Débat sur les zones économiques exclusives ultramarines

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères .  - Nous sommes un peu en retard, je vous prie de m'en excuser... En septembre 2013, la frégate Nivôse a appréhendé un navire de recherche pétrolière en train de procéder à des explorations illégales près des îles Éparses dans le canal du Mozambique, qui recèlent des richesses pétrolières et gazières importantes.

Cet exemple illustre les évolutions en cours, évolutions technologiques, économiques mais aussi juridiques depuis l'entrée en vigueur de la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui a élargi les ZEE jusqu'à 200 milles et même 350 avec l'extension du plateau continental. Cette délimitation des espaces maritimes est un bouleversement considérable, dont nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard ont montré les risques et les menaces.

La France est une grande bénéficiaire de cette évolution. Grâce à l'outre-mer, elle dispose d'une ZEE de 11 millions de kilomètres carrés, la plus vaste du monde après celle des États-Unis, répartie sur tous les océans, souvent autour de territoires de taille réduite - parfois même sans population. Notre pays dispose ainsi d'un potentiel considérable, indispensable dans la compétition internationale.

L'exploitation de ces ressources et le développement des technologies nécessaires représentent un enjeu économique important, tout particulièrement outre-mer. Nos collègues de la délégation à l'outre-mer et les orateurs des groupes parleront de ce potentiel et des moyens de le développer. En tant que président de la commission des affaires étrangères, je tiens à mettre l'accent sur les enjeux de sécurité. La territorialisation des fonds marins et de leurs sous-sols est une cause potentielle de tensions et de conflits armés, on le voit en mer de Chine, par exemple.

Elle impose aux États qui souhaitent exploiter leur espace maritime de disposer des moyens de sa sécurisation. J'ai demandé au chef d'état-major de la Marine quels moyens seraient nécessaires pour assurer une surveillance de ces zones : six bâtiments adaptés, m'a-t-il répondu... C'est dire le niveau d'exigence et de moyens. Les capacités de certains pays à mobiliser des moyens d'exploration et de production de plus en plus loin des ports d'attache, comme celles des pirates et des terroristes à attaquer les installations offshore ou les navires les approvisionnant à partir d'États côtiers déstabilisés nous contraindront, pour assurer la protection de nos intérêts, à déployer des moyens de protection.

À mesure que les richesses sont connues les contentieux se multiplient, qui retarderont le lancement des projets d'exploitation. La protection des ZEE passe par la diplomatie et le droit, mais suppose aussi d'être en capacité de faire respecter le droit, par le recours à la force si besoin est.

Plusieurs territoires sous souveraineté française restent contestés. Certaines de nos ZEE ne font toujours pas l'objet de délimitations avec les pays voisins. Les dossiers d'extension du plateau continental sont insuffisamment soutenus. Le perfectionnement du droit international ne suffira pas. Il faut maintenir des capacités de surveillance, de contrôle et d'action.

Si nous avons réussi à ce que le Livre blanc mette en exergue les enjeux maritimes, le contexte budgétaire de la loi de programmation militaire n'a pas permis de doter notre Marine nationale des moyens indispensables. La commission que je préside réclame le maintien des moyens et dès que les conditions économiques se seront améliorées, leur accroissement, pour faire face à ces nouvelles exigences. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Oui, il faut exploiter les richesses de nos ZEE outre-mer, ce qui n'a de sens que si nous réussissons à faire respecter nos intérêts sur la scène internationale. Or les limites de notre ZEE ne sont ni clairement, ni complètement établies, tout particulièrement dans l'océan Indien, autour de Tromelin ou de Mayotte, mais aussi des Comores, qui viennent de délivrer un permis d'exploitation pétrolière dans une zone qui empiète sur notre ZEE théorique. Que se passera-t-il s'il y a découverte et mise en exploitation dans ces eaux ? Cette question se pose pour nombre de nos ZEE.

Ainsi, dans la zone Antilles-Guyane, le dialogue avec le Surinam n'a pas abouti. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la délimitation de 1992 est très défavorable à la France. En Nouvelle-Calédonie, la délimitation est faite avec les îles Salomon, les Fidji et partiellement avec l'Australie ; pour Wallis et Futuna, le travail est pour partie achevé. L'incertitude est aggravée par les interprétations divergentes du principe de l'équidistance... Il manque encore des décrets portant délimitation des lignes de base pour nombre de territoires. Il importe que les services compétents du ministère des affaires étrangères mettent les bouchées doubles pour défendre les intérêts supérieurs de la France à long terme. Sans compter que sur les quatorze demandes d'extension du plateau continental soumises par la France, quatre seulement ont fait l'objet d'une recommandation de la Commission des limites du plateau continental ; aucune n'a été traduite dans le droit par les autorités nationales. Le processus d'ensemble pourrait ne pas aboutir avant une dizaine d'années, la Commission manquant de moyens.

Sans délimitation établie, l'étendue de notre domaine maritime n'est pas opposable aux États tiers, ce qui crée de véritables zones de non-droit dans des espaces sous juridiction française.

L'affirmation de notre souveraineté impose une présence effective et visible de l'État, ce qui n'est pas simple avec des moyens insuffisants. Tout ce qui peut être fait par le droit évitera d'engager des moyens militaires sur des fondements contestables. Mais on peut s'interroger sur la volonté de certaines administrations d'affirmer notre souveraineté, laquelle est contestée, comme à Mayotte, par l'État comorien. Ce sont d'immenses zones économiques qui sont convoitées par des États comme Maurice, qui délivre des licences de pêche pour une zone qui empiète sur la nôtre, ou encore Madagascar pour les îles Éparses. L'enjeu est de taille : la ZEE à cet endroit du globe représente les deux tiers du canal du Mozambique. La zone autour de Clipperton fait l'objet d'une revendication récente du Mexique malgré un arbitrage international favorable à la France rendu en 1931. Ce territoire figure désormais dans la liste de l'article 72-3 de la Constitution, mais nous avons signé un accord de pêche particulièrement complaisant avec le Mexique, sans contrepartie véritable. Je peux citer aussi les îles Matthew et Hunter contestées par le Vanuatu.

La France doit s'intéresser davantage à la gouvernance mondiale des océans. La convention de Montego Bay a confié à l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) l'organisation et le contrôle de l'exploration et de l'exploitation du sol et des sous-sols, « pour l'humanité tout entière ». Elle a établi des réglementations sur les nodules et sulfures polymétalliques. La Russie, la Chine et la Grande-Bretagne montrent leur intérêt pour l'exploitation des fonds marins.

La France doit peser de tout son poids dans la définition d'un cadre raisonné et respectueux de l'environnement pour l'exploitation des fonds marins. Elle doit aussi être présente pour l'exploration des grands fonds, à laquelle elle consacre trop peu de moyens par rapport aux Russes et aux Chinois.

M. Joël Guerriau.  - Absolument !

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de la commission.  - La France disposait d'une avance certaine ; elle prend du retard. Elle dispose pourtant de richesses à faire fructifier, et ne doit pas se laisser dépouiller. Relisez la parabole des talents : il ne faudrait pas que nous connaissions le sort du troisième serviteur... Il est temps de réagir. (Applaudissements)

M. André Trillard, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Nous avons besoin d'une vision à long terme pour gérer nos richesses, ce qui implique une politique globale de sécurisation. La France doit gérer un espace qui va de Saint-Pierre-et-Miquelon à la Nouvelle-Calédonie en passant par La Réunion. Sur le territoire français, le soleil ne se couche jamais. (Sourires)

La sécurité des ZEE nous impose une gestion à deux niveaux : en surface et sous la mer, où gisent des richesses économiques et minières, dans un contexte de concurrence acharnée. Leur accès, leur préservation, leur protection, celle des routes qui y conduisent, constituent des enjeux majeurs. L'Ifremer a accompli un travail remarquable d'exploration scientifique, par exemple à Wallis et Futuna.

L'approche globale est essentielle pour l'espace maritime, qui mobilise des moyens diplomatiques et militaires importants. Il faut repenser notre relation à cet espace, en établissant une stratégie nationale pour des dizaines d'années.

Les autres puissances ont bien intégré la dimension stratégique des ressources des océans, dont les terres rares - les tensions actuelles entre la Chine et le Japon en sont l'illustration. Je déplore l'insuffisance de nos efforts pour inventorier les ressources de nos ZEE - à comparer avec notre promptitude à délimiter dans ces espaces des zones de protection naturelle... Avons-nous les bons objectifs ?

Nous sommes très préoccupés par nos difficultés à maintenir nos capacités de contrôle et de surveillance. Nous avons besoin de satellites d'observation, de moyens aéromaritimes adaptés et polyvalents, d'une meilleure coordination entre les services chargés de l'action de l'État en mer. Nous nous réjouissons de la mise en place d'une organisation spécifique de la fonction de garde-côte par la Marine nationale, dont nous regrettons néanmoins l'insuffisance des moyens en équipements.

Pour protéger les 11 millions de km2 de notre ZEE, nous ne disposons outre-mer que de six frégates de surveillance - il en faudrait le double -, de deux bâtiments de transports légers, de sept patrouilleurs hauturiers que nous faisons durer, d'un patrouilleur austral, et de deux navires reconvertis en patrouilleurs... Les renforcements attendus de la LPM ne sont pas à la hauteur. Les bâtiments civils mis à disposition sont faiblement armés et ne disposent pas des capacités amphibies suffisantes. Le programme de bâtiments de surveillance et d'intervention maritime a été réduit et retardé. C'est dire que la notion de protection relève presque du virtuel. Les moyens devront être réajustés - je pense à des drones embarqués - et leur financement revu, par exemple grâce à une redevance d'exploration ou d'exploitation. Il est important en outre de se rapprocher des États riverains avec lesquels nous avons des accords de délimitation, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, par exemple.

Madame la ministre, nous attendons des réponses claires pour garantir le statut de puissance maritime de notre pays. Quels délais pour l'exploration ? Cinquante ans, cela paraît énorme. Mais nous sommes dans une logique de trois cents ans ! Merci de garder un intérêt pour cet aspect majeur de l'avenir de notre pays. (Applaudissements)

M. Jeanny Lorgeoux.  - Très bien !

M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer .  - J'aimerais que ce débat suscite une véritable prise de conscience, pour nos collectivités ultramarines, notre pays et pour l'Europe. Je remercie M. le président Carrère d'avoir accepté ce débat conjoint.

Face à la morosité ambiante, il faut redessiner un horizon, tracer des perspectives à court, moyen et long terme. Je remercie nos rapporteurs pour leur travail de longue haleine et leurs nombreuses auditions. Leur rapport fera date. Il dépasse l'angle habituel, limité à des problématiques spécifiques, et met en évidence les potentialités multiples de notre ZEE ; encore faut-il trouver les moyens de les valoriser, alors que la souveraineté de la France est de plus en plus contestée. Il est urgent de redresser la barre, de définir une véritable politique maritime. L'audace n'est jamais plus indispensable qu'en situation de crise.

Le rôle des collectivités ultramarines a toujours été minoré ; à l'exception de la Polynésie, elles sont davantage tournées vers leur territoire terrestre. Les aspects maritimes ont toujours été considérés de manière éparse, cloisonnée. Je déplore la faible association des outre-mer à la définition d'une politique maritime. Moins d'une dizaine de pages consacrées à l'outre-mer sur un total de 209 pour le rapport du Secrétariat général à la mer !

Des ressources halieutiques à l'exploitation des minéraux, des algues ou des énergies renouvelables, la recherche est pourvoyeuse de croissance et d'emplois pour le pays tout entier ; sans cela, la France ne pourra rester une grande puissance maritime. En cette date symbolique du 18 juin, je n'hésite pas à lancer un appel, afin que chacun ouvre les yeux. L'avenir de l'humanité se joue sur les océans ; nous avons le devoir de faire fructifier leurs richesses. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur de la délégation sénatoriale à l'outre-mer .  - Notre planète connaît une révolution silencieuse : celle du partage des océans. La course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée. La Chine, le Brésil y déploient des moyens considérables. Or notre ZEE est la deuxième mondiale, après celle des États-Unis, et la plus diversifiée. Réserve de ressources énergétiques, alimentaires et minérales, source d'innovations, la mer est au coeur des défis de l'humanité pour le XXIe siècle.

La prospection la plus avancée en matière de recherche d'hydrocarbures concerne la Guyane. Plusieurs projets en sont au stade de la consultation publique. La ZEE française des îles Éparses couvre une grande partie du canal du Mozambique, où la présence de ressources pétrolières est plus que probable. Une discussion s'est également engagée entre la France et le Canada au sujet du plateau continental.

Les ZEE sont aussi des lieux propices au développement des énergies renouvelables, sujet stratégique pour les territoires ultramarins dont les difficultés d'approvisionnement énergétique contribuent au renchérissement du coût de la vie. Une mention particulière doit être faite de l'énergie thermique des mers. Des prototypes sont actuellement développés en Martinique et en Polynésie, tandis que des systèmes de climatisation de type Swac sont en service à La Réunion ou à l'hôpital de Papeete. Deux prototypes de station houlomotrice sont en outre installés à La Réunion. La conquête des eaux peut stimuler l'innovation et la création de nouvelles filières industrielles.

Les ZEE ultramarines constituent une réserve halieutique et de biodiversité, dont l'évaluation du potentiel est encore balbutiante. Je pense à la pêche et à l'aquaculture, aux algues qui ont de multiples applications industrielles - et un rendement dix fois supérieur à celui des oléagineux pour la production des biocarburants.

Les nodules polymétalliques ont pu faire rêver dans les années 1970, ils sont encore difficiles à extraire sans porter atteinte à l'environnement. Des programmes de repérage sont en cours. De même pour les sulfures hydrothermaux ou les terres rares. D'après une étude de l'université de Tokyo de 2011, les gisements de ces dernières autour des Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales. La souveraineté de certains îlots français est contestée, ce qui n'est sans doute pas un hasard...

Toutes ces ressources portent un potentiel d'innovation considérable. La course à l'exploration et à l'exploitation est lancée. La Chine a pris de l'avance dans l'exploration des grands fonds. DCNS et l'Ifremer ont de leur côté un projet de sondage-carottage à grande profondeur.

L'une des priorités doit être de protéger les richesses de la mer. Il y a une véritable stratégie à déployer pour affirmer et assumer la souveraineté de la France sur ses territoires.

M. Charles Revet.  - Tout à fait !

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur de la délégation.  - Que représentent six bâtiments adaptés, demandait le président Carrère ? Alors que les États-Unis ont pris la mesure de l'enjeu, la voix de la France est inaudible !

L'autre priorité est de connaître la ressource, ce qui est indispensable pour mesurer et encadrer l'effet des exploitations sur les écosystèmes. Or tous les voyants sont au rouge. La transmission des connaissances de l'Ifremer n'est même pas assurée. La France n'honore pas les engagements pris lors de l'obtention du permis d'exploration dans la zone internationale de Clarion-Clipperton en 2001, alors que celui-ci arrive à échéance dans deux ans... Le travail d'inventaire en Polynésie a été interrompu... Notre délégation lance un signal d'alarme !

La situation économique des collectivités ultramarines est extrêmement dégradée, le taux de chômage des jeunes atteint des records. L'exploitation des richesses maritimes est une occasion extraordinaire pour sortir d'un schéma économique déséquilibré et promouvoir un développement durable, fondé sur les atouts locaux. Les acteurs locaux doivent être systématiquement associés, y compris aux négociations avec les pays voisins. De même, notre pays doit dynamiser le soutien de l'Union européenne à la valorisation de l'espace maritime et favoriser la prise en compte des spécificités de nos outre-mer dans les politiques communautaires, comme celle de la pêche. Bruxelles commence à prendre conscience de l'importance des ZEE, comme en témoigne la communication en décembre 2012 sur la croissance bleue, de la Commission européenne.

Nous en appelons à un changement de regard de notre pays et de l'Europe sur les outre-mer. (Applaudissements à gauche et à droite)

M. Joël Guerriau, rapporteur de la délégation sénatoriale à l'outre-mer .  - C'est avec un vif intérêt que j'ai exploré les ZEE ultramarines, même si le voyage ne fut que virtuel. Le rapport de la délégation fait suite au brillant rapport d'information de la commission des affaires étrangères. Les gisements de ressources des zones économiques ultramarines et les retombées économiques potentielles sont énormes, en particulier pour les territoires ultramarins. La France est une puissance maritime qui s'ignore ; elle ne s'est pas préoccupée de marquer son territoire.

M. Charles Revet.  - Tout à fait.

M. Joël Guerriau, rapporteur de la délégation.  - Hormis Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française, aucun territoire ultramarin ne dispose de frontières maritimes délimitées et donc opposables. La France, sur le programme Extraplac, a pris un tel retard que les dossiers de Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ne seront examinés que d'ici vingt-cinq à trente ans... face à nous, le Canada se prévaut, en attendant, de l'arbitrage de 1992.

La France n'assume pas ses responsabilités, faute de moyens militaires maritimes, les seuls à pouvoir intervenir en haute mer, contre les pirates et pilleurs. La surveillance satellitaire ne saurait suffire.

Contrairement aux États-Unis, la France ne dispose pas d'un service de garde-côtes. La mutualisation des moyens des différentes administrations trouve vite ses limites. Dans le même temps, d'autres pays s'équipent pour protéger leurs richesses maritimes, comme le Brésil, qui s'équipe de cinq sous-marins, dont un nucléaire. Notre pays ne se montre pas déterminé à faire respecter ses droits : sa souveraineté est donc défiée, voire bafouée. Le pillage des ressources halieutiques se poursuit, à Clipperton ou dans les îles Éparses, sans parler de la revendication des Comores et de Madagascar dès lors que l'on espère des ressources pétrolières dans le canal du Mozambique.

La France devait être un leader naturel ; elle est plutôt un mauvais élève, qui reste en marge des travaux de l'Autorité internationale des fonds marins. Cette instance fixe les règles d'exploration et d'exploitation des ressources de la « zone », c'est-à-dire hors zones nationales. Chargée d'élaborer la gouvernance mondiale des océans, elle fait appel à l'expertise des États : c'est un levier d'influence.

Or, malgré nos atouts, nous restons inertes : la réforme du code minier se fait attendre et la France n'a pas été en mesure d'apporter des expertises sur les ressources de la zone de Clipperton, ni même de défendre ses permis. Idem pour la recherche de nodules polymétalliques : deux campagnes françaises en quinze ans, soixante-quinze pour les Russes et les Chinois ! Ce n'est pas ainsi que la France s'affirmera dans la mise en place de la gouvernance mondiale des océans. Il sera bientôt trop tard, surtout si les États-Unis ratifient Montego Bay. L'Union européenne commence à s'intéresser au sujet. Alors que la France est quasiment la seule concernée, elle laisse les choses se décider au niveau européen !

Le Premier ministre a commandé un rapport : serions-nous sur le point de passer à l'action ? Une politique maritime parcellaire ne peut qu'échouer. La création d'une division maritime au sein du ministère de l'écologie est bienvenue. Pour qu'une équipe gagne, il faut un entraîneur. Nous sommes à un moment charnière, le moment de vérité ! (Applaudissements)

Mme Leila Aïchi .  - Je salue l'initiative de ce débat, sur une question emblématique de la course autour des matières premières, des ressources énergétiques et des terres rares. L'espace maritime de la France couvre 11 millions de kilomètres carrés. Cela lui confère un rôle particulier en matière de protection de la biodiversité. Nos eaux hébergent quantité de poissons rares, sans parler des 3 500 végétaux et 400 espèces de vertébrés qui n'existent que dans nos outre-mer. Ce potentiel extraordinaire mérite une gestion responsable. Le rapport de la délégation, Le moment de vérité, énumère les risques environnementaux présentés par les installations gazières et pétrolières offshore avec de nombreux accidents.

Les écologistes s'interrogent sur le comportement de la France dans sa propre ZEE. Je pense au contentieux entre les pêcheurs guyanais et le Gouvernement sur le permis d'exploration et de prospection, qui aura des conséquences dramatiques sur la faune et la flore.

Il est question que le volet ultramarin de la réforme du code minier se fasse par ordonnance. C'est inquiétant.

Le Conseil économique, social et environnemental recommande que la loi reprenne les objectifs de la convention sur la biodiversité ratifiée en 1994 ; renforcement de la diplomatie environnementale et de la gouvernance. La France doit défendre ses intérêts, en régulant la pêche au large de son territoire, en délimitant ses zones, en déployant des bâtiments en mer et en agissant au niveau européen contre la pêche illicite, la piraterie et le braconnage. La poursuite du système de surveillance est une première étape ; la France doit se prémunir contre toute contestation de sa souveraineté. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions. (Applaudissements)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - L'invention du super conteneur des années soixante-dix a changé la donne du commerce mondial, avec un essor de la maritimisation. Le général de Gaulle estimait dans son discours de Brest que les États, à l'avenir, chercheraient naturellement à dominer les océans pour en accaparer les ressources.

Notre domaine maritime est quatre fois plus étendu que la Méditerranée, vingt fois plus que le territoire hexagonal. La seule Polynésie française est plus étendue que toute l'Union européenne. Grâce aux territoires ultramarins, notre ZEE couvre les cinq continents et tous les océans : un véritable empire maritime, de Mayotte aux Terres australes et antarctiques françaises. La richesse de ce sol marin est un atout indéniable ; or nous ne disposons pas de cartographie du potentiel d'exploration des fonds marins, notamment en matière d'hydrocarbures. Les ZEE de Guyane et de Nouvelle-Calédonie seraient très riches...

Dans les mers tropicales, la différence de température entre eaux de surface et eaux profondes pourrait être une source d'énergie très intéressante. Ne pourrait-on fixer l'autosuffisance des territoires ultramarins comme un objectif de nos politiques publiques ? C'est un programme ambitieux, non dénué de risques, étant donné la concurrence croissante entre États en matière maritime. L'interception dans le canal du Mozambique d'un bâtiment étranger d'exploration sismique illustre bien les difficultés.

La situation est difficile dans l'océan Indien, dans le Pacifique. N'oublions pas non plus le risque environnemental : la Nouvelle-Calédonie compte certes des gisements de fer et de cobalt, mais aussi notre plus grande barrière de corail... La prolifération des activités illicites pose la question de la maîtrise de zones aussi vastes et aussi éloignées les unes des autres. Les zones les plus à risque sont surveillées par des radars fixes ; les autres le sont en fonction des moyens disponibles...

Les moyens budgétaires de la Marine baissent alors que l'investissement en matière de défense est la condition nécessaire à l'exploitation économique des ZEE. Sans cet effort, elles resteront en jachère. Merci au président Carrère d'avoir si vivement réagi aux menaces pesant sur la loi de programmation militaire. Comment concilier l'exploitation des fonds marins et la protection de l'environnement ?

Sur toutes ces questions, j'aimerais entendre le Gouvernement. « La mer est un espace de rigueur et de liberté », disait Victor Hugo. À nous de faire preuve d'imagination. (Applaudissements)

Mme Éliane Assassi .  - Je me félicite de l'excellent rapport de la délégation sur les ZEE ultramarines. Sous ce vocable jargonnant se joue une grande part de l'avenir de la France et de l'humanité tout entière.

Le rapport formule dix recommandations que j'invite le Gouvernement à suivre. Notre pays possède dix-huit fois plus de mers que de terres. Les 118 îles de la Polynésie française nous octroient à elles seules une ZEE de 4,8 millions de kilomètres carrés ; les 7 kilomètres carrés de Clipperton nous valent plusieurs milliers de kilomètres carrés de zone maritime.

Ces mers regorgent de ressources minérales, de terres rares, et constituent aussi une source d'approvisionnement en énergies fossiles. En Guyane, les études prospectives envisagent la possibilité de produire 100 000 barils de pétrole brut par jour ! Ces ZEE nous confèrent une position diplomatique et stratégique considérable. Ce potentiel pourrait répondre en partie à nos besoins en matière d'énergie fossile et renouvelable. Or nous avons pris quinze ans de retard sur l'exploration de grands fonds océaniques. Aucune donnée, aucun relevé des ressources exactes. Une gouvernance dynamique pour la mise en valeur des ZEE devrait être une priorité nationale.

La défense de ces territoires passe par le développement durable, la réponse aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens. Notre pays doit avoir une diplomatie beaucoup plus active. Pourquoi ne pas inscrire le sujet à l'ordre du jour d'un prochain Conseil européen ? La France, grâce à nos outre-mer, a le plus grand nombre d'ouvertures maritimes : elle doit jouer un rôle d'entraînement, qui renforcerait sa place au sein du Conseil. En juillet, le président de la République assistera à la conférence sur l'océan Indien ; c'est une occasion à saisir pour promouvoir ce sujet, sur lequel Paul Vergès soumettra au Sénat une proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Jacques Mézard .  - Merci à la commission des affaires étrangères et à la délégation à l'outre-mer de nous avoir proposé ce débat.

Au moment où le Parlement s'apprête à exécuter les territoires ruraux...

Mme Éliane Assassi.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - ... il est bon de s'intéresser aux ZEE ultramarines. (Sourires) L'avenir de notre planète réside dans la richesse de nos océans. Les ressources minérales de fonds marins sont déjà un enjeu majeur. Selon la Commission européenne, 10 % des ressources minérales proviendraient de fonds marins d'ici 2030. Les sédiments marins dans nos zones polynésiennes pourraient ainsi contenir une grande quantité de terres rares. Quoiqu'il soit la deuxième puissance maritime au monde, notre pays ne semble guère enclin à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour faire valoir sa souveraineté. La seule possession ne suffit pourtant pas. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait déposé une demande d'extension de la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon, contestée par le Canada.

Qu'en est-il des zones poissonneuses situées au large de Clipperton, où la France a constaté, sans réagir, le pillage massif des ressources halieutiques ? Combien de zones où nos droits sont contestés ? Le Tromelin est revendiqué par Maurice, les îles Éparses (Europa, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India) par Madagascar.

Nous devons les faire valoir pour protéger nos territoires. La France doit affirmer son rôle de puissance maritime. C'est une priorité nationale, dont nos citoyens et nos politiques sont peu conscients. Et l'on réduit les moyens de l'Ifremer ! Cinq chercheurs en tout et pour tout pour conduire la recherche sur les fonds marins, c'est irresponsable !

Cette baisse des moyens fait douter de la volonté politique du ministère des affaires étrangères. Il est temps que le Gouvernement prenne des décisions sur cet enjeu de premier plan. Nos terres australes et antarctiques ne sont pas suffisamment surveillées - combien d'ailleurs de Français en connaissent les noms ? Kerguelen, Crozet, Amsterdam. Nous devons réaffirmer notre rang.

Autre point majeur, la stabilité du cadre juridique. Il sera bientôt trop tard ; c'est maintenant qu'il faut investir, affirmer la volonté politique de prendre en compte les enjeux de ces ZEE, à travers le déploiement des moyens adaptés. (Applaudissements)

M. Michel Vergoz .  - Je félicite les rapporteurs de la délégation et remercie le président Serge Larcher de nous permettre ce moment de vérité. Onze millions de kilomètres carrés, on l'a dit, c'est la deuxième zone maritime au monde. Les prétendus confettis de l'empire d'hier, qui baignent dans tous les océans, sont au coeur des enjeux mondiaux de demain. Il est acquis que la mer est au coeur de la mondialisation. Une réelle politique de développement de nos ZEE ultramarines est urgente pour les territoires d'outre-mer.

Je soutiens les dix recommandations du rapport. Mais agissons dans l'ordre : la France doit montrer, au-delà des affichages, une réelle volonté politique. Les outre-mer ne sont pas seulement une chance, un atout, ce sont aussi de véritables gisements de richesse, à mobiliser au service de la croissance de demain.

Or le doute plane lorsque les effectifs de nos forces de souveraineté baissent de 23 %, que le nombre de nos bâtiments chute de 20 %. Dans l'océan Indien, les conflits s'amplifient autour des îles Éparses et autour de Mayotte. L'île Maurice, Madagascar, les Comores contestent nos droits sur nos ZEE.

La France ne cherche pas à jouer un rôle de premier plan au sein de l'AIFM, malgré sa légitimité à le faire. Les fonds marins sont un fabuleux gisement de croissance. La compétition fait rage, le moment de vérité est là. Ne nous contentons plus de déclarations d'intention. Cette politique exige de s'exonérer des objectifs de rigueur : c'est une grande cause nationale, qui mérite de vrais investissements d'avenir. Pour la mer aussi il faudrait décliner le pacte de responsabilité ! (Applaudissements)

M. Robert Laufoaulu .  - Hier, passant devant le Petit Luxembourg, demeure liée au souvenir du cardinal de Richelieu, je me suis rappelé sa célèbre formule : « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont souvent ignorée ». Elle est toujours d'actualité. Mais la défense de nos eaux territoriales requiert d'importants moyens. Les carences en la matière ont été soulignées. Grande ambition, faibles moyens : l'équation est compliquée.

Merci à la délégation à l'outre-mer d'avoir suscité ce débat, qui nous permet au moins de nous exprimer. Quelles suites ont été données à ses dix recommandations ? L'une d'entre elles concernait le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE : il est temps que l'Europe ouvre les yeux sur leurs atouts.

Derrière ce vocable froid, dénué de toute poésie, de ZEE se cache une fort belle et féconde réalité : la mer nourricière, formidable potentiel de développement, en Océanie tout particulièrement, où la surface de nos ZEE représente 18 % des 35 millions de km² de surface maritime.

Les terres émergées n'en représentent qu'une faible fraction. C'est donc la mer elle-même qu'il faut exploiter : poissons, minéraux, sources d'énergie. Le Grenelle, le Comité interministériel de la mer, des projets d'exploitation lancés par l'Ifremer témoignent d'un intérêt nouveau pour ces questions, mais les moyens restent insuffisants. Surtout, les ressources restent mal connues. Or une exploitation n'est durable que si l'on en mesure l'impact sur les écosystèmes. Les techniques d'exploration ou d'exploitation de grande profondeur ne sont pas encore éprouvées. Les résultats de l'étude sur l'exploitation des ressources minérales profondes sont-ils disponibles ?

Les habitants de Wallis et Futuna se mobilisent pour la préservation des coraux. La France est le quatrième pays corallien, rappelons-le. L'État ne peut prétexter de sa compétence en matière maritime - compétence d'ailleurs incertaine - pour faire fi des exigences de la population. Toute exploitation doit avoir des retombées positives pour le territoire et ses habitants.

Quand les frontières de la ZEE seront-elles définitivement fixées ? Quand les protégerons-nous efficacement de la pêche illicite ? Nous avons besoin sur ce point du soutien de l'État. (Applaudissements)