Nouvelle organisation du marché de l'électricité (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité.

Rappel au Règlement

M. Jean-Claude Danglot.  - Hier soir, M. Apparu a perdu son sang-froid au rappel des décisions du CNR. Il a donné dans un anticommunisme primaire...

M. Roland Courteau.  - Il a dérapé !

M. Jean-Claude Danglot.  - ...et tenu des propos outranciers, allant jusqu'à faire référence à des millions de morts. C'est son droit de ne pas partager les valeurs de solidarité et de défense du service public qui sont les nôtres, mais hier soir ses propos inacceptables ont détourné le débat démocratique. Par ce rappel au Règlement, nous rappelons au Gouvernement le respect qu'il doit au Parlement et aux institutions républicaines. Je demande solennellement à M. Apparu de revenir sur ses propos. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Je vous donne acte de votre rappel au Règlement. M. Apparu ne manquera pas de vous répondre le moment venu. (On estime à gauche que c'est la moindre des choses)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°145, présentée par M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).

M. Daniel Raoul.  - Je m'associe à l'observation de M. Danglot : le dérapage d'hier soir n'est pas digne de notre débat. (On approuve à gauche)

La loi Nome tend à établir de force un marché artificiel de l'électricité, après que six lois ont échoué à le faire de gré. Malgré l'ouverture de 2007, EDF bénéficie d'un quasi-monopole.

Je regrette qu'un secrétaire d'État si jeune ait une mémoire aussi sélective. Qui a rédigé les directives européennes ? Tout remonte au contre-choc pétrolier de 1985. Après les hausses de 1973 et 1979, l'État avait courageusement renforcé son emprise sur le secteur. L'énergie, n'en déplaise aux libéraux, est un domaine où la souveraineté de l'État s'exerce pleinement jusqu'à devenir une question de défense nationale, au sens de l'ordonnance de 1959.

Au début des années 2000, marquées par une inversion de conjoncture, la hausse reprend. Le droit de la concurrence devient le pied-de-biche utilisé par Bruxelles pour fracturer la porte fermée des politiques énergétiques nationales.

Pourtant, les échecs ne manquent pas à l'étranger, que ce soit en Suède, en Grande-Bretagne et plus récemment en Suisse ou en Belgique. La Californie a mis un terme à l'expérience malheureuse du démantèlement des opérateurs verticaux, le prix du mégawatheure étant passé de 30 à 377 dollars de décembre 1999 à décembre 2000... Son gouverneur revient aujourd'hui à la régulation.

Le 20 juin 1996, le Conseil européen a adopté une position commune sur la première directive électricité ; avec l'aval du gouvernement Juppé, ce texte a ouvert à la concurrence 30 % du marché -principalement de gros clients industriels. La transposition en France remonte à février 2000. A l'époque, le Gouvernement avait pris ses responsabilités en organisant une transposition a minima. Après 2002, on n'a cessé de légiférer. La loi de 2003, plus libérale encore que la directive, a porté sur le marché, alors que M. Jospin voulait moderniser le service public.

C'est toute la différence entre défendre l'intérêt des consommateurs et défendre celui des actionnaires...

Puis vint la loi Raffarin-Sarkozy de 2004, qui a ouvert le capital d'EDF et de GDF et les a transformées en sociétés anonymes. Un certain ministre des finances avait alors promis que l'ouverture du capital ne dépasserait pas 30 %...

Enfin, la loi Villepin-Breton de 2006 ouvre totalement le marché à la concurrence au 1er juillet 2007. Lors de la conférence de presse suivant le Conseil européen, le Président Chirac avait déclaré qu'il n'était pas question d'aller plus loin sans avoir obtenu une directive sur les Sieg ; six mois plus tard, Mme Fontaine a accepté que soit fixée une date finale pour l'achèvement du marché intérieur, même en l'absence de directive-cadre sur les Sieg.

Quand peut-on vous croire ? Vous nous demandez des actes de foi, mais l'expérience incite au doute. Les lois successives ont été l'occasion de remettre en cause le statut des entreprises publiques, ce que n'avait jamais exigé Bruxelles. La question des Sieg n'a jamais été évoquée, et ne peut plus l'être. Nous sommes loin de l'esprit ayant présidé à la création de la Ceca !

La dérégulation pénalisera les Français ; pire, elle les spoliera puisque EDF appartient aux consommateurs. C'est cet outil que vous êtes en train de brader.

Nos concitoyens bénéficiaient d'un tarif attractif grâce au partage de la rente nucléaire. Vous auriez pu agir en amont, refuser l'ouverture totale, renégocier -vous ne seriez pas le seul gouvernement à vouloir le faire.

M. Marc Daunis.  - Voilà une bonne idée !

M. Daniel Raoul.  - Mais le voulez-vous ? J'en doute. Ainsi les ménages subiront-ils une double peine, spoliation et hausse des prix.

Vous avez évoqué les deux procédures engagées par la Commission européenne. Mais vous ne pouvez vous prévaloir de vos propres turpitudes puisque vous avez accepté la libéralisation du marché ! Et je ne parle même pas de l'accord Fillon-Kroes. Vous êtes victimes du TOC : le trouble obsessionnel de la concurrence ! (On s'amuse à gauche) Au demeurant, et parmi d'autres dispositions, la clause de destination -le rapporteur le sait bien- est douteuse sur le plan du droit communautaire.

Ce texte porte atteinte au service public et à notre indépendance énergétique. Avec lui, vous portez un coup fatal aux tarifs réglementés. (Applaudissements à gauche)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie.  - Je suis bien sûr défavorable. Tout d'abord, je n'exclus pas l'apparition d'un nouvel opérateur électronucléaire sur le territoire national. EDF a construit deux centrales en Afrique du sud, nous construisons une centrale en Finlande et deux en Chine, l'entreprise est bien placée pour emporter d'autres marchés aux États-Unis ou en Angleterre, en Pologne aussi. On ne peut se réjouir de la conquête de marchés extérieurs et refuser l'arrivée de nouveaux opérateurs sur son propre marché.

J'ajoute que la sécurité des centrales repose uniquement sur l'Autorité de sûreté nucléaire, dont l'action s'imposera le cas échéant à tout nouvel intervenant. Elle est bien plus exigeante que l'autorité américaine qui a accepté la prolongation de vie des centrales dans des conditions un peu légères.

S'agissant de l'obligation d'investissement des fournisseurs concurrents, je vous renvoie à l'article 2 et au complément introduit à l'initiative des deux rapporteurs.

Même sans la loi Nome, les prix augmenteront car depuis dix ans, les investissements ont été insuffisants. Pour ménager leurs électeurs, les gouvernements de droite comme de gauche ont refusé d'augmenter les tarifs. La responsabilité est partagée. Maintenant il faut rattraper.

En Californie pas plus qu'aux États-Unis il n'y a de tarifs régulés. Le gouverneur a incité les opérateurs à investir, en accordant des garanties de prêt en faveur des énergies renouvelables. Résultat : au nord de San Francisco, des milliers d'éoliennes dénaturent le paysage ! Il n'a en revanche rien garanti pour les centrales nucléaires existantes, malgré l'ampleur des besoins.

Les procédures ? La majorité assume la création et la prolongation du Tartam. Pour le reste, tout le monde ici défend le tarif régulé qui n'est pas un tarif subventionné mais simplement le partage de la rente nucléaire. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.  - Avis défavorable. (On s'indigne à gauche de la brièveté de la réponse de M. le ministre)

M. Roland Courteau.  - Comme l'a brillamment rappelé Daniel Raoul...

M. Charles Revet.  - Renvoi d'ascenseur !

M. Roland Courteau.  - ...l'acceptation de la concurrence intégrale par la majorité, sa capitulation l'ont mise dans la nasse ; et elle nous demande de l'aider à en sortir... Nous aurions pu le faire si les gouvernements avaient donné suite depuis 2002 à ce que MM. Jospin et Chirac avaient obtenu à Barcelone : le primat d'une directive sur les Sieg.

M. Apparu, à moins que ce ne soit M. Marini, a incriminé le sommet de Barcelone, alors que MM. Jospin et Chirac avaient obtenu le verrou des Sieg. M. Jospin avait alors exprimé plus que des doutes sur la baisse des prix à venir. De fait, les prix ont flambé. Il vous a fallu inventer le Tartam. Puis, ayant obtenu l'ouverture totale à la concurrence, vous vous félicitiez d'un « compromis », en fait une capitulation en rase campagne. Allant toujours plus loin, vous avez privatisé GDF, fonçant dans la nasse en chantant, alors que partout la démonstration est faite que la libéralisation ne marche pas. Lors du Conseil européen de l'énergie du 6 septembre, il s'est trouvé plusieurs ministres pour reconnaître qu'elle ne faisait pas baisser les prix. Avec son passé flamboyant en matière de services publics, la France pouvait donner l'exemple contre le processus délétère de privatisation, prendre des initiatives ; mais l'accord Fillon-Kroes est un mauvais accord.

Aujourd'hui, vous nous demandez notre aide. Mais votre projet dangereux conduit dans le mur, au moment où les pays qui vous ont précédés font marche arrière.

Votre texte n'est bon pour personne. Il n'y a pas lieu d'en poursuivre la discussion. (Applaudissements à gauche)

Mme Évelyne Didier.  - En commission, le rapporteur s'est étonné de nos amendements de suppression. Si nous avons fait ce choix, c'est pour attirer l'attention sur les dangers du texte pour le pouvoir d'achat, la sécurité de nos approvisionnements, la sureté des installations, l'emploi industriel, l'indépendance énergétique du pays. « La législation actuelle a fait son temps » a dit M. Borloo à l'Assemblée nationale ; mais ce sont les politiques conduites en France et à Bruxelles qui ont fait le leur. Ni la libéralisation, ni la privatisation du secteur énergétique ne servent l'intérêt général.

La filière nucléaire, encore majoritairement publique -pour combien de temps encore ?- est en sous-effectif, en déficit de formation, multiplie les sous-traitants, qui subissent 80 % des rayonnements radioactifs, sans aucun statut.

Le traité de Lisbonne considère l'énergie comme une simple marchandise, soumise aux règles du marché.

Les sénateurs CRC-SPG soutiennent la motion déposée par le groupe socialiste, en rappelant leur projet alternatif d'une maîtrise entièrement publique du secteur énergétique. (Applaudissements à gauche)

A la demande de la commission, la motion n°145 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 153
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°146, présentée par M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).

M. Martial Bourquin.  - Plusieurs motifs justifient cette motion. Le premier est la mise en cause du pacte nucléaire. Deux indépendances sont indispensables, l'indépendance alimentaire et l'indépendance énergétique. Les Français ont conclu ce pacte, ils ont accepté le risque nucléaire en échange de tarifs bas et d'investissements en termes de sureté et de sécurité des approvisionnements. Aujourd'hui, on spolie l'opérateur public. Si on agissait de même pour Total, que n'entendrait-on ! M. le rapporteur a été clair, il est bien envisagé des prises de participation privées dans les centrales nucléaires.

Ensuite, nous nous interrogeons sur l'accord Fillon-Kroes. Est-il le meilleur possible ? Hier, M. le rapporteur a invoqué les injonctions de la Commission européenne. Plutôt que de la défier, ainsi que le Parlement européen, à propos des Roms, j'aurais préféré que ce fût en matière d'énergie ! La lettre tue et l'esprit vivifie. Après la crise financière qui a fait trembler la planète, il y avait de quoi s'interroger sur les mérites du néo-libéralisme. Mais après de belles déclarations sur les méfaits du capitalisme sauvage, on nous sert ce texte...

Nous tirons la sonnette d'alarme. Alors que la pauvreté s'étend, que 4,2 millions de nos concitoyens pointent à Pôle Emploi, est-il raisonnable de préparer les conditions d'une hausse du coût de l'énergie supérieure à 10 % ?

Le texte mésestime les conséquences économiques de la nouvelle organisation du marché. Une étude d'impact ? Plus d'impacts que d'étude ! Il y aura de gros dégâts dans les bassins d'emplois industriels. Lorsque nous sommes allés à Saint-Jean-de-Maurienne, les industriels ont évoqué des risques de délocalisation. Aurons-nous encore demain une filière aluminium ? J'en doute. Aurons-nous une filière silicium pour nos panneaux photovoltaïques ? Probablement pas. La compétitivité dépend aussi du coût de l'énergie. Si la France est au premier rang pour les investissements étrangers, c'est notamment grâce à son énergie bon marché.

M. Apparu a fait hier un très bref historique du libéralisme et du communisme. N'oublions jamais que nous devons notre indépendance énergétique au CNR et à Charles de Gaulle.

M. Gérard Longuet.  - N'oubliez pas M. Giscard d'Estaing !

M. Martial Bourquin.  - C'est cet héritage-là que vous bradez. L'excellence énergétique de la France est une leçon pour l'Europe mais le Gouvernement a capitulé à Bruxelles au détriment des intérêts du pays.

Ce projet de loi prépare une majoration exceptionnelle des prix de l'énergie. Dans mon département, l'hôpital public ayant opté pour un opérateur alternatif a vu sa facture augmenter de 30 % à 40% ! Il y a de quoi porter un coup fatal à notre compétitivité. Ne vous plaignez pas des délocalisations... Je sais ce qui se passera : on demandera come d'habitude aux mêmes de travailler plus pour gagner moins.

Nous avons besoin de réfléchir plus avant aux conséquences de l'accord Fillon-Kroes. Nous avons besoin d'une véritable étude d'impact. Je pense à ceux qui travaillent dur et se lèvent tôt : ils méritent mieux que les hausses annoncées, alors qu'ils ont financé la filière nucléaire.

Il faut tout reprendre en commission ! (Applaudissements à gauche)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - Je ne reviens pas sur les arguments developpés lors de la motion précédente : j'y ai déjà répondu.

Il est vrai que l'étude d'impact est partielle et partiale. La révision constitutionnelle a institué ces études, qui en sont encore aux balbutiements. On peut faire mieux, mais c'est un progrès. Vivent les études d'impact !

Sur la clause de revoyure, ne donnez pas de leçons ! Tous les gouvernements prévoient ce genre de clause. L'Arenh est complexe ; le mécanisme ne sera pas facile à mettre en place. Nous souhaitons que les choses changent de façon positive. Les clauses de revoyure sont utiles : il faut dresser des bilans et bien sûr, en tirer les conséquences.

Vous voulez renvoyer ce texte en commission. Son travail est caractérisé par sa faculté d'écoute et de discussion. J'ai été député et sénateur : la réflexion est ici bien plus approfondie.

M. Charles Revet.  - C'est vrai !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - J'ai auditionné près de cinquante personnalités avant les vacances. J'en ai reçu d'autres il y a quelques jours. Le travail accompli est exemplaire ; il n'est donc nul besoin de revenir en commission.

M. Roland Courteau.  - C'est dommage !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Défavorable.

M. Marc Daunis.  - C'est un peu sec !

A la demande de la commission, la motion n°146 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 153
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.