« Mes chers collègues, j'ai le douloureux devoir de vous annoncer la mort de notre illustre collègue Berthelot. Le deuil du Sénat est aujourd'hui celui de la France , celui de l'humanité qui perdent en lui une force puissante de progression matérielle et morale.
« Créateur de la synthèse organique, il a, percevant, d'une vue géniale, l'union du monde minéral et organique, donné les moyens de reproduire les principes élémentaires qui se trouvent dans les êtres organiques et permis à l'homme de devenir lui-même un reconstructeur de la matière.
« Créateur de la thermochimie, il a permis de gouverner les forces mises en jeu par les actions moléculaires, créé la mécanique chimique et porté notre domination sur tout un monde de forces immenses. En 1885, notamment, il a fait la découverte mémorable de la fixation de l'azote atmosphérique par le sol, d'où sortira, peut-être, la transformation de l'alimentation humaine. Il unissait ainsi, dans l'effort encyclopédique de sa pensée, la mécanique, la physique, la chimie et la physiologie.
« Historien, il reconstituait, d'après les vieux manuscrits, la science de ses lointains ancêtres, les alchimistes grecs et du moyen âge.
« Philosophe, il a formulé dans des termes admirables son indestructible foi en la science ; il a réclamé pour elle « la direction matérielle, la direction intellectuelle et la direction morale des sociétés ».
« Homme de cœur, enfin, fortifiant son labeur de savant aux sources affectives, il s'était lié d'une immortelle amitié avec Renan, et il meurt frappé du même coup qui le séparait de la compagne de sa vie.
« Des hommes comme Berthelot, messieurs, prolongent, par-delà la mort, l'action durable de leur personnalité : la force de leur pensée se survit, en s'incorporant dans le patrimoine commun de l'humanité sont ils sont les bienfaiteurs.
« Saluons donc, avec respect, la tombe où ce puissant cerveau va dormir son repos éternel, et adressons à sa famille l'hommage de nos sympathies attristées ».