Accessibilité aux personnes handicapées (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l'accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap.

Discussion générale

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP est parvenue à un très large accord, je m'en félicite. Le texte du Sénat a modifié substantiellement l'ordonnance, sans toutefois en bouleverser l'équilibre. L'Assemblée nationale a accepté l'encadrement des possibilités de prorogation des délais de dépôt des agendas d'accessibilité programmée (Ad'Ap), elle nous a rejoints sur les ressources du fonds ad hoc, comme sur l'évaluation de l'ordonnance avant le 31 décembre 2018, ou la modification du seuil, plus de 1 000 habitants et non plus 500, à partir duquel les communes sont tenues d'adopter un plan de mise en accessibilité des Établissements recevant du public (ERP).

Le Sénat avait voulu que le refus des copropriétés de réaliser des travaux de mise en accessibilité fût motivé ; l'Assemblée nationale est allée plus loin : l'assemblée ne pourra s'opposer aux travaux s'ils sont pris en charge par le propriétaire ou le gestionnaire de l'ERP, sauf dans les trois cas prévus dans la loi de 2005. Nous avons évité autant que possible les blocages tout en respectant le droit de propriété.

La CMP a également précisé que les Autorités organisatrices de transport (AOT) ne peuvent appliquer pour le transport à la demande des tarifs supérieurs à ceux des transports en commun, dans le même périmètre. Après un débat nourri, nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée.

En revanche, la CMP n'est pas revenue sur la suppression par l'Assemblée nationale de nos dispositions assouplissant les obligations des bailleurs sociaux lorsqu'ils construisent. La mesure, légitime, n'était pas évaluée : nous sommes convenus qu'il ne fallait pas risquer de remettre en cause les principes de la loi de 2005.

S'agissant des agendas d'accessibilité programmée, je m'inquiète de la brièveté des délais. À ce jour seuls 3 500 dossiers d'Ad'Ap ont été déposés en préfecture. Je crains un dépôt massif au 27 septembre 2015, les intéressés n'ayant guère intégré les possibilités de prorogation ; et je m'inquiète de la faiblesse des effectifs dédiés à l'examen de ces dossiers dans les préfectures. Du bon déroulement de cette ultime phase dépend pourtant la crédibilité de notre texte.

Je crois malgré tout que nous pouvons très largement nous retrouver pour adopter ce projet de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Claire-Lise Campion, au nom de la commission mixte paritaire .  - Dans l'ordonnance de septembre 2014, les parents peuvent demander à ce que certains points d'arrêts du réseau de transport scolaire soient rendus accessibles à leur enfant scolarisé à temps plein. Nous avons prévu qu'ils pourront recevoir l'appui des équipes pluridisciplinaires des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). L'Assemblée nationale a étendu la disposition aux enfants scolarisés à temps partiel, c'est un progrès.

Une formation sera obligatoirement délivrée au personnel dans les établissements dont la capacité d'accueil excède 200 personnes. L'Assemblée nationale est allée plus loin que nous sur ce point et nous l'avons suivie.

Comme je l'avais aussi proposé, les jeunes handicapés pourront s'engager en service civique jusqu'à 30 ans au lieu de 25. C'est un pas vers une société plus inclusive.

Isabelle Debré et moi avons travaillé sur la loi de 2005 dans le cadre de la commission de contrôle de l'application des lois. M. Ayrault m'a ensuite confié une mission sur le sujet. La loi du 11 février 2005 avait fixé des objectifs ambitieux. Depuis, les esprits ont évolué. Une dynamique est engagée. Je comprends cependant l'impatience, voire le découragement, des personnes handicapées et de leurs familles ; tout comme les craintes des collectivités territoriales et des acteurs économiques face à une réglementation complexe. Tout l'enjeu de la concertation que j'ai menée en 2013-2014 à la demande du Premier ministre a été de trouver un juste équilibre entre les attentes des uns et les difficultés des autres.

Merci à MM. Mouiller et Sirugue, le rapporteur pour l'Assemblée nationale, pour leur engagement. Je forme le voeu que nous trouvions sur ce texte le plus large consensus. (Applaudissements)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion .  - Je veux vous remercier très sincèrement d'avoir amélioré ce projet de loi tout en en préservant les grandes lignes : avancer vers l'accessibilité universelle, en faisant en sorte que chaque gestionnaire se dote d'objectifs et de délais précis ; et le faire avec pragmatisme. La convergence de vues entre les parlementaires laisse augurer une adoption rapide.

Merci à Mme Campion qui, depuis trois ans, a tant travaillé, et a été de tous les colloques, de toutes les réunions sur l'accessibilité. Simplifier certaines normes était nécessaire. Merci aussi à M. Mouiller de son implication personnelle.

À partir du 27 septembre, les gestionnaires des 80 % d'ERP en catégorie 5 auront trois ans pour rendre leurs établissements accessibles. Les autres disposeront d'un délai plus long, jusqu'à neuf ans dans certains cas, si leur Ad'Ap est agréé par le préfet.

Mais vous avez souhaité élargir la portée du projet de loi, en imposant une formation à l'accueil des personnes handicapées pour les personnels des ERP - c'est une excellente chose - et en ouvrant à ces personnes l'accès au service civique jusqu'à 30 ans, à l'initiative bienvenue de Mme Campion.

Nous n'abandonnons pas l'objectif de la loi de 2005, bien au contraire. Le prochain objectif, c'est l'échéance du 27 septembre. Chacun doit contribuer à sa réussite. C'est par des rendez-vous transparents et réguliers que nous rendrons concrète l'accessibilité universelle. Notre travail est loin d'être fini. Je compte sur vous pour évaluer les effets de la loi, expliquer au gestionnaire le fonctionnement des Ad'Ap, rassurer les élus, les commerçants, les associations. À nous de faire vivre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)

Mme Annie David .  - Malgré l'obligation consacrée par la loi de 2005, seuls 45 % des ERP sont aujourd'hui accessibles aux personnes handicapées. Ainsi, dans la majorité des cas, une personne handicapée est incapable d'accéder à un établissement pour faire des courses, se faire soigner, réaliser une démarche administrative : ses droits fondamentaux, reconnus par la loi, sont bafoués.

Or le Gouvernement choisit de reculer. Il a déjà fallu trente ans entre les lois de 1975 et 2005 ; puis l'application de cette dernière a été repoussée de dix ans, à 2015. Et l'on demande aujourd'hui aux intéressés de patienter encore...

Sans moyens, l'accessibilité universelle est illusoire. C'est une question de responsabilité politique : il suffit d'un élu impliqué pour que des budgets soient débloqués.

Comment accepter que la loi ne soit pas appliquée ? Je comprends la colère du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) ou du Collectif pour une France accessible, et de toutes les associations qui ont déjà attendu trop longtemps. Cette ordonnance ne fait que des mécontents. Le champ des dérogations est large : de complexité technique, conservation du patrimoine, coût économique des propositions, et s'étend aussi aux ERP dont l'accès serait jugé « trop complexe » - mais par qui, et selon quels critères ? Les nouveaux délais impartis atteignent neuf ans dans certains cas, comme pour le transport ferroviaire. C'est indigne d'une société fondée sur la liberté - celle d'aller et venir par exemple - l'égalité et la fraternité.

Nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)

M. Jean-Claude Requier .  - Si la loi de 2005 a été un formidable signal d'espoir pour les personnes handicapées, force est de constater que le délai de dix ans était trop court. Seuls la moitié des écoles et 48 % des réseaux de transport public sont accessibles, et rares sont les cabinets médicaux qui le sont...

Les personnes handicapées connaissent de grandes difficultés au quotidien. Elles ont pourtant le droit de participer pleinement à la vie sociale. Merci à Mme Campion et à M. Mouiller de leur travail. Il fallait changer de méthode : le Gouvernement mène une politique volontariste depuis quelques années.

Nous comprenons le désarroi de certaines associations. Elles déplorent les nouveaux délais. Mais ce projet de loi ne remet pas en cause la loi de 2005 : au contraire, il engage un processus pour atteindre l'accessibilité universelle, grâce à cet outil pragmatique qu'est l'Ad'Ap.

Avec ce texte, il s'agissait de trouver un équilibre entre les droits des personnes handicapées et les possibilités concrètes des collectivités territoriales et gestionnaires. Il a été atteint.

Nous avons renforcé la formation à l'accueil des personnes handicapées, élargi pour elles l'accès au service civique. La recherche de compromis a conduit à supprimer l'article 9, prime aux retardataires...

Sur l'article 3, je me félicite de l'accord trouvé.

Dans cet esprit constructif, le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur les bancs du groupe RDSE)

M. Olivier Cigolotti .  - Le groupe UDI-UC a voté ce texte en première lecture, malgré les lacunes : il faut continuer à mobiliser la société en faveur de l'accessibilité. Mais des objectifs trop ambitieux seraient irréalistes. Le compromis trouvé est satisfaisant.

À l'article 3, le Sénat avait encadré la prolongation des délais et les conditions de refus par une assemblée générale de copropriété. La CMP y a ajouté des précisions sur les obligations des gestionnaires de transport.

À l'article 4, la rédaction de l'Assemblée nationale a été retenue : non seulement le refus de travaux par une assemblée générale de copropriété devra être motivé, comme nous le prévoyions, mais le gestionnaire pourra s'il les prend à sa charge effectuer les travaux, sauf motifs inscrits dans le code de la construction.

En France, près de 90 % des communes ont mis en place une commission communale dédiée à l'accessibilité. Il ne fallait pas bouleverser les choses. Mais la CMP a prévu une commission intercommunale d'accessibilité pour tenir à jour la liste des ERP accessibles ou ayant déposé un ERP.

Sur le transport scolaire, je me réjouis qu'à l'initiative de l'Assemblée nationale, le texte vise aussi les enfants handicapés scolarisés à temps partiel, et non seulement ceux scolarisés à temps plein.

Dans une société vieillissante, l'accessibilité ne concerne pas seulement les personnes handicapées. Nous devons faire en sorte que toute personne puisse évoluer dans un cadre favorable. Sur la taille des communes soumises à l'obligation de plan d'accessibilité, l'Assemblée nationale a voté notre texte conforme.

Je regrette que l'article 9, qui permettait aux entreprises réalisant des travaux de mise en accessibilité de bénéficier d'un crédit d'impôt, ait été supprimé. Le volet financier a été quelque peu oublié, alors que la DGF baisse continûment. Il importe de prendre en compte les réalités de terrain.

Une journée nationale associant toutes les collectivités territoriales pourrait être organisée, inspirée de celle qu'organise une association pour sensibiliser le grand public aux obstacles à la mobilité en ville.

Nous entendons l'inquiétude des personnes handicapées. Représentants des collectivités territoriales, nous devons contribuer à les mobiliser. L'État se doit de soutenir les initiatives.

Le groupe UDI-UC votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

Mme Aline Archimbaud .  - L'objectif d'accessibilité universelle en 2015, fixé en 2005, est loin d'être atteint. Près d'une personne handicapée sur deux estime que sa situation ne s'est pas améliorée depuis dix ans.

Face à cette situation, nous avions accepté, bon gré mal gré, que le Gouvernement légifère par ordonnance. Malgré nos réserves, nous nous réjouissons que notre amendement imposant de publier la liste des ERP accessibles ou dotés d'un Ad'Ap ait été retenu. De même, en ce qui concerne le service civique et l'accès au transport scolaire.

Mais l'ordonnance ne nous paraît pas en phase avec nos débats de l'an dernier : l'introduction d'un quatrième motif de dérogation pour la mise en accessibilité des copropriétés est injustifiée. L'accessibilité n'est pas une contrainte ! Pour les petites communes, des prêts avantageux sont consentis, entre autres, par la Caisse des dépôts. L'accessibilité, en outre, est un atout pour le commerce, les services, l'hôtellerie.

Comment admettre qu'une école sur quatre construite après 2008 ne soit pas accessible aux enfants handicapés ? Que les transports publics soient dispensés de l'obligation de programmer leur mise en accessibilité ?

On se cache trop souvent derrière des arguments financiers ou techniques. Quarante ans après la loi de 1975, dix ans après celle de 2005, neuf ans après la convention de l'ONU, les blocages subsistent.

Il y va du regard porté sur l'autre, de l'égalité républicaine. L'accessibilité est un droit. Les membres du groupe écologiste avaient voté le texte en première lecture ; cette fois-ci, nos réserves sont telles que nous nous abstiendrons.

Mme Colette Giudicelli .  - La CMP a cherché à élaborer un texte équilibré. La loi de 2005 élaborée sous la précédente majorité était ambitieuse : cela était nécessaire pour faire évoluer les esprits. En ce sens, c'est un succès. Mais les situations du terrain sont parfois complexes. Des assouplissements s'imposaient. Je regrette que la réforme n'ait pas été engagée plus tôt, car dès 2012 la Haute Assemblée, avec les travaux de Mmes Campion et Debré, avait constaté l'impossibilité de respecter la date butoir de 2015.

Un difficile équilibre a été trouvé : les objectifs fixés en 2005 seront atteints grâce à un dispositif d'engagements et de sanctions, les Ad'Ap. Malgré le recours contestable à l'ordonnance, le Parlement a amélioré le texte. Nous avons relevé de 500 à 1 000 habitants le seuil en deçà duquel les communes ne seront pas obligées d'élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics.

Le Sénat a demandé à ce que le Parlement soit régulièrement informé de l'utilisation faite du produit des sanctions pécuniaires.

Des grands progrès restent à faire pour améliorer l'accueil des personnes handicapées ; d'où les dispositions relatives à la formation. De même, la Cour des comptes avait noté que les jeunes handicapés étaient très peu nombreux à s'engager dans le service civique ; ils le pourront désormais jusqu'à 30 ans.

Le Sénat s'est également soucié de l'accompagnement des parents d'enfants handicapés scolarisés qui pourront se faire assister dans leurs démarches par la MDPH.

Merci à Mme Campion et M. Mouiller pour leur travail en commun et leur humanité. Le groupe Les Républicains soutiendra leur démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Yvon Collin applaudit également)

Mme Michelle Meunier .  - Le débat sur l'accessibilité a redémarré quelques années après la loi de 2005, sur ce constat glaçant : les objectifs étaient très loin d'être atteints et les obstacles à l'accessibilité encore innombrables. Il y a deux ans, Claire-Lise Campion s'est saisie du sujet, avec le Gouvernement. Elle a choisi une démarche constructive, efficace. Car on peut exprimer des regrets, mais il faut bien progresser.

Mme Campion avait formulé 40 propositions, parmi lesquelles l'élaboration d'Ad'Ap, pour se fixer des objectifs et des délais. L'ordonnance de 2014 a repris ce dispositif.

Le texte de la CMP est un texte de consensus, d'équilibre et de progrès, qui préserve les grandes lignes de l'ordonnance et va plus loin sur certains points. Nous avons su nous rassembler sur un texte commun aux deux assemblées et à presque tous les groupes politiques.

Les règles afférentes aux bailleurs sociaux qui construisent ont été revues à la hausse. Les personnes handicapées ne pourront pas non plus se voir imposer un tarif plus élevé dans les transports en commun. D'autres avancées sont perceptibles, sur les transports scolaires ou le service civique.

Dans le meilleur des mondes, tout serait réglé depuis longtemps. Dans le monde réel, il faut être pragmatique et avancer. Il nous appartient de ne pas baisser la garde, de poursuivre le dialogue et le travail de pédagogie.

Comptez, madame la ministre, sur notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du groupe du RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Le projet de loi est définitivement adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, du RDSE, UDI-UC, Les Républicains)

La séance est suspendue à 15 h 30.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.