Tarifs réglementés de l'électricité et du gaz

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques, sur la proposition de loi tendant à autoriser les consommateurs particuliers à retourner au tarif réglementé d'électricité présentée par M. Ladislas Poniatowski et plusieurs de ses collègues, sur la proposition de loi tendant à autoriser la réversibilité de l'exercice des droits relatifs à l'éligibilité pour l'achat d'énergie électrique présentée par M. Xavier Pintat et plusieurs de ses collègues et sur la proposition de loi tendant à préserver le pouvoir d'achat des ménages en maintenant les tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz naturel présentée par M. Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Discussion générale

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Notre commission des affaires économiques était saisie de trois propositions de loi traitant essentiellement de la question des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz naturel, dont bénéficient les consommateurs n'ayant pas fait le choix de la concurrence pour leur approvisionnement énergétique.

La première de ces propositions, déposée par mes soins le 5 juillet, est consacrée exclusivement aux tarifs d'électricité, tout comme celle de M. Pintat, dont le champ d'application est plus large. La troisième proposition, déposée la semaine dernière par nos collègues socialistes, traite également la forme juridique des entreprises EDF et GDF.

Nous avons légiféré sur les tarifs réglementés il y a moins d'un an. Ce texte, qui autorisait la privatisation de Gaz de France, comportait des dispositions relatives au système tarifaire afin d'adapter notre appareil juridique à l'échéance du 1er juillet 2007, date de l'ouverture totale à la concurrence des marchés énergétiques. En effet, sans modification de la législation nationale, notre système tarifaire aurait pu être remis en cause à l'occasion du premier contentieux venu devant les instances européennes.

Le texte adopté par le Parlement a été déféré devant le Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, pour des motifs tenant à la privatisation de GDF. Le juge constitutionnel s'est saisi d'office du volet tarifaire de la loi, dont il a estimé qu'en imposant aux opérateurs historiques des « obligations tarifaires générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service publi » il avait méconnu « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz ». Sur ces motifs, le Conseil a partiellement censuré l'article incriminé, jugeant que le mécanisme était incompatible avec les directives et que tout consommateur d'électricité ou de gaz avait vocation, à terme, à s'alimenter exclusivement sur le marché libre.

Les conséquences de cette décision vont conduire à des incohérences dans l'application des tarifs, qui seront injustes pour nos concitoyens. En effet, le choix de la concurrence pour l'approvisionnement en électricité ou en gaz dans un logement donné devient irréversible et fait perdre définitivement à ce logement le bénéfice des tarifs réglementés, y compris pour tous ses occupants ultérieurs. Ceux-ci seront à tout jamais liés par une décision qu'ils n'auront jamais prise. Cet état de fait est injuste pour les ménages n'ayant jamais souhaité quitter les tarifs et il méconnaît la philosophie de la directive qui fait de l'exercice de l'éligibilité un choix personnel et libre, en aucun cas une obligation.

De surcroît, rien n'a été modifié dans notre législation immobilière pour informer les occupants suivants d'un logement, qu'ils soient candidats à la location ou à l'accession, de sa situation au regard des tarifs. Rien ne prévoit non plus que le propriétaire du logement sera associé au choix du locataire, ce qui serait pourtant justifié compte tenu du caractère irréversible de la décision et de ses conséquences sur l'attractivité du bien immobilier. J'ajoute que conditionner la possibilité pour un locataire de quitter les tarifs à l'accord du propriétaire serait contraire aux directives européennes.

Au regard de l'expérience vécue par les consommateurs professionnels qui ont quitté les tarifs et vu leur facture énergétique exploser, il me semble essentiel de maintenir de larges possibilités d'accès aux tarifs pour nos concitoyens, dans un souci de préservation de leur pouvoir d'achat. (On se gausse sur les bancs socialistes)

Les trois propositions de loi tentent de remédier à ces dysfonctionnements. Elle ont en commun de permettre à tout ménage emménageant dans un logement de bénéficier des tarifs réglementés d'électricité, que le choix de la concurrence ait ou non été exercé dans ce logement. Elles divergent sur plusieurs points, sur lesquels il nous a fallu arbitrer.

Nous n'avons pas jugé opportun de légiférer à nouveau pour les gros consommateurs professionnels puisque des solutions spécifiques ont été trouvées ces dernières années pour atténuer le choc de la hausse des prix de l'électricité sur les marchés. J'ai néanmoins examiné la proposition de M. Ollier tendant à étendre le bénéfice du dispositif aux petits consommateurs professionnels et déposé un amendement en ce sens.

Fallait-il une date butoir pour l'application du dispositif ? Votre commission juge essentiel de ne pas braquer la Commission européenne sur le dossier tarifaire alors que deux contentieux nous opposent. Le premier concerne les tarifs « vert » et « jaune » dont bénéficient les entreprises et dont la Commission estime qu'ils ne sont pas conformes aux directives, car ils conduiraient à la fixation de prix de vente artificiellement bas, freinant la concurrence et l'investissement. Un second contentieux concerne les aides d'État. Cette procédure est très grave car en cas d'aboutissement elle pourrait contraindre les entreprises ayant bénéficié des tarifs à rembourser aux producteurs la différence entre tarifs et marché. Vous imaginez les nombreuses faillites d'entreprises qui pourraient en résulter. Pour ces raisons, nous avons estimé nécessaire de limiter au 1er juillet 2010 l'applicabilité de notre dispositif ; cette date donnerait au gouvernement assez de temps pour négocier une modification des directives.

Fallait-il inclure les tarifs de gaz naturel, comme le souhaitent nos collègues socialistes. Certes, l'enjeu en termes de pouvoir d'achat était moindre pour le gaz naturel puisque la différence entre les tarifs et les prix est inférieure à 10 %. Nous souhaitons le régime le plus uniforme possible entre ces deux énergies, dans un souci de simplicité et de lisibilité. En conséquence, nous avons également élargi les possibilités de retour au tarif de gaz naturel en cas de déménagement.

Fallait-il instituer une possibilité d'aller et retour entre tarifs et marchés, comme le propose M.  Pintat  ? Nous avons considéré que son adoption aurait des conséquences très significatives sur le marché de l'électricité, ce qui fragiliserait la position française face à la Commission européenne. Ce droit de retour au tarif n'a jamais été expérimenté en droit français et risquerait effectivement de conduire les entreprises ayant exercé leur éligibilité à retourner chez EDF, seule entreprise autorisée à fournir au niveau des tarifs, ce qui supprimerait toute concurrence sur le marché français. Jamais la Commission n'accepterait un dispositif produisant de tels effets !

Nous avons rejeté les dispositions de la proposition socialiste qui ne concernaient pas les tarifs réglementés. Il s'agissait de la fusion entre EDF et GDF, écartée pour des raisons abondamment évoquées en 2004 et en 2006. Je rappelle quelques chiffres : 15 et 7 milliards, c'est le coût pour les finances publiques d'une opération de rachat des actions d'EDF et de GDF mises en bourse depuis 2004 : 15 %, ce serait le montant des cessions d'actifs auxquelles on devrait procéder pour obtenir l'autorisation de cette fusion. Voilà qui justifie notre avis défavorable. Il en est de même sur le contrat de service public.

Nous restons résolument attachés au tarif règlementé car il y va du maintien du pouvoir d'achat même si seulement 4 000 ménages sur 26 millions ont utilisé leur droit d'option. Plus fondamentalement, le partisan du marché que je suis croit aussi que l'État doit en réguler le fonctionnement.

M. Jean-Pierre Raffarin. - Très bien.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les effets pervers...

M. Thierry Repentin. - Quel aveu !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - ... appellent à la prudence. Voilà l'esprit dans lequel la commission présente ses conclusions. (Applaudissements à droite)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - L'ouverture du marché de l'électricité et du gaz s'inscrit dans le cadre de la construction d'un grand marché européen initié par les directives de 1996 et 1998, complétées en 2003. La France, qui a participé à ces débats, a transposé ces directives. Le choix d'une ouverture programmée s'est traduit par les lois des 10 février 2000, 3 janvier 2003, 9 août 2004 et 7 décembre 2006. Depuis le 1er juillet 2007, les marchés de l'électricité et du gaz sont ouverts à la concurrence et tout consommateur, professionnel ou particulier, est libre de choisir son fournisseur.

La France s'est pleinement inscrite dans le mouvement de construction d'un marché européen assurant la sécurité de l'approvisionnement à des prix compétitifs. Cependant, la loi du 7 décembre 2006, qui permet aux consommateurs domestiques d'exercer leur éligibilité, présente des imperfections et des incohérences depuis la censure du Conseil constitutionnel. Certes peu de consommateurs domestiques ont choisi une offre alternative mais en ce cas, les occupants suivants de leur logement n'ont plus la possibilité d'opter pour les tarifs règlementés, quels que soient leur propres choix antérieurs. Cela inquiète aussi les propriétaires : ne verrait-on pas, si la loi restait inchangée, apparaître un double marché immobilier ?

Sollicitée en juillet dernier, Mme Lagarde a souhaité, comme M. Borloo, la recherche d'une solution juste et cohérente. C'est ce que propose votre commission avec l'application de la règle fameuse site-personne : l'occupant d'un logement ne serait pas tenu par la décision de l'occupant précédent. Cette disposition de bon sens assure un bon équilibre entre droit d'éligibilité et droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel avait en 2006 censuré la règle site-personne à laquelle il reprochait de ne pas être limitée dans le temps. Votre commission limite donc la mesure au 1er juillet 2010. Cette date, cohérente avec la loi sur le logement opposable, marque le souci de simplification de votre rapporteur.

Pour autant, les tarifs règlementés ne disparaîtront pas en 2010.

M. Daniel Raoul. - Ho !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Aucun texte communautaire ne le demande...

M. Thierry Repentin. - Pas encore !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Le dispositif transitoire proposé par la commission remédie à une situation incohérente et injuste créée par la censure du Conseil constitutionnel. Le gouvernement peut s'en accommoder. Aller au-delà pourrait fragiliser la position équilibrée de notre pays. Les risques juridiques conduisent le gouvernement à s'en remettre à la sagesse du Sénat tout en soulignant la qualité du travail de la commission et de son rapporteur. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Daniel Raoul. - Depuis le 1er juillet dernier, les ménages français peuvent choisir de quitter leur opérateur historique pour accepter une offre de marché. L'ouverture totale du marché se traduit par la perte d'accès au tarif règlementé pour eux-mêmes comme pour les occupants ultérieurs de leur logement. En octobre 2006, nous avions fermement dénoncé les risques d'ouverture totale. C'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a décidé en 2002 de totalement libéraliser le marché de l'électricité et du gaz, ce à quoi le précédent gouvernement s'était opposé. En cette année Alzheimer, permettez-moi de rappeler que lors du conseil de Barcelone, le gouvernement de Lionel Jospin avait refusé l'accélération du calendrier de libéralisation souhaitée par la commission. Après d'âpres négociations, l'ouverture avait été limitée aux professionnels et aux entreprises et le principe d'une directive cadre sur les services d'intérêt général avait été acquis.

L'électricité n'est pas un produit comme les autres. C'est un produit de service public qui mériterait des dispositions de même nature que celles qui ont été retenues pour l'eau.

La construction européenne devait ainsi reposer sur d'autres fondements que les mécanismes du marché et les lois de la concurrence. Alors que les doutes quant à l'efficacité de la concurrence sur la baisse des prix se renforçaient, la poursuite de l'ouverture était ainsi bloquée et les ménages, exclus du processus de libéralisation, pouvaient bénéficier de tarifs réglementés, bien inférieurs aux prix du marché. Le 16 mars 2002, le Premier ministre précisait que l'expérience d'ouverture à la concurrence en Suède et en Grande-Bretagne n'avait pas conduit, au contraire, à une baisse des prix et rappelait qu'il existait en France un service public garantissant égalité d'accès et péréquation. M. Chirac lui-même se déclarait opposé à l'ouverture pour les ménages, affirmant, dans une conférence de presse donnée à l'issue du Conseil européen, que s'il était normal que les entreprises puissent faire jouer la concurrence, il n'était pas admissible d'aller plus loin.

Mais quelques mois plus tard, le nouveau gouvernement balayait d'un revers de main ce qui venait d'être obtenu à grand peine. Le 25 novembre 2002, lors d'un Conseil énergie, Nicole Fontaine, ministre chargée de l'Industrie, acceptait que la date butoir pour l'achèvement du marché intérieur de l'électricité et du gaz soit fixée au 1er juillet 2007.

M. Thierry Repentin. - Capitulation ! (M. Courteau renchérit)

M. Daniel Raoul. - Cependant, face à l'envolée des prix de l'électricité sur les marchés des entreprises, plusieurs initiatives ont été prises pour préserver les tarifs réglementés d'électricité, mais qui restent des palliatifs transitoires, puisque la Commission européenne conteste aujourd'hui la régulation tarifaire et prône l'abandon pur et simple de la réglementation des tarifs de l'électricité et du gaz.

Alors qu'une orientation politique claire était requise, la France, par son attitude, a ouvert la voie au tout concurrentiel et permis le déclenchement de mécanismes d'infraction à son encontre.

Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel a récemment censuré les dispositions relatives à la préservation des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz pour les logements anciens et pour tout nouveau site de consommation, considérant que de telles dispositions, en imposant aux opérateurs historiques et à eux seuls des « obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public » étaient discriminatoires et contraires à l'objectif d'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz fixé par les directives. Cela ne signifie rien d'autre que la disparition, à terme, des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz.

Or comme le soulignent les rapporteurs de notre mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité, il appartient à la seule Cour de justice des Communautés européennes de préciser dans quelle mesure les tarifs réglementés sont compatibles avec les directives, lesquelles « ne s'opposent pas à l'existence de tarifs dès lors qu'ils couvrent les coûts ».

Avec son parc nucléaire, la France est capable de produire une électricité bon marché, y compris si l'on tient compte des investissements nécessaires pour le démantèlement des sites et le traitement des déchets. Or, l'abandon des tarifs réglementés se traduirait par une hausse des prix, préjudiciable à l'ensemble des consommateurs : (M. Courteau le confirme) perte de compétitivité des entreprises, hausse de la facture des administrations, des collectivités territoriales et baisse du pouvoir d'achat des ménages.

La mise en cause communautaire de ces tarifs au titre des aides procède d'une véritable incompréhension. Comment parler de subvention quand le tarif couvre les coûts de production ? Comment parler de distorsion de concurrence, sauf à ne retenir que des prix de marchés déconnectés de la réalité économique ? Comment ne pas s'inquiéter des conséquences, pour le consommateur, de l'abandon des tarifs ? Le marché, conclut la mission d'information, ne peut en aucun cas servir de modèle unique de fixation des prix de l'électricité. Il ne pourrait le faire qu'à l'issue d'un mouvement général de convergence des mix énergétiques des États membres de l'Union européenne, accompagné d'un fort développement des interconnexions. Or, cette harmonisation est loin d'être en marche, compte tenu des réticences de la plupart des pays européens -pourtant prompts à se fournir chez nous- à installer des centrales nucléaires sur leur territoire. Et je veux rendre hommage à un Premier ministre récemment décédé, Pierre Messmer, qui contre vents et marées, a, dès 1974, imposé le choix du parc électronucléaire français, que dénonçaient pourtant nombre d'experts autoproclamés. (Applaudissements sur les bancs de l'UMP)

M. Jean Desessard. - Applaudissements à droite !

M. Daniel Raoul. - La mission d'information estime qu'il ne saurait être question de perdre l'avantage, pour le consommateur, du choix du nucléaire.

Se pose en revanche la question de la répartition de la rente nucléaire dont le montant est évalué à 9 milliards par an. Peut-elle faire l'objet d'une appropriation privative par les actionnaires ? Doit-elle être redistribuée, par le biais de tarifs préférentiels, aux nouvelles entreprises de négoce d'électricité entrant sur le marché ? Ou doit-elle, en toute transparence et au bénéfice de l'intérêt général, profiter au consommateur final par le biais d'un système tarifaire réglementé, au financement des missions de service public et aux investissements dans l'entreprise ?

M. Roland Courteau. - C'est la sagesse.

M. Daniel Raoul. - Dans Futurible du 25 mai 2007, M. Boiteux, en connaisseur, précisait que l'électricité constitue un cas d'école qui, comme tous les grands services de réseaux, notamment du fait des monopoles naturels, fait douter de l'efficacité des recettes purement libérales. Dans le New York Times du 4 septembre 2007, l'on apprend qu'une décennie après l'ouverture à la concurrence, nombre d'États qui avaient souscrit aux processus de marché font aujourd'hui marche arrière. Seule la Californie envisage de poursuivre. Les statistiques du département de l'énergie font apparaître que le prix de l'électricité dans les États ayant adopté la libéralisation a augmenté plus vite que les tarifs régulés.

Quand cesserez-vous de vouloir avoir raison contre le reste du monde ? Fixer une date-butoir à 2010, pour qui entend préserver le pouvoir d'achat des consommateurs, c'est se coucher avant d'avoir entamé la bataille.

Quant au secteur du gaz, la récente fusion de GDF et de Suez fait peser de sérieux risques sur le système tarifaire réglementé. Les sénateurs socialistes tiennent à réaffirmer leur opposition à cette fusion, décidée par le Président de la République, contrairement à l'engagement pris lorsqu'il était ministre des finances.

M. Roland Courteau. - Exact !

M. Daniel Raoul. - Il s'était engagé à ce que l'État ne détienne pas moins de 70 % du capital de Gaz de France. M. Chirac a pris un engagement similaire à Barcelone, de même que le ministre, ici même, en présence de M. Raffarin, lors d'une séance de questions au gouvernement. Quand faut-il vous croire ?

Vous vous alignez avant de livrer le combat, parce que vous tenez pour le dogme de la concurrence. La suppression des tarifs réglementés n'est pas explicitement demandée par les directives européennes. Souhaitez-vous vraiment encourager la concurrence pour faire baisser les prix ou recherchez-vous plutôt l'augmentation des prix pour servir la concurrence ? Seuls trois États européens, dont la France, ont opté pour l'irréversibilité. Quatorze membres de l'Union européenne ont conservé des tarifs réglementés à côté du marché libre. Trois autres États se sont limités aux petits consommateurs.

Les amendements que nous présenterons ont pour but de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs, et leur liberté de choix grâce à la réversibilité. Ils sont justifiés économiquement car le marché ne fonctionne pas. Ils s'inscrivent dans un discours d'ouverture. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Raffarin. - Qui contient beaucoup d'inexactitudes !

M. Xavier Pintat. - C'est le grand paradoxe du moment. Alors que la France ouvre totalement ses marchés du gaz et de l'électricité, le Sénat inscrit à ses débats la question des tarifs réglementés. Sommes-nous de si mauvais élèves européens pour nous entêter à contrarier la logique du marché en aménageant un droit de retour ? Non, car le processus de libéralisation du marché est irréversible. Les procédures lancées par la Commission européenne à l'encontre des tarifs réglementés ne visent pas leur existence même, mais leur application indistincte, et la nécessité de couvrir les coûts de production et d'approvisionnement.

Le texte préparé par M. Poniatowski est excellent, mais nous nous interrogeons sur les conditions d'exercice de l'éligibilité pour les consommateurs. Sur ce point, les trois propositions de loi ainsi que le texte du rapporteur se rejoignent afin d'éviter que le consommateur puisse basculer involontairement sur le marché. Il s'agit de corriger une aberration issue de la loi du 7 décembre 2006 : un consommateur domestique pourrait être contraint d'exercer son éligibilité en s'installant dans un logement du fait de l'option prise par l'occupant précédent.

Les fondamentaux diffèrent pour le secteur gazier, car les solutions applicables à l'un ne sont pas forcément transposables à l'autre.

M. Xavier Pintat. - Cette disposition devrait écarter les risques de contentieux entre les bailleurs et les locataires, l'irréversibilité de l'exercice de l'éligibilité pour un site immobilier étant de nature à compromettre sa valeur patrimoniale. Elle n'aura pourtant qu'une efficacité provisoire puisqu'elle prendra fin dans moins de trois ans.

Dans le contexte actuel, l'exercice de l'éligibilité s'avère pratiquement impensable puisqu'il implique de s'exposer définitivement à un risque élevé de hausse de prix sans garde-fou.

M. Daniel Raoul. - Vous l'avouez !

M. Xavier Pintat. - Moins de 7 % des consommateurs ont fait ce choix alors que l'ouverture à la concurrence date du début des années 2000 et s'est généralisée en 2004. Il est donc vraisemblable que l'ouverture du marché demeure purement théorique, au détriment des offres alternatives intéressantes, voire innovantes, notamment en termes de services associés.

Simultanément, les entreprises qui ont eu le courage d'investir dans la fourniture d'électricité risquent d'être pénalisées par l'absence de décollage du marché et la faiblesse de leur chiffre d'affaires. Les acteurs du système électrique sont de plus en plus nombreux à souhaiter que soit autorisée une vraie réversibilité de l'exercice des droits relatifs à l'éligibilité, c'est-à-dire que le consommateur puisse revenir au tarif réglementé après s'être approvisionné un certain temps sur le marché.

Les collectivités organisatrices de la distribution d'électricité et, plus largement, les collectivités locales, la commission de régulation de l'énergie, les organisations de défense des consommateurs résidentiels et professionnels se sont déclarées favorables à une telle évolution, qui stimulerait le processus d'ouverture à la concurrence.

Du point de vue économique, la réversibilité rassurerait les consommateurs et les inciterait à tester le marché, ce qui favoriserait l'émergence de nouvelles offres plus inventives du point de vue de l'efficacité énergétique et de la valorisation des sources renouvelables. Elle préserverait l'influence régulatrice en termes de prix et de sécurité d'approvisionnement de la production électronucléaire à laquelle sont adossés les tarifs réglementés, à condition qu'ils couvrent les coûts correspondants. C'est le cas du tarif bleu, dont le niveau n'a été contesté ni par notre commission de régulation de l'énergie ni par la Commission européenne, et qui s'applique aux petits consommateurs professionnels et aux consommateurs domestiques. Notre premier amendement inclut ces deux catégories de consommateurs dans le champ de la réglementation relative à la réversibilité, ce qui permettrait de résoudre la question du service universel de l'électricité, conformément à la directive européenne de 2003 sur l'électricité. Ce service universel n'est pas actuellement prévu en France pour ceux des petits consommateurs qui auraient exercé leur éligibilité, et qui éprouveraient ensuite des difficultés à trouver un fournisseur dans des conditions économiques raisonnables. Tout cela est affaire de bon sens. Parmi les dix-sept États membres de l'Union européenne appliquant des tarifs réglementés pour l'électricité, la France constitue une exception. Selon une récente étude de l'ERGEG (groupe des régulateurs européens), elle est le seul pays parmi ceux où coexistent des tarifs réglementés et des prix de marché à ne pas autoriser la réversibilité aux ménages et aux petits professionnels. Au Danemark, en Italie, en Allemagne par exemple, la réversibilité totale est admise sans aucun problème. Le droit communautaire n'évoque à aucun moment la réversibilité et la Commission européenne n'a engagé aucune procédure à l'encontre des très nombreux États membre qui la pratiquent. (MM. Raoul et Repentin applaudissent.)

M. Ladislas Poniatowski. - Il y a une raison à cela.

M. Xavier Pintat. - Nous devons être attentifs à ne pas freiner la résolution de nos différends avec l'Union européenne, c'est pourquoi la proposition de loi de notre Commission limite l'application de son dispositif au 1er juillet 2010.

Mon second amendement vous propose d'accorder, jusqu'en 2010, à l'ensemble des consommateurs au tarif bleu la réversibilité de l'exercice de leur éligibilité. A défaut, le marché de l'électricité demeurera factice. Seules 3 500 demandes de changement de fournisseurs ont été enregistrées par ERD, filiale de distribution d'EDF, cet été. Le système électrique devra donc supporter en pure perte les coûts considérables des investissements et des mesures d'adaptation consentis au nom de l'ouverture à la concurrence. Les fournisseurs alternatifs seront confrontés à des difficultés financières et les consommateurs privés d'une véritable possibilité de choix.

Pour éviter cet écueil en toute sécurité et en toute transparence, il n'y a qu'une solution : desserrer le frein de la réversibilité. (Applaudissements à droite. M. Repentin applaudit aussi.)

M. Michel Billout. - Les propositions de loi dont nous débattons aujourd'hui sont un rebondissement supplémentaire sur l'avenir des tarifs réglementés, dont l'existence est contestée. En effet, la loi relative à l'énergie disposait que les particuliers pouvaient bénéficier des tarifs réglementés à condition de n'avoir pas usé personnellement de leur éligibilité sur le site de consommation. Dans ce cadre, l'abandon des tarifs réglementés est irréversible. Or, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de ces dispositions en novembre 2006. Depuis, le bénéfice de ces tarifs est également subordonné au fait que le précédant consommateur n'ait pas exercé son éligibilité. Cette censure a semblé particulièrement injuste même aux tenants de la libéralisation. D'où la proposition de M. Poniatowski, seule retenue par la commission, qui tend à différer cette règle jusqu'en 2010, date à laquelle, depuis la loi portant engagement national pour le logement, les particuliers ne pourront plus bénéficier des tarifs réglementés pour de nouveaux sites de consommation. Les conclusions de la commission élargissent ces dispositions au gaz. D'accord avec toute disposition élargissant le champ des tarifs réglementés, nous ne sommes pas favorables à cette proposition de loi pour au moins deux raisons : cette dérogation est limitée dans le temps ; ce texte s'apparente à un emplâtre sur une jambe de bois. La libéralisation met en cause l'existence même de tarifs réglementés car, selon l'idéologie libérale, des tarifs définis par les pouvoirs publics sont incompatibles avec la concurrence libre et non faussée prônée par les institutions européennes et notre gouvernement. Ces tarifs constituent soit des barrières inacceptables à l'entrée, comme le formulait la lettre de griefs de la Commission au printemps 2006 en réponse au projet de loi relatif au secteur de l'énergie, soit une aide d'Etat prohibée par la Commission européenne, qui a d'ailleurs entamé sur ce fondement une action contre la France. En ce sens, la décision du Conseil constitutionnel a le mérite de la clarté. Comme l'article 88-1 de la Constitution dispose : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences », la transposition d'une directive communautaire est une exigence constitutionnelle. Dès lors, si la directive tend à instituer un « marché concurrentiel », aucune obligation spécifique ne peut peser sur des entreprises comme EDF et GDF, notamment l'obligation de proposer des contrats aux tarifs réglementés. Les sages jugent l'existence de tarifs réglementés incompatible avec la libéralisation du secteur de l'énergie. Pour moi, il y a incompatibilité entre libéralisme et service public. Bien que cette proposition de loi soit illusoire pour remédier aux échecs de la politique européenne, elle présente l'intérêt de pointer une nouvelle fois les contradictions qui traversent la majorité. En effet, depuis de nombreux mois, des signes clairs ont alerté le gouvernement des effets particulièrement néfastes de la libéralisation appliquée à la fourniture d'un bien de consommation essentiel ; des doutes se font sentir de toute part quant à la pertinence de poursuivre dans cette voie, car le bilan est accablant : l'ouverture à la concurrence s'est traduite pour les professionnels par une augmentation de leur facture de plus de 75,6 % au cours des cinq dernières années. Selon le cabinet NUS Consulting, l'écart depuis 2002 entre les tarifs dits libres et les tarifs administrés atteint 66 % ! Entre avril 2005 et avril 2006, l'augmentation atteint 48 % ce qui est particulièrement préjudiciable à la compétitivité de nos entreprises. En fait de concurrence, on assiste au remplacement de monopoles publics par des monopoles privés, pour le plus grand intérêt des dividendes versés aux actionnaires alors que les tenants du libéralisme affirmaient que la concurrence devait aboutir à une baisse mécanique des prix. Lors de la discussion l'année dernière du projet de loi relatif à l'énergie, certains membres de la majorité s'étaient émus du sort réservé aux usagers du service public. Seul le maintien des tarifs réglementés avait permis au gouvernement d'obtenir l'obéissance parlementaire. Après la censure du Conseil constitutionnel, nous avions demandé une nouvelle délibération, qui nous a été refusée. Durant la dernière session, une mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en électricité a vu le jour, à l'initiative de notre groupe. Les conclusions de cette mission, approuvée par la quasi-unanimité de ses membres sont édifiantes. Le rapport montre que les enjeux énergétiques du XXIème siècle, notamment pour la préservation de l'environnement, imposent une forte maîtrise publique de l'énergie. La mission préconise le maintien des tarifs réglementés pour les particuliers, ainsi que l'existence de dispositifs spécifiques pour les entreprises. Néanmoins, le gouvernement actuel fait preuve d'autisme face à tout constat mettant en cause les schémas libéraux. M. Nicolas Sarkozy, Président de la République depuis le 6 mai, est un artisan zélé de la libéralisation : non content de peser en faveur de la fusion entre Suez et GDF, il a annoncé un rapprochement entre Areva et Alstom. Maintenant, on évoque Bouygues...Ces mesures induisent une ouverture très importante du nucléaire civil aux capitaux privés, alors que seule une forte maîtrise publique peut garantir la sûreté nucléaire, le traitement des déchets et la préservation de l'environnement. (M. Desessard approuve.) Les nouvelles orientations aboutissent à faire émerger de grands groupes privés, à la place du pôle public que nous prônons.

Malgré les bonnes intentions de ces propositions de loi, il faut aller plus loin : les conclusions de la commission ne changent rien à la logique de la libéralisation. Nous n'avons pas déposé de proposition de loi sur le thème des tarifs réglementés car, pour garantir à tous des tarifs acceptables, la seule et unique condition est que ses fournisseurs restent publics.

Concernant particulièrement le gaz, la notion de prix raisonnable repose sur les contrats à long terme. Ces contrats sont actuellement mis en cause par les directives européennes. Nous proposons qu'EDF et GDF restent des entreprises publiques et que leurs synergies soient confirmées en allant jusqu'à leur fusion.

Au moment du « Grenelle de l'environnement », c'est la seule manière d'allier développement durable et performance économique. Travaillant aux économies d'énergie, à la recherche sur les énergies non polluantes et renouvelable ce pôle public rendrait un service de qualité accessible à tous, par une politique tarifaire fondée sur la notion d'usager, non de client. Le courage politique appelant à remettre en cause la libéralisation, je demande au gouvernement d'obtenir à l'échelon communautaire un bilan sur les conséquences de la libéralisation, afin de renégocier les directives. En outre, tout nouveau traité européen devrait être soumis par référendum au peuple français. En mai 2005, celui-ci a refusé la marchandisation de tous les secteurs d'activité. Que le Gouvernement et le nouveau Président remplacent les effets d'annonce par la satisfaction des aspirations populaires ! Ces enjeux dépassent le cadre du marché et nécessitent une forte maîtrise publique. Hélas ! Tel n'est pas le sujet d'aujourd'hui. (Applaudissements à gauche.)

M. Claude Biwer. - L'ouverture totale des marchés de l'électricité et du gaz depuis le 1er juillet 2007 ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.

Il faut tout d'abord rappeler que cette ouverture à la concurrence est entrée progressivement en application depuis 1999 ; depuis 2004, toutes les entreprises, les collectivités territoriales et les professionnels peuvent choisir leur fournisseur. Les particuliers devaient continuer à s'adresser à EDF, à GDF ou à une régie locale. Depuis le 1er juillet 2007, 100 % du marché de l'énergie est ouvert à la concurrence : plus de 25 millions de clients peuvent désormais choisir librement leur fournisseur.

Les particuliers peuvent opter pour les tarifs réglementés ou choisir un autre fournisseur d'énergie.

Les tarifs régulés ou réglementés sont fixés par les pouvoirs publics par décret. S'agissant de l'électricité, ils ne devraient pas augmenter plus vite que l'inflation jusqu'en 2010 : tous les particuliers qui le souhaitent continuent à bénéficier de ces tarifs pour le logement qu'ils occupent.

En revanche, l'abandon de ces tarifs réglementés est définitif. Cela signifie que lorsque l'occupant d'un logement a décidé d'abandonner le tarif réglementé, aucun autre propriétaire ou occupant de ce logement ne pourra le reprendre dans le futur.

En cas de déménagement, un contrat de fourniture d'électricité ou de gaz aux tarifs réglementés pourra être proposé par EDF ou GDF si le précédent occupant du logement bénéficiait déjà de ce type de contrat ou si l'emménagement se fait dans un logement neuf.

L'Union Européenne a souhaité libéraliser les marchés de l'énergie pour favoriser la concurrence entre opérateurs et dans l'intérêt des consommateurs, mais nous sommes loin d'une situation de concurrence entre producteurs et distributeurs d'énergie en Europe. Les entreprises qui ont quitté les tarifs l'ont amèrement regretté : entre 2001 et 2006, les prix ont augmenté de près de 75 % et nous avons dû légiférer dans l'urgence pour revenir, partiellement, à des tarifs réglementés plus raisonnables.

Cette expérience malheureuse devrait conduire nos compatriotes à faire preuve de la plus grande prudence dans le choix de leur contrat comme devant la proposition d'une facture commune d'EDF et GDF : derrière la vertu simplificatrice d'une seule facture pour les deux énergies, se profile l'abandon du tarif réglementé pour l'une d'entre elles : GDF a certes le droit de proposer du gaz au tarif réglementé mais pas de l'électricité et inversement pour EDF !

Je me réjouis donc de pouvoir débattre de ces questions. Notre rapporteur rappelle utilement que l'abandon irréversible des tarifs réglementés par l'occupant d'un logement, va pénaliser les occupants suivants, mais aussi le propriétaire qui verrait son bien déprécié car ne bénéficiant plus du tarif réglementé.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Absolument !

M. Claude Biwer. - Il conviendrait donc, au minimum, que les consommateurs puissent bénéficier des tarifs réglementés pour un site de consommation donné à partir du moment où ils n'auraient pas fait le choix, pour eux-mêmes, de la concurrence. Mais je reconnais bien volontiers que la solution proposée par M. Pintat est plus séduisante.

L'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz, pour être effective, devrait s'accompagner de deux réformes : l'instauration d'un « droit de remords », comme en Espagne, afin que les consommateurs puissent revenir aux tarifs réglementés ; la mise en place, comme en Grande-Bretagne, de comparateurs de prix indépendants sur Internet qui informeraient les consommateurs en temps réel des contrats et des prix les plus avantageux.

Sans concurrence effective entre opérateurs, ni garanties pour les consommateurs, la libéralisation des marchés ne serait qu'un leurre, donc une source de grave désillusion pour les consommateurs.

Autre souci, le devenir des tarifs règlementés, dont on dit ici et là qu'ils seraient abandonnés dès 2010 : qu'en est-il, monsieur le Ministre ?

J'espère que nos travaux éclaireront nos compatriotes sur le choix de leurs fournisseurs de gaz ou d'électricité, que ce choix sera réversible et que les tarifs règlementés dureront le plus longtemps possible ! (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs socialistes)

M. Thierry Repentin. - La Commission européenne conteste le maintien des tarifs réglementés au motif qu'ils feraient obstacle au bon fonctionnement de la concurrence et pénaliseraient les consommateurs : nous contestons ce raisonnement !

Les consommateurs français bénéficient d'un prix modéré de l'électricité grâce à notre parc nucléaire et à une réglementation tarifaire qui leur répartit la rente nucléaire : cette politique ne se fait pas contre le marché mais dans le marché et elle le régule. Cette régulation n'est pas anticoncurrentielle ni contraire aux directives européennes.

On nous dit qu'une concurrence pure et parfaite conduit à « l'optimum économique » ; en fait la régulation seulement concurrentielle est d'une efficacité plus que douteuse.

Depuis l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, les prix sur le marché libre n'ont cessé de croître, à des niveaux pénalisant les entreprises. Le mégawatt heure atteint 70 euros sur le marché, contre 35 à 40 euros au tarif réglementé. L'Insee précise que les prix de l'électricité pour les industriels ont augmenté de 6 % en 2004, 9 % en 2005 et l'augmentation atteindrait 9 % en 2006.

En laissant faire le marché, on substitue au monopole public des grands groupes dont le premier objectif sera de satisfaire leurs actionnaires, notamment les fonds de pension. On fait comme si un marché oligopolistique de l'énergie était concurrentiel, alors que cela ne va pas du tout de soi ! Quelles seront les conséquences tarifaires de la récente fusion de GDF et de Suez ?

Les consommateurs pourront très difficilement comparer les offres des fournisseurs, car les paniers de services attachés à la fourniture de l'énergie varieront d'un prestataire à l'autre.

La formation des prix de l'électricité sur les bourses de l'électricité est opaque et ne tient aucun compte de cette caractéristique de l'électricité : parce qu'elle n'est pas stockable, l'offre et la demande se rencontrent au coût du moyen de production le plus cher, fonctionnant à partir des énergies fossiles. La régulation par le seul marché ferait monter les prix, mais réhabiliterait aussi des productions émettrices de gaz à effet de serre, utilisant des énergies fossiles, ce qui va contre le développement durable.

Au total, la libéralisation des prix de l'électricité et du gaz revient à remplacer la maîtrise tarifaire par une dose supplémentaire de concurrence au profit de quelques grands groupes et au détriment des consommateurs.

Nous réaffirmons l'utilité d'un pôle public de l'énergie autour d'EDF et de GDF, seul capable d'assurer la sécurité de nos approvisionnements et la maîtrise publique tarifaire. Nous condamnons le démantèlement de nos outils de politique industrielle.

Aujourd'hui GDF est privatisée et on nous annonce pour demain le mariage d'Areva avec un grand groupe français du bâtiment. Nous abandonnons notre appareil énergétique à la concurrence ; d'autres ne s'y sont pas trompés en gardant une assise étatique forte : il sera bien difficile, à l'avenir, de se mesurer à eux.

La libéralisation à marche forcée introduit de véritables désordres sur le marché de l'électricité et du gaz, bien plus qu'elle ne répond aux enjeux publics de l'énergie que sont la sécurité d'approvisionnement, la modération des prix, la diversification énergétique, mais aussi la résorption de la fracture énergétique et des inégalités.

La disparition des tarifs réglementés diminuera le pouvoir d'achat des ménages et renforcera les inégalités parmi les locataires et les propriétaires.

Les locataires, de même que les propriétaires occupants, seront enfermés dans le choix d'un jour, voire dans le choix d'une autre personne ! Dans son rapport de juillet dernier sur l'approvisionnement électrique, M. Pastor rappelait que « le marché ne peut en aucun cas servir de modèle unique de fixation des prix de l'électricité ». En effet, ce serait pour la France renoncer à l'avantage compétitif lié au nucléaire, au nom d'une harmonisation communautaire des prix, qui ne repose sur aucune logique industrielle solide !

Les clients professionnels en ont fait les frais, subissant des hausses de tarif de plus de 60 % depuis 2002 ! Il n'en ira pas autrement pour les particuliers. La facture énergétique des familles s'alourdira, alors qu'elles y consacrent déjà près d'un tiers de leur budget logement. La flambée des prix du pétrole continue d'exercer ses effets sur le prix de l'énergie : la facture énergétique des familles s'est accrue de 6 % en 2005, 7,7 % en 2006, M. Poniatowski rappelle que les dépenses des ménages consacrées au chauffage et à l'éclairage ont augmenté de 6,5 % en 2005 et de 5,7 % en 2006. Ces hausses auraient été bien pires sans les tarifs réglementés d'électricité : le fioul domestique a augmenté de 29,7 % en 2005 et le gaz de 20,4 % en 2006. Les tarifs stables de l'électricité, ont eu un effet modérateur sur la facture énergétique des ménages, et c'est ce tampon que l'on supprime !

La libéralisation renforcera les inégalités entre locataires, selon le choix qu'ils auront fait, mais également entre propriétaires, pour la même raison, à laquelle s'ajoute, avec le choix irréversible, cette obligation réelle immobilière inédite, qui sera à la seule initiative du locataire ! En effet, le propriétaire bailleur pourra voir la valeur de son bien varier selon le choix du locataire, sans que lui-même puisse rien faire, ni se voir compensé. En d'autres termes, on crée une servitude !

Pourtant, la législation immobilière et locative n'a pas évolué pour tirer les conséquences de ce bouleversement juridique : rien n'est prévu pour informer les futurs locataires ou acquéreurs de la situation du logement au regard du droit au tarif réglementé, rien ne prévoit non plus que le propriétaire sera associé au choix du locataire si ce dernier souhaite exercer son droit à l'éligibilité. Un tel dispositif serait donc à la fois défendable au regard des conséquences irréversibles de la décision sur l'attractivité du bien, mais abusif vis-à-vis du droit des baux locatifs et contraire aux directives européennes qui font de l'exercice de l'éligibilité un droit personnel. Dès lors, on peut imaginer l'apparition de deux marchés immobiliers : celui des logements pouvant bénéficier des tarifs règlementés et celui des logements n'y ayant plus droit. Ces incohérences doivent être corrigées par le droit au retour aux tarifs réglementés.

Résolument attachés au maintien d'un service public de l'électricité, et du gaz, gage de cohésion sociale et de protection des consommateurs, nous sommes aussi convaincus que nos débats sur le marché énergétique devront à l'avenir changer de perspectives : aux enjeux de production et de sécurité d'approvisionnement, nous devons ajouter les enjeux de consommation. Dès aujourd'hui nous devons viser la sobriété et la performance énergétiques qui requièrent de l'inventivité et doivent devenir les deux piliers de notre politique énergétique. Les socialistes en ont la volonté comme ils le démontrent déjà dans les collectivités qu'ils dirigent. Notre génération et celle de nos enfants doivent faire face à l'urgence du plus grave défi climatique de l'histoire de l'humanité.

C'est dans cet esprit, et aussi pour protéger le pouvoir d'achat de nos concitoyens, que, le 25 juillet dernier, nous avions déposé, à l'occasion du projet de loi TEPA, des amendements permettant le retour aux tarifs règlementés. Mme Lagarde nous avait dit qu'ils venaient trop tôt et que le Parlement serait saisi de propositions « lorsque que ce dossier aura fait l'objet d'une étude approfondie et d'un véritable débat, ce que ne permet pas le simple examen d'amendements, au demeurant de qualité ».

Je ne sais quel est le résultat de cette étude approfondie dont j'espère qu'elle est engagée. Quoi qu'il en soit, je me réjouis de ce débat d'aujourd'hui et je souhaite que le jugement de la ministre sur nos amendements « de qualité », ne soit pas infirmé au seul prétexte que nous en avons fait une proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard. - Sur le plan du travail parlementaire, nous saluons le travail du rapporteur qui tente de trouver une solution après la décision du Conseil constitutionnel. Sur le plan politique, cette proposition de loi veut réparer les néfastes conséquences de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. Cela donne l'impression que l'UMP regrette les conséquences de cette marche forcée vers la concurrence, alors même qu'elle l'avait acceptée au niveau européen.

M. Jean Desessard. - Ce souci des consommateurs aura ses limites, les lobbies européens et la logique libérale européenne feront sauter tous les verrous. Le rapporteur l'a d'ailleurs anticipé puisque sa proposition de loi s'arrête à 2010...

Qu'est-ce qui justifie donc l'ouverture du marché de l'énergie ?...

M. Daniel Raoul. - On se le demande.

M. Jean Desessard. - ....sinon la volonté idéologique de vouloir tout libéraliser et de considérer tout comme une marchandise ?

Un des objectifs principaux d'une vraie politique énergétique, c'est de diminuer la consommation. Pour l'atteindre, et en même temps sortir du nucléaire, nous aurons besoin d'un secteur public cohérent, décentralisé, en pointe dans les énergies renouvelables. Et c'est pourquoi nous refusons la privatisation d'EDF et de GDF : comment réduire la consommation alors que le marché pousse à la consommation ?

Certains sénateurs ont parlé de « rente nucléaire ». Elle n'existe pas ! Le kWh d'EDF n'est pas si bon marché puisqu'il arrive au 15ème rang des tarifs des 25 pays européens. Le nucléaire absorbe 90 % des crédits de recherche en matière énergétique et a longtemps bénéficié de la manne des crédits publics. Comment évaluer le coût du démantèlement des centrales et du traitement des déchets ? Comment évaluer le risque, toujours présent, d'un accident nucléaire, d'un Tchernobyl français, dû à un séisme, à un accident ou à une défaillance humaine ? Comment évaluer le coût et le danger de la dissémination nucléaire ? A ce sujet, je ne peux que regretter le rôle de VRP joué par le Président de la République en Libye puis à la tribune de l'ONU.

M. Daniel Raoul. - Et le coût d'un coup de grisou, tu l'évalues à combien ?

M. Jean Desessard. - L'électricité est un produit de première nécessité mais dont il faut réduire la consommation. C'est pourquoi, comme pour l'eau, nous proposons la tarification progressive : diminution de la part fixe des factures, gratuité ou faible coût des premiers kWh, puis augmentation progressive au fur et à mesure de la consommation, pour sortir d'un système aberrant où le prix dégressif incite au gaspillage. Le fameux droit à l'énergie ne doit pas être un droit de tirage infini. Je préfère parler d'un droit à être éclairé, chauffé et à utiliser des équipements ménagers. Il n'est plus acceptable de proposer aux plus précaires du chauffage électrique, qui est payé in fine par les services sociaux. Nous devons proposer des équipements économes pour réduire la consommation.

Nous allons voter ce petit amendement pour maintenir les tarifs régulés mais nous nous opposons à la libéralisation du marché, à la persistance de l'investissement dans le nucléaire et nous attendons du Grenelle de l'environnement un véritable plan de réduction de la consommation d'énergie.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Pas sûr que vous soyez entendu...

La discussion générale est close.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Il a fallu corriger une situation injuste née du vote de la loi de 2006...

M. Daniel Raoul. - Quel aveu !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - ...et éviter d'aller contre la décision du Conseil constitutionnel, sans s'attirer des difficultés sur le plan communautaire. A cet égard, votre texte est équilibré, monsieur le rapporteur.

Monsieur Raoul, le gouvernement est attaché aux tarifs règlementés et il les défendra à Bruxelles comme il l'a toujours fait. (Murmures dubitatifs sur les bancs socialistes) Rien ne permet de dire qu'ils seront supprimés en 2010.

Monsieur Pintat, votre proposition de réversibilité remettrait en cause les positions des gouvernements qui se sont succédés depuis 2000 et elle fragiliserait la position de la France dans le cadre communautaire.

Monsieur Billout, les tarifs règlementés ne sont pas incompatibles avec l'ouverture. Ils sont maintenus !  On permet au consommateur d'y rester ou de faire appel à de nouveaux opérateurs. Quant à la pérennité du service public, elle est garantie sans aucune ambiguïté et toutes les lois votées depuis 2000 sont claires à cet égard.

MM. Biwer et Repentin ont évoqué la transparence des prix : mais le gouvernement, sensible à cet argument, a proposé des mesures. Avec la CRE, nous avons créé un site Internet accessible aux consommateurs depuis juillet dernier ; nous avons mis en place des services d'information et de comparaisons. Le médiateur de l'énergie que vous avez voulu sera bientôt installé. Le gouvernement surveille attentivement les évolutions depuis l'ouverture du marché. Il prendra de nouvelles mesures si nécessaire.

M. Desessard a tracé un bien sombre tableau de l'avenir ; mais tarifs réglementés et ouverture à la concurrence ne sont pas incompatibles et le gouvernement continuera de défendre le dispositif existant sans état d'âme.