Prorogation de l'état d'urgence (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi prorogeant l'application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Comme je l'ai annoncé en Conférence des Présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l'ensemble de ce projet de loi conformément à l'article 60 du Règlement.

Discussion générale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - En raison de la persistance d'une grave menace terroriste susceptible de frapper sur l'ensemble du territoire national, le Gouvernement vous propose, pour la troisième fois, de proroger l'état d'urgence pour une période supplémentaire limitée à deux mois.

Je remercie le président Larcher pour son sens de l'état qui honore votre institution. (Applaudissements des bancs du groupe socialiste et républicain jusqu'aux bancs du groupe Les Républicains) Merci aussi au président Bas qui a organisé l'examen de ce texte dans des délais très contraints. Je souhaite, enfin, envoyer un message à votre rapporteur, M. Michel Mercier, qui a su, dans ses missions de contrôle, faire la synthèse entre un examen intransigeant des prérogatives de l'exécutif et des circonstances appelant à la solidarité nationale ; une solidarité que j'ai retrouvée chez tous les sénateurs de tous les groupes, ce dont le Gouvernement vous est reconnaissant.

L'état d'urgence n'est pas synonyme d'arbitraire : les actes et les décisions pris sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par la loi, tout comme les raisons justifiant d'y avoir recours et de le prolonger. Le Conseil constitutionnel a rappelé le 19 février dernier le devoir de concilier la prévention des atteintes à l'ordre public avec le respect des droits et des libertés, en particulier le droit et la liberté d'expression collective des idées et des opinions.

Je l'ai dit lors d'une séance de questions d'actualité, l'état d'urgence ne peut pas être un état de convenance politique. Il ne doit pas être détourné de son but, prévenir les attentats terroristes ; il y va de la solidité de notre démocratie. Le principe essentiel est qu'il n'a pas à durer plus que nécessaire. Nous en demandons à nouveau la prorogation, en raison de la persistance du péril terroriste et la tenue prochaine d'événements de dimension internationale.

La menace reste intense : le 22 mars à Bruxelles, des attentats multi-cibles d'une extrême violence ont fait une trentaine de victimes ; le 24 mars à Argenteuil, nous avons mis en échec un projet d'attentat, sans doute plusieurs. D'après les informations du parquet belge, les terroristes ont frappé à Bruxelles, faute d'avoir le temps de frapper en France.

La menace demeure à un niveau élevé : depuis le début de l'année, les services de police spécialisés ont procédé à 101 interpellations en lien direct avec le terrorisme djihadiste, ayant donné lieu à 45 mises en examen et 33 écrous. L'organisation de l'Euro 2016 et du Tour de France nous impose de faire preuve d'une vigilance redoublée. Ces événements constituent des cibles potentielles pour les terroristes.

Permettez-moi de dresser un bilan précis de la deuxième phase de l'état d'urgence.

En novembre dernier, les forces de sécurité ont procédé à plusieurs centaines de perquisitions administratives : le risque d'une réplique immédiate des attentats était très élevé : Abdelhamid Abaaoud, neutralisé le 18 novembre à Saint-Denis, projetait de commettre un nouvel attentat. Durant cette première phase, jusqu'au 26 février, 3 427 perquisitions administratives ont été effectuées. Une fois ce travail considérable effectué, leur nombre a logiquement diminué pour s'établir à 145 entre le 27 février et le 9 mai. En dépit de cette baisse, 162 armes supplémentaires ont été saisies, attestant de leur ciblage sur des personnes particulièrement dangereuses. Au total, 750 armes auront été neutralisées depuis le début de l'état d'urgence, dont 75 armes de guerre. Ces perquisitions ont participé à l'approfondissement du travail de renseignement et de mise à jour des fichiers.

Ont donné lieu à l'ouverture d'une procédure judiciaire 594 de ces perquisitions administratives, dont 223 pour infraction à la législation sur les armes et 206 à la législation sur les stupéfiants. A l'issue de ces procédures, 28 informations judiciaires et 67 peines ont été prononcées et 56 personnes placées en détention. Ce sont des résultats significatifs.

Sur les 268 assignations à résidence en vigueur au 26 février dernier, 69 ont été renouvelées. Trois nouvelles assignations ont été décidées, ce qui porte leur nombre à 72. Le juge administratif a prononcé deux suspensions et l'administration a abrogé une procédure à son initiative - la personne visée ayant été reconduite dans son pays d'origine.

Depuis le début de l'état d'urgence, 216 recours en référé ont été engagés : 16 suspensions ont été prononcées, 12 mesures annulées dont 9 procédures au contentieux. Ces chiffres le démontrent, le juge administratif a exercé un contrôle rigoureux et l'administration a agi avec discernement.

Pas moins de douze attentats ont été déjoués depuis 2013, dont sept depuis janvier 2015. C'est pour moi l'occasion de saluer le travail réalisé par les services de renseignement, et notamment par la DGSI qui est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste.

La prorogation de l'état d'urgence est nécessaire. Les groupes djihadistes ont tué à l'étranger, visant nos intérêts et nos ressortissants ; chez nos voisins belges, les investigations ont montré que la France reste une cible prioritaire, en raison de son engagement au Sahel, en Irak et en Syrie mais aussi de ses valeurs de laïcité, de fraternité et d'émancipation qui sont les siennes depuis deux siècles et font horreur aux terroristes djihadistes.

Le péril imminent n'a pas disparu et nous accueillerons bientôt l'Euro 2016 et le Tour de France. Certes, nous avons renforcé notre dispositif de lutte antiterroriste, dans le cadre du droit commun, avec le rétablissement de contrôles aux frontières, le déploiement de 110 000 policiers, gendarmes et militaires sur le territoire, le vote de la loi Savary et l'examen en cours du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Nous prendrons les mesures qui s'imposent pour assurer la sécurité des stades et des « fans zones » ; nous avons cependant besoin des mesures prévues par l'état d'urgence : il ne s'agit ni de confort ni de facilité, mais bien d'une absolue nécessité.

Nous envisageons de ne pas activer l'article 11 de la loi de 1955. De fait, les perquisitions administratives ne présentent plus le caractère opérationnel qu'elles avaient en novembre 2015. De plus, le Conseil constitutionnel a diminué leur utilité en interdisant la copie des données numériques saisies dans ce cadre.

Cette nouvelle prorogation vise à concilier, encore une fois, protection de l'ordre et respect des libertés : nous espérons que le Sénat, comme sa commission des lois, la votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, sur quelques bancs du groupe RDSE, sur les bancs du groupe UDI-UC et les bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - Nous devons répondre à une question simple : le Gouvernement a-t-il besoin de maintenir l'état d'urgence pour garantir l'ordre public ?

Si l'état d'urgence n'a pas été inscrit dans la Constitution, les trois décisions récentes du Conseil constitutionnel, j'y reviendrai, jettent les bases d'un droit constitutionnel de l'état d'urgence.

Un péril imminent justifie-t-il la prorogation de l'état d'urgence ? Assurément, après les attentats à Bruxelles, là où nos soldats luttent contre Daech en Afrique subsaharienne, mais aussi après la tentative déjouée à Argenteuil.

Même si nous avons appris à vivre un peu avec cette menace, elle demeure actuelle - et je rends hommage aux gendarmes, aux policiers, aux soldats qui assurent admirablement la sécurité des Français. L'organisation de l'Euro et du Tour de France ajoute un risque, observe le Conseil d'Etat dans son avis sur ce texte.

Nous pouvons répondre sans crainte « oui » à la question posée : les conditions sont réunies pour proroger l'état d'urgence. La période est réduite à deux mois parce que notre droit commun est désormais plus efficace. Une CMP se réunit demain sur le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, elle devrait aboutir pour une adoption définitive rapide.

L'état d'urgence signifie-t-il la fin de l'état de droit ? Des forces de l'ordre agissant hors de tout contrôle ? Depuis novembre dernier, Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel ont fixé une jurisprudence. Le premier, estimant que la condition d'urgence était toujours remplie en cas d'assignation à résidence, a ouvert à la personne placée le droit d'aller à l'audience. En cela, il s'est, encore une fois, fait le défenseur des libertés publiques.

Quant au Conseil constitutionnel, il a, dans trois QPC, traité des perquisitions administratives, des assignations à résidence, des limites à la liberté de réunion et de la liberté d'utilisation des données informatiques et papier. Lui aussi est resté fidèle à sa ligne de défense des libertés publiques ; juge sourcilleux, il a veillé à l'articulation entre préservation de l'ordre public et respect des droits et des libertés.

J'invite le Sénat à adopter le texte sans le modifier en lui indiquant que le groupe de travail de suivi de l'état d'urgence se réunira deux fois cette semaine. (Applaudissements au centre, à droite, sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Claude Requier applaudit également)

M. Alain Richard .  - Nous voici de nouveau devant une loi d'exception - ce qui exige gravité, méditation. Des précautions sont nécessaires : les deux chambres du Parlement, en novembre, ont réformé l'état d'urgence en introduisant de nouvelles règles : obligation de motiver les assignations à résidence, participation des magistrats du parquet et des officiers de police judiciaire aux perquisitions, suppression des mesures de contrôle de la presse et association du Parlement au suivi de l'état d'urgence. Le Gouvernement a pleinement joué le jeu de la transparence, M. Mercier l'a évoqué.

Il y a trois mois, certains pensaient proroger l'état d'urgence pour la dernière fois ; d'autres estimaient que l'on pourrait sortir de l'état d'urgence pourvu que les conditions soient réunies. Or si les soutiens dont bénéficiait le groupe qui oeuvrait à Paris et à Saint-Denis ont été éradiqués, d'autres cellules préparent des opérations terroristes. Les sources sont bien dans les théâtres de conflits, Syrie, Irak, Afrique subsaharienne, même si nos forces armées portent des coups à ces groupes criminels. Le péril demeure imminent sans parler du défi que constitue la sécurisation des sites du l'Euro 2016 et du Tour de France. D'ailleurs, monsieur le ministre, les préfets feraient bien d'aller au contact des maires car l'Euro 2016 et le Tour de France se traduiront, à l'étage en dessous, par toute une série d'événements festifs et de manifestations tandis que les forces de sécurité seront sollicitées ailleurs. Il faudra donc une coopération entre préfets et maires et un appel à la prudence afin de ne pas offrir d'autres cibles aux terroristes.

Je salue l'implication sans faille des forces de sécurité en soulignant le risque de surtension de ces hommes et ces femmes qui ne mesurent pas leur temps et leur courage. Comme nous y invite le Conseil d'État, il faut des moyens d'action légaux contre le terrorisme : c'est ce que nous faisons en prorogeant l'état d'urgence. En le votant, monsieur le ministre, nous vous exprimons notre confiance et la volonté très largement partagée dans la Haute Assemblée, d'être du côté de la République et des citoyens pour écarter les menaces qui les visent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Esther Benbassa .  - L'état d'urgence instauré le 14 novembre à la suite des attentats meurtriers, devait prendre fin le 26 mai. Après la tentative avortée de le constitutionnaliser, un énième projet de loi relatif au terrorisme est en passe de renforcer le pouvoir de la police en autorisant perquisitions de nuit, retenue administrative allant jusqu'à quatre heures ou encore assignations à résidence. S'il est adopté, nous pourrions sortir du régime d'exception sous lequel nous vivons depuis des mois.

Certes, on nous propose cette fois-ci un régime allégé, débarrassé des perquisitions administratives. Cela est de pure forme, nullement un retour au droit ordinaire. De fait, les perquisitions administratives ont chuté, après un pic au début de l'état d'urgence et après l'annulation du volet numérique par le Conseil constitutionnel.

À quoi sert l'état d'urgence sans perquisition administrative ? D'abord à prononcer des assignations à résidence sans passer devant un juge. Dans les circonstances de mouvement social et d'effervescence politique que nous connaissons, nous imaginons bien l'exécutif utiliser cette mesure, comme il l'avait fait contre des militants écologistes lors de la COP21.

M. Alain Richard.  - Des casseurs !

Mme Esther Benbassa.  - Quelque 70 personnes sont assignées à résidence depuis novembre sans que l'administration ne parvienne à réunir suffisamment d'éléments pour ouvrir une information judiciaire à leur encontre.

Restrictions de circulation, interdictions de séjour, couvre-feu, dissolutions d'association, interdiction de rassemblement. Ces mesures seraient bien utiles pour, au choix, vider la place de la République de Nuit debout ou les rassemblements de policiers...

On nous parle de l'Euro 2016, mais n'avons-nous pas de mesures contre les hooligans ?

Ces mesures, selon l'exposé des motifs, auraient eu un effet déstabilisateur sur les individus et les groupes soutenant les réseaux des terroristes au-delà du bilan chiffré. Nous voulons bien vous croire, mais rien ne permet de l'affirmer avec certitude. La Belgique, qui a connu des attentats faisant des dizaines de morts, n'a pas instauré l'état d'urgence. Elle a pourtant capturé vivante l'une des chevilles ouvrières des attentats de Paris et de Bruxelles.

Il est temps de mettre fin à l'état d'urgence. Quelle conscience libre n'étoufferait-elle pas dans cette ambiance de contrôles policiers ? Nos concitoyens ont besoin de souffler, de s'exprimer - on ne peut indéfiniment les entretenir dans la peur car la peur se retourne contre ceux qui l'alimentent - voyez la baisse de popularité des responsables politiques. Rendez-nous une France libre avant qu'elle ne se rabougrisse.

La majorité du groupe écologiste - deux de ses membres s'abstiendront et l'un d'entre eux votera pour - votera contre cette prorogation. Ce vote n'est négatif qu'en apparence car la résistance, disait Germaine Tillion,...

M. Alain Richard.  - Quelle prétention !

Mme Esther Benbassa.  - ... consiste à dire non mais dire non, c'est une affirmation très positive. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Jacques Mézard .  - Allons au but : dans notre groupe, MM. Pierre-Yves Collombat et Gilbert Barbier voteront contre, mais la grande majorité votera pour, pour la grande confiance dans l'action que, monsieur Cazeneuve, vous menez ! (On s'exclame à droite)

L'absence des perquisitions administratives et le choix d'une prorogation réduite à deux mois annoncent la fin de l'état d'urgence. On en trouve également des traces dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme - sans revenir sur ce que nous pensons de certains articles de ce texte.

Ce texte est, en quelque sorte, une loi de tuilage pour éviter un vide juridique à la veille d'événements importants d'envergure. En cela, il me donne raison : la constitutionnalisation de l'état d'urgence ne servait à rien ; la loi de 1955 modernisée est compatible avec notre Constitution. Que de débats et palabres médiatiques inutiles ! D'autant que l'opinion publique est versatile.

La loi de 1955, loi de la IVe République qui était respectueuse du Parlement, confie au parlement une fonction de vigie à laquelle nous ne devons pas renoncer. Le péril est-il imminent ? Le Conseil d'état le pense ; cependant, la situation au Proche-Orient et l'ampleur du phénomène de radicalisation dans notre pays fait penser que la menace durera. Si nous ne disposons pas de tous les éléments, notre confiance dans votre action, monsieur le ministre, emporte notre vote positif.

Quelle est l'utilité des mesures de l'état d'urgence contre le terrorisme ? Elle est quasi nulle. L'effet de surprise des perquisitions administratives est émoussé, les assignations à résidence n'apportent pas une neutralisation suffisante pour les plus dangereux. Vous n'avez presque pas eu recours aux autres mesures prévues. Cependant, en cas d'un nouvel attentat, l'opinion publique nous reprocherait de n'avoir pas prorogé l'état d'urgence. Dont acte. Après le triple attentat de Bruxelles, la Belgique n'a pas eu besoin de l'état d'exception.

Je déplore qu'au-delà des textes sécuritaires, on ne donne pas davantage de moyens humains et matériels au Renseignement et aux forces de l'ordre et qu'on ne se préoccupe pas de renforcer la collaboration entre les services de police et de justice.

L'état d'urgence n'est pas un état de convenance mais c'est un état d'illusion de sécurité recouvrée faisant du juge administratif le juge des libertés. J'aurais aimé voter cette loi avec la même conviction qu'en novembre...

Je salue l'action des forces de l'ordre. S'il y a eu des errements, que vous avez d'ailleurs corrigés, monsieur le ministre, les attaques proférées contre les forces de sécurité sont déplacées et choquantes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UDI-UC, Les Républicains ; Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent aussi) Tout attaché que l'on est à la liberté d'expression, comment ne pas être choqué de voir Nuit Debout en plein état d'urgence pour quelques vieux gourous trotskystes qui rêvent de plagier Podemos ? Nos forces de l'ordre ne seraient-elles pas plus utiles ailleurs ? (On approuve à droite)

Mme Françoise Gatel.  - Absolument !

M. Roger Karoutchi.  - Bravo !

M. Jacques Mézard.  - Je forme le voeu que cette prorogation de l'état d'urgence ne soit pas un renoncement, mais l'occasion de rallier nos compatriotes à l'idée que nos institutions n'en ont plus besoin.

(Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UDI-UC et applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Troendlé .  - Je salue l'implication des forces de l'ordre et d'assistance, qui n'ont pas ménagé leurs efforts ! (Applaudissements à droite) L'approche de l'euro 2016, les attentats de Bruxelles, les connections entre groupes terroristes démontrent la nécessité de proroger. Le groupe Les Républicains votera donc ce texte.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour le suivi que vous organisez à Matignon.

Cependant, il nous faudra sortir de l'état d'urgence : le Sénat l'avait proposé en adoptant la proposition de loi, dès février dernier, de Philippe Bas. Une fois encore, le Sénat était en avance, pourquoi ne pas l'avoir suivi ? (Applaudissements au centre et à droite)

Pour assurer la sécurité des stades, nous pourrons aussi prendre les mesures de la proposition de loi renforçant la lutte contre le hooliganisme dont j'étais le rapporteur.

Restent des questions : que compte faire le Gouvernement face aux très nombreuses manifestations sur la voie publique ? Sept policiers blessés à Nantes, des forces de l'ordre malmenées et blessées à Paris. Tiendront-elles physiquement, psychologiquement tout au long de l'Euro ?

Ensuite, le président Retailleau l'avait déjà souligné, qu'en est-il des frontières de l'Europe ? Il faut avancer et vite vers Schengen II !

Enfin, nous avons besoin de mesures fortes contre la radicalisation. Nous prenons note de celles que le Premier ministre a annoncées hier. Il était temps de mettre fin aux expérimentations de déradicalisation très subventionnées et dont l'efficacité était loin d'être démontrée. Nous allons travailler sur le sujet dans le cadre d'une mission d'information, créée par la commission des lois à l'initiative de Mme Benbassa. J'espère que nous alimenterons ainsi votre réflexion.

Le groupe Les Républicains, qui ne saurait se soustraire à ses responsabilités, votera ce texte : la France est grande, la France est forte : la France vaincra parce que les Français sont fiers de leurs valeurs et unis par la mémoire et par l'espérance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Éliane Assassi .  - Monsieur le ministre, cette énième prolongation de l'état d'urgence est un peu surprenante : les mesures prises dans le texte relatif à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme étaient censées la rendre inutile...

Les arguments avancés par le Gouvernement sont approximatifs : l'usage des dispositifs de l'état d'urgence serait mesuré mais nécessaire... Leur caractère disproportionné ne cesse pourtant d'être démontré par les syndicats, les associations, les défenseurs des Droits de l'homme ou nombre de professionnels du droit.

Vous n'envisagez pas de reconduire les perquisitions administratives et ne visez donc que l'assignation à résidence. Que ferez-vous des 68 personnes qui y sont soumises lorsque l'état d'urgence prendra fin ? Soit elles sont dangereuses et il faut les poursuivre, soit elles ne le sont pas et il faut leur rendre la liberté d'aller et venir...

Je n'ignore ni ne nie la menace. En prévision de l'Euro 2016 et le Tour de France, il faudrait proroger l'état d'urgence ? Le Gouvernement a annoncé des renforts pour les forces de l'ordre et une contribution accrue des forces armées. Faudra-t-il le faire pour tous les évènements à venir, les Journées européennes du patrimoine, la braderie de Lille, la Fiac à Paris, la Fête des lumières à Lyon... ou une fête populaire qui me tient à coeur en septembre ?

M. Philippe Dallier.  - La fête de L'Huma...

Mme Éliane Assassi.  - Le Gouvernement met aussi en avant la difficulté croissante à détecter les personnes susceptibles de passer à l'action terroriste... Est-ce à dire que tous les textes répressifs adoptés dans la période récente ont échoué ?

Je suis inquiète face à la fatigue psychologique et physique des membres des forces de l'ordre, dont on peut voir la conséquence dans la gestion regrettable des mouvements sociaux liés à la loi Travail. Le syndicat majoritaire des gardiens de la paix s'inquiète et appelle les policiers à manifester le 18 mai... Comme le dit Éric Fassin, frapper des gens dans la rue parce qu'ils manifestent est contraire aux principes démocratiques. (Mme Françoise Férat, M. Jean-Pierre Grand et Mme Catherine Procaccia s'exclament)

Le Gouvernement s'enlise dans l'ère du soupçon, notre droit commun se mue en droit de la sécurité, comme le montre le projet de loi Urvoas passé jusqu'alors inaperçu... Albert Camus écrivait : si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout.

Des coopérations nouvelles doivent être aussi envisagées et les valeurs républicaines rappelées et vivifiées, liberté, égalité, fraternité.

Nous maintenons fermement notre opposition à la prorogation de l'état d'urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. François Zocchetto .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Ce texte ne mentionne plus les perquisitions administratives, c'est une bonne chose, mais cela ne doit pas laisser penser que le « péril imminent » qu'évoque la loi de 1955 a disparu. La France continue à être une cible prioritaire. Le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats de Bruxelles étaient initialement prévus en France.

L'Euro 2016 et le Tour de France justifient aussi l'état d'urgence, certes ; mais les dates étaient connues et il aurait été possible de le proroger la deuxième fois pour plus longtemps.

Je regrette que ce ne soit pas la rédaction du Sénat du projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme qui ait servi de base à la nouvelle législation ; il aurait permis de sortir de l'état d'urgence. Le Gouvernement ayant choisi une autre voie, il est logique de proroger celui-ci.

Merci au rapporteur Michel Mercier et à la commission des lois pour le travail remarquable qu'ils ont accompli.

Notre groupe votera ce projet de loi. Mais, monsieur le ministre, il a suscité au sein du groupe UDI-UC des doutes plus affirmés que précédemment. J'espère que nous sortirons rapidement de l'état d'urgence, qui doit rester un régime exceptionnel.

Les élus locaux que nous sommes ont pu constater l'efficacité, la détermination, la discrétion, le courage des forces de sécurité. Mais nous sommes inquiets, car elles doivent concomitamment lutter contre le risque terroriste et assurer le maintien de l'ordre lors des manifestations récurrentes.

M. Jean-Louis Carrère.  - Il ne fallait pas diminuer le nombre de policiers et de gendarmes comme vous l'avez fait !

M. François Zocchetto.  - Je regrette d'autant plus l'attitude irresponsable et anticitoyenne, les provocations de quelques activistes dont la République n'a pas besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

À la demande du président du Sénat, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°214 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 309
Contre    30

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

La séance reprend à 16 heures.