Piraterie (Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer.

Discussion générale

M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération.  - Vous le savez : la piraterie prend une ampleur sans précédent dans le Golfe d'Aden et l'Océan indien, menaçant le commerce mondial et l'aide humanitaire. La France participe à l'opération Atalante, lancée en 2008 conjointement avec l'Espagne. Avec 800 arrestations en deux ans, 140 présumés pirates ont été appréhendés par les moyens français. J'ai une pensée pour les équipages de nos deux navires déployés au large de la Corne de l'Afrique.

Nous intervenons auprès du Puntland, du Kenya et des Seychelles, pour accélérer le traitement judiciaire des pirates soumis à ces autorités. Cette action est largement couronnée de succès, mais 90 % des individus interceptés sont relâchés. Ainsi, 700 pirates auraient été relâchés au cours du premier semestre 2010. Il faut donc de nouveaux moyens juridiques. Tel est l'objet de ce texte.

L'incrimination de piraterie avait disparu de notre droit pénal depuis 1835. Le projet de loi se réfère à la convention de Montego Bay. Au demeurant, il est déjà possible de poursuivre des pirates pour détournement de navires, prises d'otages et violence en bande. C'est ce qui a été retenu contre les quinze auteurs d'acte de piraterie compromis notamment dans l'affaire du Ponant.

Le texte accorde des pouvoirs de police judicaire aux commandants de navires français. Il dispose que les auteurs et complices appréhendés par des agents français pourront être jugés par des juridictions françaises.

Ensuite, conformément à l'arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l'homme, ce projet de loi impose au commandant du navire d'informer le procureur de la République en cas de mesure de coercition. S'ajoutent des conditions sur le déroulement de la mesure de coercition, dont le juge des libertés et de la récidive devra être saisi dans les 48 heures.

Je remercie la commission, son président et son rapporteur, pour le travail conduit dans un esprit de consensus tout au long de cette navette fructueuse. Ainsi, ce texte équilibré conforte l'action de l'État en mer, dans des conditions respectant la personne humaine.

Il faut combattre avec détermination la piraterie, de retour en ce début de XXIème siècle. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.  - Alors que la piraterie semblait avoir disparu, plus de 4 000 actes de piraterie ont été recensés en vingt ans ; au cours de la dernière année, 159 navires ont été attaqués et 49 capturés.

Actuellement, 21 navires et 498 otages sont aux mains des pirates, qui réclameraient 80 millions d'euros. Le Golfe d'Aden est le premier concerné; la piraterie est devenue une menace sérieuse pour le commerce maritime des marchandises. La France n'est pas épargnée.

Depuis l'abolition de la « guerre de course » par la Déclaration de Paris, en 1856, notre pays a toujours joué un rôle majeur dans la lutte contre la piraterie. En 2008, nous avons été à l'initiative de l'opération Atalanta. Pour m'être rendu moi-même dans le Golfe d'Aden, je salue d'abord l'action des commandos marine et du GIGN dans la libération des otages. (M. Jacques Gautier applaudit)

Ce texte introduit un cadre juridique permettant de réprimer la piraterie, la loi de 1825 ayant été abrogée en 2007. L'acte de piraterie en haute mer et dans les eaux territoriales d'un État y est défini, ainsi que la compétence quasiment universelle de nos juridictions pour juger les pirates, dès lors qu'ils auront été appréhendés par des Français et à défaut d'entente avec un autre État pour l'exercice de sa compétence : les Seychelles, par exemple, ont décidé de juger elles-mêmes les pirates.

Cependant, huit pirates sur dix sont relâchés. Le secrétaire général de l'ONU a remis, en juillet dernier, un rapport envisageant la création d'un tribunal régional : quelle est la position de la France ?

Le projet de loi vise également à mettre en place un régime sui generis pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer. Il s'agit ainsi de répondre aux griefs formulés par la Cour de Strasbourg dans son arrêt Medvedyev du 29 mars 2010.

Ce texte définit un cadre légal suffisant organisant la privation de liberté à bord d'un navire. Le Sénat a renforcé les garanties ; l'Assemblée nationale nous a suivis en tout point, de l'information du procureur -garantissant le traitement homogène des cas- à l'intervention de l'autorité judiciaire et à la reconnaissance comme pupilles de la Nation des enfants de victimes de la piraterie.

L'Assemblée nationale a modifié le texte pour le cas, improbable, où un aéronef serait attaqué par un autre aéronef ; elle a remplacé les termes « sérieuses raisons » -mauvaise traduction de la convention de Montego Bay- par « motifs raisonnables ».

Je salue à mon tour l'esprit consensuel de nos travaux. La commission a adopté ce texte à l'unanimité ; j'espère qu'il en ira de même aujourd'hui ! (Applaudissements)

M. Michel Boutant.  - Le quotidien londonien Lloyd's List vient de placer en quatrième position de sa liste des 100 principaux acteurs du transport maritime mondial le dénommé Garaad Mohammed, l'un des plus renommés des pirates somaliens. C'est dire l'importance prise aujourd'hui par la piraterie...

Bien sûr, tous les pirates ne font pas fortune. La pauvreté est, en Somalie, le terreau de la piraterie.

Cependant, le nombre d'otages augmente : 300 marins seraient retenus en otage, et leur sort ne suscite guère d'intérêt.

Il était urgent de légiférer. La piraterie n'est pas cantonnée aux romans de Stevenson -on célébrait d'ailleurs le mois dernier les 150 ans de sa naissance- ou aux superproductions hollywoodiennes : elle revient ! Les médias en parlent depuis 2008, mais elle était réapparue depuis longtemps.

La piraterie, comme la plupart des formes de criminalité, est bien souvent symptomatique de situations de détresse et de pauvreté. Loin de moi l'intention de justifier la piraterie, mais il faut souligner que la situation somalienne n'est pas pour rien dans son développement. La prise du Ponant a ému notre opinion publique : cette loi est bienvenue.

Cependant, elle comporte encore des points d'ombre. Ainsi, la Cour de cassation a rappelé, le 16 décembre, que le ministère public n'était pas une autorité judicaire, confirmant l'arrêt Medvedyeiv de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci avait estimé illégale la retenue d'un navire de marins soupçonnés de trafic de drogue, sans intervention d'une autorité judiciaire authentique.

Ce texte ne pénalise pas suffisamment les droits des personnes. Le droit de défense par un avocat n'y apparaît pas, un amendement socialiste en ce sens ayant été repoussé. Certes, il est difficile de faire venir un avocat sur le navire, tout comme le procureur : une communication par satellite est possible, pourquoi ne pas la prévoir ?

Nous sommes critiques, car nous sommes des parlementaires attachés à la qualité de la loi. Conscients de l'urgence, nous souhaitons un cadre juridique sûr contre la piraterie. A défaut, les sociétés militaires privées, qui escortent déjà bon nombre de navires, se développeront.

En juillet, l'ONU a formulé des recommandations contre la piraterie, soulignant le rôle à jouer par les États des régions concernées. Le Kenya vient d'instituer une autorité ad hoc financée par la lutte contre le trafic de drogue : c'est un bon exemple de coopération. La Somalie doit disposer d'installations pénitentiaires modernes ; nous devons l'y aider.

Certes, ce texte a le mérite de combattre la piraterie, mais arracher sa feuille ne soigne pas un arbre malade : avec l'ONU, nous devons éliminer les causes de la piraterie, en aidant les États concernés à extirper la misère, terreau de la piraterie. Ce projet de loi est un premier pas dans la bonne direction, mais il nous faut maintenant avancer sur ce chemin. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Fortassin.  - Longtemps, la mer fut un espace libre, dominé par le droit du plus fort. Qui ne se souvient de ces histoires de pirates qui faisaient nos délices, il y a trois quarts de siècle ?

M. André Trillard.  - Chut ! (Sourires)

M. François Fortassin.  - Les pirates ne sont pas nés aventuriers mais la misère et l'instabilité politique ont privé les pêcheurs de leur activité halieutique, les contraignant à se tourner vers le grand banditisme. Je n'excuse personne en le disant : il faut empêcher et punir la piraterie, certes, mais aussi lutter contre le sous-développement.

Il faut combattre la pauvreté, aider les pêcheurs à vivre de la mer, par la pêche !

La mer doit être sécurisée. C'est difficile. Ce texte y contribue ; notre groupe fera le pas, de l'abstention positive à l'acceptation !

Mme Michelle Demessine.  - Quatre amendements introduits par les députés précisent utilement le texte adopté par le Sénat, mais ne modifient pas notre appréciation formulée en première lecture. Je pense toujours qu'il était nécessaire de combler certaines lacunes de notre législation et qu'il y avait urgence à l'adapter en raison de la recrudescence des actes de piraterie.

En effet, la situation s'aggrave ; près de 700 marins sont détenus par des pirates somaliens. Grâce à ce texte, nos tribunaux pourront juger ces crimes. Surtout, un régime juridique sui generis est défini pour la consignation à bord, avec l'intervention du juge. Cependant, la qualité d'autorité judiciaire du parquet est contestée, ce qui menace le dispositif dans son ensemble.

La piraterie perdurera si la pauvreté elle-même ne recule pas.

Le problème est en mer, la solution est à terre ! Or, faute de volonté politique, la lutte contre la misère n'est pas prioritaire : les pirates ont de beaux jours devant eux ! Je pense en particulier à ce pirate somalien qu'un journal anglais a classé quatrième personnalité du trafic maritime mondial !

La lutte contre la piraterie doit être juridiquement sûre. En première lecture j'avais fait part des craintes de mon groupe sur la possible utilisation de cette législation à l'égard des immigrés clandestins que je ne considère pas comme des délinquants mais comme des victimes. Bien que nos craintes demeurent, le groupe CRC-SPG votera ce texte au nom de l'efficacité dans la lutte contre la piraterie maritime. (Applaudissements à gauche)

M. André Trillard.  - Ce texte nous revient de l'Assemblée nationale avec seulement quelques amendements rédactionnels : c'est dire la qualité de notre travail et de celui de la commission ! (Sourires) Ce texte est symbolique autant que technique.

Le trafic maritime représente 90 % du trafic mondial des marchandises. L'élu de la Loire Atlantique qui vous parle, ne peut être insensible à sa réussite.

En participant à l'opération Atalanta, la France a démontré que, malgré l'euroscepticisme en matière de défense, on peut agir contre la piraterie, à plusieurs pays européens et envoyer un message fort aux pirates. Que les racines de la piraterie plongent dans la misère n'interdit pas d'agir contre les pirates.

Tous les navires sont menacés, aussi bien ceux de tourisme que ceux qui transportent de l'aide humanitaire. Des rançons sont systématiquement demandées, et les primes d'assurances augmentent à due concurrence. Mais des navires demeurent retenus, faute de moyens pour les libérer. Des centaines de marins de pays pauvres croupissent en fond de cale, attendant un geste de leur gouvernement !

Certes, il n'y a pas de profil type du pirate, mais la piraterie est devenue une sorte de fonds d'investissement, donnant accès à bien des ressources, notamment militaires. Les puissants hors-bords surarmés d'aujourd'hui sont loin des embarcations de flibustiers du passé, même si la témérité des pirates d'aujourd'hui n'est pas si éloignée de celle de leurs prédécesseurs! Merci d'avoir accepté mon amendement autorisant la saisie et la destruction des embarcations.

N'oublions pas non plus, que ces détournements de navires peuvent avoir des conséquences catastrophiques en termes humanitaires et économiques mais aussi écologiques : les détournements de supertankers nous poussent à nous interroger sur les transports de marchandises stratégiques...

La menace de piraterie existe dans nos eaux territoriales, en particulier dans l'Océan indien. Nous devons agir dans ce cas aussi, en nous inspirant de Montego Bay. Cependant, ce texte ne le prévoit pas ; je le regrette. La Marine nationale a les moyens d'appréhender les pirates. La marine marchande a constaté des actes relevant du banditisme maritime, mais les commandants n'ont pas de pouvoir de police judiciaire. Est-il opportun de priver en eaux territoriales les bâtiments de guerre de l'autonomie juridique et opérationnelle dont ils disposent en haute mer pour appréhender des pirates?

Comme nous nous félicitons des avancées qu'apporte ce projet de loi, le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Faut-il un tribunal régional, comme le propose le secrétaire général de l'ONU ? Le projet de loi renforce nos capacités juridiques : le thème des tribunaux régionaux n'est pas de notre ressort. M. Jack Lang, conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU, travaille à un rapport sur le traitement judiciaire des pirates : ses conclusions sont attendues le mois prochain. La France considère que la lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden passe par l'implication de la Somalie, quitte à créer une juridiction somalienne ad hoc en dehors du territoire somalien. En attendant, il faut développer les accords judiciaires et pénitentiaires avec les Etats de la région.

Faut-il étendre ce texte à nos eaux territoriales ? Il concerne la haute mer. Cependant, comme en matière de lutte contre le narcotrafic et contre le trafic d'êtres humains, ce texte crée un dispositif spécifique. Dans les eaux territoriales françaises, le code pénal et le code de la défense s'appliquent. La Marine nationale peut intervenir, car cette action n'est pas réservée aux officiers de police judiciaire.

Je me réjouis du vote positif des groupes socialiste et CRC-SPG. L'évolution jurisprudentielle que vous citez, madame Demessine, ne remet pas en cause le dispositif. Il faut, bien sûr, encourager le développement et lutter contre la misère, mais la lutte contre la piraterie ne saurait se limiter à ces objectifs. La France agit en Somalie, pour permettre la formation d'un gouvernement fédéral de transition et la constitution d'un État digne de ce nom. Pour mener une politique de développement, encore nous faut-il des interlocuteurs... (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article 2 est adopté, ainsi que l'article 6

L'ensemble du projet de loi est adopté.