Techniques biométriques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à limiter l'usage des techniques biométriques.

Discussion générale

M. Gaëtan Gorce, auteur de la proposition de loi .  - Pourquoi cette proposition de loi ? Pourquoi donner le sentiment de s'opposer à cette évolution inéluctable qu'on appelle encore le progrès ? Pourquoi obliger chacun à continuer à mémoriser un code, utiliser une carte, acheter un ticket ? Le texte n'aborde pas ces questions par le biais de la protection des libertés individuelles, même si on peut par exemple s'interroger sur le fait que l'interopérabilité des systèmes pourrait conduire à une mise sous profil de tous nos concitoyens. Je n'oublie pas la rigueur de notre législation ni les travaux menés par le Sénat sur ce sujet.

Mais trois problèmes devraient être débattus. Le premier a trait à l'ampleur du changement technologique que nous vivons. La machine à vapeur ou la machine à tisser ont mis des décennies à modifier les modes de vie. L'électricité l'a fait à l'échelle d'une vie. Avec la révolution numérique, le changement technologique se fait à un rythme inédit : ces vingt dernières années, autant d'innovations qu'au cours du XXe siècle ; au rythme actuel, le XXIe siècle connaîtra autant d'innovations que toutes celles qu'a connues l'humanité depuis que la civilisation s'est organisée. Nous avons parfois le sentiment d'être moins à l'initiative du changement que produits par lui. Les créations, les créatures, produits par la technologie pourraient nous échapper. Quelle société voulons-nous ? La question est posée.

La deuxième raison tient à la nature du changement. Depuis quelques décennies, elle touche non plus aux organisations, mais à la personne. Les données personnelles sont traitées à des fins commerciales, de renseignement ou de police. Mais la biométrie touche au corps lui-même, à l'intimité de la personne. Or peu de protections existent : rien n'encadre les critères selon lesquels la Cnil en autorise les usages, de sécurité comme de confort. En quelque sorte, il en va de l'objectivation de la personne.

Qu'est-ce qui justifie la banalisation de ces pratiques ? On les utilise pour accéder au restaurant scolaire... N'y a-t-il pas un risque de mesurer la personne par ces seuls critères ? N'y a-t-il pas là le risque d'un changement profond de notre société ? Nos assemblées doivent en débattre tant les implications économiques, sociales mais aussi philosophiques sont lourdes. Apple développe un téléphone opéré par empreinte digitale ; Facebook travaille sur un système de reconnaissance faciale pour améliorer le profilage de ses utilisateurs à des fins commerciales ; n'aurait-on plus le droit d'hésiter, le droit à l'imprécision, à l'erreur, à l'errance, au secret ?

Cette proposition de loi fixe comme butoir l'exigence majeure de sécurité, qui doit dépasser le pur intérêt commercial.

Je sais que nous nous exposons à des critiques. Nonobstant, notre Haute Assemblée n'est-elle pas dans son rôle quand elle examine ces questions avec patience et impartialité ? Lorsqu'elle rappelle que la société n'est pas là pour répondre aux modes ou à la loi du marché, mais défendre les valeurs auxquelles elle est attachée ? (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Une réflexion profondément humaniste !

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois .  - Parce que la biométrie embrasse l'ensemble des procédés qui identifient un individu à partir de ses caractéristiques physiques, physiologiques, mais aussi comportementales ; parce ces données sont produites par le corps et sont par conséquent immuables ; parce que les catégories pour classer ces techniques évoluent, la réflexion à laquelle nous invite M. Gorce est particulièrement opportune. Le Sénat doit se donner une doctrine.

3

La loi du 6 août 2004 soumet le traitement des données biométriques à un régime d'autorisation préalable. La France s'est dotée d'un des régimes les plus protecteurs en la matière, mais sans que le Parlement se soit prononcé sur la pertinence des usages des techniques biométriques, laissant toute latitude à la Cnil. De 2005 à 2012, celle-ci a distingué les techniques biométriques à traces et sans traces ; à partir de 2013, elle a pris conscience de la faiblesse de cette classification. Il faut en effet envisager désormais la biométrie de sécurité, la biométrie de service ou de confort et les expérimentations, tests et recherches menés par les laboratoires. Adaptant ses exigences aux finalités de chaque traitement, la Cnil ne s'autorise pas à juger de leur pertinence.

Or l'usage de la biométrie se banalise et se répand. Cette proposition de loi peut être la première pierre de la réflexion sénatoriale. M. Gaëtan Gorce s'interroge sur la légitimité de certains usages, comme celui filtrant l'accès dans les cantines scolaires ; la biométrie de confort n'est guère rassurante - les parents ont-ils vraiment le choix ? Le texte complète la loi du 6 janvier 1978. Elle conditionne l'autorisation du traitement des données biométriques par la Cnil à une stricte nécessité de sécurité. Elle n'inclut pas les activités exclusivement personnelles, comme l'ouverture d'un iPhone par reconnaissance digitale ou faciale - cela mériterait pourtant qu'on s'interrogeât.

C'est au législateur de se prononcer sur les usages légitimes de la biométrie ; or, le Gouvernement devrait déposer un projet de loi sur les libertés numériques. De son côté, le Conseil de l'Europe est en train de réviser la convention 108 relative à la protection des personnes au regard des traitements automatisés des données personnelles.

S'il faut promouvoir un usage raisonné des techniques, comment articuler cette proposition de loi avec le règlement européen à venir qui sera d'application directe ? La résolution législative du Parlement européen du 12 mars 2014 interdit le traitement des données biométriques - avec des exceptions, en particulier si la personne y a consenti, à moins qu'une disposition nationale y fasse obstacle.

Plutôt que la notion de « stricte nécessité de sécurité », imprécise, retenons celle d'intérêt excédant l'intérêt propre de l'organisme, introduite par une communication de la Cnil de 2007. Enfin, prévoyons un dispositif transitoire.

En commission, nous avons beaucoup débattu de l'article premier. Apaisons le débat : l'expression « intérêt excédant l'intérêt propre de l'organisme » doit se comprendre comme mettant en jeu l'intérêt supérieur. N'est-ce pas le cas pour le recours à la biométrie dans les transactions financières ? Le grief d'imprécision qu'on m'a fait ne tient pas : voyez la délibération de la Cnil du 28 décembre 2007.

Deuxième difficulté, l'expression « préjudice grave et irréversible ». À mon sens, elle doit être mentionnée. Si je n'avais plus accès à mon « nuage », parce qu'un hacker a usurpé mon identité, je perdrais une partie de moi-même.

Je vous invite à adopter le texte élaboré par la commission à l'unanimité. (Applaudissements)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique .  - Nous voici à l'interface de l'ancien et du nouveau. Cicéron disait : « si le visage est le miroir de l'âme, les yeux en sont les interprètes ». Oui, le corps a un sens. C'est sans doute pourquoi les Massaï de Tanzanie refusent d'être photographiés par crainte qu'on vole leur âme...

Selon une récente étude du Credoc, les Français acceptent le recours à la biométrie quand la sécurité l'exige pour la délivrance de pièces d'identité, par exemple : moins de 30 %, en revanche, en veulent pour les transactions financières. Paradoxal alors qu'ils sont très friands d'innovation.

Si la France a l'un des régimes les plus protecteurs, la loi de 1978 ne précise pas les usages de la biométrie, sujet fondamental s'il en est puisqu'il touche à l'intégrité du corps, à la dignité humaine... L'esprit du code civil doit nous guider dans ce débat que M. Gorce a ouvert.

Les réticences devant l'usage des données biométriques s'accroissent à mesure de l'évolution des technologies. Cette technologie peut pourtant être utile pour éviter les usurpations d'identité au moyen de terminaux biométriques. La France est également à l'avant-garde de la crypto-biométrie, ne bloquons pas ces recherches et innovations. Quant à la reconnaissance digitale pour accéder à un téléphone portable, elle relève de l'exception domestique.

Autre exemple : faute de recensement, les élections au Mali ont été rendues possibles en quelques mois grâce à la biométrie, l'état civil ayant disparu lors de la guerre. Voulons-nous, comme aux États-Unis où je me rends prochainement, conserver les données relatives aux empreintes digitales prises à l'entrée sur le territoire pendant 75 ans ? Cela incite certains à des mutilations, se brûler les doigts pour passer les frontières... Enfin, le risque est grand chez les jeunes de l'accoutumance à la biométrie de confort... Autant d'usages différents, autant de cas à prendre en compte avant de légiférer. Je regrette que ce texte ne comporte pas d'étude d'impact économique. Il eût fallu en effet analyser les conséquences de cette nouvelle législation sur la confiance numérique. La donnée, la data, on a coutume de le dire, sera le pétrole du XXIe siècle.

Le rapporteur a fait des propositions intéressantes, tout à fait conformes à la jurisprudence de la Cnil. La biométrie peut être utilisée pour l'accès à des locaux ou à un restaurant non pour le contrôle des horaires. L'interdire pour les mineurs me semble tout à fait justifié, on peut s'interroger également sur son usage dans les lieux publics comme les piscines.

J'aurais également aimé que le texte s'accompagne d'une analyse des risques et d'une évaluation d'impact sur la vie privée. Une collaboration avec la Cnil ou l'Anssi serait utile.

Le Gouvernement, saluant le travail des parlementaires, souhaite fixer des principes clairs pour guider le travail des autorités indépendantes sans pour autant freiner l'innovation biométrique. Il vous proposera un amendement pour clarifier les finalités des usages de la biométrie et la notion d'« intérêt excédant l'intérêt propre de l'organisme ».

Si vous en êtes d'accord, je propose un groupe de travail pour affiner la rédaction de la proposition de loi entre son adoption au Sénat et son examen à l'Assemblée nationale. Affirmons notre tradition française de protection des données sans freiner l'innovation. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

Mme Virginie Klès .  - Beaucoup a déjà été dit... Ce qui est surprenant, est la perception et la connaissance qu'ont les Français de la biométrie. Ils craignent son détournement à des fins commerciales, mais font confiance aux services de sécurité tout en étant largement inconscients de toutes les traces biométriques que nous laissons partout malgré nous - telles les phéromones.

Acceptation, crainte, rejet, ignorance, c'est un mélange de tout cela. Raison pour laquelle il importe, pour le législateur, d'expliquer la biométrie, toutes ces traces de notre corps qui peuvent être stockées à notre insu dans des bases de données. On parle beaucoup de génétique mais les Français savent-ils que la biométrie recouvre, par exemple, notre manière de taper sur un clavier d'ordinateur ?

Rendons-nous compte, la reconnaissance faciale est désormais classée parmi les techniques « traçantes ». La frontière entre ces dernières et les techniques « non traçantes » se déplace.

C'est vrai, les techniques biométriques servent à lutter contre les usurpations d'identité. Revenons pourtant à nos débats sur la carte d'identité électronique et distinguons un stockage permanent des données, qui peut être détourné à des fins malveillantes, d'un stockage limité.

La biométrie, ce n'est pas seulement l'ADN ou les empreintes digitales ; c'est tout ce qui signe notre passage.

Le groupe socialiste suivra M. Gorce tout en étant conscient que la réflexion sur le numérique doit se poursuivre, qu'il ne faut pas bloquer l'innovation et la recherche, qu'un projet de loi sur les libertés numériques viendra bientôt. Faisons donc ce premier pas ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Fortassin .  - À l'heure de l'essor de la biotechnologie et de l'informatique, la biométrie, qui va de l'ADN à l'empreinte digitale ou palmaire en passant par la reconnaissance faciale, entre autres, doit entrer dans notre droit. Le risque tient à la banalisation de ces usages. Le 18 juin 2009, la Cnil a autorisé l'enregistrement de données telles que le contour des yeux pour lutter contre la fraude aux examens ; la biométrie sert aussi maintenant pour les cartes de fidélité, l'accès aux clubs de sport... On pourrait l'imaginer pour le don d'organes.

Cette multiplication des usages s'explique en grande partie par la souplesse de la jurisprudence de la Cnil, laquelle procède par décision-cadre ou autorisation unique. Résultat, il est désormais question de reconnaissance digitale pour accéder à son Smartphone selon un système qui a déjà été piraté. Les débordements sont réels : entre décembre 2012 et janvier 2013, la NSA a récupéré plus de 60 millions d'enregistrements de données téléphoniques...

La proposition de loi de M. Gorce, qui restreint le traitement de la biométrie à des situations de stricte nécessité, suscite quelques réserves. Elle arrive trop tôt parce qu'un règlement européen, en cours d'élaboration, sera bientôt d'application directe et que le Gouvernement proposera un projet de loi sur les libertés numériques.

Sous ces réserves calendaires, le groupe RDSE approuvera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Esther Benbassa .  - Les données biométriques ne sont pas des données comme les autres : elles permettent le traçage des personnes et leur identification certaine. Elles nécessitent, par conséquent, un contrôle, un encadrement, d'autant que la frontière entre public et privé s'estompe sur internet. Nous attendons avec impatience, à cet égard, le projet de loi sur les libertés numériques.

En ce domaine comme dans d'autres, tout est question de mesure : il faut protéger sans freiner l'innovation en laquelle la France est leader.

Au reste, penser que le verrouillage est possible est déraisonnable... Mais faut-il utiliser la biométrie pour l'accès des enfants au restaurant scolaire ou à la piscine ? Le groupe écologiste ne le pense pas.

Comme le déclarait Axel Türk en 2011, il faut sensibiliser les individus et les juristes et intervenir parce que « dans vingt ans il sera trop tard ».Oui, il faut compléter la loi du 6 janvier 1978 pour poser des garde-fous en conditionnant l'usage de la biométrie à une stricte nécessité de sécurité et à un souci de proportionnalité entre le but recherché et la technique utilisée. C'est s'inscrire dans le droit fil des travaux du Conseil de l'Europe dont la convention n°108 révisée invite, en son article 8 le législateur à encadrer ces usages.

Le groupe écologiste, très attaché à la protection de la vie privée, du corps humain et des libertés individuelles, soutiendra ce texte à condition qu'il n'entrave pas l'innovation. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yves Détraigne .  - Ce texte témoigne une nouvelle fois de la volonté du Sénat de défendre les libertés individuelles. Lui qui est souvent critiqué, est pourtant le premier à avoir défendu la vie privée dans les années soixante-dix. La proposition de loi, issue du rapport d'information de Mme Escoffier et moi-même, adoptée par le Sénat le 23 mars 2010, n'a malheureusement pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale jusqu'à présent.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Hélas !

M. Yves Détraigne.  - Si l'on imagine encore mal les conséquences d'un détournement massif des données biométriques, ces dernières sont trop précieuses pour que le législateur n'encadre par leur usage. Le régime actuel de régulation de ces activités, issu de la loi de 2004, n'est plus adapté ; M. Gorce le note avec raison dans son exposé des motifs. La Cnil, si elle est indépendante, n'est pas toute puissante : elle n'a pas les moyens de contrôler ces usages croissants. Les données biométriques, si elles ne se confondent pas avec le corps, en sont le prolongement. Dès lors, l'article 34 de la Constitution s'applique : charge au législateur de fixer les règles.

Deux voies s'offraient à nous : renforcer les pouvoirs d'intervention de la Cnil a posteriori ou contrôler le phénomène en amont. Le rapporteur a bien fait de proposer un statut de la biométrie et une liste des usages. Au-delà de ce satisfecit, je salue l'initiative de M. Gorce en espérant que nous parviendrons à traduire dans la loi l'équilibre trouvé en commission.

Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements au centre et à gauche)

Mme Éliane Assassi .  - La biométrie, si elle n'est pas mauvaise en soi, peut donner lieu à des dérives dangereuses, c'est un fait. Notre régime est déjà protecteur, certes, mais trop imprécis sur le traitement de ces données. La proposition de loi vise à combler ce vide juridique. Je salue la démarche de l'auteur : il est anormal que l'entreprise utilise la biométrie pour suivre à la trace et à la minute ses employés...

Ce texte exclut les usages étatiques tels que le Fichier national automatique des empreintes digitales (FNAED) ou le Fichier national automatique des empreintes génétiques (FNAEG).

Pour autant, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt du 18 avril 2013, a jugé que le fichier français des empreintes digitales contrevenait à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant à toute personne le droit au respect de sa vie privée. La Cour rappelle que le stockage de ces données doit être proportionné aux fins poursuivies.

Cet arrêt ne concerne pas le seul fichier des empreintes digitales, il vaut pour le fichier élaboré en application de notre code de procédure pénal, le FNAEG. Initialement limité aux actes de délinquance sexuelle, il a été étendu par Nicolas Sarkozy à bien des délits mineurs, mais aussi aux actions syndicales et revendicatives. Le président Sarkozy s'est bien gardé d'y inclure la délinquance financière, les délits d'initiés, la fraude fiscale, l'abus de biens sociaux, etc.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Elle ne laisse pas de trace !

Mme Éliane Assassi.  - Nous refusons l'assimilation de syndicalistes à des criminels. En complément de notre proposition de loi relative à l'amnistie des faits commis à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives, nous avons déposé une proposition de loi interdisant le fichage génétique des personnes poursuivies pour ces faits.

Le groupe CRC votera ce texte tout en étant convaincu que nous aurons à nous pencher non seulement sur l'usage mais sur le traitement de l'intégralité des données biométriques. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Jacques Hyest .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Le travail a été bien fait. Ce soir, il s'agira de dire que le principe de précaution ne doit pas exclure l'innovation ; cet après-midi, on dit plutôt que l'innovation ne doit pas se faire sans précaution... On s'occupe d'innovation. Très bien : c'est un vivier d'emplois, nous dit-on, soit ; le « pétrole du XXIe siècle », à voir... Cette proposition de loi, dont il faut féliciter l'auteur et le rapporteur, porte sur les techniques biométriques. Elles existent depuis longtemps : ni la photographie ni les empreintes digitales n'ont attendu l'informatique. Avec celle-ci, l'enjeu concerne la protection de la vie privée et des libertés personnelles.

La jurisprudence rappelle la nécessité de protéger la vie privée. Trois risques sont susceptibles d'y porter atteinte : au moment de la collecte d'informations, au stade de leur traitement et lors de leur utilisation. Cette proposition de loi limite le recours aux données biométriques. Elle comporte deux avancées : le renforcement de la doctrine de la Cnil et la suppression de la biométrie dite de confort. On donne une valeur législative à la doctrine de la Cnil, qui encadre l'utilisation de la biométrie dite à trace. Celle-ci serait conditionnée à la stricte nécessité de sécurité.

Pour la biométrie de service, le dispositif vise la sécurité du site ou la protection des données. Le consentement de l'usager ? Dans quelle mesure pourra-t-on se soustraire à des contrôles biométriques, dont l'usage sera généralisé dans une entreprise ? Le risque de dispersion des données personnelles demeure.

Cette proposition de loi est bienvenue. Elle s'inscrit dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978, ce qui exclut la biométrie dans le cadre d'activités exclusivement personnelles. Nul doute que le législateur devra se prononcer à nouveau sur le droit à l'oubli et le respect de la vie privée.

Il va falloir renforcer les moyens de la Cnil. Ses vérifications ne portent que sur 4,5 % du total... Le projet de règlement européen prévoit la suppression de l'autorisation préalable au profit d'un contrôle a posteriori ; il faudra renforcer ces contrôles, cela suppose que l'on ait assez de contrôleurs.

Dans l'Union européenne, la France est en pointe pour la protection des libertés publiques. Adoptons le cadre législatif le plus adapté. Le groupe UMP votera ce texte, que l'amendement du Gouvernement ne dénature pas et se félicite de l'unanimité du Sénat sur ces questions. Beaucoup de sociétés nous envieraient si elles pouvaient faire aussi bien ! (Applaudissements)

M. Jean-Yves Leconte .  - La biométrie est vieille comme le monde. Ce qui a changé, bien entendu, c'est le traitement informatique de ces données, parfois récoltés à l'insu de la personne. Avec les algorithmes dont on dispose désormais, la reconnaissance faciale, conjuguée aux caméras de surveillance, constitue une réelle atteinte à la vie privée. L'insistance sur les droits de la personne est une préoccupation constante du Sénat et de sa commission des lois depuis longtemps.

La volonté du Gouvernement d'aller plus loin, avec la carte d'identité biométrique, par exemple, a chaque fois été bloquée, ici, par le Conseil d'État ou par le Conseil constitutionnel. Les protections que nous pouvons accorder à nos concitoyens sont incertaines tant ces données circulent par-delà les frontières. Point de protection sans maîtrise de l'innovation et sans règlements européens et internationaux.

Instituer un fichier de toute une population à l'occasion d'une élection en Afrique serait contraire à nos valeurs. La manière dont nous exploitons un certain nombre de fichiers pose question : les étrangers doivent être traités de la même façon, notamment en ce qui concerne les visas et passeports délivrés à l'étranger, ou au sein de l'espace Schengen. Idem pour le certificat de nationalité française, qui pourrait être biométrisé... Point de protection sans échange et coopération européenne, sans respect du droit des étrangers.

La banalisation de la biométrie est un danger pour la société. Il faut un cadre national approprié - qu'apporte cette proposition de loi. Mais seule la maîtrise technologique, l'innovation pour les sociétés françaises permettra de le mettre en oeuvre.

Le groupe socialiste votera ce texte qui n'aura vraiment d'utilité que si le Gouvernement porte nos préoccupations au niveau européen, en insistant sur la réciprocité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« II bis. - Pour l'application du 8° du I du présent article, ne peuvent être autorisés que les traitements dont la finalité est la protection de l'intégrité physique des personnes, la protection des biens ou la protection d'informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible et qui répondent à une nécessité ne se limitant pas aux besoins de l'organisme les mettant en oeuvre. »

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Notre amendement clarifie la rédaction et précise la finalité des traitements autorisés. Il ne faudrait pas que la loi interdise certains usages comme l'authentification d'un paiement par biométrie. Afin de limiter effectivement le recours à la biométrie aux cas pour lesquels elle est nécessaire, nous proposons une rédaction plus facilement utilisable par le juge. La Cnil doit pouvoir recourir aux outils pertinents comme l'analyse de risques.

M. le président.  - Sous-amendement n°2 à l'amendement n° 1 du Gouvernement, présenté par M. Pillet, au nom de la commission.

Amendement n° 1, alinéa 3

Remplacer les mots :

ne se limitant pas aux besoins

par les mots :

excédant l'intérêt propre

M. François Pillet, rapporteur.  - Je partage avec vous un regret et un accord. Le regret : que l'Anssi n'ait pas fourni son avis. L'accord : sur la création annoncée d'un groupe de réflexion dont nous espérons qu'il durera au-delà de la navette parlementaire.

Il ne s'agit pas de freiner l'initiative économique et industrielle. L'invention de l'écriture entraîne, entre autres conséquences, la pratique de la lettre anonyme. Elle n'en est pas moins un immense progrès de l'humanité. Un livre peut servir à publier des choses repoussantes, on condamne alors cet usage-là du livre pas l'objet livre en tant que tel. Ne blâmons pas une technique à cause des usages qui peuvent en être faits !

Les amendements limitent les usages dans des conditions à la fois souples et précises. L'amendement du Gouvernement fait suite à une réflexion qui a été la nôtre après l'élaboration du texte de la commission, lequel était, il est vrai, un peu « proustien » comme a dit le président Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission.  - C'était un compliment ! (Sourires)

M. François Pillet, rapporteur.  - L'amendement du Gouvernement reprend donc pour l'essentiel le texte de la commission, le caractère cumulatif des deux conditions et la finalité de sécurité. Le texte est allégé, tout cela nous convient. Reste un point purement rédactionnel, d'où ce sous-amendement : nous préférons une rédaction positive.

Sous cette réserve, la commission des lois a été unanime pour accepter cet amendement du Gouvernement.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Vous rétablissez la notion d'intérêt propre de l'organisme, qui n'est pas définie en droit. L'usage de la biométrie peut être utile même indépendamment de l'intérêt de l'organisme, comme quand il y va de l'intérêt du consommateur, par exemple pour authentifier le paiement d'une transaction. Il y va aussi de l'intérêt de l'économie dans son ensemble, qui repose sur l'existence de marchés sécurisés.

Le Gouvernement s'engage à créer un groupe de travail sur ce sujet ; nous en reparlerons donc. Sagesse sur le sous-amendement n°2.

Le sous-amendement n°2 est adopté.

L'amendement n°1, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté ainsi que l'article 2.

L'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue à 18 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 heures.