Renseignement (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement et la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La discussion générale est close. Nous entamons l'examen des articles.

Discussion des articles du projet de loi

ARTICLE PREMIER A

Mme la présidente.  - Amendement n°42, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 2, première phrase

Après les mots :

vie privée

insérer les mots :

, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles, le droit à l'information et l'inviolabilité du domicile,

Mme Cécile Cukierman.  - Cet amendement précise la notion de « vie privée ». Le droit à l'information complète les limites générales fixées au projet et vise à protéger les « lanceurs d'alerte » qui ne peuvent être définis par leur seule profession.

Le droit d'informer et d'être informé est le corollaire de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. L'information est la condition nécessaire à l'exercice de la démocratie.

Ce texte risque d'atteindre l'anonymat des lanceurs d'alerte et de tarir les sources des journalistes. L'affaire Cahuzac n'aurait jamais pu être révélée avec ce texte. Imaginez un IMSI-catcher au pied de la rédaction du journal Le Monde... Le SNJ estime que le journalisme disparaîtra dans dix ans si cela continue. Nous sommes prévenus !

Mme la présidente.  - Amendement n°121 rectifié, présenté par M. Gorce et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 2, première phrase

Après les mots :

vie privée 

insérer les mots :

, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et l'inviolabilité du domicile,

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous avons déposé une série d'amendements pour garantir les libertés et accroître les capacités de contrôle. Nous sommes en même temps attachés à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. La difficulté est de trouver la bonne articulation. Si la commission des lois a à raison placé cet article premier A en exergue du texte, je regrette qu'elle n'ait pas inclus le secret des correspondances, l'inviolabilité du domicile et la protection des données personnelles parmi les éléments de la vie privée. Inscrivons-les. Ce faisant nous respectons les recommandations de la Cnil, le consensus qui s'est exprimé à l'Assemblée nationale et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle il échoit au législateur d'assurer la conciliation du droit au respect de la vie privée et la prévention des atteintes à l'ordre public.

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois.  - Le « notamment » est un aveu d'échec, la preuve qu'on n'est pas sûr que la liste soit complète... Il est inutile au demeurant de détailler les composantes de la vie privée, l'inclusion de celles-là dans celles-ci est certaine. Il serait même dangereux d'établir une liste, car aucune n'est jamais exhaustive. Le secret des correspondances, la protection de la personne ou l'inviolabilité du domicile font incontestablement partie de la vie privée. Laissons le juge apprécier. Retrait ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.  - Même avis.

Les jurisprudences constantes du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État définissent ce que recouvre la vie privée. Défavorable à l'amendement n°42. Sagesse sur l'amendement n°121 rectifié.

M. Gaëtan Gorce.  - Il est vrai que l'énoncé est redondant. Mais le rapporteur ne prend pas en compte l'évolution de la notion de données personnelles. La notion a été précisée depuis la loi de 1978 : la définition est transversale - elle couvre toutes les données personnelles, quelque le statut de l'organisme qui les traite ; la personne a un droit sur ses données ; l'intervention d'une autorité indépendante de contrôle est nécessaire.

S'il faut répéter, c'est que le poids et la valeur du principe le mérite. On le retrouve dans de nombreux textes, de la Convention européenne aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux, ainsi que dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le champ des données ne cesse de s'étendre. Avec le big data certains opérateurs contestent même le principe de finalité. Il importe de bien préciser le contenu de la notion de vie privée, qui a toute son importance.

L'amendement n°42 n'est pas adopté.

Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°121 rectifié, mis aux voix par assis et levé, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°122 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 2, deuxième phrase

Après le mot :

sauf

insérer les mots :

, à titre exceptionnel, en cas de

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le respect de la vie privée doit être complété par la mention du caractère nécessairement exceptionnel de l'atteinte qui peut être portée à ce droit fondamental.

Nul n'ignore l'article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure issu de la loi de 1991 qui prévoit le caractère exceptionnel des interceptions de sécurité. Il en va de même ici. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) a développé une jurisprudence stricte fondée sur la notion d'« implication directe et personnelle » et elle contrôle le caractère proportionné des atteintes portées aux libertés au regard de l'intérêt public en cause. La Commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) devra faire de même.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Je suis évidemment d'accord sur le fond. Mais le texte de la commission est clair. Pourquoi n'a-t-on pas écrit « à titre exceptionnel » ? Parce qu'on ne peut porter atteinte à la vie privée sauf nécessité légalement constatée, ce qui implique le caractère exceptionnel de celle-ci. Inutile de le redire, autrement il faudrait le préciser partout. Par définition ce texte porte sur des atteintes à titre exceptionnel. Il y a toujours des contrario quand on ajoute...

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Retrait ? Le texte est déjà complexe. N'en surchargeons pas la rédaction, au risque d'en faire un palimpseste illisible. L'exceptionnalité est garantie par le principe de proportionnalité, dont le contrôle du respect est assumé par la CNCTR ou le juge administratif en cas de désaccord entre la CNCTR et le Gouvernement. Votre rédaction diminue sa portée.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je ne suis pas convaincu. Le rapporteur est tellement d'accord avec nous qu'il refuse d'amender son texte. Je ne comprends pas. De plus, la mention est dans notre droit depuis la loi de 1991, dont le Premier ministre a fait hier l'éloge. L'usage de certaines techniques n'est légitime que dans des circonstances exceptionnelles. Il n'est pas neutre de l'inscrire en exergue. Nous considérons, monsieur le rapporteur, qu'il ne peut y avoir d'contrario.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Comment associer « exceptionnel » et « légalement constaté » ? Il y a là une contradiction intellectuelle autant que juridique.

L'amendement n°122 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°166 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 3

Remplacer le mot :

au 

par les mots :

aux chapitres Ier à 3 du

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Les mesures de surveillance des communications électroniques internationales sont régies par un régime juridique particulier décrit à l'article L. 854-1. La procédure de délivrance des autorisations est ainsi adaptée, tout comme l'est le contrôle juridictionnel. Il convient donc dans cet article placé en chapeau de l'ensemble du livre VIII de rappeler cette spécificité pour éviter que le droit commun s'applique entièrement aux mesures de surveillance.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Notre commission des lois s'était prononcée contre cet amendement mais depuis sa rédaction a été modifiée. Avis favorable à titre personnel.

L'amendement n°166 rectifié est adopté.

L'article premier A, modifié, est adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Claude Malhuret .  - L'ampleur de ce texte rendait indispensable un débat. Le Gouvernement ne l'a pas voulu. La procédure accélérée prend le Parlement et l'opinion de vitesse. Pourtant votre texte soulève bien des contestations : Cnil, CNCDH, acteurs du numérique, scientifiques... Tous sont vent debout contre votre réforme. Jamais une loi n'a été expédiée si vite !

Le juge judiciaire disparaît. En autorisant les services de renseignement à procéder à un traitement de masse des données, vous leur conférez davantage de moyens qu'aux juges anti-terroristes, sous le seul contrôle d'une autorité des avis de laquelle l'exécutif pourra s'affranchir ; le juge administratif se prononcera posteriori.

On peut se demander en outre comment la CNCTR, composée de quelques parlementaires et magistrats et d'un seul spécialiste en informatique, pourra assumer sa mission. Qui contrôle qui ? L'autorisation d'interception doit être validée par un très petit nombre de personnes au cabinet du Premier ministre. Or, en 2013, 321 243 demandes avaient été émises ; cinq personnes pourront-elles sérieusement délivrer 1 000 autorisations par jour ? Et sur quels critères ? Quant à la CNCTR, elle devra traiter 500 dossiers par jour... Cela fait penser à une machine à signer, d'autant que le traitement de masse va multiplier les demandes d'intervention.

Autre question... Au lendemain des attentats du 7 janvier, Mediapart avait affirmé que la CNCIS avait demandé la fin de la mise sur écoute des frères Kaouchi.

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'est faux !

M. Claude Malhuret.  - Ce qui n'est pas avéré. Selon Le Monde, la désinformation a sa source à la direction de la DGSI. L'hypothèse d'une manipulation de la CNCIS par ceux qu'elle est chargée de contrôler est grave. Monsieur le ministre, je présume que vous avez demandé qu'une enquête soit conduite sur les révélations de la presse. Quels en sont les résultats ? Quelles leçons en avez-vous tirées de sorte que la CNCTR ne puisse être victime de pareils agissements ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il s'est trouvé une majorité à l'Assemblée nationale pour inscrire le ministère de la justice parmi les ministères susceptible de recourir à des techniques de renseignement. Je me réjouis que la commission des lois ait marqué son opposition et son attachement à la distinction des missions des ministères. Le ministre de la justice n'a pas vocation à intervenir en la matière.

Un alinéa a été ajouté selon lequel le ministère de la justice peut solliciter la mise en oeuvre de techniques de renseignement. Il doit pouvoir signaler des situations particulières et dialoguer avec les services de renseignement, mais chacun doit exercer ses missions. Le renseignement pénitentiaire est nécessaire, ses moyens doivent être accrus. Mais il doit relever des services de renseignement afin d'éviter toute ambiguïté et toute contradiction avec la loi pénitentiaire.

Mme la présidente.  - Amendement n°8, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - Cet article est la colonne vertébrale du texte. Il élargit considérablement le recours aux techniques de surveillance. Ces techniques seront permises pour l'ensemble des champs couverts aujourd'hui sur le territoire national et à l'étranger par les agents français, qu'ils dépendent des ministères de la défense, de l'intérieur ou de l'économie et des finances. Les contours flous de ces champs d'application ne permettent pas de définir avec rigueur le champ d'intervention légal du renseignement.

Il ouvre à d'autres services que les six organismes habilités aujourd'hui, trois relevant du ministère de la défense, un de celui de l'intérieur et deux de celui de l'économie, le recours à des techniques spéciales. Les motifs d'intervention se multiplient comme les acteurs... La procédure applicable pour recourir à ces techniques est entre les mains de l'exécutif hors le contrôle du juge judiciaire. L'avis de la CNCTR est un avis simple et sera réputé rendu si elle garde le silence durant 24 heures ou trois jours lorsqu'il y a un doute sur la validité du dispositif sollicité.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Ne supprimons pas cet article. La commission des lois a enrichi la rédaction en prévoyant un contrôle effectif du Conseil d'État, la pleine indépendance de la CNCTR et l'éventuelle saisine du juge pénal. Autant de garanties nouvelles qui disparaîtront si cet article était supprimé.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Défavorable à la suppression de cet article essentiel au texte. Il définit de manière très précise les finalités, les techniques et la nature des contrôles.

Monsieur Malhuret, ce texte n'est pas un texte de circonstance ni d'émotion. La réflexion a été lancée il y a deux ans par M. Ayrault à la suite de l'affaire Snowden. Il s'appuie sur un rapport transpartisan de M. Urvoas et Verchère.

Allons-nous trop vite ? Hier M. Ciotti à l'Assemblée nationale me reprochait de ne pas aller assez vite... J'en conclus que nous allons au bon rythme... La Cnil s'est prononcée sur un avant-projet non finalisé. J'ai en outre apporté une réponse détaillée, de 14 pages, aux critiques de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Ce texte va plus loin que la loi de 1991 car la technologie a évolué. C'est pourquoi nous avons renforcé les pouvoirs de contrôle de la CNCTR. Elle pourra intervenir à toutes les étapes, et saisir le juge administratif. Ce contrôle juridictionnel n'existait pas auparavant. Le juge judiciaire ? Mais il n'a jamais été compétent en matière de police administrative - sauf cas très particuliers. Ce texte ne méconnaît pas l'article 66 de la Constitution. Quant au contrôle parlementaire, il n'est pas entravé : les délégations au renseignement ont même été renforcées.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je n'ai jamais dit que la CNCIS s'était opposée à la prolongation des interceptions de sécurité sur les frères Kouachi. Elles ont été suspendues car elles étaient en place depuis plusieurs années et ne donnaient rien. Ce sont les mêmes qui s'insurgent contre les moyens intrusifs des services de renseignement et qui déplorent que des écoutes aient été levées... Je ne suis pas de ceux qui se précipitent pour pointer les failles des services de renseignement, composés de fonctionnaires très professionnels, compétents, qui ont le sens de l'État et des valeurs de la République. Donnons-leur plutôt, de façon contrôlée, les moyens d'accomplir leurs missions.

M. Claude Malhuret.  - Je voterai l'article premier, autrement nous ne pourrions discuter de ce texte.

Mais monsieur le ministre, comment cinq personnes pourront-elles traiter 300 000 demandes par an ? Comment feront, de même, les parlementaires, les magistrats et le spécialiste informatique de la CNCTR ?

Je n'ai jamais accusé le ministre de l'intérieur de manipulation. C'est Le Monde qui a fait état, à l'indicatif et non au conditionnel, du fait que des membres de la CNCIS avaient probablement été victimes de manipulation, en mentionnant une réunion entre les services du renseignement et les journalistes. Avez-vous diligenté une enquête ? Quelles conséquences en tirez-vous sur la future CNCTR ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le journaliste qui a signé l'article ne participait pas à la réunion que vous évoquez entre la DGSI et les journalistes le lendemain des attentats. Ceux qui y participaient n'ont rien écrit corroborant ces allégations. Je ne ferai pas d'autre commentaire.

Le contrôle de la CNCTR ne sera pas moindre que celui de la CNCIS. Ses moyens sont renforcés. Les procédures seront différenciées selon la complexité des cas.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°67 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 5, première phrase

Supprimer les mots :

et à la promotion

M. Jacques Mézard.  - Il y a dans l'opinion et les médias une confusion de fond : le projet de loi porte sur le renseignement, pas sur le terrorisme.

La politique publique de renseignement a pour objet de concourir, non à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, mais à leur défense.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Les services de renseignement n'ont pas qu'une mission défensive. Ils promeuvent des intérêts politiques, diplomatiques, mais aussi économiques, scientifiques...Tous les États procèdent ainsi.

La « défense des intérêts de la Nation » pourrait avoir une connotation offensive, certes, mais cela ne va pas de soi. Le terme « promotion » lève, lui, toute ambiguïté. Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.  - La commission des affaires étrangères a une appréciation différente de la vôtre, monsieur Mézard. Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) de 2014 appelle le Gouvernement à s'engager dans la protection de nos intérêts économiques. Le terme « promotion » est plus clair que celui de « défense ». Nos entreprises, nos services sont soumis de la part de nos concurrents, à des pratiques sur lesquelles la presse apporte chaque jour de nouvelles révélations. Il ne s'agit pas seulement de défendre nos intérêts, mais, dans la compétition internationale dans laquelle nous sommes immergés, avec nos entreprises, de déployer une véritable stratégie, de nature offensive, voire conquérante.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis. Nos voisins défendent âprement leurs intérêts. Nos services doivent être en mesure de promouvoir nos intérêts de façon défensive, mais aussi offensive.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je voterai cet amendement. Ce texte est une gageure pour une démocratie. Légitimer ainsi l'action des services de renseignement de 180 autres pays du monde, nos concurrents, serait dangereux.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je voterai aussi l'amendement. Vous savez combien je suis attaché au sens des mots. Il faut certes défendre nos intérêts et toute défense comprend une dimension offensive. Mais il s'agit ici de lutter contre le terrorisme, la criminalité, de protéger nos intérêts fondamentaux.

Promouvoir notre culture, notre gastronomie, notre industrie, c'est vraiment autre chose.

Certes, sur la contrefaçon par exemple, qui nous coûte des dizaines de milliers d'emplois, l'action des services de renseignement est utile. Mais nul besoin de leur confier, pour autant, une mission offensive. L'amendement que nous proposerons avec Mme Robert va dans le même sens que celui de M. Mézard.

Mme Nathalie Goulet.  - Peut-on me donner un exemple de ce qu'est la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ? « Défense », c'est clair », « promotion », cela l'est moins.

M. Jacques Mézard.  - Monsieur le rapporteur, vous avez utilisé le mot défense à de nombreuses reprises. S'agit-il de faciliter la vente d'Airbus ou de réacteurs nucléaires ? Gardons-nous d'utiliser des termes trop larges. Comme en matière pénale, une interprétation stricte doit ici prévaloir.

L'amendement n°67 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°68 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 5, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et de ses principes fondateurs tels qu'ils ressortent de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

M. Jacques Mézard.  - Si l'on accepte la promotion, on acceptera la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC).

Mme Éliane Assassi.  - Très bien !

Mme Cécile Cukierman.  - Il faut l'espérer !

M. Jacques Mézard.  - Nous sommes à l'âge de l'électronique, disent certains ; si cela conduit à abandonner mes principes républicains, je rejette l'électronique et garde la DDHC !

La politique publique de renseignement doit être menée en conformité avec les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Cela coule de source, sans doute. Mais il faut parfois rappeler l'essentiel.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Ce greffon est-il bien utile ? Merci d'avoir invoqué à nouveau la DDHC, qui reconnaît les droits naturels, imprescriptibles, inviolables et sacrés de l'être humain, tout en indiquant immédiatement que ceux-ci sont bornés par la jouissance par les autres hommes de ces mêmes droits, bornes fixées par le législateur. La loi ne peut défendre que les actions nuisibles à la société, et c'est précisément ce que les services de renseignement appliquent.

Ce projet de loi doit trouver un équilibre fondamental, c'est ce à quoi nous nous employons.

Comment pourrions-nous voter un texte contraire à la DDHC ? Et si nous le faisions, le Conseil constitutionnel le censurerait.

Comprenez-moi bien : je suis en totale harmonie avec vous, monsieur Mézard. J'ai expliqué pourquoi la commission a rendu un avis défavorable, en espérant sincèrement vous avoir rassuré.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Si nous traitions d'autres secteurs de l'État - éducation nationale, santé, droit du travail... personne ne songerait à invoquer la DDHC. Cette tentation vient du fait que nous parlons des services de renseignement. Or ces fonctionnaires sont compétents et dévoués. Certains donnent même leur vie dans l'exercice de leurs missions - je me suis déjà rendu à de nombreuses obsèques de policiers et de gendarmes, victimes de violences, depuis le début de l'année. Je me suis tenu aux côtés de leurs familles et de leurs proches endeuillés, parce qu'ils s'étaient sacrifiés pour protéger la vie de nos concitoyens. Pourquoi sont-ils davantage soupçonnés que ceux qui, tels les terroristes qu'ils doivent mettre hors d'état de nuire, sont, eux, véritablement susceptibles de porter atteinte aux droits de l'homme et du citoyen, à l'ordre public, à la société ?

Les fonctionnaires des services de renseignement ne sont pas des barbouzes, ce sont des fonctionnaires épris des principes de la République, du respect des droits de l'homme et de l'État de droit.

M. Jacques Mézard.  - Que l'on joue l'émotion contre les principes, c'est une chose. Mais laisser entendre que ceux qui demeurent attachés à nos principes sont contre la sécurité, contre les services de renseignement, c'est inadmissible. Je considère que nos services de police, de gendarmerie et de renseignement font, globalement, très bien leur travail, dans des conditions de plus en plus difficiles et dangereuses. Je vous ai défendu ici même, monsieur le ministre, quand d'autres vous attaquaient.

Mais nous ne sommes pas des bisounours. Les services de renseignement peuvent tuer et c'est normal, ne nous voilons pas la face ; ils peuvent attenter à notre vie privée ; ils peuvent aussi commettre des bavures - il y en aura toujours. Ce ne sont pas des services comme les autres.

En quoi est-il attentatoire à quoi que ce soit de demander le respect de la DDHC ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Il n'y a pas de bisounours ici, monsieur le président Mézard. Nous voulons tous le respect de nos principes républicains. Je vais même plus loin : j'exige de ces services l'exemplarité la plus totale ; tout manquement à nos principes doit être sévèrement sanctionné.

Mais les principes font déjà partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, ils s'imposent donc naturellement à la loi.

Je vois toutes les semaines des policiers et des gendarmes exposer leur vie pour défendre la nôtre, je sais la difficulté de leur travail, il exige d'eux le respect le plus inconditionnel de nos principes républicains. Mais c'est de ceux qui menacent nos compatriotes -au prétexte qu'ils sont journalistes, juifs, musulmans ou policiers- qu'il faut se méfier.

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement ne me semble pas du tout scandaleux, bien au contraire. Je le voterai.

L'amendement n°68 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié quinquies, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. L. Hervé et Pozzo di Borgo, Mme Goy-Chavent et MM. Roche, Détraigne et Kern.

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La politique publique de renseignement s'inscrit dans un cadre juridique européen de contrôle des échanges d'informations entre services de renseignement.

Mme Catherine Morin-Desailly - Hier, lors de la discussion générale, j'ai fait état des inquiétudes que suscite ce texte. Un contrôle démocratique au niveau national des activités de renseignement, bien que nécessaire, ne suffit pas.

Si l'échange de données entre services de renseignement est justifié par la lutte contre de nouvelles formes de terrorisme et de criminalité, il permet de manière plus critiquable de contourner la loi quand elle interdit sur le territoire une surveillance de la population nationale.

Aussi, conformément à une proposition du rapport d'information que j'ai rendu en 2014 sur la gouvernance mondiale et européenne de l'internet, l'objet de cet amendement est d'inscrire dans la loi la nécessité d'adopter des règles européennes communes dans ce domaine, sans préjudice de la compétence exclusive de l'État français en matière de politique publique de renseignement.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Cet amendement est priori sympathique à l'Européen convaincu que je suis, mais il n'y a pas de « cadre européen de contrôle des échanges d'informations entre services de renseignement »...

L'échange d'informations est primordial, mais ne peut passer que par la coopération. S'il s'agit là de souhaiter qu'une telle coopération se développe, je partage ce sentiment... Pour l'heure, je vous suggère un retrait...

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Je doute d'ailleurs qu'il faille aller au-delà de la coopération en mutualisant les moyens au sein d'une agence de renseignement européenne. Les prérogatives en la matière doivent rester nationales.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Cet amendement était un appel au renforcement de la coopération. C'est notre souveraineté qui est en cause, tant en matière de sécurité des réseaux que des frontières, nous restons très fragiles. Ayant été entendue, je le retire.

L'amendement n°3 rectifié quater est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°123 rectifié bis, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 6, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

en Conseil d'État pris après information de la délégation parlementaire au renseignement

M. Jean-Pierre Sueur.  - Comme nous en sommes convenus en commission des lois ce matin, j'ai rectifié l'amendement. La formule retenue est celle utilisée pour les services non spécialisés.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Merci de votre esprit de coopération. Avis favorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis.

L'amendement n° 123 rectifié bis est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°114 rectifié, présenté par M. Mézard.

Alinéa 6, deuxième phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé

M. Jacques Mézard.  - Cet ajout n'est nullement animé par une suspicion de principe - je vous fais personnellement confiance, monsieur le ministre ! Mais ce projet de loi ne prévoit pas le respect du principe de subsidiarité, qui figure dans nos engagements internationaux, et que rappelle fréquemment la cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Selon celle-ci, le pouvoir de surveiller en secret les citoyens caractéristique de l'État policier, n'est admissible que dans la mesure strictement nécessaire à la sauvegarde des institutions démocratiques. Préciser que les techniques intrusives ne peuvent être utilisées qu'à défaut d'autres moyens ne menace pas l'équilibre du texte...

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Le texte de la commission des lois ne dit rien d'autre mais se prémunit contre ce que je dois bien appeler les effets pervers d'une telle rédaction.

Le principe de proportionnalité est au coeur de ce texte. La CNCTR veillera à ce qu'il soit respecté. Préciser qu'elle doit vérifier qu'aucune autre technique ne peut être employée compliquerait exagérément sa tâche. Avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - La proportionnalité entre les moyens utilisés et le but à atteindre est en effet centrale ; son respect sera assuré par la CNCTR et le juge administratif. La rédaction actuelle du projet de loi nous satisfait pleinement.

Si le contrôle portait sur chaque technique alternative, l'apport serait mineur et le risque d'embolie du système immense.

M. Jacques Mézard.  - La CNCTR aura justement pour rôle de faire le tri, d'apprécier l'opportunité de recourir à telle ou telle technique ! Mais je laisse au Sénat le soin de dire s'il faut le dire explicitement ou non...

L'amendement n°114 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°124 rectifié, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 8

Remplacer les mots :

Dans l'exercice de leurs missions,

par les mots :

Pour le seul exercice de leurs missions respectives,

Mme Sylvie Robert.  - Cet amendement précise que les services de renseignement ne seront pas autorisés à recueillir des renseignements portant sur l'ensemble des finalités énumérées au sein du projet de loi ; chaque service de renseignement pourra agir au regard des finalités qui relèvent de ses missions.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois.  - Avis favorable à cet amendement de précision.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Il est satisfait par ce même alinéa, mais son adoption ne bouleverserait pas le texte... Sagesse.

L'amendement n°124 rectifié est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°125 rectifié, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 8

Remplacer le mot :

promotion 

par le mot :

préservation 

Mme Sylvie Robert.  - Le choix des mots compte. « Préservation » est plus juste que « promotion », et ne met pas à mal la stratégie offensive que nous souhaitons.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - La commission des lois est défavorable à la suppression du mot « promotion », mais pour les raisons dites tout à l'heure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - De nombreux pays sont offensifs dans la défense de leurs intérêts économiques, industriels ou scientifiques. Cela ne porte pas atteinte à leur réputation, au contraire.

N'atténuons pas la portée de cet article. Ne renonçons pas aux ambitions d'un grand pays.

L'amendement n°125 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°41, présenté par M. Leconte.

Alinéas 10 et 11

Supprimer ces alinéas.

M. Jean-Yves Leconte.  - Les alinéas 8 à 17 déterminent les objectifs au service desquels les services de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure.

Même dans la rédaction de la commission, les alinéas 10 et 11, qui visent la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère, ainsi que les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France, sont bien trop larges.

Mme la présidente.  - Amendement n°87, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 10

Supprimer cet alinéa.

Mme Esther Benbassa.  - Intérêts essentiels de la politique étrangère et prévention de toute forme d'ingérence étrangère, ces formulations sont trop imprécises. Nous proposons leur suppression, je n'insiste pas.

Mme la présidente.  - Amendement n°43, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 10

Supprimer les mots :

Les intérêts essentiels de la politique étrangère,

Mme Michelle Demessine.  - Cette finalité ouvre la voie à la surveillance de quiconque critiquerait l'engagement de la France dans des conflits internationaux. Pourrait-elle aussi concerner les régimes dictatoriaux violant les droits de l'homme ? Un quotidien turc vient d'ailleurs de révéler qu'Ankara livrait des armes aux djihadistes syriens...

Mme la présidente.  - Amendement n°34, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères.

Alinéa 10

Supprimer le mot :

essentiels

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis.  - Ne laissons pas à une juridiction -fût-elle haute et éminente, comme le Conseil d'État- le soin de définir ce qui est essentiel : c'est à l'exécutif, c'est-à-dire au président de la République et au Premier ministre, de le faire.

Mme la présidente.  - Amendement n°126 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 10

Remplacer le mot :

essentiels

par le mot :

majeurs

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les services de renseignement doivent oeuvrer dans le cadre de la défense des intérêts majeurs de notre pays. Chez nos voisins, les intérêts de la politique étrangère font partie du domaine d'action de ces services. L'adjectif « majeurs » est plus adapté.

Mme la présidente.  - Amendement n°78 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

M. Jacques Mézard.  - La rédaction de ces alinéas doit être assez large pour ne pas entraver nos services de renseignement, sans pour autant recouvrir tout la vie de nos concitoyens. « Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France », qu'est-ce à dire ? Veut-on couvrir ainsi tous les aspects de la vie de nos concitoyens ? Et tout à l'heure on va nous parler de la forme républicaine du gouvernement ! On a quand même bien le droit d'avoir des opinions monarchistes - dont chacun sait que telles ne sont pas les miennes.

Mme Cécile Cukierman.  - Le jour où la République reçoit le roi d'Espagne...

Mme la présidente.  - Amendement n°44, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 3° La prévention de l'espionnage économique, industriel et scientifique dans le respect du droit de l'information ;

M. Jean-Pierre Bosino.  - Autoriser les services à agir pour protéger « les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France » ouvrirait la voie à l'espionnage des syndicalistes et réintroduirait par la bande le secret des affaires.

Mme la présidente.  - Amendement n°35, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères.

Alinéa 11

Supprimer le mot :

essentiels

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis.  - Qu'est-ce qu'un intérêt économique ou scientifique « essentiel » ? Il appartient à l'exécutif de le dire, non à la jurisprudence.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - La commission des lois a délibéré sous le regard d'Alexis de Tocqueville, qui fut président du conseil général de la Manche. (Exclamations amusées) Il appelait les politiques à rechercher des solutions d'équilibre. Aussi la commission a-t-elle donné un avis défavorable à tous les amendements supprimant les alinéas 10 et 11. Nous voulons donner à nos services de renseignement les moyens d'assumer l'intégralité de leurs missions, tout en renforçant les contrôles, afin d'éviter tout abus de pouvoir. La commission ne souhaite pas que les services de renseignement soient empêchés de contribuer à la protection de nos intérêts essentiels de politique étrangère, ou des intérêts économiques et scientifiques essentiels de la Nation.

En revanche, si ces intérêts ne sont pas qualifiés, le contrôle de légalité perdra de son effectivité. Le pouvoir de l'exécutif ne doit pas être discrétionnaire. Faut-il parler d'intérêts « essentiels » ou « majeurs » ? L'Assemblée nationale a choisi ce dernier adjectif, quand le Gouvernement avait préféré le premier, plus strict et plus conforme à la jurisprudence du Conseil d'État. La commission a souhaité rétablir cette rédaction.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis.  - Merci au Sénat de m'avoir donné l'occasion de faire un stage de droit auprès du président Bas, qui m'a appris la différence entre « majeur » et « essentiel ». (Sourires)

La commission des affaires étrangères ne peut accepter la suppression des alinéas 10 et 11. Lisez donc les pages du rapport de la délégation parlementaire au renseignement sur les défaillances du renseignement économique et financier : un effort considérable reste à faire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Tocqueville, avant d'être président du conseil général de la Manche, était député de Cherbourg. C'est une vieille habitude à Saint-Lô que de préempter ce qu'il y a de bon à Cherbourg. (Rires) Comme disait le Premier ministre Couve de Murville, ce n'est pas convenable. (On s'amuse)

Le Gouvernement ne peut accepter la suppression des finalités relatives aux intérêts essentiels de la politique étrangère : les services de renseignement des États étrangers ne se privent pas d'agir en ce sens. De même que la protection des intérêts économiques et scientifiques essentiels de la Nation.

Le Gouvernement refuse aussi la suppression de l'adjectif « essentiel », car n'importe quel intérêt de politique étrangère ne justifie pas une technique intrusive. Quant à savoir s'il faut parler d'intérêts « essentiels » ou « majeurs », la portée de ce débat ne doit pas être surestimée.

Avis défavorable aux amendements nos41, 87, 43, 34, 78 rectifié, 44 et 35. Sagesse sur l'amendement n°126 rectifié.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je ne veux pas donner l'impression que ces deux finalités, selon moi, ne font pas partie de celles des services de renseignement. Mais je regrette de n'avoir pas eu une réponse plus précise.

L'amendement n°41 est retiré.

L'amendement n°87 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos43, 34, 126 rectifié, 78 rectifié, 44.

L'amendement n°35 est adopté.

M. Roger Karoutchi.  - Un partout ! (Sourires)

Mme la présidente.  - Amendement n°69 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 14

Supprimer cet alinéa.

M. Jacques Mézard.  - Que viennent faire ici les « atteintes à la forme républicaine des institutions » ?

Certains de nos concitoyens contestent peut-être les institutions républicaines, ils en ont le droit, du moment qu'ils respectent dans leur comportement les principes de la République. Cela ne justifie pas qu'il soit fait usage contre eux de techniques intrusives.

M. Gérard Longuet.  - Vous êtes fidèles à l'adage : je ne suis pas d'accord avec vous mais je me battrai pour que vous puissiez exprimer vos idées.

M. Jacques Mézard.  - Absolument.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°88, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa.  - Ce motif se rapproche trop de la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale et sa mise en oeuvre aboutirait à la surveillance des mouvements politiques même non violents, même non dissous, dès lors que ces mouvements seraient opposés à la forme républicaine de nos institutions.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Il s'agit ici, non des idées antirépublicaines, mais des atteintes à la République ; non des discussions au sein d'un cénacle royaliste, mais par exemple de la préparation du coup de force avorté du 6 février 1934. Dans de telles circonstances, nos services de renseignement doivent pouvoir être en mesure d'agir. Avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - La notion d'atteinte à la forme républicaine des institutions figure à l'article 410-1 du code pénal, qui définit les intérêts fondamentaux de la Nation. Elle n'est donc pas sortie de nulle part, ni dépourvue de toute interprétation jurisprudentielle. La CNCIS l'applique sans difficulté, et écrit elle-même dans son rapport de 1994 qu'elle entend les intérêts fondamentaux de la Nation au sens de l'article 410-1.

J'ai donc été très surpris de l'émotion suscitée par cette formulation. Vos questions, monsieur Mézard, madame Benbassa, sont légitimes et méritaient cette réponse juridique précise.

M. Roger Karoutchi.  - Critiquer le régime républicain et lui porter atteinte, ce n'est pas la même chose. Poser une bombe au Parlement, marcher sur le Palais-Bourbon, voilà ce que c'est que d'attenter aux institutions républicaines.

Monsieur le président Bas, il a été prouvé que le colonel de la Roque n'a pas voulu marcher sur la Chambre des députés, contrairement aux jeunes patriotes de Taittinger.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - En effet, il a fait en sorte que ses troupes ne franchissent pas le pont de la Concorde.

Mme Esther Benbassa.  - Il était bon de le préciser.

M. Jean-Yves Leconte.  - Toute véritable menace violente relevant de l'alinéa 14 relèverait aussi d'un autre alinéa. Celui-ci est donc inutile.

M. Jacques Mézard.  - Je ne fais aucun procès d'intention à l'exécutif. Aujourd'hui, c'est vous, demain ce peut être un autre...

Je n'ai aucune considération pour les zadistes qui remettent en cause violemment des décisions de la justice républicaine. Mais considérez-vous que leurs agissements constituent une atteinte aux institutions républicaines ?

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas le sujet.

M. Jacques Mézard.  - Bien sûr que si ! Si l'on se réfère à un article du code pénal, il faut le faire explicitement. Sur un tel sujet, je serais d'ailleurs très heureux de connaître l'avis de Mme la Garde des Sceaux.

M. Jean-Pierre Sueur.  - À l'initiative de M. Raffarin, le Sénat a supprimé le mot « essentiel » à l'alinéa 11. Les services de renseignement seraient donc fondés à intervenir sur le moindre intérêt économique. Et on les en empêcherait en cas de danger pour les institutions républicaines ? Il y aurait là une disproportion manifeste.

M. Jean-Jacques Hyest.  - La loi de 1991 n'avait pas décliné les objectifs des services de renseignement, cela n'avait pas posé de problème. Faut-il citer ici le code pénal ? Il faudrait le faire à chaque alinéa, on n'en sortirait plus... Je comprends mal ces amendements, car la jurisprudence est bien établie. Le Conseil d'État exercera son contrôle. Il est indispensable de viser aussi les atteintes à la forme républicaine des institutions.

Les amendements identiques nos69 rectifié et 88 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°45, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

M. Christian Favier.  - À cet alinéa, se référer à la paix publique plutôt qu'à la sécurité nationale ne suffit pas. On autoriserait ainsi, lors d'une manifestation, à capter par IMSI-catcher toutes les données électroniques, ou à surveiller les réunions préparatoires. Nous refusons cette surveillance politique à peine voilée.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°119 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

M. Jacques Mézard.  - Défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°127 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 16

Remplacer les mots :

gravement atteinte à la paix publique

par les mots :

atteinte à la sécurité nationale

M. Jean-Pierre Sueur.  - Certains craignent que soient ici concernées des manifestations parfaitement légitimes. Nous croyons important de revenir à l'expression « sécurité nationale », choisie par l'Assemblée nationale qui s'inspire de l'article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure. Les syndicats et mouvements sociaux ne sont évidemment pas concernés, le Gouvernement l'a dit avec force. Si un Gouvernement s'y essayait, la CNCTR s'y opposerait à coup sûr. « Paix publique » est plus faible et moins clair que « sécurité nationale ». Lorsque celle-ci est en jeu, l'intervention des services de renseignement est certainement justifiée.

Mme la présidente.  - Amendement n°89, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 16

Remplacer le mot :

paix 

par le mot :

sécurité

Mme Esther Benbassa.  - Défendu.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avis défavorable à ces quatre amendements. Le droit de manifestation est évidemment légitime. Mais des actions délictueuses, voire criminelles, se greffent parfois sur des manifestations : agressions, atteintes aux biens menées par des commandos. Il faut combattre cette instrumentalisation du droit de manifester. La commission des lois juge légitime que les services de renseignement emploient, à cette fin, des techniques intrusives.

Notre législation connaît bien les atteintes à la paix publique, nous n'avons pas improvisé cette formule. Nous préférons cette expression à celle de « sécurité nationale », dont le champ est beaucoup plus étendu.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ce texte ne comporte pas d'innovations juridiques. Dans l'esprit du Gouvernement, cette disposition ne vise pas à empêcher des manifestations citoyennes, même lorsqu'elles entraînent des violences, mais seulement à lutter contre des groupes violents dont les agissements mettent en danger la sécurité nationale. Cela ne relève pas non plus de la « criminalité organisée », motivée pour l'essentiel par l'appât du gain visée à l'alinéa 17. La CNCIS admet déjà ce motif, ne privons pas nos services de moyens dont ils disposent actuellement.

Prenons un cas concret. Lorsque, selon des informations concordantes du renseignement territorial, il apparaît que des groupes identitaires d'extrême droite projettent une attaque contre une mosquée, dois-je laisser faire, en attendant que la justice punisse ces violences ? Je pourrais multiplier les exemples. Même en désaccord avec ceux qui contestent des projets industriels acceptés par la justice, les zadistes, je ne suis pas favorable à ce que l'on emploie à leur encontre des techniques intrusives. Mais lorsque des bandes violentes projettent d'aller saccager un centre-ville, dois-je rester inactif  face à ces black blocs ?

On fait comme si le Gouvernement inventait des dispositions nouvelles pour autoriser une surveillance politique. Nous ne faisons rien d'autre que de rappeler les règles actuelles, qui n'ont jamais porté atteinte aux libertés publiques.

Mme Éliane Assassi.  - Pourquoi alors ce projet de loi ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Si, demain, des groupes extrémistes se livraient à des violences à la sortie de mosquées, les mêmes qui critiquent ce texte me reprocheraient de n'avoir pas tenté de les en empêcher.

La commission des lois du Sénat a rétabli la rédaction initiale du Gouvernement, conforme à la jurisprudence du Conseil d'État. Néanmoins le Gouvernement préfère l'expression « sécurité nationale », plus restrictive.

Avis favorable à l'amendement n°127 rectifié, défavorable aux amendements nos45, 119 rectifié et 89.

M. Gaëtan Gorce.  - Autant je partage vos propos sur la République -la forme républicaine du Gouvernement n'est pas même révisable-, autant je suis préoccupé par ce dernier point. Les manifestations et les émeutes sont déjà encadrées par le droit des manifestations. Si une manifestation est susceptible de dégénérer ou qu'elle n'a pas été déclarée, une intervention préventive de police administrative est déjà possible. Le texte, en autorisant l'usage de techniques intrusives, -géolocalisation, captation d'images ou de conversations, intrusion sur les réseaux...- est disproportionné. La notion de « paix publique » est trop large. La notion de sécurité nationale est préférable mais il faudrait mieux la définir. Elle englobe déjà l'indépendance nationale, la sécurité du territoire, l'intégrité du territoire, la forme républicaine du gouvernement. Il conviendrait d'y ajouter la protection des intérêts de la population, par exemple contre la menace sur la santé publique qu'entraînerait l'usage de produits toxiques. Des précisions doivent donc être apportées, pour nous prémunir contre les interprétations trop larges auxquelles se prêtent les termes de « paix publique » et de « sécurité nationale ».

Mme Cécile Cukierman.  - Pourquoi ce texte s'il ne fait que reprendre le droit existant ? Il va bien plus loin... Nous sommes opposés à l'alinéa 16 sur les violences collectives. Qu'en sera-t-il en cas d'actions de salariés ? Leur qualification dépend du rapport de force politique. Il est à craindre qu'un autre gouvernement, dirigé par un autre Premier ministre, non pas dans quelques années seulement, mais, disons, dans une quinzaine d'années, ne fasse une autre lecture de ce que nous entendons par « paix publique », ouvrant la voie à des dérives légales. Notre arsenal juridique permet déjà de prévenir les émeutes et les dégradations visant à détruire le bien commun. Encore une fois, si le droit existant suffit, pourquoi ce texte ?

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Il faut laisser les services de renseignement utiliser des techniques intrusives pour prévenir les violences collectives.

Le code de la sécurité intérieure définit déjà, à l'article L. 1111-1, la notion de « sécurité nationale ». Cette définition ne vise pas les violences organisées par des commandos en marge de manifestations. Quant à la notion de « paix publique », elle figure déjà au code pénal et vise les atteintes à des bases fondamentales, comme la liberté d'expression et de manifestation. La participation délictueuse à des « attroupements », selon le vocabulaire de la IIIe République, ou l'organisation de groupes de combat en font partie.

Les services de renseignement doivent contribuer, avec professionnalisme et dans le respect du principe de légalité, à prévenir ces violences. D'où l'intérêt de la référence à la paix publique.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Oui. Je me suis rallié à la démonstration du rapporteur. Nous n'inventons rien. Nous utilisons des notions juridiques déjà bien définies.

M. Jean Louis Masson.  - Nos concitoyens n'en peuvent plus des dérives violentes en marge des manifestations. L'argumentation du rapporteur est pertinente. Ou bien on se satisfait du terrorisme et de la violence, ou bien on se donne les moyens d'agir. Pour cela la définition doit être suffisamment large. (Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman protestent)

L'amendement n°45 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°119 rectifié, identique.

M. Gaëtan Gorce.  - Les exemples du ministre de l'intérieur montrent bien que l'usage de techniques intrusives n'est pas justifié dans ces cas. Adoptons une rédaction restrictive pour ne pas courir de risque devant le Conseil constitutionnel, qui sera saisi par le président de la République. La « paix publique », je le répète, se prête à des interprétations trop larges, qui mettent en jeu nos libertés publiques et individuelles.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Oui, la notion de paix publique est trop large. Il me semble que la notion de sécurité nationale, adoptée par l'Assemblée nationale, est plus adaptée.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - C'est exactement le contraire !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Permettez que je donne mon sentiment... Je remercie le Gouvernement pour son avis favorable à l'amendement n°127 rectifié.

L'amendement n°127 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°89 n'est pas adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Nous abordons un sujet sensible : l'utilisation des techniques de renseignement en matière pénitentiaire. Le débat a été vif à l'Assemblée nationale. Aussi ai-je tenu à mener de nombreuses auditions sur ce sujet.

Notre idée, inspirée de la commission d'enquête sur le djihadisme, est de ne pas laisser les détenus sans surveillance, pour éviter leur radicalisation. Il serait paradoxal que tout citoyen puisse faire l'objet d'une surveillance et non les personnes condamnées. Les services de renseignement doivent être dotés, à cet effet, de moyens modernes leur permettant de remplir efficacement leurs missions.

C'est pourquoi nous proposons que les détenus puissent faire l'objet d'une surveillance par les services de renseignement au sein des prisons et non d'inscrire, comme l'a fait l'Assemblée nationale, l'administration pénitentiaire, dans son ensemble, comme commanditaire des services de renseignement.

Mme la présidente.  - Amendement n°46, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéas 20 et 21

Supprimer ces alinéas.

Mme Cécile Cukierman.  - Ces alinéas auront pour effet d'augmenter le nombre des services et le périmètre du recours aux techniques de renseignement, par voie de décret, donc sous le seul contrôle de l'exécutif. Nous les supprimons.

Mme la présidente.  - Amendement n°90, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 20

Supprimer cet alinéa.

Mme Esther Benbassa.  - L'alinéa 20 prévoit qu'un décret en Conseil d'État désigne les services, autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques de recueil de renseignements envisagées par le texte.

Les services habilités à recourir à ces techniques doivent être limités et définis par la loi et ne pas pouvoir être ainsi multipliés par simple décret.

Mme la présidente.  - Amendement n°91, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 20, première phrase

Remplacer les mots :

au titre V du présent livre dans les conditions prévues au même livre

par les mots :

aux articles L. 851-1, L. 851-2 et L. 851-6 dans les conditions prévues au présent livre

Mme Esther Benbassa.  - Amendement de repli qui limite l'accès d'autres services que ceux spécialisés dans le renseignement à certaines techniques de recueil de renseignements, en excluant celles qui ne permettent pas de cibler une personne ou qui porteraient sur le contenu d'une correspondance.

Mme la présidente.  - Amendement n°131 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 21

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités de mise en oeuvre des techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les établissements pénitentiaires, les conditions dans lesquelles l'administration pénitentiaire effectue des signalements auprès des services de renseignement ainsi que les modalités des échanges d'informations, y compris celles qui font suite à ces signalements, entre d'une part, les services mentionnés à l'article L. 811-12 et au premier alinéa du présent article et d'autre part, l'administration pénitentiaire pour l'accomplissement de leurs missions.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ne confondons pas les ministères de l'intérieur et de la défense et celui de la justice, dont les missions sont de nature différente. Le ministère de la justice n'a pas vocation à intervenir dans le cadre opérationnel et technique du renseignement.

Le renseignement pénitentiaire est nécessaire. C'est pourquoi un dialogue doit s'établir entre la justice avec les services de renseignement sur la base des signalements opérés par l'administration pénitentiaire. D'où notre amendement précisant les missions du renseignement pénitentiaire, d'une façon qui nous a paru plus claire que la rédaction proposée par la commission.

Mme la présidente.  - Amendement n°129 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 21, première phrase

Après les mots :

Un décret

insérer les mots :

en Conseil d'État

M. Jean-Pierre Sueur.  - Un décret en Conseil d'État est nécessaire, compte tenu de la sensibilité de cette matière.

L'amendement n°120 rectifié bis n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°130 rectifié bis, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 21, seconde phrase

Supprimer les mots :

demander à ces services de mettre en oeuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II, une technique de renseignement au sein d'un établissement pénitentiaire et

M. Jean-Pierre Sueur.  - Amendement de repli. Il ne revient pas, je le répète, aux services pénitentiaires de participer à la mise en oeuvre des techniques de renseignement.

Mme la présidente.  - Amendement n°190, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois.

Alinéa 21, seconde phrase

Remplacer les mots :

demander à ces services de mettre en oeuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II, une technique de renseignement au sein d'un établissement pénitentiaire

par les mots :

signaler toute personne écrouée à ces services aux fins de mise en oeuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II,  d'une technique mentionnée au titre V

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Finalement, il y a peu d'écart entre signaler et demander aux services de renseignement d'intervenir. Il s'agit de signifier que l'administration pénitentiaire ne met pas en oeuvre les mêmes moyens et n'accomplit pas les mêmes missions de surveillance que les services de renseignement proprement dits. D'où mon amendement, auquel la commission a donné ce matin un avis favorable, et que le sous-amendement n°207 de Mme Benbassa corrige opportunément, en remplaçant le mot « écrouée » par celui de « détenue ».

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°207 à l'amendement n°190 de M. Bas, au nom de la commission des lois, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Amendement n° 190, alinéa 5

Remplacer le mot :

écrouée

par le mot :

détenue

Mme Esther Benbassa.  - Cette précision exclut du champ de l'amendement les personnes, telles celles placées sous bracelet électronique, qui se trouvent hors les murs, et cible donc celles qui sont dans les établissements pénitentiaires.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements nos46, 90, 91, et 131 rectifié, que je suggère au président Sueur de retirer. Favorable à l'amendement n°129 rectifié. Défavorable à l'amendement n°130 rectifié bis.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Empêcher le deuxième cercle du renseignement d'accéder aux techniques du renseignement n'est pas souhaitable. Avis défavorable aux amendements nos 46, 90 et 91.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.  - La responsabilité du ministère de la justice n'est pas de même nature que celle des ministères de l'intérieur et de la défense, qui ont le contrôle sur l'action opérationnelle des services de renseignement, puisqu'elle porte essentiellement sur les garanties juridictionnelles et de contrôle judiciaire, offertes à chaque citoyenne et à chaque citoyen, sur lesquelles nous reviendrons à l'article 4.

J'en viens au renseignement pénitentiaire, pour préciser d'emblée que, contrairement à ce que j'ai entendu ici ou là, la population carcérale, qui se trouve sous la main du ministère de la justice, via l'administration pénitentiaire, n'échappe bien évidemment pas à la surveillance. Elle est même, par nature, la plus surveillée ! L'administration pénitentiaire établit déjà des listes de détenus particulièrement surveillés, prend des décisions de mise en isolement, de placement en quartier disciplinaire ou de transfèrement.

L'administration pénitentiaire fournit des signalements aux services de renseignement, lesquels opèrent des interceptions, soumises à la CNCIS, bientôt à la CNCTR.

Le renseignement pénitentiaire a été créé dès 1981 sous forme d'un bureau de liaison à la préfecture de police. En 1998, il est devenu une unité à part entière de la direction de l'administration pénitentiaire. En 2003 a été créé au sein de cette direction un état-major de sécurité, comportant trois bureaux, chargés respectivement de la gestion des détenus, de la sécurité et du renseignement pénitentiaire. Un arrêté de 2008 et la loi pénitentiaire de 2009 définissent ses missions.

Il n'est pas souhaitable que le renseignement pénitentiaire soit opérateur de techniques de surveillance au sein des établissements pénitentiaires.

Le débat à l'Assemblée nationale a porté sur le choix de confier à l'administration pénitentiaire, via le renseignement pénitentiaire, le soin d'effectuer des signalements aux services de renseignement, afin que ceux-ci opèrent au sein des établissements pénitentiaires. Ainsi, l'administration pénitentiaire ne devient pas l'opérateur direct des nouvelles techniques de surveillance visées par ce texte.

Nous avons plus que doublé les effectifs du renseignement pénitentiaire depuis 2012 en les portant de 72 à 159 agents en 2015, pour la plupart officiers - ils passeront même à 185 en 2016. La collaboration entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur s'est accrue. Nous y avons oeuvré en 2014, si bien qu'un directeur des services pénitentiaires est mis à disposition au sein même de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) qui dépend du ministère de l'intérieur. J'ai cosigné avec le ministre de l'intérieur trois circulaires interministérielles, afin de mieux coordonner nos services. Un protocole a été signé entre l'administration pénitentiaire et l'Uclat, un autre avec la DGSI, un troisième est en train d'être finalisé avec le service du renseignement territorial.

Nous avons diversifié les missions du renseignement pénitentiaire. Nous recrutons ainsi que des experts en informatique et des traducteurs-interprètes. Nous formons des équipes légères de sécurité, pour procéder à des fouilles sectorielles, qui complèteront l'action des équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris).

Le renseignement pénitentiaire est donc loin d'être négligé, mais a été renforcé. La question est de savoir si l'usage des nouvelles techniques de surveillance doit être réservé aux services de renseignement ou ouvert au renseignement pénitentiaire en tant qu'opérateur.

Je tiens que le renseignement est un métier. L'usage de ces techniques doit donc être réservé aux services spécialisés. Le ministère de la justice ne doit pas être le commanditaire direct d'opérations de surveillance. N'entretenons pas la confusion autour de ses missions. D'ailleurs, les détenus ne sont pas totalement isolés de l'extérieur : ils reçoivent des visites, téléphonent, etc.

Séparer la surveillance interne et externe aux prisons ne serait donc pas efficace. Je précise d'ailleurs que l'anonymat du personnel affecté au renseignement pénitentiaire au sein de l'administration pénitentiaire sera préservé...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - De plus, ces nouvelles techniques supposent des moyens : plateformes d'écoutes, exploitation et constitution de bases de données, etc.

Si le législateur souhaite transformer le renseignement pénitentiaire en service opérationnel de renseignement, qu'il lui en donne les moyens. Selon l'étude d'impact, 300 personnes supplémentaires seraient nécessaires, qu'il faudrait doter en équipements et former à leur utilisation, pour un coût estimé au minimum à 60 millions d'euros.

J'en viens à l'amendement n°131 rectifié, qui n'a qu'un petit défaut : vous avez réécrit la première phrase, ce qui rend difficile la coordination avec le texte de l'Assemblée nationale. Je souhaiterais donc que le président Sueur accepte de le retirer au bénéfice de l'amendement n°190 tel que modifié par le sous-amendement de Mme Benbassa auquel nous donnons un avis favorable, car le verbe « signaler » est préférable et correspond mieux à l'état des relations entre l'administration pénitentiaire et les services du ministère de l'intérieur que le verbe « demander », lequel comporte une connotation hiérarchique. L'expression « aux fins de mise en oeuvre » laisse toutefois subsister l'impression d'un lien de hiérarchie entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement, moins forte tout de même que la formulation de l'amendement du président Sueur, que je remercie en tout cas pour son implication, dans la rédaction de ce texte, dans la droite ligne de son rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la lutte contre les réseaux djihadistes.

Après avoir initialement envisagé un avis de sagesse, je suis favorable à l'amendement n°129 rectifié : qui peut le plus, peut le moins.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je demande une brève suspension de séance.

La séance, suspendue à 18 h 25, reprend à 18 h 40.

présidence de M. Hervé Marseille, vice-président

M. le président.  - Sous-amendement n°209 à l'amendement n°190 de M. Bas, au nom de la commission des lois, présenté par M. Sueur.

Alinéa 5

Après les mots :

aux fins de mise en oeuvre,

insérer les mots :

à leur appréciation et

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous sommes au coeur d'un débat difficile et important. Il s'agit de bien distinguer les fonctions respectives de l'administration pénitentiaire et des services de renseignement. Mme la garde des sceaux m'a demandé le retrait de mon amendement au profit de celui de la commission.

Mme Nathalie Goulet.  - Bien meilleur !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Après réflexion, je propose un sous-amendement qui lèverait toute ambiguïté en rendant l'administration pénitentiaire responsable du signalement et les services de renseignement, de la mise en oeuvre des techniques. Les rôles sont ainsi clairement définis.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - La commission des lois n'a pu se réunir si vite. Que voulons-nous ? Que les techniques de renseignement puissent être mises en oeuvre en prison. Que ne voulons-nous pas ? Que l'administration pénitentiaire en soit chargée, car ce n'est pas son métier. Comment concilier les deux ? La commission des lois souhaite que les services de renseignement puissent imposer la surveillance de détenus qui leur auraient été signalés et que l'administration pénitentiaire puisse effectuer des signalements.

Mon amendement a laissé craindre à Mme la garde des sceaux que les services de renseignement n'aient d'autre choix que de déférer à une demande de l'administration pénitentiaire. Ce n'était pas mon intention. Le sous-amendement de M. Sueur me semble conforme à l'esprit de l'amendement adopté par la commission des lois. Je recommande son adoption.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je salue le travail effectué par la commission des lois et par chacun en un temps si bref. La proposition du président Sueur concilie nos positions respectives.

Les services de renseignement pénitentiaire effectuent des actions de renseignement et de surveillance définies dans l'arrêté de 2008 et la loi de 2009. Ce texte ouvre de nouvelles voies d'action ; laissons leur mise en oeuvre aux services de renseignement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous sommes arrivés à une rédaction satisfaisante sur un point important. La répartition des missions est cruciale en démocratie. Je retire les amendements nos130 rectifié bis et 131 rectifié.

Les amendements nos130 rectifié bis et 131 rectifié sont retirés.

M. André Reichardt.  - Ancien coprésident de la commission d'enquête sur les filières djihadistes, je me félicite que le renseignement pénitentiaire soit évoqué dans ce projet de loi. Nous ne sommes pas parvenus aux mêmes conclusions que vous, madame la garde des sceaux. Ce que nous préconisons est ici repris : nous pouvons nous en féliciter.

Cet alinéa paraissait fort bien écrit. Je me retrouve toutefois également dans la rédaction du président Bas, ainsi sous-amendée par Mme Benbassa et M. Sueur. Je la voterai.

L'amendement n°46 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos90 et 91.

L'amendement n°129 rectifié est adopté.

Le sous-amendement n°207 est adopté, de même que le sous-amendement n°209.

L'amendement n°190, sous-amendé, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°128 rectifié, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Après l'alinéa 21

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 811-...- Le nombre maximal des autorisations en vigueur simultanément d'une des techniques de renseignement mentionnées au présent livre est arrêté par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La décision fixant ce contingent et sa répartition entre les ministères mentionnés à l'article L. 821-2, ainsi que le nombre d'autorisations délivrés sont portés sans délai à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement peut adresser au Premier ministre une recommandation relative au contingent et à sa répartition.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cet amendement étend à l'ensemble des techniques de renseignements le principe du contingentement retenu pour les dispositifs de proximité de type IMSI-catchers et les interceptions de sécurité.

Ce principe prévoit un nombre maximum de techniques utilisées à un moment donné. Il est apparu pour la première fois dans la loi de 1991. L'article L. 242-2 du code de la sécurité intérieure dispose que ce nombre est arrêté par le Premier ministre.

Le rapport Urvoas-Verchère comme la délégation parlementaire au renseignement ont souligné l'intérêt de cette disposition.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Il est difficile de déterminer priori les besoins en matière de renseignement. Le quota des interceptions de sécurité est d'ailleurs régulièrement augmenté. C'est d'autant plus complexe s'agissant des données de connexion. Les demandes d'interceptions, 350 000 par an, n'indiquent pas nécessairement l'opérateur auquel il faut s'adresser : les services s'adressent alors à tous... La surveillance d'un seul individu peut nécessiter une quinzaine de demandes. Pour ces raisons - essentiellement techniques - avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Cette limite briderait l'efficacité des techniques sans gain pour la protection des libertés. Certaines techniques sont moins intrusives que les interceptions de sécurité. Avis défavorable.

L'amendement n°128 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°56, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 26

Supprimer les mots :

sur le territoire national

Mme Éliane Assassi.  - Le projet de loi est vague sur l'activité de nos services de renseignement à l'étranger. La loi doit les encadrer, où qu'ils se déploient. Au regard de la protection des libertés, le critère de la nationalité est inopérant, les non-nationaux devant bénéficier du même régime légal dès lors qu'ils font l'objet de mesures mises en oeuvre par des services français.

Le critère du territoire national est également inopérant, les citoyens français se trouvant hors du territoire national, ou utilisant des moyens de communication transitant par l'étranger, devant bénéficier des mêmes protections que les autres.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Les activités de renseignement à l'étranger ne peuvent évidemment être soumises aux mêmes procédures que celles qui sont menées sur le territoire national - même si l'article 3 fixe un cadre minimal. De même qu'aucun service de renseignement étranger ne peut légalement agir en France, nos services ne peuvent légalement intervenir à l'étranger. Aucun tribunal étranger ne pourrait apprécier la légalité de ces pratiques au regard de la loi française. Nous ne sommes pas législateur universel, mais devons encadrer les pratiques existantes.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.  - Avis défavorable. Non que l'on refuse d'encadrer l'activité de nos services à l'étranger - l'article 3 y pourvoit - mais la loi française ne s'applique pas de manière extraterritoriale, et les actions clandestines doivent le rester.

L'amendement n°56 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°47, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 26

Supprimer les mots :

du Premier ministre délivrée après avis

Mme Michelle Demessine.  - La commission des lois reconnaît que renforcer les capacités d'action intrusive élargit les occasions pour les services de renseignement de porter atteinte aux libertés fondamentales de nos concitoyens. D'où l'importance de contrôles effectifs sur le caractère légitime, nécessaire et proportionné de ces intrusions.

Un contrôle indépendant est indispensable. La CNCTR doit être dotée d'un pouvoir d'autorisation préalable et exercer ainsi son contrôle de façon systématique. De plus, une CNCTR composée exclusivement de juges judiciaires et administratifs indépendants garantirait la séparation des pouvoirs.

M. le président.  - Amendement n°84 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

I. - Alinéa 26

Après les mots :

après avis

insérer le mot :

conforme

II. - Alinéa 39, seconde phrase

Remplacer le mot :

rendu

par le mot :

favorable

III. - Alinéa 42

Supprimer cet alinéa.

M. Jacques Mézard.  - À l'alinéa 39, il est plus logique et plus conforme à notre tradition juridique de disposer que le silence vaut accord tacite.

Le texte dispose encore, à l'alinéa 26, que la CNCTR rend un avis simple. Or, si le Gouvernement peut passer outre, quel intérêt de créer une autorité administrative indépendante ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Une de plus !

M. Jacques Mézard.  - Sans doute les cas où l'avis de la commission ne sera pas suivi seront-ils rares. Mais ce seront les cas les plus graves pour les libertés.

M. le rapporteur me dira que nous nous plaignons régulièrement que les autorités administratives indépendantes aient trop de pouvoirs. (M. Philippe Bas, rapporteur, le confirme) Je persiste ! Mais quand vous en créez une, autant qu'elle serve à quelque chose.

M. le président.  - Amendement n°48, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 26

Après les mots :

après avis

insérer le mot :

conforme

M. Jean-Pierre Bosino.  - Cet amendement de repli lie la décision du Premier ministre à celle de la CNCTR, qui doit avoir un pouvoir de décision. Le caractère consultatif de cette commission n'est pas une garantie suffisante des droits fondamentaux.

M. le président.  - Amendement n°39, présenté par M. Leconte.

Alinéa 26

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Un avis conforme est requis pour les personnes mentionnées à l'article L. 821-5-2.

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement est dans le même esprit que les précédents. Il est indispensable que les magistrats, avocats, journalistes et parlementaires exercent leur profession librement. L'avis de la CNCTR, dans le cas de la surveillance de ces personnes au moins, devrait être contraignant. Au législateur de fixer un cadre clair.

M. le président.  - Amendement n°49, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Alinéa 39, seconde phrase

Remplacer le mot :

rendu

par le mot :

négatif

M. Michel Le Scouarnec.  - Dans un régime d'autorisation, le silence ne peut valoir que refus. C'est le droit commun. La tendance contraire est dangereuse : sous couvert de simplifier, elle fragilise l'administration.

M. le président.  - Amendement n°134 rectifié, présenté par M. Duran et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 39, seconde phrase

Remplacer le mot :

rendu 

par le mot :

défavorable 

M. Alain Duran.  - Le projet de loi prévoit que la CNCTR ne dispose que d'un pouvoir consultatif dans sa mission de contrôle priori des demandes de mise en oeuvre des techniques de renseignement. En prévoyant que l'avis est réputé rendu si la CNCTR ne l'a pas transmis au Premier ministre, il aboutit en outre à faire du silence un consentement.

Or plus de 320 000 demandes d'autorisation ont été émises en 2014. La CNCTR pourra-t-elle faire face et exercer ses missions de manière effective ? S'agissant de techniques de renseignement particulièrement intrusives, il est problématique de laisser accroire que la commission de contrôle approuve une demande sur laquelle elle n'a en réalité pas rendu d'avis. Il convient plutôt de considérer que l'absence d'avis rendu dans les délais vaut avis défavorable ; le Premier ministre devra alors motiver son autorisation.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Mettre en oeuvre des techniques de renseignement est un acte d'une extrême gravité. C'est pourquoi nous avons précisé les finalités qui peuvent le justifier. La défense nationale, l'intégrité du territoire : aux termes de l'article 5 de la Constitution, le président de la République en est garant. Quant à la politique de la Nation, elle est déterminée par le Premier ministre. Pensez-vous que, pour un acte aussi grave, le Gouvernement, responsable devant le Parlement, pourrait renoncer à ses prérogatives régaliennes, déterminées par la Constitution, au profit d'une autorité administrative indépendante ?

La CNCTR rendra un avis et elle disposera de larges pouvoirs d'investigation. Plus encore, trois de ses membres pourront saisir le juge administratif.

Confier à une autorité administrative indépendante un pouvoir éminemment régalien méconnaîtrait notre Constitution. Avis défavorable aux amendements nos47, 84 rectifié, 48, 49 et 134 rectifié, ces deux derniers étant contradictoires, ainsi qu'au 39. Un avis rendu avec retard ne devrait pas bloquer le processus ; un avis non rendu doit être réputé l'être, ni plus ni moins. Le contrôle du Conseil d'État suffit.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ces amendements ne sont pas constitutionnels, car ils méconnaissent l'article 20.

Le Conseil d'État, en 2001, a estimé dans son rapport public que dans les domaines qui mettent en jeu les responsabilités régaliennes de l'État, l'attribution d'un pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante ne saurait être envisagée. Le Gouvernement ne doit pas être privé des moyens de faire face à ses responsabilités.

Que la CNCTR exerce ses compétences au fond, oui ; mais qu'elle exerce des prérogatives que la Constitution confie au seul Gouvernement, non. Avis défavorable aux amendements nos47, 84 rectifié, 48, 49 et 134 rectifié.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Avis défavorable à l'amendement n°39. Nous sommes très vigilants sur les professions protégées, l'amendement introduit à l'Assemblée nationale par le Gouvernement en est la preuve.

Un avis conforme reviendrait à transférer le pouvoir d'autorisation à la CNCTR, autorité indépendante. La responsabilité doit rester celle de l'exécutif, qui doit rendre compte de l'action de ses services.

M. Jean-Jacques Hyest.  - M. le ministre a raison : il est impossible en la matière de confier un pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante. Un ministre donnera son feu vert ; puis la CNCTR formulera un avis. Je ne conçois pas que l'on fasse un sort particulier à certains : le principe d'égalité s'impose. Depuis trente ans, jamais le contrôle exercé par la CNCIS n'a fait défaut, le passage devant une commission a montré son caractère préventif. Dorénavant, la CNCTR veillera à la proportionnalité des techniques envisagées.

Plus une commission est pléthorique, moins elle est efficace. La petite CNCIS fonctionne très bien.

M. Jacques Mézard.  - Je ne suis pas convaincu. Aucune autorité administrative indépendante n'aurait de pouvoir décisionnel ? Et l'Autorité de la concurrence, encore renforcée par la loi Macron ?

M. Jean-Yves Leconte.  - Et le CSA ?

M. Jacques Mézard.  - Je veux bien qu'on m'oppose les avis du Conseil d'État - encore que les autorités administratives indépendantes soient en bonne part composées de conseillers d'État et de conseillers maîtres à la Cour des comptes. Je ne doute pas de vos bonnes intentions, monsieur le ministre. Mais que le Gouvernement puisse faire fi de l'avis de la CNCTR, est-ce vraiment équilibré ? On ne me le fera pas avaler...

Pourquoi présumer l'avis « rendu » plutôt que « favorable », en cas de défaut ? Pourquoi traiter une autorité administrative indépendante mieux que les citoyens ou les collectivités territoriales ?

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Avec ma modeste maîtrise de droit, je suis moins fin juriste que le président Bas. Mais enfin le président du Sénat, deuxième personnage de l'État, a récemment rencontré le président Poutine, dans un contexte de forte tension. Puisqu'il n'est, selon ce texte, qu'un simple parlementaire, le Premier ministre pourrait donc décider, même contre l'avis de la CNCTR, de le mettre sur écoute ! N'est-ce pas contraire à la séparation des pouvoirs ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Monsieur le président Mézard, tous les sujets que vous soulevez méritent de l'être. Je me dois donc de vous répondre précisément.

Le Conseil d'État s'est prononcé sur les autorités administratives indépendantes intervenant dans les domaines relevant des compétences régaliennes de l'État. Elles ne sauraient avoir de pouvoir de décision : le Conseil l'a dit en 1991 et répété dans un avis de 2001. Les mêmes principes ne valent pas en matière de régulation économique, par exemple.

Quelle utilité d'une autorité administrative indépendante dont les avis ne seraient pas contraignants, demandez-vous ?

En pratique, le Gouvernement suit l'avis de la CNCIS. En cas contraire, le président de la CNCIS n'hésite pas à le faire savoir et nous avons vu avec quelle liberté de ton ! Preuve que l'autorité est vraiment indépendante. Je ne doute pas qu'un président d'autorité administrative indépendante fasse entendre sa voix. Comme l'écrivait Montesquieu, « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Quand le pouvoir de l'un bafoue le pouvoir de l'autre, cela se voit, en démocratie. Il ne s'agit pas de mettre la poussière sous le tapis, car un jour elle serait plus épaisse que le tapis...

M. Gaëtan Gorce.  - Malgré mes réserves sur ce texte, qui peut imaginer confier à une autorité administrative indépendante le pouvoir de se prononcer en dernier ressort lorsqu'il s'agit de défendre et de promouvoir les intérêts supérieurs de la Nation ?

M. le ministre dit que la CNCTR doit être vraiment indépendante. J'entends ce qu'il a dit de l'actuel président de la CNCIS comme une annonce officieuse que celui-ci sera nommé à la tête de la future CNCTR. J'espère qu'elle sera confirmée ! (Sourires)

L'amendement n°47 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos84 rectifié et 48.

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis.  - Qui ne voit que le pays demande que l'autorité s'exerce, face aux dangers qui nous menacent ? Et pourtant, nous passons notre temps à affaiblir l'exécutif. Celui-ci soit assumer ses responsabilités. Soumettre le Gouvernement à une autorité administrative indépendante, c'est inimaginable et inacceptable pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur de nombreux bancs) Ceux-ci demandent de l'autorité et l'on bâtit de l'impuissance !

Quant aux parlementaires, avocats, magistrats et journalistes, ils font bien l'objet d'une protection particulière, monsieur Leconte, puisque l'article 821-5-1 ne leur est applicable que s'il existe des raisons sérieuses de croire qu'ils agissent aux ordres d'une puissance étrangère ou dans le coeur d'une organisation terroriste ou criminelle. Ce ne peut être le cas du président du Sénat.

M. Jean-Yves Leconte.  - La sécurité est l'affaire de tous. Cela suppose de la confiance. La séquence émotion à laquelle s'est livrée M. Raffarin était inutile. Ce n'est pas le sujet : je veux seulement que le contrôle de la commission soit effectif.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ne méconnaissons pas les dangers auxquels nous sommes confrontés, notamment de la part des terroristes, et la nécessité pour le Gouvernement d'y faire face avec des moyens efficaces. N'allons pas affaiblir l'État face à ce risque ! En contrepartie, cela justifie que toutes les précautions soient prises, ce que fait le Sénat. Je suis favorable à ce que les contrôles soient réels, et même renforcés.

L'amendement n°39 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos49 et 134 rectifié.