Jeudi 11 décembre 2025

- Présidence de M. Georges Naturel -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition de M. Jacques Andrieu, directeur de l'ODEADOM, dans le cadre du rapport d'information sur les enjeux pour les outre-mer du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2028-2034)

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, je remercie Georges Naturel de me remplacer pour cette réunion, étant retenue à Saint-Barthélemy.

M. Georges Naturel, président. - Nous auditionnons aujourd'hui M. Jacques Andrieu, directeur de l'Office du développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM), dans le cadre de la mission d'information de la délégation sur les enjeux pour les outre-mer du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne (2028-2034), dont je suis, avec Olivier Bitz et Saïd Omar Oili, co-rapporteur.

Il s'agit de notre deuxième audition dans le cadre de cette mission d'information et nous poursuivrons ensuite au mois de janvier. L'année 2025 est particulière au niveau national et budgétaire, mais l'année 2026 le sera peut-être encore plus, puisqu'il y aura des élections municipales et un renouvellement du Sénat en septembre. En tout cas, nous avons prévu - c'est le programme - de conclure notre rapport dès le mois de février ; nous sommes donc contraints par le temps.

Je rappelle que l'ODEADOM a trois missions principales : payer les aides européennes POSEI et les aides nationales - le lien avec l'objet de notre étude est évident - ; être un lieu de concertation entre les différentes administrations avec les filières et les professionnels ; et mener un travail d'études et d'observation sur divers sujets au service des administrations et des filières ultramarines. Ces missions sont menées avec les services déconcentrés dans les outre-mer, à savoir les directions de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, les DAAF. Les activités de l'ODEADOM sont donc nombreuses et sont conduites à Bruxelles, à Paris et dans les territoires.

Monsieur le directeur, vous êtes à la tête de l'ODEADOM depuis six ans. Quel bilan dressez-vous de ces six années passées à la tête d'une institution qui est l'outil principal des aides européennes au secteur agricole ultramarin ? Au regard de ce bilan, quelles évolutions vous paraissent souhaitables ? Faut-il maintenir la priorité aux aides couplées, qui est une spécificité ultramarine ? Nos inquiétudes se portent sur le nouveau cadre financier 2028-2034. Partagez-vous nos préoccupations quant à l'avenir du POSEI ?

Faut-il notamment laisser plus de marge de manoeuvre aux États membres ? Nous avons entendu le 13 novembre dernier le délégué général adjoint d'Eurodom, M. Benoît Lombrière, avec nos collègues de la commission des affaires européennes, dans le cadre d'un travail commun. Que dire de la proposition d'Eurodom de doubler le budget du POSEI ? Une demande précise de certains territoires comme la Guyane et Mayotte en faveur d'une nouvelle répartition des aides européennes a-t-elle été formulée ? Voilà quelques-unes de nos interrogations, que nous développerons après votre propos liminaire.

M. Jacques Andrieu, directeur de l'ODEADOM. - Je vous remercie pour cette invitation et surtout pour l'implication qu'elle démontre sur l'avenir de l'agriculture des outre-mer et la manière dont le Sénat entend s'y engager. Votre programme de travail, qui vise à parvenir à des conclusions en février, est ambitieux, mais il est sans doute extrêmement judicieux dans la mesure où la négociation sur le cadre financier européen débute. Les propositions de la Commission datent du mois de juin et les réunions commencent à Bruxelles. Dans ce cadre, le débat qui aura lieu à Bruxelles constituera l'un des éléments forts de toute l'année 2026. Le fait que le Sénat donne une orientation dans ce débat en début d'année est donc un élément qui peut être pris en compte et qui pourra influer, ce qui sera important.

Quelques mots, effectivement, sur l'ODEADOM. Vous avez bien résumé les missions que nous essayons de remplir avec nos équipes. Peut-être deux mots à ce sujet pour clarifier, y compris dans le débat d'aujourd'hui : nous sommes un établissement public sous tutelle, un opérateur - on parle beaucoup des opérateurs en ce moment -, donc au service de la politique agricole du Gouvernement. Nous sommes également au service des filières agricoles des outre-mer - c'est un peu l'esprit qui a toujours prévalu pour les offices agricoles -, ce qui nous amène à avoir une gouvernance où nous avons clairement des tutelles administratives d'État, et une gouvernance qui implique des professionnels largement majoritaires. Dans notre conseil d'administration, nous avons un président qui est un agriculteur de La Réunion et nous avons tous les représentants des collectivités et des filières, qui sont également présents. C'est ce que vous soulignez dans notre deuxième mission, qui est la mission de concertation.

D'ailleurs, sur ce sujet du cadre financier européen, un débat a eu lieu lors de notre dernier conseil d'administration, fin novembre, où l'ensemble des administrateurs ont tenu à s'exprimer et à faire part de leurs interrogations et de leurs inquiétudes. Nous allons revenir sur les nouvelles propositions qui sont sur la table. Ils entendent également être fortement impliqués sur le sujet. La seule limite que je soulignerais concernant l'ODEADOM est que nous sommes assez peu présents à Bruxelles, car nous n'avons pas de compétences de négociation : nous sommes là pour apporter un éclairage.

Je souhaite apporter un éclairage pour l'ensemble des personnes qui nous sollicitent, d'abord pour les deux ministères qui sont nos tutelles, le ministère des outre-mer et le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire, qui sont en charge directement, dans le cadre des concertations gouvernementales, des négociations elles-mêmes et de la manière dont elles s'intègrent dans une négociation beaucoup plus globale sur le budget européen, puisque la question de l'agriculture outre-mer est une brique au milieu de beaucoup d'autres. Il faut noter également, puisque c'est d'actualité, la nomination d'un délégué interministériel à la souveraineté agricole des outre-mer. C'est un poste qui avait été créé en 2019 et qui était vacant depuis quelques semaines. Nous nous réjouissons donc de travailler également avec M. Guillaume Vuilletet, qui a été nommé hier délégué interministériel à la souveraineté agricole des outre-mer, laquelle est l'orientation partagée par l'ensemble des acteurs. Pour revenir sur notre mission, vous l'avez dit, nous sommes payeurs de la quasi-intégralité du programme POSEI et des aides nationales aux outre-mer, dans un contexte où les outre-mer sont bénéficiaires d'appuis spécifiques - notamment les appuis européens dans le cadre de la politique agricole commune. C'est un point que l'on doit souligner dès l'origine. Depuis que le programme POSEI existe - cela fait presque quarante ans, mais dans sa forme actuelle, une vingtaine d'années -, il constitue un élément de la politique agricole commune de l'Union européenne, et c'est un élément ad hoc avec des règles ad hoc. Il a été compris à Bruxelles, et défendu par un certain nombre d'acteurs, que les règles qui s'appliquent en Europe continentale avaient beaucoup de mal à s'appliquer dans les mêmes conditions à l'agriculture des outre-mer, où il y a des spécificités. On a l'habitude de parler des difficultés, mais ce ne sont pas que des difficultés ; ce sont aussi des opportunités, des cadres différents. Il est vrai qu'objectivement, nous avons des exploitations dont les surfaces moyennes sont beaucoup plus petites, dont la maturité des filières est plus faible - les filières sont plus jeunes - et dont l'organisation est différente. Nous avons également des orientations partagées entre les territoires et les niveaux nationaux qui sont également spécifiques et c'est à ce titre, notamment, qu'une orientation claire est donnée. Il a été dit que l'autonomie alimentaire des outre-mer, ou plutôt la souveraineté alimentaire des outre-mer - qui est sans doute le terme le plus adapté -, est une orientation majeure partagée. Cette orientation signifie produire plus et produire mieux dans les territoires ultramarins pour la satisfaction de leurs besoins alimentaires.

Cela peut paraître un truisme, mais cela ne l'est pas complètement, surtout si l'on regarde l'histoire agricole de ces territoires, qui était largement une tradition d'exportation.

Même dans les petits territoires avec une très faible production agricole par rapport à leur consommation, il y a une volonté de produire plus localement. Je songe à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Saint-Barthélemy, où la production agricole est extrêmement faible. Il y a une volonté de faire plus, jusque dans les territoires où il y a des taux d'autonomie extrêmement intéressants, parfois supérieurs à ce que nous avons en métropole. Je songe à de nombreux secteurs à La Réunion ou en Guyane.

Cela veut dire, pour la majorité, produire plus, parce qu'en général, nous avons des taux d'autonomie relativement faibles. Pour produire plus, le moyen le plus efficient en termes de politique économique est effectivement d'avoir des aides couplées ce que nous avons sur la majorité des instruments dans le cadre du programme POSEI. Des aides nationales y sont également adossées. Ce sont des aides qui sont fonction de la quantité produite, c'est-à-dire que l'incitation à produire est assez directe.

Ce cadre est donc assumé ; il est différent de la PAC continentale, où nous ne sommes plus sur des aides couplées depuis les années 1990. Il y a eu des découplages assez généraux des aides par rapport à la production. Nous n'avons pas les mêmes incitations à produire. Nous avons d'autres incitations à la politique de qualité, avec l'intégration de questions environnementales, avec d'autres objectifs. Il a été reconnu à Bruxelles cette nécessité d'intégrer les spécificités des régions ultrapériphériques (RUP) - donc, pour la France, les départements et régions d'outre-mer.

Il n'y a pas les mêmes exploitations, les mêmes niveaux de mécanisation, ni les mêmes surfaces, et il y a par ailleurs des orientations de production assez claires. C'est sur ce fondement que cela repose. Au-delà de ce cas général, je voudrais dire un mot du programme POSEI, puisque c'est de cela dont il est question. Je vais me concentrer sur ce point et je n'évoquerai pas la pêche - même si un point du questionnaire que vous m'avez transmis concernait la pêche -, car nous ne sommes pas compétents dans ce domaine. Le principe du programme POSEI, tel qu'il est construit aujourd'hui, repose sur un cadre européen qui définit ce qu'il est possible de faire et sur des programmes nationaux. Ce cadre existe depuis longtemps, avant même que ce principe ait été adopté lors de la dernière réforme de la PAC au niveau de l'Europe continentale. Cela signifie que la subsidiarité accordée aux États membres pour la mise en oeuvre d'une politique agricole soutenue par l'Union européenne est déjà très forte. Le programme POSEI est un programme national, le « POSEI France », proposé à Bruxelles, que l'on peut faire évoluer chaque année et qui est discuté et examiné par la Commission européenne. C'est ce programme que nous mettons en oeuvre. La subsidiarité est donc déjà importante, ce qui renvoie également la responsabilité à la France. La question des limites de ce programme POSEI - comment devrait-il évoluer, quels sont les déséquilibres qu'il engendre -, et nous y viendrons sans doute, relève largement de notre compétence. La Commission européenne est assez à l'aise pour dire que nous avons la main pour le changer. C'est un programme qui est également souple, dans la mesure où nous pouvons apporter des modifications annuelles. Chaque année, à des dates précises, avant le 31 juillet, nous proposons des modifications. La Commission européenne a six mois pour les examiner, les accepter, les refuser ou demander des modifications. Elles sont ensuite mises en oeuvre l'année suivante. Cela repose donc sur cette architecture et une enveloppe budgétaire dédiée. Il s'agit d'une enveloppe pour le programme POSEI pour les trois États bénéficiaires - France, Espagne, Portugal -, qui est ensuite déclinée au niveau national. Nous disposons d'une enveloppe nationale.

Le programme POSEI représente 278 millions d'euros annuels pour la France, avec une possibilité de l'abonder. La France l'a d'ailleurs fait : le Parlement a choisi d'accorder des crédits supplémentaires, comme cela est autorisé dans le programme européen. Cette enveloppe est garantie sur un programme. Lors de la précédente réforme de la PAC, la Commission européenne avait proposé une diminution. La France, avec l'Espagne et le Portugal, s'y est toutefois fortement opposée et nous avons maintenu l'enveloppe financière qui était dévolue à ce programme. C'était l'élément de négociation principal. À l'époque, il n'y avait pas de changement majeur. Ce qui se passe avec le cadre financier européen proposé par la Commission européenne est un changement fondamental de l'architecture du CFP. C'est-à-dire que nous avons un cadre financier qui rebat toutes les cartes, qui donne des perspectives financières avec des augmentations globales de budget, mais, au final, des politiques nationales calibrées différemment et une orientation claire vers plus de subsidiarité. Il convient de regarder ce cadre financier dans sa globalité, et les auditions vous permettront de vous éclairer sur ce point. Pour la politique agricole commune, il y a des changements de règlesimportants sur les équilibres, ce que font les États membres, les enveloppes, la manière dont elles sont garanties ou non dans l'avenir. Sur ce point, le programme POSEI est directement interpellé, ce qui explique les inquiétudes et les interpellations de la part des filières très mobilisées. C'était l'objet de la réunion organisée par Eurodom à Bruxelles au début du mois de novembre, à laquelle un certain nombre d'entre vous étaient également présents, parce qu'il n'y a plus de cadre financier pour le programme POSEI en tant que tel. Le POSEI est compris dans une enveloppe globale et la Commission renvoie à chaque État membre la décision d'y consacrer telle ou telle part au POSEI. C'est sans doute une évolution vers plus de subsidiarité. Subsidiarité signifie donc que c'est vous, État membre, qui choisirez la manière dont vous voulez l'organiser ; vous choisirez les mesures que vous voudrez mettre en place dans ce cadre. Nous aurons une globalisation des aides dans un nouveau cadre. On pourrait y entrer plus en détail en évoquant les programmes de partenariats nationaux et régionaux. Sur ce point, quelque chose interroge : c'est la place du programme POSEI au sein de la PAC.

Actuellement, la situation est assez claire : il y a la politique agricole commune, au sein de laquelle existe un programme POSEI avec des mesures dérogatoires. Demain, nous aurions une PAC quelque peu éclatée, entre une partie dont les crédits seraient garantis ou non, et un programme POSEI intégré dans des programmes nationaux et régionaux. Les propositions initiales sont sans doute appelées à évoluer. Nous ne sommes qu'au début de la négociation. Ce qu'il y a au début de la négociation n'est certainement pas ce qu'il y aura à la fin. Les mesures dérogatoires ne seraient pas a priori, supprimées. Les dispositions actuellement autorisées dans le programme POSEI persisteraient dans le nouveau cadre, mais c'est vous qui choisirez à la fois les montants financiers et les dispositions que vous voudrez avoir. Il y aurait quelques petits changements, notamment en termes de cofinancement obligatoire. Alors qu'aujourd'hui, il s'agit d'un financement 100 % européen, dans la proposition de la Commission européenne, il y aurait un cofinancement obligatoire par les États membres. Cela veut dire aussi qu'à l'heure où la négociation débute, il y a sans doute de l'inquiétude, mais de l'inquiétude parce que c'est un changement. Je ne veux donc pas m'exprimer en termes de « c'est bien » ou « ce n'est pas bien ». Je laisse aux négociateurs le soin de se positionner sur ce point, mais je souligne le fait qu'il y a effectivement beaucoup de changements, que ce changement interpelle parce qu'il inquiète et qu'il constitue un saut dans un inconnu plus grand que ce que nous connaissions jusqu'à maintenant. En tout cas, nous avions un programme POSEI qui, depuis qu'il existait, était relativement stable avec des règles connues. Là, il y a plus d'éléments ouverts.

Se pose également la question de l'architecture : comment cela s'articule-t-il avec la PAC ? En revanche, la question qui n'est pas posée aujourd'hui et qui ne sera pas le sujet de la négociation est la manière dont nous l'appliquerons en France. Des questions se posent en effet, dans les bilans que l'on peut tirer du programme POSEI actuel, sur les compétences des différents niveaux, les responsabilités de l'État - de l'État central, de l'État territorial - et des collectivités dans la mise en oeuvre des aides en général et du POSEI ou de la PAC. Par exemple, le POSEI relève clairement d'une compétence de l'État. Il y a deux autorités nationales compétentes, le ministère de l'agriculture et le ministère des outre-mer. Un établissement national, le nôtre, est chargé de la mise en oeuvre, ainsi que l'Agence de services et de paiement, l'ASP. En revanche, lorsque l'on aborde l'autre volet de la PAC, le deuxième pilier, qui concerne toutes les aides aux investissements dans les exploitations, nous sommes sur une partie largement dévolue aux collectivités. Là, ce sont les collectivités de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion qui ont la main et qui sont les autorités compétentes pour choisir ce que l'on fait dans le cadre des aides du FEADER - donc le deuxième pilier de la politique agricole commune. Ce choix est donc posé ainsi aujourd'hui. Que des gens veuillent le changer, nous le savons, nous l'entendons. Qu'il y ait des limites à ces éléments, nous l'entendons. Des collectivités l'expriment. Il y a d'ailleurs des positionnements différents des collectivités sur ces questions. Le sujet n'est pas posé aujourd'hui sous cette forme à Bruxelles et ce n'est pas un sujet de négociation en tant que tel. La Commission, elle, se situe déjà dans un cadre très subsidiaire : c'est vous qui avez écrit le POSEI France ; demain, c'est vous qui l'écrirez. Il ne faut donc sans doute pas se tromper de niveau de négociation entre ce qui relève de la négociation européenne en tant que telle - il y a des sujets de négociation sur la PAC, sur les enveloppes financières, sur le cadre - et les sujets qui concernent l'application que nous en ferons au niveau national.

Des critiques sont également émises par les uns et les autres sur les équilibres entre filières et entre territoires dans l'application de ce programme, qui relève largement des choix au niveau national.

M. Georges Naturel, président. -Vous gérez cette organisation depuis 2019.Il me semble que deux thématiques se dégagent de nos échanges. Il y a, bien sûr, l'aspect financier, l'accompagnement et la nécessité de s'assurer qu'il n'y aura pas de restrictions dans les prochains cadres financiers pluriannuels. Il y a aussi le fait que - nous sommes tous très conservateurs en général - un changement des règles nous inquiète.

En dehors de l'aspect budgétaire, sur lequel l'Eurodom demande un doublement du financement du POSEI - peut-être que mes collègues interviendront sur ce point, ils sont plus à même de le faire -, je vais me concentrer plutôt sur la partie « proposition nouvelle ». Effectivement, cela nous responsabilise de manière générale, et en particulier les départements d'outre-mer.

Il faudra donc, dans la période qui s'ouvre, que chacun à notre niveau, nous ayons une cohérence sur les stratégies que nous voulons faire évoluer par rapport à ce que nous avons vécu ces dernières années. Un élément doit être intégré dans nos réflexions : le changement climatique, parce que, forcément, nous devons parler d'autonomie alimentaire.

Le changement climatique nous amène à avoir une réflexion à moyen, voire à long terme, sur nos politiques agricoles. Je voudrais que vous nous répondiez sur l'expérience que vous avez eue du cadre qui se termine. Quelles propositions avez-vous à faire à votre niveau, au-delà des propositions de la Commission ? Quelle organisation faudra-t-il adopter ? Il est essentiel que les uns et les autres, dans les territoires ultramarins, nous ayons une cohérence, pour critiquer ou faire évoluer les propositions de la Commission européenne en matière d'organisation.

M. Jacques Andrieu. - Ce sont des points clés que vous soulevez et des éléments sur lesquels nous travaillons avec les ministères impliqués sur le sujet. Là où il y a plusieurs acteurs et plusieurs interventions, il pourrait y avoir plusieurs stratégies différentes, donc éventuellement contradictoires. L'intérêt, au service des filières agricoles des outre-mer, des agriculteurs et des entreprises de transformation, est qu'il y ait une cohérence de l'action publique. Cette cohérence se construit, et il est essentiel que l'ensemble des niveaux de coordination fonctionnent bien.

Il existe une très grande cohérence d'objectifs ; par conséquent, il n'y a pas de raison que nous n'arrivions pas à des cohérences d'outils. En réalité, c'est plus compliqué que cela. Une fois que l'on a dit que nous sommes tous en faveur de la souveraineté alimentaire, à savoir de l'augmentation de la production pour l'alimentation locale, nous voyons bien qu'il y a, derrière, des sujets un peu plus compliqués sur la place des productions à l'export par rapport aux productions locales. Sur l'organisation économique, faut-il s'appuyer exclusivement sur des organisations de producteurs ou faut-il ouvrir ? Il y a là également un débat. Sur les équilibres budgétaires entre territoires, il y a des questions lourdes, qui vont au-delà de l'unité exprimée. Cette cohérence se construit à travers le temps, la concertation et des partages d'orientation.

Sur le changement climatique, vous avez entièrement raison, nous nous sommes beaucoup impliqués sur ce point. Dans les outre-mer, c'est plus compliqué, parce qu'il n'y a pas un changement climatique, il y en a cinq - enfin, cinq pour les DROM. Si l'on prend l'ensemble des outre-mer, il y en a douze. Douze changements climatiques différents.

Ce que disent les experts, c'est que le phénomène est sans doute plus rapide, que les effets sont différents, plus forts, et que les questions ne sont pas les mêmes en matière de changement climatique. Nous avons aussi beaucoup travaillé avec les chambres d'agriculture pour organiser un séminaire en 2023 en Guadeloupe, où nous avions réuni l'ensemble des territoires, y compris ceux du Pacifique, pour débattre entre décideurs, acteurs économiques et experts. Où allons-nous et où pouvons-nous aller ? En quoi les instruments de politique publique peuvent-ils être des éléments d'accompagnement ? Cette rencontre était extrêmement intéressante : il y avait deux cents personnes, le ministre est venu et les débats ont été repris. Le pas supplémentaire, c'est-à-dire la manière dont cela est intégré dans les instruments, reste à faire, parce que ce n'est pas simple. Comment, dans les aides du POSEI ou les aides nationales, arrivons-nous à favoriser, à aider les exploitants et les filières à anticiper ce changement climatique ? C'est extrêmement compliqué. Pourtant, les interpellations viennent également du terrain, avec des opérateurs, des agriculteurs qui nous disent : « Nous, nous le vivons. Nous avons des sécheresses que nous n'avions pas avant, nous avons des irrégularités des pluies que nous n'avions pas avant. » On parle beaucoup des cyclones. Les expertises indiquent : peut-être pas plus de cyclones, mais des cyclones plus forts. Peut-être davantage, d'ailleurs, à La Réunion, parce que les trajectoires des cyclones pourraient arriver un peu plus au sud ; les territoires pourraient donc être plus souvent impactés. Toutes ces questions sont donc extrêmement prégnantes. La question est posée par la ministre de l'agriculture sur la souveraineté alimentaire cette semaine, à savoir : donnons-nous des caps, donnons-nous des orientations, et dans ces orientations, il faut intégrer ces questions de changement climatique.

Un autre élément me paraît fondamental à intégrer en tant que moteur général des réflexions : ce sont les évolutions de la consommation alimentaire. C'est un fait avéré : les consommateurs des outre-mer sont des consommateurs français, des consommateurs mondiaux. Même s'ils ne mangent pas aujourd'hui la même chose qu'en métropole - ce ne sont pas exactement les mêmes régimes alimentaires -, les évolutions sont tout à fait cohérentes avec celles que nous connaissons ailleurs : plus de produits transformés, plus de restauration hors foyer, plus de préparation rapide, plus de viande blanche par rapport à la viande rouge. Ces tendances sont présentes.

Ce n'est pas à l'État de décider ce que nous allons manger ou ne pas manger, mais il lui appartient de prendre en compte ces éléments d'évolution, voire d'agir sur les programmes d'éducation à l'alimentation, à travers ce qui est offert dans les cantines scolaires ou la restauration publique. Sur ce point, il y a un accompagnement aux évolutions de la consommation alimentaire. Cela veut dire aussi - et cela peut être parfois un peu provocateur - que le bonheur ne consiste pas à revenir à la diète alimentaire d'il y a cinquante ans. Le consommateur des outre-mer ne veut pas forcément revenir à des légumes racines qui sont longs à préparer, à moins qu'ils soient transformés ou préparés. Les consommateurs ne mangent pas la même chose. Qu'est-ce que l'agriculture, qu'est-ce que l'alimentation d'aujourd'hui et de demain dans les outre-mer ? En quoi peut-il y avoir un accompagnement à travers les politiques agricoles pour que l'objectif de souveraineté alimentaire puisse accompagner cette évolution ?

M. Georges Naturel, président. - Merci pour vos réponses. Je vais donner la parole à Mme la présidente pour les premières questions.

Mme Micheline Jacques. - J'ai plusieurs questions. J'ai participé à la réunion d'Eurodom avec des inquiétudes sur le nouveau cadre financier européen et j'avais interrogé sur la part de la filière banane et la part des aides allouées à la filière rhum-canne-sucre, par rapport à la part allouée à la diversification alimentaire. En effet, votre rapport pour 2024 montre que, pour les productions végétales, les aides sont de l'ordre de 7 millions d'euros, tandis que pour les autres filières, notamment les producteurs de bananes, elles s'élèvent à 129 millions. Les mesures pour la filière canne-sucre représentent 74 860 000 euros. Comment ces écarts sont-ils expliqués et justifiés ? Doit-on les revoir ? Lorsqu'on parle d'une politique de diversification alimentaire, quelles propositions l'ODEADOM pourrait-il faire pour rééquilibrer la situation ?

Un autre sujet n'a pas été beaucoup évoqué : la transmission entre les anciens et les nouveaux agriculteurs. Il y a un véritable enjeu sur les fins d'activité et la transmission, ainsi que sur l'obtention d'une retraite correcte et cohérente. L'ODEADOM a-t-il commencé à travailler sur ce type de sujet ? A-t-il des propositions à faire ?

Enfin, vous avez dit tout à l'heure que l'ODEADOM travaille sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et du ministère des outre-mer. Comment s'articulent les relations ? Je ne vous cache pas qu'il a été évoqué la remise en question d'un certain nombre d'organismes dans le cadre des économies de fonctionnement, et il serait intéressant de voir quelle contribution l'ODEADOM pourrait apporter.

M. Georges Naturel, président. - Je passe la parole à Olivier Bitz, co-rapporteur.

M. Olivier Bitz. - J'avais une question sur l'architecture générale du POSEI et, notamment, sur l'articulation entre les financements européens et les financements nationaux. Vous nous avez indiqué que, jusqu'à présent, des financements nationaux étaient possibles en complément du soutien européen. J'aurais souhaité savoir ce que cela représentait, approximativement, sur une base annuelle, en complément des crédits européens, et comment cette articulation pourra se faire à l'avenir.

Ce qui est aujourd'hui apporté de manière volontaire par l'État français suffirait-il pour venir en complément des aides européennes ? Ou, selon vous, est-il difficile de ne pas envisager une augmentation de la participation nationale en complément de ces aides ?

Lorsque je dis « national », je voudrais simplement une précision : est-il indifférent pour l'Europe, pour la Commission, que les aides émanent de l'État ou des collectivités locales ? Comment tout cela va-t-il pouvoir se traduire ? En somme, cela ne va-t-il pas entraîner une nécessité pour la France, à travers soit l'État, soit les collectivités locales, de « rajouter au pot » de manière plus conséquente dans le contexte budgétaire que nous savons tous déjà extrêmement contraint ?

M. Jacques Andrieu. - Parmi nos missions en faveur de l'accompagnement des DROM figure également la création d'un observatoire de l'économie agricole et d'un observatoire des soutiens. Ce que nous fournissons - et nous avons tous espoir que cela soit utile à tous, avec, je l'espère, la plus grande transparence -, c'est, notamment grâce au travail de l'équipe de l'observatoire, un état des lieux, une photographie la plus complète possible du soutien public à l'agriculture des outre-mer. Nous disposons des chiffres de 2024 : 638 millions d'euros ont été accordés à l'agriculture des outre-mer, incluant la part nationale et la part FEADER, sur lesquelles je reviendrai.

Bruxelles nous demande, d'autre part, le rapport annuel d'exécution du programme POSEI. Nous l'établissons chaque année. Il s'agit d'un rapport assez complet, dont la synthèse, facilement lisible, expose ce que nous avons fait de l'argent cette année-là. De plus, nous nous efforçons de présenter des rétrospectives, les évolutions sur cinq ans et la manière dont tout cela évolue par part nationale, par part européenne, par territoire et par filière. Mettre ces données en regard des évolutions des filières permet également d'avoir une forme d'évaluation, en se demandant si les sommes importantes investies dans tel ou tel secteur se sont traduites par des augmentations de production ou si elles ont permis d'éviter des baisses. Nous parvenons donc à obtenir ces éléments.

Pour donner quelques chiffres clés actuels, les crédits du programme POSEI 2024 - ce sont les chiffres que nous avons communiqués - s'élèvent à 324 millions d'euros. La part européenne est de 278 millions d'euros et un complément national de 46 millions d'euros maximum y est ajouté. Ainsi, sur un total de 638 millions d'euros d'aides publiques à l'agriculture des outre-mer, 324 millions relèvent du programme POSEI. Viennent ensuite les programmes de développement rural, le deuxième pilier de la PAC, avec des cofinancements nationaux, pour 125 millions d'euros.

Il s'agit essentiellement d'argent européen, avec des cofinancements nationaux, puis des aides nationales, soit 182 millions d'euros qui sont essentiellement destinés au secteur du sucre - puisqu'il a été négocié, notamment avec la sortie des quotas sucriers - ou de celui du rhum. S'y ajoutent, et c'est ce que nous essayons de chiffrer, ce qui est un peu plus compliqué, des défiscalisations et des allégements de charges, essentiellement sur le secteur du rhum d'ailleurs, qui représentent à peu près 200 millions d'euros d'aides supplémentaires. Nous sommes sur des chiffres transparents. Ils sont publiés : 638 millions d'euros d'aides publiques et 200 millions d'exonérations ou dépenses fiscales.

Cela permet également d'avoir des lectures comparées face à une vision simpliste des outre-mer qui bénéficieraient de beaucoup d'argent public. Nous faisons tout un travail de mise en comparaison en articulant cela avec les services statistiques du ministère, qui montrent que cela n'est pas déconnecté des aides publiques à l'agriculture continentale, qui s'élèvent à globalement 15 milliards. Lorsque l'on rapporte les aides par exploitation ou les aides par emploi dans les outre-mer, nous sommes dans les mêmes cadres, voire un peu inférieurs dans les outre-mer, par rapport à ce que nous avons en métropole. Cela permet donc de casser cette image des outre-mer qui seraient sous subventions publiques de manière beaucoup plus conséquente que dans les autres secteurs. Par hectare, il y a plus dans les outre-mer - ce sont de toutes petites exploitations, une surface agricole qui est plus faible -, mais par exploitation ou par emploi, on est dans le même ordre de grandeur, voire un peu inférieur.

Demain, comment cela se passera-t-il ? Comme je le disais, il y a plus d'ouverture, plus de marge de manoeuvre. Quand on dit qu'il y a un bloc général qui est donné pour les programmes nationaux et régionaux, il reviendra à la France de décider combien elle souhaitera mettre dans ce bloc national qui comprendra des politiques de cohésion, du FEDER, du FEAGA... Que mettra-t-elle sur l'agriculture ? C'est la France qui choisira sur ce point. Ce qui changera, c'est l'obligation de cofinancement. Toujours si l'on reste sur la proposition actuelle de la Commission, mais elle va bouger sans doute, une obligation de cofinancement s'élevant probablement à 15 % pour les outre-mer s'imposerait. Nous y sommes déjà de facto, mais avec des règles différentes.

Aujourd'hui, nous avons un programme POSEI dont la partie européenne est payée à 100 % par l'Union européenne, soit 278 millions d'euros, auquel s'ajoute un complément national de 60 millions d'euros. La France a fait le choix en 2009 de n'affecter ce complément qu'aux productions diversifiées, c'est-à-dire, pour être clair, hors banane et canne. La majeure partie des 278 millions d'euros pour l'ensemble des filières historiquement à la banane et à la canne à sucre. Le complément national autorisé par Bruxelles n'était pas à hauteur de 60 millions au début ; ils ont augmenté progressivement. En 2024, le Parlement a approuvé une nouvelle augmentation. Il y a aujourd'hui 60 millions d'euros qui sont destinés exclusivement aux productions diversifiées : fruits et légumes et élevage. Demain, l'obligation de 15 % de cofinancement pèsera sur l'ensemble des dispositifs. Le financement national portera sur tout, et pas uniquement en faveur des productions diversifiées. Nous aurons 15 % sur tout. La marge de choix nationale sera donc un peu différente. Cela sera articulé différemment. On peut se dire que globalement, en grande masse, nous allons nous y retrouver, voire, avec 15 % de 300 millions, nous pourrions être dans les mêmes ordres de grandeur. Mais la mécanique risque d'être très différente. S'agissant des aides des collectivités, elles restent très limitées.

Cette année, nous avons essayé de les chiffrer, mais nous arrivons à quelques millions. En revanche, les collectivités sont des autorités compétentes sur le FEADER. À travers ce fonds, des cofinancements peuvent être amenés par les collectivités.

M. Théo Branswick, chargé de mission à l'ODEADOM. - Les aides des collectivités doivent passer par des régimes d'aide notifiés ou des régimes d'aide de minimis. Nous avons moins de vision sur ce que peuvent fournir les collectivités en aides d'État notifiées, mais nous sommes sur des montants de l'ordre de 4 millions d'euros.

M. Jacques Andrieu. - Les aides des collectivités en tant que telles pour les secteurs agricoles ont été chiffrées à 4,5 millions d'euros. Nous ne sommes pas sûrs d'être exhaustifs sur le sujet, mais voilà, en grande masse. Ces chiffres sont donc disponibles, diffusés et à la disposition de tous.

Je souhaite juste faire un petit retour, car Mme Jacques a souligné des éléments de déséquilibre : déséquilibre entre territoires, déséquilibre entre filières. En fait, les déséquilibres entre territoires viennent du déséquilibre entre filières. Actuellement - là aussi, nous les avons chiffrés territoire par territoire -, les principaux bénéficiaires sont La Réunion et la Martinique. Pour le programme POSEI, si l'on regarde les aides globales, c'est La Réunion, avec des montants beaucoup plus faibles en Guyane et à Mayotte par exemple. Il pourrait y avoir un consensus assez fort pour dire qu'il y a des besoins extrêmement importants pour l'agriculture et son développement, également à Mayotte et en Guyane, là où les taux de progression de la population sont les plus importants et où la demande alimentaire est la plus dynamique.

Ces déséquilibres sont issus de l'histoire et de la manière dont le programme POSEI s'est mis en place. Pour la filière banane, c'est assez clair : elle n'était pas au début dans le programme POSEI. Elle avait un dispositif différent de protection à la frontière qui s'est transformé en programme d'aide directe. Ce programme d'aide directe a été mis en place avec une enveloppe qui avait été négociée à ce moment-là à Bruxelles. Puis, quand ils ont intégré le programme POSEI, l'enveloppe préexistante a suivi. Ils sont donc dans le programme POSEI, mais ils n'y sont pas entrés en disant que la banane redistribuerait aux autres secteurs. La banane avait ses besoins propres et fait état de ses coûts de production par rapport aux débouchés.

Ces productions d'export sont, par nature, plus exposées aux marchés mondiaux. Que ce soit le sucre ou la banane, elles sont directement exposées à des marchés internationaux dans lesquels les questions de compétitivité jouent très directement. Nous arrivons donc aujourd'hui à des déséquilibres entre territoires et des déséquilibres entre filières.

Il s'agit d'une responsabilité majeure de l'État, qui doit indiquer comment il entend faire évoluer ce programme. Demain, ce sera la même chose : même si cela est possible dans le cadre européen, les questions se poseront de nouveau au niveau national.

M. Georges Naturel, président. - Merci pour cette réponse. Je vais passer la parole à mes collègues qui ont peut-être des questions à poser.

M. Jacques Andrieu. - Je suis désolé, je n'ai pas répondu à la question sur l'opérateur ODEADOM. Si vous le souhaitez, nous pourrons y revenir ultérieurement.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Je voudrais revenir à ce que vous avez évoqué tout à l'heure sur les changements climatiques, qui sont en première ligne en outre-mer. J'ajouterai les maladies émergentes, la salinisation des sols et aussi les ruptures d'approvisionnement. Chaque choc entraîne des pertes de récoltes très importantes, des hausses des coûts de production et des fragilisations des filières végétales. Comme vous l'avez dit, aucune région européenne ne rencontre ce genre d'événement avec une telle fréquence et une telle intensité.

Le prochain cadre financier pluriannuel déterminera s'il faut aller au-delà des dispositifs standards de la politique agricole commune : un mécanisme d'ajustement climatique spécifique, un appui à l'assurance, une compensation renforcée ou encore la flexibilité des aides d'État pourraient être une réponse structurelle à des risques qui ne cesseront de s'intensifier. Faut-il inscrire cette approche dans le futur cadre budgétaire et sous quelle forme, pour garantir la continuité des productions agricoles ultramarines ?

Mme Solanges Nadille. - Je vais aborder directement la question des aides. Dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (CIOM), une proposition de territorialisation des aides a été formulée. J'aimerais connaître votre avis sur le sujet, dans la mesure où, nous, ultramarins, estimons que chaque territoire connaît ses propres besoins et ses propres difficultés.

Ma deuxième question porte sur la nécessité de renforcer le caractère incitatif des aides. Hier, nous avons eu une réunion dans le cadre de la préparation de ce CIOM, qui sera discuté au niveau régional. Au cours d'une discussion avec les services de la préfecture de Guadeloupe, il est ressorti que, si la production de canne et de banane est importante, il existe surtout une diversification de la production - d'autres produits sont cultivés -, mais que cela n'est pas toujours connu. Par conséquent, les aides sont directement allouées à la canne ou à la banane, alors même qu'une diversification est mise en oeuvre sur le terrain.

Mme Annick Petrus. - Mon intervention sera plus centrée sur les petits territoires, auxquels vous avez fait allusion tout à l'heure. Il s'agit de petits territoires où le POSEI ne peut pas être envisagé uniquement comme un instrument de soutien aux grandes filières agricoles historiques, mais davantage comme un outil de sécurité alimentaire.

Je prends le cas de mon territoire, la collectivité territoriale de Saint-Martin, où nous avons une production locale très limitée, parfois quasi inexistante, une dépendance totale aux importations alimentaires, des surcoûts logistiques parmi les plus élevés de l'ensemble des outre-mer, un territoire exposé à des aléas climatiques majeurs et une vulnérabilité alimentaire structurelle.

Pour mieux comprendre les surcoûts liés à l'insularité et à l'éloignement, il faut sécuriser l'approvisionnement en intrants et en matières premières, soutenir la micro-production locale - indispensable pour réduire la dépendance - et accompagner la résilience alimentaire d'un territoire isolé et très exposé. Cette vulnérabilité est d'autant plus marquée que Saint-Martin connaît aujourd'hui une agriculture en situation de relance. Après plusieurs décennies de contraction, le territoire ne compte plus que trente-six exploitations agricoles, soit une diminution de 20 % en dix ans, et une surface agricole utile réduite à 6 % du territoire. Les exploitations sont de très petite taille, largement familiales et souvent engagées dans des circuits courts. Elles se heurtent à de multiples contraintes : accès difficile au foncier, manque d'eau pour l'irrigation, faible transmission des savoir-faire, isolement et coûts d'approvisionnement élevés, fragilité des infrastructures nécessaires au développement agricole.

Pourtant, une dynamique réelle existe. Le plan territorial de l'agriculture durable, adopté en 2021, fixe une stratégie claire de redéploiement de la production locale adaptée aux réalités de l'île. Le diagnostic foncier a été lancé avec la SAFER. Un portage fiscal agricole est désormais en place, des projets innovants émergent, comme l'aquaponie, et des outils d'accompagnement ont été renforcés via la Chambre Consulaire Interprofessionnelle de Saint-Martin (CCISM) et l'État. Le programme Green Up soutient la modernisation des exploitations, la gestion des ressources et le développement des circuits courts. Le FEADER finance la rénovation des infrastructures essentielles, notamment l'abattoir de Grand-Case, dont la remise aux normes est indispensable au maintien d'une activité d'élevage locale.

Tous ces éléments montrent qu'il existe à Saint-Martin une volonté de reconstruire une agriculture adaptée, innovante et durable.

Elle est aussi extrêmement fragile. C'est précisément pourquoi l'exposé doit tenir compte de la réalité de ces territoires à faible production, mais à très forte vulnérabilité alimentaire. Dès lors, Monsieur le directeur, nous souhaiterions vous entendre sur un point central.

Comment l'ODEADOM entend-il défendre dans les discussions européennes la situation des territoires comme Saint-Martin, où l'enjeu n'est pas la performance agricole, mais la sécurité alimentaire ? Surtout, quelle adaptation du futur POSEI pourrait permettre de soutenir la micro-production locale, d'alléger les surcoûts et de renforcer la résilience d'un territoire aussi exposé que Saint-Martin ?

Nous ne demandons pas un modèle calqué sur les régions agricoles puissantes. Nous demandons que l'Europe prenne en compte les contraintes spécifiques, les stratégies et les fragilités structurelles.

Monsieur le directeur, votre éclairage sera essentiel pour nous assurer que le futur cadre financier ne laissera pas de côté les territoires les plus vulnérables.

M. Jacques Andrieu. - En ce qui concerne le changement climatique, je suis personnellement et totalement convaincu que c'est un des sujets absolument majeurs pour l'ensemble de la société et de l'économie françaises, mais majeur avec une spécifificité forte pour les outre-mer, qui sont en première ligne.

En effet, lorsque l'on parle avec des géographes ou des climatologues - nous l'avons vu lors de notre séminaire -, les questions de trait de côte ou d'augmentation du niveau de la mer sont des sujets qu'ils maîtrisent, qu'ils observent et sur lesquels les outre-mer sont en première ligne. Cependant, il y a aussi des questions d'origine plus biologique : les maladies, les ravageurs, qui ne sont généralement pas les sujets des géographes ou des climatologues, mais plutôt ceux des agronomes. Ces sujets sont sans doute au moins aussi importants quant aux évolutions à venir. Cela suppose donc d'avoir cette lecture proprement agricole.

Qu'est-ce que le changement climatique signifie pour l'agriculture ? La montée du niveau de la mer, si l'on regarde simplement une carte, ne touchera pas beaucoup de zones agricoles, car celles-ci ne sont en général pas directement situées sur le littoral. En revanche, nous observons une salinisation des nappes phréatiques, et là, nous avons un sujet majeur, car il y a beaucoup d'endroits dans lesquels on ne pourra plus irriguer. Par ailleurs, des activités portuaires vont sans doute se déplacer. Où se déplaceront-elles ? Dans des zones agricoles, parce que ce sont celles situées en contrebas.

Cette question du changement climatique est majeure, elle est complexe, et il faut la considérer dans toutes ses dimensions. Je me souviens du débat que nous avons eu, par exemple, avec les personnes de Polynésie française. C'était intéressant ; elles nous disaient : « En général, les gens font une carte et disent : “si le niveau de la mer monte de deux mètres, nous sommes noyés”. Or nous ne sommes pas noyés, c'est beaucoup plus compliqué que cela. Il y a beaucoup de terres dont le sol est aussi constitué de coraux et de sable, ce qui fait que, si le niveau monte de deux mètres, il y a également des changements dans la topographie. On sait faire des digues, mais la vraie question, c'est la salinisation. »

La question des ravageurs est, en général, sous-estimée ou n'est pas entièrement prise en compte dans la lecture globale. Il y a aussi des impacts spectaculaires. C'est le cas du déplacement du village de Miquelon, qui va s'installer sur une colline alors qu'actuellement, il est en bord de mer. Puis nous avons une zone agricole à Miquelon qui est une zone inondable. Qu'est-ce que cela va donner ? Au-delà de cela, nous avons aussi de nouveaux insectes, de nouvelles maladies, des changements de régime de pluie. Nous avons des questions d'adaptation. La canne a besoin d'une régularité dans les précipitations au cours de sa croissance. A priori, la quantité d'eau sera là, mais elle sera plus irrégulière, ce qui pose de vraies questions sur la possibilité de cultiver de la canne. Ces questions sont donc complexes. Arriver à les intégrer dans des accompagnements d'agriculteurs est quelque chose qui nécessite un effort d'ensemble. Les chambres d'agriculture sont très impliquées sur ce sujet et nous travaillons beaucoup avec Chambres d'agriculture France et les chambres d'agriculture au plus près du terrain. Météo-France essaie de faire un travail de localisation très fine, car nous sommes aussi sur des territoires dans lesquels les situations sont différentes : même en Guadeloupe, la situation n'est pas la même en Basse-Terre et en Grande-Terre. Et au nord de la Grande-Terre, elle n'est même pas identique à celle du sud de la Grande-Terre. Nous avons des territoires qui sont complexes et dans lesquels les questions climatiques influent directement. Il y a la question des cyclones, mais il n'y a pas que celle-ci. La question des cyclones est souvent la plus visible ; sa mise en avant est réelle, mais il n'y a pas qu'elle, il y a aussi beaucoup d'autres enjeux autour du changement climatique. Concernant la question de la territorialisation, là aussi, c'est une question qui est posée en responsabilité à l'État français. Je vais être un peu prudent sur ces questions, car ce n'est certainement pas - et a fortiori - à un organisme national d'y répondre. Je pourrais être taxé de parti pris en disant qu'il ne faut pas territorialiser pour garder un établissement, mais ce n'est pas du tout mon état d'esprit. Il y a une vraie question d'adaptation des mesures quand on dit qu'il y a besoin d'adapter une politique européenne ou une politique nationale.

À une agriculture spécifique, qui est celle des outre-mer, il faut immédiatement descendre au niveau inférieur pour qu'il y ait une adaptation spécifique à chaque outre-mer. En effet, chacun est très différent, et a des objectifs différents et, de toute façon, a des productions différentes, des topographies différentes, des sociologies agricoles différentes. C'est aussi la question qui a été soulevée pour Saint-Martin, en soulignant que ce territoire est un cas à part ; chaque territoire a ses spécificités. C'est aussi notre fonction de prendre en compte cette diversité, et surtout de ne pas avoir, en incarnant sans doute un organisme national en charge des outre-mer, un discours selon lequel les outre-mer formeraient un bloc. Je suis strictement convaincu du contraire. Il y a douze territoires d'outre-mer français, selon les catégorisations que nous avons. Nous travaillons avec huit d'entre eux. Ces huit territoires sont totalement différents et ont des enjeux différents. Entre les petits et les grands territoires, Saint-Pierre-et-Miquelon - qui n'est pas tropical - face aux autres, la Guyane qui n'est pas une île, chacun a des enjeux qui vont être extrêmement différents, et il est nécessaire d'avoir cette adaptation aux enjeux. La question de la territorialisation se pose ensuite sur le rôle de l'État, le rôle de l'État central et de l'État local. C'est aussi une question de départementalisation qui est posée. Est-ce ainsi que le cadre local doit être pris en compte ? S'agit-il de décentralisation avec des compétences accrues données aux collectivités ? Cette question est réelle. Ce n'est certainement pas un directeur d'établissement public qui va y répondre. Il y a des débats politiques légitimes sur ces questions : la décentralisation, les compétences que l'on donne, jusqu'à quel niveau, à quel échelon administratif et à quel échelon de collectivité ? Ce qui est clair, et ce que nous nous efforçons de prendre en compte au maximum, c'est l'adaptation au terrain. Cela signifie que le programme POSEI fait l'objet de modifications annuelles : ce n'est pas nous qui proposons les modifications annuelles. C'est au niveau départemental, dans le cadre du comité d'orientation stratégique du développement agricole (COSDA), que, territoire par territoire, l'État, les collectivités, les chambres d'agriculture et les filières amènent des propositions d'évolution. Ce sont ces propositions d'évolution qui sont ensuite analysées et compilées.

Il faut regarder la situation au niveau national, ce qui est normal, car il y a aussi des enjeux budgétaires nationaux ; c'est également le budget national qui complète le programme POSEI. Ce schéma est essentiel. Pour ce qui est de la territorialisation, oui, bien sûr. Quelle territorialisation ? Quand ? Comment ? De quelle manière la faire évoluer ? Nous sommes face à des questions complexes, avec des enjeux financiers assez directs. Lorsque la Martinique demande une territorialisation du programme POSEI à budget constant, c'est le principal bénéficiaire des aides POSEI qui demande que le budget soit constant. Il est évident que Mayotte et la Guyane le demandent peut-être aussi, mais certainement pas à budget constant, pour rester avec des niveaux d'aide POSEI beaucoup plus faibles. On peut se dire que la solution est d'augmenter tout le monde au niveau du meilleur. Vous êtes cependant aussi en charge des finances publiques et vous regardez le budget de la France. Il ne revient pas à l'ODEADOM de trancher. Il nous revient de vous éclairer, d'être transparents sur qui obtient quoi, comment, qui donne les aides nationales, régionales, quels sont les possibles dans le cadre du programme POSEI, de manière à ce que l'ensemble des décideurs soient en mesure de faire les choix adéquats.

Cela me conduit à évoquer Saint-Martin. Saint-Martin est un cas à part, car, quand on dit « petit territoire », c'est le seul petit territoire qui est en RUP. Nos compétences administratives concernent les cinq DROM et Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon. Or Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont pas des RUP, donc ilsne bénéficient pas du programme POSEI. C'est toujours cette complexité qui fait un des charmes des outre-mer, parce qu'il y a eu des adaptations, des choix locaux légitimes qui ont été faits par les populations : on veut être dans l'Europe, on ne veut pas être dans l'Europe. Dans le cadre du programme POSEI, nous avons donc le cas de Saint-Martin, qui est un petit territoire, beaucoup plus petit que les cinq autres, avec beaucoup moins d'agriculteurs, et dans lequel se pose la question de l'application du programme POSEI.

La problématique de l'abattoir de Saint-Martin est prégnante. Actuellement, il n'y a pas d'abattoir en fonctionnement malgré les investissements majeurs qui ont été réalisés et qui ne sont pas encore opérationnels. Se posent, effectivement, des questions de mise aux normes, de prise en compte des petites exploitations de Saint-Martin et des quelques exploitations professionnelles plus importantes.

Saint-Martin, Saint-Barthélemy un peu moins, mais aussi Saint-Pierre-et-Miquelon, sont représentés au conseil d'administration de l'ODEADOM. J'en parle parce que nous avons un administrateur qui est également très actif au sein de ce conseil. Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons un représentant de la chambre d'agriculture ainsi que le préfet. Nous nous efforçons, dans notre conseil d'administration, d'avoir ces voix qui permettent de prendre en compte les problématiques extrêmement diverses des territoires. Nous avons eu des débats forts, évidemment, l'an dernier avec Mayotte. Post-chikungunya, quelles étaient les possibilités ? Que pouvions-nous faire sur le programme européen, sur le programme national, sur les crédits que nous mettons en oeuvre ? C'était la problématique majeure du début de l'année 2025. Nous avons eu les questions spécifiques post-Garance à La Réunion. Nous avons donc des questions qui se posent au fur et à mesure, territoire par territoire. Cela me permet de revenir également sur la question des opérateurs. Là également, je vais peut-être être un peu prudent, mais avoir quelques messages assez clairs. Il n'appartient pas à l'opérateur de l'État que nous représentons - établissement public sous tutelle de deux ministères - de dire quelle doit être l'architecture administrative nationale. Le Gouvernement a la responsabilité de définir une architecture administrative avec des compétences pour tel ou tel ministère, avec des opérateurs qui accomplissent telle ou telle tâche, et cela peut changer. L'État est entièrement légitime pour dire : « cela fonctionne comme ça, mais j'ai des orientations politiques différentes ». Après, ce que nous disons également à ce sujet, c'est qu'il y a des besoins, notamment un besoin de professionnalisme dans la mise en oeuvre des programmes POSEI.

Jusqu'à présent, je défends mes équipes, car ce sont elles qui agissent, nous n'avons jamais été pris en défaut. Il y a un professionnalisme qui existe actuellement dans la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures, que ce soit en délai de paiement ou en correction. Il a été reconnu par l'ensemble des rapports récents que nous avions des coûts contenus. Là aussi, il me semble que nous répondons largement à l'attente. Cela amène à dire que si un changement devait intervenir, ce ne sont pas des économies budgétaires qui seraient à attendre. Au-delà de cela, il y a la question de la concertation et de l'expertise. Concernant la concertation, si nous assurons actuellement cette fonction, c'est à défaut de toute autre. En effet, ce n'est qu'au conseil d'administration de l'ODEADOM que nous avons des débats agricoles avec les collectivités, les filières, les chambres d'agriculture, les ministères et les préfectures, où tout le monde est autour de la table. C'est là que nous avons débattu fin novembre, justement, du cadre financier pluriannuel et du futur cadre de souveraineté alimentaire. Nous pourrions imaginer d'autres schémas, et sur ce point, je serais très prudent. Il y en a peut-être qui fonctionneraient mieux ailleurs. Nous avons la cellule d'expertise de l'ODEADOM, qui est entièrement consacrée à des expertises, des études et des établissements de bilans spécifiques pour les outre-mer. Cela peut s'imaginer ailleurs.

Le seul objectif que j'assignerais à cela est que cela fonctionne mieux. Si nous changeons, c'est pour que ce soit mieux dans un deuxième temps. Voilà les seuls éléments que nous avançons sur le sujet.

Par ailleurs, nous avons lu les conclusions formulées par la commission d'enquête du Sénat au mois de juin sur le sujet. Nous avons participé aux travaux du Gouvernement : cela s'appelait la refondation de l'action publique, puis le travail sur l'efficacité de l'État. Nous entendons ces interrogations. Encore une fois, il y a une légitimité à les poser, et nous appliquerons les choix qui seront faits par le Gouvernement et la représentation nationale sur ce point.

M. Georges Naturel, président. - Merci. Y a-t-il d'autres questions ?

Mme Vivette Lopez. - Depuis le début de nos échanges, j'entends beaucoup parler d'aides, de soutien financier, de caractère incitatif pour obtenir des aides. Des actions précises sont-elles mises en place pour anticiper, justement, le changement climatique, afin que nous n'attendions pas d'y être confrontés pour nous dire : « Ah, mais oui, nous aurions dû faire cela » ?

Des actions sont-elles également menées pour, non pas intensifier, mais plutôt valoriser certaines filières et faire en sorte qu'elles deviennent des filières d'excellence ? Il a beaucoup été question de la banane et du sucre, mais nous savons très bien, par exemple, que c'est grâce aux outre-mer que nous sommes le deuxième territoire maritime au monde. Nous disposons donc d'un potentiel lié à la pêche ; peut-être certains poissons pourraient-ils être mis en valeur pour que les outre-mer soient les meilleurs compétiteurs. En effet, il a été question de compétitivité, mais si l'on vise l'excellence... Certaines filières en outre-mer peuvent être des filières d'excellence.

Des actions sont-elles menées pour que ces filières se distinguent afin de devenir les meilleurs compétiteurs ?

M. Georges Naturel, président. - Une dernière question ?

Mme Solanges Nadille. - J'ai une question concernant la taxe carbone, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui sera en vigueur à partir du 1er janvier 2026 et qui impactera directement le coût des intrants pour les agriculteurs, notamment les engrais. J'aimerais connaître votre position. Comment une telle taxe peut-elle être appliquée aux régions ultrapériphériques (RUP), dans la mesure où nous connaissons notre problème d'insularité par rapport à l'Hexagone ? Comment peut-on accepter cela, sachant que vous affirmez connaître nos difficultés, qui sont territorialisées ? Chaque outre-mer a ses propres difficultés. Comment a-t-on pu laisser passer une telle chose, alors que vous aidez nos agriculteurs à surmonter leurs difficultés ?

Ma deuxième question porte sur les aides du POSEI et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). En me concentrant sur mon territoire, j'aimerais savoir ce qui fait défaut. Manque-t-il des dossiers ? Les dossiers ne sont-ils pas traités ? Les agriculteurs, pour autant que je sache, font des demandes. Pourriez-vous donc être un peu plus clair au sujet des chiffres que vous avez présentés ?

M. Jacques Andrieu. - Concernant les filières d'excellence, nous prenons en compte toutes les filières. Nous citons les grandes filières où les montants financiers sont plus importants, mais nous nous appuyons sur absolument toutes les filières, à travers les organisations locales, filière par filière. Il s'agit des interprofessions, mais même là où il n'y a pas d'interprofessions, il y a des organisations de producteurs et nous nous efforçons d'appuyer l'ensemble des initiatives.

Nous le faisons soit par des crédits nationaux et de petites aides ponctuelles - par exemple, pour une étude de marché, cela relève des crédits nationaux du ministère des outre-mer -, soit de manière plus systémique en apportant des aides à la filière cacao ou à la filière champignon et en examinant la manière dont elles peuvent s'intégrer. Nous pouvons être en appui sur toutes ces filières. En revanche, ce qu'il y a derrière, c'est une orientation publique assez claire : un travail en faveur du collectif. C'est un des éléments de débat que nous avons : nous travaillons avec des organisations de producteurs, avec des interprofessions, avec des coopératives qui portent des orientations collectives d'évolution et dans lesquelles se trouvent les appuis. C'est pourquoi nous aidons et intervenons systématiquement à travers les organisations de producteurs et autres.

Au-delà de cela, chacun est libre de faire des propositions. Il y a des filières qui se passent d'ailleurs très bien d'aide, nous ne parlons pas que d'aide : les filières oeufs, par exemple. Elles participent à l'autonomie alimentaire et, dans la majorité des territoires, elles ne bénéficient pas d'appui et cela fonctionne. Elles arrivent à produire des oeufs, les prix sont contenus pour le consommateur et cela fonctionne très bien, ce qui prouve aussi que nous ne sommes pas uniquement dans une logique où l'aide et l'appui public font la vie des filières. Il y en a qui en ont besoin et nous regardons les questions de coûts. La logique du programme POSEI est une compensation des surcoûts liés à l'insularité, au fait d'être ultramarin par rapport au fait d'être continental.

Un élément est également à prendre en compte : c'est une question de visibilité des outre-mer. Je le vois très directement, car le Salon de l'agriculture se tiendra prochainement. Au Salon de l'agriculture, nous avons une magnifique vitrine, de l'agriculture des outre-mer.

Ce que l'on voit au Salon de l'agriculture, ce n'est néanmoins pas l'agriculture complète des outre-mer. Ce sont les agricultures des outre-mer qui s'exportent : le rhum, la banane - on la voit clairement -, les fruits exotiques, un peu de vanille, le monoï. J'ai eu plusieurs fois le débat en disant que c'est bien, que les outre-mer ont des produits magnifiques. Cela fait partie des opportunités qu'ont les outre-mer et il y a lieu de les aider. Toutefois, on ne voit pas les ignames, on ne voit pas la viande de porc, on ne voit pas la viande de poulet. Or, lorsque l'on parle de souveraineté alimentaire, c'est cela aussi, et c'est peut-être cela d'abord. C'est arriver à fournir pour la population locale des productions variées à un prix contenu pour la nourrir. Il y a donc des filières d'excellence, mais il y a des filières d'excellence pour le marché local et il y a des filières d'excellence pour les marchés d'exportation. Cette question de lisibilité n'est pas si facile quand on regarde depuis Paris. Hier, j'ai entendu une magnifique citation : « si pour Paris, les outre-mer sont loin, pour les outre-mer, c'est souvent Paris qui est loin ». Cette lecture que l'on peut avoir depuis Paris est souvent biaisée par rapport à cette réalité agricole. En revanche, il y a des filières d'excellence, il y a des expériences extraordinaires vues dans chaque outre-mer, d'ailleurs, sur des initiatives locales, pour le marché local ou pour le marché interne. Je songe à la filière cacao qui se développe dans certains territoires et qui fait des choses magnifiques. Au niveau local, il y a une filière champignon que l'on ne verra jamais à Paris, qui fait du champignon de Paris dans des territoires. Pourquoi pas ? Cela participe à la dynamique locale. Je songe à tout ce qui se fait en matière de lutte biologique. À La Réunion, il y a des expériences extraordinaires et souvent en avance par rapport à ce que l'on peut avoir en métropole, et cela participe à la production locale, à la production durable, à la baisse de l'usage des produits phytosanitaires dans toutes les serres de La Réunion. Ces exemples, ces filières d'excellence, y sont également. Concernant la taxe carbone, je ne vais pas pouvoir vous répondre précisément, car nous n'avons pas été sollicités là-dessus, nous n'avons pas travaillé dessus. Ce qui est clair, c'est que nous travaillons sur les coûts. Dès lors que nous avons des évolutions de coûts, ce sont des éléments que nous nous efforçons d'objectiver.

Ces éléments peuvent amener à faire évoluer les types d'appuis ou permettre d'avoir des justifications sur des applications différenciées dans les outre-mer. Sur la taxe carbone, à l'évidence, nous sommes sur des questions de surcoût, et sans doute de surcoût spécifique en outre-mer, avec les questions d'importation et de dépendance aux importations, notamment sur les engrais ou sur une majorité d'intrants. Cependant, nous ne les avons pas chiffrés, nous n'avons pas été sollicités en ce sens.

Une question est posée aussi assez clairement sur le FEADER. Malheureusement, il n'est pas complètement indépendant du sujet de la territorialisation. Je dis « malheureusement » parce que, à mon sens, ce sont des natures de difficultés qui sont complètement différentes. En ce qui concerne la mise en oeuvre du FEADER dans les territoires d'outre-mer, nous faisons face à des difficultés qui nous sont remontées. Les agriculteurs le disent assez clairement, et ce dans tous les territoires. Mais sur ce point, je vais devoir décliner ma responsabilité, parce que nous mettons en oeuvre le POSEI, mais nous ne mettons pas en oeuvre le FEADER. Cette responsabilité a été largement dévolue aux collectivités.

Je vous prie de m'excuser si je ne réponds pas de manière optimale à vos questions sur ce point mais c'est un sujet sur lequel nous n'intervenons pas.

M. Georges Naturel, président. - Nous savons tous très bien que c'est un sujet historiquement sensible dans nos départements d'outre-mer - nous parlions de la banane et de la canne.

Vous avez parlé des représentants au conseil d'administration des départements d'outre-mer et des « trois Saints ». Nous voyons une fédération des chambres d'agriculture du Pacifique qui s'organise - je parle là des PTOM, qui ne sont pas concernés par le POSEI, bien sûr. Pourquoi ne pas avoir une voix non délibérative au conseil d'administration pour profiter des expériences techniques ? Il peut être intéressant aussi de partager cela.

M. Jacques Andrieu. - Sur ce point, dans les perspectives financières européennes, la Commission européenne propose un doublement des aides pour les pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Ce doublement n'est sans doute pas indépendant du fait que le Groenland en fait partie, mais cela peut aussi bénéficier aux PTOM français. Nous sommes sur des montants qui sont sans commune mesure, mais c'est un élément positif.

Notre champ de compétence est normé par notre décret d'organisation. Nous ne travaillons pas sur le Pacifique.

Toutefois, les ministères nous ont demandé, dans le dernier contrat d'objectifs et de performance, de travailler davantage avec les territoires du Pacifique, dans une optique qui n'est pas celle du paiement des aides, mais plutôt celle de l'échange d'expériences. C'est ce que je vous citais, Monsieur le président : les représentants des territoires du Pacifique sont venus à notre colloque sur le changement climatique et ils ont apporté aux autres. Nous sommes vraiment sur de l'échange. Il y a une demande très forte de la part de ces territoires de participer au débat qui les concerne. Ils sont dans des conditions particulières, ils ne sont pas en Europe et ils n'ont pas les crédits du POSEI. En revanche, la question de leur participation au conseil d'administration avait été posée à certaines époques. Il peut y avoir réellement une part de frustration là où nous parlons surtout d'un programme POSEI qui ne leur est pas accessible.

La question peut donc se poser de savoir quand, comment et de quelle manière mieux travailler avec eux. C'est souvent au Salon de l'agriculture que cela se concrétise, car c'est le moment où nous les voyons, mais la question est effectivement posée. Des travaux ont été menés par l'observatoire afin d'établir des comparaisons avec les territoires du Pacifique.

M. Georges Naturel, président. - Merci beaucoup pour ces échanges très instructifs.

La réunion est close à 10h30.