Débat sur l'application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social dans les transports terrestres de voyageurs

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'application de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

M. Jacques-Bernard Magner, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Je vous prie d'excuser l'absence du président Assouline, contraint de nous quitter. Je vous lirai le texte qu'il a préparé.

Ce débat, repoussé à plusieurs reprises, intervient finalement à la veille d'une grève importante dans les transports ferroviaires.

M. Jean Desessard.  - Ah ! Bravo !

M. Jacques-Bernard Magner.  - C'est un hasard ! La loi de 2007 avait un titre ambitieux, mais n'a instauré nulle obligation de service. Cet écart entre annonce politique et réalité juridique pose un problème de qualité normative, dont nous reparlerons lors du débat sur le bilan annuel de l'application des lois. Le chemin était très étroit, entre un principe constitutionnel intangible, des réticences psychologiques compréhensibles, l'équilibre économique des grandes entreprises de transports et la continuité du service public, laquelle est aussi un principe de valeur constitutionnelle.

Les collectivités territoriales et l'État sont pris entre deux feux dans des conflits sur lesquels ils n'ont pas prise et la marge de manoeuvre du législateur était réduite : la loi de 2007 ne pouvait qu'avoir une ambition limitée, comme l'écrivent nos rapporteurs.

Sa mise en application n'a pas nécessité de nombreux décrets. Celui du 24 janvier 2008 avait une portée symbolique puisque le législateur avait renvoyé à la négociation collective le soin de pourvoir à son application sur le terrain.

Celle-ci n'est toutefois pas parfaite, et si employeurs et syndicats ont émis des critiques, il est difficile d'en mesurer l'impact sur la conflictualité du secteur. L'écho chez les usagers n'est pas beaucoup plus favorable...

Cette loi répondait d'abord à un engagement de campagne.

M. Jean Desessard.  - C'est vrai !

M. Jacques-Bernard Magner.  - L'absence d'étude d'impact est regrettable. Les assemblées doivent savoir résister à la propension française à légiférer sous le coup de l'émotion. Toutefois, la loi a permis quelques avancées appréciables, en matière d'information des voyageurs.

Elle constitue, comme l'ont écrit nos rapporteurs, une amorce de dynamique du dialogue social. Les recommandations qu'ils ont présentées ont été débattues en commission de façon consensuelle : espérons qu'elles seront entendues pour l'amélioration des relations sociales dans les transports, au moment où les syndicats expriment leurs inquiétudes à la veille de la réforme ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Marc Laménie, co-rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Le 17 octobre 2013, Mme Pasquet et moi-même avons présenté notre rapport sur la loi de 2007 devant la commission de contrôle de l'application des lois, fruit de six mois de travaux, d'une vingtaine d'auditions et de deux déplacement (l'un à Paris-Nord, l'autre à Orléans) Je tiens à remercier tous ceux qui nous ont facilité le travail, et Isabelle Pasquet en particulier. Cette loi ambitionnait de mieux concilier droit de grève et continuité du service public, principes à égale valeur constitutionnelle. Elle ne s'applique qu'aux transports terrestres de voyageurs : TGV, TER, TET - les corails - transports urbains - métro, bus - interurbains - transports scolaires. En sont exclus les transports aériens, qui mériteraient un débat particulier.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Très bien !

M. Marc Laménie, co-rapporteur.  - Le législateur a choisi la voie du dialogue social pour surmonter les obstacles posés par des grèves, travaux, événements climatiques extrêmes connus au moins 36 heures à l'avance. Et l'on sait que la météorologie n'est pas une science exacte !

Un mécanisme de prévention des conflits a été créé, qui rend la négociation obligatoire huit jours avant un préavis de grève. Obligation est également faite de dresser un Plan de transports adapté (PTA) et un Plan d'information des usagers (PIU)

L'information des usagers et des employeurs est, globalement, sensiblement améliorée.

Je n'ignore pas le préavis déposé par les cheminots de la SNCF aujourd'hui. Force est toutefois de constater que le dialogue social y a été amélioré, ainsi qu'au sein, par exemple, de la RATP. Les mouvements sociaux ne sont pas la principale cause des perturbations recensées sur les lignes de transport. Ils viennent même en dernière position ! Plus importants sont les incidents techniques. Le réseau ferroviaire, faute d'investissements, est à bout de souffle. Cela date de nombreuses années, je tiens à le préciser. Lors de la dernière séance de questions orales, M. Revet vous a interrogé, monsieur le ministre, sur la sous-utilisation du réseau dans la Seine-Maritime. Dans mon département aussi, les Ardennes, de nombreuses voies ferrées sont sous-utilisées, et parfois des TER sont remplacées par des bus.

Malgré les efforts consentis par RFF pour régénérer le réseau national, on enregistrera encore longtemps des dysfonctionnements. Sur les 419 perturbations recensées dans le réseau francilien en 2012, 95 % étaient dues à des travaux, 3,3% seulement à des conflits mais cela n'empêche pas de chercher à diminuer la conflictualité parce que vu l'importance de la relation quotidienne des Français avec leurs transports en commun, on peut comprendre qu'ils aient des réactions exacerbées en cas de grève.

La loi n'a requis qu'un seul décret d'application. Les deux rapports au Parlement prévus ont été remis, quoiqu'avec un retard de deux ans pour le deuxième. Un accord de branche a été conclu. Un Observatoire paritaire de la négociation sociale a été créé, la RATP et la SNCF ont adapté leur mécanisme de prévention des conflits, mais aucun accord n'a été conclu pour les transports interurbains.

Les sociétés organisatrices de transports n'ont toutefois pas toutes défini les dessertes prioritaires en 2012, ni adopté de PTA. Le représentant de l'État a alors été contraint de se substituer à elles. (Applaudissements sur la plupart des bancs, de la gauche à la droite)

Mme Isabelle Pasquet, co-rapporteure de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - L'adoption de la loi de 2007 a suscité de fortes oppositions. Salariés et employeurs s'y sont toutefois largement conformés, et peu de contentieux ont été recensés. Les négociations seraient toutefois souvent formelles ; de nombreuses sociétés n'ont pas adopté les plans rendus obligatoires ; et l'exercice du droit de grève est devenu l'affaire de spécialistes, ce qui a contribué à renforcé la juricidiarisation des relations du travail.

L'impact de la loi sur la conflictualité des relations sociales est difficile à évaluer. L'évaluation du nombre de jours de grève n'est pas significative.

Nos propositions ne visent qu'à améliorer l'application de la loi.

Il convient de tirer pleinement partie des possibilités offertes par la loi pour associer les partenaires sociaux à la mise en oeuvre du dialogue social. Celui-ci doit être revalorisé en dehors des périodes de conflit.

Il faut revenir à l'équilibre de la loi de 2007, en supprimant les modifications apportées en 2012 par la loi Diard, laquelle a entraîné un effet contraire à celui qu'elle recherchait : les salariés peuvent être contraints de faire grève vingt-quatre heures de plus qu'ils ne l'avaient prévu.

Nous recommandons de responsabiliser les Autorités organisatrices de transports (AOT). Il importe qu'elles approuvent les PTA et PIU, en y apportant, le cas échéant, des modifications. Elles doivent intégrer des critères sociaux et environnementaux de qualité de service dans les conventions d'exploitation ; or l'article 12 de la loi est resté lettre morte, exception faite des contrats signés par le Stif. Nous préconisons de systématiser les contrôles des bilans des PTA et PIU. Il s'agit en outre de développer des outils statistiques, harmoniser le suivi des perturbations du trafic et d'application de la loi. Les entreprises du transport interurbain doivent fournir un effort particulier. Le dialogue social doit reprendre dans cette branche. L'État doit s'assurer que cette loi est uniformément appliquée sur l'ensemble du territoire.

Les acteurs concernés se sont approprié la loi de 2007, tout imparfaite qu'elle soit. Les revendications légitimes des salariés ne doivent pas être opposées aux droits constitutionnels des usagers. Il appartient à tous les acteurs de faire vivre le dialogue social. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard .  - Le débat de la loi de 2007 était animé. Il y avait de l'ambiance. (Sourires) Aujourd'hui, c'est plus calme, presque le consensus. La loi fut plus sage, en définitive, que les intentions belliqueuses du président de la République.

Il s'agissait d'abord d'éviter au maximum le recours à la grève. On peut être d'accord avec cet objectif qui ne revient pas à interdire la grève, mais seulement à la prévenir. Le bilan de cet aspect de la loi, ai-je cru comprendre, est mitigé, selon les rapporteurs. Pour favoriser le dialogue social à tous les échelons, il reste beaucoup à faire.

Il s'agissait aussi d'éviter la paralysie en cas de grève. Or les conflits sociaux, on l'a dit, ne sont qu'une cause marginale de perturbations. Pourquoi une loi pour 3 % de celles-ci ? Les causes techniques viennent bien devant, ainsi que les incidents de voyageurs, représentant respectivement 43 % et 31 % des causes de perturbation. Le rapport sur l'accident de Brétigny-sur-Orge se montre très critique sur la maintenance des voies et du matériel par la SNCF, faute de moyens. En 2012, on n'a dénombré que 0,49 jour de grève par salarié dans les transports urbains. Intéressons-nous aux 97 % des causes des perturbations dans les transports. Améliorons la qualité de réseaux vétustes, de matériels bondés.

Le troisième objectif affiché était d'améliorer l'information aux usagers. Il y a eu des avancées intéressantes. Les réseaux de transport ont tous intégré cet impératif dont l'application est facilitée par Internet et la téléphonie mobile.

La grève est un droit constitutionnel, mais aussi une action collective, menée par un groupe de salariés et non pas des individus. Rendre obligatoire la déclaration individuelle d'intention de grève, c'est émietter les responsabilités, donc dissuader à exercer ses droits.

Lorsque j'étais animateur social et que les chômeurs avec qui je travaillais me parlaient d'un risque d'explosion sociale, je leur disais non, le risque véritable est d'implosion sociale : la violence envers soi ou ses proches, les suicides, les médicaments. Si l'on ne répond pas à la désespérance sociale, sa traduction politique ne sera pas une explosion sur des thèmes de gauche, ce sera une implosion avec un vote Front national. Même les syndicats sont touchés politiquement par l'émergence du FN. C'est le danger de cette loi qui tend à individualiser les rapports sociaux. Oui, la grève doit rester, en dernier recours, un moyen d'action collective. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Notre ordre du jour nous livre un clin d'oeil, voire un pied-de nez : ce débat tombe à point nommé, quelques heures avant une grève reconductible à la SNCF, à l'appel de deux syndicats de cheminots opposés à la réforme ferroviaire. Celle-ci, nous l'espérons, améliorera le service rendu aux voyageurs.

Pouvons-nous avancer dans le dialogue social en promouvant cet enjeu ? Le monde est ouvert : c'est en modernisant le service public que l'on assurera son avenir.

Lisons donc ce rapport. Il ne concerne que les transports terrestres, contrairement à ce que d'aucuns ont dit à propos du transport aérien, et je suis d'accord avec lui. Oui, il faut encourager le dialogue social. La loi de 2007 fonctionne et répond aux objectifs fixés par le législateur. L'avenir dira, monsieur le ministre, si vous réussirez à renouer les fils du dialogue.

Les jours de grève dans les transports terrestres sont liés aux mots d'ordre nationaux, à propos de quoi cette loi est inopérante. La SNCF pratique le dialogue social, au risque que le souci des équilibres sociaux prime sur celui de l'adaptation au monde actuel. Nos concitoyens subissent pannes et retards à répétition, qui pourrissent leur vie quotidienne. J'en sais quelque chose, moi qui viens ici en empruntant la ligne B du RER. Rassurez-nous sur le financement des infrastructures : quel sort réservera finalement le Gouvernement à l'écotaxe, compte tenu des déclarations contradictoires sur le sujet ?

Nos concitoyens sont prévenus la veille, au plus tard - nous le mesurons ce soir - des perturbations qui affecteront la circulation de leurs trains : c'est une avancée notable de la loi de 2007. Le législateur a atteint un équilibre entre deux principes à valeur constitutionnelle, comme l'établit le rapport. La loi Diard du 19 mars 2012 l'a étendu au transport aérien ; celle-ci est contestée par certains syndicats. Les deux rapporteurs ne l'évoquent pas en tant que telle. Il y a un certain paradoxe à s'emparer de ce rapport pour lui faire dire ce qu'il ne dit pas. Ce débat n'a pas pour objet de remettre en cause la loi Diard, qui a fait la preuve de son utilité. Elle a été jugée constitutionnelle. Elle tend aussi à privilégier la prévention de conflits, qui ne signent que l'échec du dialogue et non un préalable. Les usagers doivent être informés. Ils ne comprendraient pas que l'on revienne sur cet acquis. Comme M. Laménie, je suggère à la commission sénatoriale de l'application des lois d'établir un bilan de la loi de 2012.

M. Robert Hue .  - Sept ans après l'adoption expéditive de la loi du 21 août 2007, un état des lieux serein devenait indispensable. Les débats furent houleux au Sénat et à l'Assemblée nationale. L'opposition était justifiée face aux déformations de la réalité de l'origine des perturbations relayées par les médias,...

M. Jean Desessard.  - Absolument.

M. Robert Hue.  - ... aux remises en cause du droit de grève, pourtant inscrit au Préambule de la Constitution de 1946. Certes, dans les transports en commun, une perturbation occasionne une gêne provisoire pour les usagers qui n'ont d'autre moyen pour se déplacer. On pouvait cependant s'interroger sur la pertinence d'une telle loi, dont on peut se demander si elle a vraiment abouti à une réduction de la conflictualité.

Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois ne plaide guère en ce sens. Le dialogue social prôné n'a été que formel. À la RATP, 36 % des alarmes sociales se sont soldées par un accord en 2012 contre 56 % en 2007.

L'information des usagers a été améliorée et cela ne doit pas être négligé, bien sûr. Mais ceux-ci subissent toujours des retards et suppressions, dus pour beaucoup à des causes techniques. Les perturbations liées à la grève sont très marginales. Nous sommes bien loin des déclarations enflammées de Xavier Bertrand, évoquant avec des trémolos dans la voix les travailleurs exaspérés, guettant sur les quais un train qui ne viendrait peut-être pas. Loin aussi des provocations de Nicolas Sarkozy demandant si l'on s'apercevait encore des grèves dans les transports.

Ce texte n'apporte qu'une réponse sommaire à des problèmes plus profonds. Rien n'a été fait pour s'attaquer à la source, en améliorant les conditions de travail des salariés des entreprises de transports et en accordant les moyens de financement nécessaires à la qualité des dessertes. Les perturbations « imprévisibles » sont celles qui pèsent le plus sur la vie des usagers. Les sous-investissements des années 80 sont à l'origine des mécontentements des usagers. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux : la situation est d'autant plus tendue que la fréquentation des RER a augmenté de 30 % en dix ans.

L'Afitf devait être financée par l'écotaxe poids lourds. J'espère que la réforme ferroviaire, plus qu'à la concurrence périlleuse, s'attellera à la question du financement.

M. Jean Desessard.  - Bravo !

Mme Hélène Masson-Maret .  - Le parlementaire est là pour voter les lois. Il est salutaire qu'il vérifie leur application, même s'il constate un décalage entre l'objectif du législateur et leurs effets, ce qui doit l'amener à légiférer à nouveau. Nous le constatons ce soir, les grèves en France, sont toujours d'actualité.

Mme Mireille Schurch.  - Encore heureux !

Mme Hélène Masson-Maret  - On ne pourrait pas imaginer une autre société ?

Ce rapport sur l'application de la loi du 21 août 2007 montre des griefs toujours importants à l'encontre de cette loi, qui concerne opérateurs publics et entreprises privées. Cette loi a mis les moyens aptes à prévenir les conflits, élaborer un PTA, un PIU ; elle a amélioré les l'information des usagers. À son article premier, un amendement d'Hugues Portelli a précisé que ces transports concernés permettent l'exercice des libertés d'aller et venir, du travail, du commerce et de l'industrie, toutes à valeur constitutionnelle. L'article 2 marquait aussi une avancée, voulue par les sénateurs, pour rendre obligatoires et non plus facultatives les négociations de branche.

La loi de 2007 ne remet pas en cause le droit de grève. Elle vise la prévention des conflits, l'amélioration de la prévisibilité du trafic et l'amélioration de l'information des usagers. La loi est-elle correctement appliquée ? Globalement, oui.

L'application des PTA prête à polémiques. Les syndicats dénoncent un dialogue social faible, de pure forme, qui aboutit le plus souvent à un constat des désaccords...

M. Jean Desessard.  - C'est vrai !

Mme Hélène Masson-Maret.  - Du côté des employeurs, on déplore des grèves suivant des mots d'ordre nationaux.

Le rapport préconise un approfondissement du dialogue social, dont la grève de ce soir montre qu'il est insuffisant. Je répète qu'il doit être permanent.

De quels moyens le Gouvernement se dotera-t-il pour faire appliquer uniformément la loi sur tout le territoire ? Quand et comment obtiendrez-vous un recensement exhaustif des PTA et des PIU ?

Dans une société en mutation, imposer par la force l'arrêt de travail est moins fructueux que le dialogue social. Le rapport met en évidence l'aspect caricatural des débats de 2007 opposant prétendument les défenseurs et les pourfendeurs du droit de grève. Notre débat est arrivé à maturité. Ce rapport valorise la gestion des conflits, conformément à ce qui sied aux entreprises du XXIe siècle. (Applaudissements à droite et au centre).

Mme Mireille Schurch .  - Le président Nicolas Sarkozy a entamé son quinquennat en faisant adopter la loi de 2007, il l'a clos avec la loi Diard qui en élargissait les dispositions. Sur l'ensemble des bancs de la gauche, nous nous étions opposés à ces lois attentatoires au droit de grève et symboliques de l'esprit de la précédente mandature.

La nouvelle majorité était censée rénover un dialogue constructif et respectueux avec les organisations syndicales. D'où les propositions de loi que nous avons déposées. Nous partageons avec les rapporteurs l'idée que le niveau de qualité du service public n'est pas lié à l'exercice du droit de grève Ce qui détermine la qualité du service public des transports, c'est le poids de la concurrence, la faiblesse des moyens humains et des investissements, voire le renoncement de l'idée même de service public. On détourne la colère des usagers vers les salariés.

L'article 12 de la loi de 2007, issu d'un amendement de notre groupe, impose l'incorporation de clauses sociales et environnementales. Pourtant utile dans la lutte contre la sous-traitance, il est insuffisamment appliqué. Un autre amendement n'avait pu être adopté, qui reste une piste de travail intéressante, pour améliorer la qualité du service public et diminuer la conflictualité dans les entreprises de transport.

L'objectif de ces lois est de rendre plus difficile l'exercice du droit de grève. Nous partageons la recommandation du rapporteur d'abroger la disposition de la loi Diard sur la déclaration individuelle de retour au travail. Les déclarations du ministre sont encourageantes à cet égard. Nous sommes opposés à toute déclaration individuelle de participation à une grève, car nous y voyons une judiciarisation des rapports sociaux.

Quant aux PTA, l'application de la loi est très inégale. Je regrette que l'obligation de consultation des Institutions représentatives du personnel n'ait pas été respectée.

Le gouvernement d'alors avait prétendu que cette loi améliorerait le dialogue social. Le rapport le confirme : rien ne permet de supposer, que le « préavis du préavis » ait conduit à une telle amélioration. La procédure de prévention des conflits se résume souvent à une réunion unique, ce qui n'est évidemment pas suffisant. La clef de la paix sociale réside dans l'affirmation du choix de politiques progressistes. Cesser de s'attaquer aux salariés et aux statuts des entreprises, c'est le plus sûr moyen d'y arriver. Nous demandons au Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour notre proposition de loi. Historiquement, le droit de grève a toujours été le plus sûr recours des ouvriers pour obtenir des avancées sociales. Il est fondamental pour notre démocratie. Il nous appartient de le protéger. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)

M. Jean Desessard.  - Un vrai discours communiste !

M. Michel Teston .  - La loi du 21 mars 2007 est l'une des premières lois emblématiques du quinquennat Sarkozy, témoignant d'une vision clivante, voire populiste, de la société.

Mme Isabelle Pasquet, co-rapporteure.  - Eh oui !

M. Michel Teston.  - Une disposition phare permet la mise en oeuvre d'un service minimum garanti en cas de grève. Les salariés doivent déclarer 48 heures avant le début de la grève s'ils ont l'intention d'y participer et huit jours après le début de la grève, une consultation du personnel peut être organisée.

Je me suis opposé à ce texte, comme le groupe socialiste, considérant qu'il n'avait pour objet que de limiter l'exercice du droit de grève, en privilégiant la continuité du service public. La mise en place d'un service minimum exige des réquisitions personnelles puisque cela supposerait la présence de 80 % du personnel. Eût-on tenté de l'imposer, comme le souhaitaient tant de parlementaires de la majorité de l'époque, tel Éric Ciotti en 2009, que je m'y serais encore plus opposé.

Ce sont les choix d'investissements effectués par les gouvernements précédents, qui ont favorisé le réseau à grande vitesse au détriment du réseau existant, qui expliquent la plus grande part des perturbations subies par les usagers. Il ne s'agit pas de renoncer à développer les lignes à grande vitesse, mais de ne pas délaisser les transports du quotidien. Tel est le cas des décisions prises par le gouvernement Ayrault, que j'approuve.

L'encadrement de la grève tel qu'il est conçu par cette loi a contribué à crisper les positions. Quel résultat pour l'usager ? Son information a été améliorée, mais on ne peut corréler l'application de cette loi et l'évolution de la conflictualité dans les entreprises de transports. On sait que le mauvais état de certaines lignes conduit encore régulièrement à des retards. Si l'on demande leur avis aux usagers, il n'est pas certain qu'ils estiment majoritairement que cette loi ait amélioré la situation.

Il est pertinent de préconiser, comme le fait la commission, un suivi systématique de la loi.

La loi ne doit pas tout fixer. Une large place doit être laissée à la négociation dans chaque entreprise. Comme les rapporteurs, j'estime qu'il faut inciter les autorités organisatrices des transports à définir les dessertes prioritaires, les périmètres adaptés, les plans d'information aux usagers. Doter l'Afitf de moyens suffisants est tout aussi nécessaire pour investir, ce qui est la meilleure façon de réduire les retards du quotidien. C'est ainsi que nous équilibrerons efficacement l'exigence de continuité du service public et l'exercice du droit de grève. (Applaudissements à gauche)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Je vous remercie, madame Pasquet, monsieur Laménie, pour la qualité de votre rapport, désormais une référence.

J'ai pris note de toutes vos contributions : sur l'attente des usagers, l'exigence de continuité du service public, l'importance de garantir l'exercice du droit de grève, d'améliorer la qualité du dialogue social et d'éviter les situations de blocage qui permettent à certains de transformer les antagonismes de situations en antagonismes des personnes, à opposer les usagers aux salariés des entreprises de transport...

Après sept ans d'application, les opinions sur l'application de la loi sont diverses, de la réhabilitation voulue par Mme Masson-Maret à l'abrogation souhaitée par Mme Schurch. Les conditions de son adoption, les effets de manche et les postures de certains ne présageaient pas, il faut le dire, le plus serein des débats...

La négociation préalable est le coeur de la loi de 2007, dont l'équilibre est malgré tout fragile. Il faut rappeler qu'en matière de prévention des conflits, la SNCF et la RATP avaient respectivement dès 1996 et 2003 mis en place des dispositifs d'alerte sociale. Point n'est besoin de recourir toujours à la loi...

M. Jean Desessard.  - Exactement !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État.  - Il faut responsabiliser chacun des acteurs. Le dialogue doit être la clé de voûte des rapports sociaux, nous le reconnaissons tous. La loi l'impose, dans toutes les entreprises. C'est une bonne chose. Partout, il doit être conforté.

Les chiffres existent. Mme Pasquet, M. Hue, ne les jugent guère pertinents. Certains prêtent sans doute à interprétation. Mais le nombre de préavis de grève à la RATP entre 2004 et 2007 était situé entre 173 et 367 ; après 2007, entre 36 et 59... Il faut à coup sûr y voir plus clair.

La loi impose une information sur les prévisions de trafic en amont des perturbations. C'est indiscutablement un net progrès. Vous l'avez dit dans votre rapport, les conflits sociaux sont à l'origine d'une minorité des perturbations. Il ne faut pas céder aux caricatures... La SNCF a publié dès hier soir un état précis du trafic. Soyez assurés de ma détermination à obtenir des financements pérennes pour les transports du quotidien.

Reste que je partage la préoccupation des rapporteurs de mieux tirer parti des possibilités offertes par la loi en matière de dialogue social. La négociation préalable ne doit pas être vue comme la dernière formalité administrative à remplir, mais comme une étape sur la voie d'un accord pour éviter le conflit. Les organisations syndicales ne doivent pas être reçues uniquement lors du dépôt d'un préavis, mais des interlocuteurs réguliers. Le dialogue social doit être au coeur du management des entreprises. À la SNCF comme à la RATP, des observatoires sociaux paritaires ont été mis en place qui se réunissent annuellement pour faire le bilan des relations sociales dans l'entreprise; ce bilan est rendu public. Le Gouvernement ne peut qu'inviter les entreprises à engager pareilles démarches vertueuses.

Le présent rapport ne concerne que le transport terrestre, mais il convient brièvement d'évoquer la loi du 19 mars 2012, dite loi Diard. Si elle a été jugée constitutionnelle, elle a alourdi les contraintes pesant sur les salariés comme sur les employeurs. Son application ne saurait justifier la moindre atteinte à l'exercice du droit de grève. Je vais rencontrer les entreprises du transport aérien pour leur demander des engagements clairs de bonne conduite.

Vous préconisez de responsabiliser les Autorités organisatrices de transport (AOT). Vous avez raison. Madame Masson-Maret, j'apporterai toutes les informations utiles au Parlement dès que nos services auront procédé à un bilan approfondi et disposeront de données solides. Des enquêtes annuelles sont déjà réalisées sur l'activité des transports publics. Elles seront complétées sur les plans de transport adaptés et les plans d'information des usagers.

Les conventions d'exploitation relèvent de la responsabilité des AOT, elles sont aujourd'hui très variables. Il sera utile de les stabiliser et d'y intégrer des critères sociaux et environnementaux ; les préconisations du rapport forment une base solide pour ce faire. Des initiatives exemplaires existent toutefois. Ainsi, la convention TER Limousin de 2012 comporte un titre dédié au développement durable, à l'information des usagers, à l'accessibilité, à la prévention des impacts sur l'environnement. De même, la convention avec la région Franche-Comté comprend un dispositif tendant à favoriser l'insertion sociale.

L'État est autorité organisatrice des TET depuis 2011. Vous avez souligné son retard. L'État encourage la SNCF à accélérer le report modal. Nous veillerons à accroître les exigences pesant sur la SNCF dans le cadre de la prochaine convention, afin qu'elle s'implique davantage dans les plans de transport et d'information.

Les premiers bénéfices du renouvellement du matériel roulant seront bientôt visibles. Systématiser le contrôle de l'exécution des plans de transport et d'information, suggérez-vous ? Ils relèvent de chaque AOT, qui évalue leurs incidences financières et les investissements nécessaires. Il est vrai que les retours d'expérience sont aujourd'hui parcellaires.

Le rapport préconise enfin le développement d'outils statistiques harmonisés. J'en suis d'accord. Nous devons mettre en place des indicateurs publics et consolidés de suivi des causes de perturbations. Les usagers attendent à bon droit la régularité, mais ils doivent garder en tête que les perturbations procèdent majoritairement de travaux de maintenance ou d'incidents voyageurs. MM. Hue et Teston l'on rappelé, les priorités n'ont pas toujours été opportunément définies : quatre lignes LGV ont été lancées en même temps, là où le rythme raisonnable est d'une tous les six ans...

En mai 2013, a été créé le Haut Comité pour la qualité du service dans les transports, compétent pour tous les types de transports, qui publie d'utiles indicateurs, comme les taux mensuels d'annulation et de ponctualité des différents modes de transport.

L'analyse de leurs causes reste malaisée ; la SNCF en dispose pour les TGV et les Intercités, pas pour les TER. La DGAC dispose, elle, de données extrêmement détaillées.

Le Haut Comité de la qualité de service dans les transports a proposé d'étudier en concertation cinq catégories de causes de perturbations afin d'objectiver les choses. Il y a encore trop d'idées reçues. Nous progressons vers une approche plus scientifique, facteur de crédibilité.

Le secteur des transports interurbains est composé d'une multiplicité de petites entreprises, les dispositions du transport urbain ne lui sont pas directement transposables. L'État jouera en tout cas son rôle de facilitateur du dialogue social.

L'actualité illustre nos préoccupations communes de qualité du service public et de protection du droit de grève. Le service public est le garant de l'égalité territoriale, le garant de l'égalité des chances à l'intérieur des territoires. Je le défends devant vous comme devant les instances européennes. Nous y sommes fermement attachés. La question de l'organisation des transports doit être abordée avec en tête les réalités territoriales et humaines, celles des usagers comme celles des salariés. (Applaudissements à gauche)