Coopération militaire entre la France et l'Algérie (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire.

Discussion générale

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants .  - Je salue le travail de la commission, ainsi que de M. Chevènement, qui a beaucoup oeuvré pour les relations franco-algériennes. Nous voulons nous orienter vers l'avenir.

Longtemps limitées, les relations militaires entre la France et l'Algérie sont entrées dans une nouvelle dynamique depuis 2000, et la visite de M. Chirac à Alger en 2003.

Il existait depuis 1967 une convention technique. L'accord de coopération signé le 21 juin 2008 recense une douzaine de domaines de défense dans lesquels développer la coopération, et définit le rythme des discussions et concertations. Une commission mixte et plénière se réunit annuellement. D'autres articles traitent du statut du personnel, du règlement des différends et de soutien logistique et financier.

La rédaction est souple, et permet un travail au cas par cas.

La ratification de l'accord par la France a été retardée par la question de l'extradition de personnes susceptibles d'encourir la peine de mort en Algérie. La France a donc adressé une déclaration interprétative unilatérale le 15 mai 2011 à l'Algérie qui l'a acceptée le 2 août suivant. Cet échange de notes, validé par le Conseil d'État le 22 juin dernier assure le respect de nos règles constitutionnelles.

Le contexte est favorable, alors que le président de la République doit se rendre en Algérie en décembre. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Namy, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.   - L'accord du 21 juin 2008 fournit un cadre juridique à la coopération entre la France et l'Algérie dans le domaine de la défense.

Négocié par Nicolas Sarkozy, il s'inscrit dans une dynamique lancée par Jacques Chirac, et à laquelle François Hollande souhaite donner un nouvel élan.

L'élection de M. Bouteflika et la fin de la guerre civile ont favorisé le rapprochement de nos deux pays. L'accord a été ratifié par l'Algérie en 2009 ; la ratification en France a buté sur le problème de la peine de mort en Algérie.

Ce texte offre un cadre juridique à l'emploi de stagiaires algériens dans les écoles militaires françaises, ainsi qu'aux instances de coopération qui se réunissent depuis 2008. Il ne s'agit pas d'un accord de défense, faute d'une clause d'aide réciproque en cas d'agression.

Cet accord est nécessaire et mutuellement bénéfique. Il renforce le statut de puissance régionale de l'Algérie, dont la stabilité est indispensable à celle de la région. Il a aussi une valeur symbolique et Alger y attache une importance que nous ne mesurons peut-être pas. Notre coopération s'est déjà renforcée en matière économique depuis 2010, grâce à M. Raffarin.

La commission propose d'autoriser la ratification de cet accord.

Mme Leila Aïchi .  - Enfin, voici un texte qui entend construire une relation bilatérale entre la France et l'Algérie. Jusqu'ici seule la convention de coopération technique de 1967 était en vigueur.

Sans être une alliance militaire, l'accord couvre la stratégie, la lutte antiterroriste, la santé militaire, l'expertise scientifique, etc. Il revêt une grande importance stratégique, d'autant que l'Algérie est incontournable pour l'apaisement de la région sahélienne.

Depuis avril, des djihadistes ont imposé la partition du fait du Mali, voisin de l'Algérie sur 1 400 kilomètres. Le Sahel est devenu leur haut lieu en trafics de tout genre.

Hélas, cet accord manque du volet environnemental qui aurait favorisé la prévention des conflits écologiques. Dans les années à venir, écrit Harold Welzer, la dégradation du milieu naturel engendrera de nouvelles guerres et l'on verra des réfugiés climatiques aussi bien que des réfugiés politiques.

L'insécurité alimentaire menace 16 millions de personnes dans la région, la sécheresse a réduit la production céréalière de 26 % cette année, dans le Sahel. Il faut protéger les ménages vulnérables, aider les éleveurs et les agriculteurs, protéger les sols et l'eau, renforcer l'aide nutritionnelle, encourager la coopération régionale et mettre en place des systèmes d'alerte. Nous devrons aussi nous attaquer aux causes structurelles de pénurie. La paix et le développement durable sont liés.

Ces réserves faites, je voterai le texte. (Applaudissements)

M. Christian Cambon .  - La France et l'Algérie ont enfin trouvé un cadre juridique approprié pour coopérer en matière de défense. L'Algérie est l'un des plus vastes États africains ; sa situation géostratégique est singulière. Elle demeure une puissance régionale incontestable, consacrant 3,3 % de son PIB aux dépenses militaires. Ce pays dispose d'une armée professionnelle de 400 000 hommes entraînés.

L'Algérie est partie prenante à un accord de coopération avec des États du nord et du sud de la Méditerranée. Elle fait partie de l'Union africaine et doit contribuer à la formation d'une force d'intervention rapide en Afrique d'ici 2015. Membre du dialogue méditerranéen de l'Otan, elle est aussi représentée auprès de celle-ci et entretient des relations militaires bilatérales avec de nombreux pays, dont la Russie et le Royaume-Uni.

En 2010, un comité d'état-major contre le crime organisé et le terrorisme a été installé à Tamanrasset avec le Mali, la Mauritanie et le Niger.

Il était temps de renforcer notre coopération. Beaucoup de choses nous unissent et nous divisent. Cessons de rouvrir les plaies passées. Cet accord ouvre une nouvelle page. Le Sénat aura beaucoup contribué à la réussite du voyage du président de la République, après le vote de la loi relative à la journée du 19 mars. Souhaitons que le président de la République incite l'Algérie à mieux s'impliquer au Sahel. Président du groupe d'amitié France-Maroc, je souhaite aussi que le différend entre l'Algérie et le Maroc soit réglé, et que la frontière entre les deux pays soit rouverte car les 160 000 soldats marocains qui la surveillent seraient plus utiles dans la lutte contre les mouvements terroristes.

Soldons les dossiers du passé et regardons vers l'avenir. Ce dimanche, vous appeliez à « tourner la page ensemble » : les Algériens devront donc aussi faire des gestes. Nous espérons qu'il en sera bien ainsi lors du voyage du président de la République. Ce projet de loi constitue une formidable occasion. C'est une promesse de paix. L'influence de l'Algérie est indéniable. Son peuple fut une des premières victimes de la lâcheté des djihadistes.

Le vent des printemps arabes souffle encore. Nous ne pouvons qu'encourager la transition démocratique. Mais les révolutions sont souvent mères des pires excès. Il importe que l'Algérie demeure un pôle de stabilité : il y va de la paix dans toute l'Afrique.

M. Thierry Foucaud .  - Cet accord de coopération est à la fois symbolique, politique et technique. Il s'agit d'un simple instrument de coopération militaire, mais qui offre un cadre à des futurs développements. Nous apprécions qu'il diffère des accords classiques que nous avons longtemps eus avec les pays d'Afrique ; il ne prévoit pas ainsi l'aide militaire de la France en cas de menace ou d'agression contre l'Algérie. Nous rompons avec une très mauvaise tradition interventionniste sur le continent africain. Mais nous n'entendons pas que cet accord contribue à renforcer un régime somme toute peu démocratique.

La France va ratifier cet accord 50 ans après la guerre qui nous a opposés. La convention de 1967 ne prévoyait pas la possibilité d'exercices communs sur le territoire de l'un ou l'autre des États et ne couvrait pas les personnels civils du ministère de la défense. L'accord de juin 2008, ratifié par l'Algérie en mai 2009, autorisera le développement de coopérations dans les domaines de la lutte antiterroriste, de la formation des personnels, de la santé militaire ou de la technologie ainsi que l'organisation d'exercices communs. Il normalise une coopération qui existe depuis des décennies, qui avait été suspendue dans les années 1990 à cause de la situation politique en Algérie.

L'accord reconnaît l'existence d'une communauté d'intérêts stratégiques entre nos pays, notamment en matière de lutte contre le terrorisme au Sahel, et traduit une nouvelle étape du partenariat euro-méditerranéen. Il en va de l'intérêt bien compris de notre pays que l'Algérie reste un État stable, qu'il joue toute sa part en cas de conflit régional comme ce fut déjà le cas en 2006. Le Livre blanc de la défense insistait d'ailleurs sur le rôle déterminant de l'Algérie dans la région.

Nous avons besoin de l'Algérie car il ne peut y avoir de solution au nord Mali sans l'accord politique et militaire des pays limitrophes de ce pays. L'Algérie est incontournable pour résoudre cette crise et peut jouer un rôle décisif dans la libération de nos compatriotes détenus en otage.

À la veille du voyage du président de la République à Alger, le groupe CRC votera ce projet de loi. (Applaudissements)

M. Robert Hue .  - Nos échanges aujourd'hui seront moins passionnels qu'ils ne le furent sur les deux textes récents que nous avons examinés. Ce projet de loi intervient opportunément après une séquence visant à réconcilier la France avec son passé. Comment approfondir nos relations avec l'Algérie sans reconstruire notre mémoire collective ? Comment tisser des liens de confiance avec ce pays sans un devoir de vérité ? En 1981, François Mitterrand avait déclaré que nos deux pays devaient « savoir maîtriser les contentieux de l'histoire ».

Grâce au Sénat, un hommage sera rendu aux victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie. La reconnaissance lucide par la République de ses erreurs permettra la réconciliation de nos deux pays. Cet accord pourrait être un pont supplémentaire parmi tous ceux qui nous lient.

Nos deux pays ont déjà fondé une coopération dans les domaines économiques, culturels et militaires. Deux ans seulement après les accords d'Évian, une mission militaire de liaison et de coordination a vu le jour. Il y aura ensuite la convention de 1967, restée modeste ; mais un rapprochement est à l'oeuvre depuis quelques années. Le déplacement du président de la République confortera un dialogue que nous espérons fructueux.

Nous partageons avec l'Algérie des intérêts stratégiques. L'accord du 21 juin 2008 est déjà appliqué pour les exercices conjoints, comme l'illustre l'opération de surveillance et de sécurité maritime en Méditerranée Raïs Hamidou. Nous voulons aussi lutter ensemble contre le terrorisme : cet enjeu sécuritaire préoccupe nos deux pays. Le développement inquiétant du terrorisme dans le Maghreb justifie la coopération de nos services de renseignements.

Enfin, l'Algérie est une pièce maîtresse dans la gestion des crises régionales ; elle est particulièrement attendue sur le dossier du nord Mali. Paris a intérêt à se coordonner avec Alger, même si ce n'est pas toujours aisé ; l'Algérie privilégie une sortie de crise négociée, tandis que la France a une approche plus interventionniste et pousse à la création d'une force africaine.

Le RDSE approuve à l'unanimité cet accord qui contribuera à l'apaisement entre nos deux pays. J'espère que la France encouragera toutes les autres formes de coopération, y compris dans le domaine du développement, car les conditions de vie des Algériens restent très fragiles. Les crises politiques se nourrissent souvent de la pauvreté et les extrémismes prospèrent sur l'injustice. Notre solidarité doit s'exercer sur tous les fronts au nom d'une amitié retrouvée. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Mme Nathalie Goulet .  - L'examen des conventions internationales, que nous ne pouvons amender, revient en quelque sorte à faire un bilan coût-avantages. Cet accord est-il avantageux pour la France, pour l'Algérie ? Il n'y a pas de doute : le groupe UDI-UC votera ce projet de loi.

J'ai déjà rapporté de tels accords pour les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Je ne suis pas une spécialiste du Maghreb, mais le renforcement de la stabilité et une coopération renforcée dans une zone aussi stratégique sont évidemment nécessaires. L'application du droit local à nos ressortissants est toujours une difficulté ; en l'espèce, le problème de la peine de mort a été réglé. Je dirai un mot de l'article 5, qui interdit de participer à la préparation ou à l'exécution d'opérations de guerre et de maintien de l'ordre ; dans la zone qui nous occupe, c'est une disposition majeure.

La coopération navale en Méditerranée est bienvenue et confortera la position de notre flotte et, pourquoi pas, notre industrie navale qui en a bien besoin. Au moment où l'euphorie peut-être un peu naïve des printemps arabes retombe, il est important de conforter le statut de puissance régionale de l'Algérie. Nous attendons beaucoup de la visite du président de la République à Alger, pour conforter notre amitié avec l'autre rive de la Méditerranée, dans l'intérêt général de nos deux pays. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

M. Kader Arif, ministre délégué .  - Je me félicite de ce consensus qui donnera encore plus de force à notre rapprochement avec l'Algérie. Ce texte s'inscrit dans la nouvelle dynamique de nos relations bilatérales. Le déplacement du président de la République dans ce pays portera aussi sur la coopération industrielle, agricole, énergétique, maritime, judiciaire, culturelle... Je me félicite aussi de cette unanimité car l'Algérie a un rôle stratégique dans le nord Mali. Le gouvernement algérien a évolué sur cette question.

Cet accord aura un impact sur nos relations internationales mais aussi en France même. Le déplacement du président de la République contribuera à renforcer nos relations avec la rive sud de la Méditerranée et adresser un signal fort à une partie de notre population. (Applaudissements)

Intervention sur l'ensemble

M. Michel Teston .  - Le groupe socialiste votera ce projet de loi qui renforcera les liens entre nos deux pays. Nous sommes convaincus que le prochain voyage du président de la République contribuera à l'apaisement des relations entre la France et l'Algérie.

Le projet de loi est adopté.

(Applaudissements)

La séance est suspendue à midi cinquante.

présidence de M. Didier Guillaume,vice-président

La séance reprend à 15 heures.