé à la Nation soit accepté par nos concitoyens. Dans la perspective de l'actualisation à venir de la loi de programmation militaire (LPM), nous aurons besoin d'une vision claire de l'ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), comme prévu par la LPM. Pouvez-vous nous confirmer que votre cabinet et vos services travaillent toujours dans cette perspective d'un horizon pluriannuel sur six ans glissants, indépendamment même du travail d'actualisation de la LPM ? Pouvez-vous également nous préciser le calendrier de mise en oeuvre de cette actualisation ?
Nous devons aussi, en lien avec notre commission des finances, avoir une vision claire et sincère des conditions de fin de gestion. Le rapporteur spécial de la commission des finances y reviendra sans doute.
La défense de nos intérêts et de notre territoire n'est pas, ou n'est plus, une forme d'accessoire, victime toute désignée des contingences budgétaires et de la recherche désespérée d'économies de court terme, faute d'avoir su faire les indispensables réformes de long terme. Après avoir perçu les dividendes de la paix, nous devons en assumer le coût.
Et ce coût est élevé. Je ne trahis aucun secret en disant que la loi de programmation militaire ne constitue rien de plus qu'un absolu minimum, loin de garantir notre sécurité si la situation internationale venait à se dégrader encore et de permettre aux armées françaises de mener une guerre de haute intensité. Ce terme de « haute intensité », justement, est récent dans le débat public. Il figurait trois fois dans la RNS 2017. Il en est fait mention très exactement vingt fois en 2025, signe, s'il en était besoin, d'un changement complet de cap. Cette lucidité de la RNS de 2025 est cohérente, du reste, avec notre propre contribution à son élaboration.
Lors de son intervention le 13 juillet dernier, le Président de la République s'est engagé à doubler le budget consacré à notre défense par rapport à 2017 non pas à l'horizon 2030 mais 2027. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit donc d'accélérer la montée en puissance budgétaire de 3,5 milliards d'euros en 2026. Nous ne pouvons bien entendu qu'approuver cette pente.
Cependant, la parole, même celle du chef de l'État, n'a pas de valeur performative. Elle doit descendre jusque dans les régiments, les bases et même les stocks de munitions. Pour l'instant, et en dépit des engagements rituellement répétés, ce n'est tragiquement pas le cas. Vous pourrez le vérifier rapidement par vous-même lors de vos premiers déplacements dans les forces.
En juillet dernier, le Président de la République exprimait la nécessité « d'être craints pour être respectés ». Les incursions répétées dans l'espace aérien de l'Otan de drones et d'avions russes montrent que notre posture n'est a minima pas perçue comme crédible par Poutine, ce qui, paradoxalement, renforce la probabilité d'une extension du conflit.
Madame le ministre, vous connaissez le Sénat de longue date. Vous savez que nous aurons à coeur, y compris en cette période politiquement instable, d'accompagner vos efforts pour que l'État remplisse la plus essentielle et la première de ses missions, qui est de protéger nos concitoyens. Vous trouverez donc en nous des interlocuteurs exigeants et attentifs à ce que vos décisions aillent dans le sens du devoir qui pèse sur notre génération.
Nous devons donner à nos soldats les moyens de mener à bien une mission qui met en jeu leur vie et l'avenir de nos enfants.
Mesdames les ministres, pour revenir à l'image de Shakespeare, le mauvais temps est déjà derrière nous, ce qui se profile à l'horizon, c'est la tempête et nous voulons croire, que vous serez en mesure de barrer dans l'ouragan.
Mesdames les ministres, vous ne rencontrerez dans cette commission ni pièges sournois, ni esprit partisan. Quelle que soit leur sensibilité politique, tous les sénateurs de notre commission abordent ces questions dans un esprit républicain et pragmatique.
En revanche, soyez assurées que rien ne nous détournera de notre mission, qui est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que, à l'heure du choc, si ce choc doit arriver - comme cela semble de plus en plus probable -, nous soyons prêts.
Madame la ministre, je vous laisse la parole pour un exposé liminaire, à l'issue de laquelle nos rapporteurs budgétaires et le rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Défense » vous poseront leurs questions, suivies par celles de nos autres collègues.
Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants. - Avec Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants, je voudrais vous dire combien nous mesurons à la fois la responsabilité et le privilège qui sont les nôtres de vous présenter les programmes du projet de loi de finances concernant le ministère des armées et des anciens combattants.
Lors de cette audition, je ferai seule le propos liminaire, puisque vous aurez l'occasion d'entendre la ministre déléguée pour parler plus particulièrement du sujet des anciens combattants lors d'une autre audition. Toutefois, j'ai souhaité qu'Alice Rufo soit à mes côtés, car elle aura une délégation autant que de besoin ; elle doit donc être évidemment capable d'intervenir sur la totalité des sujets et c'est ainsi que nous avons commencé à travailler.
Je voudrais commencer par dire un mot du contexte international, comme vous l'avez fait, monsieur le président, ce qui me conduit à reprendre le mot de « responsabilité ». Ce contexte, vous le savez, ne cesse de se complexifier, engendrant un degré d'incertitude et de risque comme notre pays n'en a pas connu dans les décennies récentes. Responsabilité parce que, comme vous l'avez dit, le contexte national demeure extrêmement volatile, ce qui n'est pas sans risque - il est important que nous le mesurions ensemble - sur la dynamique du réarmement que ce gouvernement entend impulser.
Enfin, vous comprendrez que je souhaite rendre hommage à mon prédécesseur, le Premier ministre Sébastien Lecornu qui, pendant trois années, a oeuvré sans relâche à renforcer, moderniser et transformer notre outil de défense, sans jamais oublier de veiller avec beaucoup d'attention sur un sujet d'importance pour la ministre déléguée et pour moi-même : le monde combattant et la mémoire qui soutiennent la résilience et les forces morales de la Nation.
J'entends suivre le cap fixé par le Président de la République le 13 juillet dernier et c'est tout l'objet de cette audition. L'année 2026 sera la troisième année de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. Le projet de loi de finances pour 2026, tel qu'il vous est proposé, respecte la marche d'une augmentation de 3,2 milliards d'euros par rapport à 2025, à l'euro près. J'ose dire qu'il va même plus loin en ajoutant une seconde marche, celle que nous appelons la « surmarche », qui est une hausse de 3,5 milliards d'euros.
La progression sera donc au total de 6,7 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2025, en application des décisions du Président de la République, conduisant à augmenter la loi de programmation militaire de 10 milliards d'euros sur la période 2026-2027. Il s'agit d'un quasi-doublement du budget sur la période 2017-2027. La mission « Défense » qui vous est présentée est ainsi porteuse d'un budget de 57,1 milliards d'euros, soit une augmentation de 13 milliards comparée à la loi de finances initiale (LFI) pour 2025, dans ce contexte international préoccupant où nos partenaires comme nos compétiteurs réarment à un rythme au moins aussi élevé que le nôtre. Il faut que nous l'ayons bien en tête.
Quelques mots sur le contexte international. L'Ukraine est de manière inséparable liée à la sécurité de notre continent européen. Trois ans et demi après le début de la guerre d'agression que la Russie mène sur le sol ukrainien, le constat est indiscutable : la Russie représente une menace durable aux frontières de l'Europe, non pas seulement pour l'Ukraine, mais pour toute l'Europe. La Russie organise son armée, elle contraint sa société, elle oriente son économie de guerre, bref, elle augmente son effort de guerre.
Nous étions avec Alice Rufo à Bruxelles, il y a exactement une semaine, mercredi dernier, à une réunion des ministres de la défense de l'Otan. J'ai rencontré nombre de mes homologues et je peux vous dire que notre constat est partagé : multiplication des incursions dans les espaces aériens des alliés, utilisation d'une flotte fantôme pour contourner les sanctions, manoeuvres hybrides contre nos institutions démocratiques, campagnes d'ingérence et de désinformation, autant de facettes d'une menace russe multiple, parfois invisible, mais bien réelle. J'ai échangé avec mon homologue ukrainien Denys Chmyhal, et je lui ai redit combien la France et ses partenaires étaient durablement aux côtés de l'Ukraine. Nous pouvons partager le constat que l'Ukraine est en première ligne ; elle tient face aux assauts russes, mais elle a incontestablement besoin d'un soutien durable.
Au Proche-Orient et au Moyen-Orient, nous avons des intérêts de sécurité en jeu. Une reprise de la guerre entre la République islamique d'Iran et Israël ne manquerait pas de nourrir une escalade régionale aux conséquences imprévisibles qui mettrait assurément en péril la sécurité de nos ressortissants et nos intérêts dans la région. En mer Rouge, les Houthis continuent de faire peser une menace majeure sur le trafic maritime. À Gaza, nous ne pouvons que saluer la réalisation de la première phase de l'accord de paix, qui a permis un cessez-le-feu, la libération de l'ensemble des otages et une reprise progressive de l'aide humanitaire. Nous l'avons vu dès ce week-end, ce cessez-le-feu est extrêmement fragile. Beaucoup reste à faire pour qu'une paix s'installe dans la durée.
Je pourrais, hélas, égrener tous les continents, lister les foyers d'instabilité en Afrique, en Amérique latine ou encore dans l'Indo-Pacifique. Dans presque tous les cas, nos territoires d'outre-mer sont au coeur de ces enjeux, c'est-à-dire en première ligne face à ces menaces et au coeur d'une compétition stratégique entre la Chine et les États-Unis d'Amérique.
Cette année 2025 a vu une nouvelle accélération des bascules stratégiques, notamment l'affirmation de la puissance chinoise et le pivot américain vers l'Asie, avec toutes leurs conséquences pour les Européens et leur sécurité. S'il ne fallait qu'une seule preuve, il suffisait d'entendre le secrétaire d'État à la défense américain qui était à Bruxelles la semaine dernière. Ses propos furent d'une limpidité absolue sur le fait que l'Europe devait assurer elle-même sa sécurité.
Cette année, les autres menaces transnationales, loin de disparaître, s'accumulent. Il faut notamment mentionner le terrorisme, la criminalité organisée, les trafics, mais aussi la combinaison d'enjeux climatiques, migratoires, énergétiques et commerciaux, qui rendent notre environnement de sécurité plus instable et plus incertain. La conflictualité s'étend à des champs toujours plus vastes : l'espace, le cyber, la guerre informationnelle ou encore les fonds marins.
Vous avez, monsieur le président, cité la nouvelle Revue nationale stratégique qui pose un regard lucide sur la situation, en précisant que nous avons changé d'ère. Si je ne devais en retenir qu'une phrase, je mentionnerais son paragraphe 7 : « Il est désormais clair que nous entrons dans une nouvelle ère, celle d'un risque particulièrement élevé d'une guerre majeure de haute intensité en dehors du territoire national, en Europe, qui impliquerait la France et ses alliés, en particulier européens, à l'horizon 2030 et verrait notre territoire visé en même temps par des actions hybrides massives. »
Nous devons donc en tirer toutes les leçons pour notre réarmement. Pendant près de trois décennies, l'Europe avait fait le choix de désarmer, alors même que les périls montaient et que le reste du monde continuait à s'armer. Les conflits ont été marqués par l'utilisation croissante et massive des drones de tout type. Ces frappes sont conduites dans la profondeur à partir des trois milieux : terre, air et mer. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, après des décennies de baisse de crédits, de suppressions de postes, de fermetures de bases et de régiments et de contraction des soutiens, la France se réarme.
J'évoque maintenant ce réarmement, c'est-à-dire l'exécution de la LPM, comme vous m'y avez invitée. Dès mes premiers déplacements, j'ai pu mesurer les tout premiers effets produits par la LPM. Ainsi, au 8e régiment du matériel (RMAT), à Mourmelon, j'ai pu voir les nouveaux camions logistiques blindés. Dans ce régiment, comme pour toute la flotte logistique terrestre, la part des véhicules blindés va être multipliée par trois. Cela répond à un besoin critique pour faire face aux attaques de convois, comme nous les voyons à l'oeuvre en Ukraine. Quelque 140 ateliers mobiles seront également livrés dans la brigade de maintenance ainsi que 120 porte-engins, dont 80 avec des cabines protégées.
Pour l'année 2025, nous ne sommes pas encore à la fin de gestion. J'ai bien entendu votre question sur le sujet et je serai particulièrement attentive à l'ensemble de ces éléments. Les crédits de la mission « Défense » votés dans la loi de finances initiale pour 2025 sont conformes aux annuités 2024-2030, soit une hausse de crédit de 7 % entre 2024 et 2025, pour atteindre 50,5 milliards d'euros. La mission « Défense » a été épargnée par les mesures de régulation budgétaire - surgels et annulations de crédits - mises en oeuvre depuis le début de l'année. Nous avons obtenu le dégel anticipé de 100 % de la réserve de précaution du programme 146 - soit 1,3 milliard d'euros - pour sécuriser au maximum le plan de commande des programmes d'armement, tant conventionnels que de dissuasion.
Cela apporte des résultats concrets puisqu'au 30 septembre, les commandes de la direction générale de l'armement (DGA) atteignaient 12,8 milliards d'euros, soit un niveau jamais atteint à cette période de l'année dans l'histoire récente. Les paiements dépassent 16 milliards d'euros, ce qui est plus que ce qui avait pu être réalisé les années passées. L'enjeu, comme toujours, est que la base industrielle et technologique de défense puisse en bénéficier - c'est une élue locale qui vous le dit.
Une année normale pour le programme 146, c'est un premier temps où les équipes de la DGA vont principalement payer les fournisseurs, puis un second temps davantage dédié à l'engagement des commandes nouvelles, dont les contrats sont négociés tout au long de l'année. Il s'agit d'un rythme immuable qui ne doit surprendre personne, même si je comprends les impatiences, notamment lorsqu'elles proviennent de tous les débats nés cet hiver autour de l'accélération de notre réarmement, à la suite de la bascule stratégique que nous traversons.
Si les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) captent déjà 70 % des paiements réalisés par le ministère, nous avons renforcé notre vigilance sur l'accès au financement des entreprises de la défense. Mon prédécesseur avait engagé un dialogue de place le 20 mars dernier ; nous en voyons les premiers résultats. Le rapprochement entre les entreprises de la défense et le monde financier a vu émerger différents fonds dotés de plusieurs centaines de millions d'euros. Je salue à ce titre le lancement, la semaine dernière, du fonds Bpifrance Défense, qui permet aux Français désireux d'investir dans la défense de soutenir concrètement son industrie.
Le ministère se pose désormais en véritable tiers de confiance pour les entreprises de la défense. Il y a encore deux ans, nous avions peu de proximité avec les territoires. Désormais, vous le savez, neuf attachés d'industrie de défense en région ont été mis en place dans les préfectures. Ce nombre est encore insuffisant, mais il révèle un changement d'état d'esprit, et je les réunirai prochainement de façon à augmenter la vigilance qui doit être la leur.
Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) repose sur une articulation entre grands donneurs d'ordre et leurs sous-traitants. Je serai particulièrement vigilante à ce que leur relation soit la plus équilibrée possible, à ce que les opportunités dans l'industrie de défense soient connues de l'industrie civile et à ce que nous puissions identifier l'ensemble des innovations sur le territoire. Notre vigilance en matière de sourcing d'innovation est absolument majeure. Incontestablement, nous touchons là une évolution probable des pratiques, y compris celles de la DGA, dans une recherche d'agilité et de rapidité quant au délai entre la commande, la livraison et la capacité à répondre aux besoins de nos forces armées.
Comme certains ont pu le noter, certains enjeux portent sur la trajectoire de ressources de la LPM. En effet, le dégel de la réserve de précaution et la couverture des surcoûts dépasseraient la provision, même s'ils devraient être sensiblement moins élevés que l'année dernière. Je reste donc plutôt confiante, tout en étant vigilante jusqu'au dernier jour de cette année.
Je veux redire mon attachement à ce que chaque euro soit bien dépensé. C'est pourquoi je serai très attentive à ce que les transformations profondes amorcées dans les années passées non seulement livrent leurs résultats, mais éclairent la voie pour d'autres réformes. Entre 2019 et 2024, les paiements annuels pour l'équipement des forces ont augmenté de plus de 50 % avec une quasi-stabilité des effectifs. Le commissariat au numérique de la défense, créé l'été dernier, engendre une simplification opérationnelle concernant 7 500 personnels, autrefois dispersés dans un maquis d'acteurs. C'est une efficacité primordiale au vu de l'effort important que la Nation va consentir pour les armées à partir de 2026.
L'objectif pour notre pays est extrêmement clair. Il est rappelé régulièrement par le chef d'état-major des armées (Cema) : préparer nos forces armées à court terme à ce changement d'époque stratégique. Les grands enjeux, si je les résumais en quatre points, sont d'abord le socle - entraînement, effectifs, soutien -, la protection - défense sol-air (DSA), lutte contre les drones et défense nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) -, les capacités offensives - munitions, frappes dans la profondeur, guerre dans le champ électromagnétique (GCEM) - et, enfin, le renseignement et la communication - espace, drones, centre de commandement, connectivité.
Tel est le sens de ce PLF 2026, qui constitue la première année du futur projet de loi d'actualisation de la LPM 2024-2030 que le Président de la République m'a chargée de présenter d'ici à la fin de l'automne. Ce projet d'actualisation qui vous sera proposé devra aller jusqu'au terme de la LPM actuelle.
Le combat moderne combine des effets de masse et des effets de haute technologie - c'est ce qui fait la force de nos armées. Nous pouvons le voir sur l'un des bâtiments les plus complexes à construire au monde, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE), comme dans les camps de Champagne, où la rusticité et la force morale de nos soldats sont un facteur de succès. Comme aimait à le répéter mon prédécesseur, l'Ukraine nous a rappelé l'importance de la masse et les récents conflits au Proche-Orient nous ont confirmé l'importance de la précision. Nous devons être capables d'articuler l'ensemble.
Nous devons donc repenser, au sein de nos armées, l'équilibre entre des équipements de très haute technologie et des équipements plus rustiques. C'est particulièrement vrai dans le domaine des munitions. Notre capacité à pénétrer les défenses adverses passera probablement par un panachage entre des munitions peu coûteuses, capables de saturer, et des munitions plus complexes, capables de percer les défenses avec la plus grande précision. Nous allons poursuivre l'effort dans ce domaine.
Les munitions, c'est aussi ce qui permet à nos hommes de s'entraîner. L'un des retours d'expérience des conflits en cours est qu'il faut se préparer à des conflits durs. Pour cela, il faut s'entraîner et pour s'entraîner - pardonnez-moi d'enfoncer des portes ouvertes -, il faut des moyens, donc des munitions, donc des équipements bien entretenus.
Les conflits montrent que, demain, la victoire appartiendra à celui qui innovera le plus vite. Les progrès observés sur les différents terrains de combat, dont tous les types de drones, sont fulgurants. Ils modifient en profondeur les rapports de force et ont la capacité de figer la manoeuvre. Qui eût cru, il y a encore deux ou trois ans, que les trois quarts des pertes infligées dans le conflit russo-ukrainien seraient le fait de drones et non plus de frappes de missiles ou de canons ?
L'innovation est une culture et un état d'esprit. C'est ce que nous enseignent les guerres actuelles : pour aller vite, il faut savoir décentraliser la décision, faire confiance aux échelons subordonnés, déployer les énergies, responsabiliser, savoir faire passer à l'échelle les bonnes idées et les bonnes pratiques, dont nos régiments ne manquent pas. Je souhaite que cet état d'esprit soit cultivé à tous les niveaux, aussi bien dans les états-majors que dans les forces.
Il faut aussi une culture de la responsabilité. J'étais dans l'armée de terre et la marine la semaine dernière et je serai demain à Mont-de-Marsan. Je mesure à quel point toutes celles et ceux qui s'engagent ont soif de servir et sont prêts à prendre des responsabilités.
Dans tous ces conflits, il y a des capacités sur lesquelles nous devons particulièrement faire un effort, soit parce que nous les avons quelque peu délaissées dans le monde d'hier, soit parce qu'elles constituent des game changers qu'il ne faut pas rater. J'ai parlé des drones, mais je voudrais dire un mot des frappes dans la profondeur.
Au-delà des capacités nouvelles que nous observons déjà sur les champs de bataille, nous devons savoir tirer parti de l'expertise scientifique française de premier rang pour anticiper les ruptures technologiques de demain. Au même titre que l'arme nucléaire ou l'accès à l'espace en leur temps, les intenses compétitions scientifiques actuelles dans les domaines de l'intelligence artificielle (IA) ou de la mécanique quantique recomposeront les rapports de force entre États. La France dispose des atouts scientifiques, industriels et militaires nécessaires pour jouer un rôle clé dans cette évolution.
Il y a enfin l'équilibre de notre modèle entre active et réserve, et peut-être demain volontaires. Nous avons incontestablement besoin d'une réserve active qui permette de rester ancré dans nos territoires, d'ajouter des compétences techniques, de développer l'esprit de défense dans la société civile et de donner à tous les jeunes qui le veulent la possibilité de servir leur pays.
Je souhaite maintenant détailler les composantes les plus dimensionnantes qui se dégagent de cette annuité budgétaire. La hausse inédite sera visible dans les unités. Sur les grands programmes d'armement hors dissuasion, 3,4 milliards d'euros seront consacrés aux programmes à effet majeur (PEM) pour la modernisation et le renouvellement des matériels des armées, avec des livraisons d'équipements emblématiques : un avion de renseignement, deux avions de transport A400M, un avion de transport stratégique et de ravitaillement A330 MRTT, quatre hélicoptères NH90, un sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, 362 véhicules Scorpion, 21 chars Leclerc rénovés, des infrastructure Barracuda et Scorpion, 8 000 fusils d'assaut, des kits et des missiles Exocet, des moyens de lutte anti-drones et un patrouilleur outre-mer.
Par ailleurs, 31 milliards d'euros de commandes seront passées en 2026 rien que pour les programmes d'armement hors dissuasion, soit 55 % de plus que ce que prévoyait la LFI 2025. Cela représente 41 systèmes de drones tactiques légers, une frégate de défense et d'intervention (FDI), deux Rafale, deux successeurs de l'avion Awacs, quatre systèmes sol-air moyenne portée/terrestre nouvelle génération (Samp/T NG), 350 véhicules blindés Serval, des lots de munitions armement air-sol modulaire (A2SM) gros calibre, des lots de missiles antichars et des munitions téléopérées (MTO), ou encore des bâtiments hydrographiques de nouvelle génération et des systèmes de drones issus du programme Capacité hydrographique et océanographique du futur (Chof).
Quelque 8,5 milliards d'euros seront alloués à la préparation opérationnelle des forces. Ce sont 656 millions d'euros qui viennent ainsi s'ajouter à l'effort entrepris depuis 2024, après un milliard d'euros supplémentaire en 2025. L'entretien programmé du matériel et le maintien en condition opérationnelle profitent fortement de ce budget.
Sur la dissuasion, nous dégagerons 500 millions d'euros supplémentaires pour la modernisation de deux composantes : le sous-marin nucléaire de troisième génération (SNLE 3G) ainsi que le missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA) rénové et son successeur.
Les infrastructures sont primordiales pour les unités, notamment en matière d'attractivité et de fidélisation. Nous prévoyons 6 % d'augmentation pour la préparation et l'emploi des forces, avec des infrastructures Barracuda et Scorpion, et l'école navale des sous-officiers d'active. Les investissements pour le logement et l'hébergement des familles sont aussi un élément important.
Enfin, les soutiens connaissent une hausse d'environ 200 millions d'euros par rapport à 2025 pour l'adaptation, la préparation des soutiens et l'hypothèse d'engagement majeur.
Nous souhaitons poursuivre la réalisation d'acquisitions conjointes avec nos partenaires de l'Union européenne. Ainsi, dans le cadre de la BITD française, je peux citer les canons Caesar de l'entreprise KNDS ou les bombes A2SM de Safran ; dans le cadre de la base industrielle et technologique européenne (BITDE), je citerai l'A400M d'Airbus, les avions de surveillance aérienne globale de Saab ou la défense sol-air Samp/T NG, qui est une coopération franco-italienne.
Nous aurons aussi la possibilité d'accélérer de nouvelles coopérations comme le projet européen d'alerte avancée Jewel (Joint early warning for a European lookout) pour lequel j'ai signé un premier projet d'accord avec mon collègue allemand Boris Pistorius, la semaine dernière.
Les armées ne se réduisent pas au capacitaire et le réarmement compte sur les ressources humaines. Ce constat a justifié la « fidélisation 360 » mise en place par mon prédécesseur, plan qui produit des effets concrets que nous devons poursuivre.
La mise en oeuvre d'armes plus complexes et un niveau d'intégration plus élevé dans toutes les unités impliquent que les compétences suivent. Cet objectif est atteignable en renforçant la part de sous-officiers et d'officiers et en dynamisant la promotion interne.
Les 14 milliards d'euros de masse salariale permettront de financer les hausses d'effectifs, soit une augmentation nette de 800 équivalents temps plein (ETP) au bénéfice du réarmement capacitaire.
Je voudrais insister sur le fait que le ministère atteint enfin ses objectifs de recrutement et de fidélisation. Les effets produits par les mesures de fidélisation, combinés aux bonnes perspectives de recrutement, ont permis d'atteindre le schéma d'emploi en 2024. Vous savez mieux que moi que cela n'a pas toujours été le cas, notamment en 2023. Je peux d'ores et déjà vous affirmer que la cible de 2025 sera atteinte avec 630 ETP supplémentaires, et nous avons de bonnes raisons de considérer qu'elle le sera avec les 800 ETP supplémentaires prévus en 2026.
Les mesures de fidélisation consacrent un effort total de 159 millions d'euros supplémentaires, avec des rattrapages de rémunération et la nouvelle protection sociale complémentaire.
L'évolution de la conflictualité démontre que la réserve opérationnelle est déterminante pour assurer dans la durée la résilience des forces et renforcer l'active sur des segments critiques. L'objectif est que 2026 permette d'avancer vers un modèle de ressources humaines plus intégré et hybride pour répondre aux enjeux opérationnels.
Parallèlement, le Président de la République a annoncé son intention de donner à la jeunesse un nouveau cadre pour servir au sein de nos armées. Le projet de service militaire permettra de préparer des réservistes plus nombreux, mieux entraînés, mieux équipés et mieux intégrés.
En conclusion, je voudrais évoquer quelques effets concrets de l'application de la LPM. Celle-ci contribue à accélérer les capacités les plus critiques pour faire face à un engagement majeur, en dégageant 2,4 milliards d'euros pour les munitions, en particulier les livraisons de missiles de moyenne portée, de munitions téléopérées de courte durée, de missiles Aster, de missiles Mica remotorisés et de missiles Mistral 3. Elle dégage aussi 750 millions d'euros pour l'espace en 2026, pour accélérer résolument dans le domaine de la connectivité, notamment en ce qui concerne la diversification des sources patrimoniales New Space. Elle prévoit 600 millions d'euros pour les drones en 2026, au bénéfice en particulier des modules de lutte contre les mines sous-marines et des drones de surface. Enfin, elle prévoit plus de 900 millions d'euros pour la défense sol-air (DSA), avec une modernisation de la DSA française contre les menaces du haut du spectre, tout autant que pour la lutte anti-drone, avec notamment la livraison de neuf systèmes Parade et de deux détecteurs d'alerte laser.
Priorité est donnée aux domaines de rupture, avec plus de 400 millions d'euros pour l'intelligence artificielle et 1,3 milliard pour l'innovation.
Nous redoublerons d'efforts sur certaines dépenses prévues dans la LPM. Ainsi, 1,7 milliard d'euros seront consacrés à l'outre-mer : remplacement des hélicoptères Puma en Guyane par des Caracal, poursuite de l'augmentation des effectifs, arrivée d'un patrouilleur supplémentaire en Nouvelle-Calédonie et de deux sections d'infanterie en Polynésie, développement de nouveaux points d'appui, au travers de l'accueil d'A400M et de vecteurs de renseignement. Quelque 600 millions d'euros iront au renseignement afin de poursuivre la modernisation et la transformation de nos services, et 500 millions d'euros au cyber.
Comme l'a déclaré le Président de la République le 13 juillet dernier, « pour être libre dans ce monde, il faut être craint ; pour être craint, il faut être puissant. » J'ai la conviction que nous n'avons plus le choix.
Je reviendrai vous présenter la copie complète des dépenses pour 2026-2030 sous la forme du projet de loi d'actualisation de la LPM 2024-2030.
M. Pascal Allizard. - En premier lieu, le programme 144 vise à financer la recherche du renseignement intéressant la sécurité de la France et l'exploitation de ces informations, au travers, d'une part, de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), d'autre part, de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Par « sécurité de la défense », il faut entendre la sécurité de l'ensemble des emprises militaires et des quelque 4 500 entreprises de la BITD.
Globalement, les crédits de paiement prévus pour 2026 sont en augmentation de 13 %, pour s'établir à 579 millions d'euros. Avec ceux destinés au personnel du programme 212, près de 1,3 milliard d'euros sera consacré à la DGSE et à la DRSD.
Je souhaite vous interroger plus particulièrement sur les crédits dédiés au personnel de la DRSD, car ils ne progressent pas, alors que la sécurité des très petites entreprises (TPE), PME et ETI de l'industrie de défense française devient un enjeu de souveraineté crucial.
Comme dans le domaine du cyber, les plus vulnérables aux attaques sont non pas les grands groupes, mais toute la chaîne des entreprises sous-traitantes. Pourriez-vous, madame la ministre, nous indiquer si de nouveaux moyens de renseignement et de contre-ingérence seront fournis pour sécuriser les PME et petites et moyennes industries (PMI) de la BITD française au regard des menaces nouvelles qui pèsent sur nos entreprises, comme les attaques cyber, sabotages ou prises de participation hostiles ?
En second lieu, notre commission suit depuis longtemps les difficultés d'accès au financement rencontrées par les entreprises de la BITD. Le 20 mars dernier, une conférence des financeurs publics et privés s'est tenue à Bercy. Pourriez-vous nous dresser un bilan plus précis du dialogue de place et nous indiquer les mesures concrètes qui devraient en découler pour lever les blocages pesant encore sur le financement de la BITD ? Je peux d'ores et déjà vous affirmer, à la suite des auditions que nous avons menées dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2026, que 25 % à 30 % des PME-PMI françaises concernées font encore état de difficultés.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Concernant le renseignement, les crédits pour la DGSE augmentent de 15 % dans le projet de loi de finances pour 2026. Cela permet de poursuivre les investissements dans le cyber et l'intelligence artificielle, de renforcer les capacités d'action dans l'espace numérique, de maintenir les efforts sur les dispositifs techniques au bénéfice de toute la communauté du renseignement et de lancer les premiers travaux d'infrastructures pour le nouveau siège au Fort-Neuf de Vincennes, qui sera livré en 2030.
Pour la DRSD, les crédits augmentent de 5 %, ce qui permet de poursuivre la montée en puissance capacitaire et opérationnelle, de renouveler les équipements et de développer les systèmes d'information ainsi que la fonction cyberdéfense.
Pour la DRM, les crédits augmentent de 11 %, autorisant l'acquisition de matériel, de logiciels et d'équipements d'interception.
Concernant les ressources humaines, la loi de programmation militaire vise à apporter des renforts. Actuellement, nous comptons 6 390 ETP à la DGSE, 1 600 ETP à la DRSD et 1 950 ETP à la DRM, équipes qui ont déjà été renforcées au cours des dernières années. La LPM apportera 420 ETP à la DGSE et 120 ETP à la DRSD en 2026. Les schémas d'emploi sont à la hausse dans ce domaine prioritaire : 100 ETP, dont 50 pour la DRM, 28 pour la DGSE et 10 pour la DRSD.
Nous avons développé une stratégie pour faire face aux difficultés de recrutement dans les domaines très concurrentiels du numérique, du cyber et des langues étrangères. Nous travaillons à la diversification du vivier de recrutement du personnel militaire, avec l'augmentation du volume de recrutement ab initio d'officiers sous contrat et de jeunes sous-officiers spécialisés. De plus, nous optimisons le processus d'emploi du personnel civil avec un recrutement à la DGSE d'agents non titulaires, axé sur des profils spécifiques. Je pense aux postes que nous ne parvenons pas à pourvoir par les voies traditionnelles : linguistes spécialisés dans des langues rares, experts scientifiques et techniques.
J'en viens au financement des entreprises de défense. Il existe des outils pour soutenir l'économie de guerre. Après la réunion du 20 mars dernier, l'idée était que les ministres de l'économie et des armées rencontrent les acteurs financiers pour les inciter à soutenir durablement la production. Nous avons mis en place des dispositifs passant par des prêts bonifiés, des assurances export, des fonds publics pour aider les ETI et les PME, ainsi que des produits d'épargne. Un club des investisseurs a été lancé en juin 2025 par la DGA ; nous comptons quarante fonds signataires à ce jour. Les premiers échanges que j'aurai avec l'ensemble des entreprises me permettront de dresser un bilan.
En matière stratégique, j'appelle votre attention sur la démarche assurantielle de nos ETI et de nos PME. De quelle manière les examens de gestion des risques sont-ils effectués et par qui le sont-ils ? Qui dispose finalement des plans de ces entreprises ? En effet, les sociétés qui apportent les garanties d'assurance ont besoin de plans très précis, qui contiennent des données stratégiques relatives à notre souveraineté.
M. Cédric Perrin, président. - Notre commission avait fait adopter un amendement lors de l'examen de la loi de programmation militaire afin de flécher 10 % des crédits amont, soit 100 millions d'euros par an, vers les ETI et les PME, car ces entreprises ont de nombreuses difficultés à financer leurs innovations. À la suite de l'audition, hier, du délégué général pour l'armement par notre commission, nous avons compris que ce fléchage n'a toujours pas été mis en oeuvre. Le Parlement légifère et s'attend donc à voir ses décisions être appliquées.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - J'entends d'autant mieux votre position que les crédits consacrés aux études amont augmentent dans le PLF. Notre BITD compte dix majors et un volant de 4 500 entreprises, aussi, nous devons vérifier que la DGA assure un ruissellement et aille chercher l'innovation. Il faut accompagner les entreprises pour favoriser les changements d'échelle et leur permettre ainsi de développer de nouveaux programmes, d'autant que l'IA change la donne : certaines habitudes doivent évoluer.
M. Hugues Saury. - Le délégué général pour l'armement a précisé que de plus en plus de commandes étaient passées en fin d'année. Pouvez-vous confirmer à notre commission et aux industriels que les commandes pour les grands programmes structurants que sont le porte-avions de nouvelle génération et les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération seront bien passées d'ici à la fin de l'année ? L'entreprise MBDA est en attente de la confirmation d'une grosse commande de missiles. Par ailleurs, le financement du développement du moteur T-REX, indispensable au standard F5 du Rafale, n'est toujours pas clairement assuré.
Comment évoluent nos capacités en matière de défense sol-air multicouche, notamment au regard du défi désormais bien identifié des attaques saturantes et combinées ? En particulier, qu'en est-il de nos stocks de missiles ? Une enveloppe globale de 16 milliards d'euros est prévue au travers de la loi de programmation militaire pour l'ensemble des munitions. Un nouvel effort sur ce segment est-il envisagé ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Premièrement, j'ai beaucoup de mal à comprendre vos chiffres. En septembre dernier, votre ministère annonçait des commandes à hauteur de 12 milliards d'euros et des paiements à hauteur de 16 milliards d'euros. Pourtant, au cours de nos auditions, le groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) et le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) nous assurent avoir constaté une baisse des prises de commandes au premier semestre 2025, jusqu'à 20 % pour certains acteurs. Cette situation fragilise la trésorerie des PME et des ETI. Comment expliquez-vous le décalage entre vos annonces et la réalité du terrain ?
Deuxièmement, vous avez rappelé l'heureuse annonce du Président de la République, le 13 juillet dernier, d'une surmarche de 3,5 milliards d'euros. Le budget contient donc une augmentation de fait de 6,7 milliards d'euros. Ce montant permettra-t-il de renforcer réellement les capacités ? Vous nous avez transmis la liste des matériels, mais nous ne retrouvons pas cette surmarche dans le bleu budgétaire. Ces crédits compléteront-ils ceux de la LPM pour résorber les restes à payer et le report de charges identifié dans le rapport présenté par M. de Legge ? Seront-ils en partie consacrés à des investissements nouveaux ?
Troisièmement, la France pourrait profiter du programme Safe (Security Action for Europe) à hauteur de 16,5 milliards d'euros d'ici à 2030. Bruxelles demande un catalogue capacitaire, qui doit être rendu le 30 novembre prochain, pour pouvoir en bénéficier. Toutefois, la façon de concilier les objectifs européens et ceux décrits dans la LPM n'est pas claire. Confirmez-vous que les programmes menés conjointement avec d'autres pays européens pourraient ne plus figurer dans la LPM ? L'actualisation de la loi de programmation clarifiera-t-elle les modalités de financement des programmes, en retirant les fonds qui relèvent du programme Safe ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Les commandes sont effectivement passées à la fin de l'année. Le début d'année est plutôt consacré aux règlements. L'objectif est de passer 30 milliards d'euros de commandes d'ici à la fin de l'année.
Les chiffres que j'ai cités m'ont été donnés par mes services. Ils ont été consolidés au 30 décembre dernier.
Quelque 900 millions d'euros sont prévus pour 2026 pour la défense surface-air, avec notamment des commandes de quatre systèmes Samp/T NG et des livraisons de systèmes Parade pour la lutte anti-drones.
En quoi consiste la surmarche pour 2026 ? Pour l'armée de terre, les commandes initiales comprenaient 357 véhicules Serval et 70 camions-citernes de nouvelle génération. Nous y ajoutons des obus de 155 mm et un lot de missiles à moyenne portée. Pour la marine, une frégate de défense et d'intervention, et deux avions-patrouilleurs étaient prévus. Nous y ajoutons 40 drones sous-marins et 25 drones de surface. Pour l'armée de l'air et de l'espace, nous prévoyons en plus 2 Rafale et 4 Samp/T NG. Pour l'interarmées, nous apportons deux satellites, successeurs de Musis (Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation).
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants. - Madame la ministre vient de détailler des apports qui figurent dans la LPM. Les financements européens sont forcément compris dans ce texte. Il n'existe donc aucune déconnexion dans les manières d'aborder le réarmement européen et le réarmement national, car la défense est une compétence souveraine.
Par conséquent, nous plaidons pour que la Commission européenne, même si elle a créé des instruments de financement et de simplification importants ces dernières années, ne s'arroge pas de prérogatives en la matière : elle n'en dispose pas. La ligne du Président de la République et celle que défendait Sébastien Lecornu lorsqu'il était ministre des armées est la suivante : la souveraineté nationale va de pair avec un renforcement de la souveraineté européenne.
Safe ne s'appuie pas sur de nouveaux fonds. L'argent magique ne se trouve pas plus en Europe qu'en France ! Le programme permet de fournir des emprunts à des conditions préférentielles. De fait, les circuits de financement importent moins que la cohérence des décisions. La France avait d'ailleurs anticipé la situation dans sa RNS 2025, à la tonalité plus affirmée que la précédente en matière de menaces sur l'Europe.
Il faut faire plus ensemble en matière d'artillerie, avec les canons Caesar et en association avec l'Ukraine, en matière de transports stratégiques, avec l'A400M, et en matière d'observations satellitaires, avec l'acquisition de Saab GlobalEye suédois et le développement d'un projet avec l'Allemagne.
Le rôle de la France n'est pas simplement de faire en sorte que les mesures s'imbriquent : il faut donner l'impulsion pour rendre le réarmement du continent efficace et crédible. Utilisons les financements européens pour renforcer notre souveraineté et celle de l'Union.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Le 30 novembre est une date butoir pour la remise du catalogue capacitaire. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce dernier ?
Mme Alice Rufo, ministre déléguée. - Nous sommes en train de le rédiger, car son contenu dépendait de l'inscription des surmarches dans l'actualisation de la LPM. Le catalogue visera des secteurs dont nous avons plaidé l'inscription dans le livre blanc sur la défense européenne.
Objectivement, nous avons besoin de faire plus dans la défense aérienne et antimissile, les frappes dans la profondeur - nous avons pris de l'avance grâce à l'initiative Elsa (European Long Range Strike Approach) -, l'artillerie et les munitions, le renseignement et le spatial.
M. Hugues Saury. - Vous avez apporté une réponse générale sur le sujet des commandes de fin d'année alors que ma question était précise, portant sur le porte-avions de nouvelle génération, le T-REX et le sous-marin nucléaire. Je réitère également ma question sur l'évolution des stocks de missiles.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Les trois programmes sont en cours. Nous souhaitons être fidèles aux engagements pris et passer les commandes avant la fin de l'année. Ces instruments sont bien compris dans les 30 milliards d'euros.
M. Olivier Cigolotti. - Il est essentiel pour nos forces de se préparer à la haute intensité, comme l'a indiqué le général Pierre Schill, la semaine dernière. Cela suppose des opérations d'entraînement au sein de nos trois armées, la disponibilité des matériels, qui est l'objet de ce programme, et des munitions dédiées, à prélever sur nos stocks. Dans la loi de programmation militaire, un palier est prévu pour la période 2024-2027 ; les stocks augmenteront à partir de 2028.
Les objectifs de chacune des trois armées en matière d'entraînement vous paraissent-ils suffisants ? Sans fournir de données couvertes par le secret, pouvez-vous préciser s'ils sont en passe d'être atteints ?
Par ailleurs, s'agissant de l'emploi des matériels, notamment les Griffon, le volume réservé aux entraînements vous paraît-il suffisant pour garantir à nos forces un haut degré de préparation ?
Le numérique a été érigé en priorité absolue au sein de la loi de programmation militaire. Aussi, le Commissariat au numérique de défense (CND) a été créé le 1er septembre dernier. Placé sous votre autorité, il regroupera d'ici à la fin de l'année 2026 les missions exercées par la direction générale du numérique et des systèmes d'information et de communication (DGNUM), la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (Dirisi) et l'Agence du numérique de défense.
Qu'attendez-vous de la mise en place du Commissariat en matière de cohérence du numérique de défense ? Quelle stratégie sera suivie pour éviter l'emprise des grandes entreprises technologiques américaines ? De fait, les briques logicielles et les solutions de stockage et de traitement de l'information sont susceptibles d'être fournies par des pays extra-européens. Quelles actions le CND mènera-t-il pour fournir aux armées des outils d'intelligence artificielle ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - L'effort sur les munitions est important : 7,3 milliards d'euros. En effet, le niveau des stocks est trop faible. Au-delà de l'enjeu financier, la question des capacités de production de nos entreprises de défense se pose. Nous travaillons particulièrement sur le sujet avec la DGA.
Cet effort sur les munitions touche l'ensemble du spectre, des obus aux roquettes en passant par les bombes relevant de l'armement air-sol modulaire (AASM) et les missiles les plus complexes. Les missiles de défense sol-air Aster 30 et, pour les avions de combat, les Meteor, les missiles d'interception, de combat et d'autodéfense (Mica), et les Exocet sont l'enjeu le plus critique.
L'importance accordée aux munitions téléopérées s'appuie sur les retours d'expérience ukrainiens, d'où l'effort particulier sur les charges et les drones. En 2026-2027, nous disposerons d'A2SM, de drones lanceurs de charge et de charges. Concrètement, nous disposerons non seulement de stocks, mais également des moyens de réussir les entraînements.
Concernant le programme Scorpion, qui vise à renouveler et à moderniser les capacités de l'armée de terre, son infovalorisation a transformé la manière de combattre au sol. Est prévue dans la LPM 2024-2030 l'augmentation de la cadence de production : le flux annuel sera de 30 Jaguar par an sur la période 2024-2025, puis, à partir de 2026, de 20 Jaguar, de 100 Griffon et de 200 Serval. Le PLF 2026 tend à commander pour l'opération Scorpion 97 véhicules Serval, à développer des équipements associés ainsi qu'à améliorer les véhicules existants et à mieux gérer leur configuration. Les livraisons de Griffon et de Jaguar sont poursuivies. Au-delà des nouveaux équipements et de l'amélioration technologique, il faut également que les soldats s'entraînent avec leur matériel, d'où nos efforts en matière d'entretien et de fourniture.
Le Commissariat au numérique de défense a pour objet d'entraîner des gains d'efficacité au quotidien. Ses missions sont de soutenir les opérations en fournissant un appui numérique performant, de co-construire avec la DGA et l'état-major le système de combat de demain, de développer le numérique du quotidien, d'apporter un soutien sur tout le territoire, de conduire une politique numérique et de fournir les infrastructures pour transporter, stocker et traiter les données afin de comprendre, piloter et commander les opérations. Les enjeux sont donc multiples. Je pense aussi à l'attractivité, avec la remontée des effectifs, à la montée en compétence et à l'articulation entre les systèmes d'armes numériques et les infrastructures.
L'armée doit s'entraîner de façon intense et exigeante. La LPM 2024-2030 contenait déjà un premier effort en ce sens : des progrès devaient être accomplis quantitativement et qualitativement en matière de préparation opérationnelle, jusqu'à permettre à celle-ci de rejoindre les normes d'activité menant au maintien des savoir-faire. L'actualisation du texte vise à accélérer. Les deux milliards d'euros supplémentaires visent à densifier l'activité des trois armées en quantité et en qualité : équipement du combattant, munitions, acquisition de plastrons pour gagner en réalisme lors des exercices.
En 2026, par exemple, l'exercice Orion nous permettra de tester sur plusieurs mois la capacité des armées à déployer leurs forces, la France assumant un rôle de nation-cadre au sein d'une coalition internationale pour faire face à un ennemi de forces égales. Nous nous entraînerons également sur la dimension civile, notamment sur les questions sanitaires.
M. Jean-Pierre Grand. - Pouvez-vous nous faire part de vos projets en matière de renforcement de la résilience de la société ? Le Premier ministre a commencé à répondre à la question en actant la suppression du service national universel (SNU), sachant que la revue nationale stratégique met elle-même l'accent sur le sujet. Pouvez-vous nous confirmer que les crédits de la réserve ont été préservés en 2025 et nous justifier le niveau budgété en 2026 ?
Faire de ces crédits une variable d'ajustement en cours d'année est un classique toujours préjudiciable au recrutement et à l'activité des réservistes. Comment envisagez-vous la participation de chacun, des plus jeunes en particulier, à la défense nationale ? J'ai participé au dernier déplacement de la commission en Suède : le modèle de ce pays n'est pas transposable tel quel, mais il donne à réfléchir.
Ma co-rapporteure pour avis, Mme Carlotti, souhaitait vous interroger sur les mesures d'attractivité parmi les plus attendues par les militaires, qui ont fait l'objet d'annonces de la part des précédents gouvernements sans que le calendrier ou les modalités aient toujours été précisés.
Les documents budgétaires tendent à annoncer une révision des grilles indiciaires des officiers en décembre de cette année, comme vous l'avez confirmé hier à l'Assemblée nationale. Quel est le périmètre de cette réforme ? Tous les officiers, à partir des aspirants, sont-ils bien concernés ?
L'intégration d'une partie des primes à l'assiette de calcul de la pension, annoncée comme une mesure phare du plan Fidélisation 360, a déjà été repoussée. Est-elle abandonnée ? L'ajournement ou la réalisation la plus minimale possible de ces mesures de fidélisation risquerait d'avoir des conséquences sur le moral des troupes et donc sur leur maintien dans les cadres d'active.
Je voudrais aussi vous interroger sur la mise à disposition d'infrastructures salubres pour les militaires. Le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a fait état d'une situation parfois alarmante du parc immobilier. Le sujet est récurrent, malgré quelques avancées. Pouvez-vous nous préciser les efforts consentis dans ce domaine en 2026, en décomposant les grandes masses qui se divisent parfois entre plusieurs programmes ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Le modèle suédois pourrait nous inspirer à bien des égards. Incontestablement, nous voulons en faire plus en matière de réserve opérationnelle et de service militaire volontaire. Le Président de la République souhaite que, d'ici à la fin de l'année, nous apportions des réponses sur le sujet. L'actualisation à venir de la LPM pourrait aller dans ce sens, c'est dire si nous souhaitons aller vite.
Sur la réserve opérationnelle, nous avons su atteindre les objectifs quantitatifs. L'idée est maintenant de se concentrer sur le qualitatif, car le réserviste n'est pas qu'un supplétif. Il est important de renforcer l'hybridité entre active et réserve, raison pour laquelle nous simplifions le parcours.
Permettez-moi de partager une information qui m'a interpellée : le ministère se félicite de répondre enfin aux demandes. Jusqu'à présent, les aspirants réservistes ne recevaient pas tous de réponse ! En outre, la solde est désormais payée sous quarante-cinq jours. Le ministère semble donc avoir dépassé son problème de crise de croissance.
En matière de ressources humaines, nous entrons dans un processus plus fluide. Quelque 318 millions d'euros seront consacrés à la politique en la matière au sein du PLF 2026. L'objectif est de conclure 52 000 contrats, soit une hausse de 4 400 contrats, d'augmenter l'aide opérationnelle et de porter la durée moyenne d'engagement à quarante-cinq jours.
En ce qui concerne la rémunération, le rattrapage des grilles indiciaires des officiers était prévu à l'article 7 de la LPM. Il a eu lieu pour celles des militaires du rang en 2023 et pour celles des sous-officiers en 2024, il en sera de même pour les officiers en 2025, des aspirants jusqu'aux grades sommitaux.
Le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire met en évidence l'état alarmant du logement. Le service d'infrastructure de la défense, chargé de la maintenance, se transforme en conséquence. Le rattrapage en cours a commencé par un travail cartographique afin de mieux connaître le parc. De fait, l'hébergement militaire comprend 122 000 lits, dont 20 % sont très dégradés. On me parle même de bâtiments nommés « champignonnières »... Il m'a été assuré qu'il faudra trois LPM pour rattraper ce retard d'investissements. Sur la période 2019-2025, 1,2 milliard d'euros avaient été prévus.
Aussi, il faudra mener un travail de fond en la matière. Je le dis avec l'humilité de quelqu'un qui est là depuis dix jours, mais qui a présidé l'Agence nationale pour la rénovation urbaine et qui a été adjointe au logement dans sa ville. Parmi les sujets en jeu, je pense au logement de nos militaires du rang, à celui de nos célibataires géographiques, de plus en plus nombreux, et à celui des familles.
Une partie du parc a été reprise par Nové. Une remise à niveau, c'est-à-dire procéder à des investissements massifs pour que les familles soient logées dans des logements de qualité, est en cours, conformément au contrat qui a été signé. Le logement est incontestablement l'un des éléments clés de l'attractivité.
M. Dominique de Legge. - La commission des finances se soucie de sécuriser le budget des armées. Nous souhaitons qu'il soit le plus sincère et le plus réaliste possible, aussi, nous sommes particulièrement préoccupés par le report de charges. Ces reports sont passés de 3,88 milliards d'euros à la fin de 2022 à plus de 8 milliards à la fin de 2024 : ils ont plus que doublé. Ces 8 milliards d'euros représentent presque 25 % des montants du programme 146, qui n'est pas le seul concerné.
Comment se présente la fin de gestion 2025 ? Votre prédécesseur nous avait à juste titre expliqué qu'il était logique de passer des commandes et d'engager des dépenses en début de LPM. Au fur et à mesure des années, le budget de la défense augmentant, la gestion était vouée à devenir plus traditionnelle. Pouvez-vous donc nous confirmer que le report de charges est maîtrisé ou en voie de l'être ?
Pourriez-vous également détailler la surmarche ? Quelle part de cette dernière a pour objet de participer à la maîtrise du report de charges ? Quelles autres parts sont destinées au financement des mesures contenues dans la LPM et à l'accélération des programmes ?
Vos propos manquent de précision sur le calendrier de révision de la LPM. Aura-t-elle lieu à la fin de l'année ou en 2026 ? Quelles sont les raisons qui justifient cette révision ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - L'augmentation en 2024 du report de charges a été plus rapide que prévu du fait du report de 775 millions d'euros du fonds d'amorçage, compris dans le schéma de fin de gestion. Une partie de cette augmentation pourrait donc être retranchée de votre calcul. Sans cet arbitrage sur le fonds d'amorçage et les annulations du programme 146, le ratio aurait été en dessous de 20 %. L'augmentation constatée est surtout le signe que les ressources de la LPM doivent être respectées.
À la fin 2025, le report de charges devrait diminuer par rapport à 2024. Cette baisse devrait se poursuivre en 2026 : il se situerait aux alentours de 20 % des crédits alloués dans la loi de finances initiale (LFI). Cette diminution en valeur relative correspond au choix assumé de décorréler par la programmation la trajectoire de report de charges de celle des crédits budgétaires, ces derniers étant en très nette augmentation à compter de 2026.
Je précise que les PME et PMI sont épargnées par cette pratique, puisque seules les factures des industriels majeurs, qui ont une trésorerie importante, sont concernées.
Concernant la surmarche, il est important de noter que les 3,5 milliards d'euros prévus pour 2026 servent à financer des besoins nouveaux. Nous souhaitons présenter le texte qui contient ces fonds à la fin de l'année, conformément à l'annonce du Président de la République du 13 juillet dernier, de façon à être opérationnels dès le début de l'année 2026.
M. Cédric Perrin, président. - Ces 3,5 milliards d'euros serviront-ils à sécuriser la loi de programmation militaire ? Si tel devait être le cas, cela signifierait que le Sénat avait raison lorsqu'il affirmait en 2023, au moment de l'examen de ce texte, que celui-ci était sous-financé. À l'époque, l'état-major des armées estimait qu'il fallait au moins 420 milliards d'euros pour que la LPM rende possible notre remontée en puissance. Bercy, de son côté, avançait le chiffre de 380 milliards. Le chef de l'État a tranché en faveur de 400 milliards « plus 13 milliards ». Notre commission a beaucoup discuté de cette expression au moment de l'examen de la loi. Nous considérions et nous considérons toujours que cette annonce de 13 milliards en plus des crédits réels n'avait pas de sens.
Si ces 3,5 milliards d'euros devaient être fléchés vers des besoins nouveaux, les crédits de paiement pour 2026 permettront-ils de nouvelles autorisations d'engagement ? Si oui, lesquelles ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - La loi de programmation militaire a été dès le départ sécurisée : nous appliquons chaque année le texte que vous avez adopté. La surmarche supplémentaire a donc pour objectif d'en faire davantage, d'où le dépôt d'un projet de loi.
Nous souhaitons avancer dans les huit domaines suivants : l'alerte avancée ; les munitions de tout type, notamment téléopérées ; le déploiement rapide de drones dans l'ensemble des unités opérationnelles des trois armées ; la défense surface-air et la lutte anti-drones, car il est nécessaire de se renforcer en la matière tant en opération que sur le territoire national ; la guerre électromagnétique, qui impose de fournir aux armées des moyens d'attaque élémentaire et des systèmes de brouillage dans la profondeur ; la connectivité par satellite et le renseignement dans le domaine spatial ; l'innovation opérationnelle pour renforcer la supériorité informationnelle de nos forces - en nous penchant sur la question dès 2026, nous gagnerons du temps sur le déploiement du cloud de combat, la convergence des réseaux secrets et les données de santé - ; la préparation opérationnelle de nos forces, afin d'atteindre des normes d'entraînement correspondant aux standards.
Au-delà de ces huit domaines, j'ajouterai quelques autres sujets : il est nécessaire de remplacer le lance-roquettes unitaire d'ici à 2030 pour effectuer des frappes dans la profondeur ; il faut disposer de frégates de premier rang, permettant de renforcer les moyens de défense aérienne des unités, et améliorer la protection de la connectivité de ces bâtiments ; il convient d'obtenir deux Rafale pour le recomplètement de la flotte, car nous en avons perdu autant en août 2024 ; des A400M seront reçus dans l'aviation de transport. Ces obtentions ne seraient pas possibles sans la surmarche provenant de l'actualisation de la LPM.
M. Cédric Perrin, président. - Confirmez-vous la baisse des reports de charges ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je vous ai répondu en ce sens.
M. Bruno Sido. - Au-delà des chiffres, quelle est la réalité de la menace russe ? Plus précisément, quelles sont les capacités offensives de ce pays ? Que prépare-t-il ? Actuellement, les Russes pataugent en Ukraine ; ils ne seront pas demain sur les Champs-Élysées.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - La Russie est totalement réarmée, y compris en matière cyber, ce qui représente pour l'Europe un danger extrêmement important. En Ukraine, elle continue à avancer et, surtout, elle ne tient pas compte des mesures que nous avons adoptées. Le meilleur exemple est l'arraisonnement récent de la flotte fantôme, par une frégate dont j'ai rencontré le commandant. La Russie est toujours capable d'exporter par navire ses matières premières énergétiques pour obtenir les ressources dont elle a besoin. L'Europe est donc menacée, car ce pays a les moyens d'agir.
Par ailleurs, nous devons être conscients que la défense de l'Europe doit être assumée par l'Europe elle-même. Les États-Unis, tournés vers la Chine, ne se préoccupent pas de l'Ukraine. Le tableau que j'ai brossé au début de cette audition ne décrivait pas seulement le danger russe : parce que la France est encore une puissance internationale grâce à son front maritime, d'autres menaces pèsent sur elle, notamment sur nos outre-mer. Ce constat nécessite de réarmer notre pays afin qu'il soit prêt à répondre à l'ensemble de ces défis.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée. - La loi de programmation militaire a été précédée par des travaux stratégiques, qui, comme la RNS, ont été actualisés. Elle vise en grande partie à répondre à l'accroissement de la menace russe, évolutive et qui ne saurait être réduite à des chars.
Heureusement, la Russie n'a pas atteint ses objectifs en Ukraine. Nous accentuons ses faiblesses grâce à nos sanctions, pour ne pas la voir gagner sur le champ de bataille, mais nous savons depuis le départ que la guerre menée par ce pays est hybride : le conflit se matérialise dans l'Union européenne au travers des attaques cybernétiques et des ingérences dans la vie démocratique.
Au-delà de la Russie, la militarisation de la Chine est extraordinaire. Notre environnement immédiat, au sud de notre pays, n'a pas non plus été calme ces dernières années. La guerre directe a même fait son retour entre Israël et l'Iran. La menace est donc globale. Nos adversaires, y compris les puissances nucléaires, possèdent toute la gamme des équipements offensifs et défensifs. Nous devons en faire autant.
M. François Bonneau. - En matière de BITD, la France et l'Allemagne, au travers des entreprises Nexter, KMW et Rheinmetall, ont créé un champion commun des véhicules blindés : le système principal de combat terrestre (MGCS, Main Ground Combat System). Néanmoins, la montée en puissance outre-Rhin de Rheinmetall et de KMW marginalise Nexter dans les contrats actuels. Nonobstant le canon Caesar, qui est une vraie réussite, quelle position comptez-vous prendre sur ce dossier ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Rheinmetall est extrêmement incisif. Les entreprises de notre BITD n'ayant pas la même réactivité, il convient que nous échangions dans les meilleurs délais avec elles, notamment avec Nexter, conformément à la demande du Président de la République. Elles doivent être plus rapides et gagner en agilité, au risque de ne pouvoir suivre le rythme des livraisons et de se faire dépasser.
Mme Nicole Duranton. - Madame la ministre, vous avez rappelé dans votre propos liminaire que les territoires d'outre-mer sont au coeur des enjeux stratégiques. La présence militaire à La Réunion garantit la sécurité et la protection des intérêts français dans l'océan Indien face aux menaces. Le contexte géopolitique de cette zone accentue l'importance de cette présence, malgré des capacités qui y sont limitées par rapport à d'autres régions. Bien que l'île ne dispose pas de grandes bases militaires, nos forces armées contribuent à la sécurité régionale.
Je me suis rendue récemment à Mayotte et à La Réunion avec mes collègues de ces territoires. Nous avons rencontré les autorités militaires réunionnaises : l'une des frégates qu'elles attendaient est arrivée, l'autre non. Nos interlocuteurs souhaiteraient savoir si ce bâtiment sera affecté à Mayotte ou à La Réunion.
Ils attendent également des hélicoptères et l'affectation de 200 militaires. À quelle échéance pourrez-vous fournir ces renforts ? J'ai pu constater que les moyens alloués sont insuffisants au regard de l'ampleur croissante des missions demandées aux militaires sur place.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Les forces basées dans la zone sud de l'océan Indien bénéficient d'un effort global de 13 milliards d'euros, qui se traduit par une modernisation des capacités et une hausse des effectifs. Le second patrouilleur devrait arriver en 2026, les deux hélicoptères Cougar en 2028. L'effectif sera augmenté de 300 personnes.
M. Rachid Temal. - L'actualisation de la loi de programmation militaire était nécessaire au regard de la RNS - Étienne Blanc et moi-même étions co-rapporteurs des travaux du Sénat sur le sujet -, des mesures financières nouvelles proposées par les pouvoirs publics et des enjeux stratégiques. Passera-t-elle par un texte législatif ? Le cas échéant, quand ? Comment le Sénat sera-t-il associé ? Il est important de maintenir les capacités de notre industrie et donc de préserver la commande publique.
De surcroît, la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, dont j'ai été le rapporteur sous la présidence de Dominique de Legge, a constaté l'absence de stratégie nationale sur ce thème en France : chaque acteur agit de son côté. Envisagez-vous de vous saisir de la question ?
Enfin, je suis étonné de ne pas avoir entendu le sigle « Otan ». Comment articuler nos politiques et la décision des membres de cette organisation de consacrer 5 % de leur PIB à la défense ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - La France est un membre fiable et solide de l'Otan. Sa réintégration au sein de la structure de commandement en 2009 s'est effectuée dans le respect de trois principes : l'indépendance de la dissuasion, la liberté d'appréciation et la liberté permanente de décision.
Notre place au sein de l'Alliance atlantique repose sur autant de piliers : une contribution budgétaire majeure - nous sommes quatrièmes derrière les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni -, un effort de défense soutenu qui garantit un modèle d'armée complet et une crédibilité opérationnelle reconnue, par exemple sur le flanc est.
J'ai rencontré le commandant suprême des forces alliées pour parler des transformations à mener. Pas plus tard qu'hier, j'ai également échangé avec Mark Rutte sur le durcissement de la position de l'Otan à l'égard de la Russie. De fait, des flottes navales permanentes assurent une présence continue sur l'Atlantique, la mer Baltique, la mer du Nord et la Méditerranée, la mission Air Shielding est en opération et trois Rafale sont déployés en Pologne sur décision du Président de la République. Nous participons ainsi à la présence avancée de l'Otan, pour la sécurité de l'Europe, tout en défendant un modèle fondé sur la flexibilité et la mobilité des forces plus que sur leur quantité.
Concernant les ingérences, le Premier ministre pilote le combat contre la désinformation. Le ministre des armées, pour sa part, lutte auprès du chef d'état-major des armées (Cema) contre toutes les atteintes aux armées déployées à l'étranger et outre-mer. J'entends votre remarque sur la coordination de ces acteurs, d'autant que Bercy travaille sur le volet économique, avec environ 140 dossiers d'engagement par an. Je me pencherai sur la question.
L'actualisation de la loi de programmation militaire passera par un projet de loi. L'objectif est de le déposer d'ici à la fin de l'année.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée. - Une stratégie existe. J'en veux pour preuve les progrès qui ont été faits ces dernières années, notamment la création du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum).
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est principalement chargé de la question des ingérences et de l'influence. Néanmoins, les détails sur les sujets les plus sensibles ne sont pas rendus publics.
M. Cédric Perrin, président. - Permettez-moi de douter de la stratégie : elle a volé en éclats l'année dernière. En effet, ont été alors supprimés, avec l'accord du Gouvernement, 50 millions d'euros de crédits dédiés à Viginum, à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). La chute des moyens de l'IHEDN se poursuit d'ailleurs, du fait d'un plan pluriannuel de baisse des crédits.
Les pouvoirs en jeu sont éminemment régaliens. Mesdames les ministres, je vous appelle à la vigilance au moment d'examiner les textes budgétaires.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Monsieur le président, je ne prendrai pas d'engagement en la matière devant vous, mais je m'engage, en revanche, à en parler au Premier ministre, car ce sujet relève de sa responsabilité.
M. Thierry Meignen. - Premièrement, sur le front ukrainien comme dans le ciel des États membres de l'Union européenne, l'actualité démontre chaque jour l'importance stratégique croissante des drones et la menace sans cesse évolutive qu'ils font peser. Dans ce contexte, le pacte drones aériens de défense a été lancé l'année dernière, visant à stimuler l'innovation et l'acquisition à grande échelle de ces technologies sur l'ensemble du spectre. Où en est la mise en oeuvre de ce pacte ? Des résultats concrets ont-ils d'ores et déjà été enregistrés ?
Par ailleurs, le projet d'Eurodrone MALE (moyenne altitude, longue endurance) a récemment franchi une nouvelle étape, mais son achèvement paraît encore lointain et incertain. Parallèlement, le ministre des armées a décidé de subventionner plusieurs projets français de drones MALE, dont certains seraient sans doute plus adaptés aux besoins opérationnels actuels. Un ou plusieurs de ces projets pourraient-ils avoir vocation à remplacer l'Eurodrone ?
La Royal Navy vient d'annoncer que les porte-avions britanniques seront dotés de dispositifs permettant l'envoi de drones de combat. Comment la problématique des drones est-elle intégrée au développement des porte-avions de nouvelle génération ?
Par ailleurs, les autorités britanniques ont qualifié de nécessité immédiate le développement et le déploiement en nombre de navires sans équipage, et les autorités américaines semblent vouloir suivre un chemin similaire. S'agit-il d'une orientation également partagée par la marine nationale ?
Deuxièmement, la Commission européenne a récemment indiqué vouloir bâtir un « mur anti-drones » sur le flanc est de l'Europe. Au vu des lacunes flagrantes observées dans ce domaine et de la large palette technologique à mettre en oeuvre, un tel projet nécessiterait une coopération poussée et des financements massifs. Au-delà de la question institutionnelle, la Commission n'ayant aucune compétence ni aucune légitimité pour lancer un tel projet de défense, comment appréciez-vous cette initiative ? Vous paraît-elle pertinente ? Comment s'articulerait-elle avec le Sky Shield européen, auquel la France n'est pas partie prenante ? Enfin, l'Allemagne a estimé que les appels à abattre les drones russes entrés dans l'espace aérien de l'Otan étaient contre-productifs. Quelle est la position de la France à ce sujet ?
Troisièmement, diverses initiatives relatives à ces appareils ont été lancées à l'échelle nationale, par exemple pour renforcer les capacités de lutte anti-drones des frégates ou pour transformer le Mirage en chasseur de drones. Récemment, le ministère des armées a mis en place le projet Épervier pour améliorer la lutte contre les drones FPV (First-Person View). Pouvez-vous nous préciser les grandes lignes de ce projet ainsi que les moyens financiers qui y sont associés ? Plus largement, comment progresse l'intégration de l'innovation technologique à la lutte anti-drones, notamment celle de l'intelligence artificielle et des armes à énergie dirigée ?
Quatrièmement, sur un sujet connexe, comment progressent nos capacités en matière de défense sol-air multicouche, au regard du défi désormais bien identifié et documenté des attaques saturantes et combinées ? En particulier, comment évoluent nos stocks de missiles, alors qu'une enveloppe globale de 16 milliards d'euros est prévue dans la loi de programmation militaire pour l'ensemble des munitions ? Un nouvel effort sur ce segment est-il envisagé ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Le pacte drones aériens de défense a été lancé par la DGA pour capter l'innovation civile des PME, notamment pour les drones de moins de 150 kilogrammes : de nombreuses signatures avec des industriels ont eu lieu. La DGA est prête à évaluer et à tester ces outils.
De nouveaux crédits dédiés à l'innovation figurent dans le projet de loi de finances, notamment à destination des armes à énergie dirigée. Ainsi, le porte-avions de nouvelle génération pourra à terme catapulter des drones et la marine développer des drones sous-marins et navals, en particulier pour la lutte contre les mines.
Concernant le « mur anti-drones » proposé par la Commission pour détecter et, le cas échéant, détruire ces appareils, la France est plus que réservée. En effet, nous ne considérons pas qu'il existe une protection infaillible. La question est plutôt de savoir comment mieux coopérer entre Otan et Union européenne. À cet égard, l'Ukraine est incontestablement le pays qui peut le plus nous aider, ayant montré sa capacité à faire tomber des drones. Le sujet de ce mur sera discuté demain lors du Conseil européen.
M. Cédric Perrin, président. - Je me permettrai un mot qui rompra avec la réserve à laquelle vous êtes tenue, madame la ministre, sur le mur anti-drones : cette histoire est absurde ! Nous avons besoin d'artillerie et de matériel, mais pas de construire un mur anti-drones qui de toute façon ne fonctionnera pas.
M. Rachid Temal. - Qu'est-ce qu'un mur anti-drones !
M. Cédric Perrin, président. - Cela ne veut rien dire !
J'espère que nous ferons comprendre à Mme von der Leyen que pour parler d'un sujet, il faut le connaître et que ce projet, en l'occurrence, n'a aucun sens. Nous avons été nombreux à le dire et j'espère, madame la ministre, que vous vous ferez le relais du Parlement français auprès de Mme von der Leyen - de manière plus diplomatique, certes.
M. Guillaume Gontard. - Conscients des dangers du monde présent et de l'impérieuse nécessité de soutenir l'Ukraine, les écologistes ne se sont pas opposés à la loi de programmation militaire ni d'ailleurs à aucun budget des armées depuis lors. Cependant, je vous avoue que nous sommes de plus en plus mal à l'aise face au décalage entre l'effort de défense auquel consent la Nation et l'effondrement de presque toutes les autres missions de l'État. Nous sommes notamment atterrés de voir que nous donnons moins à l'Ukraine que ce que nous achetons de manière détournée, en hydrocarbures et en uranium enrichi, à la Russie de Vladimir Poutine.
Vous avez très justement rappelé que nous étions dans une guerre hybride. Malgré ce constat, qui devrait alerter le Gouvernement, nous continuons à sabrer dans nos politiques de souveraineté énergétique. Je pense en particulier à la destruction organisée du dispositif MaPrimeRénov', mais l'observation vaut aussi de manière plus large pour l'ensemble des politiques de transition énergétique. Nous défendre tout en armant nos ennemis est, pour le moins, vous l'avouerez, incongru.
Dans ce contexte, la France s'est engagée, lors du dernier sommet de l'Otan, à porter son effort de défense à 5 % du PIB d'ici à dix ans. Dans le détail, 3,5 % du PIB seront consacrés aux dépenses militaires et 1,5 % aux dépenses de sécurité au sens large, soit, à PIB constant, environ 105 milliards d'euros de dépenses militaires et 35 milliards d'euros de dépenses de sécurité. Ces montants, qui sont vertigineux, soulèvent de nombreuses questions.
D'abord, quelles recettes nouvelles ou quel nouveau sacrifice pour accroître de près de 50 milliards d'euros nos dépenses militaires ? Ensuite, allons-nous enfin mutualiser nos efforts au niveau européen pour réduire nos coûts, qui pourraient diminuer de 40 % selon certaines études ? Il me semble que c'est indispensable dans le contexte actuel. Enfin, quelles dépenses seront incluses dans les dépenses de sécurité au sens large ? Peut-on espérer que notre souveraineté énergétique, notre hôpital public, notre sécurité civile, entre autres, entrent dans cette catégorie et fassent enfin l'objet d'un effort budgétaire à la hauteur des enjeux ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Depuis 2022, beaucoup a été fait pour réduire la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie. L'Union européenne a notamment approuvé un plan pour éliminer toute dépendance au gaz russe d'ici à la fin de 2027, ce qui est un point important. Concernant le gaz naturel liquéfié (GNL), la France est essentiellement un pays de transit : seule une part résiduelle est réellement destinée au marché français.
L'effort de défense à 5 % du PIB que nous prévoyons de fournir est un sujet qui m'intéresse beaucoup. En effet, de par les fonctions que j'ai exercées antérieurement, j'ai deux chiffres en tête de façon assez régulière : notre modèle social représente 650 milliards d'euros, pour 22 milliards de déficit, et le budget de la défense s'élève à 57,5 milliards d'euros. Nous ne sommes donc pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. Par conséquent, quand vous me dites : « Qu'allons-nous faire pour l'hôpital public ? », je vous réponds que, pour l'hôpital public - c'est tout le travail qui a été réalisé dans le rapport Charges et produits de l'assurance maladie -, des efforts sont évidemment fournis et nous devons continuer à en faire.
Ce que nous évoquons ici, dans un cercle un peu feutré, est un sujet qu'il est important de faire connaître à nos concitoyens. Aujourd'hui - et je ne suis pas là pour faire peur à tout le monde -, nos concitoyens ne mesurent pas la gravité des enjeux internationaux telle que nous l'évoquons. Nous parlons de souveraineté économique, de souveraineté numérique ou de souveraineté énergétique, mais l'enjeu est aussi celui de la souveraineté, tout court. Si demain, une vraie menace venait à peser sur notre pays, tous nos modèles, quels qu'ils soient, tomberaient.
Par conséquent, nous avons un travail collectif à mener pour informer nos concitoyens sur ces enjeux, et c'est là le coeur de la politique au sens le plus noble du terme. Certes, j'ai conscience que la parole politique est jugée peu crédible ; il n'en reste pas moins que nous devons faire un effort d'information majeur pour que nos concitoyens prennent conscience des enjeux et comprennent que, au-delà des démarches politiques et politiciennes, le contexte nous conduit à revoir nos équilibres.
Lors de la célébration du quatre-vingtième anniversaire de la sécurité sociale, j'ai dit que le sujet n'était pas celui des 80 ans, mais de ce qui aura 100 ans. En effet, ce modèle, né en 1945, n'a-t-il pas aussi besoin d'évoluer et de se réformer ? Nous devons y réfléchir.
Alice Rufo a déjà évoqué la réduction des coûts à l'échelle européenne. Celle-ci passera par la multiplication de nos initiatives et de nos commandes communes, d'où l'intérêt de la BITDE pour faciliter nos investissements en commun. Une réflexion est en cours avec la Banque européenne d'investissement sur tous ces sujets qui sont d'une importance majeure.
M. Cédric Perrin, président. - J'ai des éléments chiffrés qui abondent dans votre sens : sur 1 000 euros d'impôts prélevés, 561 euros vont à la protection sociale, 31 euros à la défense, 88 euros à l'éducation nationale et 31 euros au financement de la dette. Cela permet de relativiser les choses.
M. Rachid Temal. - Ce n'est pas l'un contre l'autre.
M. Cédric Perrin, président. - En effet, il ne s'agit pas d'opposer l'un à l'autre. Mais nous devons informer les Français pour qu'ils se rendent compte du coût de la protection sociale par rapport aux efforts qui sont demandés pour la défense.
M. Robert Wienie Xowie - Le budget 2026 des armées atteint 57 milliards d'euros, en hausse de 13 % par rapport à 2025. À ce rythme, notre pays s'engage dans une trajectoire de 100 milliards d'euros de dépenses militaires à l'horizon 2030.
Ce basculement, qui fait de la commande d'armement un moteur économique à part entière, ne peut être analysé uniquement à l'aune des menaces extérieures. Il traduit aussi un phénomène structurel dans lequel les acteurs financiers se repositionnent sur le secteur de la défense comme source de profits garantis par la dépense publique. J'en veux pour preuve l'envolée des capitalisations boursières des grands groupes de la BITD, non pas grâce à des innovations utiles à la société, mais à l'anticipation boursière des conflits futurs.
S'il ne s'agit pas à nos yeux de refuser à nos armées les moyens nécessaires, nous dénonçons en revanche la concentration croissante de l'effort national dans un seul secteur, au détriment des priorités sociales, industrielles et écologiques. C'est pourquoi nous vous proposons un rééquilibrage. Celui-ci ne remet pas en cause l'existence d'une base industrielle de défense souveraine, mais il permettrait de stopper la mutation à l'oeuvre de la BITD comme instrument de captation privée de la richesse publique, ou comme levier spéculatif qui transforme la guerre en marché.
Le groupe CRCE-K défendra donc un amendement de rééquilibrage budgétaire lors de la première partie du projet de loi de finances, pour une contribution sur les profits exceptionnels des grandes entreprises d'armement, une surtaxe sur les transactions spéculatives liées à leurs titres et l'affectation de ces recettes à la recherche civile, à la santé et à la transition écologique.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Notre industrie de défense repose sur dix majors, qui sont de très grandes entreprises, et sur 4 500 entreprises qui travaillent à nos côtés.
En plus de l'action quotidienne des équipes de la DGA, nous avons ouvert des chantiers en lien avec l'administration de Bercy pour procéder à une revue des industriels de défense, incluant leur prise de risque, leur autofinancement, leur résilience, mais aussi les délais, les coûts et les redevances à l'exportation. L'objectif est de fournir un effort conjoint pour équilibrer au mieux la relation entre l'État et ses industriels.
En effet, il est très important que les industriels soient capables d'autofinancer leurs capacités de production. Il faut aussi qu'il y ait une résilience de l'outil de production grâce à un partage de la valeur avec les sous-traitants, ce qui est particulièrement vrai s'agissant de la réduction des délais de paiement pour ces derniers. Enfin, il faut un équilibre entre l'État-client et l'État-actionnaire. C'est pour nous un enjeu majeur, puisque nous sommes à la fois les donneurs d'ordre, mais aussi les actionnaires d'un certain nombre de ces entreprises ; la relation doit donc rester équilibrée.
M. Cédric Perrin, président. - Je voudrais revenir sur la fin de gestion, sujet qui préoccupe manifestement un certain nombre de mes collègues, dont le rapporteur pour avis de la commission des finances.
En 2017, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, refusait que le financement des opérations extérieures se fasse en interministériel. Nous avons dû le constater, alors que le Sénat, depuis une dizaine d'années, avait obtenu que les opérations extérieures soient financées de cette manière, ce qui n'est malheureusement donc plus le cas en réalité.
Nous aimerions donc savoir ce qui a vocation à être financé par le budget du ministère des armées et ce qui a vocation à être financé en interministériel. C'est important, car, même s'il y a moins d'opérations extérieures, il reste plusieurs déploiements, comme la mission Aigle menée en Roumanie, par exemple.
Pouvez-vous nous donner des éléments à ce sujet, puisque nous allons avoir des difficultés en fin de gestion ? Quel est le plan développé par le ministère des armées pour faire en sorte de terminer l'année correctement ? Aurons-nous l'appui du financement interministériel prévu par la LPM ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. - La fin de gestion a pour objectif de financer les surcoûts, notamment ceux qui sont liés à des opérations qui n'avaient pas pu être prévues. Cette provision est de 750 millions d'euros et l'objectif est notamment de financer les opérations extérieures.
M. Cédric Perrin, président. - Nous disons systématiquement, au moment du l'examen du budget au Sénat, que la provision de 750 millions d'euros est sous-évaluée par rapport aux besoins de financement finaux. Je rappelle que, à l'époque des opérations extérieures Barkhane ou autres, la provision était, de mémoire, à environ 1,2 milliard ou 1,3 milliard d'euros chaque année, et que le delta était financé par l'interministériel.
Aujourd'hui, je suis bien conscient que des provisions sont prévues dans la loi de finances annuelle, mais elles sont sans commune mesure avec les besoins réels, qui sont d'ailleurs augmentés par une participation à l'aide à l'Ukraine, je le rappelle.
Mme Catherine Vautrin, ministre. - L'article 5 de la loi de programmation militaire prévoit que les surcoûts opérationnels dont le montant dépasse celui de la provision pour opérations extérieures et missions intérieures, fixée en LPM - 750 millions d'euros en 2025 et 1,2 milliard d'euros en 2026 -, font l'objet d'un financement interministériel auquel nous participons à hauteur de notre proportion dans le budget de l'État, via notre réserve de précaution. Par conséquent, plus notre budget augmente, plus notre participation peut être conduite à augmenter.
M. Cédric Perrin, président. - Nous vous remercions pour cette audition et pour la qualité des débats.
Madame la ministre, encore une fois, nous vous souhaitons bon courage pour prendre en compte l'ensemble de ces sujets, dont nous savons qu'ils sont complexes et qu'ils nécessitent du temps.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 18 h 35.