Mineurs délinquants (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Louis Nègre.  - D'abord, il y a de quoi s'inquiéter de l'état des lieux. La proposition de loi de notre excellent collègue Ciotti est d'une actualité brûlante. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat se gausse) La délinquance des mineurs n'a cessé de progresser depuis 1977, en France comme ailleurs. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit de plus belle) Mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire ! Vous, vous réfléchissez ; nous, nous agissons ! (« Bravo ! » à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Avec quelle efficacité ! Vous n'agissez pas, vous vous agitez !

M. Louis Nègre.  - Entre la prison et la rue, a fort bien expliqué Mme Giudicelli, il n'y a pas de réponses suffisamment variées.

Mme Virginie Klès, rapporteur.  - Je dirai même plus : il n'y a rien !

M. Louis Nègre. - Nos concitoyens plébiscitent le service citoyen, au-delà des clivages ! (Marques de satisfaction à droite) Vous parlez à tout bout de champ de démocratie participative et envoyez pas moins de onze orateurs à la tribune pour esquiver le débat au Sénat ! Vous ne pouviez pas rendre un meilleur hommage à ce texte.

Il constitue le chaînon manquant. Pour ces jeunes, les valeurs militaires, les valeurs civiques tout simplement, sont une réponse adaptée. Le contrat s'appliquera dans un contexte précis ; établi par un magistrat, il s'adresse seulement aux volontaires de plus de 16 ans. Ses trois objectifs -mise à niveau en français et mathématiques, formation civique et comportementale, préformation professionnelle- sont bienvenus. L'orateur précédent a détaillé les réussites du SMA outre-mer. Le taux d'insertion sur le marché du travail des jeunes passés par l'Épide atteint 70 %. Dépassons les clivages idéologiques pour reconnaître la justesse de cette proposition de loi !

Mme Virginie Klès, rapporteur.  - Ben voyons !

M. Louis Nègre.  - Ne refusons pas à ces jeunes en rupture l'apprentissage du sens de l'effort et du mérite, du respect de la règle et de l'autorité, de la citoyenneté. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe)

Après l'adoption de ce texte à l'Assemblée nationale le 12 octobre dernier, je m'étonne de la motion votée en commission dans ce haut lieu démocratique qu'est le Sénat. Le changement de majorité commence mal ! (Exclamations sur les bancs socialistes) D'autant que la candidate socialiste Mme Royal faisait les mêmes propositions en 2007 ! Ne vous en déplaise, M. Ciotti, lui, a auditionné des magistrats et des responsables de structures ; la moitié des jeunes aujourd'hui dans les Épide ont déjà eu affaire à la justice : l'arrivée de mineurs délinquants ne les déstabilisera pas. Je suis au regret de constater que la gauche manque d'arguments...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Quel bonimenteur !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il est drôle...

M. Louis Nègre.  - ...alors que seul l'intérêt des mineurs délinquants et de la société doit être recherché. Je salue le courage de M. Ciotti et remercie le garde des sceaux. Cette proposition de loi pleine de bon sens doit être mise en oeuvre dans les plus brefs délais, pour les jeunes en rupture en particulier et pour la société en général ! Je m'opposerai à une question préalable empreinte d'une idéologie dépassée, inopportune et contre-productive. (Vifs applaudissements à droite)

Mme Muguette Dini.  - « Lorsque les parents s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves, lorsque les jeunes dénigrent la loi et ne reconnaissent au-dessus d'eux l'autorité de rien ni de personne, alors c'est le début de la tyrannie »...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Platon...

Mme Muguette Dini.  - Platon, en effet. L'éducation est la principale question qui se pose à notre société. J'adhère pleinement à la philosophie de l'ordonnance de 1945 : la cause première de la délinquance est le déficit d'éducation.

Il faut renforcer d'urgence la politique d'appui à la parentalité lancée dans les années 1990. Depuis quarante ans, la famille a grandement évolué. Tenons-en compte. Autre échec : celui de l'école, devenue source de dévaluations et d'inégalités ; notre système scolaire ne transmet plus les valeurs qui font la cohésion sociale et la construction de chacun.

Il est bien expéditif, madame le rapporteur, de qualifier ce texte de texte de circonstance. Lors d'une mission en Martinique et en Guyane, nous avons visité le régiment du SMA. L'encadrement y est exclusivement militaire ; le principe y est le volontariat. Et, c'est vrai, une sélection existe pour s'assurer que le candidat n'a pas eu de démêlés trop lourds avec la justice. Depuis la création du SMA en 1961, 120 000 jeunes en ont bénéficié. Notre mission a reconnu l'incontestable succès du dispositif ; ses visites ont permis de dédiaboliser l'encadrement militaire des jeunes en rupture. J'adhère donc au principe. Mais la question est la suivante ; faut-il mélanger les jeunes en insertion et les jeunes délinquants ? Cela paraît bien dangereux. Mieux vaut créer une structure spécifique.

Pour toutes ces raisons, je regrette que la commission des lois, en votant la motion, nous prive de la possibilité d'améliorer ce texte ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Esther Benbassa.  - Le Gouvernement, une fois encore, nous oblige à travailler dans l'urgence, à des fins électoralistes, sur un texte qui ne comporte que des mesures cosmétiques. C'est dire le crédit qu'il accorde à l'éducation ! (Applaudissements à gauche)

M. Louis Nègre.  - C'est vous qui refusez le débat !

Mme Esther Benbassa.  - Comme Mme Tasca, je m'oppose fermement à l'article 6, c'est une greffe qui ne prend pas : elle est contraire au principe constitutionnel de la continuité du suivi éducatif des mineurs.

Le reste du texte est tout aussi contestable. (M. Jean-Pierre Michel approuve vivement) Personne ne savait quel public visait ce texte ; heureusement, le ministre vient de nous expliquer que seuls les primo-délinquants et les personnes ayant commis des actes de faible gravité seront accueillis. Ensuite, quid de l'encadrement militaire ? Les personnels des Épide sont à 42 % des anciens militaires ; le ministère de la défense devrait financer le dispositif à hauteur de 2 millions. C'est dire que l'ambiguïté subsiste.

Les sénateurs écologistes sont hostiles à la militarisation de l'insertion des jeunes.

M. Louis Nègre.  - Ils ont tort !

M. Alain Gournac.  - Et le SMA ?

Mme Esther Benbassa.  - Le critère du volontariat est bien théorique quand ce dispositif est une alternative à l'enfermement...

M. Louis Nègre.  - C'est un choix...

Mme Esther Benbassa.  - Au vrai, avec ce texte liberticide, la droite « populaire » espère récupérer l'électorat de l'extrême droite en flirtant avec ses thèses... (On le conteste à droite ; applaudissements à gauche) ! Vous mettez l'accent sur la répression, au mépris de l'éducatif, en faisant fi des maux dont souffre notre société. Pour une poignée de mineurs délinquants, vous risquez de déstabiliser les Épide, dont la mission est l'insertion.

Les sénateurs EELV rejettent en bloc la philosophie de ce texte. D'autant que le coût de la mesure est exorbitant : 50 000 euros par jeune délinquant, contre 32 000 aujourd'hui ? Est-ce bien nécessaire quand le budget de la justice souffre tant de la crise ? (Applaudissements à gauche)

M. Alain Néri.  - Oui, la délinquance des mineurs est un problème important. Mais il ne date pas d'aujourd'hui, à preuve l'ordonnance de 1945. Pareil sujet mérite une réflexion approfondie. C'est pourquoi je conteste et réfute l'opportunité de ce texte, alors qu'un code de la justice des mineurs serait presque achevé !

L'ordonnance de 1945 autorise déjà le placement des mineurs délinquants en établissement d'éducation ; pourquoi ce texte, si ce n'est pour préparer les élections de l'an prochain ? Pour des jeunes en insertion, que les Épide accueillent, les mesures pédagogiques ne peuvent être les mêmes que pour les délinquants. Vous allez transformer les Épide en structures de sanction, en alternatives à l'enfermement.

Pour une véritable politique de prévention, il n'y a qu'une solution : renforcer la PJJ. Or vous ne cessez de réduire ses effectifs. Cerise sur le gâteau, le directeur de l'Épide, dont les mérites ont été il y a peu reconnus, vient d'être remercié du jour au lendemain. Peut-être nous direz-nous pourquoi, monsieur le ministre ?

Souvenons-nous de ce vieux principe d'efficacité : « A chacun son métier » ! Donnons-nous les moyens d'une véritable politique de prévention pour redonner chance et espoir aux jeunes. Nous retrouverons ainsi ensemble le chemin de la cohésion nationale. C'est le voeu que je formule, avec le groupe socialiste ! (Applaudissements à gauche)

Mme Michelle Meunier.  - Permettez-moi d'intervenir en tant que responsable de la politique de l'enfance au conseil général de Loire-Atlantique.

L'ordonnance de 1945 a constitué un grand progrès ; elle a marqué que la répression ne suffit pas à tout régler. Dans une vie, on peut trébucher, puis repartir. Les faits délictueux sont commis par toutes les populations, quels que soient l'âge, le milieu social ou le territoire ; en revanche, certaines sont plus facilement repérées et pénalisées...

Toutes les études montrent que le passage à l'acte s'explique par des violences subies par l'auteur dans son enfance. Les délinquants sont, d'abord, des victimes. C'est en les respectant qu'on parviendra à réduire la délinquance et à aider les enfants cabossés par la vie à se reconstruire ; et le respect ne s'impose pas par la force, il se gagne par la confiance. S'il reste des progrès à faire, il faut toujours garder confiance dans les jeunes.

Ensuite, 96 % des mineurs délinquants sont des garçons arrêtés pour des faits de violence à l'égard de femmes ou d'enfants. Notre société accepte encore trop la domination masculine. Tant que nous n'interrogerons pas nos rapports sociaux de sexe, nous ne progresserons pas.

Mon département a connu plusieurs faits divers dramatiques en la matière : Laëtitia, Agnès de Ligonnès, d'autres encore. Qu'ont demandé, à Nantes, les professionnels de la justice ? De la concertation, de l'écoute, des moyens pour exercer leur mission, non des réponses toutes faites ! Il faut également associer les familles aux décisions, qui ne se satisfont pas plus que les jeunes de l'échec social. Nous pensons que l'éducation est un investissement pour l'avenir -c'est ce qui nous distingue du Gouvernement... L'État ne cesse de se désengager de la prévention et de l'accompagnement des personnes en difficulté.

Avec les jeunes, il faut avoir un discours particulièrement clair : je crains qu'un encadrement militaire ne s'ajoute au catalogue des mesures inefficaces et coûteuses déjà prises. Dans ces conditions, je propose qu'on affecte les 8 millions du service citoyen à la PJJ, qui manque cruellement de moyens ! (Applaudissements à gauche)

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je crains que mon intervention ne change rien à la volonté du Sénat de ne pas débattre... A vous entendre, madame le rapporteur, vous détenez seule la vérité ; tous les autres sont dans les ténèbres. Je n'ai pas cette conception du vivre ensemble et de la vie publique. Je n'aurais jamais pensé qu'il existait une telle distance avec l'Ille-et-Vilaine, avec un point d'ancrage à Issoudun...

Je regrette que vous refusiez la discussion. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame)

Il est consubstantiel au marxisme de Mme Borvo de dire non.

Mme Éliane Assassi.  - Que lui arrive-t-il ?

M. Alain Gournac.  - Laissez parler le ministre !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Le refus du débat, ce n'est pas ma conception du vivre ensemble. Je considère que s'il y avait eu discussion au Sénat, le texte aurait été meilleur ! (Exclamations à gauche) Je continuerai à m'exprimer, comme je l'ai toujours fait ici. Le débat, ce n'est pas juxtaposer dix-huit discours, c'est écouter, échanger.

L'article 6, ce n'est pas que du mensonge, monsieur Michel ! En seriez-vous spécialiste ? (Sourires à droite)

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 juillet, a fixé le principe constitutionnel en matière de justice des mineurs. Pourquoi refusez-vous toujours de citer la grande loi du 12 avril 1906 ? Qui était alors au gouvernement, madame Escoffier ? Clemenceau ! Cela devrait vous rappeler votre ancrage radical.

M. Alain Néri.  - Et le CNR ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Le CNR, c'est la fin d'une époque et le début d'une nouvelle République !

L'ordonnance de 1945 n'exclut pas que soit prononcé le placement ou la détention des mineurs de plus de 13 ans.

L'article 62 de la Constitution dispose que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à tous. Nous avons certes jusqu'au 1er janvier 2013 pour imposer ces mesures. Mais le Parlement ne va plus siéger du 20 février au mois de juin. Après il y aura une session extraordinaire...

M. Alain Néri.  - Et une autre majorité !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.   - Il y aura une majorité. Je fais confiance aux Français pour choisir le bon côté !

Il sera difficile de trouver le temps pour voter ces mesures avant décembre 2012. Nous les proposons donc ici.

L'amendement voté par l'Assemblée nationale à l'article 6 concerne les mineurs récidivistes : il y a déjà eu une enquête de personnalité. Le procureur pourra en tout état de cause ne rien faire.

Avec l'Épide, il s'agit seulement de donner au juge des enfants une possibilité supplémentaire. Dans son rapport, page 17, Mme Klès précise que 30 % des jeunes actuellement en Épide ont déjà été jugés et que 15 % sont sous suivi judiciaire. C'est bien le même public. (On le conteste à gauche)

Ce Gouvernement est le seul à avoir fait diminuer le nombre de mineurs incarcérés, en créant les centres éducatifs fermés. (Applaudissements à droite) Pour continuer dans le même sens, il faut offrir d'autres possibilités : 200 places seront ouvertes, avec encadrement par d'anciens militaires, des éducateurs, et surtout une vraie formation professionnelle. Vous ne pouvez rien reprocher à ce dispositif, c'est sans doute pourquoi vous refusez d'en débattre ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - M. Mercier ne nous avais pas habitués à un tel manichéisme, qui le pousse vers des métonymies douteuses : les habitants d'Issoudun ne sont pas marqués à vie par certains événements en cette cité, non plus que les Grenoblois par certain discours. (Applaudissements à gauche) La rhétorique autour de la question préalable est quelque peu sujette à caution : je tiens à votre disposition une liste imposante de questions préalables votées par la précédente majorité du Sénat de par le passé.

Vous n'avez pas répondu sur la question financière. En 2010, 99 987 000 euros ; en 2011, 82 430 000 euros pour les Épide. Dans le budget 2012, les deux plus grands contributeurs verront leurs crédits diminuer de 13 % et 12 %. Il y a donc moins de crédits : comment imaginer confier de nouvelles tâches aux Épide dans ces circonstances ? (Applaudissements à gauche)

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - J'aime beaucoup les Grenoblois, et les Orléanais plus encore -et je ne les vois pas seulement à travers l'histoire de Jeanne d'Arc...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Qui est très importante pour la France, et au-delà !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Il s'agit simplement de financer les 200 places que nous créons ; 8 millions, pris en charge à égalité par quatre ministères. La justice contribuera à hauteur de 2 millions.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Cela ne remettra pas au niveau l'Épide !

Mme Virginie Klès, rapporteur.  - Mais les moyens...

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je ne suis qu'un pauvre provincial, je ne peux répondre à deux questions à la fois ! (Mme Virginie Klès, rapporteur, proteste) Je suis éternellement à la disposition du Sénat.

En 2012, ne vous en déplaise, le budget de la justice augmente de 4 %, celui de la PJJ de 1,98 %.

Ces 200 places seront financées par 8 millions d'euros : 2 millions de la justice, 2 de l'emploi, 2 de la ville, 2 de la défense.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Dès lors que de 2010 à 2011, les crédits ont baissé de 10 millions et vont encore baisser d'autant, il y a bien un déficit de 12 millions ! (Applaudissements à gauche)

Mme Virginie Klès, rapporteur.  - Je ne voulais que préciser la question sur ces 8 millions, qui n'existent pas encore en loi de finances...

Pour accueillir ces mineurs délinquants, le budget est de 8 millions, mais seulement parce que les moyens actuels sont mutualisés. Mais vous ne voulez manifestement pas répondre sur ce point...

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par Mme Klès, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (n° 26, 2011-2012).

Mme Virginie Klès, rapporteur.  - Le Gouvernement a scié la branche sur laquelle il est assis en déclarant la procédure accélérée. Ce texte a été voté à l'Assemblée nationale le 12 octobre ; il nous est parvenu en commission le 19 et nous sommes le 25. Comment voulez-vous, dans de telles conditions, faire des propositions concrètes, en l'absence en outre de moyens financiers ? Reste donc un texte « médiaticophile ».

Que ne pourrons-nous nous féliciter des effets de l'inflation législative que vous nourrissez depuis des années ! Le texte n'était pas amendable : il aurait fallu tout récrire, nous n'en avions pas le temps. D'où cette motion déposée à l'initiative de Mme Borvo Cohen-Seat.

Considérant que la proposition de loi risque de déstabiliser les Épide, que les moyens ne sont déjà pas à la hauteur, et ne permettent pas à l'Épide d'investir ; considérant que l'adaptation des juridictions pour mineurs ne peut se faire sans concertation préalable des professionnels et que le délai fixé par le Conseil constitutionnel est suffisant pour ce faire ; considérant que l'article 6 est un cavalier, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de débattre de ce texte, que nous récrirons totalement ! (Applaudissements à gauche)

M. François Pillet.  - Jamais la discussion n'aura été aussi générale. Nous n'aurons pas pu examiner le texte en détail. Le sursis sur mise à l'épreuve ? Il suppose le consentement du mineur. Or le juge peut prononcer des mesures extrêmement contraignantes ! Pourquoi nous interdire une solution permettant au juge de recueillir le consentement de l'enfant !

Vous regrettez la procédure accélérée, mais en accélérez l'issue ! Le Sénat refuse de légiférer : c'est fuir son devoir et abandonner son pouvoir, puisque l'Assemblée nationale décidera seule.

M. le président.  - Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Contre.

M. François Zocchetto.  - A ce stade du débat, je suis très déçu que le Sénat soit privé d'un débat constructif. Déçu que cette motion, révélatrice d'une posture politicienne (applaudissements à droite), contredise les promesses du président Bel, qui disait vouloir que le Sénat reste utile ! (Protestations à gauche) Quelle est l'utilité du Sénat s'il ne débat pas ? Quelle est sa plus-value ? Le Sénat devait être « conforté dans ses prérogatives législatives et de contrôle » ; on en est loin. Depuis quelques jours, il y a donc un double discours : celui du président du Sénat et celui de la nouvelle majorité, qui adopte avant tout une posture politicienne. (Protestations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Et M. Ciotti !

M. François Zocchetto.  - Le groupe UCR refuse cette évolution.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous êtes trop drôle !

M. François Zocchetto.  - Voulez-vous que l'Assemblée nationale soit la seule à rédiger ce texte ? Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons du Parlement. Avec ce texte, vous inaugurez le Parlement monocaméral. Nous voterons contre la motion. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Notre vote va de soi : nous avons déposé la motion.

Monsieur Zocchetto, je me garderai de rappeler le comportement de votre groupe, qui votait sans état d'âme les textes qu'il avait critiqués ! (Applaudissements à gauche) La question préalable, c'est un instrument de procédure parlementaire, pas je ne sais quelle manifestation de marxisme ! (M. le garde des sceaux rit)

Avec cette motion, nous disons non. Non à cette énième loi d'affichage sécuritaire. (Applaudissements à gauche) La jeunesse en danger mérite réflexion. Il faut une réflexion sur ce que vous avez fait depuis dix ans, sur vos résultats, qui sont mauvais !

En 2004, un dispositif similaire « jeunes en équipes de travail » avait été abandonné car l'armée n'avait pas les moyens d'assurer cette mission. La commission de la défense de l'Assemblée nationale, où vous êtes majoritaires, a d'ailleurs voté contre la proposition de loi de M. Ciotti !

Si l'objet était de se pencher sur le placement des mineurs délinquants, vous auriez consulté les magistrats, les éducateurs. Mais non, preuve que ce texte est purement d'affichage !

Il faut savoir dire non à une nouvelle modification de l'ordonnance de 1945. L'accent doit être porté sur la prévention. Or le budget de la PJJ augmente moins que l'inflation.

La délinquance des mineurs n'a pas augmenté davantage que la délinquance en général. La violence augmente, oui, mais dans toute la société.

Le Gouvernement ferme des écoles et ouvre des prisons. Souvenez-vous de ce que disait, à ce sujet, Victor Hugo, qui siégeait là d'où je vous parle. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Mézard.  - Voter la question préalable, ce serait affaiblir le Sénat ? Un peu rapide, venant de ceux qui ont abusé de la procédure accélérée et du vote conforme ! (Applaudissements à gauche)

Il est des textes de principe qui justifient une opposition de principe. La majorité de notre groupe s'oppose à cette accumulation de textes sécuritaires dont la raison fondamentale est d'affichage médiatique. Celui-ci nous est présenté comme une proposition de loi mais son origine gouvernementale est manifeste. C'est une facilité de procédure.

Trop, c'est trop, ont dit les grands électeurs : il faut revenir à la mesure. Nous voterons majoritairement la question préalable. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Michel.  - Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous votons une question préalable : nous avons montré à plusieurs reprises que nous étions disposés à discuter avec nos collègues de droite pour améliorer certains textes. Il est même arrivé qu'en commission mixte paritaire, nous réussissions à faire prévaloir la position de la commission des lois du Sénat -sur la loi pénitentiaire, par exemple. Il y a des textes amendables -nous l'avons prouvé la semaine dernière sur l'allégement des contentieux- et d'autres qui ne le sont pas, comme celui-ci, qui est purement idéologique et d'autant plus inutile que l'ordonnance de 1945 permet déjà le placement de mineurs délinquants. Pourquoi n'utilise-t-on pas cette possibilité ?

C'est qu'il fallait laisser à M. Ciotti la possibilité de faire voter sa proposition de loi.

Les orateurs se sont exprimés au cours de la discussion générale. L'opinion publique et l'Assemblée nationale sont informées de ce que le Sénat pense. Et la majorité sénatoriale pense qu'il n'y a pas lieu d'amender ce texte.

Un Parlement monocaméral ? La faute au Gouvernement et à la procédure d'urgence ! (M. François Zocchetto en doute) Si le texte nous était revenu en deuxième lecture, qui peut dire comment nous aurions agi ?

M. Jean-Jacques Hyest.  - Vous auriez fait la même chose !

M. Jean-Pierre Michel.  - Comment savoir ? Si le Sénat n'a plus la parole, c'est que le Gouvernement la lui retire !

Nous voterons la question préalable. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest.  - Franchement, je suis surpris qu'on refuse de discuter d'un sujet pourtant fondamental : l'avenir des délinquants mineurs. Il faut proposer des mesures alternatives à l'incarcération -et nous avons beaucoup travaillé sur la question : l'enfermement est toujours un échec pour les mineurs.

Je suis stupéfait devant l'hypocrisie de certains, qui n'avaient naguère pas de mots assez durs contre l'Épide ! Si celui-ci est merveilleux et que l'encadrement militaire fonctionne, pourquoi le refuser à de nouvelles populations ?

Si nous avions été jusqu'au bout, nous aurions pu améliorer le texte de l'Assemblée nationale. C'est pour masquer votre absence de propositions que vous votez cette question préalable ! (Protestations à gauche)

M. Didier Guillaume.  - On en reparlera dans six mois !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je regrette cette posture politicienne. Le sujet méritait mieux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Mieux que la loi Ciotti, c'est sûr !

À la demande du groupe UMP, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Majorité absolue des suffrages exprimés 173
Pour l'adoption 176
Contre 168

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

M. Ronan Kerdraon.  - Ça fait du bien !