Loi de finances pour 2012 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2012, adopté par l'Assemblée nationale.

Relations avec les collectivités territoriales

M. François Marc, rapporteur spécial de la commission des finances  - Cette mission regroupe les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales ainsi que les moyens de la direction générale des collectivités locales. Elle résulte de dispositions législatives -d'où l'absence de marge de manoeuvre- et reflète les grandes orientations budgétaires décidées en première partie, dont le gel de l'enveloppe normée. En revanche, nous avons refusé l'effort supplémentaire de 200 millions pour contribuer au plan d'économie. Un effort particulier est consenti en faveur des collectivités les moins favorisées à travers la péréquation verticale -indispensable- et la péréquation horizontale.

Cette mission regroupe quatre programmes qui retracent une part modeste des concours aux communes, départements, régions et diverses dotations : 2,5 milliards sur 60,3.

Ce budget ressemble beaucoup à celui de 2011 : il applique le gel en valeur des dotations décidé dans la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014. Les dotations pour l'outre-mer, à l'exception de celle destinée à la Nouvelle-Calédonie, font exception. Seule nouveauté, une dotation de 700 millions pour la lutte contre les algues vertes.

Je termine par un point essentiel : nous manquons de simulations pour voter en connaissance de cause sur des sommes aussi importantes. Cela justifie nos amendements sur les articles rattachés.

En tant que rapporteurs spéciaux, nous avons demandé des chiffres non exhaustifs, mais significatifs des potentiels financiers de certaines collectivités représentatives. Or nous avons reçu une seule simulation samedi dernier. Ce ne sont pas les membres du Comité des finances locales (CFL) qui ont à informer le Sénat !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances.  - C'est vrai.

M. François Marc, rapporteur spécial.  - Nous appelons à la création d'un organisme d'expertise indépendant comme chez nos voisins allemands.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - Mettons fin à l'endogamie !

M. François Marc, rapporteur spécial.  - Compte tenu de ces éléments, la commission vous demande de rejeter les crédits de la mission. (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial de la commission des finances.  - Nous avons effectivement besoin de simulations fiables !

Cela dit, j'en viens au compte « Avances aux collectivités territoriales », le principal compte de concours financiers de l'État qui retrace plus de 90 millions. Celui-ci comprend deux programmes, dont le premier comporte la dette de la Nouvelle-Calédonie.

Sur ce point, nous notons une évolution positive : une mission devrait travailler à définir un échéancier de remboursement.

La péréquation, objectif constitutionnel depuis 2003, se décline en une péréquation verticale -de l'État vers les collectivités territoriales- et horizontale -entre les collectivités.

La péréquation verticale prend la forme de dotations au sein de la DGF, mais leur augmentation s'est faite au détriment des autres concours, ce qui revient à instaurer une quasi-péréquation horizontale.

Ces dotations représentent 23,26 % des concours des communes, 11,3 % de ceux des départements et 3 % de ceux des régions. Cependant, les disparités se sont accrues entre les communes et entre les départements.

J'en viens à la péréquation horizontale proprement dite. La suppression de la taxe professionnelle et la réforme des finances locales ont imposé une réforme des modes de calcul des potentiels financiers et des mécanismes de péréquation. Celle-ci résulte d'un travail de coproduction entre le Gouvernement, les commissions des finances des deux assemblées, et le CFL. Si l'essentiel fait consensus, reste des points en débat : le calendrier, la stratification, le cas des collectivités touchant la DSU ou la DSR ou encore des cas particuliers comme la présence d'une commune pauvre au sein d'une intercommunalité riche, ou l'inverse.

Il faut revoir le potentiel financier. Si l'on ne fait rien, les collectivités qui pratiquaient des taux élevés de taxe professionnelle sont pénalisées. Elles pourraient même subir une double peine : moins de dotations et plus de contributions ! D'où nos amendements car la péréquation ne vise pas à enrichir les riches et à appauvrir les pauvres. Nous espérons retenir l'attention du Gouvernement ! (Applaudissements à gauche, au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Bernard Saugey, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - L'association des acteurs locaux à l'effort de maîtrise des dépenses publiques n'est ni acceptée ni comprise par notre commission.

Les collectivités territoriales sont responsables de seulement 8 % de la dette publique. Elles sont soumises à des règles budgétaires strictes. L'idée que le gel des concours de l'État protègerait les finances locales paraît contestable.

Il faudrait aussi clarifier, pour le rendre plus lisible, l'effort global de l'État en faveur des collectivités.

Les collectivités territoriales ont été confrontées à des difficultés d'accès au crédit. De fait, aux problèmes générés par les nouvelles règles prudentielles, s'ajoute le démantèlement de Dexia : nous saluons donc la création d'un nouvel acteur bancaire auprès des collectivités territoriales ainsi que la décision de dégager une enveloppe de 3 milliards bien que ce ne soit pas une solution pérenne.

Les risques liés aux emprunts toxiques montrent l'importance de sécuriser les relations des collectivités territoriales avec les banques. Une charte de bonnes relations et la nomination d'un médiateur ne suffiront pas. Que comptez-vous faire ?

En général, il faut mieux associer les élus locaux aux décisions qui les concernent, apaiser la relation entre les collectivités territoriales et l'État. Cela suppose un travail de recensement des normes pour modifier celles qui doivent l'être : la compétence de la Commission nationale d'évaluation des normes devrait être étendue au droit existant.

À titre personnel, je voterai les crédits de la mission que la commission rejette. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs à gauche)

M. Christian Favier.  - Cette mission recouvre une infime partie des concours de l'État aux collectivités territoriales mais nous donne l'occasion de parler péréquation.

Cette année encore, le gel en valeur s'applique. En cette période de calamités naturelles, les élus locaux et leurs administrés apprécieront : le gel masque des baisses drastiques ! Ces mesures de réduction s'appliqueront sans doute également l'an prochain. Elles s'ajoutent à toutes celles décidées par le passé pour mettre un peu plus les collectivités dans la tourmente financière. Baisse des dotations, suppression de la taxe professionnelle, crise. Et je ne parle pas de la disparition des services publics, des fermetures de tribunaux, d'écoles, de casernes : une véritable saignée.

Malgré tout, les élus locaux se démènent pour répondre aux demandes de leurs mandants. Or c'est ce moment que le Gouvernement choisit pour les dénigrer. À entendre le Gouvernement, ils seraient responsables de la crise de notre économie, voire de la crise mondiale ! Mais ils sont responsables de l'action sociale et de 73 % de l'investissement public : restreindre ces concours revient à freiner la croissance !

Comme la gauche l'a montré en première partie, d'autres chemins sont possibles !

M. Jean-Paul Emorine.  - Si seulement !

M. Christian Favier.  - La commission des finances propose une solution alternative au rabot de 200 millions.

Je m'interroge sur le Fonds national de péréquation des recettes fiscales des communes et intercommunalités : comment instaurer une péréquation horizontale quand la péréquation verticale se rétrécit ? Il manque 6 milliards de compensation. Pourquoi avoir réduit la contribution des entreprises ? Il aurait fallu, au contraire, l'augmenter en taxant leurs actifs financiers à hauteur de 0,5 %, ce qui apporterait 30 milliards au fonds !

Après la réforme de la taxe professionnelle, et alors qu'une nouvelle carte intercommunale doit être adoptée -les élus n'ont reçu aucune information sur les incidences financières des découpages proposés- le nouveau fonds inquiète. Mieux vaut en repousser la création jusqu'en 2013, comme la commission des finances le propose. En attendant, nous voterons contre les crédits de la mission. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)

M. Charles Guené.  - La réforme de la péréquation est majeure ; elle vient compléter celle de la taxe professionnelle. Le Sénat ne manquera pas d'apporter sa marque et son expertise. Au reste, les rapporteurs spéciaux ont repris les conclusions de notre groupe de travail, signe de notre consensus. Mais le diable se loge dans les détails. Le dispositif initial que nous avions imaginé diffère de certains amendements de la commission...

Soyons vigilants ! D'accord avec les modifications proposées par MM. Marc et Jarlier sur le texte adopté par les députés, plutôt qu'un pourcentage de recettes, je préférerais fixer un objectif d'un milliard à terme. Un plancher de ressources à l'échéance de dix ans a été fixé, mais pas de plafond comme l'ont fait les Allemands : cela revient à créer une sorte de bouclier fiscal, qui pèsera sur les collectivités « classes moyennes » avec pour conséquence d'exonérer les communes les plus riches. C'est le vice du système, qui conduira à l'essoufflement du prélèvement. Le relèvement à 1 % du prélèvement, proposé par la commission des finances, entraînera pour sa part un pincement par le bas : nous ne nous y opposerons pas violemment parce que c'est la contrepartie du plafonnement. Autre exemple, si je ne suis pas un adepte fervent des strates, elles sont une garantie de justice. La solution de MM. Marc et Jarlier est intéressante, mais est-elle réaliste ? Nous demanderons son avis au Gouvernement.

Je proposerai également d'autres amendements afin de tenir compte des produits fiscaux plutôt que du potentiel financier. Il convient également de mettre fin à la pierre d'achoppement que représente la situation des communes pauvres au sein des intercommunalités riches : il faut introduire un seuil.

Je conclurai cette trop longue intervention en disant que le Sénat doit faire oeuvre utile en éclairant l'Assemblée nationale ! (Sourires)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - Elle en a besoin !

M. Jacques Mézard.  - Si cette mission représente une faible partie des concours de l'État aux collectivités territoriales, elle retrace des dotations importantes sur le terrain.

Les territoires continuent de souffrir de la réforme de la taxe professionnelle ; je me félicite donc que le groupe de travail du Sénat soit à l'oeuvre.

La péréquation est devenue terriblement complexe. Ce sera un vrai bonheur d'expliquer en conseil municipal le nouveau mode de calcul du potentiel fiscal !

M. Roger Karoutchi.  - C'est sûr !

M. Jacques Mézard.  - C'est mauvais pour la démocratie d'autant que les usines à gaz laissent échapper de moins en moins de gaz...

Enfin, tout le monde est d'accord sur la péréquation à condition de ne pas y contribuer...

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales.  - Exact ! C'est le coeur du problème...

M. Jacques Mézard.  - La résistance des territoires riches pose problème. D'autant que la révision des modes de calcul bouleverse le classement des départements : la Creuse passe du 96rang au 43e, le Cantal du 86 au 52e !

Notre commission a donc bien fait de renforcer les garanties.

Nous ne voterons pas les crédits de la mission ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et à gauche ; on regrette la conclusion à droite)

M. Vincent Delahaye.  - Je tenterai de faire aussi bien que Mme Gourault, empêchée. Trois quarts de l'investissement public, 8 % de la dette publique, application de la règle d'or, nos collectivités sont, dans l'ensemble, bien gérées. N'en déplaise à certains, elles ne sont pas en déficit.

L'effort financier de l'État représente 51 milliards mais quid de la TVA qu'il récupère sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ? Elle s'établit, d'après mes calculs, à un montant compris entre 10 et 20 milliards ; elle diminue d'autant les concours de l'État.

La réforme de la péréquation intervient après la réforme des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, quel est le bilan de la réforme de l'intercommunalité ? Nous attendions l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi de MM. Sueur et Pélissard.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous l'attendons tous les jours !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - Et toutes les nuits !

M. Vincent Delahaye.  - Car plus on crée de niveaux, plus on dépense.

Ne tuons pas dans l'oeuf la péréquation horizontale ; elle est nécessaire et il est sage de reporter d'un an sa mise en place comme le propose la commission des finances, pour parfaire le mécanisme.

Autre point, la péréquation propre à la région Île-de-France est à prendre en compte dans la péréquation nationale.

M. Philippe Richert, ministre.  - Tout à fait !

M. Vincent Delahaye.  - Nous ne sommes pas opposés à un coup de rabot de 200 millions sur 1 milliard : cet effort nous paraît soutenable. Quant à la révision générale des politiques locales, que demande Mme Pécresse, pourquoi pas ? Mais en prenant le temps d'y réfléchir.

M. Gérard Collomb.  - Les inégalités de richesse entre les communes sont un problème réel. Nous partageons tous l'objectif de les corriger ; c'est l'essence de l'État que d'y veiller. D'où, depuis plusieurs années, les péréquations verticales. Les temps étant difficiles, l'État nous demande d'ajouter -voire d'y substituer- la péréquation horizontale.

Sur le principe, nous ne sommes pas opposés à cette nouvelle solidarité. Pour autant, vous ratez votre cible... Monsieur le ministre, nous avons eu l'occasion de vous le dire publiquement lors de l'Assemblée des communautés urbaines. Ce sont surtout les villes moyennes et les villes plus riches qui seront mises à contribution.

M. Francis Delattre.  - Les villes moyennes surtout !

M. Gérard Collomb.  - Or c'est dans ces villes que se construit la croissance, c'est dans ces villes que l'on investit ! (M. Francis Delattre approuve)

Couper les vivres aux collectivités territoriales est une erreur du point du vue économique, mais aussi de la justice sociale. Dunkerque est l'une des agglomérations les plus touchées par la réforme de la taxe professionnelle, à Grenoble, il existe des quartiers bien peu privilégiés... Que dire du Mirail à Toulouse ? On en demande beaucoup à des villes qui doivent déjà faire face à d'importantes dépenses.

M. Francis Delattre.  - Il a raison !

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Ces villes sont toujours plus riches que les communes rurales !

M. Gérard Collomb.  - Lyon paierait 5,5 millions dès la première année, 22 millions quelques années plus tard !

Les habitants de Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Saint-Fons paieraient aussi ! Soit deux fois : une fois au titre de la ville et une fois au titre de l'intercommunalité.

M. Philippe Richert, ministre.  - C'est un calcul global !

M. Gérard Collomb.  - Ces communes, pourtant, s'appauvrissent et se ghettoïsent ! La solidarité horizontale existe déjà dans les intercommunalités.

M. Philippe Richert, ministre.  - Encore heureux !

M. Gérard Collomb.  - À Lyon nous mettons 80 millions dans le logement social, 200 millions pour la rénovation urbaine, 100 millions pour que les transports en commun arrivent dans les quartiers défavorisés. Oui à la péréquation, mais au bon niveau. L'intercommunalité lyonnaise comporte des communes riches et pauvres, et peut mener des politiques péréquatrices ; ce n'est pas le cas en Île-de-France !

M. Philippe Dallier.  - Bravo ! Et vive le Grand Paris !

M. Gérard Collomb.  - Si nous continuons dans cette voie, jamais nous ne résoudrons rien ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Laissons-faire les élus ! Inutile de légiférer !

M. Philippe Dallier.  - J'ai entendu parler du Grand Paris, me voilà ! (Sourires à droite)

J'espérais enfin une réforme de la péréquation. Il est vrai que réformer est plus difficile lorsqu'il n'y a plus de grain à moudre. Si la conjoncture se retourne, certaines collectivités territoriales en pâtiront car leurs ressources sont fondées sur la valeur ajoutée, mais celles qui sont tirées du FNGIR sont garanties !

Oui, il y a des collectivités territoriales bien gérées, et d'autres non. Oui, il y a des collectivités territoriales riches et pauvres. L'an dernier, nous avons, à ma demande, majoré le Fonds de solidarité d'Île-de France de 50 % et accepté le principe d'un fonds de péréquation national auquel toutes les collectivités contribueraient, y compris les franciliennes, parce que toutes pourraient en bénéficier.

Pour réformer la péréquation, on pouvait commencer par le haut, en réformant la DGF. On est parti du bas en décidant, à l'image du FSRIF, de créer un Fpic. Pourquoi pas mais on voyait bien le risque : comment, en soumettant toutes les communes, de la plus petite à la plus grande, construire un mécanisme qui soit juste et efficace ? Si la réponse était simple, on n'aurait pas créé à la fois la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ! Si le FSRIF existe, c'est bien parce que l'Île-de-France est un cas particulier. Alors vouloir inventer un nouveau fond national de péréquation qui serait la voiture-balai de tous les autres dispositifs et qui toiserait de la même manière Paris et la plus petite de nos communes, est-ce là une bonne idée ?

La simulation montre que ce que propose le Gouvernement est inacceptable : on ne peut demander à des communes bénéficiaires de la DSU de contribuer. Ce serait le cas de la quasi-totalité de la Seine-Saint-Denis !

Dans le délai imparti, sans simulation, il est impossible de travailler correctement. Donnons-nous un an de plus. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Richard.  - L'exercice est difficile. Les ressources à répartir n'augmentent plus : il n'y a plus de grain à moudre. Hélas, cela durera, car en dix ans la compétitivité et le potentiel de croissance de la France ont baissé.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - Triste bilan !

M. Alain Richard.  - Si nous ne surmontons pas cela, les exercices de péréquation seront toujours plus conflictuels ! La réforme de la taxe professionnelle a encore compliqué les choses. (On renchérit sur les bancs socialistes)

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Elle était indispensable !

M. Alain Richard.  - Cela dit, personne ne recréera cette taxe... La DGF est en baisse durable. Heureusement, la commission des finances a voulu apporter quelques ressources supplémentaires pour faciliter la péréquation...

Le principe d'une péréquation horizontale -qui n'a rien d'euphorisant- a été adopté. Les collectivités devront donc se répartir des ressources fixes. Selon la formule célèbre, il faut prendre l'argent où il est.

On s'approche d'un mode de calcul équitable. Une partie des dotations doit être prise en compte dans le potentiel financier, dont les droits de mutation.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - C'est le cas !

M. Alain Richard.  - Je mets en garde contre les avis sectoriels. Pour une comparaison loyale, il faut tenir compte de toutes les ressources, y compris des anciennes compensations, ainsi que des dépenses sociales. La DSU, dont les conditions d'éligibilité seront plus strictes, présente au moins un avantage, celui de reposer sur des coefficients, ce qui évite des ruptures de continuité.

L'effort fiscal doit être pris en compte au stade de la répartition (M. Philippe Richert, ministre, approuve) Il faudra ouvrir l'éventail et éviter de faire bénéficier de la péréquation des collectivités qui ne sont qu'à la moitié de l'effort fiscal. (M. Jean-Pierre Sueur approuve)

La commission propose un report d'un an, que regretteront les collectivités territoriales qui attendaient la péréquation. Qu'au moins le Gouvernement en profite pour nous communiquer les informations nécessaires. Et nous-mêmes, travaillons en amont ! (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Voilà un beau discours rocardien ! (Rires sur certains bancs UMP)

M. Benoît Huré.  - Les voies du Seigneur sont impénétrables !

M. Jean-Pierre Sueur.  - De vieilles différences à l'intérieur du parti socialiste reparaissent...

M. Jean-Michel Baylet.  - Deux mois après le renouvellement historique du Sénat, j'eusse espéré que le Gouvernement entendrait enfin les élus, dont le rôle est primordial. Il n'a cessé de porter des coups de butoir aux principes de libre administration des collectivités territoriales et d'autonomie financière. La réforme de la taxe professionnelle n'a même pas satisfait les entrepreneurs... Nous voulons rendre aux collectivités territoriales les moyens dont elles ont besoin. Face au rétrécissement du crédit, elles ne pourront plus investir. L'aide de la Caisse des dépôts et consignations ne suffira pas pour passer de 3 à 5 milliards. Il faut enfin créer une agence de financement des investissements locaux.

Le Gouvernement fait le choix calamiteux de poursuivre le gel des dotations de l'État - qui, avec l'inflation, équivaut à un recul. Heureusement, la commission des finances a mis le holà. Le Gouvernement se fourvoie quand il justifie ce gel par la volonté d'associer les collectivités territoriales à la maîtrise des dépenses. Elles ne sont responsables que de 8 % de la dette ! Et c'est le responsable des principaux déficits publics qui se pose en parangon de vertu, tandis que continuent les transferts de compétences sans compensation.

Les radicaux de gauche ne voteront pas les crédits. (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

M. Dominique de Legge.  - La réforme de la taxe professionnelle a chamboulé la fiscalité locale. Mais la taxe professionnelle, qui frappait davantage l'industrie que les services, handicapait les industriels et fragilisait à terme les ressources des collectivités territoriales.

La péréquation pose le problème du calcul de la richesse. On a toujours tendance à se comparer aux plus riches pour réclamer davantage... Le texte adopté à l'Assemblée nationale n'est pas cohérent avec les objectifs : des territoires défavorisés donneraient à d'autres qui ne connaissent aucun problème. La commission des finances a abandonné le principe de la stratification. Sans étude d'impact, il est difficile de légiférer ; le report de la mise en place du fonds est donc sage, mais n'oublions pas que nous sommes attendus ! Les contributeurs ne seront jamais contents. (M. Philippe Richert, ministre, renchérit)

Donnons enfin un contenu à la solidarité. Nous qui somme si prompts à imposer la péréquation aux citoyens, pourquoi faisons-nous preuve de tant de frilosité dès qu'il s'agit des collectivités territoriales ?

Les charges doivent être prises en compte, mais certaines dépenses ne sont pas incontournables. Je m'étonne toujours que l'on demande à la fois une augmentation des dotations d'État et l'autonomie fiscale, qui va à l'encontre de toute solidarité ! (On le conteste à gauche ; applaudissements sur les bancs UMP)

M. Claude Dilain.  - La péréquation est l'occasion d'un conflit d'intérêts légitimes.

M. Philippe Richert, ministre.  - Merci de le dire.

M. Claude Dilain. Ne nous éloignons pas des fondamentaux. La France a, au moins, un titre : celui d'être le champion des inégalités territoriales en Europe.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.  - Bien sûr !

M. Philippe Richert, ministre - Tout à fait ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

M. Claude Dilain.  - En Île-de-France, les inégalités structurelles sont de 1 à 10. Comment mener les mêmes politiques ? Le maire de Clichy-sous-Bois doit mettre dix fois plus de moyens pour aboutir au même résultat. La compétition entre territoires suppose qu'ils soient tous sur la même ligne de départ. La France part en morceaux ; la désagrégation du tissu social est préoccupante : je vous renvoie aux études d'Éric Maurin, Didier Lapeyronnie, Jean-Luc Brenner, Gilles Kepel, ou encore au texte Le ghetto de la nation.

Il appartient à l'État de donner plus à ceux qui ont moins. Mais la péréquation verticale ne suffit pas. La péréquation horizontale existe déjà en Île-de-France, avec le FSRIF, récemment augmenté par Paris Métropole. Le Fonds national de péréquation doit encore être amélioré au plan du potentiel fiscal : les communes bénéficiaires de la DSR ne doivent pas être contributrices.

L'absence de simulation ne doit pas être prétexte à renvoyer cette réforme aux calendes grecques !

L'honneur du Sénat serait de ne laisser aucune collectivité au bord de la route. Ce serait aussi l'honneur de la gauche. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Richert, ministre.  - J'applaudirais si je le pouvais !

M. Benoît Huré.  - Malgré la crise, l'État continue à soutenir les collectivités territoriales : 1 milliard de plus que l'année dernière. L'effort de 200 millions demandé doit être comparé aux 200 milliards de budget cumulé des collectivités. D'autant que l'État y contribue à hauteur de 100 millions. La péréquation ne peut plus attendre. Je le dis à mes collègues de droite comme de gauche !

M. Philippe Richert, ministre.  - Merci !

M. Benoît Huré.  - La péréquation horizontale est aussi nécessaire que la verticale. Les écarts de richesse sont devenus inacceptables. Il faut toiletter les dotations qui se sont accumulées ; les écarts de DGF entre villes et campagnes sont inadmissibles.

Les critères classiques -endettement, potentiel fiscal, effort fiscal, potentiel financier- doivent être complétés par le revenu par habitant, indice de la capacité contributive. Il faut aussi prendre en compte la proportion de personnes âgées ou handicapées, car plus elles sont nombreuses, plus les dépenses liées à l'APA et à la PCH sont importantes. Idem pour le taux de chômage, le nombre d'habitants par mètre carré, la longueur de voirie par habitant. Je vous fais confiance, monsieur le ministre, vous un ancien sénateur et un président de conseil régional, pour mettre fin à la fracture territoriale. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est avec une certaine amertume que je m'adresse à vous. Je comprends pourquoi la commission des finances veut reporter la mise en place du fonds de péréquation, mais cela revient à reporter d'un an la nécessaire solidarité entre collectivités territoriales.

La péréquation horizontale est nécessaire, car les ressources s'amenuisent. Il y a beaucoup d'impasses sur la voie de la péréquation. La première tient à la complexité des critères.

À l'origine, la DGF était calculée d'après des critères simples ; puis on a pris en compte le nombre d'élèves, la longueur des routes, la dotation touristique... (M. Philippe Richert, ministre, approuve) La dotation forfaitaire ne fait que coaguler ces changements successifs, en prenant en compte 70 critères -que l'on ne parvient à comprendre clairement qu'à Bercy. M. Hoeffel a proposé de cristalliser cela dans une dotation forfaitaire -qui coagule ainsi un grand nombre d'inégalités. La complexité, toujours croissante, est ennemie de la péréquation. Il faut peu de critères.

M. Roger Karoutchi.  - Lesquels ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - La taille de la commune, l'effort fiscal, le potentiel fiscal, les charges.

Le deuxième ennemi de la péréquation, c'est l'empilement. On a pris un reste de DCTP et de FNCTP pour créer la DNP. (Sourires) La partie de la DSR qui est versée à 32 000 communes n'avait rien de péréquateur ; on a donc créé une autre partie.

Troisième obstacle : l'amour du statu quo. Les petites communes se défendent. Les grandes parlent de charges de centralité. Les moyennes, les intercommunalités, les départements, ne sont pas en reste. L'État républicain doit avoir le courage de dire qu'il faut aider les moins favorisés. À l'origine, la dotation d'intercommunalité était destinée à inciter à la création d'EPCI. On n'en est plus là et il y a des intercommunalités riches et pauvres.

Nous nous accordons un délai d'un an ; ce ne doit pas être une manoeuvre dilatoire. Il faudra faire preuve de courage politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roger Karoutchi.  - D'abord, merci monsieur le ministre car, dans un cadre très contraint, 200 millions par rapport aux 200 milliards apportés par l'État aux collectivités territoriales ne devraient même pas faire débat. Ensuite, merci parce que j'approuve les propos de beaucoup d'élus de gauche...

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Cela s'appelle l'osmose !

M. Roger Karoutchi.  - ...et de droite. Ceux qui sont aisés acceptent mal de contribuer tandis que les bénéficiaires voudraient toujours plus. Moi, président de la commission des finances des Hauts-de-Seine qui n'est pas si riche que ça, je suis prêt à un effort supplémentaire (marques d'intérêt à gauche) à condition que les critères soient transparents et que les charges soient prises en compte. Selon les critères, la région Île-de-France est tantôt au dernier rang, tantôt au huitième, tantôt au premier ! Oui à la péréquation, pourvu que l'on définisse des critères durables et acceptés par tous. Le système est devenu si complexe que même les experts n'y comprennent rien. Nous avons pourtant besoin de savoir quel sera notre budget.

Hier, M. Fortassin en commission rappelait les termes du débat entre péréquation et autonomie fiscale. La première est nécessaire si nous ne voulons pas créer une autonomie fiscale privilégiée réservée à certains.

La péréquation verticale relève de l'État, pour plus de justice entre les territoires de notre cher pays. En tout cas, nous, nous sommes prêts à payer ! (Applaudissements à droite)

M. Didier Guillaume.  - Alors que les collectivités territoriales élaborent leur budget, vous les mettez au pain sec et à l'eau.

M. Philippe Dallier.  - Quel sens de la mesure !

M. Rémy Pointereau.  - Ce qui est excessif est insignifiant.

M. Didier Guillaume.  - Connaissez-vous un seul élu qui prenne plaisir à augmenter les impôts et à dépenser ?

M. Philippe Dallier.  - Il y en a, des deux côtés.

M. Didier Guillaume.  - La bonne gestion n'est ni de droite ni de gauche. Si l'État payait ses dettes, on ne parlerait même pas du coup de rabot de 200 millions. La réforme de la taxe professionnelle, conduite avec trop de précipitation, ne donne pas de bons résultats : les chefs d'entreprises s'en plaignent. Et que dire de l'autonomie fiscale ? Dans les départements, elle était de 50 %, elle est maintenant de 20 %. Nous voulons, nous, des ressources pérennes.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Et dynamiques !

M. Jean-Michel Baylet.  - Et un contrat avec les citoyens !

M. Didier Guillaume.  - Notre responsabilité d'élus est de nous battre contre la fatalité. Les budgets locaux ne doivent pas être une variable d'ajustement des finances publiques. (Applaudissements à gauche)

À la différence de Robin des Bois (sourires), ce Gouvernement ne prend pas aux riches pour donner aux pauvres, il prend aux moins pauvres pour donner aux plus pauvres. La péréquation horizontale doit être jumelée à la péréquation verticale ; c'est le prix de la justice sociale. Donc, mieux vaut reporter la réforme d'un an. Nous pourrons entre autres tenir compte des charges.

Nos communes doivent se prendre en main, M. Collomb l'a bien dit. Il faut construire des intercommunalités dans lesquelles les communes se retrouvent. On ne fait pas un riche en additionnant des pauvres. Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour la France ; elles sont une chance.

Si l'on donnait à Clichy-sous-Bois et aux communes de Lozère les moyens d'investir, elles le feraient et attireraient des PME créatrices d'emploi. Des investissements non pour flatter les maires mais pour assurer la présence des services publics. Ce n'est pas en détricotant le système fil par fil que nous avancerons ; il faut une grande réforme fiscale dans une France qui est une et indivisible mais dont les territoires sont divers ! (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Fournier.  - La péréquation est un sujet ô combien épineux en ces temps difficiles. La crise nous oblige à un effort collectif de maîtrise des dépenses publiques pour respecter les critères de Maastricht. La contribution de 200 millions demandée aux collectivités territoriales est modeste. Pourtant, la majorité du Sénat veut la supprimer. Que chacun prenne ses responsabilités. Conscient que les collectivités territoriales représentent les trois quarts de l'investissement public, le Gouvernement avait trouvé une solution raisonnable : le gel en valeur des dotations et une augmentation des dotations de péréquation.

Je salue l'intervention du Premier ministre, le 22 novembre, lors du Congrès des maires : il a annoncé que l'enveloppe de 3 milliards jusqu'au 31 mars 2012 pourrait être portée à 5. Enfin, la création de l'Agence de financement, voulue par les élus, fera l'objet d'un rapport avant février. Le Premier ministre a dit qu'il n'y était pas opposé.

Alors que la France traverse une crise sans précédent, l'appui de l'État aux collectivités territoriales est plus que satisfaisant. Je voterai donc les crédits de la mission. (Applaudissements à droite)

M. Michel Doublet.  - Notre objectif commun est de remettre les finances publiques sur la voie de l'équilibre et du désendettement. Les collectivités territoriales doivent en prendre leur part : d'où le gel triennal des concours financiers de l'État. En contrepartie, le Gouvernement s'est engagé à augmenter les dotations de péréquation et à lisser les effets de la réforme des finances locales.

Les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel. L'excès de normes ne doit pas obérer leurs capacités ; j'espère donc que la proposition de loi de M. Doligé sera bientôt examinée. Le gel en valeur des dotations amoindrira leurs capacités d'investissement. Je prends acte que l'enveloppe de 3 milliards est portée à 5.

La relative stabilité de ce budget, en ces temps difficiles, est à saluer. Gageons que nous pourrons bientôt donner des signes encourageants aux élus ! Je voterai les crédits de la mission. (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 13 heures.

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présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

La séance reprend à 15 heures.