Audition de M. Bruno Van Dooren, Président de l'association des bibliothèques universitaires et de Mme Arlette Pailley-Katz, Vice-Présidente

Jeudi 19 mars 1998


M. Bruno Van Dooren a, dans un premier temps, présenté l'association des directeurs de bibliothèques universitaires (ADBU), rappelant qu'elle regroupait les directeurs mais également les chefs de service responsables de sections documentaires, au sein des bibliothèques universitaires, soit environ 170 membres, sur les 800 que compte le corps des conservateurs de bibliothèques.

Il a exposé la position de l'ADBU sur la situation des bibliothèques universitaires françaises, qui peut être résumée en deux points :

·  d'une part, cette situation s'est, depuis le rapport Miquel, nettement améliorée, même si elle reste fragile : l'informatisation des bibliothèques universitaires, notamment, a beaucoup progressé ;

·  d'autre part, le discours récurrent sur "la misère des bibliothèques universitaires" a certes été mobilisateur mais il constitue aujourd'hui un handicap, l'image de bibliothèques dépourvues de tout moyen continuant à être propagée, par la presse notamment : la réalité est actuellement beaucoup plus nuancée eu égard aux fortes disparités existant dans ce domaine.

M. Jean-Philippe Lachenaud a expliqué que la mission qu'il avait entreprise avait justement pour ambition d'exposer la situation des bibliothèques universitaires.

M. Bruno Van Dooren a affirmé que la rhétorique de la pénurie nuisait considérablement au monde universitaire français dans son ensemble. Il a reconnu que les comparaisons avec l'étranger étaient fréquentes, mais a estimé qu'elles n'étaient pas nécessairement pertinentes, en raison des divergences pouvant exister dans les modalités de financement des bibliothèques. Ainsi, en France, les moyens des bibliothèques universitaires sont des moyens de l'Etat, l'université elle-même, malgré l'augmentation de la part des ressources propres dans le budget global, n'y ajoutant rien. En outre, les bibliothèques universitaires ne constituent pas suffisamment un enjeu des négociations contractuelles menées entre l'université et l'Etat, ce qui ne contribue guère à mobiliser les universitaires sur l'attribution de moyens aux bibliothèques. Enfin, de manière à éviter la dispersion documentaire (il existe par exemple plus de 50 bibliothèques de statuts divers à l'université Paris IV) et à encourager la mutualisation des moyens, l'autonomie des universités devrait permettre la mise en oeuvre et la poursuite de remembrements documentaires.

M. Bruno Van Dooren a expliqué que l'ADBU s'était penchée sur le plan Université pour le troisième millénaire (U3m), afin de ne pas renouveler l'erreur du plan Université 2000, qui n'avait accordé qu'une importance toute relative aux locaux de bibliothèques universitaires, ces dernières ayant trop fait l'objet de micro-opérations. L'ADBU rassemble les demandes des directeurs des bibliothèques universitaires parisiennes, pourvu qu'elle soient réalistes, puis les transmet à la sous-direction des bibliothèques et à la direction de la programmation du ministère de l'Education nationale.

M. Jean-Philippe Lachenaud a voulu savoir si le calendrier du plan U3m était déjà connu, et si son coût était évalué .

M. Bruno Van Dooren a expliqué que, selon ses propres informations, les premières échéances de ce programme devraient être connues au mois de juin.

Mme Arlette Pailley-Katz a reconnu que son coût, s'il n'était pas encore déterminé, serait probablement élevé, eu égard au déficit de locaux constaté, et évalué par le rapport Fauroux à 900.000 mètres carrés en France, dont 250.000 en Ile de France.

M. Bruno Van Dooren a, ensuite, fait part des inquiétudes de l'ADBU quant à la place qu'occuperaient les bibliothèques universitaires dans le plan U3m ; elles sont au nombre de trois :

·  le volet sécurité des locaux, s'il est important, doit être accompagné d'un volet fonctionnel, sans lequel les rénovations réalisées seraient inutiles pour les étudiants comme pour les enseignants-chercheurs ;

·  le souhait, parfois exprimé, de distinguer bibliothèques universitaires pour les premiers et deuxièmes cycles, d'une part, et bibliothèques pour la recherche, d'autre part, est illusoire : en effet, si la méthodologie documentaire est différente, les réseaux et les matériels informatiques, en revanche, sont les mêmes ; en outre, la thèse de la spécificité de la recherche n'est probablement qu'un prétexte utilisé par certains centres et destiné à leur permettre d'acquérir une documentation propre, sans avoir le souci ni les capacités de l'identifier, de la conserver, et de la diffuser alors que le rôle de la bibliothèque universitaire est exactement inverse : elle est au service de l'ensemble de la communauté universitaire, même si l'absence de politique documentaire des universités françaises, à la différence des universités américaines, britanniques ou allemandes, est patente ; enfin, le concept de bibliothèques de premier cycle est une facilité de l'esprit censée, à tort, régler le problème de l'accueil des nouveaux étudiants, mais qui ne leur offre ni un lieu calme propice aux études, ni l'opportunité de se former à la méthodologie documentaire, notamment l'aptitude à trouver rapidement une information ;

·  le risque de dispersion documentaire est grand, surtout à l'heure des technologies nouvelles : la priorité doit être donnée à la réalisation, non de bureaux personnalisés, mais de bureaux polyvalents et banalisés.

M. Jean-Philippe Lachenaud a souhaité connaître les besoins en matière de personnels des bibliothèques.

M. Bruno Van Dooren a répondu que les effectifs étaient très insuffisants, estimant qu'ils étaient, en valeur relative, deux fois et demi moindres qu'en Allemagne.

Mme Arlette Pailley-Katz a expliqué que le resserrement des effectifs de catégorie B avait des conséquences très dommageables sur le fonctionnement des établissements, les tâches techniques accaparant les personnels de catégorie A, au détriment de leurs tâches de gestion et d'encadrement.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est interrogé sur une éventuelle modification des textes relatifs aux services communs de documentation.

M. Bruno Van Dooren a rappelé que les services communs de documentation étaient régis par un décret du 4 juillet 1985 modifié en 1991, et qu'il n'était pas complètement appliqué par toutes les universités, certaines bibliothèques n'étant parfois ni "associées" ni "intégrées" selon les termes du décret. Cependant, cette question ne constitue pas une priorité pour l'ADBU, des projets ayant été accomplis dans le sens d'une fédération des moyens par les SCD et les services inter-établissements de coopération documentaire (SICD). Les textes sont un bon outil pour engager et faciliter la coopération.

M. Jean-Philippe Lachenaud a souhaité connaître les modalités de gestion du corps des conservateurs de bibliothèques.

M. Bruno Van Dooren a précisé que le corps des conservateurs, qui est un corps interministériel, était numériquement peu important et qu'il était géré au niveau national, cette situation étant tout à fait convenable, même si la mobilité gagnait à être accrue et la notion de profil d'emploi développée.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est interrogé sur la façon dont les bibliothèques universitaires s'adaptaient aux nouvelles technologies.

M. Bruno Van Dooren a estimé que les bibliothèques géraient convenablement l'évolution des technologies, dix bibliothèques universitaires donnant désormais un accès immédiat à leurs catalogues sur Internet ; le réseau SIBIL sera également bientôt accessible sur le Web. Le projet de catalogue collectif des bibliothèques de l'enseignement supérieur (SUD) doit être réalisé prioritairement.

Puis, il a apporté deux précisions relatives aux documents électroniques :

- les documents en tant que tels sont constitués de revues sur CD-Rom ou sont disponibles en lignes ;

- les catalogues permettent d'identifier les documents, la rétroconversion permettant de les présenter sous forme électronique et non plus seulement sur papier.

M. Bruno Van Dooren a insisté sur la nécessaire production d'outils de formation et d'auto-formation, indispensables pour se retrouver dans le labyrinthe qu'est Internet, beaucoup de ses utilisateurs ne trouvant pas l'information recherchée ou croyant l'avoir trouvée sans qu'elle ait été contrôlée : le rôle de la bibliothèque universitaire est alors de sélectionner les bons sites, c'est-à-dire de construire l'information, fournie sous forme brute.

Mme Arlette Pailley-Katz a ajouté que la formation de l'esprit critique visait à ne pas se laisser illusionner par la pléthore d'informations.

M. Jean-Philippe Lachenaud a relevé que l'adaptation aux technologies nouvelles nécessitait des investissements, notamment en matériels, très importants, et a exprimé sa crainte, dès lors, de voir les budgets exploser.

M. Bruno Van Dooren a reconnu que ce coût serait effectivement élevé, mais a fait part de sa certitude du caractère indispensable de ces investissements, même s'il faut évidemment les réaliser de manière rationnelle : c'est pourquoi l'ADBU milite pour la mutualisation des moyens par la création de "centres de ressources" ou de "consortiums d'utilisateurs" par exemple.

M. Bruno Van Dooren a noté que, en matière d'acquisitions, l'effort avait été considérable, les bibliothèques universitaires ayant acquis 840.000 volumes en 1996, au lieu de 350.000 en 1988, et 100.000 abonnements contre 65.000, même si les coûts des abonnements, notamment scientifiques et médicaux, en provenance des Etats-Unis, fluctuaient à la hausse.

Mme Arlette Pailley-Katz a ajouté que l'augmentation de plus de 50 %, sur deux ans, du coût des abonnements médicaux mettait en péril la continuité de certains abonnements.

M. Jean-Philippe Lachenaud a demandé où en était l'ouverture des bibliothèques universitaires.

M. Bruno Van Dooren a estimé que les bibliothèques universitaires devaient, en priorité, se consacrer à leurs missions de service public universitaire, mais que leur ouverture dépendait avant tout des relations qu'elles sauraient entretenir avec les collectivités territoriales, les élus locaux étant, selon lui, les plus à même de sensibiliser les présidents d'université sur la nécessité de valoriser le patrimoine documentaire.

Mme Arlette Pailley-Katz a ajouté que d'importantes réalisations pouvaient être citées en matière de mise en réseau de bibliothèques universitaires et de bibliothèques municipales, comme à Saint-Etienne ou à Valence.

M. Bruno Van Dooren, abordant des questions de droit, a regretté le poids de multiples droits imposés aux bibliothèques par le syndicat national de l'édition.

Il a précisé que l'ADBU conduisait des négociations visant à parvenir à l'élaboration d'un tarif forfaitaire minimal, et qu'elle estimait que, dans le projet de directive européenne sur la société de l'information, les bibliothèques étaient insuffisamment exemptées de droits d'auteurs. Il a ajouté que la négociation était conduite par le ministère de la culture, qui prenait donc davantage en considération les intérêts des éditeurs que ceux des bibliothécaires ; c'est pourquoi l'ADBU propose, aux côtés des associations de bibliothécaires français et européens, un certain nombre d'amendements au projet de directive.

M. Bruno Van Dooren a conclu en faisant part de trois remarques de l'ADBU :

- une éventuelle loi sur les bibliothèques, dont il est question de manière récurrente, devrait insister sur le caractère professionnel du métier de bibliothécaire et favoriser l'accès des bibliothèques à l'information ;

- le rôle de l'Inspection générale des bibliothèques est considérable, mais son statut manque de clarté juridique ;

- des emplois-jeunes devraient être créés dans les bibliothèques universitaires, essentiellement sur des métiers techniques de développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication.