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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Nomination du président de Radio-France (Avis)

Autorité de régulation de la communication (Demande d'avis)

Commission spéciale (Réforme du crédit à la consommation) (Candidatures)

Débat sur la crise financière internationale

Commission spéciale (Réforme du crédit à la consommation) (Nominations)

Heures supplémentaires (Question orale avec débat)

Formation professionnelle (Engagement de la procédure accélérée)

Débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine




SÉANCE

du mercredi 29 avril 2009

93e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Daniel Raoul.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Nomination du président de Radio-France (Avis)

Mme la présidente.  - En application de la loi organique relative à la nomination des présidents des sociétés audiovisuelles, et de l'article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable, par 20 voix pour, et 19 abstentions, sur le projet de nomination par M. le Président de la République de M. Jean-Luc Hees aux fonctions de président de la société Radio-France.

Acte est donné de cette communication.

Autorité de régulation de la communication (Demande d'avis)

Mme la présidente.  - Par lettre en date du 27 avril 2009, M. le Premier ministre m'a demandé de lui faire connaître, conformément à l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques, l'avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Jean-Ludovic Silicani aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en remplacement de M. Jean-Claude Mallet, qui vient de présenter sa démission.

Commission spéciale (Réforme du crédit à la consommation) (Candidatures)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle, en application de l'article 16, alinéa 2, du Règlement, la proposition de M. le Président du Sénat tendant à la création d'une commission spéciale sur le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation.

La proposition est approuvée.

Mme la présidente.  - En conséquence, l'ordre du jour appelle la nomination des membres de cette commission spéciale.

Il va être procédé à cette nomination conformément à l'article 10 du Règlement.

La liste des candidats établie par les présidents de groupe va être affichée. Cette liste sera ratifiée s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration d'un délai d'une heure.

Débat sur la crise financière internationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat, à la demande du groupe CRC-SPG, sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques.

M. Bernard Vera.  - La crise financière est loin d'être terminée. Elle trouve son prolongement dans le champ de l'activité économique et des réalités sociales de notre pays, comme des autres pays d'Europe.

Ce débat, organisé à notre initiative, doit permettre de faire un point précis sur la situation et son interprétation.

Le sommet de Londres, qui a réuni le G20, devait, aux dires de l'Élysée, « tout changer ». Mais si l'opinion publique avait manifesté bien des attentes, grand a été son scepticisme à la suite des discussions qui y ont été menées. Malgré le battage médiatique, il est clair que les décisions prises au cours de ce sommet ne modifieront rien dans la situation économique.

L'objectif était précis : comment permettre aux pays occidentaux et au Japon, embourbés dans la crise systémique des marchés financiers, de solliciter auprès des économies émergentes les moyens de renflouer les caisses de leurs établissements financiers en difficulté ? Pour masquer le véritable enjeu, c'est-à-dire le maintien coûte que coûte de l'ordre actuel des choses, on a agité quelques pistes de réflexion secondaires, qui ne sont que des leurres.

Sur les paradis fiscaux, on a publié une liste noire comprenant quatre pays -essentiels !- sur l'échiquier des transactions financières internationales -Costa Rica, Philippines, Uruguay et Malaisie. Pas trace, en revanche, des territoires situés sur le périmètre même de l'Union européenne ou dans sa périphérie comme Jersey, Guernesey, Andorre, Monaco ou le Liechtenstein. Le déclassement rapide des pays placés sur la liste noire et la montée en charge d'une « liste grise » où se sont discrètement intégrés des pays comme Malte, Chypre, l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, tous membres de l'Union européenne, sont autant de signes qu'on ne souhaite pas vraiment s'attaquer au problème. Demain, le canton de Zoug pourra continuer sans trop de risques à exempter largement de toute fiscalité entreprises et gros revenus ; demain, l'État de Delaware pourra jouer au dumping fiscal avec l'État de New York ou celui du Connecticut et le Nevada recycler dans ses casinos l'argent du jeu et la retraite des pensionnés ; demain l'Irlande pourra continuer de s'en sortir en écrasant le taux de l'impôt sur les sociétés et Arcelor Mittal restera une société de droit néerlandais, alors que l'usine de Gandrange ferme et que la moitié de Florange est à l'arrêt. Sans parler de la facilité avec laquelle la City de Londres ou les services juridiques belges accueillent les entreprises soucieuses de bénéficier de délocalisations le plus souvent immatérielles mais fort rentables en termes d'exemption fiscale.

En prétendant lutter contre les paradis fiscaux exotiques, on laisse de côté ce que M. Daniel Lebègue appelle les « trous noirs » de la finance, ces lessiveuses d'argent pas toujours honnêtement gagné, qui fonctionnent au coeur même des pays les plus développés. La lutte contre les paradis fiscaux ne dépasse pas le stade de la proclamation.

Sur les agences de notation, qui ont failli en gratifiant d'une bonne note certains établissements financiers en déroute, l'étonnement de certains a de quoi surprendre. Les agences ne notent que quelques entités économiques, celles qui font appel public à l'épargne ou qui sont cotées en Bourse. Qu'attend-on pour confier aux banques centrales, autorités indépendantes des marchés financiers, une mission de notation de toutes les entreprises et de tous les établissements financiers, mission de service public garantissant la transparence sur la situation réelle des entreprises ? Mais on en reste aux déclarations d'intention.

Quant à la rémunération des traders, qui est le plus coupable dans l'affaire Kerviel ? Les traders ne sont que les opérateurs de stratégies bancaires et financières définies par leur employeur. Et si la Société Générale a préféré un temps les produits dérivés au lieu d'aider au développement des entreprises françaises, elle est directement responsable de ses difficultés. Mais on a fait des traders les boucs émissaires bien commodes d'une crise du capitalisme que l'on cherche à présenter comme passagère.

Or, la crise financière et économique internationale n'est pas simple affaire de dérèglement des marchés financiers, dont une plus grande régulation, ou un renforcement du contrôle administratif seraient susceptibles de venir à bout. Ce que l'on a présenté comme les « avancées » du G20 ne peuvent masquer l'essentiel. Car les deux dispositions principales décidées au sommet de Londres consistent précisément à encourager la poursuite des pratiques anciennes. Ainsi annonce-t-on un renforcement des moyens du Fonds monétaire international et des autres institutions financières internationales, à hauteur de 1 000 milliards de dollars, qui devraient être largement ponctionnés sur les disponibilités des pays émergents. Pour quelles politiques ? Dans la mesure où rien ne figure dans les conclusions de Londres sur l'aide au développement des pays du Sud, l'accès à l'eau, par exemple, il est à craindre que les ressources du FMI soient mobilisées au secours de la crise financière.

Ainsi, si l'on mobilise 19 milliards de dollars pour subventionner des investissements dans les pays les plus pauvres, ce sont 70 milliards de dollars que le gouvernement américain est prêt à engager pour sauver de la faillite la seule compagnie d'assurance AIG, dont les pertes sont supérieures au PIB de 150 des pays de la planète !

En réalité, le G20, loin de mettre en place une nouvelle organisation économique internationale, a surtout permis à chaque puissance de valoriser son plan national de sortie de crise. Ainsi en est-il du plan Geithner, qui applique le vieux principe, « socialisation des pertes, privatisation des profits ». La décote appliquée aux créances douteuses des établissements financiers et des compagnies d'assurance va en effet être supportée, pour l'essentiel, par le Trésor américain, donc par le contribuable. Et, au-delà, par l'émission de nouveaux titres de dette publique sur les marchés financiers. Le plan Geithner, c'est en effet 66 % de la valeur d'une créance en contrepartie d'un engagement du Trésor.

Les désaccords persistants sur la convergence des politiques économiques des gouvernements du G20 témoignent que la règle du chacun pour soi prime sur toute autre. D'aucuns se félicitaient lundi encore que le nombre des chômeurs, dans notre pays, progresse moins vite qu'en Espagne ou aux États-Unis. Mais faut-il rappeler que le droit du travail, dans notre pays, malgré ses pesanteurs, permet de protéger les salariés du licenciement à effet immédiat ?

Et chez nous le chômage partiel et l'exercice du droit à la formation préservent parfois du chômage total !

Les mauvaises habitudes n'ont pas été oubliées. Malgré les louables efforts de René Ricol et de ses collaborateurs, les banques de notre pays continuent de snober la demande de crédit des PME et TPE, trop occupées sans doute à attribuer à leurs dirigeants parachutes dorés, stock-options et autres retraites chapeaux ! Avec celle de Daniel Bouton, il y avait de quoi sauver quelques-unes des PME qui ont déposé leur bilan ou ont été placées en redressement judiciaire depuis l'automne...

Le capitalisme n'est pas à refonder, en se contentant de mesures temporaires avant de reprendre les pratiques anciennes. L'ordre des choses, économique et social, au plan national, européen ou international, doit être profondément modifié. Une véritable sortie de crise, c'est autre chose que le sommet du G20 !

Au niveau national, le Gouvernement doit constituer un pôle public financier, destiné à faciliter l'accès au crédit des PME et TPE et à allouer la ressource disponible à l'activité créatrice de richesses et d'emplois. Évidemment, il faut revenir sur la privatisation des établissements financiers, privatisation qui ne se comprend plus quand l'État se déclare prêt à engager 360 milliards pour recapitaliser les établissements de crédit... Et la révélation d'un nouveau trou de 5 milliards à la Société Générale montre la gravité de la situation.

Que faire au niveau européen ? La question est d'actualité, au moment où l'on lockoute le débat à un mois du renouvellement du Parlement. La Banque centrale (BCE) doit cesser d'être la gardienne d'une orthodoxie monétariste et libérale qui a failli : ce sont les choix de Maastricht, de Nice, de Lisbonne qui sont en cause ! La Banque centrale doit donc devenir l'instrument d'un financement de l'économie valorisant le potentiel de chaque pays membre, favorisant les coopérations transfrontalières, générant richesses et emplois, développant formation et promotion professionnelle des salariés. Tournons le dos aux politiques d'allégement du coût du travail et de dumping fiscal, tournons le dos à la directive Bolkestein et à ses avatars. L'Europe sociale, c'est d'abord une BCE recentrée sur l'aide à l'économie.

Au niveau international, nous ne pouvons nous contenter des conclusions d'un G20, où les plus riches tentent désespérément de maintenir leurs positions dominantes. Quitte à s'affronter, il faut profondément transformer les conditions d'intervention du FMI, en réduisant le poids excessif du droit de vote des États-Unis et en développant les droits de tirages spéciaux, lesquels doivent devenir l'alternative à la suprématie d'un dollar sans cesse dévalué mais toujours prédominant. Les puissances occidentales ne peuvent plus ignorer la place de nouvelles économies dans le concert des nations : le FMI, dans sa composition, dans ses interventions, doit en tenir compte. Que dire du peu de place accordée au Sud par le sommet de Londres ? Et nos réflexions sur le FMI valent aussi pour l'OMC. Le libéralisme appliqué à la mondialisation a fait son temps. Ici, en Europe, comme dans le monde. (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il y a un an, les carnets de commandes étaient pleins, les bourses mondiales au plus haut. Aujourd'hui, toutes ont plongé, les carnets de commandes sont vides et les nouveaux chômeurs se comptent par centaines de milliers dans le monde. Les dirigeants économiques et politiques sont totalement pris au dépourvu devant une crise qu'ils n'avaient pas anticipée. John Galbraith avait raison d'énoncer que la prévision économique est aussi fiable que l'astrologie est proche de la science. Néanmoins, la politique étant l'art du possible, nous devons vouloir concrétiser les espoirs qu'a pu faire naître le G20 de Londres.

Tout passe par la mise en place de nouvelles règles de fonctionnement du système financier international. Cette crise doit être l'occasion de redéfinir les relations entre les banques et l'économie réelle afin de débloquer l'accès au crédit. Nous avons besoin d'une éthique financière : cette affirmation qui, il y a encore un an, aurait prêté à sourire, s'impose aujourd'hui comme le principal enseignement d'une crise qui est, avant tout, une crise de l'avidité, des excès de la finance et des défaillances des autorités de régulation. Nous devons peser avec nos alliés européens sur l'organisation financière internationale.

La crise nous montre que les marchés sont incapables d'éviter, seuls, les effets systémiques. Leur fonctionnement doit relever d'une responsabilité publique et donc politique. Il faut par conséquent institutionnaliser la surveillance et l'organisation des marchés nationaux et mondiaux par l'instauration d'organes appropriés.

Il est indispensable de revoir les priorités de la régulation financière à travers la mission et le statut des régulateurs. La protection des épargnants non professionnels, le bon fonctionnement des marchés, la lutte contre les abus et les manipulations constituent ces priorités ; il faudra désormais y ajouter l'encadrement du risque.

Aujourd'hui, la seule transparence des marchés financiers ne suffit plus, il faut créer des outils de régulation et de contrôle qui pourraient reposer sur des principes simples mais efficaces : la standardisation internationale par le retour aux normes comptables antérieures et la responsabilisation des autorités de marché. La règle Mark-to-Market imposant une évaluation des actifs à la valeur du marché et les normes IFRS doivent être reconsidérées. Il est urgent de redonner du sens aux transactions financières afin qu'elles ne soient plus uniquement des opérations spéculatives complexes, désordonnées et déconnectées du réel. Il nous faut maîtriser l'ensemble du processus de chacune des opérations des marchés. Cela suppose de renforcer le pouvoir de contrôle et de sanction des sociétés de cotation par une autorité supérieure, sur la base de normes internationales et uniformes. Aucun pays ne pourra efficacement fixer ses propres règles normatives si celles-ci ne sont pas reconnues par tous les autres.

La liquidité, indispensable au bon fonctionnement du système international, est, en dernier ressort, assurée par les banques centrales dont le rôle est majeur tant dans la supervision des établissements financiers que dans la structuration du marché. Il serait donc judicieux de responsabiliser les agences de notation : en demandant qu'elles s'enregistrent par zone monétaire d'intervention ; en organisant la reconnaissance mutuelle entre leurs régulateurs ; en différenciant les échelles de notation entre les produits financiers et les entités ; en donnant toute indication sur la liquidité des marchés des produits notés par les agences.

La crise de 29 entraîna une réorganisation du secteur bancaire, à la demande du législateur américain. Le Congrès adopta le 16 juillet 1933 le Glass-Steagall Act qui instaura une séparation stricte des activités des banques commerciales gérant les dépôts et crédits consentis aux particuliers, de celles des banques d'investissement qui émettent des actions ou des obligations sur le marché boursier. Cette disposition, qui reprend aujourd'hui tout son sens, a perduré dans la législation américaine jusqu'en 1999, et a été abrogée par le Congrès sans que le Président Clinton n'y mette son veto. L'abrogation à caractère protectionniste du Glass-Steagall Act devait permettre aux banques américaines de faire face à la concurrence internationale. Elle a surtout ouvert la porte aux subprimes et autres produits dérivés. Si bien que, dix ans plus tard, cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d'investissement a tourné très largement à l'avantage des premières qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants. C'est pourquoi, des banques d'investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers ou encore Merryl Lynch ont pris des risques, au point que, pour 1 dollar de fonds propres, elles en investissaient jusqu'à plus de 30 dans des opérations à haut risque. Aujourd'hui, ces banques ont tout simplement disparu. Aussi, le groupe du RDSE regrette-t-il que le G20 de Londres n'ait pas pris la principale mesure qui pourtant s'imposait : instaurer un Glass-Steagall Act à l'échelle mondiale. (M. Joël Bourdin applaudit)

Mme Nicole Bricq.  - La réforme constitutionnelle institue chaque mois quinze jours de débat et de contrôle du Parlement. Nous ne l'avons pas votée et, pourtant, nos rangs sont singulièrement plus fournis que ceux de la droite qui l'a votée.

M. Charles Gautier.  - Ils ne sont pas là !

M. Joël Bourdin.  - Il y a les meilleurs...

Mme Nicole Bricq.  - Il faut dire que la commission des finances a inscrit à son ordre du jour de demain matin un débat sur la crise financière ! C'est incohérent ! Il faut revoir tout cela, sous peine de palabrer devant un hémicycle dégarni, surtout à droite...

M. Charles Gautier.  - C'est du cinéma !

Mme Nicole Bricq.  - Avec François Marc et Bernard Véra, j'appartiens au « G24 » qui a décidé de travailler, sérieusement, sur la crise financière, et dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, pas toujours pour de bonnes raisons...

Avant le G20 de Washington, nous avions établi un diagnostic partagé : déformation du partage capital-travail, développement irresponsable du crédit aux États-Unis, taux de rentabilité à deux chiffres sans rapport avec l'économie réelle, hypertrophie des marchés financiers et pratiques financières à risque, règles comptables inadaptées. Il en découlait des propositions de réforme.

Ce modèle a perduré pendant trente ans sans que l'on s'interroge sur sa fin, sur ses fins.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Vous non plus !

Mme Nicole Bricq.  - Aucun gouvernement ne s'est plus interrogé sur son impuissance alors qu'il transposait des directives européennes technocratiques et sans légitimité politique.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Y compris les vôtres...

Mme Nicole Bricq.  - Je parle du groupe de travail, monsieur le ministre : vous retrouverez mon propos mot pour mot dans le texte remis au Président de la République.

Avec la crise, l'État saura-t-il s'opposer à la toute-puissance du marché ? Tout l'intérêt du travail parlementaire est de poser ces questions sans gommer nos divergences sur la place de l'État, le niveau de la relance ou les contreparties à exiger. Et, puisque le débat a été initié par nos collègues du groupe CRC-SPG, on permettra aux socialistes, qui reconnaissent l'économie de marché, de souligner qu'il n'est pas question de revenir aux Trente Glorieuses, trop souvent présentées comme un monde enchanté malgré la brutalité de leurs inégalités. Dans cette crise qui, contrairement à celle de 1929, a un caractère mondial, nous voulons une juste reconnaissance du travail et de la finitude des ressources naturelles ainsi qu'une allocation de ressources à ceux qui ont besoin de la solidarité nationale.

Lors de la mission que la commission des finances a effectuée la semaine dernière aux États-Unis, nous avons rencontré des opérateurs, des banquiers, des agences de notation, des membres de think tanks démocrates et républicains et tutti quanti. Nous avons mesuré combien les libéraux -car il en reste, comme en France- craignent que le président Obama applique ses mesures pour la santé et l'éducation dans son plan de relance car, dans cette rude bataille pour les crédits, ils considèrent qu'il s'agit en priorité de repartir comme avant, comme pour une simple purge du système financier.

La confrontation des modèles de société n'a pas lieu en France de la même manière. Toutefois, lorsque nous nous opposons à une mesure fiscale ou que nous débattons de l'ampleur de la relance, c'est bien au nom de conceptions différentes. Cette crise constitue un révélateur qui nous oblige à développer nos propositions pour la société que nous voulons pour le XXIe siècle. -j'y reviendrai demain. Finalement, de même que le XXe n'avait commencé qu'en 1914, celui-ci a commencé en 1989 avec la chute du mur de Berlin qui a acté la mondialisation. La crise de 2008 se situe dans cette continuité : elle traduit la globalisation financière. Et nous tenons qu'il ne peut y avoir de globalisation sans organisation financière, économique et sociale. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Foucaud.  - Nous partageons les propos liminaires de Mme Bricq quant à la tenue du débat.

Il doit être replacé dans la perspective d'une remise en question de la marche actuelle de l'économie. La crise systémique des marchés financiers n'est en effet que la queue de la comète. A écouter certains, on pourrait croire qu'il n'y a pas eu de crise avant l'été 2008, comme si quelques pays émergents, tigres et dragons, faisaient le compte. Cette version est trompeuse car la tempête financière de l'automne a été précédée de bien d'autres depuis quarante ans que nous sommes entrés dans un cycle de crises économiques et financières. Depuis que le président Nixon a décidé de payer en dollars dévalués l'addition de l'aventure vietnamienne, on a connu bien des récessions, on a vécu la libéralisation des marchés financiers, les ajustements structurels imposés par le FMI aux pays en voie de développement, le renforcement de la compétition entre l'Europe, les États-Unis et le Japon -les auteurs des traités européens portent donc leur part de responsabilité de la crise. On a connu le chômage de masse, la réduction du coût du travail, les privatisations des établissements financiers, y compris de ceux qui avaient été nationalisés en 1945, le dumping fiscal, la réduction des dépenses publiques. Nous comptons officiellement plus de deux millions de chômeurs. Plus tous les autres... Et l'on voudrait nous faire croire que la crise a débuté à l'automne, qu'elle ne serait qu'un effet de celle de l'été ? Mais l'an prochain, malgré toutes les radiations, les Pôle emploi, comptera-t-on entre deux millions et demi et trois millions ou entre trois et quatre millions de chômeurs ?

On s'étonne que les banques soient en difficulté alors qu'elles sont en délicatesse avec leur métier naturel qui est de financer l'économie et que leurs dirigeants font assaut d'imagination pour se rémunérer grassement. Le secteur bancaire français a été privatisé de 1986 à 1997 : si la Société Générale était restée publique, aurait-elle connu une affaire Kerviel, une affaire Bouton ? La crise financière a des origines lointaines et si l'on regarde l'échelle de Richter des séismes financiers, on retrouve la décision de laisser flotter le dollar, la récession de 1975, l'éclatement des bulles immobilière et internet... Aujourd'hui, cependant, c'est le coeur du système financier qui est frappé, à Wall Street comme à La City.

Alors s'agit-il seulement de savoir comment s'en sortir pour faire comme si rien ne s'était passé ? A l'instar des groupes américains en France, chacun essaie de sauver sa position quel qu'en soit le coût social. Les Caterpillar et les Molex, les ex-Motorola et les ex-General Motors rapatrient les brevets et licencient. L'emploi sert de variable d'ajustement car il faut faire très vite. Les entreprises ferment et l'on fait appel à la bourse mais la stratégie la plus utilisée consiste à faire appel aux fonds publics pour combler des trous béants.

Tout laisse penser que demain les engagements du Fonds stratégique d'investissement serviront, au motif de soutenir l'industrie française, à accompagner des plans de suppressions d'emplois et des restructurations. Il ne faut pas compter sur les parlementaires du groupe CRC-SPG pour accepter des opérations financières qui se traduiraient par la destruction de centaines ou de milliers d'emplois.

La crise actuelle clôt le long cycle de libéralisme commencé il y a quarante ans ; tout ce qui le prolongera conduira immanquablement à des désordres encore plus graves pour le devenir des peuples. Une autre vision nous anime : coopération et solidarité, dialogue économique avec le sud, développement des potentiels de la planète, recherche d'un développement respectueux des besoins sociaux et de l'environnement. Cette voie est difficile mais nécessaire ; c'est celle que nous appelons de nos voeux avec les salariés de France et d'Europe, avec les peuples d'Afrique et d'Amérique du sud qui veulent se libérer du libéralisme. (Applaudissements à gauche)

M. Joël Bourdin.  - (On moque à gauche le peu de soutien dont dispose l'orateur dans l'hémicycle) Je m'en tiendrai au cas européen, même si je n'oublie pas que la crise actuelle est née outre-Atlantique de l'insouciance de la gouvernance financière américaine. Cette crise soumet l'Union européenne à rude épreuve et met en avant les faiblesses de son dispositif économique, financier et monétaire. Si, grâce à la présidence française, l'Union a pris la mesure des problèmes et réfléchi aux moyens de les surmonter, imperfections, divergences et fractures naissantes demeurent.

Les imperfections tiennent aux écarts de réactivité des États et aux dispositifs conjoncturels qu'ils ont improvisés. Les différents plans de relance traduisent en effet des analyses divergentes. Tandis que la France a privilégié l'investissement, la Grande-Bretagne a surtout cherché à stimuler la consommation. Tout le monde s'est cependant retrouvé dans une politique actionnant ces deux leviers, ce qui semble aller dans le bon sens. Mais les divergences de fond des politiques économiques n'en sont pas moins réelles.

Dans la zone euro, l'Allemagne -ce n'est pas une nouveauté- fonde sa stratégie sur la déflation compétitive et la compression de la masse salariale, ce qui lui permet de dégager d'importants excédents commerciaux. L'inflation y est une des plus faibles d'Europe. Son influence sur l'euro est plutôt à la hausse. L'Espagne compte en revanche sur la consommation pour effectuer son rattrapage. Les salaires y ont eu tendance à augmenter au-delà de la productivité, l'inflation a accompagné le mouvement : sa balance commerciale s'est détériorée. Son influence sur l'euro est plutôt à la baisse. La France est entre les deux modèles. Comme l'Allemagne, mais en moins bien, elle ajuste ses salaires à l'évolution de la productivité, elle est plutôt un bon élève de l'inflation. Mais comme l'Espagne, elle connaît un commerce extérieur déficitaire.

Ces différents modèles en réalité se contrarient, l'Allemagne accaparant des parts de marché dans la zone euro et hors d'elle. Ce qui n'est pas sans incidence financière et monétaire. Une union monétaire n'est en effet viable que s'il existe entre les États une convergence de points de vue et une solidarité financière. Si celle-ci existe formellement, celle-là est loin d'être évidente. La Banque centrale ne peut ainsi avoir une politique qui satisfasse simultanément tous les États. Si ces disparités ne sont pas à l'origine de la crise actuelle, elles en préparent d'autres : plus elles seront grandes, plus le concept de politique monétaire unique en Europe sera vain.

Les divergences de politiques économiques conduisent à des situations financières malsaines et inquiétantes. La Grèce par exemple, dont l'état est très dégradé, emprunte aujourd'hui à 2,5 % au-dessus du taux concédé à l'Allemagne, qui est le pays référent. Cet écart, qui vaut aussi pour d'autres pays, est appelé à se creuser au fur et à mesure que la crise s'approfondira, ce qui soumettra les pays concernés à un enfer financier.

Tout cela n'est pas encourageant, notamment pour les investisseurs étrangers. Je crains que ce phénomène cumulatif ne produise une grave crise financière en Europe ; la solidarité financière est en effet vouée à l'échec en cas de déséquilibres structurels permanents, surtout si ces déséquilibres touchent plusieurs pays, comme c'est le cas aujourd'hui avec l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la Grèce.

J'appelle le Gouvernement à ne pas relâcher les efforts accomplis sous la présidence française. Les trajectoires divergentes doivent être corrigées, il y va de la survie de l'euro après la crise.

J'en viens aux fractures, déjà bien visibles et douloureuses dans les pays émergents d'Europe. Les pays de l'est qui espèrent l'euro connaissent une véritable débâcle. Dopés par la perspective de rattraper le niveau de vie des pays occidentaux et peu habitués à gérer les variables monétaires, ils ont laissé aller leur endettement, un endettement libellé qui plus est en devises. Dans les pays baltes, 80 % de la dette des ménages et des entreprises est libellé en euros ou en couronnes suédoises. Ce niveau d'endettement appelle des mesures drastiques ; tandis qu'une dévaluation de leur monnaie aggraverait leur situation, certains États se sont lancés, tels la Lettonie, dans une politique déflationniste qui comprime brutalement la dépense publique et même les salaires... Politique qui n'est guère soutenable sans effet sur les autres États de l'Union et sur l'euro lui-même, certaines banques de la zone euro, autrichiennes et allemandes notamment, étant fortement engagées dans ces pays. Tout défaut de paiement d'importance ne serait pas sans conséquence... Au vu de la conjoncture, on peut se demander si le pire n'est pas devant nous. Quel est le sentiment du Gouvernement sur cette question, monsieur le ministre ?

Mon propos peut sembler pessimiste ; il se veut au contraire encourageant. L'Europe est une affaire sérieuse, il faut examiner sans complexe les problèmes qu'elle connaît.

Je sais que nous sommes capables de mettre fin au désordre économique européen, et je fais confiance au Gouvernement qui a su, l'an dernier, redonner des couleurs à l'Europe trop longtemps engoncée dans ses procédures administratives. (Applaudissements à droite)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Devant la crise financière qui s'est abattue soudainement sur le monde, le Président de la République et le Gouvernement ont fait preuve de réactivité et d'une forte capacité d'entraînement en Europe.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ils ont surtout fait preuve d'agitation !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - La dernière réunion du G20 fut l'occasion de prendre des décisions très importantes ; je m'étonne que certains d'entre vous le contestent.

Mme Nicole Bricq.  - Vous comprendrez demain matin !

M. Jean-Louis Carrère.  - Pardonnez-nous d'être dans l'opposition !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il ne me gêne nullement que vous y demeuriez...

Dès le 12 octobre 2008 le Président de la République a réuni les chefs d'État et de gouvernement de l'Eurogroupe et du Royaume-Uni pour apporter une réponse coordonnée à la crise bancaire. Mme la ministre de l'économie a beaucoup oeuvré, au niveau européen et dans le cadre du G7, pour faire adopter un cadre commun de relance.

Je ne m'attarderai pas sur les mesures de financement de l'économie et d'aide aux PME. Au niveau international, la France a cherché à promouvoir une réforme du système financier. Nous sommes parvenus lors du G20 à des résultats importants, unanimement salués dans le monde. Régulation, transparence, connaissance et contrôle : tels furent les maîtres-mots de cette réunion.

S'agissant des « paradis fiscaux », la liste noire de l'OCDE n'existe plus : les quatre pays qui y figuraient -le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay- se sont engagés à respecter les conventions internationales.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ils tremblent encore ! C'est un gag, ce débat !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Les pays de la « liste grise », qui ont pris des engagements mais ne les respectent pas, doivent être surveillés et accompagnés dans leurs efforts.

L'action engagée contre les juridictions non coopératives doit être étendue aux domaines de la supervision prudentielle et du blanchiment. Nous veillerons au respect des standards internationaux et n'hésiterons pas à faire inscrire sur la « liste noire » les États qui n'auront pas respecté leurs engagements.

Le G20 a également demandé aux institutions financières internationales d'élaborer une « boîte à outils » de sanctions d'ici septembre et d'établir un rapport sur les liens qu'elles entretiennent avec les juridictions non coopératives, qui doivent être rompus.

On n'a pas beaucoup entendu parler des hedge funds, qui sont pourtant au coeur de la crise.

Mme Nicole Bricq.  - Demain !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le G20 a décidé de leur imposer une régulation spécifique : immatriculation obligatoire, transparence dans la gestion, contrôle des engagements des banques. La France a demandé à la Commission européenne de décliner ces principes au niveau européen dans une directive. La nouvelle réglementation devra mieux protéger les investisseurs.

Nous avons également obtenu des avancées significatives dans le domaine des agences de notation : celles-ci portent une lourde responsabilité dans le déclenchement de cette crise due à une mauvaise appréciation des risques. Elles seront enregistrées ; un code de bonne conduite permettra d'éviter les conflits d'intérêts. Ces principes sont déjà mis en oeuvre au niveau européen : un règlement relatif à l'enregistrement et la réglementation des agences de notation, élaboré par la Commission à la demande de la présidence française, a été adopté le 23 avril par le Parlement européen. Ce résultat fut obtenu en moins d'un an.

Monsieur de Montesquiou, vous proposez de revenir au Glass-Steagall Act, c'est-à-dire à la séparation des banques de dépôt et des banques d'investissement. Cela démontre votre excellente connaissance de l'histoire économique et financière. Mais les banques d'investissement sont indispensables au financement de notre économie, notamment de nos grandes entreprises, et leur adossement aux banques de dépôt est un gage de stabilité. Le système bancaire français s'est d'ailleurs révélé plus solide que les autres au cours des derniers mois. En revanche, je tombe d'accord avec vous sur la nécessité de renforcer les contrôles prudentiels.

D'autres proposent de nationaliser les banques.

M. Thierry Foucaud.  - Ça s'est déjà vu !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Mais les exemples du passé nous montrent que ce n'est ni un gage d'efficacité, ni une assurance contre les risques : rappelez-vous les affaires du Crédit Lyonnais et du Gan. (M. Alain Fouché approuve)

En ce qui concerne les politiques de rémunération, il est évident que si les émoluments des traders sont déconnectés de la rentabilité finale de leurs investissements, cela les encourage à monter des opérations risquées. Le Gouvernement est mobilisé pour faire appliquer les nouvelles règles au plus vite. A l'initiative de Mme Lagarde, la place financière française a proposé de nouvelles normes.

J'en viens aux institutions financières internationales. La crise a montré que certains établissements sont trop grands pour être supervisés efficacement. Il est donc nécessaire d'encourager la coopération entre les collèges de superviseurs au niveau mondial. Nous avons confié cette mission au forum de stabilité financière.

M. de Montesquiou a souhaité que l'on renforce les institutions de contrôle et de surveillance. C'est aussi le voeu du Gouvernement. Le G20 a renforcé les prérogatives du FMI, chargé d'alerter la communauté internationale des risques financiers et des déséquilibres macroéconomiques, mais aussi de venir en aide aux pays émergents et en développement. Un nouveau Conseil de stabilité financière, qui comprend les membres du G20, l'Espagne et la Commission européenne, est venu remplacer le forum de stabilité financière et a été chargé du suivi des mesures de régulation.

Je reconnais, monsieur Vera, qu'il est urgent d'aider les pays les plus pauvres. Il faut augmenter les ressources du FMI qui leur sont destinées. Dans l'immédiat, des lignes de crédit bilatéral seront débloquées pour un total de 250 milliards de dollars ; le Japon a pris des engagements, et la France doit contribuer à cet effort à hauteur de 15 milliards de dollars. Nous devons également débattre de l'élargissement du volume et des participants des nouveaux accords d'emprunt. Si ceux-ci entraient en vigueur avant l'été, ce serait un signe fort adressé à la communauté internationale.

Nous avons également progressé dans nos efforts pour déterminer des normes comptables et prudentielles, même si nous aurions voulu aller plus loin. La nouvelle réglementation devra prévenir la formation de bulles spéculatives et l'émergence de crises, et le cas échéant atténuer leurs effets. Le G20 a posé les fondations pour une révision de ces règles. Mme Bricq les considère comme procycliques, et, pour une fois, je partage son opinion.

La France est à l'initiative pour promouvoir une réforme profonde et ambitieuse du système financier international.

M. Bourdin a donné une analyse très précise de l'origine de la crise -outre-Atlantique- et il a bien marqué l'importance des déséquilibres internes de la zone euro. L'exemple de la prime à la casse montre que l'on ne peut en rester à une approche nationale : instituée à la fois en France et en Allemagne, elle a profité aux constructeurs français des deux côtés du Rhin. C'est pourquoi les travaux du G20 sont tellement essentiels. Il y a une fenêtre d'opportunité pour conduire la communauté internationale vers une réforme d'envergure du système financier international. L'exemple des paradis fiscaux montre que l'inimaginable peut devenir possible.

Le Président de la République et le Gouvernement sont pleinement mobilisés pour être à la hauteur de ce rendez-vous historique que la communauté internationale ne doit pas manquer. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Commission spéciale (Réforme du crédit à la consommation) (Nominations)

Mme la présidente.  - Je rappelle que la liste des candidats aux fonctions de membre de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation a été affichée. En l'absence d'opposition dans le délai réglementaire, je proclame membres de cette commission spéciale MM. Bernard Angels, Alain Anziani, Gérard Bailly, Gilbert Barbier, Laurent Béteille, Claude Biwer, Joël Bourdin, Mmes Brigitte Bout, Nicole Bricq, Jacqueline Chevé, M. Philippe Darniche, Mmes Isabelle Debré, Muguette Dini, MM. Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Alain Fauconnier, Mme Samia Ghali, M. Alain Gournac, Mme Françoise Henneron, MM. Edmond Hervé, Michel Houel, Benoît Huré, Jean-Jacques Jégou, André Lardeux, Dominique de Legge, Philippe Marini, Mme Isabelle Pasquet, MM. François Patriat, Daniel Raoul, Charles Revet, Jean-Pierre Sueur, Mme Odette Terrade, MM. René Teulade, Alain Vasselle, Bernard Vera, Richard Yung.

Mme la présidente.  - En attendant l'arrivée de M. Wauquier, retenu à l'Assemblée nationale, je vais suspendre la séance pour une quinzaine de minutes. (Exclamations sur les bancs socialistes)

La séance, suspendue à 15 h 50, reprend à 16 heures.

Heures supplémentaires (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion d'une question orale avec débat sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.

Mme Christiane Demontès, auteur de la question.  - Je remercie mes collègues présents dans l'hémicycle ; et après Mme Bricq, je dénonce l'hypocrisie de ceux qui, lors de la réforme constitutionnelle, ont vanté le respect du Parlement et mis en avant les semaines de contrôle et d'initiative parlementaires... De qui se moque-t-on ? Quelle image lamentable nous donnons à nos concitoyens ! Madame la présidente, je vous demande de porter cette question devant la Conférence des Présidents et d'en saisir M. le Président du Sénat. Il faudra en tout cas y revenir...

Mme Nicole Bricq.  - Et comment !

Mme Christiane Demontès.  - Le Parlement a adopté le 21 août 2007 la loi Tepa relative au travail, à l'emploi et au pouvoir d'achat. Il eût été normal de fournir au Parlement un bilan de son application. Monsieur le ministre, comptez-vous pérenniser cette politique ? En 2007, la croissance était là et la majorité évoquait la perspective du plein emploi. Mme Bricq soulignait pourtant déjà à l'époque combien le texte engageait les finances de l'État, sans garantir l'augmentation globale du pouvoir d'achat ni de l'emploi. Le but non avoué de ces mesures était en fait de contourner l'horaire légal du temps de travail. Ma collègue prédisait que cette loi plongerait la France dans de grandes difficultés.

L'article premier de la loi Tepa qui instaure la défiscalisation des heures supplémentaires et l'exonération des cotisations vise exclusivement les salariés en activité. Ni les demandeurs d'emplois, ni les salariés à temps partiel ne sont concernés. Autrement dit, 15 % de la population active salariée est exclue. Surprenante politique, lorsque l'on affiche comme priorités la valeur travail et le pouvoir d'achat. Nous n'étions pas les seuls à vous mettre en garde contre les effets pervers. Ainsi, deux membres du Conseil d'analyse économique estimaient qu'une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires « aurait au mieux un effet incertain sur l'emploi et le revenu, avec un risque exorbitant pour les finances publiques et une complexité accrue du système fiscal ». Ils prévoyaient que les employeurs seraient incités à recourir aux heures supplémentaires, au lieu d'embaucher. Ils dénonçaient les risques évidents d'abaissement du taux de salaire des heures normales au bénéfice d'une augmentation des heures supplémentaires. Du point de vue du pouvoir d'achat, cette mesure n'a favorisé que le personnel très qualifié, au détriment des salariés en CDD et des intérimaires -bref, des plus fragiles. M. Marini citait dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2009 le constat dressé dès 2006 par le Centre d'analyse stratégique : les marges de manoeuvre pour amplifier la politique d'allègement du coût du travail sur les bas salaires ont atteint leurs limites dans la mesure où les cotisations patronales, au niveau du Smic, ont presque totalement disparu.

Ces analyses que nous partagions paraissent encore plus pertinentes dans un marché de l'emploi dégradé. La déflagration financière, économique et sociale a montré l'importance d'une politique dynamique capable de promouvoir l'emploi. En août 2007, la croissance était alimentée par un capitalisme financier carburant à plein régime. A présent, le chômage explose : 64 000 demandeurs d'emploi supplémentaires en mars dernier ! Madame la ministre juge ce chiffre « non catastrophique ». Or sur les trois derniers mois, le rythme de croissance annuelle du chômage atteint presque un million de personnes et des entreprises ferment à cause de la crise, pendant que d'autres en profitent.

La crise influe sur la structure du marché de l'emploi. L'emploi précaire a constitué depuis une décennie la principale forme de création d'emplois. Or, à la différence de ce qui s'est produit lors de la dernière récession, cette forme est la première touchée. Les emplois précaires sont devenus la variable d'ajustement des entreprises, ils encaissent tous les chocs de la flexibilité.

Les chiffres de l'Acoss pour le quatrième trimestre 2008 démontrent que, malgré la crise, le volume d'heures supplémentaires a fort bien résisté : 39,3 % des entreprises y ont eu recours, après 41,1 % au troisième trimestre. Les employeurs n'utilisent pas ces heures pour répondre à une demande conjoncturelle. La Dares le confirme, observant que l'entrée en vigueur au quatrième trimestre 2007 de la loi Tepa « a vraisemblablement réduit le biais de sous-déclaration à l'enquête : les allègements de cotisations amènent désormais les entreprises à recenser avec plus de précision ces heures supplémentaires ».

La défiscalisation des heures supplémentaires s'est, au moins en partie, soldée par le blanchiment d'un travail jusqu'alors dissimulé. Sur le dernier trimestre 2008, ce volume d'heures représentait 90 000 emplois équivalents temps plein...

La loi Tepa ajoute du chômage au chômage. Nombre d'économistes le disent, inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu'il n'y a plus d'activité est nuisible à l'emploi. Cette analyse est partagée par l'ensemble des organisations syndicales. La création d'un emploi est devenue plus onéreuse que le recours à des heures supplémentaires défiscalisées. Et la défiscalisation freinera mécaniquement la création d'emplois lorsque la croissance reviendra.

Bref, si ce dispositif fiscal peut se concevoir en situation de plein emploi, il en va tout autrement aujourd'hui... Pourquoi le Gouvernement ne tient-il pas compte de ce changement de donne ? Enfin, si l'objectif avoué de ce dispositif était de redonner du pouvoir d'achat, on voit ce qu'il en est. Mme la ministre de l'économie affirmait que la défiscalisation engendrerait un gain par salarié de 2 500 euros par an : en fait, dans les cas les plus favorables, le gain moyen annuel atteint 780 euros par an.

Le Gouvernement devrait faire preuve du pragmatisme dont il se targue ! A défaut, c'est l'emploi qui en souffrira, et notamment les plus fragiles.

Entrées en vigueur le 1er octobre 2007, les exonérations de cotisations sociales ont connu une montée en charge durant toute l'année 2008. Selon l'Acoss, le coût a été de 2,791 milliards pour 725 millions d'heures supplémentaires. Il devrait être de 3,1 milliards en 2009, alors que le déficit de la sécurité sociale franchira la barre des 18, voire des 20 milliards fin 2009.

Mme Nicole Bricq.  - Je prends les paris !

Mme Christiane Demontès.  - La Cour des comptes a beau appeler à « revenir sur le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions et réductions aux finalités diverses, qui créent de fortes inégalités et constituent une perte de ressources publiques, alors que leur intérêt économique n'est pas ou plus démontré », le Gouvernement fait tout le contraire, quitte à devoir demain pénaliser encore les assurés...

Alors que le déficit public frôlera les 6 % du PIB fin 2009, et que la dette atteint 70 %, l'allègement de charges pèsera 1,5 milliard, auquel s'ajoute le milliard d'euros de moins-value d'impôt sur le revenu. In fine, l'ensemble du dispositif coûte plus de 4 milliards par an aux finances publiques, soit trois fois plus que les mesures sociales annoncées le 18 février par le Président de la République. Dans le même temps, on ne sait pas comment financer le RSA...

Ces dispositions ne concernent que 5,5 millions de salariés, et ne créent aucun emploi. Étant donné le lien de subordination entre employé et employeur, la liberté de travailler plus, si chère aux libéraux et au Président de la République, est bien relative : l'employeur peut être tenté de proposer au salarié la transformation en heures supplémentaires nominales des augmentations annuelles de salaires ou des primes sur résultats.

Enfin, alors que les deux lois sur la réduction négociée du temps de travail plaçaient la négociation collective au coeur du processus, on privilégie désormais les augmentations individualisées. La disparition du contrat collectif de travail est, de fait, une vieille revendication du Medef et de la droite...

Loin de favoriser l'emploi, ce dispositif ajoute du chômage au chômage. Il pèse sur le financement de la sécurité sociale et le budget de l'État. Selon un récent sondage, 63 % de nos concitoyens estiment que la situation économique va se dégrader, 77 % que leurs revenus vont stagner ou baisser. Face à l'exaspération légitime des salariés et des chômeurs, quel bilan faites-vous de votre politique, monsieur le ministre, et comptez-vous la poursuivre ? (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Bricq.  - Le chômage ne cesse d'augmenter depuis le retournement de l'été 2008, et dépassera bientôt les 10 %. Il se maintiendra à un niveau élevé jusqu'en 2011 au moins. En 2009, nous connaîtrons une croissance négative, entre -2,5 et -4 %, selon les économistes. L'explosion du chômage ne pourra être contenue. Les chiffres de l'intérim sont révélateurs, avec une baisse de 38 % en mars et 200 000 équivalents temps plein supprimés en un an...

La défiscalisation des heures supplémentaires traduisait un slogan de la campagne présidentielle : « travailler plus pour gagner plus ». Début 2009, le Gouvernement a présenté un bilan de cette mesure phare -sans attendre les chiffres de la fin 2008- annonçant 750 millions d'heures supplémentaires en 2008. Dans l'euphorie, il imaginait, malgré nos mises en garde, que la crise des subprimes s'arrêterait aux frontières de la France, tel le nuage de Tchernobyl ! Il annonçait encore en 2009 que le dispositif atteindrait son plein effet en 2010...

Au dernier trimestre 2008, les heures supplémentaires ont augmenté de 2,8 %, alors que l'activité reculait de 1,2 %. Preuve que le recours aux heures supplémentaires, loin de correspondre à un surplus d'activité, compense le non-remplacement, voire le licenciement, de salariés ! L'arbitrage se fait au détriment de l'emploi : les heures supplémentaires représentent 90 000 équivalents temps plein, quand le secteur privé perd 115 000 emplois.

Le Gouvernement chiffre le coût pour les finances publiques à 4,4 milliards en régime de croisière. La loi de finances initiale pour 2009 prévoit 3,1 milliards d'exonérations sociales et 900 millions d'exonérations fiscales ; l'exécution de la loi de finances pour 2008 comptabilise 3,070 milliards d'exonérations sociales et 230 millions d'exonérations fiscales. Qui plus est, le dispositif a un effet inflationniste sur le nombre d'heures supplémentaires déclarées, qui ne correspondent pas nécessairement à une augmentation effective de la durée de travail. L'administration fiscale n'a en effet aucun moyen de contrôler qu'il n'y a pas eu accord entre l'employeur et le salarié, notamment dans les petites entreprises ! Les économistes Cahuc et Zylberberg rapprochent ce mécanisme pervers de l'impôt sur les portes et fenêtres, qui fit dire à Victor Hugo, dans Les Misérables : « Dieu donne l'air aux hommes, la loi le leur vend » !

Ce dispositif est contreproductif pour l'emploi et onéreux pour les finances publiques. Est-il raisonnable de faire payer les contribuables pour supprimer des emplois ? Personne ne peut le prétendre. Quant au gain de pouvoir d'achat, il est bien moindre que ne le prétend le Gouvernement. Avec 700 euros par an pour ceux qui bénéficient du dispositif, on est loin de la « réussite exceptionnelle » claironnée par le Président de la République. Est-ce raisonnable, quand cela se fait au détriment de ceux qui perdent leur emploi à cause des heures supplémentaires ?

On retrouve là une marque de fabrique des gouvernements de droite : diviser les salariés en les traitant différemment.

La gymnastique fiscale à laquelle a dû se livrer ce Gouvernement pour financer le RSA, pour 1 milliard d'euros, laisse rêveur. Vous-même, monsieur le ministre, si attaché à la lutte contre le chômage des jeunes -et les derniers chiffres montrent de fait que ce sont eux les plus pénalisés- vous ne savez pas comment vous allez financer les 1,3 milliard qui viennent d'être annoncés. Le Gouvernement ne sait pas plus comment financer les plus de 2 milliards que coûtera la baisse de la TVA décidée sur la restauration sans même qu'aucun engagement sur l'emploi ait été pris, en contrepartie, par la profession.

Il n'y a pas de honte à reconnaître ses erreurs en cette période de crise durable. Il faut renoncer à ces dispositions sur les heures supplémentaires. C'est une mesure de salut pour nos finances publiques. Si vous ne le faites pas, ce ne sera plus une erreur mais une faute politique, dont vous serez comptables.

J'invite nos collègues qui ne l'ont pas encore fait à signer la pétition d'Alternatives économiques, revue qui a beaucoup travaillé sur cette question et qui appelle à la suppression de cette mesure déraisonnable. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Annie David.  - Face à la crise qui s'installe, et qui exigerait un changement de cap, vous persistez. Pourtant, monsieur le ministre, le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires s'est révélée néfaste tant pour l'emploi que pour les comptes sociaux. Nous avions dit nos craintes lors du vote de la loi Tepa. En 2007, soit avant le vote de la loi, la Dares estimait à 730 millions le nombre d'heures supplémentaires, effectuées par 5,5 millions de salariés, preuve que quand les entreprises ont besoin de recourir aux heures supplémentaires, elles le font : point n'est besoin de loi. La même Dares, en 2008, soit après le vote de la loi, estime que l'augmentation des heures supplémentaires est imputable en partie au fait que les entreprises, dès lors qu'existe un allègement de charges, les recensent plus précisément. Au quatrième trimestre de 2008, en pleine récession, on recense ainsi 184 millions d'heures supplémentaires, soit 40 millions de plus qu'au quatrième trimestre de 2007. Je partage l'analyse que vous a livrée Mme Demontès sur ces chiffres. Certains économistes estiment qu'ils équivalent à 90 000 emplois à temps plein. Et cela alors que 7,8 % de la population active, soit plus de 149 000 personnes sont au chômage et que la barre des trois millions de chômeurs menace d'être franchie.

Voilà des faits, et non des discours. Dans ce contexte, la défiscalisation des heures supplémentaires met en concurrence le temps de travail et l'emploi, au détriment de ce dernier. Alors que les carnets de commande des entreprises sont au plus bas, le recours aux heures supplémentaires a servi non pas à faire face à un surplus d'activité, mais à remplacer les salariés en contrats d'intérim ou en CDD, remerciés.

De surcroît, les dispositions de la loi Tepa ont permis aux employeurs de continuer à tirer vers le bas la rémunération réelle des salariés : le salaire moyen de base, hors heures supplémentaires, primes et gratifications, n'a progressé, au deuxième trimestre 2008, que de 0,9 %, contre 1,1 % au trimestre précédent, tandis que les prix augmentaient, quand à eux, de 1,3 %.

La flexibilité du travail, que vous poussez à outrance, n'a fait qu'aggraver la situation et personne ne croit plus au credo libéral « travailler plus pour gagner plus ». La préoccupation majeure, aujourd'hui, pour des millions de nos concitoyens, c'est de conserver son emploi pour continuer à travailler ! Pour ces millions de femmes et d'hommes privés d'emplois, la loi Tepa, le bouclier fiscal, sont une véritable offense, indigne de notre République. Songeons-y : 90 000 emplois à temps plein !

Mais votre politique n'est pas seulement nuisible à l'emploi, elle est nuisible pour les comptes de l'État. Le dernier rapport de la Cour des comptes estime le coût total de l'ensemble des dispositifs d'exonérations, pour 2008, à 32,3 milliards, dont plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires. De quoi inquiéter le service public de la santé, une nouvelle fois fragilisé, sans même que cette somme vienne alimenter, comme elle aurait pu le faire, un plan de relance plus ambitieux. La Cour des comptes préconise donc, sans surprise, de revenir sur ces exonérations, dont l'intérêt économique n'est pas avéré. Nous y reviendrons, puisque conformément à l'article 189 de la loi de finances 2009, le Gouvernement doit remettre au Parlement, avant le 15 juin 2009, un rapport à ce sujet. Nul besoin cependant d'attendre ce rapport, pour savoir que ces exonérations ont déjà contribué à l'accroissement du déficit de la protection sociale, directement, par la baisse des cotisations versées, et indirectement, par la pression qu'elles exercent sur l'emploi et la masse salariale nationale.

Voilà où nous a conduit votre politique ! Voilà les faits, hors toute idéologie. La vérité, dit-on, naît du choc des opinions. J'ai espoir, monsieur le ministre, pour l'ensemble de nos concitoyens qui souffrent, que votre Gouvernement prendra ses responsabilités en supprimant les dispositions de la loi Tepa. Ce dont notre pays a aujourd'hui besoin, c'est d'une politique de relance ambitieuse, non pas axée sur la réduction du coût du travail mais sur la demande, agissant sur le niveau des salaires, des minima sociaux, des allocations chômage et des pensions de retraite. Il s'agit aussi de relancer l'investissement en révisant la gouvernance des entreprises, où les dividendes restent élevés, au détriment des salariés et de l'investissement. Je songe en particulier à l'entreprise Caterpillar et vous demande, monsieur le ministre, d'intervenir auprès de sa direction pour qu'elle accède au voeu du comité d'entreprise de voir s'engager une négociation en vue d'un plan social de sauvegarde.

La gravité de la crise requiert un changement de cap ! L'Américain Paul Krugman, prix Nobel d'économie 2008, appelle son pays à la mise en oeuvre d'un plan de relance d'au moins 4 % de son PIB et à l'augmentation des indemnités du chômage. L'heure n'est plus à la rigueur mais bel et bien à la relance ! (Applaudissements à gauche)

M. Rémy Pointereau.  - Depuis le 1er octobre 2007, la nouvelle réglementation des heures supplémentaires prévue par la loi Tepa encourage, via des exonérations de charges patronales, l'octroi, au profit des salariés, d'heures supplémentaires au-delà des 35 heures.

Cette mesure phare de la politique économique de notre Gouvernement recueille l'entier soutien du groupe UMP. Elle s'inscrit pleinement dans le cadre de la valeur travail que nous défendons avec force et que le Président de la République avait résumée pendant sa campagne par l'expression « Travailler plus pour gagner plus ». (Exclamations ironiques à gauche)

On ne peut que constater que la politique de partage du travail, incarnée par la réduction uniforme et autoritaire du temps de travail, qui s'est traduite par un gel des salaires, a fortement pénalisé le pouvoir d'achat des salariés français, en stagnation depuis les années 1990. (Protestations sur les bancs socialistes)

Les 35 heures ont désorganisé les hôpitaux (nouvelles protestations sur les mêmes bancs) et coûté fort cher aux collectivités locales, qui ont vu croître leurs dépenses en personnel alors que l'État n'assurait pas, à l'époque, de compensation dans les établissements publics.

La réduction du nombre des heures supplémentaires du fait des 35 heures a été très mal vécue par les salariés les plus modestes, qui y trouvaient un complément de revenu. (Exclamations à gauche) Certains salariés, qui avec la réduction du temps de travail se trouvaient avec près de deux mois et demi de congé, en venaient à souhaiter qu'une partie leur en soit rachetée, pour gagner plus.

La promesse de campagne de Nicolas Sarkozy a donc été tenue : permettre à l'ensemble des salariés qui le souhaitent d'allonger leur temps de travail pour augmenter leur pouvoir d'achat.

Certains salariés sont satisfaits des 35 heures et souhaitent y demeurer. Nous n'y voyons aucun inconvénient. (Exclamations ironiques à gauche)

En revanche, d'autres, notamment parmi les jeunes, les pères et mères de famille, ceux qui viennent d'acheter une maison ou ont un projet, veulent pouvoir gagner plus en travaillant plus : nous ne devons pas les en empêcher.

Si la crise actuelle entraîne une baisse temporaire d'activité dans certains secteurs, donc une moindre utilisation des heures supplémentaires, il ne saurait pour autant être question de remettre en cause un dispositif qui repose sur une logique de gagnant-gagnant : pour l'entreprise, dont le coût des heures supplémentaires, trop dissuasif jusqu'à la loi Tepa, a désormais diminué ; pour les salariés, qui bénéficient d'une augmentation directe de leur rémunération.

Je rappelle que pour un salarié gagnant le Smic qui travaille 4 heures de plus sur la semaine, le gain mensuel est d'au moins 165 euros, soit 1 980 euros par an, et non 700 euros, comme je vous l'ai entendu dire.

Mme Nicole Bricq.  - C'est purement théorique !

M. Rémy Pointereau.  - Ce n'est pas théorique : je le vis tous les mois ! Pour tous ceux qui effectuaient déjà des heures supplémentaires, ce sont 20 % de charges en moins, donc du pouvoir d'achat en plus, ce qui n'est pas négligeable dans un contexte économique difficile. (Exclamations à gauche)

Cette mesure d'amélioration directe du pouvoir d'achat bénéficie à l'ensemble des salariés : salariés du secteur privé ou fonctionnaires, salariés rémunérés selon un régime forfaitaire, salariés à temps complet et à temps partiel. Près de 40 % des entreprises représentant 65 % de la masse salariale utilisent aujourd'hui l'exonération Tepa.

Contrairement aux affirmations péremptoires de l'opposition voire de certains experts, la défiscalisation des heures supplémentaires n'entraîne pas de hausse du chômage du fait d'une moindre utilisation des CDD ou de l'intérim.

Au contraire, l'augmentation du nombre des heures travaillées favorise l'emploi. Le Danemark, la Suède, le Royaume-Uni, l'Irlande ont tous une durée de travail hebdomadaire supérieure à la nôtre et ils ont pourtant atteint le plein emploi, avec un taux de chômage avoisinant les 5 %.

Mme Nicole Bricq.  - Ce n'est plus vrai ! Il faut se tenir au courant !

M. Rémy Pointereau.  - C'est bien le travail des uns qui crée le travail des autres. Augmenter les heures supplémentaires, c'est donner plus de pouvoir d'achat aux salariés, c'est plus de production, plus de consommation et donc plus d'emplois Le cercle est vertueux. Si les effets de la défiscalisation sont peut-être moindres en cette période de fort ralentissement économique ils seront de nouveau bénéfiques pour le pouvoir d'achat des salariés dès que la reprise s'amorcera. Ne détricotons donc pas un dispositif mis en place récemment, d'autant que tous les secteurs ne sont pas touchés de manière égale par la crise. C'est pourquoi le groupe UMP demeure attaché à la défiscalisation des heures supplémentaires qui profite aux classes moyennes et modestes qui veulent travailler plus pour gagner plus. (Applaudissements à droite)

Mme Christiane Demontès.  - Et ceux qui ne travaillent plus !

M. Aymeri de Montesquiou.  - La défiscalisation des heures supplémentaires, voulue par le Président de la République, concrétisait le principe du « travailler plus pour gagner plus » et concernait tous les salariés, du public comme du privé. Peut-on en tirer un premier bilan ?

Selon l'Urssaf, 37 % des entreprises y ont eu recours en 2007 et 2008 pour un coût global pour l'État de l'ordre de 6,5 milliards. En cas de hausse d'activité, les très petites entreprises ont tendance à augmenter le nombre de leurs heures supplémentaires plutôt qu'à créer des emplois ; l'effet sur l'emploi est donc négatif. Les allégements de charges sociales provoquent une perte de revenus pour la sécurité sociale et un gain financier conséquent pour les PME ; or ce bonus financier les pousse à créer des heures supplémentaires, voire à en augmenter artificiellement le nombre pour diminuer leur coût salarial. Les exonérations de cotisations sociales risquent d'aggraver à terme le déficit des comptes sociaux. Cette hausse des heures supplémentaires bénéficie davantage aux entreprises qu'aux salariés, même si ces derniers ont déjà profité d'une diminution substantielle de leur impôt sur le revenu.

Il apparaît essentiel de comptabiliser, par exemple, les heures supplémentaires effectuées et non déclarées, qui sont, selon l'Urssaf, considérablement nombreuses dans les PME de moins de vingt salariés et dans les TPE. En outre, les données relatives à ce dispositif ne sont pas corrigées des variations saisonnières, ni des effets des jours ouvrables. Or, la forte composante saisonnière des heures supplémentaires rend délicate toute interprétation de ces données.

Deux possibilités sont envisageables. Premier scénario : si le système des 35 heures persiste, cette défiscalisation permettrait, dans les cinq ans à venir, un supplément de croissance de 0,3 % grâce à ce soutien de la demande intérieure. Une partie de leur supplément de revenu serait épargnée par les ménages -le taux d'épargne augmenterait de 0,1 point- et l'autre partie serait consommée, ce qui stimulerait l'activité et l'investissement des entreprises en retour. Cette très légère baisse du coût du travail permettrait de créer près de 73 000 emplois d'ici à 2012.

Second scénario : si la durée légale du travail était allongée, la défiscalisation des heures supplémentaires augmenterait la productivité des salariés français, ce qui serait positif pour notre économie mais pas nécessairement, à court terme, pour l'emploi.

Si l'effet positif de cette défiscalisation n'est pas négligeable pour les salariés qui en bénéficient, ce résultat doit être relativisé par la forte diminution, ces derniers mois, du nombre d'entreprises qui ont recours aux heures supplémentaires du fait du ralentissement de leur activité, conséquence directe de la crise. Il ne faut pas non plus oublier les sombres perspectives pour l'emploi dans les années à venir, la crise économique conduisant inexorablement à une forte hausse du taux de chômage, les prévisions les plus pessimistes tablant sur 9,8 % de chômeurs en 2009, 10 % en 2010, voire 12 % à l'horizon 2011-2012. Qu'en sera-t-il alors des avantages liés à l'application de la loi Tepa ?

Au vu de ces quelques données chiffrées et des incertitudes liées à la crise, il est difficile d'avoir une perspective impartiale sur ce dispositif de défiscalisation. C'est pourquoi, le groupe du RDSE considère que son succès dépend de la situation économique de notre pays et qu'il pourrait être modulé selon le contexte et jouer pleinement son rôle positif en période de croissance. (Applaudissements à droite)

M. François Rebsamen.  - L'économie est frappée de plein fouet par la crise la plus grave depuis les années 30. Depuis plusieurs mois nous voyons le cortège grandissant des fermetures d'entreprises et des licenciements, le désarroi des salariés, l'inquiétude de la population qui assiste, impuissante, à la mise en oeuvre d'un modèle politico-économique, symbolisé par la loi Tepa, teinté de néo-libéralisme à la sauce Thatcher. Ce modèle qui pouvait, du point de vue d'économistes conservateurs, se justifier en période de croissance et de tension sur le marché du travail, est aujourd'hui dangereux pour les finances publiques, économiquement inefficace et socialement injuste. Nicolas Sarkozy qui se prétend pragmatique est, en réalité, arc-bouté sur la défense de mesures qui relèvent d'un dogmatisme idéologique dépassé : le bouclier fiscal pour protéger les plus riches, la suppression des droits de succession pour les plus aisés et, bien sûr, la défiscalisation des heures supplémentaires qui détériorent un peu plus l'emploi.

La situation économique de 2009 n'est pas celle de 2007 et le pragmatisme revendiqué par Nicolas Sarkozy exigerait de renoncer à ces dispositifs. II faut y renoncer pour pouvoir se donner les moyens d'imaginer des mesures qui concilient sortie de crise et nouveau modèle de développement durable. Ce n'est pas en favorisant le travail dominical que l'on offrira plus de sécurité professionnelle et de pouvoir d'achat. Nous devons inventer un nouveau contrat social qui réconcilie le salarié et l'activité, donne à chacun la possibilité de construire sa vie dans la sécurité professionnelle.

L'augmentation des heures supplémentaires ne correspond ni à une hausse de l'activité et ni à une hausse du pouvoir d'achat. On a critiqué les 35 heures. Pourtant, il n'y a jamais eu autant d'heures travaillées qu'entre 1997 et 2001 ! Défiscaliser les heures supplémentaires, cela n'en augmente pas le nombre, cela freine seulement, mécaniquement, la création d'emplois.

Le Gouvernement persiste à maintenir le cap capitaliste et libéral qu'il s'est fixé et, au lieu de supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires, voilà que la droite relance le débat sur la fausse solution du travail dominical, avec un nouveau slogan : « un jour de croissance en plus, un jour de pouvoir d'achat en plus ». On croit rêver. Libéraliser, assouplir encore un peu plus le droit du travail : tels étaient ses objectifs avait rappelé le Président de la République en octobre 2008 lorsqu'il dévoilait son plan pour l'emploi dans les Ardennes. Est-ce vraiment le moment quand tant de salariés cherchent plus de sécurité ?

Est-ce le moment d'installer une précarité et une flexibilité accrue de l'emploi, alors que, selon l'OFCE, rien ne montre que le travail dominical aurait le moindre impact sur le volume global de dépenses ni sur l'emploi ?

Le Plan d'action pour les jeunes ! Je m'étonne qu'on ait trouvé 4 milliards pour défiscaliser les heures supplémentaires et qu'on peine à trouver 1,3 milliard pour l'emploi des jeunes, d'autant que, rappelons-le, le Gouvernement, en 2008, a retiré 200 millions aux contrats de professionnalisation. Il faut cesser d'empiler les mesures qui n'ont qu'un effet d'aubaine pour les entreprises !

Au lieu d'embaucher des jeunes en CDI, on les prendra en stage et puis on les abandonnera : j'ai peur que votre plan pour les jeunes laisse les jeunes en plan. (Sourires et mouvements divers) A chaque jeune qui entre dans la vie active, la société doit garantir un contrat de travail pour toute la durée de sa vie professionnelle ; à chaque salarié, elle doit assurer des véritables contrats de transition professionnelle. Ce n'est qu'en sécurisant le travail que nous rétablirons la confiance et que nous échapperons à la société inégalitaire que vous préparez. (Applaudissements à gauche)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.  - Je vous remercie de ce débat de qualité et empreint de respect mutuel.

M. Pointereau a fort bien rappelé la cohérence du dispositif et son contexte de l'époque. Je n'y reviens donc pas. Les 35 heures avaient provoqué des dégâts ; elles avaient été une catastrophe pour les salariés comme pour les entreprises...

Mme Nicole Bricq.  - Pourquoi ne pas les avoir abrogées ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Il s'agissait d'y remédier. Alors que la France avait été la seule à croire que la réduction du temps de travail créerait des emplois, les heures supplémentaires ont restauré la compétitivité de nos entreprises, ce qui est bien utile aujourd'hui, et rendu du pouvoir d'achat aux salariés, notamment ceux des PME, qui souffraient d'une grave inégalité. Le premier bénéfice de la mesure est en effet de donner du pouvoir d'achat aux plus modestes, et cela est appréciable dans un contexte de ralentissement économique. Les ouvriers font en moyenne deux fois plus d'heures supplémentaires que les professions intermédiaires, et six fois plus que les cadres ; ceux des entreprises de moins de vingt salariés en font trois fois plus que ceux des grandes entreprises. Supprimer les heures supplémentaires pénaliserait les salariés les plus modestes.

Mme Nicole Bricq.  - Qu'on leur verse des salaires décents !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Deuxième bénéfice, la mesure a été un véritable coup de pouce à la compétitivité des entreprises : il est donc essentiel de préserver ce dispositif de souplesse.

Troisième bénéfice, la définition du temps de travail est arrêtée à l'échelon de l'entreprise, alors que nous étions prisonniers du carcan des branches. (Mme Annie David marque son désaccord)

Les résultats obtenus s'expriment dans la très rapide montée en puissance du dispositif (185 millions d'heures supplémentaires) utilisé par 50 000 entreprises de plus que l'an dernier. Si vous allez jusqu'au bout de votre logique, assumez aussi le fait de retirer 2 milliards aux salariés qui en ont le plus besoin !

Mme Nicole Bricq.  - Il n'y a qu'à les payer correctement !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Vous dites tout le temps qu'il faut prendre des mesures ciblées en faveur du pouvoir d'achat ; cela tombe bien, il y en a une. Je n'arrive pas à comprendre que vous vouliez la supprimer. Elle a aussi permis, et c'est tant mieux, de blanchir le travail au noir. Qui ici contesterait qu'on remette les gens dans le chemin du droit ? (M. Rémy Pointereau approuve l'orateur)

Mmes Nicole Bricq et Christiane Demontès.  - Cela ne crée pas d'emplois !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Tout le monde doit se réjouir...

M. Rémy Pointereau.  - Oui !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - ...que les salariés soient ainsi mieux protégés.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Bien sûr !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Qu'en est-il de la situation du chômage ? L'Espagne, le Royaume-Uni et le Danemark n'ont pas de dispositif semblable, mais ils n'avaient pas fait les 35 heures ; le chômage y a augmenté respectivement de 60, 30 et 55 %, alors qu'en France l'augmentation n'a été que de 15 %. Je ne m'en réjouis pas car j'en vois les conséquences sur le terrain chaque semaine, mais il est difficile d'expliquer la dégradation de l'emploi par les heures supplémentaires...

Mme Nicole Bricq.  - Elles ne créent pas d'emplois !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Empêchent-elles d'en créer ? On a créé 140 000 emplois dans le secteur concurrentiel, soit beaucoup plus qu'en 2006 et 2007 ! Et si l'on recourt moins aux heures supplémentaires aujourd'hui, elles restent un dispositif de gestion de l'emploi qui nous amène à regarder au-delà de la crise. Voilà notre conviction, voilà notre choix politique. Car contrairement à Dominique Méda, sociologue proche de Ségolène Royal, nous ne croyons pas que le travail soit une valeur en voie de disparition. C'est au contraire la valeur qui fonde toute politique de l'emploi, une exigence d'efficacité économique et de solidarité. (Applaudissements à droite et sur certains bancs du RDSE)

Mme Christiane Demontès.  - Je vous remercie des informations que vous avez apportées. Nous ne partageons pas les mêmes analyses. Les heures supplémentaires, dites-vous, ont bénéficié aux salariés les plus modestes. On en doute ! Il y a une mesure à prendre pour le pouvoir d'achat et elle est toute simple : augmenter les salaires, en particulier le Smic.

Il est en outre pour le moins curieux qu'il faille passer par une défiscalisation et des exonérations de charges pour que le travail au noir soit blanchi ! Ne revient-il pas aux inspecteurs du travail de contrôler les entreprises ?

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Des personnalités de votre propre camp, dont des anciens premiers ministres, incitent le Gouvernement en cette période de crise à lâcher du lest sur le bouclier fiscal ou les exonérations de charges. Agir ainsi ne vous attirera pas les foudres de nos concitoyens, qui comprendront sans mal que vous abandonniez la grille de lecture libérale ; ils vous seront au contraire reconnaissants d'une politique qui augmente leur pouvoir d'achat et stabilise, voire augmente les ressources de notre système de protection sociale et celles de l'État. C'est le devenir de notre contrat social qui est en jeu.

Le contrôle est la deuxième fonction majeure de notre assemblée. Je souhaite, madame la présidente, que vous vous fassiez notre interprète auprès de la Conférence des Présidents pour demander la constitution d'un groupe de travail chargé de faire le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le débat est clos.

Formation professionnelle (Engagement de la procédure accélérée)

Mme la présidente.  - Le Gouvernement a informé M. le Président du Sénat, qu'il avait engagé, en application de l'article 45 alinéa 2 de la Constitution, la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, déposé ce jour sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine.

Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour.  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur les bancs socialistes) Si le groupe du RDSE a souhaité ce débat, c'est qu'il a estimé, conformément à l'humanisme radical qu'il incarne, qu'il avait le devoir d'attirer l'attention sur les drames humains qui se jouent sur notre sol. Nous n'avons pas le droit de fermer les yeux sur la situation intolérable qui est faite à des milliers d'hommes et de femmes dont nos lois nient tout simplement le droit d'être. Nous avons tous ici l'ardente obligation de chercher les voies les meilleures pour répondre efficacement, avec équité et dans le respect absolu de la personne humaine, à ce grand défi de notre temps que sont les migrations de population.

Loin de moi la volonté d'en rester à la compassion, mais les événements récents nous y invitent. Comme beaucoup, monsieur le ministre, vous avez certainement vu le film Welcome, une oeuvre qu'on ne peut recevoir sans avoir la conscience ébranlée. Même si fiction n'est pas réalité, la portée symbolique de ce film n'est pas mince. Raison d'État ou pas, nous ne pouvons faire comme si l'opinion publique et sa sensibilité ne comptaient pour rien dans un débat qui concerne tous les citoyens. Vous-même avez été interpellé à Calais par la « jungle » où se côtoient les rêves les plus fous d'une vie meilleure, la misère et le désespoir, les trocs odieux, la vie et la mort contre de l'argent gagné ou économisé on ne sait comment. Et au milieu, un peu de chaleur humaine, des sourires, des mots de réconfort, des gestes d'hommes enfin dans un monde devenu celui de bêtes sauvages.

Dans un souci d'impartialité, je ne veux pas passer sous silence les mesures prises pour améliorer l'accueil des étrangers en France et rationaliser des procédures très complexes. Tout est désormais regroupé entre les mains du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ; il ya là une volonté de cohérence et de clarification des compétences et le souci d'une meilleure gestion de dossiers qui tous, selon les mots de Paulo Coelho, recèlent une « légende personnelle ». Des efforts incontestables, cependant insuffisants, ont été faits pour améliorer le premier accueil des étrangers en quête du précieux document qui leur permettrait de séjourner et parfois de travailler dans notre pays. Finis les longues files d'attente dès 5 heures du matin, les dortoirs de carton improvisés dans l'attente de l'ouverture des portes.

Mais notre droit reste instable, fluctuant depuis 1976 entre politique restrictive et mesures plus accommodantes. Pas plus les régularisations massives que la répression ne sont venues à bout d'un phénomène auquel Schengen a donné une dimension nouvelle. Faute de politique européenne volontariste et cordonnée, faute de stratégies réalistes, le passage d'une immigration subie à une immigration choisie ne s'est pas produit. De 97 000 en 2000, le nombre d'étrangers entrant en France est passé en 2005 à 134 800, en dépit de la mise en place depuis 2002 d'outils visant à tarir les flux et à rendre les procédures d'accueil plus complexes. La suspicion est devenue le premier instrument d'examen des demandes de séjour ; la liste des attestations et certificats de toutes sortes s'allonge, les délais de convocation s'étirent, les vérifications se multiplient, les contentieux se généralisent -au seul bénéfice des avocats spécialisés et, si l'on peut dire, des tribunaux.

L'urgence n'est-elle pas à simplifier notre droit des étrangers, à le rendre plus lisible et plus compréhensible pour des populations fragilisées ? Comment réduire le nombre et le délai des procédures ? Comment éviter la multiplication des recours devant les juridictions ? Comment garantir le principe de souveraineté de l'État sans affaiblir le droit au séjour ? Votre politique migratoire a des résultats contreproductifs. L'objectif de l'immigration dite choisie était de diminuer les flux des migrants économiquement défavorisés au profit de populations qualifiées ; mais l'excessive complexité des procédures semble détourner de la France les élites, notamment africaines, vers d'autres pays européens ou les États-Unis. Comment dès lors se satisfaire d'une politique au coup par coup qui tantôt recrute des infirmières espagnoles parce que tel hôpital est en difficulté, et tantôt des médecins étrangers qui accepteront une rémunération inférieure à celle de leurs confrères français ?

Rien d'étonnant non plus à ce que la noria de l'immigration clandestine ne s'interrompe pas. Le nombre de clandestins est évalué à environ 400 000. Des personnes qui ont délibérément contrevenu à notre réglementation, d'autres aussi qui, faute de contrôle, ne sont pas reparties au terme de la période autorisée et ont choisi d'entrer dans la clandestinité ; ou encore des déboutés du droit d'asile qui, après être restés sur notre territoire avec le statut de demandeurs d'asile pendant parfois plusieurs années, ne peuvent se résoudre à partir. Derrière ces situations, il y a toujours un drame, personnel, familial, économique ou social.

Je ne suis pas favorable à l'entrée ou au séjour illégal d'étrangers sur notre territoire mais pas non plus à des mesures qui vont à l'encontre du respect dû aux personnes humaines. Depuis plusieurs mois, nous sommes nombreux à avoir dénoncé ces manquements : interpellation de parents à la sortie des écoles, placement d'étrangers en centre de rétention administrative en violation des procédures, etc. Des associations aussi diverses qu'Emmaüs, France terre d'asile ou le Secours catholique nous alertent régulièrement sur le sort réservé aux sans papiers. Ce terme devrait d'ailleurs disparaître de notre langue, tant il indique le non-être, l'inexistence de ceux dont il est permis de ne pas tenir compte.

Ces associations se plaignent aussi de l'apparition d'un « délit de solidarité ». L'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros ». A prendre ce texte à la lettre, ne met-il pas sur le même plan le passeur professionnel et l'homme ou la femme qui, par instinct ou par compassion, offre une pomme à un enfant, une prise de courant à celui qui veut recharger son téléphone ou un logement à celui qui a froid ? Cet article ne concerne pas seulement les particuliers, mais menace aussi comme une épée de Damoclès les membres des associations. Il est en conflit flagrant avec l'article 223-6 du code pénal qui impose l'assistance aux personnes en danger. De nombreux bénévoles ont été inquiétés par les services de police alors qu'ils tentaient justement de venir en aide à des personnes en péril.

C'est inacceptable dans un État de droit. C'est pourquoi je me suis associée à la proposition de loi que doivent déposer MM. Collin et Charasse et qui tend à empêcher les poursuites au titre de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers à l'encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en oeuvre l'obligation d'assistance à personne en danger, jusqu'à l'intervention des services sociaux de l'État. Ainsi ceux qui le souhaitent pourraient continuer à sacrifier sans risque à ce qui fait la noblesse de l'homme : son inclination à aider gratuitement son semblable en détresse, au nom d'une religion, d'un idéal laïque ou de toute autre raison.

Je m'étonne que le « devoir d'ingérence » tant vanté par votre collègue M. Kouchner ne s'applique pas aux problèmes humanitaires à l'intérieur de nos frontières. Ne s'agit-il pas, ici comme ailleurs, du droit au respect des individus ?

A ce propos, je suis très rétive à l'idée d'autoriser les statistiques ethniques, même fondées sur la déclaration volontaire et l'anonymat, car il n'est pas difficile d'en prévoir les dérives. De telles statistiques communautaires ou ethno-raciales ne sont nullement compatibles avec les valeurs de la République fraternelle, une et indivisible. Plusieurs personnalités dont M. Schweitzer, président de la Halde, partagent cette conviction. Nous serons donc très vigilants face aux projets du Comité pour la mesure de la diversité et l'évaluation des discriminations.

Sur ce thème comme sur celui des tests génétiques dont on ne sait toujours pas si vous en retenez l'idée, les membres de mon groupe et moi-même continuerons à exprimer notre désaccord. Par de telles mesures, on renierait les principes et l'esprit même de notre République. On ferait aussi ressurgir des pratiques que l'on croyait à jamais disparues, et que l'on a ici-même entendu décrire par d'anciens résistants ou descendants de résistants.

Je le redis avec force : je ne suis favorable ni à l'entrée ou au séjour irréguliers d'étrangers, ni aux régularisations massives, mais je ne le suis pas non plus à des mesures extrêmes qui ont pour principes directeurs les quotas, les chiffres, les statistiques.

La fermeture de Sangatte n'a fait que déplacer le problème en région parisienne, en Normandie et en Bretagne, avant qu'il ressurgisse à Calais. N'est-il pas temps d'ouvrir les yeux sur le fonctionnement des centres de rétention qui, pour certains d'entre eux, sont indignes de notre pays ? L'heure n'est-elle pas venue d'évaluer l'efficacité des procédures de délivrance de visas et de titres de séjour, de reconduite à la frontière et d'aide au retour ? Alors que nous allons bientôt débattre de la loi sur l'hôpital, ne faut-il pas enfin ouvrir « l'oreille du coeur » ?

J'espère, monsieur le ministre, que vous serez sensible à cette demande. Nous n'avons pas d'autre ambition que de donner à l'homme toute sa place dans un pays que nous voulons exemplaire. Churchill disait que si les Britanniques préféraient le déshonneur à la guerre, ils auraient l'un et l'autre. Ne risquons pas d'avoir à la fois le déshonneur et l'immigration clandestine. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, socialiste et CRC-SPG)

M. Alain Anziani.  - Comment juger une politique de lutte contre l'immigration clandestine ? D'après moi, trois critères doivent être pris en compte.

Il faut d'abord poser la question des causes de l'immigration. Celle-ci est rarement heureuse ; elle est souvent mue par la souffrance, quelquefois par l'espoir. Cette question est difficile à résoudre. Mais pour éviter l'immigration clandestine, plutôt que de construire une illusoire ligne Maginot, l'Europe devra accepter la redistribution des richesses vers les pays les plus pauvres et relever le défi de l'éducation. Depuis plusieurs années votre majorité s'évertue à occulter ce sujet essentiel en opposant immigrations choisie et subie.

Le second critère implique aussi l'Union européenne. Comment lutter contre les réseaux, notamment mafieux ? Il faut se montrer plus sévère à l'égard des trafiquants de tout poil, dans les pays d'origine comme en France. Votre idée de délivrer un titre de séjour provisoire aux clandestins qui dénonceraient leur passeur me paraît mauvaise. Ici le migrant sera muni d'un sauf-conduit, mais comment prémunir sa famille contre les représailles dans son pays d'origine ? D'ailleurs ce marchandage ne peut être le fondement d'une politique d'envergure contre les trafics.

J'en viens au troisième critère, le plus important à mes yeux : une politique de lutte contre l'immigration clandestine doit respecter les droits fondamentaux des individus. Les droits de l'homme devraient être au coeur d'une politique de lutte contre l'immigration clandestine, d'abord parce qu'ils interdisent de traiter la personne humaine comme une marchandise, ensuite parce qu'ils nous obligent à une vigilance constante pour que les sans papiers ne soient pas considérés comme des moins que rien, des parasites dont il faut se débarrasser sans trop y regarder : je partage entièrement les préoccupations de Mme Escoffier.

Quel est donc le bilan de la politique gouvernementale ? Les clandestins sont traités comme des coupables -ce qu'ils sont parfois au regard de notre droit pénal- et non comme des victimes. C'est le résultat de la politique du chiffre du Gouvernement. Comme s'il s'agissait de la rentabilité d'une entreprise, on publie des objectifs annuels : 26 000 reconduites à la frontière pour votre prédécesseur, 27 000 pour vous, monsieur le ministre, davantage sans doute l'année prochaine. Pour atteindre ces objectifs, le plus simple est de mener la chasse aux sans papiers.

La fermeture du centre de Sangatte, près de Calais où viennent s'échouer les Afghans et les Kurdes en attente d'un départ pour l'Angleterre, n'a fait que déplacer la misère vers la zone industrielle de Calais, la « jungle » ; bientôt elle sera repoussée un peu plus loin sans que le problème soit résolu.

Cette politique est incompatible avec le respect de la dignité humaine. Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, a récemment dénoncé un système où « le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits de l'individu ».

Les « bavures » se multiplient dans les centres de rétention. La Commission nationale de déontologie de la sécurité note que « les manquements observés sont la conséquence d'un exercice routinier des missions, de l'insuffisance des contrôles hiérarchiques et juridictionnels, et de la fixation d'objectifs de reconduites effectives à la frontière qui sont sans rapport avec les moyens des services et conduisent à des traitements de masse, au mépris des hommes, de leurs droits fondamentaux et des règles de procédure. »

La lutte contre l'immigration clandestine se confond trop souvent avec un combat contre les immigrés. C'est la voie la plus facile, la plus médiatique, la plus simple à expliquer à l'opinion. C'est celle que vous avez vous-même dénoncée, monsieur le ministre, écrivant dans Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy : « Nicolas Sarkozy fabrique des sans papiers, lui qui prétend lutter contre l'immigration clandestine. » Ne l'imitez donc pas ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

Mme Éliane Assassi.  - Nos collègues du groupe RDSE ont demandé un débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine mais que faut-il entendre par immigration clandestine ? Elle concerne les étrangers qui entrent sur le territoire national sans détenir les documents les y autorisant ou les étrangers qui se maintiennent en France une fois la validité desdits documents expirée. Sont principalement concernés les habitants des pays pauvres qui cherchent un meilleur niveau de vie dans les pays riches, ou encore des hommes et des femmes qui, comme les Comoriens, veulent rejoindre un territoire -Mayotte- dont ils considèrent qu'il ne leur est pas étranger.

Pour l'essentiel, toutefois, l'immigration clandestine en France concerne les demandeurs d'asile déboutés du statut de réfugié ; les personnes devenues sans papiers à la suite du non-renouvellement de leur titre de séjour à cause du durcissement du Céséda ; les jeunes qui, alors qu'ils étaient mineurs n'avaient pas besoin de papiers, se retrouvent en situation irrégulière à leur majorité. La grande majorité des étrangers présents en France y sont entrés de façon tout à fait légale ; c'est le refus de la préfecture de renouveler leur titre de séjour qui a fait d'eux des irréguliers. Après s'être installés en France, y avoir trouvé un emploi, fondé une famille, inscrit leurs enfants à l'école, les étrangers qui se retrouvent un jour privés de titre de séjour décident, en raison des liens qu'ils ont tissés en France, de se maintenir sur le territoire en situation irrégulière. La voilà, la réalité de l'immigration clandestine contre laquelle le Gouvernement s'acharne !

La France n'est plus depuis au moins 25 ans un pays d'immigration et n'est pas soumise à une quelconque pression migratoire. C'est l'un des pays occidentaux où la proportion des migrants a connu la plus faible augmentation dans la période récente. Calais n'est qu'une étape dans le parcours de migrants dont le but est d'atteindre l'Angleterre, pas de s'installer en France.

La lutte contre l'immigration clandestine consiste essentiellement à traquer des personnes installées depuis plusieurs années dans notre pays. Pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en matière d'expulsions du territoire, on a engagé une véritable chasse à l'homme qui met à contribution le personnel de services publics en contact avec des sans papiers : Poste, CPAM, ANPE, Assedic. Sont visés des parents d'enfants nés ou scolarisés en France, des conjoints de Français, des déboutés du droit d'asile, de jeunes majeurs.

Les étrangers sans papiers sont regardés comme des délinquants alors qu'ils n'ont commis aucune atteinte ni aux personnes ni aux biens. Ils sont avant tout des victimes puisque, sans papiers, ils n'ont aucun droit et sont à la merci des employeurs peu scrupuleux et des marchands de sommeil. Ceux qui les aident par humanité et de façon désintéressée ne sont pas mieux considérés.

Un des symboles de cette tendance répressive est le tristement célèbre délit de solidarité : de plus en plus de personnes sont ainsi menacées de poursuites pénales, arrêtées, placées en garde à vue, mises en examen, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière. Je regrette, monsieur le ministre, que vous vous obstiniez à mettre en doute la parole d'associations qui, dossiers à l'appui, démontrent que des personnes subissent vraiment des tracas judiciaires pour avoir aidé des sans papiers. Nous avons d'ailleurs déposé une proposition de loi pour modifier l'article L. 622-1 du Céséda.

La politique d'immigration, menée en France et en Europe, est entièrement axée sur la répression. Je pense à le directive « retour » qui permet de placer en rétention des étrangers y compris des mineurs pour des durées pouvant aller jusqu'à 18 mois et de bannir les expulsés pendant cinq ans. Je pense au pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté dans le cadre de la présidence française et qui oscille entre instrumentalisation du codéveloppement et répression. Je pense aux accords de « gestion concertée » que l'on a fait signer à certains pays africains d'émigration, sur lesquels on exerce un chantage : de (maigres) possibilités de migrations légales en contrepartie de quoi, ils doivent contrôler les flux migratoires depuis leurs pays et faciliter la réadmission des expulsés. Il ne s'agit plus d'empêcher les migrants de pénétrer en Europe mais de les empêcher de quitter leurs pays d'origine.

Le Gouvernement dit vouloir lutter contre l'immigration clandestine, mais en même temps il a besoin de faire venir des étrangers en France tout en les triant sur le volet. C'est le concept d'immigration choisie, choisie en fonction des besoins du patronat, en fonction du niveau de qualification des étrangers qui doit être élevé pour intéresser la France : hommes d'affaires, sportifs de haut niveau, artistes. Comment peut-on parler dans ces conditions de développement solidaire, de codéveloppement, de coopération avec les pays du Sud quand, après avoir pillé leurs matières premières, on veut piller leurs matières grises ?

Votre lutte contre l'immigration clandestine est très coûteuse, inefficace et dangereuse. Elle s'attaque à des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, le droit à mener une vie familiale, le respect de la dignité, du droit d'asile, de l'intérêt supérieur de l'enfant.

La question n'est pas de ne rien faire mais, plutôt que de s'acharner à produire de tels textes, de s'attaquer aux causes de cette immigration que sont la pauvreté et l'injustice. Votre politique est également dangereuse d'un point de vue idéologique, elle relève de cette démagogie à laquelle on recourt en période de crise ou avant des élections. (Applaudissements à gauche)

M. François-Noël Buffet.  - La France est depuis de nombreuses années un pays de destination mais également un pays de transit pour de nombreux candidats à l'émigration. L'analyse de la pression migratoire observée sur le territoire national, dans sa partie métropolitaine comme dans sa partie ultramarine, montre l'existence de flux irréguliers pérennes. Deux catégories de clandestins viennent grossir les rangs des communautés illégalement implantées ou en transit : ceux qui parviennent dans l'espace Schengen par leurs propres moyens et ceux, majoritaires, qui ont recours à une organisation structurée. Comme vous l'indiquiez à juste titre, monsieur le ministre, « on ne vient pas tout seul en France, en organisant individuellement son arrivée. On vient accompagné, attiré, trompé par des réseaux mafieux ».

Les filières d'immigration clandestine transportent et exploitent des femmes, des hommes et des enfants, dans des conditions contraires à toute dignité humaine. En octobre 2005, le Sénat s'était saisi de ce problème majeur en constituant une commission d'enquête sur l'immigration clandestine présidée par Georges Othily et dont j'ai été rapporteur. Notre conclusion était sans appel : « Face à cette réalité inacceptable, la réponse doit être ferme, juste et humaine ».

Les filières d'immigration clandestine sont de mieux en mieux organisées. Elles constituent une des formes les plus abouties de la criminalité organisée, associées à la prostitution, à la production de faux documents, au blanchiment d'argent, au terrorisme parfois. Cette immigration, par le biais du remboursement du prix du voyage, génère une économie souterraine, grâce au travail dissimulé. Pour mettre fin à des situations humaines dramatiques, un signal d'extrême fermeté doit être adressé en permanence aux nouveaux esclavagistes.

Nous devons engager une lutte sans merci contre tous ceux qui exploitent la misère humaine et nous attaquer avec la plus grande fermeté aux passeurs, aux fraudeurs et aux marchands de sommeil : pas de laxisme à l'égard de l'immigration clandestine. C'est une exigence morale.

Les premières victimes de l'immigration clandestine sont les immigrés eux-mêmes, clandestins et légaux qui subissent des discriminations aggravées. L'objectif doit être clair et intangible : décourager les candidats à l'immigration clandestine et démanteler les réseaux. La politique du Gouvernement en ce domaine est claire et nous l'approuvons avec force.

La tradition d'accueil de notre pays ne nous dispense pas de rappeler que le premier droit, le premier devoir d'un État est de décider qui il souhaite ou non accueillir sur son territoire. Il n'est possible de venir en France que si l'on y est invité. Conformément aux objectifs du Président de la République et du Premier ministre, notre politique d'immigration doit être guidée par la recherche d'un équilibre entre la fermeté, la justice et l'humanité. Fermeté à l'endroit de ceux qui ne respectent pas les règles de la République, fermeté dans la lutte contre l'immigration clandestine et ses filières criminelles. Justice pour les étrangers en règle. Humanité dans l'accueil des immigrants.

Depuis dix-huit mois, des textes ont été votés et la lutte contre l'immigration illégale a obtenu des résultats satisfaisants : 20 000 éloignements forcés et 10 000 retours volontaires en 2008, 101 filières démantelées, soit près de six fois plus qu'en 2007, 4 300 personnes interpellées pour des faits d'aide illicite à l'entrée et au séjour d'immigrés en situation irrégulière, 1 220 opérations « coups de poing ». En conséquence, le nombre de clandestins a diminué. En témoignent le nombre des sans papiers bénéficiant de l'aide médicale d'État, en recul de 6 %, le nombre de sans papiers raccompagnés dans leurs pays d'origine et le nombre de refoulements d'étrangers qui ont tenté d'entrer en France illégalement. Autre indicateur : le nombre de demandeurs d'asile déboutés, susceptibles de se maintenir sur le territoire, a diminué. C'est que l'Ofpra et la Commission nationale du droit d'asile traitent rapidement les dossiers, laissant moins d'espoir à ceux qui croient pouvoir rester sur notre territoire.

Nos concitoyens en sont désormais certains, lorsque les politiques se donnent les moyens de prendre à bras-le-corps les problèmes, les solutions ne sont jamais bien loin. Certes, tous les problèmes n'ont pas disparu. Le film de Philippe Lioret est incontestablement une très belle fiction. Mais nous voyons bien la difficulté d'une matière où la part subjective est si grande. Nous avons encore beaucoup à faire pour venir à bout du fléau de l'immigration clandestine. Nous sommes confrontés à une recrudescence du nombre de migrants dans le Pas-de-Calais -où vous vous êtes rendu récemment, monsieur le ministre. Je signale les efforts très importants réalisés par l'État pour l'hébergement des étrangers en situation de détresse, quelle que soit leur situation administrative : hébergement d'urgence, services médicaux, orientation et accompagnement dans les démarches administratives.

Une réponse durable s'impose pour endiguer le problème. Il faut améliorer l'efficacité des contrôles aux frontières et rendre impossible la tâche de ceux qui exploitent la misère. J'ajoute que pour éviter l'apparition de situations humaines difficiles, l'éloignement doit intervenir le plus rapidement possible après l'entrée sur le territoire.

Le nombre de réseaux démantelés doit devenir l'un des nouveaux critères de la politique menée. Nous avons proposé la création d'outils statistiques pour évaluer et analyser l'immigration clandestine, car on estime le nombre des clandestins entre 200 000 et 400 000 : peut-être pourrait-on réduire l'incertitude des chiffres...

L'efficacité de la lutte dépend aussi très largement des actions conduites contre le travail clandestin. Les sanctions prévues à l'égard des employeurs, des donneurs d'ordres et de leurs sous-traitants ont été renforcées en 2003 et 2004. La loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration fait obligation à l'employeur, avant toute embauche, de vérifier l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France. Les opérations conjointes de lutte contre le travail illégal ont donné lieu à pas moins de 522 procédures à l'encontre d'employeurs, un doublement par rapport à 2006 ; 992 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés, contre 430 seulement en 2006. Il faut poursuivre et renforcer cette action contre les employeurs de main-d'oeuvre clandestine.

Il est essentiel de lutter contre la fraude documentaire. On pourrait améliorer le contrôle des sorties des titulaires de visas de court séjour par la mise en place d'un visa diptyque. Quelles mesures entendez-vous prendre, monsieur le ministre, pour sécuriser la délivrance des documents d'identité ? La lutte contre l'immigration clandestine ne peut être envisagée qu'en coopération internationale. Le pacte européen adopté durant la présidence française de l'Union européenne représente un progrès décisif. Les États membres de l'Union européenne partagent un même constat et acceptent de mobiliser les moyens nécessaires. Ils ne procéderont plus à des régularisations massives comme il y en eut récemment en Espagne ou en Italie, car elles créent un effet d'aspiration. Dans le passé, les immigrés croyaient qu'avec le temps ils obtiendraient forcément un titre de séjour : cette époque est révolue.

La circulaire du 5 février 2009 sur les conditions d'admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme et qui coopèrent avec les autorités a suscité des procès injustes. Il est pertinent d'aider les victimes qui dénoncent leur souteneur. Qui préfère-t-on protéger, le réseau mafieux ou la victime ?

M. Alain Anziani.  - Il faut protéger celles-ci ici et ailleurs !

M. François-Noël Buffet.  - Le choix opéré par le ministre me semble judicieux.

Le groupe UMP du Sénat apporte son plein soutien à l'action déterminée du Gouvernement : ce n'est sans doute pas une surprise mais il faut le redire clairement. Monsieur le ministre, pouvez-vous dresser un bilan de l'application de la circulaire ? Et quelles nouvelles réponses envisagez-vous contre les filières mafieuses ? Comment peut se développer la coopération avec les pays source ? La matière est difficile, il y faut du courage et de la détermination, vous en avez et nous vous soutenons. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Mézard.  - Le groupe du RDSE a souhaité que notre Haute assemblée débatte de la politique d'immigration. Pour Mme Escoffier, qui sait cultiver l'excellence en rejetant toute démagogie, l'application de la règle de droit ne saurait s'affranchir du respect de la dignité de l'homme.

La règle de droit est faite par des hommes, pour des hommes. Elle ne doit jamais oublier la dignité de l'homme. Ceux qui ferment les yeux sur des situations indignes hypothèquent l'avenir, l'histoire les rattrape. Nous savons la difficulté de votre tâche, monsieur le ministre, véritable exercice d'équilibre. Il s'agit d'un dossier de responsabilité et d'humanisme. Responsabilité, car les représentants de la Nation ont le devoir de proposer des solutions à une question cruciale. Humanisme, car l'immigration clandestine est le fruit de la misère et du désespoir. Entretenue par une exploitation sans scrupule, elle fait des immigrés les premières victimes de cette traite des êtres humains. Un État de droit ne peut tolérer ces atteintes à la dignité humaine.

Loin de tout angélisme, mon groupe refuse l'idéologie simpliste qui oppose les bonnes âmes qui aident les clandestins à ceux qui sont mus par le rejet de l'étranger. Comme le rappelait en 2006 le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine, présidée par notre collègue M. Othily, l'immigration irrégulière, bien qu'indénombrable, a des effets perceptibles sur notre société. On estime entre 200 et 400 000 le nombre d'étrangers en situation irrégulière sur notre territoire, avec un afflux de 80 à 100 000 chaque année.

Quel modèle d'intégration notre société offre-t-elle ? Le refus de tout contrôle fait obstacle à l'intégration des étrangers en situation régulière. Une immigration irrégulière anarchique et déshumanisée nourrit une économie souterraine de type mafieux. Toutefois, la multiplication récente des lois relatives à l'immigration et à l'intégration a entraîné une insécurité juridique croissante et fait primer la logique répressive sur le respect des droits de la personne. Le droit d'asile est pourtant consacré par la Constitution !

Souveraineté nationale et ordre public ne devraient jamais être en opposition avec le respect de la dignité humaine. Il faut clarifier les compétences du juge des libertés et du juge administratif, améliorer les conditions de placement dans des zones d'attente ou en centre de rétention administrative. On ne peut tolérer des centres d'accueil sauvages. La situation des centres de rétention administrative est loin de satisfaire aux exigences élémentaires de la dignité humaine.

L'appel d'offre lancé par votre prédécesseur auprès des associations d'aide aux migrants conduit en réalité à démanteler un dispositif d'entraide indispensable. Je reste circonspect quant à l'efficacité de ce choix, que vous assumez. Le Président de la République vous a mis, monsieur le ministre, dans la même situation inextricable que votre prédécesseur en vous imposant des objectifs chiffrés.

En comptabilisant les réadmissions vers un État de l'espace Schengen ou les reconduites à la frontière de Bulgares et Roumains séjournant au-delà des trois mois réglementaires, vous gonflez artificiellement les chiffres. En réalité, seules 46 % sont des reconduites hors d'une zone de libre circulation vers la France ! Pour se rapprocher de l'objectif de 50 % d'immigration de travail, on oriente les statistiques : les demandeurs d'asile sont exclus des chiffres de l'immigration, des régularisations « Vie privée et familiale » sont transférées vers la catégorie « Travail ». Enfin, la nouvelle procédure de naturalisation frise la rupture d'égalité, le traitement des dossiers variant d'une préfecture à l'autre.

Je conviens que l'immigration irrégulière est source de dysfonctionnements économiques et sociaux, dans la mesure où elle alimente une forme de délinquance et un sentiment d'insécurité, mais je ne peux adhérer à votre politique, qui présente l'étranger comme un danger potentiel. Nous refusons d'assimiler clandestin et délinquant.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien.

M. Jacques Mézard.  - De même, aider un clandestin dans le besoin n'est pas un délit, mais assistance à personne en danger. C'est pourquoi nous avons déposé, avec Michel Charasse et des membres de mon groupe, une proposition de loi supprimant le « délit de solidarité » qui incrimine les bénévoles associatifs. Certes, il n'y a eu que quelques dizaines de condamnations sur ce fondement...

M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.  - Zéro !

M. Jacques Mézard.  - J'ai lu vos échanges épistolaires avec les associations, et les jugements rendus par les tribunaux. N'oublions pas non plus l'utilisation des gardes à vue !

Vous avez pu constater dernièrement à Calais l'urgence humanitaire. On ne réglera pas le problème en renvoyant ces étrangers : ils reviendront tant qu'ils n'auront pas atteint leur but. Calais illustre les limites de la politique actuelle : le traitement dans les pays d'origine détourne les élites, mais les miséreux ne sont nullement découragés de tenter leur chance, pour la plus grande joie des passeurs. Comment également ne pas évoquer la situation alarmante outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane ?

Quel que soit l'affichage compassionnel, une politique purement répressive ne sera jamais satisfaisante. Je vous donne acte de la difficulté de votre tâche, mais la culture du chiffre n'a aucun sens quand il s'agit d'êtres humains. La lutte contre l'immigration clandestine doit commencer dans les pays d'origine, d'autant que le réchauffement climatique accentuera la pression aux frontières de l'Europe. En aval, il faut reconsidérer notre modèle d'intégration, en gardant à l'esprit que ces migrants sont les premières victimes de la clandestinité. Espérons que l'humanisme l'emporte, que l'immigration clandestine cesse de servir d'argument électoral et de diviser notre société. (Applaudissements sur les bancs RDSE, centristes et CRC-SPG)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Le groupe RDSE nous donne ici l'occasion de revenir sur les méthodes du Gouvernement envers ces bénévoles qui aident des étrangers certes sans papiers, mais non sans droits.

Il s'agit de casser méthodiquement la chaîne de solidarité qui s'est construite depuis plusieurs décennies autour de ces personnes si vulnérables. Depuis deux ans, le Gouvernement s'est lancé dans une chasse aux sorcières qui ne dit pas son nom. Le tristement fameux délit de solidarité, qui visait initialement les passeurs et les filières exploitant la misère, s'est sournoisement étendu aux citoyens honnêtes qui offrent leur solidarité aux sans papiers. Les termes volontairement flous de l'article sont interprétés largement par la police, suivant vos instructions. Ainsi, une femme a récemment été placée en garde à vue pour avoir rechargé les portables de treize Érythréens à Norrent-Fontes ; un autre membre de la même association, Terre d'errance, a été placé en garde à vue à Boulogne-sur-Mer dans le cadre d'une procédure visant « l'aide au séjour irrégulier commise en bande organisée ». Cette disposition fonde désormais des poursuites contre les acteurs de la solidarité, sans distinguer l'aide désintéressée ou humanitaire de l'aide à but lucratif.

Selon la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 sur la loi Perben II, « le délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France, commis en bande organisée, ne saurait concerner les organismes humanitaire d'aide aux étrangers ». Le 8 avril, sur France Inter, vous avez dit, monsieur le ministre : « toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, aident un étranger en situation irrégulière doivent savoir qu'ils ne risquent rien ».

M. Éric Besson, ministre.  - Je confirme !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Comment expliquer alors le placement en garde à vue de bénévoles, jusqu'à huit heures ? Admettez-vous qu'il s'agit là d'un abus de pouvoirs ? En fixant dans la loi de finances un quota de 5 000 interpellations d'aidants, vous avez fait de cet article du Ceseda une arme contre la solidarité. C'est un détournement de la loi, dont les autorités de police abusent avec frénésie.

Cet objectif chiffré a un impact immédiat sur le comportement des autorités de police : faute de trouver des passeurs, on élargit la définition de l'aidant à toute personne qui serait en contact avec un étranger sans papiers. Cette disposition, qui devait protéger les étrangers irréguliers contre les réseaux de passeurs, les patrons voyous qui exploitent le travail clandestin et les marchands de sommeil est paradoxalement devenue une arme contre toute tentative d'humanisation de la condition des étrangers irréguliers en France.

Aujourd'hui, votre mépris pour les associations s'affiche au grand jour. Nous nous souvenons tous de l'épisode de l'incendie du centre de rétention de Vincennes, où votre prédécesseur avait indirectement accusé les associations d'aide aux étrangers. Il avait même songé à créer un fichier. Vous manifestez la même aversion à l'encontre de ces associations qui agissent, au quotidien, pour adoucir un peu la violence de votre politique d'exclusion. Vous appauvrissez méthodiquement l'aide aux étrangers, notamment en créant les conditions d'une mise en concurrence des associations concernées. En témoigne le sort réservé à la Cimade jusqu'à présent chargée de l'aide aux étrangers dans les centres de rétention. Vous avez démantelé la mission d'accompagnement et de défense des droits des étrangers qu'elle assurait en la divisant entre six associations. Par tous moyens, vous cherchez à casser la chaîne de solidarité autour des étrangers sans papiers. Par tous moyens, vous cherchez à rendre impossible, en droit comme en fait, l'aide bénévole à l'étranger. Par tous moyens, vous cherchez à encercler, pénalement, toute personne qui viendrait en aide à un étranger à titre humanitaire.

Nous savons aujourd'hui quel est le but de votre politique : isoler l'étranger, le transformer en paria, en faire le bouc-émissaire d'une crise à laquelle vous n'avez aucune solution à proposer, le couper de toute chaîne de solidarité, susciter la peur chez ceux qui épousent la cause des étrangers, pousser à la délation. Vous criminalisez ainsi les mouvements associatifs et la solidarité. Vous assurez que personne n'avait fait l'objet d'une condamnation pour délit d'aide au séjour irrégulier. C'est faux ! Plus de 70 condamnations pénales ont été prononcées sous cette incrimination : tous des citoyens exemplaires, des combattants de la liberté, des résistants ! Un chauffeur de taxi a même été condamné à un an de prison ferme pour avoir conduit un étranger sans lui demander ses papiers ! Vous rendez-vous compte de l'absurdité de la chose ? II est devenu criminel d'avoir des sentiments, des idéaux, et de la compassion pour la condition de ces personnes exclues, fragilisées, précarisées, qui tentent de survivre sur notre territoire.

Il est urgent d'abroger l'article L. 622-1 du Ceseda. Des propositions existent qui visent à mieux définir le délit d'aide au séjour irrégulier, en excluant expressément les acteurs bénévoles de la solidarité.

C'est une question de courage. Le courage de régulariser et non d'expulser. Si vous l'avez, croyez bien que nous serons derrière vous. (Applaudissements à gauche. Mme Anne-Marie Escoffier applaudit aussi)

M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.  - Quels sont les fondamentaux qui guident notre politique de lutte contre l'immigration clandestine ? Mme Escoffier a eu raison de rappeler que, depuis toujours, les hommes et les femmes se sont déplacés, poussés par la recherche de terres cultivables, chassés par les guerres, les crises, les catastrophes ; et peut-être demain verra-t-on apparaître une catégorie nouvelle de réfugiés : les réfugiés écologiques.

Ces hommes nés dans un autre pays que celui où ils résident, qui représentaient 2 % de la population mondiale il y a quarante ans et en représentent aujourd'hui 3 %, constituent virtuellement, avec 191 millions de personnes, le cinquième pays du monde.

L'immigration est une réalité incontournable. Elle est un bien pour la collectivité pour autant qu'elle répond à un triple intérêt : celui des migrants eux-mêmes, qui cherchent à améliorer leur sort et celui de leur famille ; celui des pays d'origine, qui n'est pas de se priver de leurs ressources humaines, essentielles pour assurer leur développement ; celui des pays de destination, qui ne peuvent l'être que pour autant qu'ils sont en mesure d'assurer accueil et intégration -la langue, l'emploi, le logement sont à cet égard fondamentaux : chaque manquement à cette règle est sanctionné par des problèmes d'intégration et la résurgence de mouvements nationalistes, xénophobes ou racistes.

Le pacte européen sur l'immigration et l'asile, initié l'an dernier par Brice Hortefeux, a recueilli le consensus de 27 États membres de l'Union européenne, toutes tendances politiques confondues. M. Zapatero lui-même n'a-t-il pas affirmé, pas plus tard qu'hier, sa détermination à lutter contre l'immigration clandestine et à assurer le renforcement de la coopération avec la France ? Le pacte proscrit toute politique d'immigration zéro comme de régularisation massive. Il inspire directement la politique d'immigration et d'intégration française, qui se veut équilibrée, juste, ferme, associant à la fois maîtrise des flux et intégration. Ce fut un des engagements du candidat Sarkozy. C'est une des priorités de l'action du Gouvernement.

Je suis guidé par une préoccupation, et me réjouis de constater que plusieurs, sur vos bancs, me rejoignent : la loi républicaine doit s'appliquer avec humanité, mais aussi avec fermeté. Déterminer qui a droit de séjour et à quelles conditions : c'est là le fondement même de la souveraineté de l'État, qui doit susciter le consensus républicain le plus absolu. M. Jospin déclarait en 1998 que son objectif était de conduire une politique de régulation des flux réaliste et humaine, conjuguant intérêt de la Nation et respect pour la dignité de la personne humaine. Il ajoutait qu'il combattrait sans défaillance l'immigration irrégulière et le travail clandestin. Je fais miens ces mots.

La délivrance du visa de long séjour accordé par le consul, en relation avec l'autorité préfectorale, s'impose comme le seul acte de souveraineté par lequel le Gouvernement autorise un étranger, avant son entrée sur le territoire, à s'installer durablement en France. Les régularisations, qui y dérogent par définition, ne peuvent être accordées qu'au cas par cas. Les étrangers en situation irrégulière ont vocation au retour, volontaire ou forcé. Telle est la philosophie du pacte adopté par 27 États membres de l'Union européenne.

Les frontières, même si leur contrôle a été repoussé aux limites de Schengen, gardent toute leur valeur. A l'intérieur de ces frontières, les citoyens vivent ensemble selon les mêmes règles, soumis aux mêmes devoirs, dotés des mêmes droits. Les frontières doivent rester franchissables, sous réserve du respect de certaines règles. Abolir les frontières, ce n'est pas s'ouvrir au monde, c'est ouvrir le pays à toutes les peurs et à tous les replis. Et dans un pays soumis à la crise économique mondiale, où le taux de chômage des étrangers non communautaires dépasse 23 %, et qui continue malgré cela de soutenir par la solidarité nationale un niveau élevé de protection sociale, proposer d'introduire sans limite de nombreux demandeurs d'emplois n'a que l'apparence de la générosité.

Comme beaucoup d'autres grandes démocraties, la politique française d'immigration et d'intégration dispose d'objectifs chiffrés, non seulement pour les reconduites à la frontière d'immigrés en situation irrégulière -l'objectif pour 2009 est de 27 000 éloignements volontaires ou forcés- mais aussi pour le nombre de filières clandestines démantelées -doublement en 2009, soit 240 filières ; pour le nombre de passeurs et de trafiquants d'êtres humains interpellés -5 000 en 2009 ; pour le nombre d'opérations conjointes de contrôles avec l'inspection du travail -1 500 en 2009 ; pour le nombre de demandes d'asiles déposées et acceptées, qui doit rester le plus élevé en Europe ; pour le nombre de naturalisations -100 000 par an- qui doit continuer à être, en pourcentage de la population, lui aussi, le plus élevé d'Europe : il n'est pas inutile de rappeler que la France reste le pays le plus généreux pour l'accès à la nationalité ; pour le délai de la procédure de naturalisation -qui doit être divisé par deux et passer de vingt à dix mois ; pour le nombre d'étudiants étrangers accueillis -qui doit atteindre 50 000 ; pour le nombre de diplôme initiaux de langue française obtenus par les primo-arrivants -qui doit atteindre 90 % ; pour le nombre de bilans de compétence effectués dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration -qui doit atteindre 80 % avant la fin de l'année ; pour le nombre d'entreprises et d'administrations labellisées -qui doit atteindre les 100 avant la fin de l'année ; pour le nombre des pays sources avec lesquels la France aura conclu des accords -qui doit atteindre les 20 avant 2012, contre 8 aujourd'hui.

Certains, se focalisant sur les mesures d'éloignement forcé, nous accusent de mener une politique du chiffre. Ils oublient tous ces autres chiffres, qui démontrent que la France reste fidèle à une tradition républicaine d'accueil et d'intégration qui l'honore. Tenir de tels discours, c'est ternir l'image d'une France ouverte et généreuse, ternir l'image de notre République et caricaturer une politique en la réduisant à son volet le moins plaisant -car il ne plaît à personne d'organiser des reconduites à la frontière- mais non le moins nécessaire. C'est, en somme, passer sous silence les politiques d'accueil et d'intégration qui en sont la contrepartie.

Chaque année, 200 000 étrangers entrent légalement en France avec un titre de long séjour. Chaque année, nous délivrons deux millions de titres de court séjour. Nous naturalisons 100 000 personnes par an et nous sommes les plus généreux en Europe en matière de droit d'asile, au troisième rang mondial après les États-Unis et le Canada.

Oui, au sein de cette politique d'immigration et d'intégration, nous devons assumer de reconduire certains étrangers en situation irrégulière dans leur pays d'origine. Comment envisager de réguler les flux migratoires en abandonnant toute perspective de reconduite ? Permettez-moi de citer de nouveau Lionel Jospin, alors Premier ministre : « dire à ceux qui ne peuvent être régularisés qu'ils doivent repartir dans leur pays, qu'ils ont vocation à être reconduits à leurs frontières, c'est simplement le respect du droit international et je dirais même du droit des gens. C'est très exactement cette politique, qui se complète d'une volonté d'intégration des étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays, que nous avons définie, que vous avez votée et que nous appliquons. Je ne connais aucune formation politique représentée sur ces bancs qui ait préconisé l'entrée sans règles d'étrangers sur notre territoire et qui ait voulu qu'aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. Peut-on avoir ce débat ? »

Ce débat, onze ans après ces déclarations de Lionel Jospin, nous l'avons toujours aujourd'hui. Et ma conviction est que la France ne peut accueillir indistinctement tous ceux qui souhaitent s'y établir, précisément parce qu'elle doit bien accueillir ceux à qui elle a donné droit de séjour. La fermeté dans la lutte contre l'immigration illégale et la qualité de l'accueil et de l'intégration de l'immigration légale constituent les deux pans d'une même stratégie.

Je vous remercie, madame Escoffier, d'être à l'origine de ce débat. Je vous remercie aussi pour le ton de votre intervention ; vous avez évité la caricature et les effets de tribune.

Oui, nous devons traiter dignement les étrangers et c'est ce que nous faisons. Vous m'avez demandé si le film Welcome ne m'avait pas ébranlé dans mes convictions. C'est un film émouvant mais c'est une fiction et à ce titre je n'ai pas grand-chose à en dire. Comme dans toute fiction il y a des bons et des méchants et, là, les méchants, ce sont les policiers. Mais ce film n'est pas un documentaire et il ne faut pas présenter toutes les erreurs et les invraisemblances qu'il contient comme des vérités. Ai-je été ébranlé dans mes convictions ? Non. J'ai été renforcé dans ces convictions. Ce film montre combien l'immigration clandestine est organisée, comme dans la réalité. Comme dans la réalité, le jeune Kurde a payé cher -12 000 euros- pour arriver jusqu'à Calais. Comme dans la réalité, il doit ensuite payer 500 autres euros pour passer en Grande-Bretagne. Mais l'autre réalité, ce sont les risques, les bagarres dans la « jungle ».

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Mais que proposez-vous ?

M. Éric Besson, ministre.  - Nous proposons que n'y règne pas la loi de la jungle. Certains journalistes et photographes, pourtant peu proches du Gouvernement, ont tenté de pénétrer dans cette « jungle ». On leur a dit : « Non ! Ici, c'est Kaboul ! Ici, nous faisons la loi ! ». Eh bien non ! Les passeurs ne feront la loi, ni à Calais, ni nulle part ailleurs sur le territoire national. C'est pourquoi, j'ai annoncé que la « jungle » sera démantelée avant la fin de l'année mais j'assortis cette mesure de six dispositions humanitaires définies en concertation avec les associations, qui ont reconnu des avancées.

Merci d'avoir compris que la nouvelle configuration du ministère permettait davantage de cohérence et de clarification des compétences. Il fallait en effet regrouper certaines fonctions éclatées entre l'intérieur, les affaires sociales et les affaires étrangères. Cela répond à un impératif d'efficacité. C'est par un même souci d'efficacité que j'ai déconcentré l'instruction des demandes de naturalisation dans les préfectures. Mais ces instructions continueront à être mises en cohérence à Nantes et il appartiendra à mon ministère de veiller à cette cohérence.

Il ne s'agit pas de venir à bout de l'immigration, mais de la réguler. L'immigration, conséquence de la mondialisation, n'est pas un danger, ce peut même être une opportunité, mais il faut la réguler.

Il n'y aura pas complexification mais simplification des procédures. Comme l'a dit M. Buffet, la fiabilité des documents d'entrée est la clé de la libéralisation des entrées. D'ailleurs, les pays d'émigration, ceux d'Afrique de l'Ouest par exemple, confrontés au problème de leurs migrations mutuelles, veulent eux aussi sécuriser leurs documents d'entrée.

L'immigration choisie doit être liée à nos capacités d'accueil : la langue, la possibilité d'accéder au logement et à l'emploi sont les trois conditions de cet accueil.

Vous avez utilisé un mot que j'aime bien : noria. C'est sans malice que je pourrais citer l'inspectrice générale de l'administration que vous étiez et qui disait, à propos des reconduites à la frontière qu'il fallait faire preuve d'« une volonté politique extrêmement forte ». N'y voyez pas malice... mais c'est exactement ce que nous envisageons.

Vous vous êtes indignée de l'arrestation de parents venus chercher leurs enfants à la sortie de l'école. Cela s'est produit. Ce n'est plus le cas : une circulaire a été adressée aux préfets et aux services de police pour qu'il n'y ait plus d'interpellations d'étrangers devant les écoles, à l'hôpital, lors des convocations à la préfecture.

Mme Christiane Demontès.  - C'est faux ! Ou alors cela n'est vrai que depuis quelques jours !

M. Éric Besson, ministre.  - Cela date de mes prédécesseurs !

M. Alain Anziani.  - Il faudrait faire appliquer la circulaire !

M. Éric Besson, ministre.  - Je conteste aussi l'expression « sans papiers ».L'expression exacte est : « étranger en situation irrégulière »...

A propos du « délit de solidarité », merci d'avoir rappelé que l'alinéa 1 de l'article L. 622 était suivi d'un alinéa 4... Je réaffirme que ce prétendu délit n'existe pas ! Vous avez affirmé qu'une personne donnant une pomme à un enfant ou rechargeant le téléphone d'un clandestin serait condamnée. Non, mille fois non !

M. Alain Anziani.  - Faux !

M. Éric Besson, ministre.  - Il n'y a pas eu une seule condamnation pour cela, pas une seule ! On nous annonce depuis trois mois une liste de condamnations de ce genre. Au fur et à mesure, on devient plus prudent, on parle maintenant de « climat », « d'épée de Damoclès ». Depuis hier on me parle de « délit amoureux ». J'arrête là car je risquerais de déraper. (Protestations sur les bancs socialistes. Applaudissements à droite) Je rappelle que l'État subventionne les institutions qui viennent en aide aux étrangers en situation irrégulière.

L'État les aide lui-même en offrant des capacités d'hébergement et l'aide médicale d'État. Notre générosité a un coût...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Les expulsions aussi.

M. Éric Besson, ministre.  - ...mais c'est un argument dont je ne veux pas abuser.

Le délit de solidarité est un vieux serpent de mer. En 1998, Noël Mamère avait mené une fronde contre Jean-Pierre Chevènement, lui demandant de modifier l'article 622-1 pour ne pas créer, disait-il, un « délit d'humanité ». Humanité, solidarité, et dans dix ans, peut-être, parlera-t-on de délit de compassion ou de charité.

Des associations comme RESF ont une thèse : premièrement, il faudrait régulariser tous les étrangers en situation irrégulière ; deuxièmement, il faudrait ouvrir les frontières de l'Europe comme on les a ouvertes dans l'espace Schengen. Cette utopie dangereuse de la libre circulation entre le Sud et le nord menacerait le pacte républicain mais elle a une cohérence intellectuelle. Mais ceux qui pensent autrement, je dis qu'ils n'ont aucun début de preuve à apporter d'un « délit de solidarité ».

Quel est le lien avec les statistiques ethniques ? Je n'en vois pas. Le Président de la République a été clair lors de son discours à Polytechnique. Nous respectons nos principes républicains mais nous voulons nous doter d'outils de mesures de la diversité. Yazid Sabeg présentera bientôt ses propositions élaborées avec un comité d'experts, et qui définiront le chemin étroit entre nos principes et notre volonté de diversité.

Non, nos centres de rétention administrative ne sont pas indignes. Sur vingt-six centres en France métropolitaine, vingt-quatre n'ont rien à se reprocher en termes d'hygiène et de qualité d'accueil, deux, j'en conviens, méritent des investissements. Quant à nos délais, ils sont les plus courts d'Europe, d'autres pays allant jusqu'à douze ou vingt-quatre mois, voire autorisant des retentions illimitées. Encore ne s'agit-il là que de ceux qui ont des centres, d'autres plaçant les étrangers en situation irrégulière en prison, parfois dans des sections aménagées.

J'ai mal compris votre chute churchillienne car dans mon souvenir, Churchill disait qu'en voulant éviter la guerre par le déshonneur on finit par avoir le déshonneur et la guerre. Mais, madame, l'immigration n'est pas la guerre et elle n'est pas un mal. On ne peut donc extrapoler à partir de la citation qui a conclu une intervention intéressante et nuancée.

J'ai des points d'accord avec l'introduction de M. Anziani. Je n'ignore pas que l'immigration est toujours douloureuse, qu'on fuit une guerre, la misère. Cependant Nicolas Sarkozy n'a pas inventé l'expression d'immigration choisie : les Britanniques parlent de target immigration et les Espagnols d'inmigracion selectionada. Ils veulent choisir ceux qui viennent sur leur territoire.

Si je vous rejoins pour une sévérité accrue contre les filières, la circulaire que j'ai prise ne répond pas à une lubie personnelle mais prend acte d'une directive européenne contre un véritable esclavage, une domesticité clandestine, dont on abuse sexuellement et qu'on exploite. Autant le procès sur les intentions est insupportable, autant le doute sur l'efficacité est permis : ces personnes, qui n'ont pas le droit de sortir, auront peu accès à ma circulaire -mais quelques-unes de sauvées suffisent à mon bonheur, car je sais que la politique est un art relatif. Les étrangers qui auront dénoncé ceux qui les exploitent ainsi recevront immédiatement un titre de séjour de six mois et une protection sociale. Cela ne suffit pas ? Peut-être mais ne confondez pas la dénonciation d'un bourreau par sa victime et la délation.

M. Alain Anziani.  - Et les représailles ?

M. Éric Besson, ministre.  - Nous ne pouvons envoyer l'armée protéger leur famille dans leur pays d'origine, mais nous leur donnons le droit de témoigner sous x. S'ils en profitent parfois, l'un d'entre eux a choisi la semaine dernière à Calais de témoigner à visage découvert.

Le respect des droits de l'homme est au coeur de notre politique. Nous ne voulons pas que les étrangers soient considérés comme coupables. Mais il ne faut pas reconnaître que ce n'est pas la même chose d'être en situation régulière ou irrégulière.

Au lieu de parler de politique du chiffre, vous devriez parlez de politique des chiffres. Les reconduites à la frontière d'abord. Dans un monde ouvert où l'information circule, en disant qu'elle reconduira à la frontière un certain nombre de personnes, la France lance un message fort qui est entendu par des mères, par des associations qui entreprennent un travail pédagogique et disent : « ne traversez pas les mers, n'allez pas en France, vous seriez reconduits aux frontières ». Les passeurs entendent aussi ce message et ils savent que, si nous nous contentons de reconduire les étrangers en situation irrégulière, nous menons la guerre contre les exploiteurs et les criminels de l'immigration clandestine.

Il fallait fermer Sangatte, et cette décision a eu des effets favorables. Cependant, depuis six mois ou un an, la courbe remontait car les passeurs avaient repris leur triste commerce. Il est vrai que dans votre intéressante intervention, je n'ai pas entendu de proposition alternative...

M. Alain Anziani.  - En cinq minutes ?

M. Éric Besson, ministre.  - Sans doute n'avez-vous pas eu le temps.

Mme Assassi a été modérément nuancée. Je n'ai pas très bien compris votre introduction, madame. Ce serait la loi qui créerait des hors-la-loi ? Un État souverain a le droit de définir des règles ; il a le droit de dire qui peut entrer sur son territoire. Si vous évoquez un affreux épouvantail à propos de Calais, d'autres orateurs ont dit qu'il fallait cesser de nous autoflageller sur la situation. Des ressortissants de pays en proie à des guerres intestines, anglophiles ou anglophones, veulent à tout prix rejoindre l'Angleterre et ne sont chez nous qu'en transit.

Pour la plupart d'entre eux, ils ne veulent pas rester. Je vous le dis, ces personnes pourraient être hébergées par l'État si elles le voulaient ; mais elles préfèrent rester aux abords du port pour gagner l'Angleterre. Et la loi française ne permet pas d'obliger quelqu'un à dormir là il ne veut pas aller.

Je vous laisse la responsabilité de vos propos lorsque vous soupçonnez les fonctionnaires de se livrer à une chasse aux étrangers.

Mme Éliane Assassi.  - Je les assume !

M. Éric Besson, ministre.  - Merci d'avoir évoqué la lutte nécessaire contre le travail illégal, qui sape les fondements de notre protection sociale. Merci aussi d'avoir clairement dénoncé les marchands de sommeil, qui sont bien les « aidants » que vise le document que vous avez cité.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Il n'est pas appliqué !

M. Éric Besson, ministre.  - La formulation était peut-être maladroite, j'ai demandé qu'on fasse désormais référence aux « trafiquants ».

Mettre en doute la parole des associations, madame Assassi, madame Boumediene-Thiery ? Je pourrais vous répondre, argument d'autorité, que vous mettez, vous, en doute celle de l'État, de la police, de la justice... Vous trouverez sur le site du ministère un communiqué qui démontre -j'ai pris dix jours pour vérifier tout cela- que les 32 cas de condamnations supposées pour le supposé délit de solidarité sont des erreurs. Vérification cruelle pour le Gisti, je n'en dirai pas plus. (Mme Éliane Assassi s'exclame)

J'ai été également choqué que vous évoquiez un chantage auprès des pays d'émigration au travers, avez-vous dit, des accords bilatéraux signés par mon prédécesseur. Je reviens du Sénégal, du Cap Vert et de Tunisie ; les dirigeants de ces pays, qui m'ont instamment demandé de tout faire pour renforcer la lutte contre l'immigration clandestine, dont ils s'estiment les premières victimes (Mme Éliane Assassi s'exclame), souhaitent que ces accords soient rapidement ratifiés. Ils les considèrent à ce point exemplaires qu'ils veulent en signer de similaires avec les autres pays européens.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - On organise un nouvel esclavagisme !

M. Éric Besson, ministre.  - Le Gouvernement est sensible au risque de « pillage » des cerveaux ; c'est pour cela que nous souhaitons développer la carte « compétences et talents », qui permet à un étranger de venir en France pendant trois ans renouvelables acquérir expérience ou formation, étant entendu dès le départ qu'il retournera après dans son pays.

Politique coûteuse, inefficace et dangereuse, avez-vous dit, tout en relevant qu'il fallait agir. J'attendais des propositions alternatives.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Les régularisations !

M. Éric Besson, ministre.  - Sans doute avez-vous manqué de temps. Quant à l'accusation de populisme... La France est un des rares pays d'Europe, sinon le seul, à ne pas connaître de montée de la xénophobie, de stigmatisation des travailleurs étrangers en situation régulière ou non. J'y vois une explication : notre peuple, dans sa profondeur, adhère à notre politique migratoire qui est faite à la fois de fermeté et d'humanité. (Mme Éliane Assassi s'exclame)

Je veux souligner la qualité de l'intervention de M. Buffet, empreinte de pondération et d'humanisme. Il a rappelé comme il convenait que le respect de la règle devait être conciliée avec la prise en compte du « facteur humain » ; qu'il sache que nous ne transigerons ni avec l'un ni avec l'autre. Merci d'avoir relevé que la lutte contre l'immigration clandestine était un élément, que j'assume, d'une politique globale. Le pacte européen, c'est la fin du mythe de l'immigration zéro et l'immigration légale assumée, c'est la lutte contre l'immigration illégale, c'est le codéveloppement. Merci également d'avoir souligné ces fléaux que sont la criminalisation et la professionnalisation des filières, ainsi que leur association croissante avec d'autres formes de criminalité, proxénétisme, prélèvement forcé d'organes ou trafic de drogue. Il fallait aussi rappeler, vous l'avez fait, que l'État aide à l'hébergement et soutient les associations à hauteur de 20 millions. Comment pourrions-nous à la fois les aider et les pourchasser ? Nous ne sommes pas schizophrènes.

Vous avez aussi évoqué, monsieur Buffet, quelques points de la lettre de mission que le Président de la République et le Premier ministre viennent de m'adresser, notamment la rénovation des outils statistiques, indispensable, et le renforcement de la lutte contre le travail illégal. Je vous suis reconnaissant d'avoir souligné que les leçons avaient été tirées des politiques de régularisation massive. La France et l'Espagne ont admis leur échec : ces politiques conduisent inéluctablement à une recrudescence de l'immigration illégale. Là est le drame. La question se poserait différemment s'il s'agissait de régulariser pour solde de tout compte, mais ce n'est jamais le cas. Merci aussi d'avoir dit clairement ce qu'était la circulaire : oui, ma première préoccupation est de protéger les victimes. Merci enfin d'avoir relevé qu'il fallait agir à tous les stades de la chaîne d'immigration clandestine, en amont en coopérant avec les pays d'émigration comme en aval -j'ai signé ce matin avec mon homologue allemand un accord pour améliorer les contrôles dans les trains.

M. Mézard a été pondéré, constructif ; il a fait preuve d'humanisme et de sens des responsabilités. Oui, l'immigration irrégulière est un obstacle à l'intégration et pourrait remettre en cause notre modèle social. Nous avons quelques divergences sur le droit d'asile. Je le redis : il est strictement préservé. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La France est en la matière le pays le plus généreux. Oui, je conviens qu'il faut clarifier encore les compétences. Je serai plus sévère avec ses propos sur les centres de rétention « sauvages » ou le gonflement des chiffres de reconduites à la frontière. L'an dernier, 30 000 personnes ont été reconduites, 20 000 de façon contrainte, 10 000 de façon volontaire. Tels sont les chiffres.

S'agissant de l'immigration de travail, j'invite M. Mézard à lire la lettre de mission qui m'a été adressée et où l'objectif de 50 % ne figure plus, car le Président de la République est conscient du fait que la crise économique le rend difficile à atteindre.

J'en viens à l'intervention de Mme Boumediene-Thiery, que j'ai trouvée moins nuancée encore que celle de Mme Assassi. Vous accusez le Gouvernement de « casser la chaîne de solidarité » que nous tentons au contraire d'organiser : ce sont les préfets qui s'en chargent, en collaboration constante avec les associations. L'État, c'est-à-dire chacun d'entre nous, héberge les étrangers...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Dans des centres de rétention !

M. Éric Besson, ministre.  - Les six mesures que j'ai annoncées à Calais la semaine dernière répondent aux demandes des associations. Elles réclamaient l'ouverture à Calais d'une permanence où les étrangers puissent déposer leurs demandes d'asile au lieu de devoir se rendre à Arras : ce sera chose faite dès le 4 mai.

Vous avez évoqué deux affaires excessivement médiatisées. Je suis tenté de vous répondre, mais cela m'est interdit puisque ces affaires sont en cours d'instruction.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Cela prouve qu'elles existent !

M. Éric Besson, ministre.  - Lorsque M. Mamère voulait dépénaliser ce qu'il appelait le « délit d'humanité », M. Chevènement, alors ministre de l'intérieur, lui répondit que sa proposition était inefficace et dangereuse. La France est le pays où la législation sur les associations est la plus libérale : il suffit de deux personnes pour en constituer une.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Oui, c'est la loi de 1901 !

M. Éric Besson, ministre.  - Qu'est-ce qui empêcherait des passeurs de s'associer pour contourner la loi ? (Protestations à gauche) En 1998 certains députés avaient cru bon d'instaurer un agrément d'État afin de distinguer les « bonnes » associations des « mauvaises » et de protéger les premières. Mais cette mesure fut censurée par le Conseil constitutionnel. Je le répète : je me situe dans la lignée de M. Chevènement. J'espère que ce n'est pas pour vous un épouvantail...

Quant aux « aidants », je reconnais que le terme est maladroit. Mais l'objectif est juste : nous visons les trafiquants, les délinquants, les facilitateurs : quiconque a lu le rapport transmis par la police au Parlement sait de quoi je parle. Je rayerai donc le terme « aidant »...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Notre débat aura au moins servi à cela !

M. Éric Besson, ministre.  - ...mais j'accentuerai la lutte contre les trafiquants.

Au sujet de l'appel d'offre, mon ministère aura l'occasion de s'expliquer à l'occasion de l'examen du recours déposé par plusieurs associations devant le tribunal administratif. Celle que vous avez mentionnée n'a pas été brimée puisque trois lots sur huit lui ont été alloués, contre un seul pour les cinq autres associations. La mission de coordination que vous avez appelée de vos voeux sera créée.

Vous prétendez que plusieurs condamnations pour aide à des immigrés en situation irrégulière ont déjà été prononcées.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - J'ai ici des documents qui l'attestent !

M. Éric Besson, ministre.  - Vous vous fondez sur des informations du Gisti. Permettez-moi de vous demander de relire ma mise au point : je suis sûr que c'est la dernière fois que vous vous servirez des données du Gisti pour alimenter un débat dans une enceinte si auguste.

Je ne vous ai d'ailleurs pas entendu formuler de propositions, mais il est vrai que vous disposiez de peu de temps...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - J'ai proposé une régularisation !

Mme Éliane Assassi.  - Vous connaissez nos propositions !

M. Éric Besson, ministre.  - Je conclurai sur une note sérieuse. (Sarcasmes à gauche)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Le reste n'était-il donc pas sérieux ?

M. Éric Besson, ministre.  - Je crois profondément qu'il existe un hiatus entre la politique migratoire de la France, généreuse et intégratrice, et l'image que l'on en donne. Aucun autre pays d'Europe ne pratique autant l'autoflagellation. Cela va au-delà du jeu politique normal entre majorité et opposition. Mais nous donnons ainsi de nous-mêmes une image déformée : dans de nombreux pays francophones, mes interlocuteurs me demandent pourquoi certains ne cessent de critiquer en France une politique de lutte contre l'immigration clandestine qu'eux-mêmes approuvent. J'inviterai d'ailleurs à Paris avant la fin de l'année des ministres d'Afrique subsaharienne, du Maghreb et du Moyen-Orient : vous pourrez constater leur soutien. Peut-être se trouvera-t-il une belle âme pour les déclarer illégitimes, mais quant à moi je ne travaille qu'avec les représentants que les peuples se sont donnés. (Protestations à gauche, applaudissements à droite)

Prochaine séance, jeudi 30 avril 2009, à 9 heures.

La séance est levée à 19 h 40.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 30 avril 2009

Séance publique

À 9 HEURES

1. Communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.

À 15 HEURES

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Proposition de résolution européenne sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 57 rect. 2008-2009).

Rapport de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 369, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 370, 2008-2009).

4. Débat européen sur le suivi des dispositions européennes du Sénat :

- Évolution du système d'information Schengen ;

- Association des parlements nationaux au contrôle d'Europol ;

- Mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement ;

- Application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative ;

- M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes ;

- M. Didier Boulaud un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République du Monténégro, d'autre part (n° 353, 2008-2009) ;

- la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le texte sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République du Monténégro, d'autre part (n° 353, 2008-2009) ;

- M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana sur l'éducation et la langue française.