Financement d'un parti politique par une personne morale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à pénaliser l'acceptation par un parti politique d'un financement par une personne morale.

Discussion générale

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi .  - Il y a eu une malfaçon dans notre travail législatif. Une personne morale ne peut certes plus financer un parti politique, mais les textes ne prévoient plus de sanction pénale... J'avais pourtant signalé ce problème, qu'aucun parlementaire, ni aucun membre du Gouvernement, ni membre de cabinet, n'a vu.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - C'est comme cela qu'arrivent les accidents !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Aucun journaliste non plus n'avait noté cette anomalie. Preuve que les lois sont des oeuvres humaines... Seul l'avocat d'un parti dont on ne parle que trop a vu la faille.

Dès lors deux voies s'ouvraient. Les députés ont adopté un amendement au projet de loi portant Ddadue. Mais le Conseil constitutionnel l'a censuré, y voyant un cavalier législatif. Cette jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les cavaliers législatifs ne pourra que multiplier les projet de loi par le Parlement.

Restait alors l'autre voie : la proposition de loi que j'ai déposée. Nous aurions gagné du temps si nous l'avions examinée en juillet. J'observe que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale a développé une analyse très fine.

Le projet de loi sur la transparence de la vie publique a été adopté au Sénat le 15 juillet 2013, dans l'émoi provoqué par une certaine affaire qui a conduit le pouvoir exécutif à souhaiter que ce texte soit adopté dans les meilleurs délais. La CMP s'est donc réunie dès le lendemain, le 16 juillet. Le texte est revenu en commission à l'Assemblée nationale le 17 juillet puis dans l'hémicycle du palais Bourbon le 22. Le Sénat a statué définitivement le 23 juillet. Procédure plus qu'accélérée, express !

En même temps, le Parlement avait à discuter du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), de la politique pénale, du texte sur les métropoles, du Grand Paris, du cumul entre mandat parlementaire et local, et l'Assemblée nationale s'est aussi penchée sur la protection des sources des journalistes.

Bref, une procédure rapide au milieu d'un agenda bien rempli.

J'ai bien entendu vos propos sur la procédure accélérée, madame la garde des sceaux. Mais le temps de l'exécutif n'est pas toujours celui du législatif. Tous les gouvernements souhaitent faire adopter leurs textes rapidement, au risque de malfaçons législatives. Ce cas illustre la nécessité de la navette parlementaire et d'une double lecture. Il est nécessaire de préserver le temps d'examen, de rédaction de la loi, article par article, amendement par amendement, de peser chaque mot, chaque phrase, virgule après virgule. La loi est notre bien commun, ne l'oublions pas. (Applaudissements)

M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois .  - M. Sueur a rappelé les conditions dans lesquelles la malfaçon législative que sa proposition de loi corrige est intervenue.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nous l'avons bien entendu !

M. Michel Delebarre, rapporteur.  - Voilà qui mériterait une minute de silence du Sénat en hommage à cette clairvoyance remarquable...

Mme Nathalie Goulet.  - Bravo !

M. Michel Delebarre, rapporteur.  - Tous les Sénateurs devraient se lever et applaudir longuement...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je ne suis pas mort !

M. Michel Delebarre, rapporteur.  - Je ne peux que m'associer à votre plaidoyer pour le bicamérisme. La malfaçon est née lors de l'examen de la loi du 11 octobre 2013. Les journalistes ont évoqué une « bourde parlementaire ». Personne ne l'avait vue ! Le financement d'un parti par une personne morale était interdit mais la sanction pénale avait disparu. Il fallait y remédier, même si aucune sanction n'a été prononcée sur ce fondement au cours des dix dernières années. Le quantum de la peine reste symbolique, mais fondamental en ce qu'il touche aux bases mêmes de notre démocratie.

Ainsi, je vous invite à adopter ce texte tel que précisé par l'amendement adopté par la commission. (Applaudissements)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je n'avais pas l'honneur de siéger au banc du Gouvernement lorsque l'amendement portant cette malfaçon a été adopté, mais qu'importe, au nom du Gouvernement, j'assume l'erreur que personne n'a vue en raison d'un calendrier chargé. M. Sueur en a très habilement donné une double explication : il a d'abord généralisé la faute, puis l'a imputée au calendrier parlementaire, tout en prononçant un beau plaidoyer en faveur du bicamérisme.

Oui, le législateur doit être vigilant. L'essentiel est de réparer cette erreur. Les députés ont tenté de le faire via le texte portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, mais le Conseil constitutionnel y a vu un cavalier.

Le législateur avait entendu clarifier et préciser le délit de financement par une personne morale, tout en rendant possible le financement d'un parti politique, sans pénaliser pour autant les cas de financement de plusieurs partis par une même personne. Son intention était extrêmement louable.

Oui, il était pertinent de préciser ainsi le cadre juridique. Depuis le scandale des décorations, du temps du président Jules Grévy, il y a plus d'un siècle, notre République a légiféré pour moraliser notre vie politique. Notre législation est maintenant assez complète, mais vu l'ingéniosité, la créativité, des uns et des autres, pour contourner la loi, je ne puis exclure que nous ayons à légiférer bientôt... (Applaudissements)

M. Michel Delebarre, rapporteur, et Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Esther Benbassa .  - Nul n'avait, en effet, décelé cette malencontreuse malfaçon. Belle leçon d'humilité pour le législateur... Mais une seconde lecture du texte sur la transparence de la vie publique aurait sans doute permis de corriger cette erreur.

C'est M. Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, qui a, le premier, repéré la brèche... Celui qui se proclame volontiers premier parti de France et tend à donner tant de leçons aux autres, connaissait bien l'interdiction de financement d'un parti politique par une personne morale mais trouvait normal de l'enfreindre.

Affaire Bygmalion, affaire libyenne du côté des Républicains, prêts russes à des taux ridiculement bas, et peu remboursés, pour le FN, encore lui, la liste est longue des affaires qui plaident pour une réforme du financement des partis. La plupart d'entre eux sont concernés. Les sanctions prononcées à ce titre sont rares car elles s'inscrivent souvent dans les affaires plus larges, et reposent sur d'autres bases juridiques, l'abus de bien social par exemple.

En 2011, les écologistes proposaient déjà la limitation des dons des particuliers aux partis, la transparence de la réserve parlementaire, la création de déclarations d'intérêts et de patrimoine. Leur proposition de loi a été rejetée par la majorité UMP.

En 2013, M. de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, proposait que le plafonnement de 7 500 euros soit comptabilisé non par parti mais par donateur physique. Nous pourrions encore aller plus loin, en renforçant les pouvoirs de contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne.

Les écologistes sont favorables à la transparence accrue de la vie politique, seule réponse au « tous pourris ». Nous voterons ce texte.

M. François Bonhomme .  - Cette proposition de loi rectifie l'erreur du texte du 11 octobre 2013 qui avait modifié les règles de financement des partis politiques. Auparavant le plafond de 7 500 euros s'appréciait par parti politique. Désormais il vaudrait pour chaque donateur. En conséquence, un parti pouvait de bonne foi ignorer qu'un donateur avait accordé des dons à d'autres partis.

Au terme de la discussion, une malfaçon, disons une bourde, est apparue : le financement d'un parti par une personne morale n'est plus passible d'une sanction pénale.

Un mot à Mme Benbassa : les appels à la vertu et à la morale publique doivent être maniés avec précaution. Souvenez-vous des imprécations de M. Thévenoud, et des révélations ultérieures sur sa propre pratique, toute personnelle, de l'éthique...

Les travaux du Greco, groupe d'États contre la corruption du Conseil de l'Europe, fournissent des pistes intéressantes pour lutter contre la corruption de la vie politique. Ce sujet est important et prompt à nourrir l'imaginaire collectif de notre pays, qui en est friand, mais nous devons le traiter sans précipitation. De telles erreurs sont le fruit de l'inflation législative et de l'accélération mal maîtrisée des procédures. Moins de lois, plus de précaution dans leur élaboration, tel devrait être notre mot d'ordre. (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier .  - Ce texte illustre les méfaits de la procédure accélérée. Nous votons trop de lois dont les conséquences économiques et sociales n'ont pas été bien pesées. Il en sera de même pour la réforme des dotations aux collectivités territoriales. Voyez le recul soudain, après des annonces prématurées, sur la DGF ! Ne confondons pas vitesse et précipitation.

Ironie de l'histoire : c'est la loi sur la transparence de 2013 qui a permis à un parti de grande taille d'échapper à des poursuites...

Les règles de financement des partis politiques sont nécessaires, du moins tant qu'ils existeront, car d'aucuns annoncent leur disparition. J'appartiens et j'en suis fier au plus vieux parti de France ! Mais nous avons déjà survécu à plusieurs tentatives de sédation profonde et continue ! (Sourires) Le RDSE votera ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Bravo !

Mme Nathalie Goulet .  - Tout a été dit. Le groupe UDI-UC votera ce texte, rustine législative bienvenue. Rustinons ! (Sourires) Les affaires Cahuzac et Bygmalion, dont nous n'avons pas fini de payer les conséquences au prix fort, sont la preuve qu'argent et politique ne font vraiment pas bon ménage. Mais le débat de fond mériterait d'être repris. À chaque nouvelle affaire, Marine Le Pen encaisse cash des voix ; les partis républicains ne peuvent s'y résoudre.

La parole publique doit retrouver son crédit, à défaut de quoi les partis non républicains prendront le pas. Il serait bon que nous revoyions nos procédures, nos règlements. De même, plutôt que de travailler par réaction, ex post, je souhaite que nous anticipions, ex ante, dans le cadre d'une réflexion sereine et complète, afin de ne pas donner au citoyen l'illusion que les partis politiques sont au-dessus des lois. L'immunité parlementaire n'est peut-être, d'ailleurs, plus justifiée aujourd'hui. (Applaudissements au centre)

Mme Éliane Assassi .  - Le groupe communiste républicain et citoyen votera évidemment ce texte. Il est urgent de corriger notre législation.

Profitons de l'occasion pour comprendre comment une erreur aussi grossière a pu se produire. La sagacité de M. Sueur est reconnue, comme la qualité de notre administration...

M. Philippe Bas, président de la commission. - Absolument !

Mme Éliane Assassi.  - La responsabilité est ailleurs : la multiplication des procédures accélérées est en cause. Je fus bien seule, lors de la réforme de notre Règlement, à rappeler combien doit primer la qualité de l'écriture de la loi et du débat parlementaire.

Lors de la discussion sur la réforme du Règlement du Sénat, nous avons insisté sur ce qui paraît une évidence : bien faire la loi demande du temps.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nous sommes d'accord.

Mme Éliane Assassi.  - Cette discussion est un cas d'école. La responsabilité de cette grave crise de confiance est à rechercher dans le rôle de chambre d'enregistrement dans lequel le Parlement est trop souvent cantonné.

En dépit de ces observations, qui nous tiennent à coeur, nous voterons ce texte. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Alain Richard .  - La question de la durée d'examen des textes est bien sûr importante, mais je veux introduire une nouvelle pièce au débat. Nous gagnerions à utiliser, en séance, comme en commission, des tableaux comparatifs. Je le redirai tant qu'il faudra...

L'article 4 de notre Constitution, avec la liberté qu'il leur garantit, a longtemps été interprété comme une prévention à l'égard de toute tentative de légiférer sur les partis politiques, bien différemment de l'article 72 relatif aux collectivités locales. De fait chaque parti avait ses règles internes.

La loi du 11 mars 1988 contient des dispositions très détaillées, mais le financement des partis politiques recelait des angles morts. Nous avons bien progressé depuis.

Il est désormais interdit à une personne physique de verser plus de 7 500 euros à plus d'un bénéficiaire. Il reste toutefois des failles, car faute d'une autorité de contrôle nationale réceptionnant les reçus des dons, il est très difficile de repérer un versement à plusieurs partis. De même, les rattachements de parlementaires à un groupe politique modifient l'équilibre financier des partis sans qu'ils aient leur mot à dire car ils modifient la parité. La justice civile se retrouve de surcroît à régir le droit interne de nos partis, au gré des procès qui sont parfois intentés par ceux qui y trouvent un intérêt.

Cet incident législatif doit donc nous inciter à rouvrir le débat de fond. À quelque chose, malheur est bon...Considérons les pratiques en vigueur dans l'Union européenne ; il n'est pas encore trop tard pour nous parler !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Delebarre, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 7

après le mot :

violation

insérer les mots :

du premier alinéa

II.  -  Alinéa 8

après le mot :

violation

insérer les mots :

du troisième alinéa

III.  -  Alinéa 9

après le mot :

violation

insérer les mots :

du sixième alinéa

M. Michel Delebarre, rapporteur.  - Amendement de précision.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Avis favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.

La séance est suspendue à 12 h 50.

présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.