Information de l'administration et protection des mineurs (CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs.

Discussion générale

Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Je veux remercier l'ensemble de mes collègues présents ce soir - presque exclusivement des femmes... Je vous prie d'excuser l'absence de François Zocchetto. La CMP du 22 mars est parvenue à un accord - ce qui est heureux compte tenu de l'importance du sujet - grâce notamment à l'ouverture d'esprit du rapporteur de l'Assemblée nationale, Erwann Binet.

Le contexte est particulier, après le suicide de l'ex-directeur d'école de Villefontaine, à la maison d'arrêt de Corbas, qui privera les familles d'un procès attendu.

Je ne reviendrai pas sur les événements dramatiques du printemps 2015, qui nous ont conduits à légiférer. Le principe d'une communication d'information à l'administration par l'autorité judiciaire sur une procédure en cours n'allait pas de soi, tant nous tenions, à raison, à la présomption d'innocence.

Ce ne sera possible qu'à un stade avancé de la procédure, sur la base d'indices graves et concordants, et dans le respect du contradictoire. Toute communication dès la garde à vue ou l'audition libre était pour nous à proscrire car trop précoce, sans certitude sur la matérialité des faits et dans le cadre d'une procédure non contradictoire. Elle aurait gravement contrevenu au principe constitutionnel de la présomption d'innocence. Nous nous réjouissons que les députés se soient ralliés à ce point de vue.

La justice restera en mesure de prendre des mesures de sûreté écartant du contact avec les enfants les personnes poursuivies pour délit sexuel sur mineurs.

Le parquet a toujours la possibilité de saisir un juge d'instruction pour réquisitoire introductif, ouvrant la voie à une mise en examen assortie d'un contrôle judiciaire. Il peut aussi saisir le juge des libertés et de la détention pour un placement sous contrôle judiciaire. Le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, adopté hier par le Sénat à une large majorité, contient des dispositions sur la saisine analogue d'un juge par le parquet.

La commission mixte paritaire a validé un apport majeur du Sénat : l'élargissement des possibilités de consultation du casier judiciaire pour l'agrément des assistantes maternelles.

Elle a toutefois supprimé le caractère systématique de la peine complémentaire d'interdiction de travail au contact des mineurs, le Sénat n'ayant pu convaincre les députés sur ce point. Je me demande si le blocage opposé par les socialistes des deux Assemblées n'a pas des motivations militantes... Mais enfin, le compromis était au prix de ce renoncement que je déplore ; nous ne pouvions nous permettre de perdre à nouveau un temps précieux. Je vous invite à adopter ces conclusions.

Je m'explique mal l'amendement déposé par le Gouvernement qui renvoie à un décret simple plutôt qu'à un décret en Conseil d'État pour l'application de l'article premier : le délai de consultation du Conseil d'État n'est pas si long.

Restera, pour rendre ces mesures efficaces, à donner à notre justice les moyens financiers et humains de fonctionner - comme l'appelait de ses voeux récemment le garde des sceaux lui-même. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et UDI-UC)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Comme si le drame d'il y a un an ne suffisait pas, le suicide de l'ex-directeur de l'école de Villefontaine anéantit les espoirs des familles d'obtenir un procès. Elles attendent désormais de nous des réponses à la hauteur des dysfonctionnements constatés. Une enquête a d'ailleurs été diligentée pour faire la lumière sur le suicide et prévenir ces actes en milieu carcéral.

Nos débats ont été riches et longs, ce qui montre que nous avons su dépasser l'émotion et les clivages partisans, pour accomplir ce qui aurait dû être fait il y a bien longtemps.

Je veux remercier le rapporteur Zocchetto pour son engagement ; ce texte est essentiel pour nos institutions. Les cas de pédophilie que nous avons évoqués ne sont pas si isolés, et révèlent un dysfonctionnement systémique qui concerne les liens entre la justice et l'administration. Au cours de nos débats, nous avons exprimé des attentes communes sur la lisibilité du droit et le rôle des conseils départementaux. Les condamnations les plus graves prononcées contre les personnes travaillant avec des enfants seront, grâce à ce texte, enfin plus largement connues de l'administration.

Tout magistrat pourra interdire à un individu mis en examen de travailler en contact avec des mineurs ; et l'existence d'indices graves et concordants de la commission d'un délit sexuel pourra déclencher une telle mise en examen et donc l'information de l'administration de l'Éducation nationale par exemple.

Ce compromis de base favorisera de nouvelles pratiques, pour qu'il soit bien clair et effectif, qu'il n'y a pas de place à l'école pour les prédateurs sexuels.

S'il change les règles pour l'avenir, ce texte n'efface toutefois pas nos errements passés. J'ai pris devant les familles l'engagement de prendre mes responsabilités : j'ai donc lancé la vérification des antécédents judiciaires de tous les agents de mon ministère en poste. L'ampleur d'un tel chantier, inédit, est considérable : à raison de 3 000 vérifications par jour, il prendra une année. L'affaire de Villemoisson-sur-Orge, de 2007, où un condamné n'avait pas été sanctionné par mon ministère, ne pourra ainsi, souhaitons-le, plus se reproduire.

Les textes d'application de ce texte sont déjà prêts : d'où l'amendement du Gouvernement, qui supprime la référence au décret en Conseil d'État - ce dernier y est d'ailleurs pleinement favorable.

Les conclusions de la commission mixte paritaire nous donnent le cadre juridique qui a tant manqué dans le passé. Il nous donne les moyens d'agir pour éviter que des drames ne se reproduisent. Je vous remercie par avance de votre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC)

Mme Françoise Laborde .  - Ce texte autorise et rend, dans certains cas, obligatoire la transmission d'information sur les personnes condamnées ou poursuivies pour infraction à caractère sexuel et travaillant au contact des mineurs.

La peine complémentaire automatique souhaitée par la majorité sénatoriale a été abandonnée, laissant heureusement au juge le choix des sanctions prononcées.

L'essentiel à nos yeux réside dans le respect de la présomption d'innocence, garantie par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Est-elle sauve si la communication d'information peut se faire avant même la condamnation ? Nous regrettons que notre rédaction de l'article premier n'ait pas été retenue : la transmission systématique des condamnations définitives était suffisante et compatible avec la présomption d'innocence. Il faut protéger l'autorité judiciaire des pressions de l'émotion populaire et des médias. L'affaire de Villefontaine semble plaider pour cette mesure ; mais chaque affaire est unique, et il est arrivé qu'un enseignant accusé à tort se suicide... Les failles de notre droit ou de notre administration ne doivent pas nous conduire à menacer la présomption d'innocence. (Mme Éliane Assassi approuve) Les malheurs sont multiples : malheurs des enfants, malheurs des personnes accusées à tort...

La majorité de notre groupe, comme en première lecture, s'abstiendra ; certains d'entre nous voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Françoise Gatel .  - Je veux d'abord exprimer ma compassion aux familles des victimes de l'ex-directeur de l'école de Villefontaine dont le suicide les privera du procès espéré.

Le 26 janvier 2016, nous avons été saisis par le Gouvernement d'un texte semblable à celui que nous avions déposé. Mais il ne peut y avoir sur le sujet de querelles politiciennes de paternité, l'essentiel est l'efficacité de nos procédures. Ce cadre juridique en vigueur ne sécurisant pas suffisamment l'action des parquets, légiférer s'imposait, et je veux saluer le travail des rapporteurs.

L'article premier ne rend plus systématique la peine complémentaire d'interdiction de travail au contact des mineurs, comme le souhaitait le Sénat ; la CMP est aussi revenue sur l'information trop précoce, au stade de la garde à vue ou de l'audition libre, de la personne suspectée d'infraction sexuelle, comme le proposait les députés.

Le texte est ainsi équilibré : nous le voterons. (Applaudissements au centre et sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Éliane Assassi .  - Ce texte porte sur un sujet dont nous avons été saisis trois fois en sept mois. Nous avons pris acte des conclusions de la CMP qui améliore le texte, d'une part sur le respect de la présomption d'innocence, d'autre part sur la liberté d'appréciation du juge en matière de prononcé de peines complémentaires.

La commission des lois du Sénat et la CMP ont limité la transmission d'informations aux stades les plus tardifs de la procédure, mais reste que le parquet peut alerter l'administration de la suspicion portée sur une personne dont la condamnation n'est pas définitive. C'est instituer une nouvelle catégorie, d'une présomption d'innocence proportionnelle à la répercussion médiatique.

Ne transigeons pas sur nos principes fondamentaux, surtout dans la période actuelle ! Depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nul ne saurait être considéré comme coupable avant d'avoir été jugé en ce sens. Nous constatons un dangereux glissement d'un « début d'actes » à « la tentation de faire » et cette pente nous inquiète.

Le véritable problème réside en ceci que nos parquets manquent de moyens pour assurer leurs missions. Les dysfonctionnements techniques et organisationnels ne seront réglés que par une réforme de la coopération de nos services judiciaires et de l'éducation nationale. En attendant, nous continuerons à nous opposer à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe RDSE)

Mme Catherine Tasca .  - La CMP du 22 mars dernier, à laquelle j'ai participé avec Jacques Bigot, est parvenue à un accord sur ce sujet important et douloureux, nous nous en réjouissons tout particulièrement.

Ce projet de loi fait suite à des faits dramatiques qui ont bouleversé le monde de l'éducation. Le suicide de l'ex-directeur d'école est particulièrement tragique en ce qu'il prive les familles du procès auquel elles avaient droit. Ce texte prévient la réitération de tels faits, en favorisant la circulation d'informations, voire la rendant obligatoire. L'enjeu est complexe, qui réside dans l'équilibre entre protection des mineurs, présomption d'innocence et secret de l'enquête et de l'instruction.

Nous avons eu ce débat à trois reprises : sur le DDADUE pénal et la proposition de loi Troendlé en 2015, puis sur le présent texte. Notre groupe a défendu une position constante : d'abord, défavorable à l'information au stade de la garde à vue ou de l'audition libre - qui a prévalu en CMP ; ensuite, favorable à l'individualisation des peines en supprimant le caractère systématique de la peine complémentaire d'interdiction de travailler avec des enfants - qui a également prévalu en CMP. Enfin, en insistant sur le nécessaire secret de l'enquête et de l'instruction.

Une tâche plus lourde nous attend : donner les moyens adéquats à notre justice, priorité partagée par le garde des sceaux. Sachez, madame la ministre, que nous lui apporterons tout notre soutien. Et aujourd'hui, nous voterons ce texte.

Mme Catherine Troendlé .  - Je ne reviendrai pas sur les actes terribles dont nous avons parlé ; vingt autres dossiers d'actes pédo-criminels ont été ouverts depuis le dépôt de ce texte, quelque deux cents enfants seraient concernés. Et je veux dire à mon tour ma compassion pour les familles des victimes de Villefontaine.

Que de temps perdu ! J'avais déposé en décembre 2015 une proposition de loi limitant le maintien au contact des enfants des condamnés pour infraction sexuelle. Le Gouvernement promettait une reprise de ses dispositions dans la loi DDADUE. Était-ce dans l'intention inavouée d'aboutir à une censure pour cause de cavalier ? Je veux remercier les présidents Retailleau et Bas pour l'inscription de mon texte à l'ordre du jour.

Il a fallu faire des choix difficiles en commission mixte paritaire. J'étais attachée à l'automaticité de la peine complémentaire. Afin d'éviter un échec de la CMP, nous avons dû renoncer sur ce point. Pour la même raison, je voterai l'amendement du Gouvernement renvoyant à un décret simple.

Je forme le voeu que ce texte de concertation soit rapidement mis en application dans l'intérêt des plus vulnérables, les enfants. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, UDI-UC et Les Républicains)

Mme la présidente.  - Le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte sur la CMP, il se prononcera sur l'ensemble du texte par un seul vote après l'examen de l'amendement du Gouvernement.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 15 et 44, premières phrases

Supprimer les mots :

en Conseil d'État

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Ce décret simple garantira une application plus directe et diligente.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur.  - Favorable.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont définitivement adoptées, dans la rédaction modifiée par l'amendement n°1.

Prochaine séance le jeudi 7 avril à 14 h 30.

La séance est levée à 22 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus