Cumul des mandats (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

Discussion générale commune (Suite)

Mme Hélène Lipietz .  - J'ai la rude tâche de succéder à M. Mézard. Le texte divise les familles politiques. C'est une ineptie de nous refuser une deuxième lecture. De quoi avez-vous peur, monsieur le ministre ? L'Assemblée nationale est derrière vous ! L'urgence, pour nous, remonte à 1958...

Faut-il croire la légende selon laquelle le général de Gaulle n'a pas interdit le cumul des mandats pour laisser aux parlementaires un os à ronger, comme Louis XIV avait créé la cour pour apprivoiser les nobles ?

Il doit y avoir un fond de vérité.

Les parlementaires qui cumulent confisquent le gouvernement de leur territoire.

A-t-on besoin d'un mandat exécutif local pour défendre l'intérêt général de la nation ? Où est l'égalité des candidatures entre cumulards et non-cumulards ? Le prisme du territoire n'est pas tout. Il y a une vie en dehors de la politique. Celle-ci appartient aux citoyennes et citoyens, à la société. Les Français nous reprochent d'être déconnectés, éloignés de la société civile. Jamais ce fossé n'a été aussi profondément ressenti.

Le cumul peut être une réponse à l'énarchie, mais alors changeons l'ENA et non la règle du non-cumul. Les « parachutés » sont aussi condamnables que les « Bibendum » ceints de multiples écharpes !

Certains cumulent par volonté de servir leurs concitoyens mais aussi, reconnaissons-le, par soif de pouvoir. Le terme de cumulard est quelque peu démagogique, qui ne me plaît pas davantage que le « palmarès » récemment publié.

Il y a plus de 400 000 élus en France et seulement un petit millier de parlementaires... (M. Luc Carvounas s'exclame)

L'onction du suffrage universel ne justifie pas tout...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Surtout à la proportionnelle !

Mme Hélène Lipietz.  - Le non-cumul devient pour le citoyen un critère de choix, à tort ou à raison. Certains lient a contrario le cumul à une exigence constitutionnelle, une obligation pour les sénateurs ! Interprétation discutable... Le Sénat ne pourrait-il alors délibérer que des textes concernant les collectivités territoriales ? Selon l'article 3 de la constitution aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale, fut-elle limitée à l'organisation des collectivités locales. Un sénateur ne peut-il avoir une idée sur le droit des femmes, une sénatrice sur le droit des hommes ?

En réalité c'est en fonction de notre travail que nous sommes jugés. Le pouvoir politique aujourd'hui s'est déplacé du Parlement vers les collectivités territoriales. Pour revaloriser la fonction parlementaire, ne faut-il pas commencer par changer de Constitution ?

Non, ce n'est pas, monsieur le ministre, la querelle des Anciens et des Modernes. Vous proposez un changement de notre paysage mental et politique.

Les écologistes tiennent qu'il faut partager les mandats. Nous voterons votre texte.

M. Jean-Vincent Placé.  - Très bien.

Mme Hélène Lipietz.  - Petit à petit, texte après texte, nous modifions par petites touches la Constitution, parce que nous n'avons pas le courage d'en changer. Oui, nous voterons ce texte, tel un nouveau coup de couteau dans une outre qui se vide peu à peu de son contenu, en sachant que c'est une nouvelle République que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean Louis Masson .  - Le cumul est une spécificité française injustifiée. Nul ne peut assumer deux fonctions à plein temps. Prétendre le contraire est un combat d'arrière-garde.

Un sénateur cumulard a affirmé même que les sénateurs non-élus locaux sont « hors-sol » ou des « apparatchiks ». Merci pour moi ! Je ne cumule pas, je ne suis l'apparatchik d'aucun parti et j'ai été élu sénateur!

M. Philippe Dallier.  - Vous avez cumulé !

M. Jean Louis Masson.  - J'ai démissionné pour ne pas cumuler.

M. Jean-Vincent Placé.  - Très bien !

M. Jean Louis Masson.  - J'ai été élu sans le soutien d'aucun parti politique, face à des élus super cumulards.

Mme Nathalie Goulet.  - Moi aussi !

M. Jean Louis Masson.  - Non-cumulard, j'ai plus de temps à consacrer à mon mandat. (Vives exclamations à droite)

La concentration des pouvoirs nuit à la démocratie. Le cumulard à des moyens bien supérieurs à ceux d'un simple parlementaire. 75 % des parlementaires sont concernés par le cumul. La concentration des pouvoirs est un facteur de corruption : 90 % des parlementaires poursuivis pour corruption ou malversations sont des cumulards. Ce projet de loi contribue à moraliser la vie publique, à promouvoir une respiration démocratique. Toutefois, je déplore que son application soit reportée à 2017, voire 2019 pour les parlementaires européens et 2020 pour certains sénateurs.

Je vous félicite monsieur le ministre pour votre résistance aux pressions des cumulards de tout bord. Une commune de 20 000 habitants n'est pas une « petite commune ». Bravo pour avoir refusé l'exception sénatoriale, tout à fait injustifiée, alors que l'image du Sénat est déjà si mauvaise. (Protestations à droite)

Je regrette que rien ne soit prévu pour encadrer le cumul d'exécutifs locaux. (Marques d'impatience à droite)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat est un appel à la réflexion. Celle-ci se trouve plutôt du côté de ceux qui rappellent les traditions républicaines que de ceux qui enchaînent idées reçues et lieux communs.

Notre groupe aborde cette discussion dans un esprit constructif. Il faut en effet tirer les conséquences de la montée en puissance des intercommunalités.

Mais nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quoi. L'interdiction absolue nous paraît aussi absurde que la liberté absolue qui a longtemps prévalu.

Le Sénat a contribué à la limitation du cumul des mandats même quand il était dans l'opposition au gouvernement. Il a voté les lois de 1985 et de 2000 qui ont étendu les incompatibilités et limité les cumuls. Elles ont été adoptées en termes identiques par les deux assemblées. Vous pourriez arriver au même résultat, si vous ne considériez pas la représentation nationale comme une simple courroie de transmission. Un consensus est aujourd'hui possible si le Gouvernement et l'Assemblée nationale le veulent bien.

Une fonction exécutive locale et un mandat de parlementaire peuvent se compléter utilement au service de nos concitoyens. Soyons pragmatiques et responsables.

Le lien entre élus nationaux et citoyens ne sera en aucun cas renforcé par l'interdiction des fonctions exécutives locales, bien au contraire.

M. Ladislas Poniatowski.  - Bien sûr !

M. Philippe Bas.  - Vous répondez à l'antiparlementarisme par le populisme, (applaudissements à droite) en laissant entendre que ni les parlementaires, ni les élus locaux ne font aujourd'hui correctement leur travail. Or rien ne dit que les plus assidus ici ne soient pas aussi des élus locaux très impliqués. Nous ne sommes pas soumis à la législation du travail. Nous aimons ce que nous faisons, sans compter nos heures et nous le revendiquons. (Approbation à droite)

Sécurité, emploi, pouvoir d'achat : voilà les vraies urgences pour les Français. Si ce projet de loi était adopté, un maire pourrait exercer une profession salariée à 75 % ou une activité indépendante, activités privées mieux traitées que les activités publiques. Un parlementaire pourrait présider des organismes nationaux, mais ne pourrait être maire ou président de conseil général. Des activités fortement rémunérées seraient privilégiées par rapport à l'exercice de mandats publics au service des citoyens. Les Français ne tarderont pas à s'apercevoir de cette hypocrisie. Gare aux faux-semblants, qui font boomerang !

Nous sommes soucieux de donner toutes ses chances au maintien d'une limitation des cumuls communs aux membres des deux assemblées. Nous avons déposé un amendement en ce sens. La majorité de l'Assemblée nationale ne l'acceptera pas facilement, surtout si le Gouvernement ne l'approuve pas. Recherchez, monsieur le ministre, un compromis raisonnable avec tous les groupes du Sénat.

Nous proposons un autre amendement de repli, laissant le soin à l'Assemblée nationale de prévoir un régime plus restrictif pour les députés que pour les sénateurs, si elle le souhaite. Le lien entre les sénateurs et les territoires est inscrit au coeur de nos institutions : c'est l'article 24 de la Constitution, nous y sommes viscéralement attachés.

Le bicamérisme n'est pas obligatoire, on peut en débattre, mais il n'a d'intérêt que si l'identité de chaque assemblée est respectée.

M. Bruno Retailleau.  - Bien sûr !

M. Philippe Bas.  - Cette différence est justifiée par les spécificités du Sénat, rappelées par le président Mézard.

Pour nous dissuader, vous nous dites avec véhémence, que l'existence même du Sénat pourrait être remise en cause si le cumul y demeurait autorisé. Il y a là une menace grave et inacceptable pour nos institutions. Nous sommes heureusement insensibles à ces pressions, parce que nous sommes libres et indépendants ; aucune révision constitutionnelle ne peut se faire sans notre accord.

Un mot sur la forme. Décider la procédure accélérée pour un texte qui ne s'appliquera qu'en 2017, est un abus de droit. Les conditions d'examen ont été exécrables ; en commission le rapport a été examiné de façon improvisée. Que les positions des uns et des autres soient connues ne dispense pas d'une délibération parlementaire : le Parlement est-il de trop, le débat une simple formalité ? (Applaudissements à droite)

On a fait délibérer le Sénat sous la menace du dernier mot de l'Assemblée nationale. Menace en pure perte, car le projet de loi organique contient déjà une disposition organique relative au Sénat : celle qui organise le remplacement des sénateurs, démissionnaires et qui illustre votre crainte d'élections partielles. (On le confirme à droite)

Si le Sénat vote un amendement qui confère à la loi organique encore plus le caractère d'un texte relatif au Sénat, il devrait être adopté en les mêmes termes par l'Assemblée nationale. L'article 24 de la Constitution ne peut être vidé de sa substance. (Applaudissements à droite) Il est clair. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne saurait permettre à l'Assemblée nationale de voter, contre le Sénat, une disposition organique qui les concerne au premier chef. La Constitution a entendu préserver les droits du Sénat.

La portée de l'article 46 de la Constitution est reconnue par le Gouvernement lui-même. Monsieur le ministre, devant la commission des lois, le 10 septembre, vous avez clairement déclaré qu'un traitement différencié des sénateurs changerait la qualification de la loi organique, qui serait considérée par le Conseil constitutionnel comme une loi organique relative au Sénat et devrait donc être votée conforme par les deux assemblées. (Applaudissements à droite) Le dernier mot ne pourra donc pas revenir à l'Assemblée nationale. Aucune autre lecture de la Constitution n'est recevable. C'est dire si nous allons délibérer avec une liberté totale, dans le plein exercice de nos prérogatives parlementaires, avec l'état d'esprit constructif qui nous caractérise. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Monsieur le ministre vous avez dit votre fierté de présenter ce projet de loi ; nous nous y opposons avec fierté. Vous avez cumulé sans remords ni épuisement, au contraire, avec beaucoup d'énergie et d'enthousiasme, un enthousiasme que nous sommes nombreux à partager, dans la passion du service des Français. (Mmes et MM. les sénateurs UMP se lèvent et applaudissent)

M. François Rebsamen .  - (Marques de curiosité amusée à droite) Ce texte est le point d'orgue d'une longue succession de débats, de sondages, de reportages, d'éditoriaux, de points de vue, dont il ressort que l'interdiction du cumul, contrairement à ce que l'on dit, est loin de faire l'unanimité. L'opinion publique est loin d'être aussi unanime qu'on le pense ; elle est contre le cumul, sauf pour élire son député-maire ou son sénateur-maire... (Applaudissements à droite)

D'où les interrogations qui traversent le groupe socialiste. Le président et le rapporteur de la commission des lois sont pour, d'autres sont contre, ce qui rompt l'image monolithique que l'on souhaite parfois donner de notre groupe.

Ma conviction est connue : pour représenter les collectivités territoriales, je considère que les sénateurs, élus par des élus, doivent pouvoir cumuler un mandat exécutif local avec leur mandat de parlementaires. (Applaudissements à droite) Il est logique que les députés ne puissent cumuler, puisqu'ils sont élus au suffrage universel direct. (Sourires à droite) En revanche, comment les élus locaux confieraient-ils un mandat de sénateur à un candidat qui ne serait pas l'un des leurs ?

Aux parlementaires d'améliorer les textes des projets de loi à la lumière de leur expérience. (« Très bien ! » à droite) C'est mal connaître les maires que d'envisager qu'ils puissent se faire représenter par des élus qui ne seraient pas eux-mêmes détenteurs du même mandat. Sauf démagogie, ou populisme. Pour la majorité des citoyens, le cumul des mandats, c'est d'abord celui des indemnités, qui est déjà écrêté. Il suffirait donc de l'interdire (On le confirme à droite) Les Français entendent aussi sanctionner une classe politique nationale qu'ils tiennent malheureusement en piètre estime alors qu'ils apprécient leurs élus locaux, qu'ils cumulent ou pas.

L'absentéisme est dû au cumul ? Tous les sénateurs travaillent, y compris ceux qui cumulent. Si l'interdiction valait pour le Sénat, il y aurait une réaction sur le bicamérisme. (Applaudissements à droite) Nous ne sommes pas dans une république fédérale, comme en Allemagne. L'interdiction du cumul des mandats figure dans les engagements du président de la République. Les députés l'ont votée, en s'intéressant à notre situation. Au Sénat de se déterminer maintenant. L'avenir dira les conséquences sur l'architecture de nos institutions.

Je suis convaincu que l'expertise du Sénat, reconnue et appréciée, sa sagesse de législateur aussi, seraient affaiblies si ce projet de loi était adopté tel quel.

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. François Rebsamen.  - Président de groupe, mon temps de parole s'impute sur celui de mon groupe. Si ce projet de loi organique était adopté en l'état, il affaiblirait le Sénat par rapport à l'Assemblée nationale. Je ne le souhaite pas. (Applaudissement sur la plupart des bancs socialistes, du RDSE, UDI-UC et UMP, où fusent des bravos)

Mme Virginie Klès .  - Oui, limiter l'accumulation des mandats est un engagement du président de la République. Que le Gouvernement veuille le traduire en loi n'a rien d'une surprise. C'est d'ailleurs une nécessité, afin de dissiper certains clichés. Des textes adoptés par le Sénat ne sont pas allés au bout de leur parcours législatif. Le débat a lieu, tant mieux pour la démocratie, nous ne sommes pas en dictature ! Je respecte toutes les positions. Je n'adhère pas aux caricatures. La volonté de rénover le Parlement bicaméral est réelle et partagée. Quelques idées font consensus, dans mon groupe et au-delà. Oui, il faut interdire le cumul des indemnités et redonner à l'indemnité parlementaire sa mission.

Voix à droite.  - Elle est déjà plafonnée !

Mme Virginie Klès.  - Intégrons les mandats locaux intercommunaux. Préservons la spécificité de la représentation des territoires par le Sénat. Améliorons la qualité du travail du Sénat, évitons les conflits d'intérêts. Les objectifs sont partagés, les moyens pas toujours. Ce qui fait débat, c'est le lien avec le terrain. Faut-il ne plus avoir d'autres liens avec le terrain que ceux qui se nouent au sein des comités agricoles ou des associations ? Ce ne sont pas les plus exemplaires ni les plus significatifs.

Un mandat local n'est pas un mandat national. Un mandat de conseiller général n'est pas un mandat de conseiller municipal. Assimiler des mandats différents inquiète et surprend. Les sénateurs qui ne seront plus membres d'un exécutif local ne souffriront-ils pas d'un déficit d'image ?

M. Yves Daudigny.  - Excellente question !

Mme Virginie Klès.  - Attaquons-nous aux cumuls horizontaux qui heurtent peut-être davantage les parlementaires que nous sommes que les citoyens. Ne pourrait-on aller plus loin dans l'étude d'impact, pour évaluer les conséquences de ce texte, pour dissiper certaines des craintes qu'il suscite quant à la vocation du Sénat ? Comment lutter contre l'absentéisme, améliorer notre travail, moderniser notre Parlement ? La position de notre groupe n'est pas encore arrêtée... (Applaudissements sur certains bancs socialistes ; rires à droite)

Mme Mireille Schurch .  - La défiance des citoyens envers les élus n'a jamais été aussi forte, fondée sur un sentiment d'éloignement et d'abandon. Pour le contrer, il nous faut répondre à leurs aspirations à plus de transparence, de représentativité et d'égalité. Quatre-vingt pour cent des Français estiment que nous formons une caste attachée à ses privilèges. Le projet de loi donnera un souffle nouveau à la démocratie en favorisant l'entrée de femmes, de jeunes, d'ouvriers, d'employés, de Français issus de l'immigration.

Mme Corinne Bouchoux.  - Très bien !

Mme Mireille Schurch.  - Ici, nous avons une bonne marge de progression.

La diversification de la classe politique inquiète. Elle enrichira pourtant nos débats. La pluralité des expériences fait la force des élus.

Un parlementaire sans mandat exécutif local serait-il moins bon qu'un autre ? C'est le cas de 40 % des sénateurs. Une bonne connaissance du terrain est nécessairement acquise avant l'élection.

Les questions de politique nationale ne sont pas de la compétence des exécutifs locaux. Sans mandat exécutif local, nous pouvons mieux rendre compte de notre activité de législateur dans nos circonscriptions.

Le cumul entretient l'inégalité. Les maires n'ont pas les mêmes pouvoirs selon qu'ils seront ou non parlementaires. Certains citoyens sont donc mieux représentés que d'autres. Nous ne sommes pas là pour jouer les VRP de nos territoires !

M. Claude Dilain.  - Très bien !

Mme Mireille Schurch.  - C'est pourtant ce que l'on a vu lors du débat sur les métropoles. Voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, cela requiert du temps. Les contraintes qui nous enserrent rendent notre travail de plus en plus complexe. De même, les mandats locaux d'aujourd'hui exigent du temps. C'est avec du temps que le Parlement pourra être un contre-pouvoir au sens de Montesquieu.

Aucune fausse bonne raison n'est acceptable. La pétition comme le rejet du texte a déjà recueilli 100 000 signatures. Repensons notre action. En travaillant en équipes et en réseaux, nous serons plus efficaces.

Ce texte est une première étape indispensable pour rénover notre démocratie et restaurer la confiance de nos concitoyens. Nous devons à ces derniers une réponse claire et unanime.

Le groupe CRC, unanime, votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC, écologistes et quelques bancs socialistes)

M. Hervé Maurey .  - Je regrette que la gauche ait une nouvelle fois engagé la procédure accélérée sur ce texte, elle qui la décriait tant naguère. Il est vrai que cette procédure devient généralisée. Ce texte ne s'appliquera pourtant que dans quatre ans. Vous voulez écarter le débat et vous asseoir sur le Sénat, toujours considéré comme une « anomalie démocratique ». Monsieur le président Bel, comment l'acceptez-vous ?

En 2017, les socialistes devront enfin respecter leurs engagements de 2009... D'après L'Express, les plus grands cumulards siègent à gauche. Le parti socialiste nous demande de légiférer pour que ses élus respectent leurs promesses !

Pour tirer les conséquences de la décentralisation, que n'instaurez-vous un statut de l'élu ? Si vous le vouliez vraiment, vous ne réduiriez pas les dotations de l'État aux collectivités territoriales, vous ne lanceriez pas une réforme dangereuse, coûteuse, non concertée ni financée des rythmes scolaires.

Ce texte répondrait aux attentes des Français. Ils attendent plutôt la baisse du chômage...

M. Manuel Valls, ministre.  - Bien sûr !

M. Hervé Maurey.  - ... des impôts, de l'insécurité...

M. Michel Vergoz.  - Populisme !

M. Hervé Maurey.  - Votre position est démagogique. Les Français attendent plutôt la modernisation de la vie politique.

Je suis favorable à une limitation plus stricte du cumul. Il faudrait aussi prendre en compte les présidences d'EPCI : j'avais fait adopter un premier pas en 2010, sans grand soutien de la gauche. En revanche, comment penser que l'on ne puisse être parlementaire et adjoint au maire d'une commune de 150 habitants ou vice-président d'un syndicat scolaire gérant une école primaire en milieu rural ? Si le mandat parlementaire est une fonction à temps plein, pourquoi accepter le cumul avec une activité professionnelle ?

Il faudrait plutôt limiter le cumul dans le temps pour renouveler la vie politique. Les hauts fonctionnaires élus au Parlement devraient démissionner, comme dans les autres démocraties.

Pour renforcer la fonction de contrôle du Parlement, il faudrait donner aux parlementaires de nouveaux moyens, donc diminuer leur nombre.

Une expertise locale est précieuse pour exercer un mandat local. C'est d'ailleurs parce que nous exerçons un mandat local que nous connaissons les préoccupations de nos concitoyens.

Mme Hélène Lipietz.  - Croyez-vous vraiment les connaître ?

M. Hervé Maurey.  - Votre objectif inavoué est d'affaiblir le Sénat. Vous créez d'ailleurs un Haut Conseil des territoires pour le suppléer. Le Sénat a le tort d'être le dernier bastion de la ruralité et des territoires.

Le groupe UDI-UC ne votera pas ce texte en l'état. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Esther Benbassa .  - Tout ou presque a été dit sur le cumul des mandats. Selon le grand sociologue Abdelmalek Sayad, « Exister, c'est exister politiquement ». Notre système politique, où des pans entiers de la société ne sont pas représentés, les condamne à l'inexistence. Cornelius Castoriadis, écrivait quant à lui que le pouvoir était transféré du corps des citoyens au corps des représentants, qui veillent à le conserver. Le cumul des mandats sert aussi à cela : empêcher la fluidification, la diversification de la représentation.

Toujours aussi peu de femmes parmi les parlementaires, souvent d'anciennes assistantes... Et elles aussi, comme leurs collègues hommes, blanches, riches, éduquées, âgées de plus de 50 ans...

On aime parler de « diversité ». L'universalisme républicain fait pourtant abstraction des identités particulières. Le « clientélisme électoral » a bien des adeptes. Et l'on rend ainsi invisibles des minorités qu'on appelle pourtant « visibles ».

À l'Assemblée nationale, les progrès sont ténus. Au Sénat, nous, les élus de ces « minorités visibles », nous comptons sur les doigts d'une seule main. Le déséquilibre est patent, plus à l'UMP qu'au parti socialiste il est vrai. On prétend craindre de faire le jeu du Front national, ou que ces gens-là ne travaillent que pour leurs semblables...

Oubliées, les belles déclarations de 2005 au congrès du Mans du parti socialiste, selon lesquelles « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la population française ». (On ironise, à droite) Cela vaut aussi pour vous : effacées, les promesses faites en 2007 par l'UMP !

Pour y remédier, d'éminents sociologues préconisaient il y a plusieurs années déjà la fin du cumul des mandats.

Le groupe écologiste le votera, entre autres raisons parce qu'il peut donner un petit coup de pouce à la diversité en politique. Encore faut-il que les partis en aient la volonté... (Applaudissements sur les bancs écologistes et quelques bancs socialistes)

M. Gérard Larcher .  - Merci à MM. Bas, Zocchetto et Mézard d'avoir été si éloquents. Je parlerai de l'équilibre de nos institutions : c'est l'essentiel. Monsieur le ministre, je vous écoutais avec tristesse proclamer que vous respectiez ce débat. Eh bien, le non-cumul améliorera-t-il l'exercice des mandats nationaux et locaux ? Et quelles conséquences aura-t-il sur l'équilibre institutionnel ?

Le climat dans lequel baignent nos débats est délétère. J'ai horreur du mot « cumulard », qui rime avec « charognard ». (Applaudissements sur les bancs RDSE, UDI-UC et UMP)

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Gérard Larcher.  - J'ai vu des classements baroques. La vraie difficulté n'est-ce pas l'organisation de nos travaux, l'accumulation des textes, le manque d'intérêt de certains à l'égard de nos débats ? Pourquoi ne pas interdire toute activité professionnelle aux parlementaires ? C'était l'une des conclusions de la commission Jospin.

On veut des spécialistes, des bureaucrates de la représentation. Ce texte écartera encore plus du Parlement ceux qui ne bénéficient pas d'un emploi protégé. Plus de 55 % des députés sont issus des rangs de la fonction publique, qui ne regroupe que 25 % des actifs : ce n'est pas ainsi que l'on renforcera la diversité des représentants ! (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Les parlementaires deviendront progressivement hors-sol, et leur poids diminuera face à l'exécutif. Les collectivités ne se feront plus entendre à Paris.

La réforme porte atteinte au rôle constitutionnel du Sénat. Comment amender les textes pour les rendre mieux applicables dans les territoires ? Quelle légitimité pour un sénateur sans mandat local ? Quel sens y aura-t-il encore à confier au Sénat la première lecture des textes relatifs aux collectivités territoriales ?

On cherche encore à affaiblir la représentation des territoires ruraux, à renforcer le rôle des partis et de leurs apparatchiks. Cet affaiblissement programmé du Sénat et de la représentation des territoires n'ouvre-t-il pas la voie à un profond bouleversement institutionnel ?

M. Gérard Cornu.  - Ils n'aiment pas le Sénat ! (M. Manuel Valls, ministre, s'en défend)

M. Gérard Larcher.  - Tout cela eût mérité mieux qu'un débat bâclé. Méfions-nous donc de ne plus croire en nous-mêmes, en nos débats ! Croyons en l'importance du Sénat de la République ! (Applaudissements sur les mêmes bancs)

présidence de M. Charles Guené,vice-président

M. Yannick Vaugrenard .  - Je salue le travail du rapporteur.

M. Éric Doligé.  - Travail de nuit !

M. Yannick Vaugrenard.  - Le président de la République s'est engagé à mettre fin au cumul des mandats, pour moderniser notre vie politique. Respecter cette promesse, c'est conforter le suffrage universel.

Je regrette les attaques ad hominem de M. Mézard. Elles étaient inutiles à la force de son raisonnement. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche) Essayons de trouver ensemble la meilleure voie de la rénovation démocratique. Il n'y a pas d'un côté les « bons » sénateurs, qui seraient pour cette réforme et de l'autre les « mauvais », qui seraient contre.

La défiance des citoyens s'explique par la crise, mais aussi par la difficulté pour les élus de prendre des décisions judicieuses et efficaces dans un monde complexe et face à tant de contraintes. Le risque est aussi de voir l'administration, certes très compétente, prendre le pas sur les élus. Pour décider aujourd'hui, il faut plus de temps, plus de connaissances. C'est pourquoi notre démocratie doit évoluer.

Le cumul des mandats est une exception française. Son interdiction va dans le sens de l'histoire.

Mme Corinne Bouchoux.  - Très bien !

M. Yannick Vaugrenard.  - C'est le gouvernement Fabius qui imposa les premières restrictions, le gouvernement Jospin qui les renforça en 2000.

Nous n'avons pas toujours vocation à reconduire les traditions. Voter cette loi, c'est renforcer l'image du Sénat et non l'affaiblir.

M. Claude Dilain.  - Exact !

M. Yannick Vaugrenard.  - Cela exige aussi de moderniser le travail parlementaire. C'est cette belle ambition qui doit guider nos choix présents et à venir. (Applaudissements sur certains bancs socialistes, sur les bancs écologistes et CRC)

M. Yves Détraigne .  - Comment le Sénat pourrait-il représenter les collectivités territoriales, comme le veut la Constitution, s'il ne comprend plus de représentants des collectivités territoriales ? De simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux n'ont pas l'expérience nécessaire : ils n'auraient pas suffi à abattre le monstre technocratique du projet de loi sur les métropoles.

Les Français veulent des maires et des parlementaires à temps plein, dit-on. Pourquoi donc les grands électeurs ne font-ils pas ce choix ? Parce qu'ils ont du bon sens : le « grand conseil des communes de France » a vocation à accueillir des maires.

Sans vouloir personnaliser le débat, notre rapporteur est d'après L'Express un modèle de non-cumul. Quelle diligence en effet ne fut-elle pas la sienne, puisqu'il présenta son rapport le lendemain des auditions et ne proposa à la commission aucune modification du projet gouvernemental !

Quelle sera la valeur ajoutée du Sénat, si les sénateurs n'exercent plus de mandats exécutifs locaux ? L'organisation politique et administrative de la France n'est pas celle de ses voisins, beaucoup plus décentralisée alors que le pouvoir central est tout-puissant chez nous.

M. Manuel Valls, ministre.  - Et la Grande-Bretagne ?

M. Yves Détraigne.  - Cette loi votée, le Haut Conseil des territoires créé, le Sénat n'aura plus lieu d'être.

Ce projet de loi ne touche pas aux incompatibilités horizontales. De qui se moque-t-on ? Le renouvellement du personnel politique est sans doute une bonne chose. Et il est vrai que nos mandats sont devenus lourds. C'est le sens de nos amendements. Mais interdire tout cumul, ce serait affaiblir encore le Parlement face au Gouvernement. Cela, nous n'en voulons pas. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, du centre et à droite)

M. François-Noël Buffet .  - J'ai trouvé très indélicate, monsieur le ministre, la manière dont vous avez traité le Sénat, en proclamant que, l'Assemblée nationale ayant le dernier mot, l'affaire était pliée. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)

Souvenez-vous en 1995, tous les sondages estimaient, quelques mois avant l'échéance, la prochaine élection présidentielle jouée au détriment de M. Chirac. Philippe Séguin parlait même de l'inutilité d'aller voter, et c'est Jacques Chirac qui fut élu !

M. Manuel Valls, ministre.  - Le sens de cette comparaison m'échappe.

M. François-Noël Buffet.  - Vous êtes venu nous dire que le Sénat ne comptait pas. De la part du ministre chargé des collectivités territoriales, c'est insupportable.

Mon prédécesseur, M. Roland Bernard était maire de notre commune de 20 000 habitants, Oullins, et sénateur socialiste du Rhône. Quand il fut battu aux municipales, son parti lui a, pour ce motif, refusé l'investiture aux sénatoriales.

M. Labazée et moi-même avons rendu un rapport au nom de la Délégation aux collectivités territoriales. Nous y disions des choses simples que vous auriez pu prendre en compte, par exemple que le cumul des fonctions locales est bien plus insupportable que celui des mandats, qu'il existe des disparités entre les pouvoirs détenus et les indemnités. Certains élus, parce qu'ils ne déclarent pas leurs indemnités, échappent à l'écrêtement.

M. Michel Vergoz.  - Que faisait Sarkozy ?

M. François-Noël Buffet.  - Le dossier de L'Express ne tient pas la route. Il compare des choux et des carottes, de façon parfaitement populiste. Des élus plus disponibles, un agenda mieux organisé, des règlements des assemblées modernisés, voilà les objectifs qu'il aurait fallu poursuivre.

Ce projet de loi de circonstance n'est destiné qu'à vous faire gagner des voix. Ce n'est pas ainsi que l'on réformera les institutions de la République. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Vincent Eblé .  - L'interdiction du cumul est une véritable mutation démocratique, tant la spécificité française en la matière tranche avec les grandes démocraties voisines. Le cumul n'a cessé de progresser au cours de l'histoire de la République, alors que la défiance des citoyens, elle, ne cesse de croître. Voilà qui nous impose de réfléchir à une autre manière de concevoir la vie politique. La décentralisation a rendu plus complexe l'exercice du mandat local. Le mandat national n'est pas moins exigeant, nos agendas en témoignent.

M. Claude Dilain.  - Eh oui !

M. Vincent Eblé.  - Les lois de 1985 et de 2000, portées par une majorité de gauche, ont limité les possibilités de cumul. Il semble nécessaire pour nos concitoyens d'aller plus loin. C'est la volonté du président de la République et de nombre d'entre nous, en particulier à gauche. La gauche ne pouvait se fixer une règle pour elle-même : le cumul sera interdit entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif local et la loi sera la même pour tous.

C'est un fort changement que nous proposons, pour nos vies personnelles, pour nos vies politiques. Il s'inscrit dans une dynamique marquée par la réforme des collectivités territoriales, la parité dans les assemblées départementales ou l'élection au suffrage universel des représentants communautaires.

Ce projet de loi n'interdit nullement à un parlementaire de s'impliquer dans la dynamique d'une équipe locale ; mais il n'en sera plus l'animateur, quelle que soit la taille de la commune ou de l'EPCI. Une souplesse temporelle était nécessaire pour que chacun puisse s'organiser. Les mandats se succéderont au lieu de se cumuler. Nous aurons plus de temps pour exercer nos mandats, mais pas encore plus de moyens. Le travail que Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur ont esquissé sur le statut de l'élu doit se poursuivre. Si nous ne nous battons pas plus en tant que parlementaires pour davantage de moyens, c'est que nous puisons nos ressources dans nos exécutifs locaux.

Ces textes marquent une étape. Notre société, nos institutions ne sont pas figées. Le changement est nécessaire, réclamé par nos concitoyens. Nous articulerons mieux notre travail de parlementaire et le dialogue avec eux. Cette loi améliore l'image de la fonction parlementaire et participe à la rénovation de la vie politique. (Applaudissements sur les bancs écologistes et la plupart des bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Excellent !

M. Éric Doligé .  - Beaucoup de présents cumulent et beaucoup d'absents ne cumulent pas ! (Sourires) Monsieur Sueur, vous avez eu, dans notre département commun, du mal à cumuler ; sur le même territoire, les électeurs ont préféré que je cumule !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Vous êtes beaucoup plus fort que moi !

M. Éric Doligé.  - Le cumul, la transparence ont-ils la priorité des Français sur le chômage, la compétitivité, la fiscalité, la sécurité ? Voyez ce qui se passe à Nice, à Marseille ou dans nos quartiers : pas une banderole sur le cumul ! La République exemplaire du président de la République n'a pas empêché un ministre de fauter... Les malheurs des Français viendraient-ils du cumul ? Les médias se chargent d'en persuader nos concitoyens...

Il y a beaucoup d'arrière-pensées et d'hypocrisie. Loin de moi l'idée de nier les anomalies ou les abus mais on ne traite pas le fond du problème. Le parti socialiste a beaucoup péché en matière de cumul. Pourquoi est-il aussi radical dans ses propositions ? Y a-t-il quelques règlements de comptes en vue ? Le président de la République, qui cumula beaucoup, a-t-il été touché par la grâce ? Et vous, monsieur le ministre ? Tout cela me fait penser à ces joueurs invétérés qui se font interdire de casino...

Nous avons déjà entendu il y a quelques mois la chanson de l'exemplarité. Puis vint l'affaire Cahuzac, suivi par le débat sur la transparence. Face aux ras-le-bol en tous genres, il fallait à nouveau faire diversion, et voici le cumul.

La courbe du chômage, a assuré le président de la République, devait baisser avant l'été, puis avant la fin de l'année : belles promesses non tenues et intenables... Pôle emploi raye des chômeurs à tours de bras tandis que la courbe des emplois aidés peine à grimper. Le Sénat devrait diligenter une commission d'enquête sur le sujet... Emplois d'avenir qui n'ont d'avenir que le nom et contrats de génération imposés aux entreprises ne font plus illusion. L'interdiction du cumul y changera-t-elle quelque chose ? Les impôts ne devaient pas augmenter ; la pause évoquée est bien improbable ; dimanche, le président de la République l'a annoncée pour 2014, hier on nous dit d'attendre 2015... Chaque année, la facture énergétique coûte à la France près de 80 millions d'euros. Pourquoi ne pas exploiter l'huile et le gaz de schiste ? Le président de la République est paraît-il l'ami du président Obama, peut-être peut-il lui demander conseil... La fin du cumul chez les parlementaires y changera-t-elle quelque chose ?

Quant à l'insécurité, elle explose, en dépit des fortes déclarations faites à Marseille et répétées en boucle...

M. Manuel Valls, ministre.  - Elles ont été utiles !

Voix socialistes.  - Venez-en au sujet !

M. Éric Doligé.  - Absentéisme et cumul sont-ils l'apanage des parlementaires ? Beaucoup de citoyens cumulent. Dans toutes les associations, des présidents cumulent, de même les chefs d'entreprises dans les conseils d'administration, même chez nos amis les pompiers, les enseignants... Dans tous les domaines. Est-ce honteux ? Je ne le pense pas.

Pourquoi ne pas évoquer les élus non-parlementaires, qui cumulent parfois bien davantage que les parlementaires ? Pourquoi des élus de haut niveau, comme celui qui est devenu le président de la République, peuvent-ils bénéficier de détachements auprès des collectivités territoriales, pour parvenir au faîte de la hiérarchie administrative de la Cour des comptes, avec la retraite afférente, sans jamais y avoir mis les pieds ?

Puisque le Gouvernement a choisi de supprimer le cumul, je ferai dans le débat des propositions. Évitons de transformer ce débat en caricature des parlementaires. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Hyest .  - Ces textes font des parlementaires des boucs-émissaires. Je vous conseille de relire la fable Les animaux malades de la peste... Il y a une vraie crise de la représentation. Sa cause unique alléguée : le cumul des mandats. Nos concitoyens s'intéressent plus au cumul des indemnités qu'au cumul des mandats ; il faudrait s'attaquer au cumul des indemnités de certains barons locaux qui ne sont pas des parlementaires - j'ai quelques exemples en tête...

La décentralisation a alourdi les fonctions locales, dont certaines sont sans doute devenues peu compatibles avec celles de parlementaire. Certains se vantent de ne pas cumuler, mais je me méfie des repentis.

Je suis un affreux : j'ai cumulé des fonctions exécutives locales avec mon mandat de sénateur. J'ai toujours été frappé par la manière dont les questions locales sont abordées au Sénat, grâce à l'expérience de nos collègues. Les députés cumulent autant que nous. Mais leurs préoccupations ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres. Pour certains, seuls importent les mardis et mercredis de 15 à 16 heures.

La loi de 2000 a été votée en termes identiques par les deux assemblées...

M. Philippe Bas.  - Absolument.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Pourquoi ce cumul ? Parce qu'on a besoin d'implantation ! Et parce que l'on fait confiance aux élus reconnus localement pour accéder au mandat de parlementaire ; rien de scandaleux à cela, à condition qu'on ne cumule pas trop de fonctions, afin de pouvoir exercer pleinement chacune d'entre elles.

J'ai cosigné une proposition de loi interdisant le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions exécutives importantes, maire de grande ville, président de conseil général, président de conseil régional... Je crois que nous devons nous engager dans cette voie.

On brandit la perspective apocalyptique d'un abaissement du Sénat. Celui-ci n'est-il pas plutôt dû à l'absence de majorité au Sénat ces derniers mois ?

M. François Rebsamen.  - Avant aussi !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Le Sénat est législateur, comme l'Assemblée nationale, mais assure de surcroît la représentation des collectivités locales. On a abusé de la procédure accélérée...

Mme Hélène Lipietz.  - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest.  - ... ce qui a réduit à néant le dialogue entre les deux assemblées.

Souvenons-nous des vaines assurances qui nous furent données en 1995 sur la régulation du travail parlementaire. Avons-nous réellement progressé ? L'inflation législative s'est accrue, nous transformant en spectateurs de l'élaboration des lois. L'audition de Pierre Avril fut éloquente. Aucun des auteurs des rapports sur la modernisation de la vie politique, MM. Balladur, Attali, Jospin, n'ont exercé une fonction exécutive locale. Les communes, les départements sont menacés.

J'ai toujours défendu l'égale qualité du législateur du Sénat et de l'Assemblée nationale, je voterai néanmoins l'amendement sur la spécificité du Sénat, d'autant que sans doute - sans nul doute - le texte est une loi organique relative au Sénat, comme l'a brillamment démontré M. Bas. (Applaudissement au centre et à droite)

M. Gaëtan Gorce .  - J'ai l'impression d'entonner l'Arlésienne. Quel que soit mon respect pour Bizet et Alphonse Daudet, je ne suis pas mécontent que le Gouvernement mette un terme à une longue suite d'atermoiements. Il ne s'agit pas de moraliser la vie publique parce que nous n'avons pas à rougir de tenir notre mandat de la confiance de nos concitoyens - il suffirait d'interdire le cumul des indemnités. Le malaise civique est profond. Je regrette que la modernisation de nos institutions n'ait été évoquée qu'à la marge.

L'interdiction du cumul est-elle la réponse ? Oui et non. Oui, si on considère qu'il faut encourager le renouvellement et trouver une solution qui corresponde au temps. Le cumul est la conséquence de la centralisation de nos institutions. La décentralisation aurait dû y mettre fin, mais elle l'a accentué. Il a une autre cause : la dévalorisation du Parlement. Ce qui veut dire qu'il faut à la fois interdire le cumul et en finir avec l'insuffisance des moyens des assemblées pour exercer les pouvoirs de contrôle qui devraient être les leurs. Je souhaite que le président du Sénat se saisisse rapidement de cette question.

L'équilibre des institutions, le rôle du Sénat, sont-ils menacés ? Nullement. Sans doute y a-t-il quelque populisme chez les uns, mais j'observe aussi les effets d'une certaine démagogie parlementaire qui flatte les habitudes et refuse tout mouvement. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; M. Claude Dilain applaudit aussi).

Pourquoi le cumul, toléré pendant des décennies, est-il brusquement l'objet d'une telle réprobation ? C'est que le lien de confiance entre nos concitoyens et les parlementaires s'est affaibli. Son renforcement passe par l'interdiction du cumul ou encore la transparence des patrimoines - je regrette sur ce dernier point la position de l'Assemblée nationale.

Nous avons tous le souci d'incarner la République dans ses valeurs les plus hautes. Ce n'est pas qu'une affaire de loi, mais de conscience. Avançons pas à pas et allons un peu plus loin, monsieur le ministre. Oui, le changement est nécessaire. Dans ce domaine, le changement, c'est maintenant. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Hugues Portelli .  - Ce texte aurait pu être fondateur. Ce n'est pas le cas, hélas, puisque l'objectif réel n'est pas celui qui est affiché. Interdire le cumul ne règle pas le problème. Il faut distinguer cumul des mandats, cumul des fonctions, cumul des indemnités. On crée sans cesse de nouveaux mandats, de nouvelles fonctions. Aux communes, départements et régions on ajoute des nouveaux établissements publics, des métropoles... Demain la distinction entre communes et EPCI ne tiendra plus. Arrêtez ! Ou si vous en créez, supprimez-en d'autres ! Nos concitoyens s'intéressent surtout au cumul d'indemnités. C'est là qu'il fallait porter le fer. On ne l'a pas fait.

Alors quel est l'objet de ce projet de loi ? Je pense qu'il s'agit d'abord de mettre à bas une certaine façon de faire de la politique ; traditionnellement, on commençait par s'engager dans la vie locale, on devenait élu local, puis maire, conseiller général, parlementaire, voire président de la République... C'était le cursus honorum habituel. Cumuler, c'était se donner les moyens de résister au préfet ou au ministre. C'est toujours le cas, la France ne sera jamais l'Allemagne ou l'Italie. Et ce système a sa cohérence électorale avec le scrutin uninominal majoritaire. Cette conception, dont le Sénat est le fleuron, est ici battue en brèche d'abord par celle des fonctionnaires des partis - mais chez nos voisins, les partis politiques ont beaucoup d'adhérents...

M. Philippe Bas.  - Très intéressant !

M. Hugues Portelli.  - ... ce qui n'est pas le cas en France. L'autre conception est celle des hauts fonctionnaires. Le général de Gaulle voulait une république servie par des hauts fonctionnaires neutres. Il n'avait pas prévu que ces derniers feraient de la politique ; ce sont eux qui aujourd'hui mènent le combat contre les représentants de l'ancienne classe politique dont nous sommes. Le Sénat, c'est le bastion de la politique à l'ancienne.

Mme Corinne Bouchoux.  - ça, c'est vrai.

M. Hugues Portelli.  - Alors il faut l'abaisser. La légitimité des sénateurs tenait au fait qu'ils étaient élus locaux ? Ils ne le seront plus. La proportionnelle les fera nommer par les partis. Et la boucle est bouclée ! (Applaudissements à droite) Voilà l'objet réel de ce texte.

Il y aura d'un côté des élus nationaux dont le destin sera de plus en plus lié à l'élection présidentielle. Qui a résisté aux vagues bleue et rose de 2007 et 2012 ? Les députés qui étaient des élus locaux ! Les sénateurs deviendront des figurants. De l'autre, il y aura une classe politique locale atomisée.

Je suis plutôt pour le cumul, mais le vrai ; il suppose que l'on limite le nombre de collectivités, que l'on crée un pouvoir local tel que personne ne pensera plus à cumuler. À quoi doit s'ajouter une réforme de la représentation nationale, y compris au Sénat. Je suis minoritaire sur ce point. Je n'ai jamais défendu un système vieux de deux siècles. Mais on veut le remplacer par un système pire encore. Il n'est pas possible de conserver les pouvoirs du Sénat sans la légitimité de la représentation territoriale. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)

M. Yves Daudigny .  - Je suis socialiste. Je soutiens l'action du Gouvernement de Jean-Marc Ayrault pour redresser la France.

M. Rémy Pointereau.  - Cela va mieux en le disant !

M. Yves Daudigny.  - Mais je combats le projet de loi.

J'assume sans honte le cumul (« très bien ! » à droite) entre mon mandat de parlementaire et celui de président de l'assemblée départementale de l'Aisne, fruit de scrutins transparents. Il arrive que dans l'isoloir l'électeur souhaite ce que le citoyen regrette dans les sondages...

J'ai beaucoup de respect pour les collègues qui font le choix de ne pas avoir de mandat local (« très bien ! » sur les bancs écologistes) comme pour ceux qui font un autre choix. (« Très bien » à droite) Je ne renie pas plus de trois décennies d'engagements locaux et nationaux, d'une vie politique construite sur le travail, des compétences acquises par l'expérience, le dialogue et la confiance.

Pierre Avril devant la commission des lois affirmait que l'on ne peut s'affranchir de la spécificité du Sénat qui résulte de l'alinéa 4 de l'article 24 de la Constitution, dont l'interprétation n'est certes pas tranchée.

Un sénateur doit-il être implanté localement ? Ma position est celle du libre choix. Les avocats Mignard et Mendes Constante écrivaient en juin 2010 que le non-cumul décapiterait le Sénat.

M. Antoine Lefèvre.  - Oui !

M. Yves Daudigny.  - De nombreux experts, comme Patrick Weil, ont pointé l'incontestable contrepoids que représente le cumul des mandats face à l'extrême concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République.

Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, le Sénat n'a de légitimité que s'il ne fait pas doublon avec l'Assemblée nationale. Prenons garde à ne pas nourrir les populismes qui prospèrent dans l'antiparlementarisme. Les parlementaires, comme d'autres élus, fondent leur action sur des idéaux et des valeurs. Pour Montesquieu, « la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir ».

J'ai la conviction que ce texte est porteur pour le Sénat d'un exercice démocratique dégradé. Je ne pourrai le voter en l'état. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Nous avions prévu une réunion de la commission des lois à 19 h 30 pour examiner les amendements au texte sur les métropoles.

M. Éric Doligé.  - Urgence !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Non, nous sommes dans les délais. Cette réunion sera reportée de trois quarts d'heure.

Mme Caroline Cayeux .  - Ces projets de loi posent de sérieux problèmes, tout particulièrement à l'égard du respect du rôle des sénateurs. Ils sont inadaptés aux réalités que nous connaissons sur le terrain et altèrent le bon fonctionnement de notre démocratie. Ils coupent les partis politiques en deux et la commission des lois les a rejetés.

La proposition 48 du candidat Hollande s'impose à vous, monsieur le ministre, comme un dogme. Est-il si urgent pour nos concitoyens qui paient de plus en plus d'impôts, souffrent de plus en plus de l'insécurité et du chômage ?

Est-il bien raisonnable, alors que vous allez supprimer des milliards d'euros de ressources aux collectivités territoriales dans les années qui viennent, de multiplier le nombre des élus comme je le constate en Picardie ?

Ce projet de loi me fait penser à du bricolage. Il eût été plus sage de préparer un vrai et grand statut de l'élu local, qui donne à tous les Français l'envie d'être élus.

Vous qui avez été député-maire, vous savez bien, monsieur le ministre, que les parlementaires élus locaux ne cumulent pas leurs indemnités, mais seulement leurs compétences, leurs responsabilités et leur efficacité.

M. Gérard Longuet.  - Très bien !

Mme Caroline Cayeux.  - Aujourd'hui que je suis parlementaire, Beauvais est entendue et respectée.

Mme Hélène Lipietz.  - Est-ce normal ?

Mme Caroline Cayeux.  - Un parlementaire doit être autorisé à exercer une fonction exécutive locale. C'est le fondement du mandat sénatorial. Vous allez au contraire créer deux catégories d'élus et couper le lien entre pouvoir central et territoires. Vous allez vous priver de l'expertise du Sénat, composé d'élus, élus par d'autres élus qui leur ont fait confiance. Oui, il faut favoriser le cumul !

Victor Hugo disait : « Je préfère la conscience à la consigne ». Faites ce choix, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Michel Teston .  - Le rapport Buffet-Labazée et l'étude de législation comparée de juillet 2012 montrent que la proportion de parlementaires qui cumulent ne dépasse pas 20 % dans la plupart des pays européens, contre 83 % des députés et 78 % des sénateurs en France.

Étant donné la défiance des citoyens envers les élus, il est urgent d'agir. Ce texte reprend les principales suggestions de la commission Jospin. Les députés ont élargi l'incompatibilité aux fonctions dérivées des mandats locaux et encadré encore plus strictement le cumul d'indemnités.

Certains collègues évoquent le lien nécessaire avec les territoires et le rôle spécifique du Sénat. Je ne doute pas de leur sincérité. En revanche, leur argumentation ne me paraît ni solide juridiquement, ni opportune politiquement.

Si le régime des incompatibilités des sénateurs et des députés est le même, ce n'est pas par hasard. Et si le Conseil constitutionnel changeait sa jurisprudence sur l'article 24, ce serait ouvrir la voie à la relégation du Sénat...

M. Yann Gaillard.  - C'est déjà fait !

M. Michel Teston.  - ... le cantonner aux questions locales comme dans certains pays voisins.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Qui sont fédéraux !

M. Michel Teston.  - Au plan politique, des mesures spécifiques au Sénat sont inopportunes. L'existence du Sénat est moins contestée qu'il y a une quinzaine d'années, grâce à sa rénovation. Un traitement spécifique pour les sénateurs détériorerait fortement son image.

M. Philippe Bas.  - Voilà bien les ravages de l'obsession sondagière !

M. Michel Teston.  - Ce texte n'instaure d'ailleurs pas le mandat unique. Je le voterai, car il est nécessaire, et proche de ceux que j'avais déposés en 2006. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Charon .  - MM. Philippe Bas et Gérard Larcher ont brillamment montré les dangers de ce projet de loi, de même que les présidents Mézard, Zocchetto et Rebsamen.

Ce texte est excellent... pour le parti socialiste (sourires à droite) et la gauche, qui s'offrent une réforme facile et populaire, et qui flattent ainsi la fibre poujadiste qui sommeille en chaque Français. Excellent pour le président de la République à qui il offre une image de fermeté, en résistant à une majorité récalcitrante, après tant d'atermoiements et de renoncements. Excellent pour le Premier ministre et son Gouvernement, puisque ce projet de loi pourra investir des apparatchiks dociles.

M.Jean-Jacques Mirassou  - Occupez-vous donc de l'UMP !

M. Pierre Charon.  - Excellent pour la république des camarades, ceux de la rue de Solférino ; n'importe lequel d'entre eux pourra être placé en tête de liste !

Excellent pour les officines d'influence de la gauche, qui pourront promouvoir leurs réformes absurdes - comme celle de la justice, inspirée par le Syndicat de la magistrature, ou celle de l'école, voulue par les syndicats d'enseignants - sans que les parlementaires puissent faire entendre la voix du peuple.

M. Gaëtan Gorce.  - Parlez-nous du peuple, avec Sarkozy !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Le peuple du XVIe arrondissement de Paris !

M. Pierre Charon.  - Sans doute eût-il été utile d'interdire le cumul aux maires de très grandes villes. Les maires d'arrondissement, en revanche, ne peuvent être considérés comme des maires de plein exercice. Mme Hidalgo craint-elle de ne pas avoir les coudées franches avec des maires d'arrondissement parlementaires ?

Faites élire le maire de Paris par les Parisiens eux-mêmes, et la question du cumul ne se posera plus. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Claude Dilain .  - La passion n'empêche pas le respect, et c'est en débattant sereinement que le Sénat se grandira.

Je ne parlerai ni de la disponibilité des élus ni des indemnités, écrêtées, - on pourrait se contenter d'en interdire le cumul.

M. Gérard Longuet.  - Tout travail mérite salaire.

M. Claude Dilain.  - Mais réfléchissons. Qui est le mieux placé pour représenter les collectivités territoriales ? Les élus locaux. Un maire acquiert l'expérience nécessaire. Un parlementaire peut l'avoir été avant son élection. Mais on ne devient pas amnésique en entrant au Sénat ! Je me souviens des années que j'ai passées en tant que maire de Clichy ! Monsieur Portelli, vous avez parlé du cursus honorum : on quittait alors une fonction pour en occuper une autre !

Un conseiller municipal ne connaîtrait pas la population, ses problèmes ? Certains conseillers les connaissent mieux, oserais-je le dire, que le maire lui-même plongé dans ses dossiers ? (Protestations sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)

M. Raymond Vall.  - C'est nul !

M. Claude Dilain.  - Les élus locaux seuls seraient « enracinés » dans le territoire. Et un médecin, un enseignant ? J'ai cumulé pendant seize ans mes fonctions de maire... et de pédiatre libéral à Clichy-sous-Bois. Ces deux expériences ont été précieuses, et elles me servent encore aujourd'hui.

Les élus locaux n'ont pas le monopole de la défense des territoires ! Oui, il faut des élus locaux au Sénat, mais pas seulement !

On n'évoque guère le conflit entre le pouvoir exécutif local et le pouvoir législatif national. Lisez nos débats : beaucoup d'entre nous ne défendent que leur collectivité territoriale ! Certes ils sont élus pour cela mais nous faisons la loi pour tous les Français et nous ne pouvons laisser dire que « seul ce qui est bon pour ma ville est bon pour la France ».

Olivier Beaud nous a expliqué qu'il faut des « barons locaux » pour constituer un contre-pouvoir. Croyez-vous que nos concitoyens veulent de tels contre-pouvoirs ? En conscience et non par consigne, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Manuel Valls, ministre .  - Nous reviendrons sur tous les arguments échangés au cours des prochaines heures. D'autres sujets intéressent les Français ? Sans doute. Mais quid des questions d'actualité au Gouvernement ? Voulez-vous interdire toutes sortes de débats au Parlement en temps de crise ?

Oui, les effets de ce texte seront importants, et il faut les anticiper.

Beaucoup défendent une spécificité sénatoriale... donc la fin du cumul pour les députés. J'ai vécu la double fonction de maire et de député. J'ai changé d'avis, je l'assume. Le non-cumul n'est pas un diktat de Mme Aubry, c'est la volonté des militants socialistes, c'est une idée qui s'est imposée à nous et qu'ont portée tous les candidats à la primaire et qui est devenue un engagement du candidat.

Le problème n'est pas personnel, monsieur Mézard, mais politique. Je n'ai jamais parlé de « cumulards ». Je sais quelle est l'implication des élus locaux. Je connais la connotation négative de ce terme et je ne jette l'opprobre sur personne...

Je sais qu'il peut être douloureux de renoncer à un mandat local puisque le président de la République a mis fin au cumul des fonctions ministérielles et exécutives locales. Mais c'est la conséquence de trente ans de décentralisation : nous ne sommes plus sous la IIIe République.

Le mot apparatchik est déplacé. Aucun sénateur ne mérite le mépris. Tous sont élus et les électeurs ont le choix.

Monsieur Mézard, je connais M. Sutour depuis bien plus longtemps que vous, et vos propos ne correspondent pas à la réalité. C'est parce qu'il avait l'expérience de terrain qu'il a été élu. Évitons les mots blessants. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La procédure accélérée s'explique par la nécessité de ne pas laisser les électeurs dans l'incertitude lors des municipales. Le texte sera promulgué avant ces élections, même s'il ne peut s'appliquer dès 2014 pour les raisons constitutionnelle et politique que j'ai évoquées.

Respectons les partis politiques, qui eux aussi participent à la formation de la volonté générale : la Constitution le dit. Les mettre en cause, c'est cela le populisme !

Rien dans la Constitution ne justifie qu'on réserve un traitement particulier au Sénat. Les mêmes incompatibilités s'appliquent depuis fort longtemps aux députés et sénateurs. Le Sénat assume, selon l'article 24 de la Constitution, la représentation des collectivités territoriales. Pour le Conseil constitutionnel, cela implique que les collèges électoraux soient constitués essentiellement d'élus locaux, voilà tout.

Sénateurs et députés exercent les mêmes compétences et doivent donc être également disponibles. La rénovation du fonctionnement parlementaire a concerné les deux assemblées.

Le Sénat aurait un droit de veto sur cette réforme ? Non. Le projet de loi présenté par le gouvernement Jospin en 1998 avait achoppé en raison du refus du Sénat. Mais depuis 2009, la jurisprudence du Conseil constitutionnel considère qu'est « loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Tel n'est pas le cas d'une loi dont les mêmes dispositions concernent les deux assemblées » ajoute le commentaire de sa décision du 12 avril 2011. C'est l'aboutissement d'une évolution de sa jurisprudence.

Même si je souhaite que vous adhériez à cette réforme, le vote du Sénat n'est donc pas nécessaire. (M. Philippe Bas s'exclame)

Je respecte le Sénat et je suis ici pour vous écouter. Je vois le risque que vous courez : prêter le flanc à la critique et à la caricature.

M. Rémy Pointereau.  - Et alors ?

M. Manuel Valls, ministre.  - Je vois bien, quant à moi, la qualité du travail du Sénat. Je connais aussi son histoire. Je sais que c'est lui qui, au début du siècle passé, opposé au droit de vote des femmes a même refusé d'en discuter. C'est aussi pour préserver l'image du Sénat que je vous demande de voter ce texte.

Vous réclamez d'autres réformes : c'est donc que vous avez conscience de la nécessité d'évoluer.

Le Gouvernement est déterminé à aller jusqu'au bout. Merci à tous pour la qualité de vos arguments. (Applaudissements sur de nombreux bancs socialistes ; Mme Jacqueline Gourault et M. Michel Mercier applaudissent aussi)

La discussion générale est close.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - M. Mézard et les membres du RDSE ont déposé une motion tendant à renvoyer le texte en commission. Celle-ci va l'examiner lors de la suspension. Si la motion était adoptée en séance publique à la reprise de nos travaux, la commission des lois se réunirait donc de nouveau.