Traité avec le Mali

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali.

Discussion générale

Mme Annick Girardin, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée du développement et de la francophonie .  - Conclu après l'intervention française au Mali, le traité signé à Bamako détermine le cadre de notre coopération comme d'autres traités le font avec d'autres pays africains. La sécurité de l'Afrique et celle de l'Europe sont une seule et même chose ; l'attaque de Bamako une semaine après les attentats du 13 novembre nous le rappelle.

Ce traité est un texte simple, transparent et global, un texte unique, sans ces clauses sur l'intervention de nos armées qui ne correspondent plus à la politique africaine de la France. Pas non plus de clause d'assistance automatique car nous voulons promouvoir la sécurité collective en Afrique. Il est prévu que le statut des Français au Mali et celui des Maliens en France seront identiques.

Le traité est donc tourné vers le soutien au développement. Il est marqué au sceau de la confiance, afin de construire la paix et la stabilité en Afrique.

M. Claude Nougein, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Le traité signé en 2014 à Bamako est important.

En avril 2012, le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), allié à des groupes djihadistes proclame l'indépendance du Nord-Mali. Il est bientôt débordé et vaincu par les groupes djihadistes tandis qu'à Bamako un coup d'État chasse le président Amadou Toumani Touré.

Face à l'avancée des djihadistes vers le sud et à la demande du président malien, la France engage l'opération Serval avec le soutien de huit pays pour stopper l'avancée des groupes djihadistes et stabiliser le pays. Militairement cette opération a été un succès. Je tiens à louer le professionnalisme, l'engagement et le courage de nos soldats, et particulièrement, comme élu de Corrèze, le 126e Régiment d'Infanterie de Brive. (M. Jean-Claude Requier renchérit)

L'opération Barkhane, qui a pris la relève, s'appuie sur le G5 qui réunit les cinq pays frontaliers. Toutefois, elle n'emploie que 3 000 hommes pour contrôler un territoire plus grand que l'Europe. De plus, on peut regretter que la Minusma, force de stabilité de l'ONU, forte de 8 500 hommes, n'apporte pas un concours opérationnel plus important.

Les opérations ne suffisent pas à résoudre la crise sans solution politique. Peu d'avancées ont eu lieu, malheureusement, depuis l'accord de Bamako.

En outre, la pauvreté nourrit le terrorisme. L'aide au développement est essentielle : 3,2 milliards d'euros ont été promis par les bailleurs lors de la Conférence de Paris. Encore faut-il que ces crédits arrivent au bon endroit, au bon moment et dans de bonnes mains.

Cet accord, comme d'autres, ne comprend pas de clause d'assistance militaire secrète et automatique. Il remplace un accord de 1985, devenu obsolète, dont le ton unilatéral était la marque de relations entre la France et l'Afrique désormais révolues.

Ce traité ne remplace pas l'échange de lettres de mars 2013 entre la France et le Mali, qui constitue le fondement juridique de notre opération.

Le traité prévoit la formation des soldats maliens en France et au Mali. Une école de formation fonctionne à Bamako. Cet effort de formation est crucial, dommage que les crédits qui y sont consacrés baissent.

M. Hubert Falco.  - Hélas !

M. Claude Nougein, rapporteur.  - Notre commission s'est prononcée en faveur de la ratification de ce traité, fondement d'une coopération gage de paix et de stabilité. (Applaudissements, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Leila Aïchi .  - Il faut donner un cadre juridique à notre coopération militaire avec le Mali. Toutefois, ce traité ne remplace aucune des stipulations de l'échange de lettres de 2013. Une articulation entre les deux aurait été nécessaire.

L'implication française, même justifiée, n'a pas vocation à être permanente (M. Hubert Falco renchérit). Sans aide au développement et approche de long terme, elle est vouée à l'échec.

Le traité stipule que la justice malienne est compétente pour statuer sur les opérations menées sur son sol, avec quelques garanties de procédure insuffisantes : l'état de la justice de ce pays n'est pas conforme à notre conception des droits de l'homme.

Malgré la fin des clauses d'assistance sécuritaire notre politique hésite encore entre la défense d'intérêts bien compris et la lutte contre le terrorisme. Nous regrettons l'absence de cohérence dont témoigne le fait que les traités avec les pays africains nous soient présentés en ordre dispersé et sans débat d'ensemble. Le groupe écologiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Hubert Falco applaudit également)

M. Jean-Claude Requier .  - L'opération Serval a été un succès. La fragmentation du Mali aurait constitué une menace pour notre pays et la communauté internationale. Les discussions politiques sur place ont repris. Toutes les parties doivent continuer à discuter pour partager le pouvoir et assurer la stabilité du pays.

Les accords d'Alger ont rétabli le dialogue intercommunautaire mais cela ne suffira pas à endiguer le terrorisme. La France doit continuer d'aider le Mali.

Le traité signé en juillet 2014 remplacera celui de 1985. Il sécurise juridiquement notre intervention et s'adapte au combat contre le terrorisme. Surtout, il témoigne que nous ne sommes plus les gendarmes de l'Afrique : nous voulons associer le Mali à sa défense. L'Afrique peut compter sur la solidarité de la France et sur celle, plus modeste, du RDSE. (Rires et applaudissements)

M. Jean-Marie Bockel .  - Le groupe UDI votera ce texte. Avec l'opération Serval, puis l'opération Barkhane, la France a rempli son rôle d'allié du Mali. Sur place, la situation s'est stabilisée, mais une intervention armée ne suffira pas à gagner une paix durable. Il y a encore dix ans, le Mali faisait figure d'exemple.

M. Hubert Falco.  - Cela a bien changé !

M. Jean-Marie Bockel.  - Notre coopération décentralisée fonctionnait très bien. Je peux en témoigner, y ayant été coopérant. Face à un État affaibli, et sur fond de pauvreté, des groupes issus des minorités ont muté en groupes terroristes. Une solution politique est nécessaire ; les accords d'Alger du 20 juin sont un premier pas qui doit être prolongé, or l'État de droit peine à s'installer. La situation au nord ne s'améliore pas assez vite.

Les Maliens détiennent la clef de leur avenir. La France n'a pas vocation à rester durablement au Mali. C'est à l'Afrique d'assurer sa sécurité et nous devons l'aider.

M. Hubert Falco.  - Absolument.

M. Jean-Marie Bockel.  - Ce traité en fixe le cadre. Il appartient aux Maliens de décider de leur avenir commun. (Applaudissements)

M. Michel Billout .  - Le Mali et ses voisins souffrent d'une situation sociale dégradée, qui fait que la zone sahélienne est une proie facile pour les groupes terroristes. Ceux-ci ont encore frappé récemment à Tombouctou et à Bamako, ainsi qu'à Ouagadougou.

Ce traité régularise une situation de fait et actualise le traité de 1985. Le groupe CRC est réservé. Cet accord est uniquement sécuritaire ; il lui manque une approche globale. L'opération Barkhane montre ses limites. Les régions du nord sont toujours instables.

Certes nos militaires perturbent les mouvements des terroristes mais ceux-ci sont toujours là et contournent nos 4 000 hommes. Nos drones ne suffiront pas à assurer la stabilité de ce pays. Il faudrait consacrer davantage de moyens à l'aide publique au développement, laquelle, malheureusement, est scandaleusement insuffisante.

C'est pourquoi nous regrettons l'excessive brièveté de ce débat. Notre groupe a vainement demandé que ce traité soit l'occasion d'un débat global sur la situation en Afrique et la réponse exclusivement militaire au terrorisme. Notre politique de coopération et de défense pose des questions. Aussi, notre position sera d'abstention critique. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jeanny Lorgeoux .  - Il est naturel que les gouvernements de pays amis, soudés par l'histoire, réaffirment périodiquement leur souhait de coopération, alors que la menace extérieure peut, à tout moment, bousculer les frontières, desquamer l'État, et que l'ennemi, du dehors comme au-dedans, peut brutaliser la population et briser les joyaux de la culture et les fondements mêmes de la civilisation africaine, comme nous pûmes le constater avec une rage impuissante lors de la sauvage destruction des mausolées de Tombouctou. (Approbations)

Il ne faut voir nul relent de néocolonialisme, mais la volonté d'assumer une histoire commune, dans ce nouveau partenariat de défense qui associe étroitement les États africains à leur défense : huit accords ont été signés avec le Togo, le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, les Comores, Djibouti. Le traité avec le Mali s'inscrit dans ce cadre. L'accord de 1985 était devenu insuffisant. L'échange de lettres de mars 2013 fonde juridiquement l'opération Serval. Le président malien a souhaité pérenniser ainsi une coopération multiforme.

Le Mali est fracturé, divisé en plusieurs peuples au Nord et au Sud : peuples du groupe Mandé, Peuls, Senoufo, Songhaï, Dogons, Touaregs. Il faut donc créer ici, renforcer là, l'armature de l'État, et notamment au Nord, livré trop souvent à lui-même, ouvert aux vents mauvais du trafic terroriste et aux exactions de sectateurs hallucinés.

Le traité prévoit l'échange de renseignements, des exercices en commun, le statut du personnel, la formation des forces. La réflexion se prolonge chaque année au forum de Dakar où nous échangeons avec nos partenaires africains.

Les socialistes voteront ce texte. Comme je l'écrivais avec Jean-Marie Bockel dans notre rapport, l'Afrique est l'avenir de la France. (Applaudissements)

M. Jacques Legendre .  - Ce texte est à replacer dans un contexte sécuritaire dégradé. Le terrorisme frappe encore : l'attaque de l'hôtel Radisson en témoigne. Ce projet de loi est l'occasion de rappeler l'efficacité de notre action au Mali. Où en serait l'Afrique si le drapeau de Daech ou celui d'Al-Qaïda flottait à Bamako ?

Je regrette que l'article 4 de la loi de programmation militaire de 2013 ne soit pas respecté : chaque année les Opex devaient faire l'objet d'un débat et d'un bilan.

Beaucoup de pays sont menacés par le djihadisme et la concurrence dans l'horreur entre Daech et les autres groupes terroristes.

Ce texte n'est pas un relent du colonialisme ou de la Françafrique. Il prend la place du traité de 1985 mais ne contient aucune clause laissant craindre une ingérence dans les affaires politiques. En Afrique, on s'inquiète souvent de ce que fait la France mais on déplore aussi qu'elle ne soit pas assez présente... Ce traité est semblable à nos autres traités signés avec huit autres pays africains. Les présidents de la République changent, notre politique demeure.

Toutefois, ni ce traité, ni les Opex ne suffiront à stabiliser le pays : sans développement ni croissance, la jeunesse désoeuvrée du Mali rejoindra les terroristes. La crise au Mali trouve sa cause dans l'inégalité entre le Sud et le Nord, qui reste à l'écart du développement économique, au détriment des Touaregs. L'aide publique au développement doit être augmentée. Il faut aussi former l'armée malienne.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements, sauf sur les bancs écologistes et du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Annick Girardin, secrétaire d'État .  - Ce traité marque une adaptation du cadre juridique de notre coopération avec le Mali, dont l'armée doit être formée pour prendre le relais. Vous avez raison, pas de paix sans développement.

Je rappelle que la France est le premier donateur bilatéral au Mali, avec 3,3 milliards. C'est important, quand même ! À l'OCDE, le 23 octobre, le président de la République a dit que la France apporterait 300 millions pour 80 projets dans le Nord. Ce n'est pas scandaleusement bas !

J'entends votre demande d'un débat annuel sur les Opex, même si votre commission des affaires étrangères auditionne chaque année nos chefs d'états-majors.

La lutte contre le terrorisme s'inscrit dans une lutte globale pour le développement, le climat. L'Afrique est une chance pour la France, elle peut aussi être une vraie difficulté. Nous devons l'accompagner.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

M. Alain Gournac .  - Le Mali a besoin de nous. Sans vouloir faire d'ingérence, l'attention du Gouvernement malien devrait être attirée vers le Nord. Malgré les annonces du président malien, que j'ai rencontré, le développement n'y est pas d'actualité. Aucun ministre ne s'y est rendu...

Mme Annick Girardin, secrétaire d'État.  - Et moi ?

M. Alain Gournac.  - Je parlais de ministres maliens ! La route annoncée n'a pas été construite, ni les écoles. Les Touaregs se sont rebellés à cause de la pauvreté. L'équilibre du Mali passe par le développement du Nord. Je parle là sur le mode du conseil à un ami...

L'article unique constituant le projet de loi est adopté.