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Table des matières



Élection d'un président de groupe

Dépôt de document

Engagement de la procédure accélérée

Rapport parlementaire

Débat sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteure

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Élisabeth Doineau

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Mme Maryvonne Blondin

Mme Corinne Bouchoux

M. Jean Louis Masson

Mme Mireille Jouve

Mme Dominique Estrosi Sassone

M. Marc Laménie

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes

Débat sur le rôle et l'action des collectivités territoriales dans la politique du tourisme

Mme Hermeline Malherbe, au nom du groupe RDSE

M. Jean-Jacques Lasserre

M. Christian Favier

M. Daniel Percheron

M. Guillaume Arnell

M. Jean-Claude Lenoir

M. Loïc Hervé

M. Michel Bouvard

M. Jean-François Husson

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

Débat sur la stratégie nationale de l'enseignement supérieur

Mme Dominique Gillot, au nom du groupe socialiste et républicain

M. Jacques Grosperrin

M. Daniel Percheron

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Françoise Laborde

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

M. Jean-Léonce Dupont

M. Daniel Gremillet

Mme Nicole Duranton

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Demande de création d'une mission commune

Questions prioritaires de constitutionnalité (Renvois)

Ordre du jour du mardi 10 mai 2016




SÉANCE

du mercredi 4 mai 2016

93e séance de la session ordinaire 2015-2016

présidence de M. Hervé Marseille, vice-président

Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, M. Jackie Pierre.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Élection d'un président de groupe

M. le président.  - M. le président du Sénat a été informé que M. Jean Desessard a été élu président du groupe écologiste le mardi 3 mai 2016.

Par ailleurs, le groupe écologiste a présenté la candidature de Mme Corinne Bouchoux pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, M. Jean Desessard.

La prochaine Conférence des Présidents fixera la date de la séance au cours de laquelle il sera procédé à cette désignation.

Dépôt de document

M. le président.  - Le projet de loi prorogeant l'application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence a été déposé sur le Bureau du Sénat.

Il a été envoyé à la commission des lois qui s'est réunie ce matin.

Le texte du projet de loi, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, et l'avis du Conseil d'État ont été mis en ligne sur le site internet du Sénat.

Le texte de la commission des lois le sera dans l'après-midi et son rapport vendredi.

Engagement de la procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Paris, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 4 mai 2016.

Rapport parlementaire

M. le président.  - À la suite du débat sur le projet de programme de stabilité du mercredi 27 avril dernier, organisé à sa demande et à celle de la commission des finances, M. le président du Sénat a adressé le compte rendu de nos travaux en séance et le rapport d'information de la commission des finances à M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne chargé de l'Euro et du dialogue social.

La Commission européenne sera ainsi informée des prises de position des différents groupes de notre Haute assemblée.

M. le président du Sénat a informé de cette transmission M. le Premier ministre et M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

Débat sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains.

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteure .  - C'est un honneur d'introduire ce débat - souvent passionné - porté par tous les groupes politiques représentés au sein de la délégation. 70 % des victimes de la traite sont des femmes et des jeunes filles, les victimes de la violence sexuelle sont à 79 % des femmes, celles du travail forcé sont à 83 % des hommes.

La crise migratoire actuelle met en jeu des populations jeunes, pauvres, vulnérables, souvent cachées pour fuir les services administratifs ou policiers - autant de facteurs propices à l'exploitation et à la traite, à tel point que l'association France Terre d'asile a ouvert une structure spécifique à Calais.

Ensuite, pour des groupes comme Daech ou Boko Haram, les femmes sont considérées comme des marchandises qui se mettent en cage, sont violées, s'échangent et se vendent, pour assouvir les faux instincts de soi-disant combattants ou rapporter de l'argent, comme les armes ou les organes.

De septembre à mars, nous avons auditionné une trentaine de personnes, nous nous sommes déplacés, notamment à Calais et nous avons adopté notre rapport le 9 mars, le lendemain de la journée internationale des femmes. Il fait suite à notre rapport sur la prostitution - il y a bien des liens entre les deux sujets. La traite rapporterait 32 milliards d'euros dont 3 milliards en Europe même, en quasi impunité. Il est donc faux de croire que notre continent n'est pas concerné : ce phénomène touche directement l'Europe et la France.

La délégation constate que le cadre juridique de la lutte contre la traite est récent, faisant suite au protocole de Palerme en 2000 et à la Convention du Conseil de l'Europe, dite de Varsovie, de 2005 ; il est incomplet, et n'intègre pas les mariages forcés. Outil efficace, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) créée en 2013, devrait être directement rattachée au Premier ministre pour impliquer davantage les ministères de l'intérieur et de la justice, au-delà de celui des affaires sociales, et être dotée d'un budget propre.

Nous arrivons au terme du plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016, mais les moyens sont insuffisamment mobilisés, preuve du manque de coopération. Enfin, notre rapport souligne le rôle déterminant de l'action des associations.

Notre délégation constate également un recours trop rare à la qualification de traite d'êtres humains par les magistrats, l'insuffisante formation des professionnels, l'absence d'outils adaptés à la situation des mineur(e)s, la sensibilisation trop faible du grand public, l'insuffisance des données statistiques, ou encore les différences de prise en charge des victimes selon les territoires.

Notre délégation formule, pour y remédier, vingt-et-une recommandations, dont certaines sont déjà adoptées -  par exemple l'adoption en urgence de la loi contre le système prostitutionnel et celle de la loi autorisant la ratification du protocole sur le travail forcé.

Pour améliorer la gouvernance, nous recommandons, je le répète, de rattacher la Miprof au Premier ministre, d'étendre ses missions aux mariages forcés, de mieux utiliser l'expertise du secteur associatif, de sanctuariser les crédits destinés aux associations, de mobiliser davantage la diplomatie - contre, en particulier, la tendance relativiste qui méconnait l'égalité entre les hommes et les femmes - la mobilisation de toute la communauté internationale pour dénoncer les pratiques de groupes comme Daech ; enfin, nous proposons de renforcer la formation des acteurs et la sensibilisation de l'opinion : magistrats, policiers, services sociaux doivent être en capacité de mieux repérer la situation de traite, une campagne nationale d'opinion serait bienvenue - car la traite est un phénomène européen, présent sur notre territoire, un véritable déni des droits humains. (Applaudissements)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Mardi 10 mai, nous commémorerons les mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition, mais l'esclavage et la traite existent encore et nous ne saurions nous contenter de discours pour y faire face.

Indubitablement, le trafic et la traite sont distincts, mais nous l'avons constaté à Calais, la frontière est poreuse ; l'argent de la traite est important pour Daech et le fait que des terroristes du 13 novembre aient pu entrer en Europe cachés dans le flux des réfugiés apporte une confusion au détriment des migrants.

Si le droit international a fortement progressé sur ce sujet, la coopération peine à suivre dans les faits, comme je l'ai constaté il y a deux ans déjà au sommet économique d'Istanbul ; certains pays comme la Russie et la République tchèque n'ont pas signé la convention du conseil de l'Europe et la Turquie ne l'a pas ratifiée.

La France elle-même a pris trois ans pour le faire. L'inclusion des mariages forcés est indispensable. La coopération internationale passe par une meilleure coopération entre services de police et de renseignement et par plus de crédits spécifiques parmi ceux qui sont dédiés à l'aide publique au développement. Or ceux-ci s'effritent au sein de notre budget ; il en va différemment en Grande-Bretagne. C'est tout à fait nécessaire, la pauvreté et l'inégalité entre les sexes favorisent la traite et celle-ci.

La traite nie nos valeurs et nos droits fondamentaux, nous devons, plus que jamais, lutter pour leur sauvegarde et leur rétablissement. Il en va de l'honneur de notre pays, de ses valeurs et de ses traditions. (Applaudissements)

Mme Élisabeth Doineau .  - La traite des êtres humains constitue une véritable négation des droits humains. Bien qu'elle nous paraisse d'un autre siècle, elle est une réalité, invisible parce que nous ne pouvons ou plutôt ne savons pas la voir, en dépit du développement des nouvelles technologies.

La traite des êtres humains est une continuité des violences diverses faites aux femmes, les mineures représentant le quart des victimes, les enfants demandant un accompagnement adapté.

« Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous », disait Montesquieu. Voilà ce qui doit nous mobiliser, pour identifier mieux la traite, former les professionnels, former le public.

Les outils statistiques font défaut : rendons visibles les infractions anonymes souvent réduites au proxénétisme ; les statistiques, cependant, montrent une progression des faits de traite. L'Italie s'est dotée d'un numéro vert, nous pourrions nous en inspirer : il pourrait être commun aux vingt-huit, et serait ainsi le signe d'une politique menée à l'échelle européenne.

Les professionnels doivent être mieux formés. Les signalements proviennent pour un tiers des travailleurs sociaux, un quart des particuliers mais seulement 5 % des policiers : il faut les sensibiliser mieux.

Les moyens adaptés aux mineurs, ensuite, manquent cruellement. Une expérimentation, à Paris, donne des signes encourageants. Pourquoi pas un MOOC (Massive Open Online Course) sur la traite sur le site de France Université numérique, à l'usage des professionnels, mais aussi du grand public ?

Un accompagnement soutenu, primordial, par un personnel qualifié et des lieux adaptés ; créons une plateforme interrégionale, pour stimuler les professionnels.

L'arrivée massive des migrants nourrit les flux de la traite : 10 000 mineurs parmi les migrants arrivés en Europe auraient disparu en deux ans, dont nombre d'entre eux pourraient être victimes d'abus et de la traite. Réussir contre la traite, c'est possible : j'espère, oui, que l'espoir est permis ! (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Je souhaite vous exhorter, madame la ministre, à ce que la France place la bataille contre la traite au coeur de son action nationale et internationale.

Les associations sont des partenaires indispensables, mais parfois esseulées, sinon abandonnées des pouvoirs publics, en particulier pour accompagner les victimes, leur offrant écoute, aide et orientation, là où un accueil purement institutionnel ne suffirait pas. Elles contribuent aussi à la formation des professionnels. Pour autant, les associations ne sont pas toujours bien associées à la politique publique de lutte contre la traite : la délégation recommande d'y remédier.

Les associations manquent de moyens financiers, à quoi s'ajoute la faible visibilité des subventions qui sont le plus souvent dérisoires. Nous sommes à quelques jours de la journée de commémoration du 10 mai. Or le président du comité contre l'esclavage moderne nous a affirmé que l'existence même du comité était menacée chaque année ; c'est pourquoi la délégation prône la sanctuarisation du soutien aux associations - soit à peine 20 % des 4 millions d'euros annuels consacrés à la traite par le budget de l'Etat.

Un exemple inquiétant : le Gouvernement a confié la prise en charge des migrants à des associations, France Terre d'Asile, Médecins du Monde, Terre d'Errance, Médecins sans frontières, dont j'ai constaté la qualité du travail à Calais.

Ces ONG ont été confrontées aux problématiques de la santé sexuelle et des violences faites aux femmes en transit, qui leur ont fait prendre conscience de la nécessité de mettre en place une approche de « genre » pour penser l'accompagnement de ces personnes et permettre de réduire les risques de violences.

Le planning familial du Pas-de-Calais organise une formation « Genre et migration », mais l'ARS sollicitée en vain, n'a pas prêté le concours financier de l'État : bien qu'un financement ait pu être trouvé grâce au fonds méditerranéen pour les femmes, c'est un dysfonctionnement tout à fait déplorable. J'espère, madame la ministre, que vous porterez nos recommandations dans le prochain budget ! (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite)

Mme Maryvonne Blondin .  - La violence sexuelle touche 3 milliards d'êtres humains, dont le quart d'enfants et, s'agissant de la traite, les premières victimes sont les femmes.

En mars 2014, je constatais les efforts réalisés depuis dix ans contre la traite, mais le chemin reste encore long pour renforcer la coopération judiciaire et policière. La convention du Conseil de l'Europe - j'ai l'honneur de représenter le Sénat à l'assemblée parlementaire de cette institution - dite de Varsovie de 2005 puis celle d'Istanbul, de 2011, forment des outils importants, qu'il faut ratifier : or seulement 21 États, dont 12 dans l'Union européenne, sont à jour, c'est insuffisant.

Comme rapporteur pour avis du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit de l'Union européenne, j'ai recommandé plusieurs mesures pour unifier les normes européennes. Je me félicite d'avoir été entendue - en particulier pour la qualification de la traite, pour l'abus d'autorité qui est devenu constitutif de l'infraction.

Notre Office central pour la répression de la traite des êtres humains est parmi les outils les plus performants d'Europe. Il faut aller plus loin.

79 % des personnes prostituées faisant l'objet de traite, les sujets sont étroitement liés et je me félicite que nous ayons pénalisé le client, le premier client vient d'être sanctionné le week-end dernier et, dans mon département, nous avons démantelé un réseau chinois. (On s'en félicite sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) La pénalisation des clients tarira la demande et les mesures d'accompagnement, avec un fonds dédié de 4,8 millions d'euros, qui devrait être abondé par les biens confisqués aux proxénètes et les amendes infligées aux clients : ces mesures utiles seront efficaces si la police a les moyens de les appliquer, le Gouvernement s'y est engagé.

Les proxénètes et les trafiquants profitent de la détresse des migrants, nous l'avons constaté notamment à Calais, où France Terre d'Asile a mis en place une structure ad hoc.

La délégation recommande la mise en place de 50 postes de médiateurs cultuels prévus par le plan national. De même, le questionnaire de l'Ofii doit intégrer ce type de vulnérabilité.

Le combat est international, le recueil de données fiable et les lois comme les règlements sont les meilleurs outils contre cette insupportable marchandisation du corps humain.

Nous fêterons mardi prochain le 10 mai la journée des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition dans le jardin du Luxembourg : je forme le voeu que le XXIe siècle soit celui de l'abolition de toutes les formes d'esclavage. (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux .  - Comme l'a dit la baronne Élisabeth Butle-Sloss, il faut s'être attaqué à la question de la pédophilie pour être entendu sur la traite. Si nous ne faisons pas le travail sur la pédophilie, nous ne le ferons pas sur la traite - car il s'agit de la même chose : des personnes en situation de vulnérabilité.

La formation des acteurs est indispensable : celle des policiers, des magistrats, des travailleurs sociaux mais aussi associatifs. La formation continue, d'abord, car les mécanismes de la traite sont changeants, complexes parce que liés à la géopolitique. Ensuite la formation continue afin que les acteurs puissent échanger sur leur travail et connaître les évolutions législatives et juridiques ainsi que celles des recours abusifs. C'est d'autant plus important que l'afflux des migrants entraîne le risque d'une traite à grande échelle sur fond de montée des xénophobes.

Mais la formation des acteurs ne suffit pas, il faut également mieux informer le grand public, en particulier à l'école car les jeunes sont plus susceptibles que nous de croiser des personnes en situation de grande vulnérabilité.

Enfin, n'oublions pas que la traite existe à moins d'un kilomètre du Sénat. Prostitution, pédophilie et traite font synthèse. Sans politique globale, nous ne nous en sortirons pas. Nous comptons sur vous, madame la ministre ! (Applaudissements)

M. Jean Louis Masson .  - Le problème de la traite des êtres humains est très important, il se pose en Arabie Saoudite ou dans d'autres pays ; mais en France, d'autres problèmes sont infiniment plus importants. (Murmures indignés) Une après-midi sur ce sujet... L'affluence des sénateurs présents montre combien c'est important... Les 3 millions de chômeurs, l'immigration à Mayotte, les actes terroristes musulmans.... Voilà qui méritait peut-être une meilleure attention... (Mouvements divers à gauche et au centre) Mesdames, vous avez raison d'être contentes de vous !

Mme Chantal Jouanno.  - Il y a aussi des hommes dans l'hémicycle !

M. Roland Courteau.  - C'est scandaleux !

M. Jean Louis Masson.  - Mesdames qui vociférez, sachez qu'il y a des gens qui, avant que vous fussiez sénatrices, se sont battus pour l'égalité. (Les sénateurs des groupes écologiste, socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen et M. Alain Bertrand se lèvent et quittent l'hémicycle)

Je pense que le sujet du jour n'est pas la priorité de nos concitoyens. La délégation pourrait faire oeuvre plus utile, traiter par exemple de l'égalité salariale ou du temps partiel imposé.... (Mme Chantal Jouanno s'indigne) J'en ai fini, les personnes ayant quitté l'hémicycle peuvent y revenir...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Cette intervention était indigne.

Mme Chantal Jouanno.  - Et M. Masson se prétend féministe...

Mme Mireille Jouve .  - (Les sénatrices et sénateurs qui avaient quitté l'hémicycle rejoignent leurs bancs) Comment trouver dans notre droit les moyens de lutter contre la traite des êtres humains, récemment étendue à la réduction en esclavage ou servitude ? La définition de la traite telle que donnée à l'article 225-4-1 du code pénal est incomplète en ce qu'elle ne prend pas en compte les mariages forcés.

Une carte de séjour temporaire est délivrée à l'étranger victime qui dépose plainte contre les personnes qu'il accuse de traite et, en cas de condamnation définitive de celles-ci, une carte de résident est accordée de plein droit. Dans les faits, les victimes sont insuffisamment informées de leurs droits, en dépit de la circulaire de mai 2015, et les pratiques des préfectures encore hétérogènes. Nous recommandons leur harmonisation.

La Miprof manque de moyens spécifiques ; nous recommandons son rattachement aux services du Premier ministre. Elle a défini, pour le plan d'action national 2014-2016, et pour la première fois, les fondements d'une politique transversale et intégrée autour de trois axes : identifier les victimes pour les protéger, poursuivre et démanteler les réseaux, faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière. Or le plan national n'est que partiellement mis en oeuvre. Nous demandons que ses moyens budgétaires et humains soient garantis.

Les efforts réels produiront, nous l'espérons, des résultats tangibles à l'instar des quatre plans interministériels relatifs aux violences faites aux femmes. Victor Hugo le disait, « Un seul esclave sur la terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes. (Applaudissements)

M. Guillaume Arnell.  - Bravo !

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Le sujet a pris de l'ampleur ces dernières années malgré l'actualisation régulière de notre arsenal législatif. Les bouleversements géopolitiques consolident les réseaux mafieux. Mais l'esclavage moderne qui n'est pas nouveau. En 2003 déjà, le Sénat avait introduit dans le code pénal la notion de traite des êtres humains.

À Nice, en janvier dernier, j'ai accueilli les deux rapporteures qui ont pu évaluer les réponses pragmatiques que peut apporter une collectivité territoriale quand tous les acteurs se mobilisent. La visite d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, les réunions de travail ont permis de mettre en lumière le dispositif de coordination que nous avions mis en place. Une commission départementale de lutte contre les violences est chargée de dresser un état des lieux, des groupes de travail sont à l'oeuvre, l'assemblée plénière, sous l'autorité du préfet, propose un accompagnement social et juridique aux victimes. Les victimes sont recensées principalement grâce à l'association reconnue d'utilité publique ALC. Les personnes sont mises à l'abri, leur est offerte une solution d'hébergement et un accompagnement dans les procédures judiciaires. Je salue cette association qui a reçu le prix annuel de prévention de la délinquance en 2014. Sa première mission depuis sa création à Nice en 1998 a été l'éducation et la scolarisation, de protéger les mineures des dangers de la prostitution.

Toutefois, il n'y aurait pas de réponse locale sans mobilisation citoyenne. Depuis la signature en 2012 d'un partenariat renforcé entre la ville de Nice et l'Association A.L.C., les actions de prévention de la prostitution se sont intensifiées, de même que la politique sociale et la coopération avec les pays d'origine des organisations mafieuses. Mais la vigilance ne suffit pas lorsque 90 % du public détecté est étranger. La prostitution contemporaine est largement subie et les violences, la peur poussent à l'isolement ; les chances de sortie sans aide sont limitées. Il faut donc agir vite.

Nous avons optimisé le dispositif d'admission au séjour des ressortissants victimes de la traite ou du proxénétisme en fluidifiant la délivrance de cartes de séjour temporaires et renouvelables. Le temps de la procédure pénale est déterminant pour démanteler les réseaux.

Dans les Alpes-Maritimes, nous n'avons pas attendu la loi de lutte contre le système prostitutionnel pour agir. Je me réjouis que la délégation cite le dispositif de coordination de Nice en exemple et recommande sa généralisation à l'ensemble du territoire. (Applaudissements)

M. Marc Laménie .  - Merci à nos collègues de la délégation et à nos rapporteures pour leur travail immense. La synthèse de leur rapport a même été traduite en anglais...

Les femmes et les mineures sont les premières victimes de ce qu'on appelait autrefois la traite des blanches. La traite des êtres humains peut prendre la forme de la prostitution, du travail forcé ou du trafic d'organes - nous apprenions il y a quelques jours l'existence d'une usine à bébés en Inde... Mais il n'est pas besoin d'aller si loin : en 2010 au Kosovo et en Moldavie, pareils trafics avaient été démantelés. Les mafias qui sévissent en Albanie agissent aussi au Kosovo et en Hongrie. La traite rapporte des milliards de dollars.

Les passeurs s'organisent de mieux en mieux ; les trafics s'accentuent lorsque les États sont faibles : je pense aux jeunes filles enlevées par Boko Haram ou aux Yezidies enlevées par Daech. Nous devons nous élever contre ces barbaries. C'est un combat de longue haleine mais il faut le mener. La Miprof, créée en 2013, agit. Certes la tâche reste immense, mais ne baissons pas les bras. Nous devons toujours rechercher l'égalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements)

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes .  - Merci, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, de me convier à ce débat. Je salue l'esprit de consensus qui a présidé au rapport de la délégation.

Le sénateur Masson a jugé bon de nous quitter après avoir consacré ses trois minutes de temps de parole à jeter des boules puantes... Il m'a fait penser à ces enfants qui, ne sachant pas comment attirer l'attention, égrènent tous les gros mots qu'ils connaissent en un temps record. Nous, parents expérimentés, savons comment traiter ces provocations puériles... (Rires et applaudissements)

Nous devons lutter contre cette barbarie, ô combien moderne, qu'est la traite. Vous avez évoqué les femmes Yezidies, vendues comme esclaves sexuelles ou comme esclaves tout court, les assassins de l'État islamique coupables d'un véritable féminicide et les jeunes filles enlevées par Boko Haram. Dédions-leur ce débat (Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve)

La France est de plus en plus exposée à l'esclavagisme en tant que pays de travail ou de destination. Ce n'est pas un hasard si c'est votre délégation aux droits des femmes qui a donné de la visibilité à ce sujet, après celui de la prostitution. Quelques 90 % des prostituées sont d'origine étrangère et victimes de réseaux.

En 2014, le Gouvernement a adopté un plan triennal qui a commencé à porter ses fruits. Mais nous nous heurtons aujourd'hui aux bouleversements de la crise des migrants.

Les femmes et les enfants qui quittent leur pays sont particulièrement exposés à la traite et à l'exploitation. Nous devons donc anticiper l'extension des réseaux et mettre la traite des êtres humains au centre de notre politique migratoire.

Pour la première fois en la matière, le Gouvernement, avec un volontarisme inédit, a une politique interministérielle, menée autour de trois axes, le renforcement de l'arsenal législatif, la création de la Miprof, le plan national.

La loi du 5 août 2013 a rendu notre droit pénal conforme au droit international en étendant la traite des êtres humains à la réduction en esclavage ou en servilité et aux trafics d'organe. Vous proposez de l'étendre aux mariages forcés. Cela n'est pas le cas dans le droit international. Mais mon combat contre cette pratique est le même que celui contre la traite - dans ces cas l'exploitation de l'épouse ne fait pas de doute.

Depuis la loi de 2013, les victimes de la traite et de la prostitution ont droit à une carte de séjour temporaire et renouvelable tout au long de la procédure - elles sont exonérées des taxes et droit de timbre. La loi de lutte contre le système prostitutionnel, inédite, a complété le dispositif : la sanction pénale pour achat de services sexuels, entraînera, je l'espère, une prise de conscience salutaire des clients complices de la mise en esclavage. En cela, elle est une mesure de lutte contre la traite.

La loi du 30 mars 2016 autorise la ratification du protocole de l'OIT de 1930 contre le travail forcé.

L'accompagnement des victimes est au coeur de notre politique, pour leur rendre dignité et humanité. Dans le cadre du plan national, des référents au sein de chaque préfecture ont été nommés et la formation des professionnels renforcée ; le dispositif Accueil sécurisant est largement promu. Il s'agit aussi d'agir pour que les victimes, leur situation administrative stabilisée, aient accès à l'emploi, au logement et à l'éducation.

Le parcours d'insertion sociale est le même que pour d'autres victimes d'exploitation. Une expérimentation sur le modèle de Nice est en cours à Paris pour les victimes qui coopèrent avec les services ; si elle porte des fruits, nous généraliserons le dispositif comme vous le recommandez.

La circulaire de politique pénale de janvier 2015 donne des orientations claires en matière de répression. La compétence des inspecteurs du travail a été élargie. L'accent est mis sur l'entraide pénale ; 17 postes diplomatiques particulièrement concernés ont été identifiés. Le nombre d'infractions pour traite a plus que doublé depuis 2012, et les condamnations ont été multipliées par quatre depuis 2014.

La Miprof garantit la cohérence de la politique menée. Si elle est interministérielle par essence, je ne crois pas que cela justifie son rattachement au Premier ministre. La traite est une des expressions de la domination masculine : ignorer cette dimension, c'est passer à côté du phénomène. C'est pourquoi mieux vaut que la Miprof me reste rattachée, étant entendu qu'elle associe le plus grand nombre d'actions. Sa démarche interdisciplinaire est soutenue par un effort financier important qui se poursuivra avec la mise en oeuvre de l'article 7 de la loi de 2016, qui dispose que le produit des amendes pour achat d'acte sexuel et des ventes de biens confisqués aux proxénètes et auteurs de la traite y est consacré.

Les inspecteurs du travail bénéficieront d'une formation, comme les magistrats et les membres des forces de sécurité. Une campagne de communication sera lancée le 18 octobre prochain. La Miprof travaille à une cartographie des associations accompagnant les victimes.

Nous nous rejoignons en grande partie. Je n'en doutais pas mais je m'en félicite. Je tirerai en particulier des enseignements de ce rapport sur les enjeux de la crise migratoire. Le nombre de mineurs en danger a explosé dans la lande de Calais, malgré notre coopération avec le Conseil départemental et des associations comme France Terre d'Asile. Je compte ouvrir un centre agréé ASE dans la région dans un futur proche pour traiter cette question.

Pour répondre à Mme Bouchoux sur la pédophilie, je demande que les institutions confrontées en leur sein à la pédophilie fassent preuve du même courage que celui dont font preuve leurs victimes.

Le Gouvernement est déterminé à lutter contre la pédophilie et la traite. Nous sommes passés de la fatalité à la responsabilité. Le chemin est encore long avant que le crime soit marginalisé. Mais nous avançons. Je vous remercie de participer à ce combat. (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 15.

Débat sur le rôle et l'action des collectivités territoriales dans la politique du tourisme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le rôle des collectivités territoriales dans la politique du tourisme.

Mme Hermeline Malherbe, au nom du groupe RDSE .  - Le groupe RDSE a souhaité dresser un état des lieux de notre politique du tourisme, une des économies les plus porteuses d'emploi, quelques mois après la loi NOTRe et l'installation des nouveaux exécutifs départementaux et régionaux.

Si les voyages d'agrément existent depuis l'Antiquité, le mot tourisme apparaît en 1803 ; il demeure l'apanage des classes aisées jusqu'à l'instauration des congés payés - qui fêtent cette année leurs 80 ans. Avec deux, puis trois, puis quatre semaines de congés payés en 1936, 1956 et 1969, le tourisme de masse se développe.

Ce secteur représente actuellement 160 milliards de chiffre d'affaires, soit 7,4 % du PIB - à titre de comparaison, l'industrie automobile représente 100 milliards d'euros. Mais il représente aussi 2 millions d'emplois directs et indirects et 13 milliards d'investissements, avec 85 millions de personnes accueillies en 2015 et un objectif de 100 millions en 2020. De nombreux événements culturels et sportifs y contribuent.

Certains acteurs se sont adaptés avec succès, comme les campings d'Argelès ou les chambres d'hôtes. Cela est moins vrai pour l'hôtellerie traditionnelle qui subit de plein fouet, outre le développement des normes, la concurrence de l'économie dite collaborative.

La qualité d'accueil, l'investissement, la visibilité sont au coeur de la politique. Pour prendre l'exemple de mes Pyrénées-Orientales (sourires), les parcs naturels, le Canigou, montagne sacrée des Catalans, le patrimoine historique des rois de Majorque y attirent 8 millions de touristes par an. Et je n'oublie pas, après les propos de M. Masson, que les Pyrénées furent aussi le chemin de la liberté. Ce patrimoine nous devons sans cesse le valoriser. C'est ce que nous faisons avec la mémoire du camp Joffre à Argelès.

Lors du dernier débat sur le sujet en 2013, un constat mitigé avait été fait de la loi de 2009. Quels moyens l'État entend-il déployer sur le sujet ? Comment les collectivités territoriales s'emparent-elles du sujet ?

La politique de Laurent Fabius puis de Jean-Marc Ayrault avec Atout France a donné des résultats, avec une augmentation du nombre de visiteurs de plus de 10 % depuis 2010, notamment de pays lointains. Tous les niveaux des collectivités territoriales et l'État concourent à la politique du tourisme : c'est la compétence partagée par excellence. Mais avec le transfert aux intercommunalités, quid des stations balnéaires, des stations de ski rattachées à une commune ? Quid du classement des stations ? Comment accompagner les maires ? Quels sont les modèles à suivre ?

Dans les Pyrénées-Orientales, plusieurs offices de tourisme avaient devancé la loi : celui des Aspres, Conflent, Canigou, Fenouillèdes. Je fais confiance aux élus pour coopérer. La collectivité départementale, à taille humaine, garante des solidarités territoriales, accompagne les communes grâce aux ADT. Dans un environnement concurrentiel, c'est un atout pour faire face à l'allongement des saisons. Ne manquons pas le train de la compétitivité dans un secteur dont les emplois ne sont pas délocalisables.

Les élus locaux, les professionnels du tourisme sont prêts à relever les défis si l'État est au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et socialiste et républicain)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - La notion de destination est enfin mise en évidence. Jusqu'ici les images institutionnelles ne correspondaient pas à l'attente du client. Il faut être offensif face à une clientèle asiatique, américaine, mais aussi africaine, qui recherche des produits que la France peut offrir. Notre pays est sans doute le plus riche au monde en destinations de grande renommée.

Les destinations identifiées doivent avoir un rôle prescripteur au sein de cette compétence partagée qu'est le tourisme. Madame le ministre, je vous demande de créer une commission spéciale « Tourisme » dans les conférences territoriales de l'action publique (CTAP). Les politiques d'investissement, les capacités d'accueil de la destination « France » doivent se moderniser. Nous prenons du retard alors que la concurrence de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal se révèle redoutable.

Nous nous interrogeons sur la loi NOTRe, les crédits au tourisme doivent être distingués des aides aux entreprises qui relèvent des régions, afin que les départements puissent investir.

De nouveaux usages émergent sur internet, des plateformes qui échappent à l'impôt. Il faut normaliser les services touristique en ligne, imposer plus de transparence comme nous venons de le faire avec la loi sur la République numérique, mais aussi mieux assurer la desserte numérique des territoires. Les clients demandent internet.

Enfin, que la taxe de séjour demeure perçue et utilisée par les collectivités territoriales et leurs établissements. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et RDSE)

M. Christian Favier .  - La compétence tourisme, au terme de la loi NOTRe, est demeurée partagée. Nous nous en félicitons ; ainsi, chaque niveau de collectivité territoriale est membre d'une chaîne de développement du tourisme. Si le secteur est dominé par le privé, il a, en effet, besoin de politiques publiques : promotion des destinations, aménagement, politiques sociales et culturelles... Il s'agit d'abord de maintenir et d'accroître le rayonnement des sites existants, en organisant par exemple des moments festifs : le rayonnement n'est pas un phénomène immuable. Il faut aussi faire émerger de nouvelles activités, du haut de gamme au tourisme social. Si la clientèle asiatique et moyen-orientale a un fort pouvoir d'achat, n'oublions pas que 90 % de notre clientèle est française et européenne. Eux veulent sortir des sentiers battus, être co-producteurs de leur voyage. Des start up renouvellent l'offre en fonction de ces attentes, soutenons-les.

Ensuite, l'hospitalité. Pour que les habitants deviennent les ambassadeurs de leur territoire, les collectivités territoriales doivent faire d'eux les premiers touristes, les aider à s'approprier leur environnement. J'insiste aussi sur la nécessité de réduire les inégalités sociales : mon département du Val-de-Marne a ainsi créé deux villages de vacances dans les Alpes afin que chacun puisse partir en vacances. N'oublions pas que la moitié des Français ne partent pas en vacances, c'est 10 % de plus qu'il y a dix ans, et 3 millions des 5-19 ans sont dans ce cas.

Le tourisme ne doit pas répondre à la seule logique marchande. On voyage pour partager, découvrir, s'émerveiller. Et c'est d'autant plus important à une époque où le repli sur soi prospère ! (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et RDSE)

M. Daniel Percheron .  - Cahin-caha, la loi NOTRe a été votée. Elle a musardé... Elle n'a pas donné lieu à un modèle de concertation. Les départements ont été acquittés, après qu'on leur a fait un procès en archaïsme (Applaudissements à droite) ; les régions ont été bousculées, mais enfin... Enfin, « l'intercommunalité sans phrases », comme disait Sieyès, célébrée et magnifiée.

Depuis Jean-Pierre Chevènement au moins, l'intercommunalité n'a pas signifié la mort des communes, mais la renaissance des territoires : c'est qu'elle signifie davantage d'intelligence territoriale collective, voilà son sel, sa réalité.

Dans la mondialisation, le tourisme est l'un des moyens pour notre pays de se définir. Alors, vive la compétence partagée et vive l'intercommunalité ! Ne rêvons pas du modèle allemand, osons plutôt le dire : l'intercommunalité fabrique le consensus.

L'enjeu économique est considérable. Monsieur le ministre, connaissez-vous le théorème de Piketty. Je ne vous parle pas de son pavé à la Marx (sourires à droite), mais de sa comparaison des populations actives française et américaine, il y a dix ans : l'économiste démontrait qu'elles ne différaient pour l'essentiel que dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration et de la distribution. Pensons-y, si nous voulons revenir au plein emploi ! Les charges sociales, il est vrai, sont bien plus faibles outre-Atlantique...

Talleyrand avait apporté du fromage au Congrès de Vienne, Laurent Fabius a intégré le tourisme dans la diplomatie française, tant mieux.

Enfin, et je parle sous l'oeil du sénateur de la Lozère, la ruralité. La dérégulation de la PAC menace l'exploitation familiale à la française, le Général de Gaulle, Edgar Pisani et Michel Rocard devraient nous inspirer, qui avaient associé des prix garantis pour des quantités illimitées, une protection commerciale et des subventions aux exportations. Car il n'est pas de tourisme sans agriculture dans le pays le plus harmonieux et le plus équilibré au monde. Que les associations d'élus se mobilisent ! C'est - osons le dire - par la cogestion entre l'État et les syndicats agricoles que la France est devenue la première puissance agricole. Le tourisme, lui aussi, doit être cogéré ou du moins co-animé au niveau local.

Enfin, l'économie résidentielle si bien étudiée par Laurent Davezies. L'Insee nous dit que 3 000 entreprises concentrées dans les métropoles produisent l'essentiel des richesses en France, attention à la tentation de la métropolisation !

M. le président.  - Concluez.

M. Daniel Percheron.  - On a fait venir le plus grand musée du monde à Lens, dans l'arrondissement de France qui produit le moins de richesse marchande. Preuve que le mariage de l'exception culturelle française et du tourisme, grâce l'intelligence territoriale, est une voie de développement pour notre pays ! (Applaudissements à gauche)

M. Guillaume Arnell .  - Dans un rapport de 2014, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) affirmait que notre pays, grâce à sa diversité, avait attiré 84,7 millions de touristes l'année précédente, représentant 7,3 % du PIB, plus de 230 000 entreprises et plus d'un million d'emplois.

Dans mon département de Saint-Martin, le tourisme recule alors qu'il progresse dans les îles alentour. Évolution symptomatique, notre déficit d'infrastructures portuaires et aéroportuaires nous handicape. À cela s'ajoute un coût plus important du travail, une réglementation complexe pour les investisseurs et un taux de change euro-dollar défavorable.

Il est du devoir des pouvoirs publics de créer un environnement favorable au développement touristique. Depuis notre accession au statut de collectivité d'outre-mer en 2007, nous sommes pleinement compétents en la matière. Nous élaborons une planification stratégique, et nous réalisons la promotion de l'île dans les salons, avec une présence permanente à Paris, mais aussi à New-York en coopération avec les acteurs du secteur. Nous proposons désormais un module de tourisme dans les collèges et lycées, et une formation aux enseignants.

La collectivité a également adopté des mesures d'incitation fiscale à destination des investisseurs, des aides à la rénovation et à la mise aux normes des petites structures, tout en personnalisant sa communication grâce à la brochure Investir à Saint-Martin. Nous ne voulons pas reproduire les erreurs des années 1980 qui ont conduit à une privatisation de la quasi-totalité du parc hôtelier et de certaines plages.

Enfin, les territoires ultramarins sont régulièrement confrontés au problème de la vie chère, aux aléas climatiques, à l'insécurité, à des épidémies comme celle du chikungunya, qui appellent une réaction immédiate de l'État et des collectivités.

En dépit de ces obstacles, le tourisme a connu une légère embellie en 2015. De nouvelles initiatives des pouvoirs locaux sont toujours souhaitables, pour améliorer la desserte et le cadre de vie, ou pour orienter l'activité touristique vers des niches telles que le tourisme écoresponsable. Nous devons faire pleinement confiance à l'intelligence territoriale. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UDI-UC ; M. Michel Bouvard applaudit aussi)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Nous sommes cet après-midi des touristes, car les orateurs nous font faire le tour de la France. Et j'aimerais feuilleter avec vous un album de photographies de ce beau département que j'ai l'honneur de représenter : l'Orne. Nous avons tous souligné l'attractivité du monde rural. Près de l'Ile-de-France, le Perche offre chemins de randonnées, forêts, auberges où se restaurer mais aussi un patrimoine fait d'églises, de manoirs et de villages. « Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains », écrivait René Char dans son poème « Qu'il vive ».  Et il poursuivait : « Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays. (...) Dans mon pays, on remercie. » (On apprécie)

Encore faut-il organiser les choses. Je suis de ceux qui ont soutenu le transfert de la promotion touristique au niveau intercommunal : ainsi, nous bâtissons ensemble, et une petite commune qui n'en aurait pas les moyens seule peut valoriser ses atouts. La promotion, par les autorités nationales, de nos territoires à l'étranger n'est pas moins indispensable.

Je veux attirer votre attention sur deux autres conditions au développement touristique local, monsieur le ministre. L'accès aux réseaux internet et téléphonique : trop de fermes, de gîtes ruraux sont à l'écart d'internet. Ensuite, cela paraîtra peut-être anecdotique, l'allègement d'une réglementation trop stricte sur les panneaux indicateurs, enseignes et pré-enseignes. Trop souvent, le conducteur doit chercher là où il trouvait autrefois l'indication du lieu de la destination qu'il a choisie.

Irriguer et faire vivre nos territoires, c'est sans doute un objectif qui peut nous rassembler. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Loïc Hervé .  - Avant moi, d'autres ont rappelé l'importance du tourisme dans l'économie française. On compte, rien qu'en Haute-Savoie, 34 millions de nuitées par an et 23 000 emplois touristiques non délocalisables. Pour autant, la clientèle évolue vite, et l'offre doit adapter en permanence. Les collectivités jouent à cet égard un rôle d'organisation et d'impulsion.

Or le bloc communal souffre de la baisse des dotations. Beaucoup de communes de montagne, considérées comme riches mais où la population permanente est réduite, sont affectés par une péréquation négative et craignent que la réforme de la DGF ne leur soit encore plus défavorable. (M. Michel Bouvard renchérit) Elles demandent une compensation des surcoûts liés à la montagne via la dotation de ruralité, ainsi que la prise en compte de la disparition de la dotation touristique dans le calcul de la péréquation. Mieux vaudrait encore une enveloppe spécifique destinée à l'investissement.

Si les communes ne s'opposent pas par principe au transfert de la promotion touristique aux intercommunalités, des stations de montagne concurrentes appartenant à une même communauté de communes ont besoin d'un outil propre. Je demande donc que les communes possédant une marque de territoire ou les stations classées puissent conserver leur office de tourisme. Lors du dernier Conseil national de la montagne, le 25 septembre dernier, le Premier ministre a semblé sensible à nos arguments. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer, avez-vous un calendrier ?

Ne contraignons pas trop ce secteur par des règles imposées d'en haut (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Bouvard .  - La même cordée va s'exprimer... Nous souscrivons à l'objectif de 100 millions de touristes en rappelant que ce secteur est hautement concurrentiel. Les collectivités ont un rôle éminent de planification urbanistique, d'aménagement, de promotion directe ou indirecte... Nous attendons que la répartition des compétences soit clarifiée.

Si la loi NOTRe a entériné le principe selon lequel le tourisme est une compétence partagée, elle a transféré aux EPCI les offices du tourisme. Les stations classées et communes dotées d'une marque de territoire bénéficient certes d'une dérogation, reste que la compétence elle-même est transférée. M. Vallini avait fait des annonces, mais il faudra aller plus loin : j'ai découvert plus loin qu'il n'y a dans la vallée de la Tarentaise que cinq stations classées, trois dans celle de la Maurienne ! La procédure de classement est bien trop complexe, celle qu'a engagée Bourg-Saint-Maurice dure depuis deux ans, on demande aux élus des choses invraisemblables, par exemple l'emplacement des bacs à ordures. Combien cela occupe-t-il de fonctionnaires dans les préfectures ?

Et que dire des unités touristiques nouvelles (UTN)... Nous n'investissons pas assez par rapport à nos concurrents, chacun le sait. Le suramortissement Macron a été étendu aux sociétés de remontées mécaniques, très bien. Cependant, le projet d'ordonnance sur les UTN qui, bizarrerie, n'a pas été présenté au Conseil national de la montagne en premier lieu, étend la procédure à tous les projets d'aménagement ! Cela vaudra bientôt pour installer un dépôt d'explosifs pour déclencher des avalanches ! Les élus et la profession ont unanimement rejeté le projet du Gouvernement, nous attendons confirmation des engagements pris. (Vifs applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-François Husson .  - Le tourisme est essentiel au développement local. Or, les lois Maptam et NOTRe ont finalement maintenu le caractère partagé de la compétence touristique. À quand le choc de simplification ? Les communes conservent les offices en place avant la promulgation de la loi... Il est vrai qu'elles ont parfois une force de frappe importante, comme dans les stations balnéaires et de montagne.

La Meurthe-et-Moselle a un patrimoine artisanal avec la verrerie et Baccarat, un patrimoine monumental avec le château de Lunéville, qui relève aujourd'hui du département mais pourrait être transféré à un pôle métropolitain. Des problèmes de coordination se posent.

Toujours est-il que le secteur a gagné 15 % d'emplois salariés entre 2000 et 2010. Il doit se professionnaliser, et il a besoin d'ingénierie - celle des départements mais aussi celle d'Atout France ou des agences de développement économique.

Le tourisme est une activité d'une richesse exceptionnelle, animée par l'envie d'apprendre, de découvrir, mais aussi par la fierté d'appartenir à une nation, un territoire doté d'une identité. Soutenons-le ! (Applaudissements à droite et sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Merci au groupe RDSE d'avoir demandé ce débat. En vous écoutant, je me souvenais des débats sur la loi du 23 décembre 1992 ; j'étais alors ministre du tourisme et la proposition de loi, portée par le sénateur Mouly - élu de la Corrèze, membre du groupe alors dénommé RDE -, reconnaissait pour la première fois le principe d'une compétence partagée et coordonnée entre l'État et les collectivités sur le tourisme : la pertinence de ce mode d'action n'a jamais été démentie !

Le tourisme connaît une profonde mutation, il est en expansion -  Mme Malherbe a rappelé les chiffres. Il contribue à la vitalité de nos territoires, où il constitue parfois le premier secteur pourvoyeur de richesse et d'emplois. Mais le tourisme est beaucoup plus qu'un secteur économique, il renvoie à l'histoire, à la culture, à l'urbanisme, au paysage. Réfléchir au tourisme, c'est réfléchir à l'image que nous voulons renvoyer.

La compétence tourisme est non seulement partagée mais aussi transversale, elle touche à l'économie, à l'aménagement du territoire, aux transports, à l'urbanisme, aux sports et aux loisirs, à l'environnement. Le département de Mme Malherbe, les Pyrénées-Orientales, en est la preuve : tourisme du littoral, de montagne, industriel et même oenologique.

Le chef-de-filat a été rejeté. Je me réjouis, comme vous, du compromis trouvé dans la loi NOTRe. Cependant, son article 68 inquiète : il organise le transfert obligatoire de la promotion du tourisme à l'intercommunalité. De fait, certaines communes se livrent à une concurrence féroce, et l'on peut déplorer la dispersion des moyens et le manque de lisibilité. Cependant, cette évolution ne concerne ni la gestion des stations de ski, ni celle des équipements touristiques, ni la fiscalité - la taxe de séjour. Le maintien d'un office de tourisme distinct reste possible dans les sites dotés d'une marque territoriale protégée et dans les stations classées si elles engagent une mutualisation, les communes touristiques et stations classées pouvant conserver un bureau de tourisme. Dans ces trois cas, le principe du rattachement intercommunal de l'office, même distinct, demeure.

Certains élus de montagne contestent le compromis trouvé en CMP. S'il se présente des problèmes nettement identifiés, le Gouvernement est prêt à les régler. Comme le Premier ministre l'a dit au Conseil national de la montagne, nous proposerons par voie législative une dérogation spécifique pour les stations classées de montagne - et elles seules - qui pourront délibérer sur le maintien ou non d'un office de tourisme communal.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre.  - L'enjeu touristique est particulièrement important en montagne. Mais le modèle économique fondé sur la construction perpétuelle de nouveaux mètres carrés est derrière nous, selon le rapport Laclais-Génevard. Un projet de loi sur la montagne sera déposé cet automne.

La proposition de loi Montagne renforcera aussi l'UTN, procédure ancienne et désuète qu'il nous faut rénover. L'ordonnance a été retirée, les UTN seront inscrites dans les documents d'urbanisme, avec une vision globale du territoire. Je souhaite que nous arrivions au consensus pour la concertation, dans l'intérêt de la montagne.

De même, monsieur Bouvard, je partage vos constats sur la procédure de classement ; de nouveaux critères sont en cours de définition.

La mondialisation a affecté l'offre comme la demande du tourisme.

Les Assises du tourisme, lancées par Sylvia Pinel, (Exclamations à droite) ont proposé des mesures importantes pour renouveler l'offre - tournée nocturne, de savoir-faire, en particulier, y participent. Le pôle investissement de la BPI est doté d'un million d'euros, c'est significatif, et mon ministère dispose également d'un million d'euros, c'est considérable. Je discute avec tous les parlementaires, et je dois constater que les positions sont nombreuses, diverses, sur les meilleurs usages.

M. Jean-François Husson.  - Nous prenons modèle sur le Gouvernement.

M. Jean-Michel Baylet, ministre.  - Le Programme d'investissement d'avenir (PIA) III en cours de négociation comportera un volet consacré au tourisme, et, oui, la couverture en téléphonie mobile et en fibre du territoire est une priorité. Quant aux panneaux indicateurs, monsieur Lenoir, j'ai saisi le ministère de l'intérieur.

M. Jean-Claude Lenoir.  - J'en accepte l'augure.

M. Jean-Michel Baylet, ministre.  - L'accès de tous aux vacances est bien aussi une priorité, monsieur Favier : 300 millions d'euros sur dix ans pour les chèques vacances.

Le tourisme est une chance pour tous nos territoires, urbains comme ruraux -  patrimonial, vert, culturel, industriel, de plein air ou sportif, le tourisme est partout un levier du développement voire de la renaissance des territoires.

Les collectivités territoriales ont un rôle essentiel à jouer, en s'appuyant sur les labels de qualité.

Le partage de la compétence est l'occasion d'une construction commune de cette belle politique au service de nos territoires : emparons-nous en, je compte sur les élus ! (Applaudissements)

Le débat est clos.

Suspendue à 17 h 40, la séance reprend à 17 h 45.

Débat sur la stratégie nationale de l'enseignement supérieur

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la stratégie nationale de l'enseignement supérieur.

Mme Dominique Gillot, au nom du groupe socialiste et républicain .  - Depuis juillet 2013, la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, d'ouverture et de transformation, s'est déjà traduite dans les faits pour des étudiants toujours plus nombreux - ils étaient 2,5 millions à la dernière rentrée - et la recherche.

Ce texte prévoit la définition d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES), par un comité indépendant à la parole libre ; mis en place par Geneviève Fioraso, il a travaillé un an et remis son rapport ; le président de la République a souhaité que ses propositions deviennent la feuille de route du Gouvernement « pour une société apprenante », titre judicieux du rapport. Je tiens à souligner la qualité du travail du comité et à saluer son président ici présent. Depuis septembre 2015, vous avez ouvert plusieurs chantiers - avec à coeur de réduire les inégalités d'accès au savoir et de renforcer la démocratisation, conformément à la StraNES. En cinquante ans, la proportion d'une classe d'âge d'étudiants a octuplé et l'enseignement supérieur devrait en accueillir encore 340 000 de plus d'ici 2024 : c'est un défi immense pour réaliser la promesse républicaine du progrès partagé.

Ensuite, l'innovation, au sens large, vise les savoirs autant que les enseignements et touche directement au statut de l'enseignement : devenu collaboratif, il rebat les cartes de la pédagogie et des moyens à mobiliser. L'université est le laboratoire de la société de demain et le levier de construction de l'avenir du lien social.

Ces nouvelles méthodes de transmission des savoirs exigent que les enseignants eux-mêmes fassent les recherches sur leur enseignement, outre le savoir, le savoir-faire, mais aussi le savoir-être deviennent primordiaux.

L'étudiant doit être acteur de sa formation, réussir, essayer, reprendre éventuellement des études après une césure ; le droit à une formation (DIF) tout au long de la vie convie à un rapprochement avec le monde économique et suggère une redistribution des fonds de la formation vers l'université - nous le proposerons dans la loi Travail. Oui, l'université fédérative de demain, capable de se mesurer aux standards internationaux, est en marche.

Reste, encore, les très nombreux éléments de l'environnement des étudiants - des espaces collaboratifs aux logements, en passant par les emplois du temps, trop peu adaptés à leurs contraintes et aspirations : l'optimisation est possible, elle est nécessaire, même, pour faire face aux progrès démographiques et abandonner la détestable pratique du tirage au sort en cas d'une trop grande affluence.

Monsieur le ministre, vous avez proposé cinquante mesures de simplification, elles seront très utiles ; je me réjouis de l'adoption par le Sénat du projet de loi pour la République numérique, qui va dans le même sens ; je regrette cependant la frilosité de la majorité sénatoriale sur le TDM (fouille de textes et de données, si importante pour les chercheurs).

Les étudiants se dirigent davantage vers les MOOCs, signe de ce que toute la chaîne éducative est en mouvement, depuis la maternelle jusqu'à l'université.

Le rapport StraNES propose que l'Europe se dote d'une stratégie pour l'enseignement supérieur comme elle l'a fait pour la recherche : l'enseignement supérieur est un investissement, dont le rapport serait du sextuple...

Oui, la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) adresse un message ambitieux de réussite : c'est un véritable message de confiance adressé au jeune ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur ceux du groupe RDSE)

M. Jacques Grosperrin .  - L'épais volume du rapport (250 pages !) indique bien des erreurs commises par le Gouvernement en matière d'enseignement supérieur mais il est contestable par sa méthode et d'abord par la composition de son comité où les universitaires sont minoritaires ; puis par sa logique - une stratégie contraignante alors que les universités sont censées être autonomes - et par son langage, une novlangue qu'aurait appréciée Orwell et dont témoigne son titre : «  pour une société apprenante ».

La plus grande de ses faiblesses est d'avoir cédé au pédagogisme qui ruine, lentement mais sûrement, le système éducatif français. (Mme Dominique Gillot proteste)

Son contenu, ensuite, présente bien des lacunes et des curiosités, loin des réalités concrètes de l'université, mais emblématiques de sa bureaucratisation, qui épuise les universitaires, grands absents, je l'ai dit, de ces considérations. Les mesures recommandées sont souvent démagogiques, quantitatives ou faites pour flatter les revendications de syndicats d'étudiants.

La liberté constitutionnelle des universitaires est davantage écornée encore.

La stratégie préconisée, qui consiste, en résumé, à distribuer des diplômes à tour de bras est mauvaise. Nous aurions préféré une stratégie, osons le mot, de l'excellence, pour notre université et notre enseignement supérieur, plutôt que la poursuite de cet objectif de l'université de masse, qui est celui du Gouvernement, mais pas, heureusement, de ma famille politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Daniel Percheron .  - Je suis d'une génération qui, historiquement, respecte l'université : dépendance, grands professeurs, citadelle intellectuelle, l'université portait l'universalisme français. Mais voici la stratégie universitaire, ses financements. ..

Monsieur le ministre, vous êtes à la place de Jules Ferry, d'Edgar Faure, de Jean-Pierre Chevènement, de Lionel Jospin, et nous sommes de la même famille, la social-démocratie. Jules Ferry savait ce qu'il voulait : l'élection des maires au suffrage universel, l'école laïque, la devise républicaine. Mona Ozouf a raison.

Jean-Pierre Chevènement a fait le pari de la massification de l'enseignement, qui serait aussi sa démocratisation. Et Lionel Jospin a entendu l'ambition des territoires. Dans le Pas-de-Calais, un million d'habitants, territoire situé sur l'axe de l'Europe selon Jacques Attali - un prophète peut-il se tromper - nous avons eu les nouvelles universités « Jospin », comme celle d'Artois, elles ont le plus grand nombre de boursiers en France.

Vous êtes en première ligne, monsieur le ministre, de l'illusion d'une mondialisation heureuse, qui fait croire que nous serions au-dessus du lot, alors que la compétition est là ; il nous faut figurer au classement de Shanghai, quel succès de communisme de marché ! (Sourires) C'est l'objet même du PIA : viser les meilleures places !

Une prévision peut échouer. L'Europe peut reconstruire un coeur de mondialisation autour de sa colonne vertébrale qui va de Londres à Cologne, c'est aussi la carte des lumières de l'Europe vue du ciel, la nuit.

Mais cette colonne vertébrale est tout en déséquilibre. Les territoires accusent des différences gigantesques : on eut ainsi la tristesse de voir un président d'université devoir baragouiner en anglais devant le jury des PIA présidé par Louis Schweitzer pour obtenir le pain et le vin de l'avenir de son établissement...

Monsieur le président. - Veuillez conclure !

M. Daniel Percheron. - Tournons la page, en 2017-2018, nous poursuivrons le dialogue, sur la base d'un plan établi entre l'État et les collectivités territoriales, rendons-leur les universités, que l'État confère son label et nous retrouverons toute notre place au classement de Shanghaï ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur ceux du RDSE)

Mme Marie-Christine Blandin .  - La volonté stratégique de la loi 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, nous satisfait dans son principe. Le choix d'une approche à moyen et long terme est une nécessité.

Le rapport du comité, « Pour une société apprenante », est de grande qualité. Oui, il faut non seulement transmettre mais aussi coproduire nos savoirs. Un plan d'action est esquissé pour parvenir à 60 % de diplômés dans une classe d'âge, c'est le président de la République qui a fixé cet objectif. Cependant, cela suppose des moyens importants, à l'université comme pour la vie étudiante elle-même, en particulier le logement. Nous y serons très attentifs en loi de finances.

La Cour des comptes est déçue par les résultats des politiques de soutien à la recherche : quand liera-t-on le CIR à l'emploi des doctorants ? Nous le demandons, au groupe écologiste, depuis 2006...

À quand des concours réservés aux docteurs, comme le prévoit depuis 2013 le code de la recherche ? Leur absence envoie un signal de découragement aux chercheuses et chercheurs, dont nous avons tant besoin pour connaître, créer, innover, inventer demain.

Le président de la République veut que l'accord de la COP21 soit « effectif et exemplaire » : il ne le sera pas sans une mutation de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la transition énergétique, de l'efficience à l'écoconception, de la troisième révolution industrielle à la démocratie sociale en période de non-croissance.

Quels sont les défis ? Mieux former aux conflits d'intérêts dans les carrières médicales, à la pédagogie inclusive dans les Espe, permettre les retours d'expériences par l'alternance, ce qui ne se fait pas encore.

Comment pensez-vous y parvenir, compte tenu de l'autonomie des universités ?

Qui dit autonomie, dit moyens. Ceux que pourraient apporter la formation continue sont convoités. Cette belle mission de l'université demandera néanmoins de la créativité, et non la simple transposition des cours de formation initiale. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)

Mme Françoise Laborde .  - La stratégie nationale ne manque pas d'ambition. Le président de la République a posé le double objectif de la réussite des étudiants, et du décloisonnement. 50 mesures ont été présentées pour simplifier, décloisonner, c'est bien ; mais pour la réussite des étudiants, il faut aller plus loin.

L'inégalité est aussi territoriale, il faut y remédier. Le principe de la gratuité des cours en ligne doit être maintenu, mais cette révolution numérique n'est pas suffisante : nous devons conduire un aménagement universitaire du territoire.

Le groupe RDSE s'inquiète particulièrement de l'avenir des antennes universitaires délocalisées qui dispensent des formations très spécialisées, prisées par les entreprises locales.

La France consacre 1,49 % de son PIB à l'enseignement supérieur, ce n'est pas suffisant quand les exigences augmentent ainsi que le nombre d'étudiants.

La sélection entre master I et II, via un décret pris 30 ans après la loi Savary, a fait couler beaucoup d'encre, nous en reparlerons dans la loi Égalite.

Le budget enseignement supérieur a été épargné ; mais il reste insuffisant. Notre pays a choisi un financement public de l'université - j'y suis favorable -, mais cela ne doit pas interdire le recours au mécénat d'entreprise : comment répondre à de nouveaux défis sans nouvelles ressources ?

Les classements internationaux ne doivent pas se transformer en obsession, la priorité doit demeurer à l'acquisition des savoirs et l'accès à l'emploi. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Dans un monde toujours plus complexe, nous devons chercher à comprendre, pour inventer de nouvelles solutions. Nous avions salué, lors de la loi ESR, la définition d'une stratégie nationale tous les cinq ans. Déposée en septembre 2015, cette stratégie ne nous a cependant été présentée par le Gouvernement... qu'hier soir, juste avant ce débat : c'est loin de l'esprit de la loi, et c'est dommage.

L'objectif de 60 % d'une classe d'âge, diplômée contre 42 % aujourd'hui, c'est dix points de mieux que la stratégie de Lisbonne en 2000 : nous devrons changer de braquet.

Je regrette que le rapport ne dise rien du lien entre CIR et emplois de docteurs.

L'intérêt de la StraNES est qu'elle comporte une « programmation pluriannuelle des moyens » qui manquait à la loi Fioraso. Mais les moyens manquent précisément à l'appel. Au-delà des incantations, l'une des pistes pour investir dans la société apprenante passe par l'Europe : il s'agirait d'exclure les dépenses de l'enseignement supérieur et de la recherche du calcul du déficit public par la Commission européenne. Sans cela, l'ambition de porter le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche à 2 % du PIB connaîtra le même sort que celle fixée dans la stratégie de Lisbonne en 2000.

Je regrette que le document de synthèse du Gouvernement reste flou sur ce sujet ; celui-ci, y lit-on, « portera avec ses homologues la discussion sur cet objectif ». La loi relative aux libertés et responsabilités des universités et le passage aux « responsabilités et compétences élargies » ont entraîné d'importantes difficultés financières. En 2012, la moitié des universités était en déficit. La situation a heureusement évolué depuis, mais au prix d'une détérioration des conditions de travail du personnel et d'apprentissage des étudiants.

Le groupe CRC est contre la sélection déguisée des étudiants, notamment sur dossier.

Enfin, le rapport de la StraNES souligne le problème de la situation sociale des étudiants ; le salariat étudiant, première cause de l'échec à l'université, renforce les déterminismes sociaux. Précarité sociale que les bourses au mérite ne combattent pas, pas plus que les lacunes de l'accès aux soins, le manque de places en cités-U, l'insuffisance des logements : et notre débat d'une heure sera le seul temps d'échange sur ces sujets importants, j'appelle le Gouvernement au ressaisissement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mmes Marie-Christine Blandin et Catherine Morin-Desailly applaudissent également)

M. Jean-Léonce Dupont .  - Sur quelque banc que nous siégeons, nous savons que l'avenir de notre pays se joue dans les établissements d'enseignement supérieur.

La France se dote d'une stratégie nationale : c'est bien. Le rapport nous propose cinq axes stratégiques, trois leviers et quarante propositions... Tout cela est parfait, qui pourrait s'opposer au développement d'une société apprenante ou à la volonté de répondre aux aspirations de la jeunesse ? Mais par pragmatisme, nous sommes moins attachés à l'esthétique de l'action publique qu'à la réalisation de ces objectifs. En fait, je m'inquiète de la capacité à mener une telle stratégie. Le président de la République a écrit au président de la Conférence des présidents d'université que « l'augmentation continue des effectifs appellera des ajustements budgétaires » et qu'il les prescrira le moment venu... Combien ? Quand ? Le flou est total... Dans la dernière période, nous assistons à des emplettes électorales, à l'achat de la paix politico-sociale avec des mesures démagogiques.

L'enjeu est la qualité du parcours étudiant qu'on est capable de garantir au plus grand nombre. Votre réponse au Conseil d'État sur les masters est un peu courte. Par insistance idéologique, vous préparez l'inverse de ce que réclament les étudiants : une régulation claire dès l'entrée du cycle Master. Ils savent, ils sentent que la valeur du diplôme dépend de sa rareté.

Il était proposé de vérifier les prérequis à l'entrée en licence pour limiter les redoublements... Vous n'en voulez pas. Traiter cette difficulté en assumant une forme de sélection, le mot ne nous fait pas peur, ce n'est pas exclure, c'est intégrer. L'échec en L1 et en L2, là est la véritable exclusion universitaire et sociale. Tenter de le prévenir en demandant de cocher une case sur un site internet n'est pas à la hauteur. Faire de l'orientation active, c'est admettre une forme de préalable ou d'interdit. J'attends sur le sujet du choc démographique votre réponse à mes questions écrites de juin et octobre dernier...

Affirmer que le déploiement du numérique et de l'innovation pédagogique facilitera la réussite généralisée en licence, c'est caresser une douce et dangereuse utopie. Les enseignants chercheurs en L1 et L2 se résignent mal à ne plus faire que colmater les lacunes du plus grand nombre. Ce n'est pas leur rôle mais c'est la réalité de l'université d'aujourd'hui.

Rapporteur de la loi LRU en 2004, je regrette que les universités ne soient pas considérées comme les leviers de la StraNES. Je me suis réjouis que leur autonomie ne soit pas formellement remise en question - mais ce n'était qu'un leurre. Les moyens ne sont pas au rendez-vous malgré les promesses, les critères de performance semblent écartés. Les outils innovants prévus par la LRU ne sont pas utilisés par des établissements tétanisés par vos services...

La dévolution du patrimoine immobilier marque le pas, les Comue n'ont pas les résultats escomptés et sont perçues comme une couche de plus... La visibilité internationale fait défaut.

La StraNES est une belle promesse, mais la boîte à outil est bien faible. Depuis 2012, je ne vois pas où est l'État stratège. (Applaudissements au centre)

M. Daniel Gremillet .  - Le rapprochement entre universités et entreprises est nécessaire ; dans une société du savoir concurrentielle, celles-ci devraient pouvoir tirer avantage de notre système d'enseignement supérieur. L'insertion professionnelle à bac+5 des étudiants des universités est plus lente que celle des étudiants des grandes écoles, dont les formations sont plus professionnalisantes. Les premiers trouvent un emploi à 89 %, trente mois après avoir obtenu leur diplôme, contre 92 % pour les seconds entre douze et quinze mois après leur sortie de l'école.

Nous devons repenser les interactions entre monde universitaire et monde économique, qui se sont ignorés trop longtemps. L'enjeu est double : repenser la formation dans une société transformée par le numérique - je pense à l'e-learning - et former les étudiants au plus près de la production.

La stratégie contient des dispositions intéressantes. Les politiques de site issues de la loi de juillet 2012 ou le plan en faveur de l'entreprenariat étudiant vont dans le bon sens. Mais ce plan vise 5 000 étudiants sur 2,5 millions : on est loin du compte... Je m'interroge : comment libérer les forces créatrices trop souvent bridées ? La génération du numérique n'a pas tant besoin de formation directe que d'espace pour réaliser ses potentialités.

La solution passe, non par de nouveaux dispositifs législatifs, mais par le rapprochement université-entreprise au travers des pôles d'excellence. L'enjeu est important en termes de compétitivité et d'attractivité des territoires. Les grandes régions doivent être les préfigurations de ces nouvelles dynamiques qui touchent aussi au financement. Dans le Grand Est, il est fondamental de penser ce rapprochement à l'échelle d'un vaste bassin d'emplois, avec le Luxembourg, la Sarre et la Suisse. Les nouvelles compétences des régions plaident en ce sens. Je suis convaincu de même que nous résoudrons le problème des déserts médicaux par la territorialisation des formations.

L'enseignement supérieur doit continuer de dispenser des formations académiques de qualité et contribuer aussi à la construction des atouts de demain.

Mme Nicole Duranton .  - Bonne initiative que ce débat. Nous allons enfin pouvoir nous occuper de la jeunesse, que le candidat François Hollande présentait comme une priorité ; peu de jeunes ressentent cette priorité et les dernières promesses du quinquennat n'y changent rien...

Ces jeunes se demandent s'ils ont un avenir dans leur pays : s'ils en avaient la possibilité, 51 % des 25-30 ans aimeraient le quitter... Je crains qu'en plus d'être menacés par le déclin industriel nous ne soyons menacés par le déclin intellectuel si nous ne rompons pas avec quelques tabous...

La loi LRU a desserré l'étreinte de l'État. Nous avons tenu bon face à la rue et aux conservatismes. Nous voulions faire confiance au monde universitaire. Huit ans après, il nous faut aller plus loin. Comment être autonome sans lisibilité financière ni maîtrise des ressources humaines ? Pour une sanction disciplinaire contre un membre du personnel, par exemple, le président de l'université doit passer par le recteur, sinon le ministre... Des réorganisations internes s'imposent.

Notre système d'enseignement supérieur est devenu trop complexe. Vous avez annoncé un renouveau des relations entre les établissements et l'État : est-ce refuser de reconnaître la diversité des talents de notre jeunesse ? Vous semblez préférer la médiocrité pour tous, confondez égalité et égalitarisme, socialisme et idéal républicain... Notre jeunesse étudiante est notre espoir.

Enfin, ne craignons pas d'ouvrir l'université à l'entreprise, et ce, dès le premier cycle. Faisons preuve d'ouverture et de bon sens. (Applaudissements à droite)

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Chacun a à l'esprit l'importance de ce débat. L'histoire de notre République, c'est d'abord un combat pour l'éducation, premier moyen d'action pour l'émancipation et la justice : école gratuite d'abord, ouverture du lycée alors réservé aux plus aisés, accès le plus large possible au baccalauréat dans les années 1980 et maintenant, élévation du niveau de qualification de notre jeunesse avec un objectif : 60 % d'une classe d'âge diplômés de l'enseignement supérieur d'ici dix ans.

La StraNES s'inscrit dans cette longue histoire. Elle prend en compte les tendances lourdes au niveau international. C'est la feuille de route que le président de la République a fixée au Gouvernement. Merci au groupe socialiste et républicain d'avoir proposé cette séance ; et merci à tous pour vos contributions.

Le rapport de la StraNES n'est pas indicatif ; c'est une stratégie, le résultat d'un travail remarquable qui a été soumis au Cneser et adopté très largement par la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche. La Conférence des présidents d'université, la Conférence des grandes écoles, celle des écoles d'ingénieurs l'ont approuvé. Le document lie la communauté universitaire et le Gouvernement dans sa mise en oeuvre.

Cette discussion ne concerne pas le sexe des anges mais la matrice de notre réflexion stratégique. Sauf dans la bouche de M. Grosperrin, je n'ai pas constaté de désaccord de fonds.

Nous souhaitons démocratiser encore plus l'accès à l'enseignement supérieur. Nous ne voulons pas de sélection par l'argent - le sujet est mondial. Un cabinet anglo-saxon, de tendance plutôt libérale, a constaté qu'un diplômé britannique commençait sa vie professionnelle avec une dette de 55 000 euros, 40 000 euros aux États-Unis ; un boulet aux pieds et une injustice...

Notre souhait de démocratisation est exigeant, nous voulons que les jeunes soient nombreux à accéder dans les meilleures conditions à l'enseignement supérieur, qu'ils réussissent, qu'ils obtiennent des diplômes de qualité. Ces orientations ne sont pas celles d'un Gouvernement qui prône le nivellement par le bas. La communauté universitaire, les partenaires sociaux les ont approuvées. Et ceux qui voudraient en changer radicalement feraient face à un blocage total.

Il faut certes atteindre ces objectifs : une nation qui s'en fixe s'oblige. Vous avez tous raison : il faudra budgétairement accompagner cet effort « le moment venu », dit le président de la République, c'est-à-dire en loi de finances. Il faudra accompagner plus nettement la vie étudiante, dont les crédits sont malgré tout en très forte augmentation depuis le début du quinquennat. Le plan du logement étudiant - 40 000 d'ici 2017, du jamais vu ! - avance, 22 000 étaient livrés et habités en 2015. La feuille de route, dont je discutais avec le ministre du logement en début de semaine, montre que l'objectif sera tenu.

L'État s'est aussi doté de moyens exceptionnels avec le programme d'investissement d'avenir sur lequel M. Percheron a mis l'accent. Le Gouvernement ne veut pas tourner la page de ce programme. Mais un peu de lucidité ne nuit pas... Reconnaissons que quelques questions se posent après l'attribution du label Idex à trois pôles seulement, Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg. Pas besoin de consulter des experts internationaux pour savoir que cela ne reflète qu'une petite partie de l'excellence française. Nous devrions sans doute revoir nos critères. Le label Idex n'est pas ouvert aux seules universités fusionnées. Des organisations fédérales peuvent le porter, ce qui peut être particulièrement utile dans les villes qui comptent des universités et des grandes écoles. L'indépendance du jury qui juge des projets est une règle du jeu classique que j'accepte. Mais il faut coordonner tout cela, un pilotage : il ne peut y avoir deux ministères, l'un pour l'excellence et l'autre pour le reste... Je souhaite mettre en place un comité de pilotage de ces investissements, et pas seulement de suivi.

L'autonomie... C'est parce que les universités sont autonomes qu'il faut une stratégie ; sinon c'est le bazar... Il n'y a plus de principes nationaux ni de valeur nationale des diplômes, plus de règle nationale d'accès à l'enseignement supérieur mais une concurrence mortifère des établissements entre eux.

L'autonomie doit être confortée. La dévolution immobilière a été coûteuse pour l'État  -  pour trois universités seulement, il ne peut pas faire plus. Nous lancerons avant l'été sur quatre à cinq sites une expérimentation pour trouver un nouveau modèle économique, avec le retour aux universités du produit de leurs cessions ou la possibilité, encadrée, d'emprunter par exemple pour des travaux de rénovation thermique.

Ce n'est pas parce que la StraNES fixe des objectifs audacieux que les établissements doivent attendre tout de l'État, qui finance aujourd'hui 80 % de leur budget ; il faut une stratégie de développement des ressources propres.

Douze universités expérimentent des formes nouvelles de conquête du marché de la formation continue et professionnelle ; nous les avons dotées des moyens humains pour le faire. La valorisation des recherches peut être aussi une piste. D'autres seront présentées d'ici l'été.

Je suis pour l'orientation active. Ce que nous avons fait cette année sur APB, c'est le minimum. Je pense même que l'orientation devrait devenir une matière à part entière en classe de terminale...

Ce n'est pas le numérique qui va sauver l'université française. Mais dans le monde d'aujourd'hui, si la France ne s'y met pas, les étudiants apprendront par internet à partir de programmes d'universités américaines sans jamais y avoir mis les pieds... Un plan sera lancé le 29 mai pour doter notre pays d'une ambition et d'une méthodologie en la matière.

L'architecture des formations, c'est la traduction concrète de l'exigence de démocratisation. Je ne pense pas que les 1 400 masters soient la panacée. Mais pourquoi a-t-on laissé pendant 14 ans des universités pratiquer une forme de sélection hors de tout cadre légal ? Nous avons légalisé ces pratiques. J'aurais aussi aimé que la réforme des formations doctorales fût décidée plus tôt... Idem pour l'examen national que les avocats demandent depuis trente ans ; il aura lieu à la rentrée 2017.

La StraNES est un cadre, le résultat du travail conjoint du monde universitaire. Cette stratégie est engagée et nous oblige tous. Le mouvement de transformation sera long, profond, nous nous donnons des moyens à la hauteur de nos objectifs. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

Le débat est clos.

Demande de création d'une mission commune

M. le président.  - Par lettre reçue ce jour, M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et républicain a informé M. le président du Sénat que son groupe demande, en application de l'article 6 bis du Règlement, la création d'une mission d'information sur l'intérêt et les formes possibles de mise en place d'un revenu de base en France.

La Conférence des présidents sera saisie de cette demande lors de sa prochaine réunion.

Questions prioritaires de constitutionnalité (Renvois)

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 4 mai 2016, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel un arrêt de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 450-3 et L. 464-8 du code du commerce (Voie de recours des décisions de l'Autorité de la concurrence) ; et un arrêt de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (Conditions d'accession à la profession d'avocat).

Le texte de ces arrêts de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Prochaine séance, mardi 9 mai à 9 h 30.

La séance est levée à 19 h 15.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus

Ordre du jour du mardi 10 mai 2016

Séance publique

À 9 h 30

1. 26 questions orales.

À 14 h 30 et le soir

2. Projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (n° 574, 2015-2016)

Rapport de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois (n° 581, 2015-2016)

Texte de la commission (n° 582, 2015-2016).

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché (n° 542, 2015-2016)

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 575, 2015-2016)

Texte de la commission (n° 576, 2015-2016)

Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 573, 2015-2016).

4. Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016)

Rapport de M. Jérôme Bignon, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (n° 577, 2015-2016)

Texte de la commission (n° 578, 2015-2016)

Avis de M. Alain Anziani, fait au nom de la commission des lois, (n° 569, 2015-2016)