11 novembre (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Discussion générale

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.  - J'ai l'honneur de vous présenter ce texte, annoncé par le président de la République le 11 novembre dernier, à l'Arc de triomphe. Ce jour-là, il rendait hommage à l'ensemble des morts pour la France, tout en commémorant la fin de la Grande guerre, et s'engageait à pérenniser cette approche nouvelle. Engagement en passe d'être tenu, à la satisfaction des associations, des familles et des militaires.

Affaire de dignité pour notre société, le devoir de mémoire ne saurait tenir à des clivages partisans. L'examen à l'Assemblée nationale fut exemplaire, comme dans vos commissions.

Notre devoir de citoyens républicains nous impose le devoir de mémoire qui sera désormais centré sur le 11 novembre, jour de l'armistice en 1918 et de la victoire de la paix, et consacré à tous les morts pour la France. Après la disparition du dernier poilu, et à l'approche du centenaire de la Grande guerre, qui doit être un grand moment d'unité nationale, il fallait une approche renouvelée.

Les nouvelles générations du feu, qui ont tout autant mérité de la Nation, ont été engagées sur de multiples théâtres d'opérations : 600 militaires français sont morts pour la France depuis la fin de la guerre d'Algérie. À leur souvenir, doivent être associés respect et reconnaissance. Or le calendrier républicain ne permettait pas de leur rendre hommage. Il ne s'agissait cependant pas, conformément aux préconisations de la commission Kaspi, de retenir un jour spécifique, au risque de fragmenter notre mémoire et de susciter la division et l'oubli.

Le combat pour la France, pour la liberté et la démocratie traverse notre histoire. On l'a récemment vu en Côte d'Ivoire et en Libye. En Afghanistan, nos soldats luttent contre l'obscurantisme et pour la paix. Les succès et les progrès constatés, nous les devons à l'engagement d'hommes et de femmes dignes de leurs aînés. Ils seront honorés le 11 novembre. Plus un mort pour la France ne sera ainsi oublié.

Cette date ne remet nullement en cause les autres dates commémoratives, les autres conflits. Les autres dates marquantes, appel du 18 juin par exemple, continueront d'être célébrées. De même que le 11 novembre reste la date de commémoration de l'armistice de 1918.

Ce texte renforce le caractère fédérateur du 11 novembre, comme l'avait souligné la commission Kaspi. La Grande guerre représente un moment d'unité nationale, dans l'horreur, mais aussi dans la victoire. Elle est symbole de l'unité de la Nation, qui doit prévaloir. Elle se prête à une symbolique renforcée, incite à méditer le sens de notre histoire nationale.

À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a soutenu l'amendement visant à rendre obligatoire sur les monuments l'inscription « mort pour la France ».

Le Gouvernement soutiendra la construction d'un monument dédié aux soldats morts en opérations extérieures, en collaboration avec la Ville de Paris.

« C'est l'honneur d'un grand peuple de respecter ses soldats et d'honorer ceux qui sont morts pour la défendre » disait le président de la République. La France se doit d'être exemplaire dans la reconnaissance : chacun doit sa dignité, sa liberté à ceux qui sont morts sous le drapeau. Avec ce projet de loi nous ne pourrons jamais l'oublier. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - L'objectif de ce texte est de rassembler dans un même hommage tous les morts pour la France, quelle que soit la localisation du conflit ou la génération du feu concernée. Ceux de la Grande guerre, de la Seconde Guerre mondiale, ceux de l'Indochine ou de l'Algérie et aussi, les morts anciens, ceux de Valmy, ceux qui sont oubliés dans les pages des livres d'histoire, mais aussi ceux qui sont tombés dans les Opex. Tous les soldats morts pour la France ont voulu servir la République et ses valeurs. Il ne s'agit pas d'honorer les guerres mais les morts. Il s'agit d'instituer non une commémoration unique, mais une commémoration commune, le président de la République l'a rappelé. Assurance renouvelée à plusieurs reprises, par vous-même, monsieur le ministre, car certaines associations craignaient l'institution d'un Memorial Day à l'anglo-saxonne.

Outre la perpétuation du souvenir de ceux qui ont perdu leur vie, la spécificité de chaque conflit sera préservée. Ce sera l'occasion de faire oeuvre pédagogique au profit des jeunes générations.

Notre commission, après un dialogue serein, a voulu formaliser cet engagement en adoptant un amendement précisant que cet hommage ne se substituait pas aux autres commémorations.

La date du 11 novembre est la plus emblématique, celle d'une guerre meurtrière, qui donna l'occasion d'instituer la mention « mort pour la France » commémoration aussi de l'unité nationale dans l'Union sacrée. Elle n'a jamais été contestée, englobe la mémoire d'autres événements, comme le sursaut patriotique des étudiants manifestant à l'Arc de triomphe le 11 novembre 1940, et qui fut considéré comme un des premiers actes de résistance. Elle a servi à honorer nos soldats engagés dans d'autres conflits, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire et en Libye.

Quand l'armée rend hommage à la République le 14 juillet, la Nation rend hommage le 11 novembre à ses enfants morts pour la défense de son territoire et de ses valeurs. L'Assemblée nationale a complété le texte en rendant obligatoire l'inscription de la mention « mort pour la France » sur les monuments aux morts. La France honorera ainsi la mémoire de tous les soldats, y compris ceux morts en Opex.

Je souhaite une adoption aussi large que possible de ce texte, marque de notre reconnaissance. Nos concitoyens attendent l'unité du Parlement autour des valeurs de la République, par la reconnaissance du sacrifice de leurs enfants.

Ancien combattant d'Algérie, je vous demande de vous associer à cette démarche qui honore le Sénat. (Applaudissements à droite)

Mme Michelle Demessine.  - La mort de quatre de nos soldats en Afghanistan donne une signification particulière à ce texte : un soldat français envoyé par le gouvernement de la République meurt toujours pour la France. Ces hommes, lâchement abattus alors qu'ils étaient venus porter des valeurs universelles, méritent notre hommage.

Mais méfions-nous des bons sentiments avancés en période électorale. Certes, il importe d'éviter que la commémoration du 11 novembre ne s'effrite, avec le temps. Alors que le centenaire de 1914 est proche, pourquoi cette précipitation ? Voilà qui sent l'électoralisme. (Protestations à droite) Le Gouvernement ne semble pas souhaiter un vrai débat, avec l'ensemble de la société, sur le devoir de mémoire, qui concerne bien des périodes douloureuses, aux causes et aux significations bien différentes. Je viens d'une région jalonnée de cimetières militaires, et puis en parler.

Relier par le souvenir toutes les générations du feu, oui, mais est-ce à la hauteur des valeurs à célébrer ?

On a dit ce que l'Assemblée nationale a ajouté à ce texte. Mais les problèmes demeurent. Le diable est dans les détails. Ne risque-t-on pas d'accréditer l'idée que n'importent guère les raisons pour lesquelles les militaires ont perdu la vie ?

La Première Guerre mondiale est inédite, par l'ampleur du conflit, parce qu'elle a redessiné la carte de l'Europe, parce qu'elle a fait 10 millions de morts en Europe, dont 1,4 million de jeunes Français. À confondre les mémoires, on risque de tout fondre dans une même condamnation abstraite, qui empêche de réfléchir aux causes, dans une vision aseptisée de l'Histoire.

Mort pour la France : je ne remets nullement en cause cette mention. Mais les conflits ne sont pas tous de même nature : le corps expéditionnaire en Indochine, le bataillon français en Corée, les guerres de la décolonisation portaient-elles les mêmes valeurs que d'autres conflits ? N'endormons pas la vigilance des jeunes générations.

Parce que ce texte nous semble plein d'arrière-pensées, nous ne le voterons pas.

M. Robert Tropeano.  - Le 11 novembre 1920, la République française a rendu son premier hommage, au pied de l'Arc de triomphe, aux morts de la Grande guerre. Cette date tient une place particulière dans le coeur de nos concitoyens.

Le dernier poilu nous a récemment quittés, ce qui rend encore plus indispensable d'entretenir la flamme du souvenir. Il faut rappeler l'engagement de tant de soldats dans un conflit d'une ampleur inédite. Misères, privations : l'évocation de tant de souffrances évoque aussi l'unité nationale.

C'est pourquoi on peut comprendre le choix de cette date, qui ne doit pas pour autant occulter les autres, je pense notamment à la guerre d'Algérie, qui mériterait un hommage particulier en cette année de commémoration des accords d'Évian.

Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que cette date ne se substituait pas aux autres commémorations, ce que craignaient certaines associations. C'est pourquoi mon groupe apportera son soutien à ce texte.

La multiplication des commémorations porte aussi un risque de fragmentation de la mémoire collective. Commémorer un même jour, tous les morts pour la France, associera les oubliés, les morts dans les opérations extérieures, dont le drame récent en Afghanistan nous rappelle les dangers encourus par des jeunes gens prêts à faire don de leur vie pour un idéal de paix et pour les valeurs de la République.

Vecteur essentiel d'unité nationale, le rassemblement autour d'une journée partagée est un hommage à tous ceux qui ont versé leur sang sur l'autel de la liberté, pour défendre les valeurs de la République. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Leila Aïchi.  - « Jamais je n'avais pensé que de telles atrocités étaient possibles » : tels sont les mots d'un tirailleur sénégalais engagé dans la boucherie de la Première Guerre mondiale. « Plus jamais ça ! » fut le mot d'ordre après le 11 novembre 1918. C'est notre devoir de répondre à cet ardent souhait et de perpétuer le message pacifiste de l'armistice. Pour ranimer ce souvenir, le Gouvernement a voulu faire du 11 novembre une date commune, qui permettra de rendre hommage, aussi, à tous ceux qui ont perdu leur vie en Opex. Notre groupe votera ce texte.

Quelques réserves cependant : le caractère électoraliste de ce projet de loi n'échappe à personne. Le Gouvernement veut capter les voix des militaires et des anciens combattants. Sa précipitation pénalise toute la Nation. Seul un long débat aurait apporté réponse apaisée à cette délicate question.

Je m'interroge aussi, sur la date du 11 novembre,...

M. Ronan Kerdraon.  - Très bien !

Mme Leila Aïchi.  - ...qui est aussi celle de la défaite de l'Allemagne, rendue humiliante par le traité de Versailles. Est-elle la mieux appropriée ? Pourquoi pas le 8 mai, fin des régimes nazi et fasciste ; ou le 9 mai, signe de reconstruction d'une Europe nouvelle.

Enfin, qui commémore quoi ? Les nombreuses victimes civiles de la Grande guerre n'ont pas de monument. Faut-il réaffirmer, comme vous le faites, le caractère militaire de la commémoration ? N'eût-il pas été bon de repenser le sens que nous donnons au mot héros ?

N'est-il pas temps de rendre grâce aux militants de la paix, de célébrer la mémoire de Jean Jaurès, dont l'assassin a été acquitté au nom de l'Union sacrée ? L'histoire a donné raison à Jean Jaurès. Après lui, hommage doit être rendu à tous ceux qui font la guerre à la guerre ; aux militants des droits de l'homme et aux travailleurs humanitaires. J'espère que le vent du changement animera, dans quatre mois, un débat digne du sujet. (Protestations à droite ; applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne.  - Quatre de nos soldats sont morts vendredi en Afghanistan : les guerres changent, mais exigent toujours le même prix du sang. Pas une famille en France qui ne porte en elle la trace de la Grande guerre. Lazare Ponticelli, qui nous a quittés en 2008 à l'âge de 110 ans, en est le symbole. Sa mort, cependant, ne nous a pas laissés sans testament. Il s'est élevé, sa vie durant, contre l'oubli de tous ceux qui se sont engagés, des tranchées de la Grande guerre à la cuvette de Diên Biên Phu. Il est de notre responsabilité de nous acquitter de notre dette à leur égard.

Ce texte est le fruit d'un long processus de maturation. Il ne repose que formellement sur une évolution du droit, qui n'instaure pas la mémoire, mais aide à rassembler la Nation dans un même hommage. La mission Kaspi a dénoncé l'inflation commémorative, qui en fait perdre le sens aux plus jeunes. Il faut ranimer la flamme : tel était le sens de ma proposition de loi déposée en novembre dernier.

Bien sûr, il faut aussi que les enseignants et les médias relaient l'événement, comme nous, élus, devons le faire.

Au-delà du travail législatif, nous devons tous oeuvrer ensemble pour bâtir une commémoration plus solennelle et plus compréhensible pour les jeunes générations.

Ce projet de loi perdrait de son sens s'il ne recueillait pas le consensus. Merci aux rapporteurs des deux assemblées pour leur esprit de concorde.

L'UCR votera ce projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Néri.  - J'ai une pensée pour les quatre soldats français tués en Afghanistan : quand un soldat français meurt, toute la Nation est touchée !

Le devoir de mémoire engendre des débats difficiles, alors qu'il doit nous rassembler dans le souvenir de ceux qui ont sacrifié leur jeunesse et parfois leur vie pour répondre à l'appel de la République. La loi d'octobre 1922 appelait à commémorer la victoire et la paix ; une autre conception de l'Histoire nous permet aujourd'hui d'élargir la commémoration.

Ce projet de loi tend à faire du 11 novembre une journée de commémoration de tous les morts pour la France. Nous n'avons aucune opposition de principe, mais craignons que l'urgence...

M. Ronan Kerdraon.  - La précipitation !

M. Alain Néri.  - ... ne soit la marque de quelques arrière-pensées...

M. Jean-Claude Peyronnet.  - C'est bien possible...

M. Alain Néri.  - Certains ont dénoncé l'excès de commémorations. La commission Kaspi n'a pas conclu à la nécessité d'un Memorial Day à la française. Au demeurant, les États-Unis ont aussi un Veterans'Day... La même commission privilégiait trois dates, le 14 juillet, le 8 mai et le 11 novembre.

Réduire toutes les commémorations en un jour unique aurait été inacceptable, car chaque conflit a ses spécificités. On ne saurait banaliser, diluer la mémoire. Occasion de leçons d'instruction civique et de confortement de la cohésion nationale, ces commémorations ont leur place à l'école, mais aussi dans les familles : chacun peut prendre un enfant par la main et le conduire devant le monument aux morts.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Alain Néri.  - Il s'agirait de préparer le centenaire de 1914-1918... Convenez, monsieur le ministre, que nous avions un peu de temps devant nous pour conduire une réflexion approfondie sur le nouvel élan à donner au devoir de mémoire.

Le dernier poilu français a disparu en 2008 ; le dernier poilu australien en 2011. En 1914, nul ne pouvait envisager une telle horreur -il est vrai que celle de 1939-1945 n'a rien à lui envier. Dans certains villages, il n'y a plus d'anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. C'est un président de la République de ma région, M. Giscard d'Estaing, qui a supprimé la commémoration du 8 mai ; il fallut qu'un autre président, François Mitterrand, la rétablisse, afin que la Nation rende à nouveau un juste hommage à tous ceux qui ont combattu contre la barbarie nazie. (Applaudissements à gauche)

Nous hésitions à voter ce projet de loi. Je remercie le rapporteur et le ministre d'avoir souscrit à l'amendement que nous avions déposé, non pour faire un procès d'intention au Gouvernement, mais pour éviter d'aboutir à une commémoration unique. C'est un amendement de garantie, que la commission des affaires étrangères a adopté à l'unanimité. Nous estimons avoir ainsi reçu les garanties souhaitées.

Par souci d'unité nationale, nous voterons ce texte ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. Pierre Charon.  - La semaine dernière, la France a perdu quatre soldats. Chaque mot de la dépêche m'a empli de consternation. Ces soldats ont été lâchement assassinés. Je veux témoigner à leurs familles et à leurs compagnons d'armes mon affliction et mon profond respect. Nous connaissons tous le professionnalisme et le courage des militaires en Opex. Ils sont la fierté de notre pays.

Je souhaite une mémoire vivante et quotidienne. Depuis 2007, les rendez-vous avec notre Histoire ont été revivifiés. Merci, monsieur Cléach, pour avoir créé les conditions permettant de rendre hommage à ceux qui ont servi la République. Les morts pour la France ne sont ni de gauche, ni de droite...

Donner la vie pour sa patrie, c'est la rencontre de l'humilité et de la gloire. Notre pays, qui a la chance de vivre en paix, a réappris ces dernières années la spécificité de l'engagement militaire. Elle a besoin de se retrouver avec elle-même, plus que jamais de toucher ce lien sacré qui dans l'Histoire, a enfanté des miracles de dévouement et d'héroïsme. Honneur à vous, morts de Verdun et de la Kapisa, qui reposez dans la mémoire des siècles et avez mis votre vie au service de la paix !

Nous avons besoin d'entretenir le souvenir ; nous avons la responsabilité de créer les conditions de l'union et du rassemblement. Nos concitoyens doivent témoigner la reconnaissance de la Nation entière, réunie autour des valeurs de la République. On ne hiérarchise pas les morts. Le champ d'honneur est de tous les conflits !

Célébrer tous les morts le même jour permet de n'en oublier aucun. Le choix du 11 novembre permet de ne pas augmenter le nombre de jours commémorables. Surtout, il célèbre l'unité d'un peuple au service de la liberté ! C'est sans doute pourquoi le 11 novembre a été voté à l'unanimité par la commission des affaires étrangères. Comme l'a dit Lamartine « s'il y a des efforts surnaturels à attendre de l'humanité, il faut les attendre du patriotisme ! ». (Applaudissements à droite)

M. André Trillard.  - Je rends un hommage solennel aux quatre soldats morts vendredi.

Les occasions restent encore trop rares de se tourner vers le monde combattant, dans une société en quête de repères. Je salue le rôle des associations d'anciens combattants, dans une société civile peu consciente du lien entre la Nation et son armée, voire sujette à l'antimilitarisme. Elles participent à l'ancrage de nos valeurs au plus profond de nos territoires.

Ce projet de loi déjoue les clivages partisans : nous en sommes fiers. La date du 11 novembre s'imposait d'elle-même, mais je remercie le rapporteur pour l'amendement qu'il a sagement accepté.

Mais commémorer, cela passe aussi par l'école de la République et un projet mémoriel collectif. Pour Pierre Nora, la commémoration est l'expression concentrée d'une histoire nationale ; c'est vrai, mais le législateur doit aller au-delà.

Mme Nathalie Goulet.  - Nous avons vu ça hier !

M. André Trillard.  - Depuis la fin du service militaire, nos armées connaissent une forte rotation nécessaire aux besoins opérationnels. Certains anciens militaires sont marqués à vie. Ambassadeurs de nos valeurs, ils reviennent pourtant en France dans l'indifférence et l'incompréhension de la société. Je dédie ces propos à ceux qui sont rentrés du Liban, de Côte d'Ivoire, du Kosovo et d'Afghanistan. (Applaudissements à droite)

M. Ronan Kerdraon.  - Nous voterons ce texte, qui fait suite au discours du président de la République le 11 novembre dernier, mais il suscite quatre interrogations : pourquoi la procédure accélérée, sinon par intention électorale ? Pourquoi le 11 novembre ? Le président de la République ne s'engage-t-il pas sur la voie aventureuse d'un Memorial Day ne disant pas son nom ? (M. Roland Courteau approuve) N'y a-t-il pas aussi tentative de légitimer nos guerres impérialistes ?

Beaucoup, trop de soldats sont morts depuis la fin de la guerre d'Algérie. Tous méritent notre souvenir et notre hommage, mais les conflits ne sont pas tous analogues à la Grande guerre. Le 11 novembre aurait dû rester l'occasion de rappeler un terrible carnage qui a touché presque toutes les familles de France. Rappelez-vous les écrits de Barbusse ou de Remarque ! Il aurait dû rester le rappel des ravages des nationalismes et des haines entretenues. En outre, la Première Guerre mondiale marque l'entrée dans le XXe siècle, avec la fin des empires centraux et de l'Empire russe. Enfin, il importe de ne pas oublier la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, de la Résistance et de la déportation. D'autant que les programmes d'histoire ont, hélas, été appauvris !

Nous regrettons que la mémoire des militaires morts en Opex n'ait pas fait l'objet d'une réflexion plus approfondie. La mémoire des conflits ne doit pas disparaître avec la mort des derniers survivants. Nous prenons acte des engagements pris quant au maintien des autres dates commémoratives, mais il vaut mieux l'écrire.

Quelles valeurs défendre lors des commémorations ? Comme l'a souhaité le rapport Kaspi, elles sont républicaines, patriotiques et sociales. Le texte d'aujourd'hui est loin de répondre à toutes ces questions ; il est réducteur. Mais si l'amendement de M. Néri est voté, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bruno Retailleau.  - Le peuple français est paradoxal : nous avons beaucoup de commémorations, mais cultivons l'autodénigrement, voire la repentance. Mais derrière ce paradoxe, il y a leur attachement à leur histoire, leur pays, leur identité.

Il y a peu de temps, nous avons commémoré, dans le petit village de Vendée où, comme Clemenceau, il était né, le 60e anniversaire de la mort d'un grand soldat français : le maréchal de Lattre de Tassigny. Plus de 1 000 personnes sont venues dans la froidure rendre hommage au souvenir de ce grand soldat.

Nous allons aujourd'hui faire une belle oeuvre en votant ce texte ? Le devoir de mémoire est d'abord affaire de justice : oublier les morts pour la France, c'est leur donner une deuxième mort. C'est aussi une question de civilisation, car les sociétés sans mémoire sont barbares. Le devoir de mémoire concerne avant tout l'avenir ; comme l'a écrit Dostoïevski, « les peuples sans mémoire sont condamnés à mourir de froid ».

Devoir de mémoire et devoir d'unité. Le devoir de mémoire concerne les poilus, les résistants, ceux qui sont tombés dans les rizières ou le djebel, ceux qui meurent aujourd'hui en Afghanistan. Nous avons besoin d'unité nationale autour du devoir de mémoire, car notre tissu social est déchiré par l'individualisme et par le communautarisme. La France n'est pas une rencontre de hasard ; elle est bien plus qu'un archipel de tribus !

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - Le devoir de transmission est aussi important que la commémoration. Ce texte doit donc relancer la pédagogie au service du patriotisme, qui est l'amour des siens, non du nationalisme, qui est la haine des autres -comme l'a écrit Romain Gary. Ce texte doit également soutenir le civisme, qui veut que l'on enseigne aux jeunes générations qu'elles peuvent avoir, un jour, à donner au pays autant qu'elles ont reçu de lui. Des Français meurent aujourd'hui pour les valeurs de la République. Le texte nous parle des valeurs d'aujourd'hui et de demain, des raisons qui font que les Français vivent encore ensemble. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Nathalie Goulet.  - Excellent !

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Ce débat est à l'honneur du Sénat. Merci à M. le rapporteur pour son excellent rapport. Je pense avoir apaisé les inquiétudes suscitées par la perspective d'un Memorial Day, qui est exclue. Les autres dates commémoratives sont maintenues, c'est normal...

M. Roland Courteau.  - Bien sûr !

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Tous les morts pour la France, civils et militaires, seront commémorés. Le 11 novembre n'est pas antiallemand : cette date commémore surtout la paix -la loi de 1922 en témoigne.

Les engagements varient d'un conflit à l'autre, certes, mais un soldat qui meurt envoyé par la République tombe toujours pour la France et ses valeurs.

En 1940, la France était à genoux. Si elle a rejoint la table des vainqueurs, c'est grâce aux résistants, à de Gaulle, à l'épopée de la division Leclerc, à la division de Lattre, aux 340 000 soldats de l'armée d'Afrique venus libérer la France ! C'est pour cela que nous avons un siège permanent au Conseil de sécurité. La France représente 1 % de la population mondiale ; elle pèse bien plus grâce à nos militaires et à ceux d'entre eux qui, malheureusement, tombent pour elle. N'oublions jamais ceux qui tombent pour la France. (Applaudissements au centre et à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. Roland Courteau.  - Je me réjouis que ce texte permette aussi de rendre hommage aux soldats morts en Opex, mais pourquoi l'avoir fait venir en urgence à la fin du quinquennat ? Le Gouvernement veut sans doute le faire adopter avant la fin du mandat du président de la République... On serait loin alors de la préparation du centenaire de 1914-1918...

Le chef de l'État a précisé qu'aucune date commémorative ne disparaîtrait, mais cette précision ne figurait ni dans l'exposé des motifs, ni dans l'article unique du texte initial. L'amendement de M. Néri adopté par notre commission a pour nous une importance majeure, car chaque conflit a ses spécificités.

Chaque grande date doit être maintenue, chaque commémoration a des vertus pédagogiques, afin que le vent de l'histoire souffle sans cesse et rappelle le sacrifice de ceux qui sont tombés.

Victor Hugo l'a rappelé « les souvenirs sont nos forces, ils dissipent les ténèbres. Quand la nuit essaye de revenir, il faut toujours allumer de grandes dates, comme on allume des flambeaux » ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Namy.  - En 1922, le Parlement a voulu faire du 11 novembre l'anniversaire de l'armistice, de la victoire et de la paix ; en 2012, le Parlement va élargir le sens de cette commémoration, afin d'entretenir la mémoire. Le souvenir de la Grande guerre va-t-il pour autant disparaître ? Le président du conseil général de la Meuse que je suis ne le croit pas.

Y a-t-il des risques de dégâts collatéraux ? Clairement non, puisque les autres conflits conserveront leur journée de célébration. La réponse est différente pour chaque conflit, y compris les Opex. Mais rassembler les hommages à une date aussi forte que le 11 novembre est une bonne idée.

Enfin, la mention « mort pour la France » a été créée en 1915. Son attribution n'est pas automatique. J'appelle l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'étudier le dossier de chaque Français tué en opération.

Je voterai cet article. (Applaudissements à droite)

M. Luc Carvounas.  - Nous devons être les gardiens vigilants du devoir de mémoire. Nous devons nous souvenir que la paix est liée au sacrifice de plusieurs générations de soldats morts pour nous.

Appartenant à une génération n'ayant connu que la paix, je me félicite du consensus qui entoure ce texte, tout en déplorant la méthode du Gouvernement. Chacun d'entre nous a mesuré combien l'histoire pouvait être un sujet difficile, surtout face au bougisme qui est la marque du président Sarkozy...

Je me félicite du travail réalisé par M. Néri au sein de notre commission. Le double objectif de respecter les anciens combattants et de conforter l'unité nationale me fera voter l'article. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Cukierman.  - « La guerre aura-t-elle enfin... assez provoqué de souffrances et de misères... ? Assez tué d'hommes... ? pour qu'à leur tour les hommes aient l'intelligence et la volonté de tuer la guerre... ? » On peut lire cette interrogation, entre autres monuments aux morts, sur celui dit pacifiste de la commune de Saint-Martin-d'Estréaux, dans mon département, où un visage a été rendu aux morts de la Grande guerre. Chaque 21 septembre, dans les communes adhérentes au réseau Mayors for peace, c'est la culture de paix que l'on met en avant.

Presque un siècle après la fin de cette grande boucherie, je m'interroge sur les conséquences de ce projet de loi. Certes, il n'y a plus de poilus, mais est-ce une raison pour effacer en quelque sorte leur souvenir en réunissant toutes les commémorations ? Chaque conflit a ses spécificités, ses causes, ses conséquences ; il ne saurait y avoir de Memorial Day à la française.

C'est le 11 novembre 1940 que des jeunes, à l'appel des étudiants communistes, ont manifesté contre les nazis et les collaborateurs ; on pouvait lire sur leurs tracts : « le 11 novembre 1918 fut la date d'une grande victoire, le 11 novembre 1940 sera le signal d'une plus grande encore ».

Malgré l'amendement adopté par la commission, nous ne voterons pas ce texte.

Tous les morts sont respectables, mais les guerres sont le fruit de choix politiques qui parfois nous opposent. Rappelons-nous les paroles de Jean Jaurès : « l'humanité est maudite si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement ». (Applaudissements à gauche)

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Vous avez rappelé le 11 novembre 1940. Vous oubliez le pacte germano-soviétique ! (Vives protestations à gauche ; applaudissements à droite)

Mme Cécile Cukierman.  - C'est honteux ! Vous récrivez l'Histoire !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Monsieur le ministre, vous avez franchi la ligne jaune !

Cela ne crédibilise pas votre démarche, après les incertitudes liées au rapport Kaspi et les déclarations maladroites du président de la République le 11 novembre 2011. Chaque conflit a ses spécificités, ses causes précises, des leçons à tirer. Il ne serait pas bon de supprimer toutes les dates mémorielles, surtout au moment où la jeunesse manque de repères historiques. Cette loi est une première étape vers un Memorial Day à la française, malgré l'amendement de M. Néri. Nous voulons que les dates mémorielles éclairent notre histoire et notre avenir.

Monsieur le ministre, il vous sera très difficile de renouer le lien de confiance que vous avez inconsidérément rompu. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Néri.  - Comme l'ensemble de la représentation nationale, je suis atterré, déçu par l'attitude du ministre. Ce débat était apaisé, serein, marqué par une volonté de recueillement. Les mots peuvent parfois dépasser la pensée, monsieur le ministre : je vous demande de retirer vos propos indignes de ce débat. (Applaudissements à gauche ; exclamations à droite)

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Je n'ai fait que rappeler un fait historique : le pacte germano-soviétique de 1940.

M. Ronan Kerdraon.  - Quel rapport ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Quelqu'un a dit que les étudiants communistes avaient appelé à manifester le 11 novembre 1940.

Mme Cécile Cukierman.  - C'est un fait historique !

M. Marc Laffineur, secrétaire d'État.  - Je rappelais le contexte. (Vives protestations à gauche)

L'article premier est adopté.

Article 2

M. Joël Guerriau.  - L'article 2 fait obligation à toutes les mairies d'inscrire sur les monuments aux morts les noms de tous ceux sur l'acte de décès desquels est portée la mention « mort pour la France », quelle que soit la génération du feu et le théâtre d'opérations. Il répond ainsi aux demandes exprimées depuis de nombreuses années par les associations. La commémoration du 11 novembre ne doit pas se substituer aux autres dates, mais honorer la mémoire de tous les morts pour la France, alors que les Français identifient de moins en moins l'origine des jours fériés. On peut se féliciter de cet effort de cohésion. Certains craignent cependant que l'on ne dilue ainsi la mémoire des autres dates. N'est-ce pas plutôt la multiplication des commémorations qui dilue la mémoire ? Le 11 novembre porte haut les valeurs patriotiques de tous ceux qui sont tombés pour la France. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Vos explications de vote sur l'ensemble m'ont simplifié le travail : vous avez rappelé le contenu de l'article 2, auquel la commission est favorable.

L'article 2 est adopté, ainsi que l'article 3.

Vote sur l'ensemble

M. Jean Boyer.  - Les hasards de la vie confondent parfois les situations. Les quatre morts d'Afghanistan rappellent ainsi le souvenir de tous ceux qui sont morts pour la France.

Je suis de ceux qui ont répondu à l'appel de la France : question de génération. Depuis cinquante ans, la France est en paix même si le sang français marque encore le sol de territoires parfois lointains. La mort n'a pas de géographie, elle n'a pas de prévision, elle n'a pas de temps identique. L'homme ne maîtrise ni le berceau de sa naissance, ni le lit de sa mort. Ceux qui ont porté les couleurs de la France connaissaient le jour de leur incorporation mais pas leur destinée.

Victor Hugo, qui fut notre collègue, écrivait que « tous ceux qui glorieusement sont morts pour la patrie ont droit que la foule vienne se recueillir ». J'ajouterai qu'ils ont droit à une reconnaissance collective. La mort est la terrible épreuve de la séparation définitive avec les siens ; pour un soldat c'est aussi la séparation d'avec la patrie dont il portait les couleurs.

La science permet de comprendre la vie, la folie de certains hommes veut qu'ils se déchirent, en déchirant le monde. Lorsque tous ces serviteurs de la France avancent jusqu'au sacre, ils avancent derrière un drapeau, un idéal, une solidarité, une volonté, celle de servir la France.

Oui, il faut instituer la journée nationale du souvenir. Ceux qui restent du monde combattant doivent garder leur unité, unité symbolisée par un évènement annuel national, sans proscrire les cérémonies rappelant la diversité des combats dans le monde. Tous ceux qui meurent au service de la patrie méritent notre souvenir. Chaque jour, des obituaires portent le nom d'un ancien d'Algérie : ne les oublions pas. Le monde combattant doit garder son unité dans un moment fort. Le 11 novembre est le symbole le plus fort, le plus exceptionnel de l'histoire de la France. Je l'ai senti lors de mon service militaire dans l'est, où les cimetières de la Grande guerre alternent avec les champs de blé.

La mémoire n'est pas un jeu de construction fragile, elle doit être un édifice inébranlable et rassembleur de la France. Ceux qui ont servi notre pays savent que, si l'on ne peut pas refaire l'histoire, on en tire des enseignements. La construction de l'unité combattante est un combat inachevé, la France doit se rassembler dans une mémoire constructive, la journée nationale du souvenir y contribuera.

Mme Nathalie Goulet.  - Je me demande ce que les jeunes spectateurs des tribunes pensent de nos débats. En Normandie, terre de mémoire, j'habite à trois kilomètres de l'ancien QG du général Leclerc.

Les manifestations patriotiques peinent à rassembler beaucoup de personnes ; il faut donc rendre hommage à l'action du Souvenir français et de ses associations de porte-drapeaux, ainsi qu'aux enseignants qui essaient de faire participer les enfants à ces manifestations. Je voudrais que nos jeunes connaissent la Marseillaise.

Memorial Day ou pas, ce texte est une excellente idée. Hier, nous avons voté un texte sur le génocide arménien, commencé un 24 avril, jour anniversaire aussi du soulèvement du ghetto de Varsovie. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Alain Néri.  - Les socialistes voteront ce texte. Le devoir de mémoire est une priorité pour élever les jeunes dans les valeurs de la République. Dans chaque commune, le monument aux morts est un symbole d'unité, rappelant que, dans tous les conflits, ceux qui se sont engagés ont lutté pour la Nation. Il rappelle la fraternité des tranchées, celle de la Résistance, qui a rassemblé « celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas ». Ce fut vrai, aussi, pour ceux qui ont répondu à l'appel de la Nation et sont partis pour l'Algérie, même s'ils se posaient des questions.

L'amendement adopté au Sénat montre l'intérêt du bicamérisme, puisque le même avait été repoussé à l'Assemblée nationale. Il rappelle l'utilité de la réflexion, qui doit tous nous rassembler autour du devoir de mémoire. (Applaudissements à gauche)

La proposition de loi est adoptée.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je salue l'adoption de ce texte, fruit d'un travail d'écoute et de dialogue avec les associations, qui marque le temps où s'inclinent les drapeaux devant le monument aux morts. Volonté de dialogue que j'ai aussi perçue chez vous, monsieur le ministre, et au cours de ce débat, ultime hommage rendu par le Sénat aux morts pour la France et à ceux des siens qui sont tombés au combat. Je salue la présence dans nos tribunes des jeunes gens et félicite leurs enseignants. (Applaudissements) Notre débat montre que, même si nous avons des idées arrêtées et divergentes sur le sens de l'Histoire, nous savons très majoritairement nous unir pour rendre hommage aux morts pour la France ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 16 h 55.

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La séance reprend à 19 heures.