La fondation de la Gauche Démocratique au Sénat
Jusqu’au début du XXe siècle, les groupes n’avaient aucune existence réglementaire. Certes, les parlementaires étaient libres de se réunir pour préparer les débats, mais les orientations ou directives des partis ou groupements ne pouvaient pas être invoquées en séance et les règlements ne leur reconnaissaient aucun rôle ni fonction dans l’organisation du travail parlementaire. Les groupes ont fait l’objet d’une reconnaissance en 1910 à la Chambre des députés et en 1921 au Sénat par le rôle qui leur a été imparti dans la désignation des membres des commissions permanentes.
Aujourd’hui ils sont devenus des acteurs essentiels de l’organisation des assemblées et du débat parlementaire
Dès 1885 chaque année est publiée la "Liste des membres des trois groupes de la gauche du Sénat". Il s’agit du Centre gauche, de la Gauche républicaine, et de l’Union républicaine. Dans l’édition d’avril 1892 on voit apparaître la Gauche démocratique.
C’est en effet le 26 octobre 1891 que prend naissance le groupe de la Gauche démocratique lors d’une réunion à laquelle participent une quarantaine de sénateurs.
A l’issue de cette réunion, tenue à l’instigation d’Émile Combes, Arthur Ranc, nouveau sénateur de la Seine, est élu président. C’est lui qui, lors de cette réunion, fixe les frontières et l’esprit de la Gauche démocratique.
La création du groupe sénatorial de la Gauche démocratique s’inscrit dans les efforts de structuration du parti radical, qui marquent les dernières années du XIXe siècle et qui déboucheront en 1901 sur l’acte de baptême officiel du parti républicain, radical et radical-socialiste.
En 1892, le Centre gauche compte 32 membres, la Gauche républicaine 130, l’Union républicaine 87 et la Gauche démocratique 40. Après des débuts modestes, les progrès de la Gauche démocratique - devenue vers 1908 groupe de la Gauche démocratique radicale et radicale socialiste - furent rapides et elle devient la formation majoritaire au Sénat.
L’Annuaire du Parlement donne pour l’année 1912, la répartition des groupes suivante :
- Groupe de la droite : 22 membres
- Groupe de la gauche démocratique radicale et radicale-socialiste : 166 membres
- Groupe de la gauche républicaine : 44 membres
- Groupe de l’Union républicaine : 58 membres
- Indépendants ou non inscrites : 18 membres
Ce groupe conservera sa supériorité numérique pendant toute l’entre-deux guerres, et comptera ainsi 159 membres en 1938.
Véritable axe politique du Sénat, la Gauche démocratique a toujours voulu se situer à égale distance des partisans de la subversion sociale et des contempteurs des institutions républicaines. Fidèle à ses origines, le groupe l’est demeuré quant à ses convictions. Issu de la tradition politique et parlementaire française, il a toujours défendu les grandes libertés fondamentales : liberté d’expression, liberté de la presse, liberté syndicale.
La Gauche démocratique a été le parti de la séparation de l’Église et de l’État, de l’instruction primaire et secondaire gratuite et de l’impôt sur le revenu.
Bien des personnalités marquantes ont fait partie de ce groupe dans la première moitié du XXème siècle
- Georges Clémenceau, radical issu du Terroir vendéen, chef du Gouvernement aux heures terribles de la grande guerre, orateur redoutable et patriote véritable ;
- son ami Léon Bourgeois, défenseur d’une vision efficace de la Société des Nations ;
- Édouard Herriot, champion de la société des Nations, président du parti radical pendant plus de 30 ans ;
- Gaston Doumergue, figure emblématique de la sagesse radicale qui permit à la France, en 1934, de conserver la République ;
- Joseph Caillaux, aussi intelligent que distant et en avance sur son temps ;
- Albert Sarraut, incarnation politique de la terre d’élection toulousaine d’un radicalisme fait de convictions et de convivialité partagées ;
- Henri Queuille, véritable représentant de ces classes moyenne qui ont fait la République.
Des six présidents de la IIIe République issus du Sénat, quatre étaient inscrits à la Gauche démocratique : Émile Loubet, Armand Fallières, Gaston Doumergue et Paul Doumer.
De Arthur Ranc en 1892 à Guy-Pierre Cabanel à l’époque actuelle, le groupe aura connu 24 présidents dont le président Gaston Doumergue.
Le plus long mandat fut celui de Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, qui occupa le fauteuil de président pendant 19 ans, de 1924 à 1943. Vice-président du Sénat et doyen d’âge, ses avis étaient écoutés et les conseils liés à son expérience recherchés.
Le groupe de la Gauche démocratique, devenu en mars 1989 groupe du Rassemblement démocratique européen, prendra en septembre 1995 l’appellation de groupe du Rassemblement démocratique et social européen. Il compte actuellement 23 membres.