Accueil et protection de l'enfance

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n°2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance.

Discussion générale

Mme Colette Giudicelli, auteur de la proposition de loi .  - Des faits divers terribles nous rappellent que la maltraitance et les violences faites aux enfants se concluent souvent par leur décès. C'est une question de société, mais aussi de santé publique. Les conséquences de la maltraitance sont catastrophiques. Certes, tous les enfants victimes de violences ne deviennent pas des délinquants ni des parents maltraitants ; en revanche, les études confirment un lien avec des troubles majeurs plus tard et deux victimes de violence sexuelle sur cinq font une tentative de suicide à l'âge adulte...

De toutes les violences, les violences sur les enfants sont les plus cachées, mais on sait que chaque jour, deux enfants meurent sous les coups de leurs parents. On dénombre 700 000 à 800 000 dossiers de mauvais traitements, 98 000 cas connus d'enfants en danger - 100 000 selon les associations. La situation ne cesse de se dégrader : une hausse de 10 % en dix ans. Sont en danger les enfants dont la santé, la sécurité, l'éducation ou la moralité sont menacées. On estime que 19 000 enfants sont victimes de maltraitance, 85 % au sein de la famille proche ; 45 % ont moins de 6 ans.

Le signalement reste insuffisant, avec une sous-évaluation des chiffres réels de la maltraitance. Les études américaines et canadiennes font état d'un phénomène qui toucherait un enfant sur dix... Insuffisance des investigations médicales, carences dans la prévention et le repérage expliquent cette sous-évaluation. Merci au rapporteur de la commission des lois d'avoir enrichi la proposition de loi sur ce dernier point.

L'insuffisance du nombre de signalements effectués par les médecins - 5 % seulement - est dramatique. De ces 5 %, 1 % seulement provient de médecins libéraux. Pourquoi si peu de signalements ?

La création de l'Observatoire national de l'enfance en danger et la loi du 5 mars 2007 ont marqué des progrès importants. La loi de 2004 protège les médecins contre d'éventuelles sanctions disciplinaires du fait d'un signalement, mais cette protection est insuffisante - ils risquent quand même des poursuites civiles ou pénales. On comprend leurs réticences.

Difficulté du repérage, peur du signalement abusif sont des freins puissants. Nous peinons à prendre le problème à bras-le-corps, dit le Conseil de l'ordre, qui a désigné un conseiller ordinal référent dans chaque région. La Haute Autorité de santé (HAS) a mis à disposition des médecins des outils de repérage, mais est-ce suffisant ? Mme Taubira estimait, lors d'un colloque ici-même au Sénat, que nous devions améliorer à la fois le repérage et les outils.

La HAS a pointé le manque de formation des médecins et la crainte des conséquences d'un signalement abusif. On peut aussi mentionner le manque de connaissance des signes de maltraitance et la complexité des modalités de signalement. Il faut une information claire et l'assurance pour les médecins d'être eux-mêmes protégés. Au législateur de rassurer les médecins. Les poursuites pénales contre plus de 200 médecins ont créé un climat de défiance et de stress.

Dans douze pays européens dont la Suède, la Norvège, la Finlande ou encore l'Italie, les médecins ont obligation de signaler, et bénéficient en contrepartie d'une protection juridique forte. Mais cette obligation pose problème, car elle peut engager la responsabilité civile des médecins, et dissuader les victimes de consulter. Je préfère donc que l'on s'en tienne à une obligation déontologique. Le code de déontologie médicale, en son article 44, prévoit que le médecin doit signaler, sauf circonstances particulières que le médecin doit apprécier en conscience - c'est là une brèche dans le dispositif, qui mériterait peut-être d'être supprimée.

Comment mieux protéger les médecins ? La loi de 2004 n'a pas été efficace pour encourager les médecins à signaler, le médecin pouvant être poursuivi au civil ou au pénal pour dénonciation calomnieuse. Je propose - cela ne coûte pas le moindre euro - d'affirmer clairement leur irresponsabilité en cas de signalement répondant aux exigences de l'article 226-14 du code pénal. Merci à la commission des lois d'avoir étendu cette protection à l'ensemble des professionnels de santé.

L'information peut être transmise à la Cellule départementale de recueil des informations préoccupantes (Crip) ou signalée au procureur de la République en cas de nécessité de protection immédiate ; la commission des lois a précisé que le signalement pourra être adressé à la Crip sans obligation de saisine du procureur.

Adressons un message clair aux médecins, protégeons ceux qui signalent pour protéger les enfants victimes de violence. N'oublions jamais ces chiffres insupportables : 700 à 800 enfants meurent chaque année de violences dans notre pays. Je compte sur vous pour dire : « Plus jamais ça » ! (Applaudissements)

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois .  - La maltraitance faite aux enfants est un très grave problème de société. En France, on dénombre 98 000 cas d'enfants en danger, 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque ; 44 % des enfants maltraités ont moins de 6 ans.

Seulement 5 % des signalements d'enfants en danger proviennent du secteur médical, sur ces 5 %, 4 % des signalements proviennent des médecins hospitaliers et 1 % des médecins libéraux.

La proposition de loi renforce le rôle des médecins dans la détection et la prise en charge des situations de maltraitance, en introduisant dans le code pénal une obligation pour les médecins de signaler ces situations tout en les protégeant contre l'engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.

L'article 226-14 du code pénal dispose que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes. Est expressément visé, le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République « les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ». Ce signalement suppose l'accord de la victime, sauf si celle-ci est mineure ou en incapacité physique ou psychique. Lors du débat sur la loi du 5 mars 2007 la commission des lois avait estimé que le médecin ne pouvait s'affranchir de l'accord de la victime.

Pourquoi le dispositif en vigueur est-il si peu utilisé ? La raison de l'absence de signalement est avant tout psychologique : les médecins redoutent le mécanisme broyeur de la justice, les conséquences du signalement sur la famille, sur le lien de confiance, sur leur clientèle. Elle teint aussi au manque de formation à la reconnaissance des situations de maltraitance comme des procédures de signalement.

Faut-il introduire l'obligation de saisir « sans délai » le procureur de la République, comme le propose la proposition de loi initiale ? Dans 90 % des cas, la maltraitance est très difficile à caractériser. Le médecin serait appelé à signaler le moindre fait, sauf à mettre en cause sa responsabilité - ce qui dissuaderait la victime de consulter et priverait le médecin de la possibilité de demander des avis ou des examens supplémentaires.

Ces réserves n'ont pas entamé l'enthousiasme de la commission des lois, qui a modifié la proposition de loi pour y répondre. Le droit existant protège déjà les médecins signalant les cas de maltraitance des sanctions disciplinaires ou pénales ; en l'absence de signalement, le médecin ne peut être poursuivi. Il lui revient seulement de rapporter les faits au procureur de la République, non de dénoncer les auteurs. Cependant, les dispositions de l'article 226-14 du code pénal ne sont peut-être pas très lisibles pour des non-juristes. La proposition de loi améliore la lisibilité du texte, cela rassurera les médecins. La commission des lois a préféré des notions juridiques, en se référant par exemple à la preuve d'absence de bonne foi. En cas de simples doutes, les médecins devraient pouvoir adresser leur signalement à la Crip, habilitée à effectuer des vérifications supplémentaires.

La commission des lois a étendu le champ de la protection juridique accordée aux médecins à l'ensemble des professions médicales. Elle a enfin instauré une obligation de formation des professionnels aux procédures de signalement des cas de maltraitance.

Aux pouvoirs publics d'améliorer l'information et la sensibilisation des médecins à ces questions. La HAS a déjà amélioré le formulaire de signalement. (Applaudissements à droite)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie .  - Ce texte vise à renforcer encore les réponses collectives que nous pouvons apporter pour mieux protéger les enfants. La protection de l'enfance est souvent dans l'angle mort des politiques publiques, même si nous progressons.

La maltraitance est une triste réalité, sans doute plus répandue qu'on ne le pense : selon la revue The Lancet, 10 % des enfants seraient concernés dans les pays à hauts revenus comme la France. La maltraitance est protéiforme, elle touche toutes les catégories sociales, c'est à la fois un sujet de société et un problème de santé publique.

La maltraitance commence souvent très tôt ; or au début de sa vie, l'enfant voit très souvent un médecin. Pourtant, seuls 5 % des signalements émanent du corps médical ; c'est trop peu. D'après l'Ordre, aucun médecin n'a été sanctionné disciplinairement pour avoir procédé à un signalement, seuls ont été sanctionnés des médecins qui n'ont pas effectué de signalement.

Notre arsenal législatif est robuste. La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l'enfance - je salue Philippe Bas qui l'a défendue en tant que ministre - a introduit la notion d'information préoccupante et créé les Crip dans chaque département. Il est ainsi possible d'intervenir dès que le risque est identifié ; entre dénoncer ou se taire, il y a une troisième voie : partager l'information avec d'autres professionnels.

La HAS a communiqué le 17 novembre dernier ses recommandations aux médecins et fourni des outils utiles tels un modèle-type de signalement. Elle rappelle que la protection de l'enfance est un acte médical et une obligation déontologique : les sanctions pour non-assistance à personne en danger ou non-dénonciation de crime sont lourdes.

Les freins au signalement sont multiples. Le manque de formation ? Je vous invite à visionner le court-métrage sur le site Stop-violence-femmes.gouv.fr... D'autres freins peuvent être la méconnaissance des procédures légales, une représentation idéalisée de la famille - naturellement bonne et protectrice - le lien avec la patientèle, la crainte de poursuites. Il faut donc rassurer les médecins, rappeler les dispositions de la loi du 5 mars 2007, encourager les liens entre l'Ordre des médecins et les structures en charge de la protection de l'enfance. La présence d'un médecin au sein de la Crip est facilitatrice.

La proposition de loi Meunier-Dini, que vous connaissez bien, reviendra demain devant vous ; c'est une occasion à saisir. Je me réjouis que les positions convergent sur des questions aussi fondamentales que la protection de l'enfance. Je regrette toutefois que cette proposition de loi-ci n'ait pas été présentée sous forme d'amendement à la proposition de loi Meunier-Dini... Même en légistique, il vaut mieux deux assurances qu'une...

Le cloisonnement est trop présent entre les professions qui interviennent dans la protection de l'enfance, qui font chacune un travail remarquable. J'ai lancé une grande concertation sur le sujet, dont les conclusions seront rendues en mai.

Parler de maltraitance des enfants, je l'ai découvert, demeure un sujet subversif : il nous faut pousser des portes bien verrouillées, mais aussi symboliques, car alors la sphère publique entre dans la sphère privée. Un sujet subversif aussi parce que dogmes et idéologies s'affrontent : droit de l'enfant contre droit de la famille ; lien parental et placement, secret professionnel et partage de l'information. Subversif encore parce que nous interrogeons nos propres pratiques : si nous n'avons pas été des parents maltraitants, avons-nous toujours été des parents bien-traitants ? La bien-traitance, voilà l'ambition de mon ministère.

Nul doute que le Sénat saura être, comme souvent, la chambre de la sagesse et du consensus. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Bigot .  - Il est vrai que les violences intrafamiliales sont importantes, mais mesurons le chemin parcouru : c'est parce que les signalements ont progressé, que la médecine a fait des avancées, que ces faits sont rendus publics. Il y a dix ans, on ignorait le phénomène des bébés secoués...

Sans doute la commission des lois a-t-elle eu raison d'être prudente en renonçant à l'obligation de signalement, qui existe dans plusieurs autres pays ; peut-être faudra-t-il y venir un jour. C'est un argument pour le médecin face à la famille.

Autre sujet, la difficulté du constat : la maltraitance ne se remarque pas toujours, a fortiori quand elle est psychologique. L'enfant maltraité se sent mal aimé, il ne voudra pas s'en ouvrir au médecin.

Cette proposition de loi est équilibrée ; il est bienvenu de privilégier le signalement auprès de la Crip avant la saisine du procureur de la République. Il serait impensable de ne pas soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - Le sujet est grave. Les chiffres sont sidérants : 98 000 cas connus d'enfants en danger, 19 000 victimes de maltraitance, 79 000 dans des situations à risque, 44 % des enfants maltraités ont moins de six ans. Derrière ces chiffres, il y a la réalité crue de l'enfance en danger ou maltraitée.

Pour ces 98 000 enfants, chacun doit prendre ses responsabilités. La nôtre est d'améliorer les procédures de signalement pour que ces chiffres terrifiants baissent enfin. Or seuls 5 % des signalements proviennent du secteur médical et 1 % seulement des médecins libéraux.

En 2003, le Parlement considérait que le droit existant entravait le signalement par les médecins, et avait modifié l'article 226-14 du code pénal. Dix ans après, il faut revoir ces dispositions. Depuis 1997, 200 médecins environ ont fait l'objet de poursuites pénales ou de sanctions disciplinaires à l'initiative des auteurs présumés des violences, ce qui a créé un climat de stress et un malaise profond. La loi de 2004 n'a pas été suffisante pour protéger les victimes mineures et inciter les médecins à signaler les présomptions de maltraitance.

Le groupe écologiste prône l'instauration d'une véritable protection juridique pour le corps médical, comme le préconise le Conseil de l'Europe. Il se réjouit que l'immunité accordée aux médecins ait été étendue aux autres professions médicales par la commission des lois.

Ce texte libère les médecins du dilemme entre devoir moral de signaler, respect du secret médical et crainte des poursuites. Nous le voterons sans hésitation. (Applaudissements)

M. Patrick Abate .  - Un quart des adultes dans le monde déclarent avoir subi des violences physiques dans leur enfance ; une femme sur cinq et un homme sur treize déclarent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance. Ces violences ont des conséquences très graves, en particulier des troubles comportementaux physiques ou psychiques. Ce problème concerne l'ensemble des pays, même si les pays connaissant des conflits armés ou une grande pauvreté sont les plus touchés. L'ensemble des milieux sociaux sont concernés : 10 % des enfants seraient victimes dans les pays dits à hauts revenus. Cela veut dire que dans une troupe de dix gamins qui se rendent à la cantine, un serait un enfant maltraité : c'est énorme...

Les médecins sont des acteurs essentiels dans l'accompagnement des enfants, or ils participent peu au signalement : manque de formation, réticence à mettre en cause la sphère familiale, méconnaissance des modalités de signalement sont autant de freins à l'action, sans oublier le risque de poursuite pénale. 200 médecins ont fait l'objet de telles poursuites depuis 1997 -  ce n'est pas énorme, mais il faut s'en préoccuper.

Le repérage doit être le plus précoce possible. D'où cette proposition de loi qui va dans le bon sens. La commission des lois l'a modifiée en levant l'obligation de signalement, qui risquait d'être contreproductive ; elle l'a enrichie en prévoyant un signalement auprès de la Crip, solution plus souple et plus équilibrée donc plus efficace ; elle a élargi le signalement aux violences au sein des couples et prévu une formation aux modalités de signalement. Au-delà du texte, la formation des médecins devra être renforcée.

Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur de la commission des lois. Le consensus est bien le moins que le Sénat puisse apporter à un texte qui contribue à la protection de l'enfance. (Applaudissements)

M. Gilbert Barbier .  - Ce texte renforce le rôle des médecins dans la protection de l'enfance. Face aux mauvais traitements et aux violences sur les mineurs que rapportent les médias, l'intention est louable. À chaque fois, l'on se demande : pourquoi cette famille n'a-t-elle pas été signalée ?

Combien d'adultes traînent en silence le boulet d'une maltraitance dans leur enfance ! La maltraitance est un phénomène massif qui peut occasionner des troubles majeurs à l'âge adulte : penchant pour la toxicomanie et les comportements violents, tentatives de suicide, désocialisation. Il n'y a qu'à lire les comptes rendus d'audience de cours d'assises pour s'en convaincre...

La loi de 2004 a instauré l'irresponsabilité pénale et civile pour les médecins. Est-ce suffisant ? Certainement pas pour les auteurs de cette proposition de loi, puisque seulement 5 % des signalements sont effectués par les médecins. Les raisons sont multiples : méconnaissance du mécanisme de signalement, craintes de poursuites, freins psychologiques.

Faut-il étendre à tous les médecins l'obligation faite aux médecins fonctionnaires aux termes de l'article 40 du code pénal ? À l'instar de la commission des lois, je ne le crois pas. Mieux vaut diversifier les voies - encourageons les médecins à s'adresser à la Crip - et renforcer la formation sur ce sujet extrêmement délicat. Les médecins hésitent souvent à saisir l'autorité judiciaire. J'ai exercé pendant plus de dix ans en chirurgie infantile et j'ai vu combien il fallait prendre de précautions en cas de soupçons de maltraitance. C'est encore plus délicat pour le généraliste isolé. N'imposons pas aux médecins de contraintes trop lourdes ! Le groupe RDSE votera le texte de la commission.

M. François Zocchetto .  - La lutte contre la maltraitance infantile doit être une priorité nationale. N'étant pas médecin, j'ai été surpris de découvrir le peu de cas signalés par les praticiens : 5 % seulement. Cette situation s'explique d'abord par la peur du médecin devant d'éventuelles poursuites qui fait écho à la peur de la victime de parler.

Alors, comment libérer la parole ? L'obligation générale de signalement empêcherait de déceler les cas graves, elle fragiliserait les victimes mineures ou incapables car les auteurs des violences ne les présenteraient plus au médecin.

Le lien de confiance entre praticien et patient déliera mieux les langues. Confiance aussi pour les médecins, il est bon de réaffirmer leur irresponsabilité pénale.

La crainte des poursuites n'est pas le seul frein, il y a aussi le cas de conscience. Un signalement peut avoir des conséquences irrémédiables sur la vie d'une famille, sur une carrière professionnelle. Les médecins doivent être mieux formés à identifier les signes de maltraitance. Cet enseignement doit être délivré à l'université puisqu'il s'agit d'un devoir déontologique. Saisir la Crip sera plus aisé que saisir directement la justice. Enfin, le médecin ne doit pas rester seul ; la commission des lois a donc fort utilement étendu l'immunité pénale aux autres professions médicales.

Vous l'avez compris, le groupe UDI-UC votera le texte de la commission. (Applaudissements)

M. Christophe Béchu .  - Je joins à ceux des autres orateurs mes remerciements à l'adresse de Mme Giudicelli et de M. Pillet. Les chiffres ont été cités : d'après une étude britannique, un enfant sur dix est victime de maltraitance, le silence est gardé dans deux tiers des cas. J'ai eu l'honneur de présider l'Observatoire national de l'enfance en danger. À sa tête, j'ai combattu pour que nous puissions objectiver le phénomène, disposer de chiffres.

L'enfance maltraitée met profondément mal à l'aise. Elle ne donne pas lieu à des inaugurations. Dans ce champ, contrairement à tous les autres, on ne montre pas : la règle est l'anonymat des enfants. Sentiment de malaise devant ce phénomène : comment peut-on toucher à des enfants ? Comment ceux qui devraient les aimer, les éduquer, en deviennent-ils des bourreaux ?

Des affaires retentissantes nous rappellent le mur du silence auquel se heurte encore la lutte contre la maltraitance des enfants. Alors, le groupe UMP votera évidemment cette proposition de loi.

Le 119 est trop peu utilisé ; la loi Bas, excellente, peut être améliorée. On protège les médecins pour les inciter au signalement. Et les instituteurs alors ? Et les autres lanceurs d'alerte ? Président de conseil général, j'ai été saisi par un responsable de l'action sociale qui me signalait un cas pour le compte d'une assistante sociale prête à parler mais refusant de s'engager par écrit...

Parler de la protection de l'enfance, c'est aussi parler des moyens. Elle est une dépense contrainte pour les départements, mais, faute de critères objectifs, elle fait trop souvent office de variable d'ajustement dans les budgets...

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - C'est vrai.

M. Christophe Béchu.  - Enfin, puisque Mme Rossignol a qualifié le Sénat de chambre du consensus et de la sagesse, je rappelle que la proposition de loi que j'avais déposée avec Catherine Deroche a été votée par 330 voix sur 346 -  tous les sénateurs moins quatre socialistes et les écologistes. Elle rendait les allocations familiales aux départements ayant la charge des enfants victimes de violences. Le gouvernement la rejetait en évoquant une grande loi. C'était il y a trois ans. Où en est-on ? (Applaudissements à droite)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État .  - Attention de ne pas confondre protection de l'enfance et maltraitance. Des enfants peuvent être confiés à l'Aide sociale à l'enfance pour de tout autres raisons. C'est seulement dans 30 % des cas que la cause en est la maltraitance.

Une grande loi ? Je me méfie : il est parfois difficile de faire avancer les véhicules législatifs et de les faire sortir des gares de triage ; ce sont rarement des TGV. (Sourires) Je suis pragmatique et je préfère bâtir ce grand texte sur la base de la proposition de loi Meunier-Dini, dont l'examen débutera au Sénat. Nous travaillerons dans la concertation, tant avec les parlementaires qu'avec les élus départementaux car j'ai le sentiment que les départements qui défendaient autrefois leur compétence de protection de l'enfance sont désormais en attente d'un pilotage national.

Dans 55 % des cas, le juge attribue déjà les allocations familiales aux institutions. Je ne crois pas qu'il faille aller plus loin : cela irait à l'encontre de l'objectif recherché, faciliter dans bien des cas, le retour de l'enfant dans sa famille. Les juges usent de cette faculté qui leur est offerte de tenir compte aussi précisément que possible des particularités de chaque situation. Tous les enfants placés ne le sont pas pour cause de maltraitance et les allocations familiales servent à payer le loyer...

Un mot des mineurs étrangers isolés : le décret a été annulé par le Conseil d'État pour défaut de base légale, pas pour une raison de fond ; Il retrouvera bientôt une base légale.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Pillet, au nom de la commission.

Alinéa 4

Après le mot :

cellule

insérer les mots :

de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être,

et après le mot :

familles

insérer le signe :

,

M. François Pillet, rapporteur.  - Cet amendement de précision rédactionnelle a été rédigé en étroite collaboration avec les services de la ministre. Je me félicite de l'excellence de notre collaboration.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article 1er de la présente loi est applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

II. - Après l'article 713-3 du code pénal, il est inséré un article 713-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 713-3-1. - Pour l'application de l'article 226-14 :

« - au 2°, les mots : « ou de la cellule mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles » sont supprimés ;

« - au dernier alinéa, les mots : « civile, » et les mots : « ou disciplinaire » sont supprimés. »

M. François Pillet, rapporteur.  - Je rectifie cet amendement sur l'outre-mer pour tenir compte de l'adoption de l'amendement n°1.

Mme la présidente.  - Ce sera l'amendement n°2 rectifié.

Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Pillet, au nom de la commission.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article 1er de la présente loi est applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

II. - Après l'article 713-3 du code pénal, il est inséré un article 713-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 713-3-1. - Pour l'application de l'article 226-14 :

« 1° Au 2°, les mots : « ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, » sont supprimés ;

« 2° Au dernier alinéa, les mots : « civile, » et les mots : « ou disciplinaire » sont supprimés. »

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Excellent amendement.

M. Christophe Béchu.  - Oui, madame la ministre, nous aurons de nouveau ce débat. On continue de verser l'allocation de rentrée à tous les parents !

En l'état actuel des textes, c'est tout ou rien : le juge ne peut pas moduler l'affectation des allocations familiales.

Enfin, n'oublions pas que nous n'avons des chiffres sur la maltraitance qu'au moment de l'entrée dans le placement. La loi du silence dure des mois, des années, si bien que des chiffres qui paraissent justes ne sont pas forcément conformes à la réalité.

Grâce à l'excellent travail de notre rapporteur, nous pouvons enfin mieux savoir et briser ce tabou.

L'amendement n°2 rectifié est adopté et devient un article additionnel.

L'ensemble de la proposition de loi est adoptée.

Mme la présidente.  - À l'unanimité ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 18 h 5.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

La séance reprend à 21 heures.