SÉANCE

du mardi 24 novembre 2009

34e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Sylvie Desmarescaux, Mme Anne-Marie Payet.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Eloge funèbre d'André Lejeune, sénateur de la Creuse

M. le président.  - C'est avec une profonde tristesse que j'accomplis une nouvelle fois le pénible devoir qui revient au président de notre assemblée de saluer solennellement la mémoire d'un collègue disparu. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)

Cette émotion est d'autant plus forte que j'ai, durant de longues années, côtoyé et apprécié André Lejeune au sein de notre commission des affaires économiques, à laquelle il était particulièrement attaché. Fidèle en amitié, il honorait ces estimes réciproques si précieuses qui se nouent, au-delà des clivages politiques, au fil de notre travail en commission.

André Lejeune, qui fut sénateur de la Creuse pendant près de douze années, s'est éteint le 9 septembre dernier au terme d'une longue maladie, quelques jours à peine avant la reprise de nos travaux parlementaires. Un hommage solennel particulièrement émouvant lui a été rendu le 14 septembre sur le parvis de l'hôtel de ville de Guéret, dont il avait été le premier magistrat durant près de vingt ans. Cette cérémonie était à son image, simple et attachante : 2 000 personnes de tous bords, de tous horizons et de toutes conditions, réunies devant un portrait géant de notre ancien collègue, entouraient l'épouse et les proches d'André Lejeune, le maire et la municipalité de Guéret, ses collègues du département, dans une atmosphère émouvante, chaleureuse et humaniste.

J'ai eu, à cette occasion, le douloureux privilège de prononcer en votre nom, mes chers collègues, l'éloge d'André Lejeune. Je l'ai fait aux côtés de plusieurs d'entre vous, en particulier les présidents du groupe socialiste et de la commission de l'économie, Jean-Pierre Bel et Jean-Paul Emorine, ainsi que nos collègues de la Creuse, Jean-Jacques Lozach et Renée Nicoux, suppléante d'André Lejeune, qui nous a rejoints aujourd'hui dans cet hémicycle. Cet adieu émouvant au milieu des siens, sur cette terre de la Creuse qui lui était si chère et qu'il avait si fidèlement servie, devait trouver son écho au Palais du Luxembourg.

André Lejeune a fait face à la maladie pendant de longs mois. Il l'a fait avec le courage et la force de caractère qui avaient marqué toute sa vie. Les épreuves avaient en effet forgé très tôt son caractère et sa personnalité, son père étant mort en captivité lorsqu'il n'avait que 9 ans. Mais le jeune pupille de la Nation a su très vite prendre ses responsabilités avec volonté, énergie et ténacité. Après des études secondaires au lycée Pierre-Bourdan de Guéret, André Lejeune accomplit ses études supérieures à l'université de Clermont-Ferrand. Elles le conduisirent jusqu'à une licence de sciences physiques et un certificat d'aptitude professionnelle à l'enseignement technique. Il embrassa ainsi la carrière d'enseignant en étant pendant plusieurs années professeur de physique au lycée technique de Guéret.

Sa vie fut sur tous les plans, personnel, professionnel et politique, indissociablement liée au département de la Creuse, qui était à la fois sa terre natale et sa terre d'élection. Ses parents comme ses grands-parents étaient déjà originaires de Glénic et d'Ajain, où André Lejeune naquit le 4 juillet 1935 et où la famille Lejeune bénéficiait de fidèles amitiés et de l'estime de tous. Il fut à la fois un homme de convictions et un élu local exemplaire, avant de devenir un parlementaire actif et profondément respecté. L'enracinement local, le sens des responsabilités et la force de ses convictions personnelles le conduisirent naturellement à s'engager pour la défense de ses idées et de ses concitoyens.

André Lejeune fit ses premières armes en politique au Parti socialiste unifié, dont il fut le secrétaire fédéral de 1964 à 1968. Il rejoignit ensuite le Parti socialiste. Après le congrès d'Épinay, il anima dans le département, pendant plusieurs années, le Ceres, fondé par Jean-Pierre Chevènement, qui siège désormais parmi nous. André Lejeune participa activement à la vie de son parti. Ses convictions en matière européenne l'amenèrent, par exemple, à s'engager activement dans le débat que nous avons eu en 2004-2005 sur le projet de traité constitutionnel.

Mais son attachement viscéral à sa terre d'origine s'ajoutant à ses convictions politiques le conduisirent aussi à mener une longue carrière d'élu local. Élu dès 1971 au conseil municipal de la ville de Guéret, il enchaîna dès lors sans discontinuer les responsabilités municipales et départementales, devenant conseiller général en 1973, conseiller régional du Limousin et premier adjoint au maire de sa ville en 1977, puis maire de Guéret en 1978. Il occupa ce poste jusqu'en 1998, se consacrant passionnément à cette fonction qu'il jugeait la plus vibrante de toutes.

Avec un attachement aux valeurs humaines qui lui valaient à la fois l'estime de ses amis et le respect de ses adversaires, André Lejeune se consacra sans relâche et avec efficacité à sa ville de Guéret, où il mena à bien de multiples projets. Son attachement à sa ville était tel que, lorsqu'il décida d'abandonner son fauteuil de maire pour rejoindre définitivement le Palais du Luxembourg, il ne se résolut pas à abandonner la vie municipale guéretoise. Il demeura au conseil municipal pour continuer à y servir ses concitoyens tout en présidant, depuis 1992, la communauté de communes de Guéret-Saint-Vaury.

Le sens de l'intérêt général et son efficacité d'élu local conduisirent alors André Lejeune, par une suite logique des choses pour les élus de sa dimension, à débuter dès 1980 une remarquable carrière parlementaire. C'est au Sénat qu'il se fit élire, en septembre 1980, comme sénateur de la Creuse aux côtés de notre ancien collègue Michel Moreigne. Mais ce premier passage au Palais du Luxembourg fut de courte durée puisqu'il fut appelé à siéger au Palais-Bourbon à l'occasion des élections législatives de juin 1981. Réélu à l'Assemblée nationale en 1986, puis à nouveau en 1988, il retrouva notre hémicycle lors des élections sénatoriales de 1998. Il venait à nouveau d'y être brillamment réélu en septembre 2008, avec Jean-Jacques Lozach.

Tout en restant le défenseur inlassable et vigilant des intérêts de la Creuse, André Lejeune sut, dans ces murs, exprimer avec conviction et détermination sa vision des sujets engageant l'avenir du pays. Il tenait particulièrement à défendre les intérêts de nos agriculteurs, soulignant sans cesse les difficultés des zones rurales et des régions faiblement industrialisées. Il militait avec efficacité pour une politique évolutive à moyen et à long termes dans ce domaine. Ses interventions lors de l'examen annuel du budget de l'agriculture étaient écoutées et appréciées, comme l'étaient ses prises de position à l'occasion des projets de loi d'orientation agricole. Il s'attachait aussi aux questions de gestion locale et de coopération intercommunale. Son expertise et son expérience dans ces domaines nous manqueront particulièrement lors de l'examen des prochains projets de loi concernant les collectivités territoriales.

André Lejeune fut un membre estimé, solide et respecté de notre commission des affaires économiques. Le collègue de travail que j'ai été peut attester qu'il en était un des piliers. Il y démontrait toujours son expérience du terrain et sa parfaite connaissance des problématiques locales, mais aussi son humanisme et sa chaleur humaine mêlée de retenue.

La personnalité et l'action d'André Lejeune méritent que lui soit rendu aujourd'hui, par notre assemblée, un hommage ému. Tout au long de son parcours exemplaire, il a consacré l'essentiel de son existence et de son énergie à son travail d'élu local et de parlementaire, au service de nos concitoyens, avec les convictions qui étaient les siennes. Il était une figure locale d'exception, une personnalité attachante et un ami courageux qu'a décrit le maire de Guéret. Jusqu'à ses derniers jours, il est demeuré fidèle à lui-même, jusqu'au bout de ses forces.

A ses collègues du groupe socialiste, éprouvés par la disparition de l'un de ses membres, j'adresse les condoléances du Sénat tout entier. Aux membres de la commission de l'économie et à son président, Jean-Paul Emorine, qui perdent un collègue estimé, j'exprime notre sympathie et mon souvenir personnel, puisque j'ai présidé cette commission quand André Lejeune en était membre. A vous particulièrement, madame, qui avez fait preuve de courage à ses côtés dans un moment qui était également difficile pour vous, à vos enfants, Gilles, Patrick et Sylvie, à toute votre famille et à vos proches, je tiens à présenter nos condoléances sincères et émues, à vous assurer de la peine de chacun des membres du Sénat de la République, à vous dire la part personnelle que j'ai prise à votre peine et à vous encourager dans ces moments difficiles.

Soyez assurée que la mémoire d'André Lejeune restera présente dans cet hémicycle et dans notre souvenir.

Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.  - Après ces instants d'émotion et de recueillement, le Gouvernement tient à s'associer pleinement à l'hommage rendu par le Sénat à André Lejeune, ancien sénateur de la Creuse, qui nous a quittés le 9 septembre.

Comme vous, monsieur le président, il m'a été donné d'être des années durant le collègue d'André Lejeune au sein de la Haute assemblée. J'ai toujours été impressionné par la passion qui l'animait, qui allait de pair avec une grande maîtrise des dossiers sur lesquels il s'engageait et de grandes qualités de dialogue.

Tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, sa connaissance très fine du monde agricole et son approche moderne de la ruralité apportaient aux travaux parlementaires un éclairage incontournable.

Avec la disparition d'André Lejeune, notre premier sentiment, même si nous le savions malade, a été celui de la tristesse. Et je puis attester que ce sentiment est partagé sur les bancs des deux assemblées.

Mais derrière la tristesse, il doit y avoir aussi l'espoir. Ce formidable message d'espoir qui se dessine quand on se repenche sur la vie d'André Lejeune et l'oeuvre qu'il a accomplie. A travers le parcours de ce fils d'ouvrier dont vous avez rappelé, monsieur le président, les épreuves de l'enfance, comment ne pas voir l'incarnation de ce que chacun d'entre nous ici attend de la République ? Comment ne pas y trouver la marque du mérite républicain qui permet, à force de travail et de volonté, de voir l'élève méritant devenir un brillant professeur de sciences, le jeune élu de terrain prendre un jour à bras-le-corps les destinées de sa commune, puis le maire devenir un parlementaire écouté et respecté ?

L'itinéraire remarquable d'André Lejeune est de ceux qui portent haut les couleurs de la République. Quant à sa personnalité, quel meilleur exemple à offrir à ceux qui font le choix de s'investir au service de leurs compatriotes ? Sa nature généreuse, son humanisme de conviction et de tempérament témoignaient d'une vie exemplaire d'élu de terrain.

Enfant du terroir et acteur enraciné, André Lejeune avait tissé avec les habitants de la Creuse, et en particulier ceux de Guéret, une relation très profonde, empreinte de confiance et de considération mutuelles. En venant si nombreux lui rendre un dernier hommage, ses anciens administrés, ses électeurs, ses collègues ont montré l'étendue de sa popularité, à hauteur de l'émotion ressentie et de l'estime qu'ils lui portaient.

Des femmes et des hommes de tous horizons politiques étaient rassemblés, ce 14 septembre dernier à Guéret, pour saluer l'homme de convictions mais également le militant toujours sur la brèche, son énergie et son enthousiasme inébranlables quels que fussent les aléas de la vie politique.

L'hommage qui lui est aujourd'hui rendu est pour le Gouvernement l'occasion de saluer, à travers celui qui en était un représentant emblématique, le travail, la passion et, disons-le, les sacrifices consentis par les élus locaux de France pour servir nos territoires et ceux qui y vivent.

Avec la disparition d'André Lejeune, la Creuse perd l'un de ses meilleurs ambassadeurs. Quant au Parlement, il dit adieu en cet instant à un élu de talent.

A vous madame, son épouse, à vos trois enfants, à votre famille, à ses collègues du groupe socialiste et de la commission de l'économie, j'exprime au nom du Gouvernement mes condoléances très sincères et le témoignage de notre amitié.

André Lejeune va rejoindre le grand et beau livre du Sénat, celui de la mémoire de ceux qui, dans les départements, ont accepté d'assumer ici une lourde charge au service de la France. Nous leur devons admiration, respect, et c'est ce que nous voulons vous témoigner.

M. le président.  - En signe d'hommage, nous allons suspendre la séance.

La séance, suspendue à 14 h 55, reprend à 15 h 10.