Déclaration du Gouvernement sur les opérations extérieures de la France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les opérations extérieures de la France, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Dans un monde instable, la France assume ses responsabilités en engageant ses forces militaires. Répétons d'abord notre gratitude pour nos soldats. Dans la bande sahélo-saharienne, au Levant, en Centrafrique, des soldats français sont tombés, d'autres sont encore sur leur lit de souffrances.

À trois reprises, le Parlement a accepté de prolonger les Opex sur le fondement de l'article 35 de la Constitution. En avril 2013, pour la force Serval au Mali, après les attentats de janvier 2015, en Irak, puis en Syrie.

La France fait face à la guerre, contre les djihadistes. L'obscurantisme, la barbarie ont déclaré la guerre à la civilisation - au sens le plus large du terme. La France n'est pas la seule visée, mais elle l'est parce qu'elle incarne l'universel. Notre ennemi s'est organisé au Levant sous la forme d'un proto-État, il ne connait pas de frontières encore moins dans le cyberspace.

Depuis le 11 septembre 2001, notre monde a changé de visage. Face au péril qui menace la démocratie, l'inaction n'est pas une option. La France marque des points. Au Mali, nous avons évité le basculement dans le chaos et la création d'un bastion djihadiste. Je veux d'ailleurs rendre hommage aux autorités maliennes - pays avec lequel nous partageons tant.

Mais tous ces groupes qui se financent par le trafic peuvent encore être dangereux. La France restera donc présente. Nous ne pouvons pas laisser seuls nos frères africains - nous le redirons au prochain sommet de Bamako.

Avec l'opération Barkhane, quatre mille soldats patrouillent avec leurs camarades africains. Au Tchad, au Mali, au Cameroun, au Nigéria, les agissements de Boko Haram restent très menaçants. En Centrafrique, une guerre civile aurait pu faire exploser le pays. Si Sangaris a bientôt fini son devoir, nous resterons sur place, notamment en poursuivant la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée.

Sans la France, nous aurions aujourd'hui un califat au coeur de l'Afrique - les chefs d'État africains eux-mêmes le disent. La France n'abandonnera jamais l'Afrique, ce continent d'avenir avec qui nous devons relever les défis communs, et en particulier le développement économique.

La France est le deuxième partenaire en Irak et en Syrie avec neuf cents frappes. La bataille de Mossoul est un enjeu stratégique et symbolique. Il faudra réfléchir à son administration après sa libération du joug de Daech. La bataille sera longue et certainement très meurtrière car il y a deux millions d'habitants à libérer.

Les Irakiens sont prêts, ils ont montré leur détermination pour la reconquête de nombreuses villes contrôlées par Daech. La France doit prendre toute sa part à une coalition de plus de soixante pays. Nous pouvons faire confiance à nos soldats de l'opération Chammal, ces visages de la liberté qui méritent notre hommage.

Batterie d'artillerie de cinquante hommes près de Mossoul, groupe aéronaval en Méditerranée orientale : nos forces appuient l'armée irakienne, et je veux rendre hommage à cet instant à l'action de Jean-Yves Le Drian, dont la compétence est unanimement reconnue. Mossoul n'est qu'une première étape. Il faudra ensuite reconquérir Raqqa, cette pseudo-capitale de Daech.

En Libye, l'État islamique a été délogé de Syrte, mais la France doit agir en soutien et en observation. Tout reste à reconstruire : nous n'avons pas su anticiper la chute de Kadhafi. Il faudra poursuivre le dialogue avec le Premier ministre Fayez el-Sarraj, pour stabiliser le pays.

N'oublions pas les 7 000 femmes et hommes de l'opération Sentinelle : il y a un continuum géographique de la menace et donc de la protection sur notre sol de nos concitoyens par la police, la justice et l'armée. Jamais nous ne transigerons avec la sécurité des Français, ici et à l'étranger.

Jamais nous ne priverons nos armées de moyens nécessaires. En 2016, le surcoût des Opex dépassera le milliard d'euros ; il sera financé par le mécanisme prévu dans la loi de programmation militaire. Les menaces vont persister ; nous poursuivons donc la croissance du budget de la défense avec comme objectif 2 % du PIB. Cela doit aussi être compris par nos alliés européens. Aucun membre de l'Union européenne ne peut se sentir à l'abri et donc s'exonérer de ses responsabilités. Nous devons donner une consistance à une Europe de la défense qui doit être capable de projection, avec les ressources qui la permettent. Les débats du Conseil des affaires étrangères montrent que les choses avancent.

Nous allons gagner cette guerre contre Daech ; mais nous n'en auront pas pour autant fini avec le terrorisme. Les guerres continuent de déstabiliser les États, de menacer les minorités chrétiennes et yézidis. La Syrie est le précipité de toutes les fractures qui déchirent le Proche-Orient : la rivalité multiséculaire entre chiites et sunnites ; la résurgence de l'aspiration nationale kurde ; les luttes d'influence entre puissances régionales sunnites ; le jeu russe qui tire profit de l'absence américaine pour rehausser sa puissance et soutenir à bout de bras un régime condamné.

La France a un rôle à jouer, militairement et politiquement. Partout, ce sont des réponses politiques qui régleront les problèmes. La France parle à tout le monde au Levant. C'est peut-être elle qui connaît le mieux la région, grâce aux partenariats stratégiques conclus de longue date avec de grands pays sunnites - Turquie, Arabie Saoudite, Égypte ; elle doit renouer avec l'Iran, grande puissance de la région ; elle parle avec tous les acteurs pour sauver Alep. Des représentants de cette ville sont actuellement à Paris. Elle parle avec la Russie, cette grande nation avec qui elle partage une longue histoire, des affinités et des intérêts communs et avec qui elle sera toujours prête à travailler si elle veut agir pour la paix.

Il faudra aussi engager le dialogue avec la nouvelle administration américaine. En avril 2013, les États-Unis n'ont pas suivi la France qui lui proposait de frapper la Syrie.

M. Gaëtan Gorce.  - Sans l'accord de l'ONU.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre.  - Nous avons cru, avec la fin des blocs que la guerre était derrière nous. La réalité est tout autre. La France assume ses responsabilités ; elle continuera de le faire chaque fois que ses intérêts, que l'équilibre du monde est en jeu.

Nos armées ont besoin de sentir la nation rassemblée derrière elles. Soyons toujours unis. C'est cette union qui fera que la France, pays des libertés, vaincra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ainsi que sur quelques bancs à droite)

M. Bernard Vera .  - Ce débat sur les Opex est important. Le groupe CRC a toujours considéré que le contrôle du Parlement était indispensable. L'article 4 de la loi de programmation militaire qui systématise de tels débats est une bonne chose - même si le calendrier a rendu difficile la consultation du bilan prévu...

Comme l'a montré le rapport d'information de l'Assemblée nationale de décembre dernier, l'engagement des forces françaises a tellement augmenté qu'il dépasse les possibilités théoriques, avec six théâtres d'opération, dont deux où la France est contributeur majeur. Ce sur-déploiement a des conséquences importantes, à commencer par un surcoût de 620 millions d'euros en 2016.

Les opérations encore prolongées impliqueraient l'épuisement des troupes et l'usure du matériel. La question qui se pose est celle-ci : quelle est la sortie de ces Opex ? On peut se réjouir que Sangaris prenne fin avec l'élection d'un président de la République au Centrafrique, et malgré le regain de violence. Les trop nombreuses accusations sur le comportement d'une minorité de soldats et sur la stratégie nous interrogent. Quelles suites à donner contre les plaintes pour viol et violences sur des civils ? Voici là la première conséquence négative de ce surengagement : la France manque d'un matériel adapté.

Chacune de nos Opex devrait avoir pour finalité une solution politique. Le démantèlement de Daech est bien sûr nécessaire, mais il faut prévoir l'établissement d'un État démocratique. Nous le voyons sur le terrain, nous sommes passés des batailles rangées aux combats urbains. Pensez-vous qu'une relance avec le Gouvernement syrien soit possible ? Comment clarifier les relations entre opposition et islamisme radical ?

Je crains le gel d'un front entre les alliés de Bachar El Assad et les autres. La rencontre de Lausanne devrait être l'occasion de renouer le dialogue. Que dire du silence de la France sur l'opération Bouclier de l'Euphrate dans le Nord de la Syrie, alors qu'il semble de plus en plus clair que l'objectif de la Turquie n'est pas de détruire Daech mais d'empêcher la jonction des forces kurdes ?

La politique d'Opex de la France, marquée par un sur-déploiement génère une augmentation des risques. Elle constitue une impasse pour atteindre une paix durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Noël Guérini .  - Comment aborder ce débat avec sérénité ? Comment faire taire le vacarme de la bataille de Mossoul ? C'est impossible. Ce serait faire peu de cas du sacrifice de nos soldats qui risquent leur vie contre des barbares à l'idéologie mortifère. Ce serait oublier que nos concitoyens savent que leur demande de sécurité s'applique autant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

Avoir des cibles, c'est bien, mais avoir les moyens de les atteindre, c'est mieux. Nos troupes s'agacent parfois contre le refus de l'état-major de leur attribuer les moyens nécessaires. Certes, le coût de ces opérations ne représente que 0,25 % du budget de l'État, mais il dépasse de 3 % le budget de la défense. Ne peut-on pas faire mieux ? Sécuriser ces crédits ? Les Opex ne peuvent pas constituer une variable d'ajustement.

Au Sahel, en Centrafrique, au Levant, les forces françaises mobilisent 10 000 hommes. En Irak et en Syrie, ce sont 4 000 sorties aériennes, 600 frappes.

Cela place nos troupes sous une pression difficilement tenable à long terme, d'autant plus que Sentinelle mobilise aussi des moyens et des hommes. Attention à la sur sollicitation des armées - c'est le sens du rapport de nos collègues sur les Opex. Depuis les années 90, la part du PIB consacrée à la défense est passée de 2,86 % à 1,43 %. Or la paix a un prix. Le budget de la défense doit dépasser les 32 milliards d'euros. Ces opérations restent la prérogative du Gouvernement et de la responsabilité du président de la République ; mais sans doute pourrions-nous mettre en place un contrôle parlementaire plus effectif, comme dans d'autres pays, en saisissant le Parlement immédiatement et non trois mois après l'engagement des forces. La présence des armées françaises depuis dix ans sur vingt-cinq théâtres d'opérations depuis l'effondrement d'un monde bipolaire, le rôle de la France dans le monde, tout cela est analysé doctement dans les colloques - et moins doctement sur les plateaux de télévision -, et le Parlement n'en parlerait pas ?

Monsieur le ministre, 2017 est l'anniversaire du traité de Rome, ne l'oublions pas. Il faudra poser les bases d'une défense européenne. Comme le rappelle le rapport d'information de notre assemblée, l'Union européenne n'a aucune compétence en matière d'opérations extérieures, c'est inadapté. Elles sont un recours - même si elles ne doivent jamais être une fin en soi, en respectant le droit international. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Bariza Khiari et M. Jean-Pierre Cantegrit applaudissent également)

M. Joël Guerriau .  - Adressons un message de sympathie à nos soldats. C'est en leur nom que le Parlement doit se saisir des opérations extérieures. Leur périmètre est large, leur définition n'est pas la même selon les pays ; il est difficile de les saisir par le droit.

Les circonstances tragiques éloignent souvent toute remise en question et laissent au président de la République tout pouvoir, à la différence du président des États-Unis ou du Premier ministre britannique, qui ont besoin de l'autorisation, respectivement du Congrès et de la Chambre des communes. Dans un monde où la guerre n'est plus déclarée, la question du consentement du Parlement se pose d'autant plus.

Le débat de ce jour permet de dresser le bilan des Opex. Leurs objectifs ont toujours été atteints, quel qu'en ait été le prix. Aucune n'a été engagée hors du droit international. Assumer ponctuellement la défense de pays aux moyens limités, c'est certes tenir notre rang, mais c'est aussi des économies pour ces pays qui peuvent tout consacrer à leur développement économique.

La France n'a pas hésité à proposer d'intervenir lorsque la ligne rouge des armes chimiques a été franchie. Nous avons vingt avions de chasse en opération. Depuis le 28 août, douze avions Rafale sont engagés au Levant. Durant vingt-et-un mois, les Mirage 2000 ont un bilan impressionnant : mille cinq cents objectifs atteints et des ennemis qui, désormais, se terrent.

L'engagement de l'armée de l'air n'est-il pas à flux tendu ? Le livre blanc parlait de douze et non de vingt avions. Saluons l'importante convention en 2015 de la trajectoire de la loi de programmation militaire. Mais cela suffira-t-il ? Les moyens sont limités et les besoins ne cessent de coûter - ceux de Sentinelle compris.

Le sens de nos interventions en Irak et en Syrie a pour objectif de détruire Daech ; or le recul de Daech nourrit les projets terroristes sur notre sol, selon le procureur de Paris.

La défense est donc un continuum des Opex à la sécurité intérieure. Après le Brexit, nous serons la seule puissance militaire de l'Union européenne. Demandons une reconnaissance de ce rôle de pivot, qui pourrait prendre la forme d'un rabais sur la contribution, qui aiderait la France à atteindre l'objectif de 2 % du PIB. Merci pour ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; MM. Daniel Reiner et Jacques Gautier applaudissent également)

Mme Leila Aïchi .  - Le 25 mars dernier, nous débattions des opérations intérieures ; aujourd'hui, c'est l'international. Mon groupe salue l'engagement de nos soldats ici et là-bas, en particulier à Mossoul.

Ils sont la première richesse de nos armées contre la menace barbare, qui fait fi des frontières. Ils sont de plus en plus mobilisés : Sahel, Levant, Océan indien. En juillet 2016, un peu plus de six mille hommes. S'il y a des désengagements, comme Sangaris, il y a aussi de nouvelles crises.

Deux questions s'imposent à nous : la pertinence des Opex, d'abord. Pourquoi sommes-nous si engagés et souvent en première ligne ? Sans préjudice des mérites de Jean-Yves Le Drian et de l'état-major, il est impossible de ne pas s'interroger. Empêcher la victoire du terrorisme au Mali, apporter la paix en Centrafrique, tout le monde y adhère. Chammal, avec une absence de vision politique, n'a pas fait l'objet d'un tel consensus. Il faut combattre Daech, bien sûr, mais avec l'inaction de la communauté internationale, nous sommes face à un régime syrien en bonne position.

Arc-boutés sur une vision restrictive de l'Orient, notre voix est devenue inaudible ; notre manque de vision a conduit à l'impasse, un pays dévasté, des millions de victimes et de personnes jetées sur les routes. Sur le terrain, une intervention militaire est un premier levier, mais n'agit en rien sur les causes profondes d'un conflit. C'est en substance le propos du général de Villiers. En bref, gagner la guerre, ce n'est pas gagner la paix.

Ce qui pose une deuxième question : celle des moyens. Avez-vous ceux d'être les gendarmes du monde ? La multiplication des Opex nous place dans une situation délicate. Selon le rapport d'information, nous avons dépassé nos capacités opérationnelles. Les Opex coûtent plus d'un milliard d'euros par an au budget de l'État depuis 2011 !

On ne peut continuer ainsi, ni éluder la question d'une défense européenne. La crise que traverse l'Union est l'occasion de relancer le chantier. La clause de solidarité du traité de Lisbonne ne suffit pas et la défense européenne ne saurait être une clause de style. Il est temps de se doter d'une doctrine et d'une réponse capacitaire commune, pour redonner à l'Europe sa stature, pour refonder une Europe humaniste, de coeur, une Europe de valeurs, entendue dans le concert souvent bruyant des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Michelle Demessine applaudit aussi)

M. Jeanny Lorgeoux .  - Saluons nos soldats en mission, dévoués, parfois jusqu'au sacrifice suprême.

Il est loin le temps où les Opex étaient le bras armé du colonialisme, ou l'épée protectrice de despotismes exotiques : ce sont désormais les étendards de la paix. Alors que la bande sahélo-saharienne menaçait de s'embraser, la France a stoppé net l'odyssée barbare des djihadistes en route pour Bamako, et, au nom des Nations unies et avec ses partenaires africains, aidé les États à reconquérir leur souveraineté. Car oui, l'intervention militaire est le prélude à la restauration de la paix. Au Mali, alors que l'État se désintégrait, notre armée a ouvert la voie au redémarrage politique et institutionnel. Elle a interrompu la descente aux enfers de la jeunesse et la propagation de la terreur. Depuis juillet 2014, quand Barkhane succède à Serval, 3 000 soldats ont mené 800 opérations spéciales, annihilé les sanctuaires d'Aqmi et Boko Haram. Avec ceux du G5 Sahel et de la Minusma, nos soldats, malgré la porosité des frontières, ont mis hors d'état de nuire 200 sectateurs de l'horreur intégriste.

L'opération Barkhane constitue un levier majeur de l'éradication du terrorisme dans la région.

En République centrafricaine aussi, l'opération Sangaris a mis fin au cycle infernal des guerres civiles, permis la tenue sans incident d'une élection présidentielle et, grâce à la sécurisation des principales artères, contribué au raffermissement du cadre étatique.

Le retrait de nos troupes est désormais engagé, preuve que l'intervention était non une opération néocolonialiste mais une oeuvre de concorde. L'archevêque de Bangui vient d'ailleurs d'être nommé cardinal, lui dont l'entente avec l'imam et le patriarche ont tant contribué à éteindre le feu... Sur les rives de l'Oubangui, le bouclier de nos 900 soldats a fait oeuvre de paix, aujourd'hui relayé par quelque 12 000 casques bleus.

Au passage, l'ONU serait bien inspirée de modifier la doctrine d'emploi de ses troupes, qui doivent pouvoir réagir en cas d'attaque, de projeter, dialoguer avec la population, se familiariser avec le terrain au lieu de rester cantonnées dans leurs casernes - bref, pardon du néologisme, se « sangariser ».

Après la terre, la mer. La mer qui nous sépare et nous réunit, la mer qui nourrit et qui développe... Au large de la corne de l'Afrique, notre marine, avec d'autres, a défait les pirates et rétabli la liberté de naviguer. Dans le golfe de Guinée, elle combat la pêche illicite, le trafic de drogue, le détournement de pétrole, et les forces africaines peuvent s'appuyer sur notre expertise.

En Orient, volte-face et renversements d'alliance obscurcissent la lecture des événements. Nos alliés américains n'ont-ils pas reculé devant l'obstacle, laissant la France aux avant-postes ? La Russie, après avoir habilement déployé un rideau de fumée diplomatique - j'entends encore les propos de son excellence Orlov - ne s'est-elle pas lancée dans un soutien de fer et de feu à M. Bachar-el-Assad ? La Turquie, déstabilisée au-dedans, ne fait-elle pas cause commune aujourd'hui avec la Russie pour mieux lutter contre les Kurdes, à l'intérieur et à l'extérieur, et assurer ses approvisionnements énergétiques ? Et que dire de l'Iran, tout à son leadership chiite, de l'Irak, en quête de cohérence gouvernementale, de liberté religieuse et d'intégrité territoriale ? De la Syrie, en proie au chaos ?

Dans cet écheveau embrouillé, la France, parce qu'elle défend des valeurs universelles, est droite dans ses bottes. Sans faiblesse et sans haine, elle ne ménage pas sa peine. Au Mali, en Libye, en Syrie, nos diplomates n'ont de cesse de parler à tous sans relâche. Erbil, Alep, Mossoul sont loin, mais c'est l'honneur de la France que d'avoir refusé de rester muette face à l'ignoble bombardement de Damas au gaz sarin. Notre pays est un partenaire loyal de la coalition, et s'attache à détruire la matrice du terrorisme, sans tapis de bombes mais en ciblant ses frappes.

Par la justesse et la célérité des décisions prises par le président de la République, par votre engagement, messieurs les ministres, par la loyauté et l'abnégation de notre armée, la France a tenu son rang. Je voudrais associer à cet hommage l'ensemble des parlementaires qui ont voté les budgets nécessaires à son rayonnement. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE et sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Robert del Picchia .  - Au nom de mon groupe, je regrette que ce débat ne soit pas organisé sur le fondement de l'article 4 de la loi de programmation militaire, jamais mis en oeuvre. Pourquoi, de plus, l'urgence de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour ? Pour relégitimer le Gouvernement alors que les Opex bénéficient généralement d'un large soutien ?

Elles témoignent de l'engagement de nos armées et de l'excellence de notre outil militaire, qui permet à notre pays de maintenir son rang dans le concert des nations.

Les récentes Opex conduites par la France ont été couronnées de succès, organisées dans le respect du droit international et des populations civiles. Il faut le saluer, et rendre hommage au courage de nos soldats, dont la valeur, le professionnalisme et l'expérience assurent la réussite de nos opérations.

Il importe toutefois de réduire l'exposition de nos forces. Cela passe par des coalitions, par la recherche préalable de solutions pacifiques, et par de nouveaux moyens opérationnels. La situation du budget de notre défense est délicate. La France est depuis l'année passée en état d'urgence à l'intérieur et en guerre à l'extérieur, mobilisant 10 000 à 15 000 de nos soldats simultanément. Nos hommes sont éprouvés de même que nos matériels. Sentinelle accapare 10 000 autres militaires depuis janvier 2015, ce qui pèse sur l'entraînement et le budget de nos armées. Le dispositif doit évoluer dans sa doctrine, et être diminué quantitativement...

Les ressources affectées à nos troupes doivent évoluer en proportion des efforts demandés, d'autant plus que depuis la fin de la guerre froide, jamais le monde n'a été plongé dans une telle incertitude : 32 milliards d'euros, cela ne suffit plus. Le rapport de Legge y reviendra bientôt.

L'actualisation de la loi de programmation militaire a amorcé une prise de conscience, mais nous restons loin du compte, le seuil de 2 % du PIB n'est qu'un minimum...

La France ne doit plus assumer seule le prix du sang. La vague d'attentats a déclenché une dynamique de solidarité bienvenue de la part des Européens, mais il serait bon que cela se traduise concrètement, par des contributions en hommes ou en matériel ou par un soutien financier.

C'est l'avenir qu'il faut préparer dès maintenant, en donnant à nos armées les moyens d'assumer les lourdes tâches que nous leur confions. (Applaudissements)

M. David Rachline .  - Je veux moi aussi saluer l'engagement sans faille de nos militaires, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Selon le site de l'état-major, nos troupes sont engagées sur six théâtres. J'insisterai cependant sur les opérations Chammal et Barkhane. Au passage, monsieur le ministre, le Parlement n'a autorisé l'engagement que de troupes aériennes et non terrestres, il doit être à nouveau consulté.

L'opération Barkhane est l'occasion de réparer les erreurs passées... La chute du régime libyen, commanditée par Nicolas Sarkozy et Alain Juppé a déstabilisé le pays. La guerre est le prolongement de la politique par d'autres moyens, disait Clausewitz, or quels sont nos objectifs politiques sur la plupart de ces théâtres ? Nous libérons Mossoul, et après ? Est-ce seulement pour plaire à l'oncle Sam ?

Nous combattons Daech qui nous fait la guerre, direz-vous. Certes, mais les attentats ont été en partie fomentés depuis notre sol dans des quartiers qui échappent à la loi de la République ! Il est donc temps de prendre des mesures internes vigoureuses : contrôler nos frontières, faire appliquer la loi de la République, en particulier contre les prêcheurs de haine, soutenir nos forces de sécurité intérieure.

Malgré le ralentissement de la baisse des effectifs et équipements de nos armées, nous restons loin du compte. Voilà longtemps que nous demandons la constitutionnalisation du chiffre de 2 % du budget consacré à la défense. Encore faudrait-il avoir recouvré notre souveraineté budgétaire...

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères .  - Je veux à mon tour rendre hommage à nos soldats, aux morts, aux blessés, à tous ceux qui accomplissent leur mission avec professionnalisme et courage.

Notre commission était à l'initiative de l'article 4 de la loi de programmation militaire, qui impose un débat annuel sur les Opex devant le Parlement. Car une fois l'autorisation donnée de prolonger une Opex, après quatre mois, les assemblées n'étaient plus consultées... Enfin, ce débat a lieu. Mais où est, monsieur le ministre, le bilan écrit que nous étions en droit d'attendre ? Heureusement, notre commission des affaires étrangères a livré son propre rapport.

Premier enseignement : la nécessité d'une approche globale et non seulement militaire des conflits. Nos Opex récentes ont été des succès militaires, respectueux de la légalité internationale et conformes à notre tradition interventionniste. Mais il est difficile de passer le relais à des forces régionales ou multinationales, ce qu'on appelle une bridging operation. Il faut obtenir des Nations unies qu'elles adaptent le mandat des casques bleus pour faire face à des actes de guerre.

Dans quelques jours prendra fin l'opération Sangaris, ce dont on peut se féliciter. Espérons cependant que nous n'aurons pas à revenir dans quelques années : le rôle des troupes de l'ONU et des formateurs de l'Union européenne sera déterminant, et il faudra oeuvrer à la reconstruction politique et économique du pays, « gagner la paix après avoir gagné la guerre », comme disait le général de Villiers. Faute de quoi, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Autant que possible, il faut privilégier la prévention, en Tunisie par exemple.

Notre rapport propose une approche complète : plus de politique, plus de développement, plus d'économie, la nomination d'un haut représentant par théâtre, plus d'aides directes et moins de prêts...

Deuxième enseignement : le manque de solidarité en Europe. Nous avons besoin que nos alliés européens nous aident à assurer des missions de sécurité qui profitent au continent entier. Nous attendons donc des annonces fortes lors du Conseil européen de décembre : formation des armées locales, équipements des troupes, aide au développement...

Troisième constat, la suractivité des armées et sa conséquence, l'usure du personnel et des équipements. La fin de la déflation des effectifs ne se fera sentir qu'à la fin 2018. Le programme Scorpion doit être accéléré pour remplacer les équipements qui doivent l'être, car il s'agit de la vie de nos soldats. Pour porter notre effort budgétaire à 2 % du PIB en 2025, il faudra faire des efforts importants, dès 2017.

Dernier constat : la nécessité de renforcer le contrôle parlementaire. Il ne s'agit pas de bouleverser le dispositif de l'article 35 modifié en 2008, qui a trouvé un juste équilibre, mais enfin, après quatre mois, le Parlement n'est plus associé : c'est doter les Opex d'une clause d'éternité ! Espérons que le présent débat deviendra régulier.

Alors que nous sommes engagés dans la bataille de Mossoul, il faut bien voir que la solution ne pourra être que politique : consensus national introuvable, conflit sunnite-chiite, concurrence des puissances régionales, quelles solutions faudra-t-il retenir et comment y parviendra-t-on ? Au-delà des armes, c'est notre diplomatie qui doit parler. (Applaudissements au centre et à droite)

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire .  - Plusieurs d'entre vous se sont interrogés sur les raisons du présent débat. Le Gouvernement s'attache à rendre compte régulièrement au Parlement de l'engagement de nos forces armées, alors que la menace est vive et les déploiements très importants. Ce débat d'ensemble, très bienvenu, résulte de l'article 4 de la loi de programmation militaire. Il est de nature à renforcer le lien entre la nation et ses armées.

S'agissant de l'intervention en Syrie, le Gouvernement a exclu d'emblée l'envoi de troupes au sol, refus réitéré lors du vote de prolongation du 25 novembre 2015. La même distinction n'a pas été faite à propos de l'intervention en Irak, où le Premier ministre a explicitement indiqué que les modalités de notre intervention pourraient évoluer. Depuis des mois, des éléments terrestres de formation et de soutien sont déployés en Irak. La présence d'une unité d'artillerie à Mossoul n'en est que le prolongement, il n'y a donc pas lieu de solliciter un nouveau vote du Parlement.

La France intervient-elle trop ? Nos Opex procèdent de nos intérêts et de la responsabilité d'un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Au total, 30 000 de nos militaires sont déployés. Levant, Sahel, Libye... Ces théâtres sont liés depuis le début des années 2000. Nous contribuons aussi à la police des mers, via les opérations Atalante et Sophia. Toutes contribuent à tarir les sources du terrorisme.

Au sein de la FINUL au Liban, la France est restée avec 700 hommes un contributeur important. C'est un signal envoyé à ceux qui voudraient déstabiliser ce pays ami. Nous sommes également engagés en République centrafricaine où la situation sécuritaire est suffisamment sous contrôle pour que la transition ait été engagée. Le succès de la mission n'était pourtant pas assuré, mais le pays a pu se choisir un président dans des conditions de transparence avérées. Trois de nos soldats ont malheureusement perdu la vie sur place, plusieurs ont été blessés. Avec des effectifs réduits, jamais plus de 2 500 hommes, nous avons atteint l'objectif fixé, et nous continuerons à soutenir la Minusca par déploiement de drones dans un premier temps.

Voilà qui montre que nous savons clôturer une opération.

Monsieur Vera, la France pratique une politique de tolérance zéro en matière de violences sexuelles. Trois enquêtes sont en cours, mais aucun soldat n'a pour l'heure été mis en examen.

Risque-t-on la surchauffe ? Le Livre blanc prévoit un niveau d'engagement proche de l'actuel ; la projection fait partie des fonctions stratégiques à assurer. Peu de pays dans le monde en sont capables. Mais il est vrai que son coût est élevé : 1,1 milliard d'euros, en 2015, de même en 2016. Le bouclage financier n'en sera pas moins assuré.

Nous avons pris les mesures pour renforcer la force opérationnelle terrestre pour relever le défi d'une double menace intérieure et extérieure. Les décisions arrêtées en Conseil de défense en 2015 sont en cours de mise en oeuvre.

D'aucuns suggèrent de porter le budget de la défense à 2 % du PIB ; je me réjouis que le renforcement de notre défense fasse désormais consensus. L'article 6 de la loi de programmation militaire prévoit une telle cible tendancielle, cohérente avec les engagements pris à Newport en 2014. Le budget de la défense est en 2016 de 39,7 milliards d'euros pensions comprises, soit 1,8 % du PIB ; 3,8 milliards d'euros supplémentaires y seront alloués d'ici 2019. En 2017, 600 millions d'euros s'ajouteront par rapport au projet de loi de finances initiale pour 2016. Aux recettes exceptionnelles multipliées par la majorité précédente, nous préférons des crédits budgétaires bien réels.

La Russie, monsieur Lorgeoux, mobilise ses avions de chasse et son artillerie en Syrie. Face à la violation des principes de maintien de la paix et aux intimidations, nous devons rester fermes. Depuis l'annexion de la Crimée, elle ne cesse d'éprouver les réactions occidentales. Mais nous restons ouverts au dialogue, dès lors qu'elle fait le choix de la responsabilité. Jean-Yves Le Drian s'est d'ailleurs rendu à Moscou en décembre 2015 pour évoquer la lutte contre Daech. Hélas, on le voit tous les jours à Alep, les forces russes se concentrent sur de tout autres objectifs que Daech... Nous devons maintenir le dialogue pour servir nos objectifs communs, tout en étant fermes sur nos valeurs.

Pourquoi intervenons-nous au Levant ? Pour vaincre Daech, ce qui suppose d'abord de le défaire militairement, de détruire ses infrastructures et de reprendre les territoires qu'il a occupés en 2013 et 2014. Il faut aussi renforcer les forces de sécurité irakiennes et kurdes pour contrer le terrorisme plus durablement. Enfin, il faut soutenir la réconciliation civile en Irak, pour éviter la résurgence de forces extrémistes.

Quelle politique de défense européenne ? Après les attentats, la France a évoqué l'article 42.7 du Traité, les Européens nous ont soutenus.

Au-delà, nous voulons une Europe autonome, renforçant ses actions, hors de ses frontières, prenant ses responsabilités, pour lutter encore plus efficacement contre le terrorisme : nous devons pour cela mener la stratégie globale définie en 2015, avec des outils adaptés -  à l'échelle européenne. Les ministres français et allemand de la défense ont fait une proposition de relance, à la demande du président de la République et de la chancelière, pour établir une défense européenne globale, réaliste et crédible : chaque mot a son importance.

Le Brexit aura une incidence, mais nous devrons continuer à travailler avec les Britanniques, seule autre puissance nucléaire européenne, dans le respect du traité de Lancaster House.

Notre engagement dans les Opex est à la hauteur des enjeux et des menaces que nous connaissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs autres bancs à gauche et au centre)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Merci pour ce débat approfondi, à hauteur de la situation : nous avons un devoir de transparence, à l'égard de nos soldats déployés en opérations comme de nos concitoyens.

Vous m'interrogez sur la Syrie, où la situation est des plus graves - au-delà même d'Alep -. Les propositions russes d'une trêve de quelques heures ne devront tromper personne : l'objectif est bien de détruire méthodiquement la deuxième ville de Syrie. Jean-Marc Ayrault a rappelé hier ici même nos efforts, dans toutes les enceintes, et en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies, pour mettre fin de manière durable et soutenable à ces bombardements. Monsieur Véra, vous évoquez avec raison la proposition française de construction d'un mécanisme robuste de vérification de la cessation des hostilités, mais elle est hélas bien loin.

Le dialogue avec la Russie est constant, nous disons aux Russes ce que nous pensons de leurs agissements sur le théâtre syrien. Ce soir même, le président de la République, la chancelière Merkel et le président Poutine évoqueront la Syrie à Berlin : nous espérons que les Russes reverront leur position et oeuvreront avec nous à une solution, politique durable. Nous y travaillons en tout cas.

Oui, Madame Aïchi, la réponse politique est bien notre priorité, et nous en discutons avec l'ensemble de nos partenaires régionaux, qui souffrent également de ce conflit. L'outil militaire ne saurait suffire, mais nous devons lutter contre l'organisation qui a planifié les attentats en France : ce n'est qu'une première étape.

La Turquie, très exposée au conflit syrien, accueillant sur son sol plus de trois millions de réfugiés et confrontée à une grande instabilité à sa frontière méridionale, a le droit de se défendre contre le terrorisme, mais de manière proportionnée et dans le cadre de la légalité internationale. Jean-Marc Ayrault conduira des consultations la semaine prochaine avec ce pays.

Nous devons tout faire pour installer une gouvernance inclusive dans les zones libérées par Daech, où chaque communauté puisse trouver sa place, et susceptible de délivrer les services de base dont la population a besoin. Et je n'oublie pas l'aspect humanitaire. La France se mobilise, aujourd'hui, pour épargner le plus possible de souffrances aux populations civiles de Mossoul.

Le flux de combattants étrangers français revenant des théâtres d'opérations syro-irakiens est maintenant maîtrisable, c'est le fruit de nos efforts.

L'Europe de la défense passe par des outils transnationaux, la France et l'Allemagne ont fait des propositions que nous espérons concrétiser au prochain Conseil européen de décembre.

Le Parlement est saisi de chaque nouvelle Opex, vous adoptez le budget et le contrat pluriannuel : vous êtes les garants de l'adhésion de la Nation aux choix militaires de notre pays : je souhaite que le dialogue se poursuive ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La séance est suspendue de 18 h 25 à 18 h 35.