Jeudi 30 octobre 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 20.

Mission d'observation électorale en Moldavie au titre des assemblées parlementaires de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et du Conseil de l'Europe - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons ce matin une séquence dense, consacrée aux enjeux de l'élargissement, avec l'audition de la commissaire européenne chargée de ce dossier, Mme Marta Kos, puis la rencontre du bureau de la commission avec le Président de la République du Monténégro.

Il nous a paru dès lors intéressant que nos collègues Gisèle Jourda et Didier Marie nous présentent auparavant les conclusions de leur mission d'observation des élections législatives qui se sont tenues en Moldavie le 28 septembre dernier, lesquelles ont conforté le camp pro-européen de la Présidente Maia Sandu, dans un contexte tendu.

Cette mission d'observation électorale (MOE) a été menée dans le cadre des assemblées parlementaires de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) et du Conseil de l'Europe (APCE) auxquelles Gisèle Jourda et Didier Marie appartiennent respectivement.

M. Didier Marie, rapporteur. - Je rappellerai le contexte et la portée de ces élections, puis Gisèle Jourda reviendra sur les principales observations du déroulement des opérations électorales sur place et leurs conséquences.

En cette matinée consacrée à l'élargissement, rappelons tout d'abord que c'est la trajectoire européenne qui a déterminé la politique du pays depuis la première élection de Maia Sandu à la présidence de la République de Moldavie en novembre 2020, et plus encore depuis sa réélection en novembre 2024.

L'Union européenne (UE) est le premier partenaire commercial, le premier investisseur étranger et le premier donateur d'aide pour la Moldavie.

La candidature de la Moldavie à l'adhésion avait été présentée peu après celle de l'Ukraine, le statut de candidat lui étant reconnu par le Conseil européen de juin 2023. Dès décembre de cette même année, a été lancé l'examen des 35 chapitres de l'acquis communautaire, avec l'objectif d'une adhésion dès 2030.

Dès avant l'élection, les progrès sur les chapitres relatifs au commerce, à l'énergie et à la cybersécurité, qui sont des enjeux vitaux pour le pays, ont été soulignés par la Commission européenne.

L'adhésion représente en effet un défi majeur pour ce pays enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine, au territoire morcelé, avec une région autonome au sud, la Gagaouzie, et un territoire autoproclamé « indépendant » à la suite du conflit gelé de 1992 qui avait suivi l'indépendance de la Moldavie en 1991, la Transnistrie, où stationne un contingent de soldats de l'armée russe et où se trouvent d'importants et anciens dépôts de munitions. La population, vieillissante en raison d'un fort exode des Moldaves en âge de travailler, est d'environ 2,5 millions de personnes, dont quelque 350 000 en Transnistrie. Rappelons que plus de la moitié de la population active détient un passeport roumain, donc va et vient déjà, librement, dans l'UE, notamment pour travailler, produisant ainsi près du quart du PIB de ce pays.

L'élection présidentielle de l'an dernier avait placé Maia Sandu en tête avec 42 % des voix au premier tour, avant qu'elle ne l'emporte avec plus de 55 % des suffrages. Ce fut une victoire nette, mais moins écrasante qu'espéré, d'autant que la Présidente avait choisi de coupler l'élection à un référendum visant à inscrire l'objectif d'intégration européenne dans la Constitution. Or les résultats de ce référendum avaient été extrêmement serrés : 50,4 % pour le « oui », avec une participation de 51 % et un apport décisif de l'importante diaspora moldave. Avec la diaspora, c'est essentiellement la capitale, où de nombreux panneaux vantent les modernisations visibles réalisées grâce au soutien de l'UE, qui a voté massivement pour le « oui », à plus de 80 %. Le fait que le reste du pays ait voté à 70 % pour le « non » l'an dernier rendait l'issue des élections du 28 septembre assez incertaine.

La République de Moldavie a en effet un régime parlementaire. C'est le Premier ministre qui dirige le gouvernement. La Présidente, cheffe de l'État, convoque et dissout le Parlement, nomme le Premier ministre, pilote la politique étrangère. Elle est cheffe d'une armée de dimension modeste dans ce pays neutre, longtemps équipée de matériels soviétiques vétustes, mais de plus en plus soutenue dans sa modernisation par la Roumanie et d'autres pays de l'UE, dont l'Allemagne et la France, et de l'OTAN, dont les États-Unis.

Au-delà des tensions récurrentes avec la Russie, la Transnistrie a été confrontée à une crise énergétique profonde au début de cette année, avec l'arrêt des transits de gaz russe via l'Ukraine, aggravant l'instabilité politique et économique de cette région.

Quant à la région autonome de Gagaouzie, elle a vu au printemps l'arrestation de la gouverneure pour fraude électorale et financement russe, déclenchant des protestations locales et accentuant la polarisation à l'intérieur du pays.

L'enjeu géopolitique de l'adhésion à l'UE et des relations avec la Russie a dominé la campagne électorale.

La population subit en effet les conséquences de la guerre toute proche, la frontière avec l'Ukraine s'étendant sur près de 1 000 kilomètres : elle est à moins de 50 kilomètres de Chi?inãu et à moins de 200 kilomètres d'Odessa.

Ces circonstances ont bien sûr des conséquences sociales et humaines : plus de 5 millions de réfugiés ont fui l'Ukraine depuis le début de la guerre à grande échelle. Plus de 800 000 réfugiés sont arrivés sur le territoire moldave, dont près de 110 000 sont restés, représentant près de 4 % de la population du pays.

Les conséquences économiques de la guerre sont lourdes, avec une inflation fortement liée aux coûts de l'énergie.

En effet, l'approvisionnement énergétique de la Moldavie, hors biomasse, dépendait jusqu'au début de cette année à 80 % d'une centrale située en Transnistrie, alimentée exclusivement en gaz russe. Le pays a dû trouver de nouveaux fournisseurs : cela s'est traduit par une envolée des prix de l'électricité début 2025 - de 65 % à 75 % - et du gaz - de près de 30 % -, entraînant une augmentation significative du taux d'inflation à près de 10 %. Celui-ci est depuis redescendu à moins de 5 %. C'est beaucoup moins qu'en 2022 et 2023, mais la croissance économique reste atone.

Les différents chantiers lancés par les gouvernements de Maia Sandu, avec le soutien de l'UE, pour renforcer la sécurité énergétique du pays, devraient contribuer à maîtriser l'inflation grâce aux investissements dans le développement d'infrastructures énergétiques et de transport, en particulier avec la Roumanie et l'Ukraine, afin de diversifier ses sources d'énergie et d'améliorer sa connectivité avec l'UE.

Le poids de l'économie informelle - estimé à 41 % du PIB - contribue à maintenir une partie de la main d'oeuvre en situation de précarité et d'émigration, ce qui nourrit des pénuries de main d'oeuvre dans de nombreux secteurs. Le taux d'emploi est de 42,5 % et la balance des paiements est fortement dépendante des transferts de la diaspora, lesquels représentaient 8,5 % du PIB en 2024.

Les disparités régionales sont aussi économiques : le PIB de Chi?inãu représente près des deux tiers du total national, contre 14 % pour le nord et le centre du pays, 6 % pour le sud et 2 % pour la Gagaouzie.

Cette vulnérabilité économique accroît la dépendance aux financements extérieurs, qui alimentent néanmoins les réformes nécessaires. La Facilité européenne pour la paix (FEP) pour la période 2025-2027 s'élève à 1,9 milliard d'euros - dont 420 millions d'euros de subventions et 1,5 milliard d'euros de prêts, soit environ 10 % du PIB. Cela permet aux autorités de disposer des fonds nécessaires pour appliquer le plan de croissance et d'améliorer l'intégration de la Moldavie au marché unique européen, en facilitant les échanges commerciaux et les liaisons de transport. Le soutien financier de l'UE permettra de remettre à niveau le réseau logistique du pays, en matière de transport ferroviaire et routier. J'ai mentionné les transformations visibles et spectaculaires de la capitale ; elles doivent désormais s'étendre à l'ensemble des infrastructures du pays.

En mai 2025, l'élection de Nicu?or Dan à la présidence roumaine, avec près de 54 % des voix face au nationaliste populiste George Simion, victoire appuyée par Maia Sandu, a renforcé la dynamique pro-européenne de la Moldavie et a consolidé les relations bilatérales. Néanmoins, les élections du 28 septembre 2025 s'annonçaient difficiles pour la majorité sortante. Le parti action et solidarité (PAS), fondé par Maia Sandu et soutenant son action, disposait préalablement d'une confortable majorité parlementaire de 61 sièges sur 101.

Le 29 août 2025 a marqué le début de la campagne pour l'élection au Parlement monocaméral de 101 députés, élus au scrutin proportionnel de liste à un tour pour une législature de quatre ans. Sur les 66 partis officiellement enregistrés en Moldavie, 33 ont présenté des candidats. La Commission électorale centrale (CEC) a autorisé la participation de 15 partis, 4 blocs et 4 candidats indépendants.

De tous les briefings auxquels nous avons assisté, ressortait une certaine inquiétude sur la tournure que pourrait prendre le scrutin, en raison de campagnes de désinformation intenses en provenance de Russie sur les réseaux sociaux, de financements illicites de partis, de blanchiment d'argent et d'achats de voix. La police, les services de sécurité et les autorités moldaves ont tenté de déjouer ces pratiques, alors que les schémas deviennent de plus en plus sophistiqués, avec notamment l'usage de comptes Telegram cryptés et de cryptomonnaies, rendant plus discrètes les tentatives d'achats de voix en amont du scrutin, ce qui n'a toutefois pas empêché la saisie d'importantes sommes en argent liquide.

La campagne pour les élections parlementaires de 2025 fut bien plus active que celle de 2021, son centre de gravité s'étant déplacé sur les réseaux sociaux. Nous avons d'ailleurs été surpris par le fait que nous n'ayons pas ou guère vu d'affiches, de défilés ou de meetings, y compris dans le centre de Chi?inãu, contrairement à l'élection présidentielle de l'an dernier.

Face aux tentatives renouvelées de déstabilisation de la part d'acteurs pro-russes, les services de police ont procédé à des arrestations et des perquisitions en lien avec la corruption électorale, le financement illégal de campagne et le blanchiment d'argent par les réseaux de l'oligarque en fuite Ilan Shor. Selon le ministère de l'intérieur, au 12 septembre, soit à mi-campagne, la police avait procédé à quelque 2 000 perquisitions. Or les autorités estimaient que jusqu'à 300 000 voix auraient pu être été achetées lors de l'élection présidentielle, donnant lieu à 140 000 poursuites et 25 000 amendes ; le montant de ces dernières a d'ailleurs été augmenté pour le scrutin législatif jusqu'à devenir très dissuasif.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Selon le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE, la désinformation généralisée a été une caractéristique majeure de la campagne, de multiples fausses informations ayant été diffusées sur internet, souvent à l'aide de vidéos générées par l'intelligence artificielle (IA) par des comptes qui semblent être coordonnés automatiquement.

Il est d'ailleurs remarquable que, pour la première fois de l'histoire électorale, l'Église - qui jouit d'une cote de confiance élevée - soit intervenue dans des spots publicitaires de campagne pour prévenir l'achat de voix, qualifié de « péché ». Le ministère de l'intérieur a également multiplié les vidéos d'information pour renforcer la prévention de l'achat de voix, ainsi que l'information sur le délit qu'une telle pratique constitue.

Bien que la Constitution garantisse la liberté d'expression et interdise la censure, une loi sur la lutte contre les activités extrémistes contient des dispositions qui permettent la suspension et la fermeture définitive d'un média pour des « activités extrémistes », dont le BIDDH a souligné qu'elles étaient vaguement définies. Plus d'une centaine de sites web, principalement des portails d'information russes, dont beaucoup reproduisaient le contenu des chaînes de télévision suspendues, ont été bloqués au cours de la campagne.

Instruites par les élections de l'an dernier - présidentielles et municipales -, les autorités moldaves ont engagé un vaste programme de réformes électorales. Ainsi, une loi « omnibus » du 13 juin 2025, à la fin de la session parlementaire, a modifié in extremis le code électoral, en amendant 13 lois précédentes, pour renforcer la lutte contre la corruption électorale. Par rapport à l'année précédente, les bureaux de vote ont été entièrement réorganisés, sans doute à la suite des recommandations de notre rapport. Cette fois, le cheminement était balisé et sécurisé, alors que l'an dernier, il était possible de circuler librement et de s'approcher près des isoloirs. La pratique du vote sous caméra a toutefois été maintenue.

L'exclusion successive de formations pro-russes s'est d'ailleurs poursuivie jusqu'aux derniers jours de la campagne. En effet, deux jours avant la tenue des élections, l'interdiction de deux partis pro-russes, Moldova mare - « Grande Moldavie » - ainsi que celui d'Irina Vlah - « Coeur de Moldavie », membre du Bloc des patriotes -, a attiré les critiques de l'opposition.

Dans un discours prononcé devant le Parlement européen le 9 septembre, Maia Sandu avait mis en garde contre les tentatives de la Russie de dévier la Moldavie de sa trajectoire européenne, à grand renfort de désinformation et d'achats de voix, dans une guerre hybride « à une échelle jamais vue jusqu'à l'invasion de l'Ukraine ».

La diaspora hors de Russie, majoritairement pro-européenne, a été très sollicitée, avec un dispositif record de bureaux de vote, en augmentation de 30 % par rapport au dernier scrutin : 301 bureaux de vote ont ouvert à l'étranger, dont 75 en Italie, 36 en Allemagne, 26 en France, 24 en Grande-Bretagne et 23 en Roumanie. Le vote par correspondance y a également été élargi. En Russie, seuls deux bureaux de vote ont été ouverts à Moscou pour les quelque 200 000 Moldaves qui y résident, des raisons de sécurité ayant été invoquées pour justifier ce net resserrement du dispositif par rapport aux élections précédentes.

Les missions d'observation électorales ne couvrent pas les bureaux de vote à l'étranger. Pour ma part, j'ai souhaité observer des bureaux de vote très divers, le jour du scrutin, depuis leur installation avant l'ouverture à 7 heures jusqu'au dépouillement après la fermeture à 21 heures ; cette amplitude horaire fait sans doute de la journée électorale moldave la plus longue d'Europe.

Les bureaux de vote observés étaient situés dans la capitale, mais aussi dans des zones très rurales. Didier Marie, quant à lui, est allé dans le nord du pays, à quelque 200 kilomètres de Chi?inãu, autour de Bãl?i, deuxième ville du pays, très proche de l'Ukraine, au coeur d'une région industrielle, mais traversant également des régions à forte activité agricole.

Seuls 12 bureaux de vote, soit une réduction de moitié par rapport au précédent scrutin, ont été ouverts aux Moldaves domiciliés en Transnistrie.

J'ai tenu, comme l'an dernier pour l'élection présidentielle, à me rendre en Transnistrie, dans la zone contrôlée par le gouvernement moldave, non sans avoir traversé un pont gardé par des soldats russes - dont nous avions déjà constaté la présence l'an dernier.

Je relève que, l'avant-veille du scrutin, la commission électorale centrale chargée de l'organisation des élections a décidé, sur recommandation des services de sécurité, de relocaliser cinq bureaux de vote de Transnistrie vers Chi?inãu, à plus de 30 kilomètres de leur emplacement initial, et une cinquantaine de kilomètres du domicile des votants, soit une heure à une heure et demie de route, pour ceux qui possèdent un véhicule... La fermeture intempestive de ces bureaux, sans indication des nouveaux emplacements, a entraîné une déperdition des votes, touchant notamment les habitants de zones rurales ne disposant pas des moyens de se déplacer.

L'un des bureaux de vote que nous avions prévu d'observer a même été fermé le jour même, ce que nous avons découvert sur place, rien ne semblant l'indiquer à l'extérieur.

Il semble également que l'accès à un ou plusieurs ponts permettant aux électeurs de Transnistrie de franchir le fleuve ait été bloqué pendant plusieurs heures, pour des raisons alléguées de sécurité, provoquant des embouteillages et limitant la possibilité de voter pour certains habitants.

J'ai tenu aussi, comme l'an dernier, à observer des bureaux de vote de la ville d'Orhei. Située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Chi?inãu, et à une dizaine de kilomètres du Dniestr, elle demeure le fief d'Ilan Schor, qui en a longtemps été maire.

J'ai revu le bureau, en plein centre de la ville, dans la vaste salle d'une école de danse, où j'avais constaté l'an dernier une forte interférence « d'observateurs » de partis politiques prenant en photo les votants. Cette fois, si la disposition des lieux restait la même, l'activité de « surveillance téléphonique » avait néanmoins disparu.

Dans l'ensemble, hormis les quelques remarques précédentes, mes propres observations rejoignent celles de Didier Marie et les conclusions provisoires - le rapport définitif n'ayant pas encore été publié, car il doit recenser et analyser les litiges et contestations de la mission d'observation du BIDDH dans son ensemble : un scrutin techniquement très bien organisé, depuis l'ouverture des bureaux de vote avant l'aube jusqu'au comptage nocturne des bulletins.

En dépit de nombreuses cyberattaques - plusieurs milliers recensées jusqu'au jour même du scrutin -, les systèmes électroniques d'enregistrement des listes électorales et des résultats ont bien fonctionné. Cela n'est pas le fruit du hasard : les administrations moldaves ont mené un travail de fond et ont fait la preuve de leur professionnalisme. Je veux également souligner le dévouement des très nombreux bénévoles - en majorité des femmes -, y compris lors du dépouillement.

Je souligne que 47 % des candidates étaient des femmes. Elles sont 37 sur 101 dans le Parlement issu de l'élection.

Au total, 1 314 bureaux, soit plus de la moitié des bureaux de vote du pays, ont été observés par 391 observateurs provenant de 50 pays. Outre les 245 observateurs du BIDDH, 108 observateurs parlementaires ont participé à cette mission au titre de l'AP-OSCE, 24 au titre de l'APCE et 14 au titre du Parlement européen.

Les résultats sont nets : les Moldaves ont voté à hauteur de 52,2 % des inscrits, soit plus de 1,6 million d'électeurs.

Le PAS a remporté 50,2 % des voix et 55 sièges sur 101 au total. Le Bloc des patriotes, mené par le Parti des socialistes de l'ancien président Igor Dodon, a obtenu quelque 24 % des voix et 26 sièges.

L'émergence du Bloc « Alternative », avec près de 8 % des voix et 9 sièges, doit être soulignée. Cette nouvelle formation fondée le 31 janvier 2025, menée par le médiatique maire de Chi?inãu Ion Ceban, incarne une tentative de dépassement de la polarisation géopolitique qui répond à une demande sociale réelle.

Une autre formation politique, intitulée « Notre Parti », a obtenu 6,2 % des voix et 7 sièges. Il s'agit du mouvement de l'homme d'affaires populiste et ancien maire de Balti, Renato Usatîi, aux multiples antécédents judiciaires, mais toujours relaxé.

La surprise est venue du parti « Démocratie à la maison », qui place les priorités intérieures moldaves avant celles de l'Europe. En obtenant près de 6 % des voix, il a devancé ses concurrents et conquis 6 sièges.

La stratégie du PAS, consistant à refuser toute alliance avec les autres partis, jugés « pro-russes », constituait un pari à haut risque. Elle a assurément payé à court terme. Mais portera-t-elle tous les fruits escomptés à moyen terme, dès lors que les réformes à mener demeurent colossales, malgré et en raison même de l'ampleur du soutien européen ?

Si les désordres annoncés par certains opposants après le scrutin n'ont pas eu lieu, il faudra néanmoins convaincre pour résorber les fractures économiques, sociales et territoriales de la société moldave, pour rassembler et redoubler d'efforts dans la perspective de l'élargissement. Reste également béante l'épineuse question de la Transnistrie, dont le sort est lié à celui de la Moldavie dans son ensemble, dont l'économie perdure sous perfusion européenne, mais où l'influence russe demeure très forte. Certes, le précédent chypriote offre des enseignements, mais le règlement de cette question doit être pris en compte dans la perspective de l'élargissement.

Sur chacun de ces enjeux, le PAS et le gouvernement moldave devront sans doute composer, plus qu'ils ne l'ont fait sous la législature précédente, avec tous leurs partenaires, internes et externes.

M. Didier Marie, rapporteur. - Je n'ai pas observé les mêmes dérives que Gisèle Jourda. J'ai constaté au contraire une grande rigueur dans la tenue des bureaux et le respect des règles de confidentialité. Les caméras étaient là pour filmer l'urne exclusivement afin de vérifier qu'il ne soit pas porté atteinte à son intégrité. Les opérations de vote se sont donc déroulées dans de très bonnes conditions, d'autant que l'on ne soupçonne pas l'ampleur des tentatives d'ingérence, qu'il s'agisse des valises de billets pour acheter des voix ou des alertes à la bombe dans de nombreux bureaux de vote, en particulier à l'étranger, en Italie, au Royaume-Uni, en Roumanie, qui ont entraîné leur fermeture pendant des heures...En revanche, l'utilisation par le Gouvernement et le parti majoritaire de l'administration pour appliquer de façon un peu hâtive les lois électorales modifiées peu de temps auparavant, allant jusqu'à interdire, 24 heures avant l'élection, deux partis prorusses, pour justifiée qu'elle puisse paraître sur le fond, peut poser question et a été relevée dans le rapport préliminaire du BIDDH.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Les bureaux que j'ai visités se situant en Transnistrie et dans le fief électoral d'Ilan Shor, ils ne sont pas représentatifs de l'ensemble de la Moldavie. Malgré de réels progrès, des problèmes subsistent dans la configuration des bureaux de vote et l'organisation des opérations, notamment l'absence de fermeture des « isoloirs » et d'enveloppes pour insérer le bulletin, d'assez grande taille, qui est le plus souvent plié mais peut être vu par des tiers avant son insertion dans l'urne.

Au regard de l'importance des campagnes menées par Maia Sandu sur la transparence, certaines pratiques restent surprenantes. Il est difficilement concevable de fermer intempestivement des bureaux de vote et de suspendre deux partis politiques le jour même de l'élection. Même si l'on parle de bilan « globalement positif », je crois que beaucoup d'efforts restent à faire pour que les modifications du code électoral soient appliquées en pratique dans le respect des standards européens.

M. Jean-François Rapin, président. - Cela fait partie des éléments à surveiller dans le processus d'intégration à l'Union européenne. Le bilan est donc globalement favorable, comme vous le dites, mais on perçoit encore le poids de l'influence russe sur l'organisation de certains bureaux. Il n'est tout de même pas anodin d'être filmé lorsque l'on vote...

M. Didier Marie, rapporteur. - Un dernier mot pour illustrer la complexité de la situation : en Gagaouzie, province autonome sous la domination des amis de M. Shor, le bloc patriotique mené par l'ancien président Igor Dodon a tout de même recueilli plus de 80 % des voix !

Audition de Mme Marta Kos, commissaire européenne à l'élargissement, en commun avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Nous sommes heureux d'accueillir ce matin au Sénat, conjointement avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, la commissaire européenne à l'élargissement, Mme Marta Kos.

Dans son discours sur l'état de l'Union, prononcé le 10 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne affirmait que l'avenir de l'Ukraine, de la Moldavie et des Balkans occidentaux se situait au sein de l'Union européenne. Elle appelait ainsi à faire « de la prochaine réunification de l'Europe une réalité », l'élargissement étant présenté de longue date par la Commission européenne comme un investissement géostratégique.

Mme von der Leyen a opéré mi-octobre une tournée dans les Balkans occidentaux, afin d'inciter les différents États concernés à accélérer le rythme des réformes en vue de rejoindre prochainement l'Union européenne.

Le collège des commissaires examinera la semaine prochaine, le 4 novembre, le paquet élargissement 2025 ainsi qu'une communication sur les réformes et les réexamens des politiques avant élargissement. Nous sommes donc heureux de vous entendre aujourd'hui afin que nous puissiez nous dévoiler certains constats et propositions qui figureront dans ces documents.

La Commission européenne joue bien évidemment un rôle éminent, mais l'élargissement est d'abord et avant tout l'affaire des États. On le mesure d'ailleurs chaque jour s'agissant de l'ouverture de chapitres de négociation avec l'Ukraine, du fait de l'opposition manifestée par la Hongrie.

L'article 49 du traité sur l'Union européenne stipule que les conditions de l'admission d'un nouvel État membre et les adaptations que cette admission entraîne font l'objet d'un accord entre les États membres et l'État demandeur, soumis à la ratification de tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

S'agissant de la France, l'article 88-5 de notre Constitution dispose que tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République. Toutefois, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement français peut autoriser l'adoption du projet de loi par le Parlement réuni en Congrès, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat réunis ensemble, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. À la fin du processus, il reviendra donc aux Français, directement ou par la voie de leurs représentants, d'approuver ou non l'adhésion d'un nouvel État membre.

Or vous n'êtes pas sans savoir la grande sensibilité de ce dossier, qui est effectivement un dossier stratégique pour l'Union européenne, pour les valeurs que nous défendons, mais aussi pour la capacité à mener à bien les politiques publiques que nous défendons.

La Commission européenne a publié un Eurobaromètre qui met en avant des résultats favorables à l'élargissement à hauteur de 56 % à l'échelle de l'Union. Mais en France, les résultats vont dans le sens opposé, puisque 48 % des personnes interrogées y seraient défavorables, contre seulement 43 % de personnes favorables, 9 % des personnes interrogées ne se prononçant pas. Selon ces résultats, la France serait ainsi, avec la République tchèque, l'État membre dont la population est la moins favorable à l'élargissement.

C'est certainement pour vous un message d'alerte, mais je dois vous dire que cela correspond à ce que je ressens sur le terrain. D'où l'importance que vous nous exposiez clairement ce matin votre méthode, la manière dont vous travaillez avec les pays candidats, ainsi que vos objectifs.

On a beaucoup entendu parler de la date de 2030, voire de 2027 ou 2028 pour le Monténégro et l'Albanie. Nous recevons après vous le Président de la République du Monténégro. Permettez-moi de vous mettre en garde sur deux points.

Premièrement, nous ne devons pas transiger sur le respect des critères de Copenhague. L'élargissement doit être fondé sur le mérite. Tout élargissement qui s'écarterait de cette voie risquerait à mes yeux de plonger l'Union dans de graves difficultés. Les enjeux relatifs à l'État de droit et aux influences étrangères ne sont pas minces dans plusieurs pays candidats. Nous avons déjà l'expérience de difficultés du même ordre aujourd'hui au sein de l'Union, et nous ne pouvons pas ignorer non plus l'enjeu spécifique de sécurité s'agissant de l'Ukraine et de la Moldavie, que nous venons d'évoquer plus tôt ce matin, avec le conflit gelé en Transnistrie.

Deuxièmement, la Commission européenne ne doit pas procéder avec l'élargissement comme elle l'a fait avec l'automobile, c'est-à-dire lancer des dates pour des motifs de pure communication politique, mais qui seraient en réalité intenables. Nous n'avons pas le droit à un crash avec ces pays, qui sont nos voisins et nos amis.

Enfin, je veux mettre l'accent sur un aspect trop souvent négligé, la capacité d'absorption de l'Union et son besoin de réformes internes.

Nous ne pouvons pas aborder l'élargissement sans mettre aussi sur la table la question de la réforme du fonctionnement interne de l'Union, sinon nous en ressortirons collectivement affaiblis, alors que cette période est censée être le « moment de l'indépendance de l'Europe », pour reprendre le titre du programme de travail de la Commission européenne pour l'année 2026.

Madame la commissaire, mon propos peut vous paraître exigeant, mais je suis convaincu que nous devons nous parler franchement si l'on ne veut pas aller demain au-devant de difficultés sérieuses.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Madame la commissaire, je suis très heureux de pouvoir vous accueillir ce matin au Sénat en compagnie de mon homologue Jean-François Rapin.

Vous êtes chargée d'un portefeuille important et éminemment politique, qui suscite à la fois beaucoup d'interrogations et beaucoup de fantasmes. Il est donc important de vous entendre exposer la réalité des négociations que vous menez et les perspectives tracées par la Commission.

Mon collègue Jean-François Rapin a évoqué le cas de la Moldavie. Le 28 septembre dernier, le parti proeuropéen de Maia Sandu y a remporté les élections. C'est une très bonne nouvelle pour la Moldavie, qui a résisté aux tentatives d'ingérence de la Russie, mais aussi pour l'Europe. La Moldavie se trouve ainsi confortée sur son chemin de stabilité démocratique et d'intégration européenne, ce qui est extrêmement important dans le moment que nous vivons.

Toutefois, le déroulement de cette élection doit nous interpeller, car nous avons assisté à des manoeuvres de déstabilisation : recours massif à l'intelligence artificielle orchestrée par la Russie, cyberattaques de grande ampleur visant les infrastructures électorales, financement illicite de partis prorusses... De telles tentatives de détournement de l'élection, organisées à très grande échelle, ont déjà eu lieu et se dérouleront encore à l'avenir, dans d'autres pays candidats comme dans des pays déjà membres.

Comment envisagez-vous de répondre à ces tentatives de déstabilisation ? Comment la Commission européenne accompagne-t-elle ces États ? Enfin, quels enseignements en tirez-vous plus généralement sur la manière de conduire le processus d'adhésion ?

Les menaces viennent de l'extérieur - la Russie représente aujourd'hui la plus grande menace pour l'Union européenne -, mais aussi de l'intérieur. L'un des États membres - la Hongrie pour ne pas la nommer -, non content d'espionner les institutions européennes, foule au pied les règles de l'État de droit et cherche maintenant à faire dérailler ou, en tout cas, à bloquer les négociations d'adhésion, notamment avec l'Ukraine.

La Hongrie veut détourner l'Ukraine de sa voie européenne et la reléguer dans un face-à-face mortifère avec la Russie. Qu'entend faire la Commission pour contourner le veto hongrois ou négocier avec ce pays ? Quelles sont les voies juridiques pour y parvenir ?

Un dernier point, déjà évoqué par Jean-François Rapin, est celui de l'adhésion de nos concitoyens à l'élargissement. Un baromètre récent indiquait que 56 % des citoyens de l'Union y étaient favorables, ce qui peut paraître beaucoup et peu à la fois. Toutefois, ce taux n'est que de 50 % dans cinq États membres, dont la France et l'Allemagne. La Commission européenne préparerait une campagne de communication sur les bénéfices de l'élargissement. Nous serions très heureux d'en connaître la teneur, mais j'ai la conviction que ce n'est pas par une simple campagne de communication que nous arriverons à convaincre nos concitoyens de la nécessité d'un éventuel élargissement. C'est plutôt en étant intraitable sur le respect des valeurs. Il faut répéter aux États candidats qu'ils ne pourront rejoindre l'Union que s'ils accomplissent les réformes nécessaires pour renforcer l'État de droit, protéger les droits fondamentaux, lutter contre la corruption et la criminalité organisée.

Vous portez ce message courageusement, madame la commissaire, ce que je salue. Vous l'avez fait pour la Bosnie-Herzégovine et la Serbie ; il faut le faire aussi pour l'Ukraine. Quand des réformes n'allaient pas dans le bon sens - et c'est un fervent soutien de l'Ukraine qui vous le dit -, la Commission a su le dire au moment où la situation se dégradait l'été dernier. Mais il faut rester extrêmement vigilants. Comment envisagez-vous la poursuite de votre action dans ce domaine ?

Mme Marta Kos, commissaire européenne à l'élargissement. - Je suis ravie d'être parmi vous pour parler du processus d'élargissement de l'Union européenne, qui est bien plus qu'un simple élargissement. J'espère qu'au cours de mon mandat - il me reste encore quatre ans et un mois - nous aurons l'occasion d'en reparler.

Tous les États membres font aujourd'hui face à trois grands défis : la paix, la liberté et la prospérité. Il apparaît clairement que nous ne pourrons les relever que dans une dimension européenne. Ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Simone Veil lorsqu'elle est devenue, en 1979, la première présidente du Parlement européen. Ils sont depuis devenus mon leitmotiv en tant que commissaire à l'élargissement.

Dans ce même discours, elle a décrit l'Europe comme un îlot de liberté entouré de régimes où la force prévaut. Certaines choses ne changent pas. Elle expliquait également que pour protéger l'Europe, il faudrait stabiliser la Grèce et l'Espagne, mais aussi protéger les pays qui venaient de se libérer du joug de dictateurs.

Face à l'agression de la Russie en Ukraine, les mots de Simone Veil sont emblématiques de la mission qui incombe à l'Union européenne aujourd'hui. Avec la politique d'élargissement, nous devons de nouveau défendre ces valeurs. À l'intérieur de l'Union également, nous devons aussi faire face aux autocrates qui souhaitent perturber sa bonne marche, ce qui est nouveau. Jamais auparavant des forces extérieures n'avaient souhaité nous voir échouer.

La question pour nous, Européens, est très simple. Souhaitons-nous prendre le contrôle de notre propre continent et décider de notre avenir de façon souveraine ? Souhaitons-nous compléter l'unification de l'Europe afin de devenir enfin indépendants ou préférons-nous laisser d'autres décider de notre avenir ? La France a toujours fait la promotion d'une vision politique pour l'Europe ; les réponses que l'on doit apporter aujourd'hui me semblent très similaires.

Je conçois notre travail avec les pays candidats à l'Union européenne et nos partenaires du Caucase du Sud de la même manière : nous devons repousser les forces qui cherchent à déstabiliser notre continent et l'Union. Nous devons également lutter contre l'immigration illégale, les activités illicites et la criminalité organisée. En réduisant ces écarts, l'Europe pourra être plus indépendante et plus sûre.

Renforcer les institutions démocratiques, l'État de droit et les médias libres est une manière puissante de lutter contre ces phénomènes, de développer le marché unique et d'attirer encore plus de pays. En renforçant le cadre de sécurité de l'Union européenne, nous pouvons, par des actions coordonnées, éviter la fragmentation et mieux lutter contre le crime organisé, l'immigration clandestine et la corruption. Il est donc très important que nous nous associions.

Nous devons par ailleurs être très clairs : si l'élargissement se réalise dans de bonnes conditions - je me permets d'insister sur ce point -, l'Union européenne en ressortira plus forte.

Deux tiers des citoyens de l'Union européenne estiment ne pas encore être assez informés au sujet de l'élargissement, comme l'indique le baromètre que vous avez mentionné. Il nous faut donc intervenir, et nous le ferons. Il est nécessaire de prendre en compte les préoccupations de nos concitoyens, tout particulièrement en France.

Qu'adviendra-t-il du modèle de protection sociale après l'élargissement ? Comment contrôlerons-nous nos frontières ? Quel sera l'impact de l'élargissement sur le fonctionnement de notre Union ? Qu'en sera-t-il des subventions européennes ? Qu'en sera-t-il de nos principes démocratiques et de l'État de droit ? Ces questions sont importantes pour la vie de nos concitoyens et nous présenterons des solutions.

Au cours des élargissements précédents, nous avons protégé les agriculteurs via des mesures transitoires, par exemple par l'adoption progressive de subventions pour les nouveaux États membres et par un cadre de sauvegarde. En Pologne et en Slovénie, une période de transition pour l'agriculture de vingt ans a été ordonnée. En d'autres termes, nous avons la possibilité de négocier des mesures avant qu'un nouveau pays devienne membre de l'Union européenne.

Tout cela fait partie des traités d'adhésion et je suis vraiment la dernière personne qui souhaite qu'un élargissement menace l'intégrité de l'Union européenne. Nous devons donc faire preuve d'inventivité et mettre en place des sauvegardes. En effet, la réussite de l'Union européenne dépendra de la façon dont nous pouvons stabiliser notre continent pour ce qui est des structures politiques. Bonne nouvelle, cette année, nous avons assisté à une grande avancée dans ce domaine.

La semaine prochaine, la principale partie de mon rapport sur l'élargissement sera publiée. Il rendra compte de nos éventuelles avancées dans ce domaine au cours de cette année. Dans ce processus, le Monténégro et l'Albanie se distinguent : nous avons constaté de grandes avancées et ouvert et clôturé cette année avec eux plus de chapitres que lors des quinze dernières années. Ils ont fixé des objectifs ambitieux pour leur programme d'adhésion et nous évaluerons leurs progrès. Sans que l'on puisse pour autant fixer de date d'adhésion, il est possible que, dans les deux à quatre prochaines années, nous soyons à même de clôturer le processus technique. Les États membres négocieront également avec les États candidats, ce qui est une très bonne chose.

Pour la Moldavie et l'Ukraine, les processus d'évaluation ont avancé à une vitesse record, cette année. Quelque 1 000 personnes ont été mobilisées pour évaluer plus de 100 000 pages de législation moldave. Il s'agissait de comparer la législation de la Moldavie et la législation européenne afin d'identifier les écarts. Pour l'adhésion de la Suède, alors qu'il s'agissait du plus avancé et du plus développé des pays candidats, trois ans ont été nécessaires pour réaliser ce processus de négociation. Il est donc possible d'avancer rapidement.

Pour en revenir à l'Ukraine, jamais auparavant nous n'avions négocié avec un pays en guerre. C'est une première et c'est très difficile pour ce pays : même quand des bombes tombent, les dirigeants négocient avec nous.

Même si ce n'est pas toujours facile, il me faut être stricte. Ainsi, l'un des derniers paiements a dû être réduit à cause de trois réformes qui n'avaient pas été mises en oeuvre. Cela a été une décision difficile, mais il nous faut nous en tenir strictement au processus.

La Moldavie est un cas particulier. Pour la première fois, l'Union européenne a participé à aider un pays à lutter contre une guerre hybride et à rester sur le chemin de l'Europe. J'en suis très fière. Nous avons investi financièrement et déployé notre équipe de réaction rapide face aux menaces hybrides, pour lutter contre la désinformation. Nous savons aujourd'hui que la Russie a utilisé près de 400 millions de dollars pour détourner la Moldavie de son processus d'adhésion, notamment en cherchant, le jour des élections, à perturber le système informatique et à faire annuler le scrutin. Nous avons réussi : ce n'est pas seulement grâce à nous, nous devons également remercier les citoyens moldaves.

Les critères de Copenhague sont très importants. Ils prévoient notamment que les pays doivent disposer d'institutions fortes qui pourront défendre notre démocratie et nos valeurs. C'est le cas en Moldavie : son système judiciaire permet de mettre en prison des oligarques et des lois spéciales ont été adoptées pour éviter l'achat de votes. De ce point de vue, notre travail avec la Moldavie a porté ses fruits.

Nous devrons encore plus oeuvrer dans ce sens à l'avenir. Comment lutter contre la désinformation, alors qu'il est aujourd'hui beaucoup plus facile de propager des mensonges que de dire la vérité et que les réseaux sociaux ont pris le dessus sur ce que pensent les citoyens ?

Nous devons lutter contre ces problèmes et nous protéger encore plus. Ces prochaines semaines, la Commission européenne adoptera trois documents très importants : premièrement, un bouclier démocratique, stratégie qui vise à protéger notre démocratie - qui aurait imaginé cela il y a cinquante ans ? - ; deuxièmement, une stratégie d'organisation de la société civile ; troisièmement, un plan de résilience des médias - l'expérience moldave nous a appris que des médias indépendants étaient un enjeu de sécurité nationale.

Pendant longtemps, nous avons pensé qu'il n'était pas nécessaire d'apporter un soutien financier à ces médias. Aujourd'hui, le nombre de médias est tel qu'il faut intervenir. Ce qui s'est passé en Moldavie a prouvé que, si nous faisons preuve de solidarité, notamment avec l'aide des États membres qui possèdent des experts de pointe dans ce domaine, nous pouvons parvenir à de grandes choses.

Chaque jour, nous faisons tout pour réduire l'influence de la Russie et stabiliser le voisinage. Nous ne pouvons pas laisser la Russie démolir nos démocraties, diviser nos sociétés ou nous déstabiliser.

C'est la raison pour laquelle nous demandons aux futurs membres d'adopter un comportement fiable en matière de partenariat géopolitique.

Il est temps maintenant de faire des choix stratégiques.

Nous ne pouvons plus avoir des candidats qui se cachent derrière des postures ambiguës. C'est le message clair que j'ai envoyé à Belgrade. Il est dans l'intérêt de l'Union européenne d'avoir une Serbie démocratique, et c'est l'intérêt de la Serbie elle-même. La Serbie va devoir faire des choix stratégiques : elle doit mettre en oeuvre les réformes et cesser de se tourner vers Moscou ou Pékin ou de mettre en place des exercices militaires avec la Russie, cette armée qui assassine en Ukraine, comme ce fut le cas lors des Zapad.

Nous ne pouvons plus tolérer que des pays candidats agissent de la sorte. Cela va à l'encontre des intérêts géopolitiques de l'Union européenne.

Laissez-moi aborder brièvement l'opportunité qui se présente dans le Caucase du Sud avec l'accord historique de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Je vous remercie de votre soutien à l'Arménie. Nous maintenons un dialogue solide avec ce pays : j'ai rencontré hier à Paris son Premier ministre et je me rendrai bientôt à Erevan. Nous avons engagé un processus de libéralisation des visas et nous comptons coopérer fortement avec l'Arménie dans la lutte contre les guerres hybrides et contre les interférences étrangères, notamment à l'occasion des élections qui se tiendront l'année prochaine, en nous appuyant sur ce que nous avons fait en Moldavie.

Grâce à cet accord de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, pour la première fois, il est possible de connecter l'Europe et les États d'Asie du centre, jusqu'à la Chine, en passant par le sud de la mer Noire. Pour cela, nous avons besoin du soutien de la France.

Je suis chargée du volet Connectivité de la stratégie de la mer Noire concernant la connectivité. Comment relier l'Europe à l'Asie du Sud ? Via l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Turquie, qui jouent un rôle central dans le domaine du commerce, de l'énergie, du numérique... Ces pays veulent faire partie du processus. Nous sommes en train d'examiner la façon de mettre en place des connexions ferroviaires.

Robert Schuman et Jean Monnet avaient conscience que les opportunités économiques créaient des intérêts partagés et posaient les fondements de la paix. Cela pourrait s'appliquer à cette région.

Je puis vous assurer de ma bonne volonté pour travailler en étroite collaboration avec la France et saisir ces opportunités pour une Europe plus indépendante.

Je le répète, l'élargissement consiste à travailler à une Europe plus forte. Comment, grâce à des candidats qui remplissent nos critères, pouvons-nous rendre notre Europe assez forte pour la rendre capable de lutter contre les forces qui cherchent à nous détruire, qu'elles viennent de l'Est ou de l'Ouest ?

À mon sens, pour l'Europe, les changements les plus importants ont été provoqués non pas tant par la guerre en Ukraine que par le second mandat de l'administration Trump. En effet, nous avons dû prendre conscience que nous devions davantage coopérer dans le domaine de la défense, de l'immigration, etc.

Dans quel but ? Rendre notre Europe assez forte, pour que personne ne puisse la détruire, et pas seulement économiquement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Le Parlement est très attaché à ces questions.

Vous avez parlé de la Serbie. Hier, le Sénat a accueilli la Présidente du Parlement serbe, qui était auparavant Première ministre. Dans un discours qui m'a paru très sincère, elle a déclaré qu'il n'y avait pas d'autre voie pour la Serbie que l'Union européenne.

Il y a le dire et il y a le faire, et ce que vous nous avez dit sur le faire est assez inquiétant.

Mme Marta Kos. - Que faire quand la Hongrie fait obstacle à l'adhésion de l'Ukraine ? J'entends toutes les préoccupations qu'expriment sur ce sujet les États membres, mais ici, la Hongrie se trompe. Elle affirme que ses minorités sont en danger et que nous ne pouvons pas ouvrir les groupes thématiques pour cette raison. Je dis pour ma part que nous pourrons nous occuper des minorités une fois que les groupes thématiques seront ouverts. Aucun pays ne peut adhérer à l'Union européenne s'il ne protège pas les minorités. Je parle de l'Ukraine, mais aussi de la Slovénie, de la France, etc.

Je me suis rendue en Transcarpatie. J'ai discuté avec les représentants des minorités hongroises et je les ai encouragés à me parler franchement des problèmes qu'ils rencontrent. Ils m'ont dit ne rencontrer que des problèmes mineurs et que le plan d'action de l'Ukraine pour les minorités les satisfaisait.

J'en viens aux chiffres : 56 % des citoyens sont en faveur d'un élargissement de l'Union européenne, soit 17 % de plus qu'il y a dix ans en moyenne. Nous sommes bien évidemment inquiets du fait que seuls 43 % des Français le soutiennent. Que pouvons-nous faire ensemble ? Nous allons discuter avec les citoyens pour connaître leurs préoccupations, concernant l'agriculture par exemple ou d'autres sujets. Nous avons justement réalisé cette enquête pour comprendre ces préoccupations.

Je suis d'accord avec vous, monsieur le président Rapin, l'adhésion doit être fondée sur le mérite et le respect des critères de Copenhague. Le gouvernement du Monténégro a exprimé son souhait d'achever les négociations d'ici à la fin de 2026, nous soutenons son projet, mais l'adhésion ne sera possible que si ce pays remplit les critères. Il faudra compter ensuite un à deux ans avant la ratification.

Mme Marta de Cidrac, sénatrice. - Les Balkans occidentaux font partie des pays qui souhaitent adhérer à l'Union européenne. Quelle appréciation portez-vous sur les progrès réalisés par ces pays ? Quel bilan faites-vous des effets du plan de croissance de 6 milliards d'euros dévolu à ces pays ?

Le Monténégro et l'Albanie semblent les pays les plus avancés dans leur démarche. Comment voyez-vous leur adhésion et à quel horizon ? Que pouvez-vous nous dire sur ces deux pays en particulier ?

Comment analysez-vous la situation de la Macédoine du Nord, qui rencontre des difficultés avec son voisin bulgare ? De quelle manière ce blocage pourrait-il être surmonté ? Que pouvons-nous partager avec ce pays, qui semble par ailleurs très motivé au regard des efforts déjà accomplis dans le cadre des accords de Prespa avec la Grèce ?

Alors qu'on a souhaité donner une perspective européenne à la Bosnie-Herzégovine, voyez-vous des possibilités concrètes de progrès, compte tenu de ses difficultés internes, afin d'encourager un dynamisme politique et économique de ce pays ?

Que pouvez-vous nous dire sur le Kosovo, où une nouvelle dissolution et des élections se profilent ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur l'état de préparation actuel de l'Union dans la perspective de l'accueil de nouveaux membres ?

Mme Liliana Tanguy, députée. - Nous traversons un moment charnière pour l'Union européenne. L'élargissement n'est plus une simple question de politique de voisinage, c'est aussi une réponse stratégique à la guerre en Ukraine et aux ingérences étrangères qui menacent la stabilité de notre continent, notamment en Europe du Sud-Est.

Les avancées récentes témoignent d'une réelle dynamique. L'Albanie et le Monténégro progressent sur la voie des réformes et pourraient rejoindre l'Union d'ici à la fin de la décennie. En Bosnie-Herzégovine, la relance du processus reste suspendue au respect de l'intégrité institutionnelle et territoriale du pays. En Serbie, la question du non-alignement sur la politique étrangère et de sécurité commune demeure un obstacle. Cet alignement doit rester une condition essentielle. L'Ukraine et la Moldavie incarnent un nouvel élan européen nourri par la résilience face à l'agression russe. N'oublions pas non plus la Géorgie, dont la population manifeste tous les jours pour rejeter la mainmise de la Russie.

Je tiens à saluer et à soutenir, madame la commissaire, la campagne de communication sur l'élargissement que vous allez lancer, en particulier en Serbie, afin de rapprocher ce pays de l'Union et de contrer les récits eurosceptiques et prorusses que nous dénonçons et qui gagnent du terrain. Cet effort pédagogique et de dialogue n'est certes pas suffisant, mais il est indispensable pour raviver la confiance des citoyens européens dans l'adhésion de nouveaux membres et le projet européen lui-même.

L'élargissement doit aller de pair avec la crédibilité. L'intégration doit rester strictement fondée sur le mérite, sur des réformes réelles en matière d'État de droit, de démocratie et de lutte contre la corruption. Cependant, l'Union ne peut accueillir de nouveaux membres que si elle se réforme. Il lui faut une gouvernance plus efficace et des mécanismes décisionnels capables d'éviter le blocage permanent.

La Commission a donc la lourde tâche d'obtenir un accord politique sur les réformes internes nécessaires à un élargissement crédible et efficace, tout en maintenant la cohésion et la confiance entre les États membres.

Enfin, l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans occidentaux est aussi un enjeu géopolitique majeur pour la stabilité du continent européen. En effet, en intégrant ces pays, l'Union prévient tout retour des conflits dans une région historiquement fragile. En ce sens, c'est un instrument de paix, de stabilité et d'influence pour consolider la démocratie.

M. Didier Marie, sénateur. - Je vous remercie, madame la commissaire, de votre présence et de vos propos fermes sur le nécessaire respect des critères de Copenhague lors des négociations d'adhésion. Nous avons certaines inquiétudes à cet égard au regard des enjeux géopolitiques. Jusqu'où la Commission européenne et l'Union dans son ensemble sont-elles prêtes à aménager ces critères pour arrimer les pays des Balkans à l'Europe et contrer la Russie, qui fait tout pour les en décrocher ?

La situation en Serbie est particulièrement grave. Le gouvernement réprime dans des proportions totalement inacceptables les manifestations qui ont lieu depuis maintenant un an. Vous avez tenu des propos fermes, mais la Commission ne continue-t-elle pas de ménager le gouvernement serbe ? Quelles sanctions pourraient être prises contre M. Vuèiæ et ses amis ? Quelles mesures la Commission pourrait-elle mettre en oeuvre pour soutenir les médias, qui sont aujourd'hui mis sous contrôle ?

En Bosnie-Herzégovine, M. Dodik a été condamné par la justice bosniaque. Le gouvernement local de la Republika Srpska vient de retirer deux lois sécessionnistes de son ordre du jour, mais il n'a fait que reporter leur examen. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour permettre à la Bosnie-Herzégovine d'éviter la sécession de la Republika Srpska ?

M. Frédéric Petit, député. - Je suis élu de ces territoires - je suis député de la 7e circonscription des Français établis hors de France -, où j'habite et où je suis arrivé dans les années 1980.

Je souhaite connaître votre point de vue sur l'intégration, dans les processus d'adhésion, de chantiers et d'outils qui existent déjà et qui sont plutôt « bottom up ». Il s'agit d'outils citoyens, comme le Regional Youth Cooperation Office (Ryco) - la Serbie a accepté d'y signer un texte avec le Kosovo - ou le Regional Cooperation Council. Je pense également à l'initiative Open Balkans, rassemblant l'Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie et au processus de Berlin.

Quatre chantiers ont déjà débuté : le chantier de l'énergie et des déchets, sur lequel nous sommes très présents - je rappelle qu'une entreprise française a sauvé le Danube d'une pollution majeure par des déchets industriels - ; le chantier des voies ferrées - il y a énormément à faire dans le Caucase - ; le chantier de la culture et de l'éducation, évidemment ; le chantier du développement des PME.

Comment intégrez-vous ces initiatives existantes, très citoyennes et tout à fait conformes à l'esprit européen, qui veut que l'on commence par coopérer par l'économie ?

Je n'aime pas le terme « élargissement », je lui préfère le mot « confluence ». Je suis pour ma part opposé au fait qu'il y ait, comme disaient certains de nos voisins très à l'Est, des grands frères et des petits frères.

Mme Mathilde Ollivier, sénatrice. - Merci, madame la commissaire, pour votre présence et pour la franchise de vos propos ce matin.

Je souhaiterais revenir sur le défi que représente l'élargissement de l'Union européenne, notamment dans ses dimensions climatique et agricole. En mai dernier, notre commission avait auditionné ici même deux chercheuses qui ont mis en évidence l'ampleur des enjeux budgétaires, en particulier pour la politique agricole commune (PAC). À budget constant, l'adhésion de l'Ukraine pourrait, par exemple, entraîner une réduction de 15 % à 18 % des fonds de la PAC pour les États membres actuels, dont la France.

L'adhésion de l'Ukraine, avec ses 41 millions d'hectares de terres arables - davantage que la France -, représente un défi considérable. Faut-il conditionner l'accès des pays candidats à l'adoption préalable de pratiques agricoles durables ? La Commission envisage-t-elle des périodes de transition permettant une mise aux normes progressive ? Et comment préparer, dans le même temps, l'intégration au marché commun et la nouvelle répartition des subventions, sans créer de tensions ni de déstabilisations susceptibles d'entamer la confiance dans le projet européen ?

Nous avons déjà vu, dans certains pays limitrophes - en Pologne ou en Slovaquie, par exemple -, que l'ouverture de marchés agricoles ukrainiens avait pu être utilisée pour fragiliser la solidarité et la confiance entre peuples voisins. Comment prévenir de telles situations à l'avenir ?

Enfin, pour rester dans le temps imparti, je souhaiterais évoquer la question de la transition écologique et énergétique. Comment garantir que les critères d'adhésion intègrent de manière véritablement contraignante les exigences climatiques ? Comment envisager l'alignement sur le Pacte vert pour l'Europe, la sortie des énergies fossiles et les objectifs de décarbonation des futurs États membres ?

Mme Constance Le Grip, députée. - Madame la commissaire, je vous remercie pour vos propos très clairs et engagés, à la fois sur la nécessité d'envisager l'élargissement dans une perspective géopolitique et géostratégique, pour construire une Europe plus forte, et sur le respect des critères de Copenhague, ainsi que sur la guerre hybride et la nécessité collective de renforcer notre lutte contre les ingérences étrangères, en particulier russes, et de nous armer face aux attaques informationnelles.

Je souhaite vous interroger plus particulièrement au sujet d'un pays qui n'a pas encore fait l'objet d'assez d'attention : la Géorgie. Nous voyons, dans de très nombreuses villes géorgiennes, des manifestants courageux revenir chaque soir dans la rue, malgré l'arrivée du froid, pour affirmer leur refus de l'emprise russe sur leur gouvernement et leur société, et ce malgré le durcissement de la répression menée par les autorités de Tbilissi contre l'opposition, ses leaders et la jeunesse.

Quelles mesures la Commission envisage-t-elle de mobiliser, et à quel moment ? Elle devra agir, en accord avec les chefs d'État et de gouvernement, pour dire clairement stop aux autorités de Tbilissi et à leur parti, Rêve géorgien, et pour soutenir et accompagner le peuple géorgien dans son aspiration européenne.

Vous nous avez demandé ce que nous pourrions faire ensemble face aux craintes de l'opinion publique, notamment française, vis-à-vis de l'élargissement. Ces appréhensions ne se limitent pas au secteur agricole. Elles portent aussi sur l'impact possible sur les crédits de la politique de cohésion, le risque de dumping social ou environnemental, et la crainte que l'arrivée de nouveaux États membres n'affaiblisse nos fortes ambitions en matière sociale, environnementale et sanitaire. Il convient, me semble-t-il, de tenir un discours de vérité à nos opinions publiques. Comment organiser, le cas échéant, des périodes de transition permettant l'alignement progressif des candidats sur les grandes politiques européennes ?

Mme Gisèle Jourda, sénatrice. - J'ai été rapporteure des textes relatifs à nos contrats d'association avec la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine. Comment intégrez-vous les apports de ces contrats d'association, du Partenariat oriental, dans votre vision de l'élargissement ? Ces contrats d'association ont permis des avancées, puisqu'ils prévoyaient déjà des exigences, tant en matière économique que de respect des droits de l'homme ou de justice. J'avais rédigé, avec René Danesi, un rapport sur la Géorgie et le Partenariat oriental : nous y qualifiions ce pays de « bon élève ». La situation, chacun le sait, a profondément évolué en Europe avec la guerre en Ukraine. Mais je ne souhaiterais pas que les progrès accomplis soient passés par pertes et profits. Madame la commissaire, ne pensez-vous pas qu'il serait temps de redéfinir la politique européenne de voisinage, et en particulier celle du Partenariat oriental ?

Mme Céline Calvez, députée. - Madame la commissaire, merci pour vos propos clairs et déterminés, en faveur d'une ouverture exigeante. J'aurai deux points d'attention à signaler.

Le premier concerne le rôle de l'opinion publique et les risques de la désinformation dans la réussite de l'élargissement. Vous l'avez souligné, il faut combattre l'euroscepticisme de toutes parts. Le Président de la République, Emmanuel Macron, évoquait encore hier la dégénérescence démocratique face à la désinformation. Je crois profondément, pour ma part, à la puissance de la construction d'un espace public européen, à une culture commune du débat public. J'aimerais savoir, madame la commissaire, quelle place vous accordez à cette dimension culturelle dans le processus d'élargissement. Selon vous, en quoi l'élargissement peut-il contribuer à bâtir et à conforter la culture européenne ?

Vous êtes commissaire en charge de l'élargissement. J'ai vécu avec coeur l'Europe, au rythme de l'accueil de nouveaux pays. Mais il y a dix ans, nous avons subi un mouvement inverse, avec la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union. Quelles leçons tirez-vous du Brexit pour réussir au mieux les prochaines adhésions ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Vous avez évoqué tout à l'heure le lien par le Sud, et j'aimerais insister sur un aspect qui me paraît essentiel - parce que la pédagogie, c'est aussi l'art de la répétition. Chaque fois que je rencontre un commissaire européen ou une haute autorité européenne - et nous verrons bientôt Roberta Metsola - je rappelle que ce lien par le Sud passe aussi par la mer. La dimension maritime de l'Union européenne doit, selon moi, être pleinement prise en compte. Une véritable dimension européenne peut exister un jour en ce domaine ; elle s'incarne déjà à travers nos outre-mer, et plus largement par la présence et la puissance maritime de la France. Mon rêve serait de voir un jour un véritable port européen se développer sur l'un des océans du monde.

Nous avons, grâce à la France, une présence européenne continue, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur l'ensemble des océans, et je crois que cette réalité n'est pas encore pleinement intégrée à la réflexion européenne. Quand on voit l'énergie que nous devons déployer, nous, Français, pour faire reconnaître dans les textes européens la dimension ultramarine des politiques de l'Union, cela interroge. Je tenais à vous transmettre ce message, puisque vous avez évoqué l'idée du lien par le Sud. Il ne concerne pas l'élargissement, dont vous avez la charge, mais vous êtes aussi une voix qui porte, sur le plan politique, au sein de la Commission. Je le fais en tant qu'élu maritime, défenseur de longue date de ces questions -- un élu maritime du Nord, du Pas-de-Calais plus précisément, profondément attaché à cette cause.

Mme Marta Kos. - Merci beaucoup pour vos remarques, vos questions et vos réflexions. C'est le genre de débat que j'apprécie sincèrement et qui, parfois, me manque. À Bruxelles, on me demande parfois pourquoi mes déplacements à l'étranger durent trois jours. C'est que je m'attache à rencontrer non seulement les responsables politiques, mais aussi les représentants de la société civile. Je rencontre toujours ce que j'appelle les femmes puissantes, celles qui jouent un rôle important dans la société. Je rencontre aussi la jeune génération, pour comprendre sa manière de penser. D'ailleurs, nous savons que la jeune génération en France soutient bien davantage l'élargissement que les générations plus âgées. Je vais essayer de répondre à vos questions en procédant par blocs.

S'agissant des Balkans occidentaux, il n'est pas exact de dire que l'Ukraine et la Moldavie sont soudainement devenues plus importantes. Il est vrai que nous en parlons davantage en raison de la guerre en Ukraine et des tentatives d'ingérence russes en Moldavie, mais notre attention envers les Balkans occidentaux est ancienne. Vous avez évoqué la Macédoine du Nord : si nous avions attendu le même laps de temps que celui imposé à ce pays avant d'entamer les négociations, l'Ukraine n'aurait sans doute pas commencé avant des décennies.

La raison pour laquelle les Balkans occidentaux ont parfois semblé relégués au second plan, c'est qu'ils n'étaient pas considérés comme une priorité à une certaine époque. On estimait alors qu'il fallait d'abord stabiliser la région avant d'avancer. Mais, aujourd'hui, comme vous l'avez justement rappelé, la donne géopolitique a profondément changé. Originaire moi-même de l'ex-Yougoslavie, je mesure combien cette région porte deux histoires distinctes. Certains États membres ont posé des exigences particulières à la Macédoine du Nord, notamment le changement de nom et de constitution. La Macédoine s'est engagée à se conformer à ces exigences, et j'espère que ce processus aboutira rapidement, afin que nous puissions également progresser avec la Bulgarie.

S'agissant de la Bosnie-Herzégovine, nous célébrons cette année les 30 ans des accords de Dayton. Une réunion a été organisée à cette occasion par les présidents, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer, pour réfléchir aux perspectives d'avenir. Il faut reconnaître que, si ces accords ont permis de mettre fin à la guerre en 1995, ils pèsent aujourd'hui sur le processus décisionnel. Si nous souhaitons entamer le processus d'évaluation pour la Bosnie, il faudra identifier dans ce système les blocages qui empêchent d'avancer efficacement. Et pour vous donner un exemple concret, j'évoquerai le négociateur en chef. Croyez-le ou non, nous avons dû attendre un an avant que cette personne puisse réellement entamer les négociations. Certains pays candidats désignent leur négociateur avant même de commencer les discussions, mais, dans ce cas, nous avons dû patienter. De plus, les autorités souhaitaient en nommer deux ou trois ; j'ai insisté pour qu'il n'y en ait qu'un seul, pleinement responsable. Hier, le président a d'ailleurs appelé à l'action, et c'est une démarche que nous continuerons à encourager fermement.

Vous avez mentionné les 6 milliards d'euros destinés aux Balkans occidentaux. Il ne s'agit pas d'un simple transfert de fonds sans contrepartie. Une partie de cette enveloppe correspond à des subventions, mais le reste se compose de prêts octroyés sous condition de réformes. Les fonds ne sont débloqués qu'en fonction des progrès réalisés.

Concernant le Monténégro, il s'agit du seul pays où tous les chapitres de négociation sont ouverts. Nous sommes actuellement dans la phase de clôture de ces chapitres, et il est envisageable d'y parvenir dans l'année. Pour l'Albanie, en revanche, tous les chapitres ne sont pas encore ouverts. Cela signifie que ce pays devra concentrer ses efforts sur plusieurs points essentiels : la lutte contre la corruption, le renforcement de l'État de droit et la garantie de la liberté de la presse. Ce sont, pour nous, des principes fondamentaux.

Grâce à la France - et je tiens à vous en remercier -, nous avons révisé notre méthodologie il y a quelques années. Nous avons introduit davantage de garde-fous, afin de savoir comment réagir si les progrès ne suivent pas. Nous commençons et terminons désormais le processus d'adhésion par l'examen des fondamentaux, que nous suivons de manière rigoureuse et continue.

S'agissant du Kosovo, je ne suis pas ravie d'apprendre qu'il pourrait y avoir de nouvelles élections. Des élections législatives ont déjà eu lieu en février, et nous avions des fonds prêts à être débloqués. Toutefois, en l'absence de Parlement, il est impossible de ratifier les deux accords nécessaires à leur versement.

En ce qui concerne la capacité d'absorption de l'Union européenne et son fonctionnement interne, la Commission publiera la semaine prochaine son rapport sur l'élargissement. Ce rapport abordera trois domaines : les politiques, les réformes et le financement. Il s'agira de déterminer ce que nous devons améliorer au sein de l'Union pour être en mesure d'accueillir de nouveaux membres.

Le Monténégro et l'Albanie comptent environ 3 millions d'habitants, cela ne posera pas de difficulté. En revanche, si l'on prend en compte l'ensemble des pays candidats - à l'exception de la Turquie, toujours candidate, mais avec laquelle les négociations sont suspendues - on atteint environ 60 millions de personnes avec l'Ukraine, et 19 millions sans elle. Cela n'interviendra pas immédiatement, mais il est essentiel d'anticiper et de réfléchir à l'adaptation de nos processus décisionnels.

Enfin, vous avez évoqué la question des États membres qui bloquent certaines avancées du processus d'adhésion. La Hongrie, par exemple, a donné son feu vert pour que l'Ukraine obtienne le statut de pays candidat, mais elle bloque désormais le processus. Le respect des engagements doit fonctionner dans les deux sens : si les candidats tiennent leurs promesses, l'Union doit faire de même. Nous devons prendre en compte les inquiétudes de chacun, mais les États membres doivent agir de bonne foi et ne pas utiliser ces procédures à des fins purement nationales.

Des campagnes de communication doivent être menées non seulement dans les pays candidats, mais également dans les États membres, et elles doivent porter sur différents domaines et être menées de façon différente selon les pays. On ne peut pas avoir le même type de communication en France qu'au Danemark, par exemple, où 80 % de l'opinion publique soutient l'élargissement. Il y a de grosses différences entre les différents États membres, liées à leur histoire.

La guerre en Ukraine a abouti à ce que nous comptions deux nouveaux membres au sein de l'Otan, la Finlande et la Suède. Savez-vous combien de fois ces pays ont refusé de devenir membres de l'Otan ? Ils ont changé d'avis avec la guerre en Ukraine. Cela illustre bien à quel point les équilibres géopolitiques peuvent évoluer rapidement.

Dans ce contexte, quelle que soit la forme que prend notre communication, nous devons rester crédibles. Nous devons expliquer que l'Union européenne est la meilleure communauté au monde, tout en reconnaissant que nous avons nos propres défauts et que nous commettons des erreurs. Mais il n'existe aucune autre communauté de paix comparable. Il n'y a jamais eu de guerre sur le territoire de l'Union européenne. Il y en a eu, certes, sur le continent européen. Cela a commencé en Slovénie, juste après la Seconde Guerre mondiale : trois heures après la déclaration d'indépendance de la Slovénie, les chars russes entraient dans le pays. Et aujourd'hui encore, une guerre fait rage en Ukraine, sur notre continent.

Ma mère, née en 1932, n'est plus parmi nous. À l'époque du régime communiste, lorsqu'il y avait des difficultés dans la famille, elle répétait toujours : « Tant qu'il n'y a pas la guerre, tout ira bien. » Et je lui répondais souvent : « Ne t'inquiète pas, maman, il n'y aura plus jamais de guerre. » Aujourd'hui, j'aimerais pouvoir lui dire : « Je suis désolée, maman, tu avais raison. » Car c'est vrai, tant qu'il n'y a pas la guerre, tout ira bien.

Pour en revenir à la transition énergétique, l'une des conséquences de la guerre en Ukraine et du chantage de la Russie envers l'Europe est le développement de programmes pour aider la Moldavie et l'Ukraine à s'approvisionner de façon indépendante et résiliente. C'est un objectif pour l'ensemble de l'Europe : peut-on être indépendant du point de vue énergétique ?

En 2022, 60 % de notre gaz était importé de Russie. Aujourd'hui, cette part est de 5 %, et nous souhaitons atteindre 0 % d'ici à la fin de l'année 2027. Nous ne soulignons pas assez cet aspect du processus d'adhésion, mais celui-ci consiste à respecter les normes européennes, y compris en ce qui concerne les énergies renouvelables. Il s'agit donc d'une adhésion fondée sur le mérite et sur les valeurs, malgré le climat géopolitique. D'aucuns, en raison de ce dernier, pourraient considérer que l'on devrait admettre automatiquement ces pays candidats dans l'Union européenne. Mais cela n'arrivera pas ! En effet, les nouveaux États membres de l'Union européenne doivent nous rendre plus forts, et non plus faibles.

Le processus d'adhésion prend autant de temps pour une raison : nous devons préparer les pays candidats aux critères de Copenhague, qui remontent à 1993. Ils doivent également avoir une économie et des institutions stables. Et tant qu'ils ne pourront pas survivre sur le marché européen, ils ne pourront pas adhérer à l'Union européenne. Il en va de même pour les subventions publiques et le respect de nos normes de production et sanitaires. Ces conditions sont strictes, mais le principe est très simple : sans elles, nulle adhésion n'est possible.

J'apprécie beaucoup les outils bottom-up qui ont été évoqués. S'appuyer sur ces initiatives est une très bonne chose, non seulement pour les pays candidats, mais également pour les États membres. L'un des meilleurs exemples est Erasmus, qui inclut les pays candidats. Les jeunes travaillent beaucoup. Ils n'ont pas connu la guerre et, parfois, ils ne connaissent même pas les dates de la Seconde Guerre mondiale, ce qui me perturbe vraiment. Telle est la situation, aujourd'hui.

Je suis prête, aujourd'hui, à m'engager dans ces initiatives, à relayer toute idée pro-européenne. Je souhaite évoquer l'article 2 du traité sur l'Union européenne, qui vise à protéger la dignité humaine, les droits humains, les minorités et nos valeurs. Cela revêt une grande importance à mes yeux. Avec les pays candidats, nous ne pouvons pas tout faire d'un seul coup ; il est impératif de préserver nos valeurs. Nous devons nous assurer qu'ils comprennent l'importance de lutter contre la corruption. Ainsi, le 22 juillet dernier, lorsque l'Ukraine a adopté une loi affaiblissant ses agences indépendantes de lutte contre la corruption, j'ai réagi immédiatement, car des responsables politiques ne peuvent diriger de tels organismes.

J'ai également à l'esprit le cas de la Géorgie. De fait, celle-ci est perdue, et je n'en suis pas ravie, même si des manifestants brandissent encore des drapeaux européens dans les rues, comme c'est d'ailleurs le cas en Serbie. Pour la Géorgie, nous avons donc tout de suite coupé les 120 millions d'euros qui devaient être versés au Gouvernement, tout en augmentant le soutien à la société civile et aux médias indépendants. Néanmoins, il devient presque impossible d'effectuer des virements directement vers ce pays, car le pouvoir en a connaissance, et les personnes récipiendaires peuvent être mises en danger ou emprisonnées. Nous devons donc contourner la difficulté en versant ces fonds à une organisation non gouvernementale qui saura comment procéder.

Nous avons également augmenté le soutien financier à la société civile et aux médias en Serbie. Mais que pouvons-nous encore faire, aujourd'hui, en Géorgie comme en Serbie ? Si l'on ne peut parler au Gouvernement, quel interlocuteur reste-t-il ? Il faut parler aux personnes qui ont du pouvoir et qui peuvent intervenir. Parfois, ce qui compte, ce n'est pas tant la personne à qui nous parlons que ce que nous disons. Quand je parle à M. Vuèiæ, bien évidemment, je suis très stricte.

S'agissant de la Géorgie, nous avons trois possibilités. La première serait de lui retirer son statut de candidat. Mais si nous le faisions - et c'est là mon opinion -, nous retirerions le dernier espoir de nombreuses personnes en Géorgie qui croient encore à la voie européenne.

La deuxième consisterait à agir sur l'accord de libre-échange que nous avons avec le pays. Si les échanges sont peu nombreux, nous pourrions annuler certaines dispositions afin de toucher les oligarques, l'un d'entre eux en particulier.

La troisième possibilité concerne la libéralisation des visas. En novembre, la Commission européenne introduira un nouveau mécanisme de suspension de visa pour certaines catégories de demandeurs. Ainsi, nous disposons d'une liste précise de personnes, issues des forces de police ou de la justice, qui pourraient être concernées. Ce que nous ne pouvons pas faire, en revanche, c'est changer le Gouvernement, même si nous soutenons les forces démocratiques. Je suis également ravie de faire de même en Biélorussie, puisque cela fait partie de mes attributions.

Pour ce qui est du dumping social et de la cohésion, lorsque nous acceptons de nouveaux candidats, c'est parce que ceux-ci doivent nous renforcer et augmenter notre prospérité, plutôt que de la diminuer. Nous avons souvent communiqué sur les avantages de l'élargissement. Celui-ci a ainsi amené des possibilités pour les entreprises françaises, qui ont pu investir à l'étranger et importer des produits moins chers, mais du même niveau de qualité.

Nous avons tous les outils à notre disposition. Lorsque nous négocierons les traités d'adhésion avec chacun des futurs États membres, nous pourrons convenir de périodes transitoires et de dispositions spécifiques.

Les nouveaux accords de libre-échange sont bien meilleurs que les accords d'association que nous avions auparavant avec les Balkans occidentaux. Plus généralement, pour tous les pays, nous pouvons procéder à ce que nous appelons l'intégration progressive. Par exemple, nous permettons à ces pays de faire partie de l'espace unique de paiement en euros (Sepa) avant même de devenir membres de l'Union européenne, simplement parce qu'ils sont candidats. Je puis vous assurer que cela représente beaucoup, pour la Moldavie comme pour les Balkans occidentaux.

La question de la transition énergétique se pose également. La Serbie rencontre aujourd'hui des difficultés en raison des sanctions américaines contre sa compagnie pétrolière NIS, dont la Russie détient une participation majoritaire. Cette compagnie ne fonctionnant plus normalement, la Russie pourrait couper son approvisionnement en gaz à la Serbie. Nous avons donc établi un groupe de travail en vue de proposer une aide à la Serbie, sous certaines conditions. En particulier, l'on ne peut investir d'argent dans une entreprise russe. Cette offre est sur la table ; nous en attendons les suites.

La redéfinition de la politique de voisinage est une question très intéressante. Il y a quelques mois, au début de la guerre des droits de douane lancée par les États-Unis, j'ai reçu un courriel d'un citoyen canadien me disant qu'il aimerait que le Canada devienne membre de l'Union européenne. J'ai estimé que cette question géniale méritait que je lui réponde personnellement. Je lui ai rappelé les deux conditions pour qu'un État puisse postuler à l'Union européenne : qu'il soit un État, et qu'il soit européen. Cependant, je suis favorable à toutes les nouvelles formes de partenariats qui pourraient rassembler le Canada et l'Union européenne. Tous les pays ne pourront, ou ne voudront pas faire partie de l'Union européenne, mais cela n'empêche pas de mettre sur pied des formes de partenariats particulières.

Par exemple, qu'allons-nous faire avec l'Arménie ? Le Parlement arménien a adopté une loi qui demande au Gouvernement de postuler à l'Union européenne. Ils ne l'ont pas encore fait ; nous verrons ce qu'il adviendra. Mais nous pouvons déjà aider l'Arménie, si ce pays le souhaite - ce qui est le cas -, en matière de libéralisation des visas, de lutte contre les guerres hybrides et de santé.

Pour l'Azerbaïdjan, lorsque je m'y suis rendue, j'ai entendu le président Aliyev dire que les relations avec la France s'amélioraient petit à petit, très lentement.

Mme Constance Le Grip, députée. - Très lentement !

Mme Marta Kos. - Les changements géopolitiques actuels amènent des perspectives différentes, même si certains de nos intérêts divergent.

Quant à la Turquie, depuis 2018, nous ne négocions plus. Cependant, la Turquie est un partenaire géopolitique important, et nous devons en tenir compte. Une nouvelle politique de voisinage s'impose donc, en raison de ce contexte géopolitique.

Puisque nous évoquons les voisins et les pays candidats, n'oublions jamais que nous agissons aussi dans notre propre intérêt. Je vais vous parler de ma propre expérience et de celle de mon pays. Nous sommes un petit pays de deux millions d'habitants, mais nous avons la même voix à Bruxelles que la France ou l'Allemagne, bien plus peuplées.

À ce titre, nous faisons partie de l'Union européenne, et je vois à quel point nous avons évolué, lorsque je fais des comparaisons avec d'autres États issus de mon ancien pays qu'est la Yougoslavie. La Croatie, voisine de la Slovénie, a rejoint l'Europe en 2013 : en dix ans, le commerce a augmenté de 360 %. Lorsqu'ils sont entrés dans l'espace Schengen, il n'y a plus eu de contrôle aux frontières.

L'Union européenne nous a tant apporté. Par exemple, l'un des plus grands investissements dans mon pays a été effectué par Renault. La semaine dernière, madame la députée Liliana Tanguy, vous avez visité le site avec M. le Président Macron.

Nous devons donc évaluer nos possibilités. Si une adhésion n'est pas possible, quel partenariat pouvons-nous mettre sur pied ? Le programme de connectivité et la stratégie pour une région de la mer Noire stable et sécurisée comptent parmi les réponses à cette question.

Sur la dégénérescence des espaces culturels et politiques, je commencerai par l'exemple de la Moldavie. Quand nous avons aidé ce pays, lors des dernières élections parlementaires, nous avons étudié la posture et les trois principaux récits de la Russie. Leur message était le suivant : adopter la voie européenne vous fera perdre votre identité, votre culture et votre importance. Pour ma part, issue d'un pays encore plus petit que le leur, j'ai dit aux Moldaves que ma langue, le slovène, faisait partie des vingt-quatre langues officielles de l'Union européenne. Des fonds sont investis dans de nombreux projets afin de protéger notre patrimoine culturel et littéraire. L'Union européenne n'est pas un melting-pot, bien au contraire. Elle n'est pas l'Amérique, et j'en suis ravie. À Bruxelles, dans la plupart des institutions, je peux m'exprimer en slovène et ma déclaration fera l'objet d'une traduction.

Pour en revenir à votre question, l'identité européenne existe, tout comme l'identité française, l'identité slovène, l'identité allemande. Ce qui nous rend uniques en tant qu'Européens, c'est justement la diversité, le fait de nous associer, d'entrer en communication les uns avec les autres, d'échanger. Je peux regarder des films français à la télévision slovène, et vous pouvez faire l'inverse.

Il faut investir dans la culture et dans le patrimoine, ce qui veut dire que nous devons rester attachés à nos traditions. Il faut savoir que le croissant français peut avoir un autre nom, comme les rogljicki, en Slovénie, ce qui ressemble au nom du cycliste slovène Primoú Rogliè... Et quand un autre cycliste, Tadej Pogaèar, remporte le Tour de France, il est slovène et européen. En ce sens, nous devons tirer les enseignements du Brexit. Nous devons nous battre pour que nos États membres le restent, tant qu'ils adhèrent aux valeurs et aux principes européens et qu'ils respectent les traités.

J'en viens à la dimension maritime. Celle-ci est cruciale, même si la Slovénie n'a que 47 kilomètres de côtes, soit 1,35 centimètre par habitant. Ainsi, lorsque l'on parle de nouvelles initiatives telles que la stratégie de la mer Noire, il s'agit de relier les territoires entre eux, non seulement au moyen des ports, mais aussi, par exemple, en investissant dans le TGV. Connecter les territoires ultramarins est également important, et fait partie des attributions des commissaires européens grec et chypriote.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je voulais vous remercier, au nom de nos deux commissions, pour cet échange en profondeur et les réponses précises que vous avez apportées à l'intégralité des questions, ce que nous apprécions fortement. Je ne puis qu'espérer que nous vous retrouverons pour échanger à nouveau sur les grands dossiers d'actualité.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - Je remercie les députés qui se sont joints à nous et les invite à rester pour l'audition qui suit.

Nous avons travaillé sur la Serbie hier, avec vous, ce matin, et nous entendrons le Président de la République du Monténégro tout à l'heure. Comme vous l'avez rappelé, nous ne pouvons écarter la dimension nationale des débats.

Nous vous remercions pour cet échange fort intéressant, madame la commissaire.

Mme Marta Kos. - Je vous remercie à mon tour de l'intérêt que vous portez à l'Europe et à l'élargissement.

J'ai le meilleur métier du monde, car nous nous trouvons dans une situation géopolitique tout à fait dynamique. On ne sait jamais ce qui va se profiler à l'horizon ni quels seront les obstacles, mais ce que nous pouvons accomplir est clair.

Après la Deuxième Guerre mondiale, les Français et les Allemands avaient décidé qu'il fallait changer les choses, qu'il ne devait plus y avoir de guerre. Peut-être avons-nous perdu de vue l'importance de la paix et de la liberté, mais cela revient sur le devant de la scène. Aucun autre pays ne pourra contribuer autant à cette évolution. Une fois encore, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 35.