Prescription acquisitive (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, renvoyée en commission tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l'échange en matière de voies rurales.

Discussion générale (Suite)

M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi .  - Ma proposition de loi vous invite à une douce promenade sur les chemins ruraux de Lot-et-Garonne. Cela reposera le ministre Fekl de ses voyages internationaux. (Sourires)

Merci à notre rapporteur pour son travail durant le renvoi en commission ; grâce à ce délai, nous avons pu approfondir la réflexion et répondre au problème silencieux de la disparition des chemins ruraux.

Ma proposition de loi s'inspire de mon expérience d'avoué à la cour d'appel spécialisé sur les questions rurales et de membre de la commission des maires ruraux - des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales, des puits, des lavoirs, du jardin du presbytère, des dégagements au bord des remparts ou autour des églises et les chemins ruraux.

Avec l'exode rural, des villages entiers du Gers ou du Lot ont été abandonnés aux mains de deux ou trois habitants, comme à Lagarde-Fimarcon, et ils se sont appropriés au fil du temps les chemins, lieux publics et privés de la commune, notamment les chemins intégrés à des exploitations, labourés, clôturés et donc soumis à la prescription acquisitive. Les contentieux ont explosé après les années 1970 quand les communes ont voulu rouvrir les chemins ruraux pour développer les chemins de grande randonnée, notamment les sentiers vers Saint-Jacques de Compostelle, ou les chemins thématiques.

Initialement, j'avais proposé d'interdire la prescription acquisitive. Cela posait problème au regard du droit de propriété et du statut hybride de ces immeubles - appartenant au domaine privé mais affectés à l'usage public.

La commission a trouvé un bon équilibre : inciter les communes à recenser leurs chemins ruraux en prévoyant la suspension pendant deux ans du délai de prescription et en conférant à la délibération décidant cet inventaire un effet interruptif de la prescription. Elle a repris le principe d'échange des chemins ruraux, ce dont je me réjouis. Les chambres d'agriculture s'en satisfont et je voterai volontiers ce texte modifié par la commission dans son nouvel intitulé. (Applaudissements)

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois .  - La disparition silencieuse des 750 000 kilomètres de chemins ruraux soulève une véritable question à l'heure de la protection de la biodiversité et du développement des sentiers de randonnée.

Le régime juridique de ces chemins est hybride, plus proche de la domanialité publique que du domaine privé auquel ils appartiennent cependant. D'où le choix de la commission pour protéger ces chemins : suspendre pendant deuxans le délai de prescription acquisitive pour inciter les collectivités territoriales à procéder au recensement de leurs chemins. Cette solution n'est pas nouvelle, elle avait été utilisée dans la circulaire du 18 décembre 1969 qui avait connu peu de succès.

Bien entendu, je vous proposerai d'autoriser l'échange de parcelles pour conserver la continuité d'un chemin rural sans passer par la procédure actuelle, complexe, qui suppose la désaffectation du chemin.

Voilà nos propositions sur ce sujet peu connu mais qui suscite un regain d'intérêt. (Applaudissements)

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger .  - Monsieur Tandonnet, vous nous avez parlé du Lot-et-Garonne. Je suis toujours heureux d'y être ; je m'y trouvais hier, j'y reviens demain entre deux apnées internationales -  j'y fais des déplacements plutôt que des voyages, chacun appréciera la nuance...

Cette proposition de loi vise à surmonter la jurisprudence du Conseil d'État sur les échanges de parcelle et à éliminer les sources de contentieux liés à la question de la prescription acquisitive.

Nos 750 000 kilomètres de chemins ruraux, sur lesquels la commission a choisi de centrer ses travaux, sont des gisements de biodiversité et des atouts pour l'écotourisme, le tourisme doux. Ils font néanmoins l'objet de nombreuses appropriations, du fait des nouvelles méthodes de culture, et se retrouvent alors clôturés et labourés.

Pour les protéger, le Sénat a choisi d'approfondir la réflexion en commission, sachant que le sujet est consensuel. Le gouvernement s'en réjouit car vous avez abouti à un cadre plus efficace pour les chemins ruraux.

Comme vous, le gouvernement estime qu'il ne faut pas interdire la prescription acquisitive. Cela introduirait un risque de confusion entre domanialité publique et privée, et obligerait à recenser tous les immeubles privés des collectivités territoriales. Mieux vaut inciter les communes à recenser leurs chemins ruraux, comme le veut votre commission. Souvent, une commune ignore les centaines de kilomètres de chemins ruraux qui la traversent. Elle les découvre le jour où elle décide de mettre en valeur son patrimoine historique, d'investir pour sauvegarder la physionomie de son terroir. Et elle se retrouve confrontée à la prescription acquisitive.

De même, vous avez trouvé une bonne solution pour reconstituer des chemins ruraux : l'échange plutôt que la vente suivie d'un achat. Cette simplification réduira les frais, évitera de nombreux contentieux à nos petites communes. Le resserrement du dispositif aux parcelles modifiant le tracé d'un chemin rural est bienvenu : il empêchera que le mécanisme ne se solde par l'abandon d'un chemin rural.

Le gouvernement soutiendra cette proposition de loi, utile à l'heure de l'artificialisation croissante des sols. (Applaudissements)

M. René Vandierendonck .  - Incontestablement, notre collègue Tandonnet doit déjà mieux respirer à cette heure ! (Sourires) Le renvoi en commission, loin d'être un enterrement de première classe de sa proposition, visait bien à approfondir notre travail.

Grâce à l'excellent rapport n°317, que M. Détraigne a publié dans un temps record, nous avons trouvé une solution pour les chemins ruraux, ces hybrides qui, pour la lourdeur et la complexité des procédures, n'ont rien à envier à ce qui existe par exemple pour les transports. Nous n'allions tout de même pas remettre en cause la jurisprudence du Conseil d'État sur les domanialités publique et privée ! Pas seulement pour des raisons d'esthétisme, mais aussi au vu des conséquences. Et c'est là qu'est apparu, dans sa lumière, notre rapporteur ! (Sourires)

Oui il fallait d'abord recenser les chemins ruraux pour protéger leur intérêt écologique, cynégétique et bucolique. Le président Mézard qui a tant fait pour les départements, pour leur conserver la compétence voirie, aurait pu lui aussi proposer cette solution habile et pragmatique.

J'ai consulté vingt ans de jurisprudence pour préparer ce texte, j'ai interrogé les juristes. Il faudra aller plus loin, immanquablement. Telle est la position pragmatique que le groupe socialiste m'a demandé d'exprimer ici.

M. Jacques Mézard.  - Pragmatique, le groupe socialiste ? Ce serait nouveau.

M. René Vandierendonck.  - J'avais grand plaisir à reparler de nos chemins ruraux. (Applaudissements)

M. Patrick Abate .  - Le renvoi en commission n'a pas remis en cause le caractère consensuel de cette proposition de loi, je m'en réjouis. Oui, il était souhaitable de rester dans le schéma traditionnel selon lequel, hormis leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques sont régis par les règles de droit commun de la propriété.

Derrière ce problème juridique, se pose la question de la capacité des communes à maîtriser leur domaine. Sous la pression des riverains, elles abandonnent parfois l'entretien des voies, quand elles n'en sont pas dépossédées. Nous sommes inquiets pour l'avenir, pour la capacité des communes à préserver leur patrimoine avec la baisse des dotations. Fours à pain, lavoirs, puits méritent bien que nous les aidions grâce à la réserve parlementaire. (Sourires)

Ce texte renforce la maîtrise foncière et protégera des biens qui, si nous n'y prenons pas garde, disparaîtront du paysage, au sens propre comme au sens figuré ! (Applaudissements)

M. Jacques Mézard .  - Merci au rapporteur de nous avoir entendus : il ne fallait pas créer une troisième catégorie entre domanialité publique et domanialité privée, nous en avons déjà suffisamment. Jusqu'à la fin de ma vie parlementaire, j'attendrai les chiffres de l'usucapion trentenaire. Pourquoi ? Parce qu'il y en a peu et que peu sont ceux au sein de l'administration qui savent ce que « usucapion trentenaire » signifie... (Sourires) Pour autant, il y a des litiges sur le terrain.

Je regrette que le groupe politique censé défendre l'environnement s'intéresse si peu aux chemins ruraux...

M. André Gattolin.  - Nous allons voter la proposition de loi !

M. Jacques Mézard.  - Si ces 750 000 kilomètres ne sont pas entretenus, c'est que les communes n'en ont pas les moyens ! Les communes pourront désormais procéder à un recensement. Fort bien, à ceci près qu'il faudra recruter des dizaines de milliers de géomètres... Un progrès aussi que d'autoriser les échanges de parcelles. Cependant, le véritable problème réside dans la distinction qu'il faudra bien opérer entre ce qui doit rester dans le giron de la commune et ce qui peut être cédé à des personnes privées - par exemple quand le chemin dessert une seule parcelle. Évidemment, c'est là un problème très rural, difficile à faire entendre à Paris mais je compte sur notre ministre. (Applaudissements)

M. Michel Canevet .  - Je salue tout particulièrement le travail de M. Détraigne. Son rapport m'a passionné.

De quoi parlons-nous ? Du patrimoine des communes dans lequel sont distingués depuis 1959, d'une part, les chemins vicinaux et communaux et, d'autre part, les chemins ruraux. Élus, nous sommes attachés à ces chemins ruraux. Or nous peinons à les protéger car, malgré l'article 161-5 du code rural, certains agriculteurs se les approprient, les labourent, les privatisent. Et recourir à un géomètre pour faire vérifier deux petits kilomètres carrés coûte bien cher.

Les chemins ruraux sont une richesse pour les chasseurs, les promeneurs, les cavaliers. Il faut absolument les conserver dans le domaine communal et enrayer leur disparition. En Picardie, une association qui a recensé 40 000 kilomètres de chemins ruraux sur le cadastre n'en a retrouvé que 30 000 kilomètres sur le terrain. Soit 25 % d'appropriation !

Inciter les communes au recensement, sécuriser juridiquement les échanges de terrain sont de bonnes solutions, pragmatiques pour les élus ruraux. Merci à M. Tandonnet, merci à M. Détraigne ! Le groupe UDI-UC votera évidemment le texte. (Applaudissements)

M. Michel Raison .  - Nous vivons un petit moment de bonheur : enfin, un texte qui facilitera la vie des élus ruraux ! (Sourires)

Inscrite à l'ordre du jour en octobre dernier, cette proposition de loi a fait l'objet d'un renvoi en commission. La commission des lois souscrivait au mécanisme d'échange de terrain, non à l'interdiction de la prescription acquisitive. Cela aurait créé des charges insupportables d'entretien pour les communes et bouleversé les principes de notre droit. D'où la solution retenue, inspirée de la circulaire de 1969 : un inventaire interrompant la prescription.

Félicitations au rapporteur, le groupe UMP votera ce texte de simplification, qui favorisera le tourisme dans notre beau pays, la France ! (Applaudissements)

M. Daniel Gremillet.  - Très bien !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État.  - Beau travail de simplification dans la ruralité que ce texte, un travail que le gouvernement entend poursuivre. Monsieur Mézard, je vous transmettrai les chiffres de l'usucapion trentenaire, si toutefois ils existent.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les conditions prévues à l'article L. 361-1 du code de l'environnement, le département révise le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée pour tenir compte du recensement des chemins ruraux mené par les communes.

M. Yves Détraigne, rapporteur.  - Merci à l'ensemble des intervenants pour leur soutien unanime à la proposition. C'est la preuve qu'un renvoi en commission n'est pas nécessairement un enterrement de première classe !

Cet amendement, dont la paternité revient à M. Vandierendonck, a pour objectif d'inciter les départements à mettre à jour le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR).

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État.  - Les itinéraires inscrits dans les PDIPR peuvent emprunter des chemins ruraux. Le recensement de ces chemins offrira de nouvelles possibilités et conduira sans doute les départements à revoir leur plan. Toutefois, je pense que le Sénat soucieux de ne pas alourdir les normes, ne devrait pas leur imposer une contrainte supplémentaire... Sagesse.

M. René Vandierendonck.  - Je salue ce souci de simplification administrative. On sait que les départements sont très impliqués dans cette politique de protection. Là, nous aurons un recensement à grande échelle, ainsi que l'occasion d'aller chercher des crédits européens au titre du FEADER. L'opposabilité de ces documents varie d'un département à l'autre. Sans faire un casus belli, je soutiens la rédaction de l'amendement.

M. Daniel Gremillet.  - Il s'agit de recenser des parcours orphelins de financement. On pourrait trouver des moyens d'entretien simples et économiques. Je pense aux agriculteurs voisins. On pourrait imaginer la même chose pour les espaces forestiers.

L'amendement n°1 est adopté et devient un article additionnel.

L'article 2, modifié, est adopté.

L'article 3 est adopté.

L'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est adoptée.

M. le président.  - C'est l'unanimité ! (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 20.