Débat sur la relance économique de la zone euro

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'action de la France pour la relance économique de la zone euro.

M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et apparentés .  - Ces deux dernières années, la France n'a pas ménagé ses efforts pour favoriser la sortie de crise en Europe. La croissance et l'emploi sont désormais au coeur de l'agenda européen. Un pacte en ce sens a été adopté dès 2012 par le Conseil européen afin de mobiliser la Banque européenne d'investissement, de lancer des obligations, avec des résultats plus modestes qu'escomptés. La France a été active ; elle a soutenu un budget pluriannuel plus favorable à la croissance, la taxe sur les transactions financières, la directive sur les travailleurs détachés, l'union bancaire.

Les conservateurs, majoritaires dans la zone euro...

M. Jean Desessard.  - Dommage !

M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et apparentés.  - ...ont hélas mené des politiques d'austérité procycliques. La zone euro continue de pâtir d'une faible coordination des politiques économiques.

Parmi les contre-vérités qu'on entend souvent, il y a le crédit accordé à la réforme « Hartz IV » pour la croissance allemande. La droite porte aux nues cette politique et présente le chancelier Schröder comme un modèle de vertu. Chacun choisit ses socialistes comme il veut ! En fait, cette politique a peu joué dans le succès économique allemand, qui s'explique davantage par les effets de la réunification et de l'ouverture des marchés de l'est européen. L'industrie allemande des biens d'équipement a profité de ce moteur extraordinaire.

Certains pays tirent leur épingle du jeu, l'Irlande... mais quel choix fiscal ! Reste que, dans l'ensemble, la croissance de la zone euro stagne : on attend 1,1 % en 2015. L'économie française se porte plutôt mieux que la moyenne, grâce à la consommation des ménages et à l'action publique. On pourrait d'ailleurs demander à M. Gattaz ce que font les entreprises du CICE...

Plus que jamais une menace de déflation plane sur la zone euro. L'exemple du Japon doit être médité : voilà quinze ans qu'il se traîne avec une croissance aux alentours de -0,1 %. Shinzo Abe vient de dissoudre l'Assemblée et son gouvernement annonce des mesures extrêmement fortes en faveur de la consommation des ménages.

Pour ne pas connaître le même sort, la zone euro doit relancer la croissance et éviter la déflation. Un nouvel assouplissement monétaire est nécessaire. Depuis quelques mois, la Banque centrale européenne a déployé un arsenal de mesures afin d'injecter 1 000 milliards d'euros de plus dans l'économie de la zone euro. Je salue ce volontarisme. On en est même à des taux négatifs : les banques paient pour y entreposer leurs fonds ! Elles feraient mieux de les investir dans l'économie.

La BCE a aussi pris des mesures non conventionnelles, à commencer par le lancement d'un nouveau programme de prêts à long terme aux banques de 400 milliards d'euros. Gageons que cette initiative dopera réellement le crédit alors que les liquidités des banques ont, ces dernières années, été massivement investies dans la dette d'État. La première émission a un peu déçu ; il y en aura d'autres.

La BCE s'engage aussi sur la voie de l'assouplissement quantitatif, à l'instar de la Banque d'Angleterre et de la Réserve fédérale américaine : rachat massif de titres adossés à des actifs ou obligations sécurisées. Les banques, dont le bilan sera ainsi allégé, pourront accorder de nouveaux crédits. La titrisation a laissé de mauvais souvenirs à cause de ses excès qui ont conduit à la crise de 2008 mais il peut aussi y avoir une bonne titrisation ! (M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, approuve)

Ces mesures ont fait chuter l'euro à 1,24 dollar, ce qui est bienvenu pour notre balance commerciale.

Un nouvel assouplissement serait nécessaire, M. Draghi semble y préparer les esprits, si je déchiffre bien sa pensée, exprimée dans la langue habituelle des banquiers centraux. On semble s'orienter vers le rachat d'obligations souveraines. Je tiens à rendre hommage à M. Draghi...

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics.  - Oui.

M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et apparentés.  - Révolution copernicienne à laquelle la Bundesbank est hostile.

Autre possibilité : le rachat d'obligations privées. Faisons-en comprendre l'intérêt à M. Noyer !

Notre politique budgétaire doit aussi être plus flexible. C'est le message que vous avez essayé de faire passer, monsieur le ministre, avec un succès inégal... Il ne s'agit pas de s'affranchir du pacte de stabilité et de croissance : les 3 %, cela date de 1992, et la France et l'Allemagne se sont un temps entendues pour ne pas le respecter. Preuve que la flexibilité est possible !

C'est la croissance qui nous permettra de résorber les déficits : le FMI et l'OCDE en sont d'accord. Ouvrons un débat « franc et amical » avec les Allemands qui préfèrent la stabilité à la croissance. Mme Merkel a proposé un contrôle accru sur les budgets nationaux via une négociation « politisée » -c'est-à-dire intergouvernementale. Cela ne va pas dans le bon sens.

Il faut aussi relancer l'investissement, y compris en Allemagne, même si le sous-investissement outre-Rhin est un problème intérieur. Saluons le plan Juncker. Mais que financeront les 300 milliards et selon quels critères ? Veillons à ce que ce plan ne fasse pas que recycler de vieux projets qui ont échoué. Il faut aussi trouver de l'argent frais en attirant les investisseurs sur des projets publics prioritaires. Une contribution de la Banque européenne d'investissement, dont le capital devrait être revu à la hausse, est envisageable. On peut aussi penser à des project bonds, ou à la mobilisation du mécanisme européen de stabilité. Selon les Allemands, ses 450 milliards doivent servir à la stabilité ; c'est vrai mais la croissance est un gage de stabilisation !

La gouvernance de la zone euro doit être améliorée, l'harmonisation fiscale renforcée (M. André Gattolin approuve), et les parlements associés à la réflexion. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

M. André Gattolin .  - La zone euro ne saurait être dissociée du reste de l'Union. Certes, des mesures de nature monétaire, de renforcement de l'union bancaire, d'instauration d'un budget et de modes de gouvernance spécifiques sont souhaitables. Mais c'est l'Union européenne qui donne à notre continent sa richesse et ses opportunités. Il suffit d'observer le dynamisme polonais pour s'en convaincre. (M. Jean Desessard approuve)

La compétition économique mondiale n'a jamais été aussi vive. Notre retard par rapport aux États-Unis s'aggrave, les « émergents » n'ont plus d'émergent que le nom. Nous aimerions en savoir plus sur les propositions du gouvernement français. Le plan de 300 milliards d'euros du président de la Commission européenne doit être partiellement détaillé dès la semaine prochaine ; la France doit veiller à ce que soient respectés deux critères. D'abord, que ces investissements soient véritablement stratégiques et concentrés sur les filières d'avenir plutôt que sur la perpétuation d'un modèle finissant. Ensuite, ces mesures ne doivent plus se contenter de viser indifféremment l'ensemble des secteurs. On ne peut plus en rester à l'approche purement horizontale encore dominante dans les politiques économiques européennes.

À force de vouloir établir un prétendu « écosystème » réglementaire identique pour tous et dans tous les domaines, la Commission européenne s'est enfermée dans un dogmatisme stérile et a pris des mesures inefficaces en matière de développement durable de l'activité en Europe. Depuis des années, elle dit favoriser la recherche et l'innovation, effectivement indispensables, alors que la Chine doit bientôt dépasser l'Europe en matière de dépenses de recherche et développement.

Le problème, c'est que sans un soutien stratégique aux filières d'avenir, les compétences et les entreprises migrent vers d'autres pays. Or, la Commission sanctionne toute aide d'État sectorielle, alors que les États-Unis et la Chine en usent et abusent. Cela ne peut plus durer. Il n'y aura pas de relance durable de l'activité en France sans une politique européenne horizontale de renforcement de la compétitivité et sans politique fiscale. Trop d'État membres l'utilisent au détriment de leurs partenaires. Il faut viser sérieusement la convergence fiscale.

La Commission européenne souhaiterait faire porter l'effort principal d'investissement sur les grandes infrastructures de réseau. C'est en effet très important. Mais n'omettons pas la nécessité de créer une vraie filière européenne numérique, pour rattraper notre retard sur les États-Unis, ni l'exigence de la transition énergétique. Nous attendons vos éclaircissements, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)

M. Éric Bocquet .  - En 2008, la Commission européenne proposait un plan de relance de 200 milliards d'euros, face à la crise naissante. Nous n'en avons jamais vu la couleur. Le plan Juncker nous laisse donc dubitatifs. « Quand c'est flou, c'est qu'il y un loup », disait une grande élue du Nord. (Sourires)

M. Michel Sapin, ministre.  - Sa grand-mère !

M. Éric Bocquet.  - Le chômage, la pauvreté ne cessent d'augmenter en Europe. La chute de l'investissement depuis 2008 est deux fois plus importante dans la zone euro qu'aux États-Unis. En trente-cinq ans, le volume de l'investissement public a été divisé par deux.

L'austérité, la baisse du coût du travail plongent la zone euro dans la déflation, empêchant le désendettement des États.

Certes, le président de la République demande à ses partenaires une « politique budgétaire équilibrée ». Mais le Gouvernement continue de mettre à mal nos services publics et le droit du travail, à baisser les dotations aux collectivités territoriales, à participer à la course au moins-disant social. La position du président de la République est d'autant moins crédible qu'il n'envisage pas de modifier les traités européens, qu'il faudrait au contraire remettre à plat. N'avait-il pas pris l'engagement de renégocier le pacte de croissance et de stabilité ?

La crise de l'euro est une crise de la construction européenne. L'Europe doit être libérée de la tutelle des marchés financiers et des dogmes néolibéraux.

L'Europe ne fait plus rêver. L'échec de la monnaie unique à nous protéger des crises financières est patent. L'heure est revenue de réorienter la construction européenne, dans l'intérêt des peuples. Priorité à l'investissement public, à une nouvelle politique monétaire, à la solidarité entre États. Le récent arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne sur le prétendu « tourisme social » nous inquiète... Une telle responsabilité historique ne saurait être assumée par les seules institutions de l'Union. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Jean Desessard applaudit aussi)

M. Jean-Claude Requier .  - Le Conseil européen a mis à l'ordre du jour le soutien à la croissance, alors que notre continent fait face à des statistiques économiques moroses. La Commission européenne propose un plan d'investissement de 300 milliards d'euros. L'Europe a besoin d'un new deal, dit M. Macron. Les détails de ce plan restent flous, comme cela ressort de votre réponse à M. Mézard la semaine dernière, monsieur le ministre. N'oublions pas le rôle des collectivités territoriales pour l'investissement dans nos territoires.

La commission Juncker est celle de la dernière chance, alors que l'euroscepticisme progresse. Il faut dire que l'Europe ne fait pas grand-chose pour emballer les foules. Les plans de relance du passé n'ont pas donné les résultats escomptés ; le grand plan Delors d'investissement pour la croissance est resté lettre morte ; le pacte pour la croissance et l'emploi, de 2012, n'a pas eu d'effet notable. La zone euro a un besoin vital d'investissements. Le chiffre de 300 milliards est important mais sera-ce suffisant ? M. Juncker a dit que la dette des États n'en serait pas alourdie. Quel sera le rôle de la Banque européenne d'investissement ?

Enfin, les domaines prioritaires d'investissement restent flous. Comment les projets seront-ils pilotés ? Comment s'articuleront-ils avec les fonds européens et avec les project bonds ? Seront-ils complétés par des investissements nationaux ou coordonnés avec l'Allemagne ?

L'Europe reste la première puissance économique du monde. Face à la concurrence internationale, l'Union européenne et la zone euro doivent avancer vers plus d'harmonisation fiscale et sociale, notamment par l'impôt sur les sociétés.

M. Éric Bocquet.  - Absolument.

M. Jean-Claude Requier.  - Il faut une Europe fédérale et puissante pour peser dans le monde (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Michel Sapin, ministre.  - Très bien !

M. Vincent Delahaye .  - Je salue l'initiative du groupe socialiste. Ce débat n'a pourtant pas vocation à faire l'apologie de l'action du Gouvernement. Discuter de son inaction eût été plus pertinent.

Notre zone euro, débarrassée des guerres monétaires et du risque de l'inflation, devait assurer notre prospérité, et est devenue paradoxalement un pôle de stagnation de la croissance mondiale. La monnaie unique devait nous sortir des dévaluations compétitives et développer les échanges en supprimant le risque de change au sein de l'Europe. Le bilan des dix premières années fut plutôt flatteur : on faisait même mieux que les États-Unis. Aujourd'hui, le chômage frappe plus de 11 millions de personnes, la croissance économique est à peu près nulle. La situation est pire si l'on observe les dynamiques internes : les pays du Nord et ceux qui gravitent autour de l'Allemagne, avec l'Autriche et les Pays-Bas, ont connu de bonnes performances à l'export et maîtrisé leurs déficits ; en revanche, ceux du Sud ont vu leur performance à l'export s'effriter à mesure que leurs déficits explosaient, parfois du seul fait des politiques de relance menées en 2008-2009. Cette dichotomie témoigne de l'hétérogénéité de la zone euro. L'Espagne et l'Italie regagnent cependant en compétitivité prix, grâce à des efforts sur le coût du travail. La France apparaît de plus en plus comme l'homme malade de l'Europe, menaçant la reprise.

Les gouvernements de Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls n'ont pas su trouver la voie de la reprise -aucune réforme structurelle, hormis l'ANI. Le CICE, mal ciblé, se révèle moins intéressant économiquement qu'une véritable TVA compétitivité.

Vous attendez désormais de l'Union européenne qu'elle finance votre politique, qui a rendu nos finances publiques exsangues. François Hollande avait promis d'arracher à la rigueur allemande un plan de relance. Celui de 2009 était de 30 milliards d'euros. Les 120 milliards alors annoncés ne représentent donc que quatre plans français. Cela n'a pas marché. Le plan de 300 milliards annoncé par Jean-Claude Juncker ne nous dispense pas des restructurations économiques qui restent à conduire. Arroser du sable, injecter des deniers publics dans une économie qui s'effrite en raison de l'hypertrophie du secteur public, c'est aggraver le mal, faute de réformes. « Il ne faut pas reprocher aux astres notre condition mais seulement à nous-mêmes », écrit Shakespeare dans Jules César.

Notre dette est trop vaste, notre exposition au risque de taux trop systémique pour tout attendre d'une telle relance européenne. La concurrence internationale est exigeante envers notre compétitivité prix-produit.

Certes, notre inflation est très faible. Est-ce une raison pour creuser davantage notre déficit ? Voyez le Japon, où cette mécanique infernale n'a pas créé de croissance et où la dette atteignait 200 % du PIB !

Nous n'avons pas de solution miracle pour sortir de la crise. La France ne saurait imposer à l'Europe de financer les efforts qu'elle n'a pas fournis elle-même. Nous en débattrons demain à propos du projet de loi de finances pour 2015. Monsieur Yung, ce n'est pas la croissance qui réduira les déficits tant que notre niveau de dépense publique -57 % du PIB- reste aussi élevé. Elle ne viendra que de réformes structurelles que vous n'avez pas faites. (Applaudissements au centre et à droite)

MM. Aymeri de Montesquiou et Éric Doligé.  - Très bien !

Mme Fabienne Keller .  - Voilà un sujet capital, mais il est encore un peu tôt pour en débattre avec efficacité alors que nous débattrons le 10 décembre, à la veille du prochain conseil européen, dont nous ignorons, à ce stade, les thématiques, pas plus que nous ne connaissons les orientations du conseil franco-allemand du 1er décembre.

Certes, le Parlement est là pour parler mais la majorité gouvernementale devrait veiller à ce que sa parole ne se disperse pas trop. Le vrai sujet, c'est la politique économique et la coordination au plan européen et là, aucun satisfecit ne peut être donné au Gouvernement. Celui-ci a agi à contretemps de nos partenaires européens. Malgré la hausse des taux de fiscalité, le rendement des impôts baisse et les écarts entre vos prévisions de recettes et celles qui entrent dans les caisses de l'État en 2014 avoisinent les 10 milliards.

Le CICE, qui fonctionne mal, n'apporte qu'un effet d'aubaine inefficace pour l'embauche. Aujourd'hui, vous espérez que les mesures du pacte de responsabilité auront un effet rapide. Rien n'est moins sûr. Ce qui se passe dans la zone euro met en évidence les limites de vos choix économiques. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Portugal redémarrent, au prix de mesures économiques prises avec courage, rapidement, même si elles furent parfois douloureuses. La croissance ne se décrète pas, pas plus que le cours de l'euro. Vos marges de manoeuvres sont réduites. La dépréciation de l'euro dont M. Montebourg était un ardent défenseur fait monter les prix des importations.

La dépense publique ne se réduit que beaucoup trop lentement. En ne réduisant pas le déficit, vous hypothéquez l'avenir. Le Gouvernement demande à présent des investissements publics financés au niveau européen : c'est votre dernier mantra.

Une telle politique d'investissement public doit être pesée au trébuchet. Je rappelle que l'on ne peut dilapider l'argent public européen : c'est celui des États membres.

Il faudra convaincre nos partenaires européens que ces financements aillent vers les pays qui mènent des réformes. Sur lesquelles vous engagerez-vous ? Pourquoi exiger de l'Allemagne 50 milliards d'investissements ? L'Alsacienne que je suis, et l'amie de Wolfgang Schaüble, vous rappelle que l'Allemagne subit un vieillissement démographique accentué et visible.

M. Michel Sapin, ministre.  - Eh oui !

Mme Fabienne Keller.  - Elle fait face à une concurrence internationale exacerbée, des salaires réels qui augmentent plus vite que la productivité, d'où un recul de la fameuse profitabilité des entreprises allemandes. Même si la demande intérieure augmentait plus vite en Allemagne, il n'est pas sûr que nos entreprises en profiteraient. L'investissement ne serait-il pas mieux soutenu par une fiscalité plus favorable aux entreprises et mieux harmonisée, alors que nos PME et ETI paient 60 % d'impôts en plus, en moyenne, que leurs homologues allemandes ?

Le manque de croissance s'explique aussi par la persistance de nos déficits et de notre dette publics. Quelle croissance espérer avec 57 % de dépenses publiques ? Ce qui fera avant tout redémarrer la croissance en France, c'est la confiance, la clarification de la trajectoire de notre politique économique, fiscale, énergétique ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Éric Doligé.  - Tout est dit !

M. François Marc .  - On le sait, l'Europe traverse une grave crise économique. La croissance est faible, anémiée, et la déflation menace. L'expérience japonaise nous montre combien il est long de sortir d'une telle spirale. D'où l'urgence de la relance de l'investissement public et privé en Europe. Ce constat, cher au président Hollande, est partagé par le prix Nobel Paul Krugman, Mario Draghi et Jean-Claude Juncker. Et chacun de s'interroger sur le montant des sommes à engager et la nature des investissements à programmer. Je m'attacherai à préciser les secteurs clés. Les projets d'infrastructures seront évidemment ciblés, mais tous les moyens ne peuvent y être concentrés si l'on veut que l'Europe se prépare au monde de demain.

Les investissements énergétiques sont la principale réponse au défi climatique. L'enjeu est aussi l'autonomie énergétique de l'Union européenne, à l'heure où menace une nouvelle guerre froide avec la Russie.

Il est de notre devoir, si nous voulons préserver l'avenir des générations futures, d'engager dès aujourd'hui les investissements dans les énergies renouvelables et l'économie d'énergie. Le numérique et les télécommunications exigent aussi des investissements massifs et structurants.

Troisième secteur clé : les biotechnologies, qu'il s'agisse de la santé, de l'environnement, de l'agriculture ou de développer la croissance industrielle.

La recherche-développement a besoin d'investissement en Europe pour rattraper son retard sur les États-Unis.

La Caisse des dépôts et consignations est un investisseur institutionnel de long terme ; elle relayera le plan européen en France.

Les effets positifs de ces investissements serviront les intérêts des générations futures. Ils agiront aussi pour le retour à la croissance (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Commeinhes .  - Je salue l'utilité de ce débat à l'heure de choix importants pour l'avenir. Pourtant, notre pays semble plus hésitant que jamais, oscillant entre son destin européen et la tentation d'on ne sait quelle épopée solitaire. Il est de bon ton de saluer l'invitation faite à l'Allemagne par Emmanuel Macron d'investir 50 milliards d'euros dans son économie, en espérant l'effet boule de neige en France... Ses calculs sont optimistes. Ils reposent sur une augmentation des dépenses publiques de 60 milliards d'euros sur deux ans. L'Allemagne, pour l'heure, propose 10 milliards. En tout état de cause, le premier impact d'un tel plan sera pour l'économie allemande elle-même. Une relance allemande n'est pas une panacée.

La zone euro n'a pas besoin de plans nationaux mais d'une véritable solidarité. Notre problème n'est pas l'Europe, ni Mme Merkel, ni notre monnaie...

M. Éric Doligé.  - C'est la France !

M. François Commeinhes.  - Oui, car elle décroche, faute des réformes structurelles indispensables. Le choc de compétitivité ne viendra pas que de notre résolution à ne pas se cacher derrière des contre-vérités pour cautionner notre immobilisme.

Attendre tout de la zone euro n'est pas plus aisé que de sortir des 35 heures, de réformer notre marché du travail. Nous nous trouvons à la croisée des chemins. Il est nécessaire d'envisager enfin, en France même, des politiques de croissance et d'innovation, dans le domaine de l'énergie, de la santé, de la formation, de la recherche.

Le rôle de la France n'est pas de se confiner dans un dialogue sans fin avec l'Allemagne mais de configurer une Europe utile, fût-elle à plusieurs vitesses, ce qui ne serait qu'un pis-aller pour sortir de l'impasse actuelle de l'Union européenne. Le problème essentiel de la zone euro est la disparition des gains de productivité et du progrès technique, comme de la contraction de l'industrie, qui ne peuvent être corrigées par la seule politique monétaire. La France doit agir mais l'Union européenne a un rôle majeur à jouer pour améliorer la compétitivité prix des entreprises européennes, favoriser l'émergence d'acteurs européens crédibles au niveau international.

La France doit prendre l'initiative d'un traité intergouvernemental unique pour constituer un bloc monétaire et budgétaire homogène d'une dizaine ou d'une quinzaine de pays, pour retrouver l'élan européen initial, où notre pays doit avoir un rôle moteur, avec un courage équivalent à celui des pères fondateurs. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Éric Doligé.  - Très bien !

M. Dominique Bailly .  - Une relance de l'Europe ne peut se concevoir sans renforcer sa dimension sociale. Toutes les analyses montrent que la zone euro est fragilisée par des politiques d'ajustement si elles ne sont pas accompagnées. Depuis juin 2012, sous l'impulsion de François Hollande, la France travaille...

M. Éric Doligé.  - Eh bien !

M. Dominique Bailly.  - Oui, parfaitement ! Elle a remporté des batailles, dans la lutte contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux, sur les travailleurs détachés, l'union bancaire ou la garantie jeunesse. Mettons en oeuvre l'article 9 du traité de Lisbonne, qui offre des possibilités sociales qui ne sont pas encore exploitées au-delà de la sempiternelle « coordination » : une telle politique sociale doit être transversale, c'est-à-dire intégrée à toutes les politiques européennes. Il s'agit de poursuivre la lutte contre le dumping social. L'Europe sociale doit être le ciment du projet européen.

Sur la garantie jeunesse, je me félicite de la position de la France et de l'Italie, prônant la pérennisation du dispositif jusqu'en 2020.

Il n'atteindra ses objectifs que si sa mise en oeuvre est rapide et efficace ; or le système de préfinancement à 1 %, sur le modèle des fonds structurels, limite son efficacité. Il faut alléger la procédure car la garantie jeunesse doit être une priorité de l'Union européenne. Pourquoi pas des fonds de proximité ad hoc ?

Il en va de même pour l'assurance chômage européenne, qui pourrait contribuer à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d'ajustement des autres politiques économiques, en assouplissant les contraintes budgétaires des États membres. Cette proposition trouve un écho au Parlement européen.

Seules des actions concrètes apporteront des réponses concrètes aux difficultés vécues par nos concitoyens européens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Daniel Gremillet .  - La crise économique se double d'une crise des dettes souveraines. Notre responsabilité est collective. Nous devons avoir le courage de mener les réformes économiques sans lesquelles nos indicateurs resteront à la traîne, en dépit de nos atouts réels. L'Insee a indiqué que la France fait mieux que l'Allemagne : 0,3 % de croissance contre 0,1 % au troisième trimestre. Mais les importations sont plus importantes que les exportations, l'investissement recule : seule la consommation, une fois de plus, a sauvé la croissance mais le chômage frappe 10,4% de la population active.

Trois pays de la zone euro ont enregistré le plus grand déficit et détruit le plus grand nombre d'emplois industriels, dont la France, quand l'Allemagne, elle, a créé 60 000 emplois industriels depuis 2007. Comme le dit Jean-Louis Level, pas d'avenir sans l'industrie, moteur de la croissance. Plusieurs obstacles doivent être levés pour ramener la croissance. Le niveau des dépenses publiques est le premier. Il faut ensuite réformer le marché du travail. Jean Tirole, notre prix Nobel d'économie, nous l'a dit cet après-midi à la commission des affaires économiques : la France doit comprendre qu'il faut protéger les salariés, comme en Europe du nord, et non pas les emplois.

Il faut réformer notre fiscalité : le poids des charges sur le travail, le poids de la fiscalité sur les entreprises, des impôts sur la production sont aussi des freins à la croissance.

Enfin, il faut respecter nos engagements européens et sauver le dialogue franco-allemand. En 2016, nous aurons le déficit le plus élevé de la zone euro. Le Gouvernement s'est trompé en cassant la croissance sans réduire les déficits. Comment avancer dans la zone euro si les plus grands pays ne respectent pas leurs engagements ? Il convient aussi de rompre avec l'accumulation des normes. L'Europe, l'euro sont une chance. Nous devons continuer de les construire, aller plus loin dans les domaines social, fiscal, normatif. Au lendemain de la réussite historique de la mission Rosetta, l'heure n'est pas au pessimisme.

M. François Marc.  - Très bien !

M. Daniel Gremillet.  - Il faut fixer un cap et le garder. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Avec l'accord de tous les groupes, je vous propose d'aller au-delà de l'espace réservé au groupe socialiste, sans que ce dépassement soit considéré comme un précédent car nous avons tous envie d'entendre le ministre qui saura n'employer pas plus de quinze à vingt minutes, en faisant appel à son esprit de synthèse.

M. François Marc.  - Il peut le faire !

M. Gaëtan Gorce .  - Depuis soixante ans, la France a fait le choix de l'Europe ; depuis quarante ans, elle en a fait son ambition, elle est plus sensible à la situation de l'Union européenne. Or, la zone euro est en panne, économique et politique, faute d'articuler intégration et activité.

Parce que les responsables ne trouvent pas la solution, nous nous trouvons dans les difficultés actuelles. L'histoire de la zone euro est marquée par une série d'erreurs d'appréciation. L'uniformisation des marchés, le rapprochement des économies n'ont pas permis, comme le croyaient ceux qui l'ont fondée, de dynamiser l'industrie, qui s'est juste polarisée au profit de certaines régions et au détriment de beaucoup d'autres.

Après l'union budgétaire et l'union bancaire, aucune nouvelle initiative d'intégration politique n'a été prise. Une part de nos difficultés tient à ce que nous n'avons pas avancé, sur le plan politique, de façon offensive.

On peut comprendre que l'Allemagne soit méfiante à l'égard des partenaires auxquels elle a imposé des règles strictes, que les peuples ne supportent plus. On n'a le choix qu'entre une Europe punitive ou une Europe passive. On n'en sortira, c'est le rôle de la France, que par une relance politique. On l'a vu avec Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl. La France doit à nouveau le faire aujourd'hui en mettant sur la table publiquement, sans s'en tenir aux négociations de sommets, à la fois un fonds d'investissement et des propositions politiques pour la croissance et l'emploi. C'est de cette manière que nous redonnerons confiance aux opinions publiques et recréerons de l'emploi. La relance politique déterminera la relance économique. Le plan de 300 milliards d'euros d'investissements proposé par M. Juncker est utile mais il est souhaitable que les gouvernements, notamment le gouvernement français, disent aux peuples européens, qu'il faut aller plus loin en faisant un nouveau pas en avant vers plus d'intégration politique et démocratique , en y associant les parlements. C'est l'avenir de notre économie, de notre emploi, de notre institution, mais aussi de notre démocratie qui est en jeu, à travers ce renforcement politique de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics .  - Je remercie M. Yung d'avoir pris l'initiative d'un débat qui est d'actualité -les discussions en cours déboucheront fin décembre sur des propositions que j'espère dynamiques et efficaces.

Car l'Europe est face, aujourd'hui, à une menace majeure : une croissance beaucoup trop faible, une inflation beaucoup trop faible, et le risque que cette situation s'installe beaucoup trop longtemps -avec à la clé, chômage et crise sociale, comme au Japon depuis les années 90.

Première leçon de l'expérience japonaise : au moment où on se rend compte de la situation, il est trop tard ; il faut agir tout de suite et utiliser tous les leviers à disposition. C'est une réponse sur cinq axes que la France appelle de ses voeux.

Politique monétaire, d'abord : avec 0,4 % en octobre, l'inflation en zone euro est très inférieure à la cible de 2 % fixée par la BCE. Celle-ci a amorcé des mesures sans précédent en juin et en septembre -achat d'actifs et prêts ciblés aux banques, qui ont contribué à la détente du cours de l'euro mais sans effet sur l'inflation.

Politique budgétaire, ensuite. La défiance des investisseurs au cours de la crise des dettes souveraines a conduit les pays européens à consolider leurs comptes publics massivement et simultanément -ce qui a pesé sur la croissance et aurait coûté, selon la Commission elle-même, entre 3 et 8 % du PIB selon les États, 5 % en France. À Brisbane, nos partenaires du G 20 nous ont appelés à agir, le ministre des finances américain s'inquiétant même du risque d'une « décennie perdue » en Europe ; il nous faut appliquer intelligemment les règles avec une flexibilité en adéquation avec la situation, adapter le cadre de la gouvernance budgétaire, moins un logiciel de prévention des risques d'éclatement de la zone euro qu'un garant d'une croissance équilibrée et durable.

Troisième axe : les réformes de structure. Sous ce vocable, il n'y a pas je ne sais quelle injonction néolibérale mais des réformes en profondeur des mécanismes économiques -l'ANI de 2012 est une réforme de structure. Elles sont discutées entre Européens, comme il se doit. Une monnaie commune crée des interdépendances et des intérêts communs. Je souhaite plus de discussions sur l'orientation des réformes, plus d'évaluation de leur impact, pour chaque pays comme pour la zone euro dans son ensemble. L'OCDE chiffre ainsi à 0,4 % par an sur dix ans l'effet sur la croissance française des réformes déjà engagées ou annoncées.

Quatrième levier, le plan Juncker d'investissement européen. Aujourd'hui, l'investissement privé et public en zone euro est inférieur de 16 % au niveau de 2007. Même en Allemagne, c'est une des principales causes de la faiblesse de la croissance. L'investissement, c'est ce qui réconcilie offre et demande, court terme et long terme. Nous souhaitons cibler en priorité l'économie numérique, les infrastructures énergétiques et de transport, la transition énergétique, avec une attention particulière pour le tissu des PME et ETI. N'opposons pas financement public et financement privé. Les fonds publics peuvent attirer les fonds privés, porter une part des risques, privilégier le temps long face à la myopie fréquente des investisseurs privés. Des ressources publiques devront être mobilisées ; il faudra mieux utiliser les fonds structurels et réfléchir à l'utilisation d'autres outils.

Enfin, cinquième levier : il faut nous placer dans des perspectives d'intégration future. Notre projet, c'est l'Europe. Tracer une perspective pour ce projet, c'est redonner confiance, et donc favoriser la reprise. Le premier projet est celui de l'harmonisation fiscale avec l'étape, à la fin de l'année, de la taxe sur les transactions financières -c'est la preuve qu'on peut faire des coopérations renforcées. Je fais confiance à la nouvelle Commission. Deuxième chantier, la lutte contre l'optimisation fiscale des entreprises. J'attends de la Commission des propositions rapides pour transposer les règles BEPS de l'OCDE. Enfin, l'intégration des systèmes financiers.

Notre politique économique est cohérente avec notre vision européenne. Il ne s'agit pas de demander à l'Europe plus de souplesse pour faire face à l'insuffisance de nos efforts. Nous avons trouvé des déficits creusés, nous les réduisons, nous ralentissons les dépenses publiques comme jamais, nous menons des réformes que d'autres n'ont pas faites pendant dix ans.

Nous prenons nos responsabilités, pour la France comme pour l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)