Contrats de ressources

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Hervé Poher et les membres du groupe écologiste (demande du groupe écologiste).

M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution .  - Un contrat de ressources, c'est une démarche, conciliant les principes pollueur-payeur et consommateur-demandeur-payeur, issue du terrain, qui veut que tous les consommateurs d'une eau participent à sa protection. C'est bien souvent le cas, me direz-vous. Oui, mais pas toujours.

« Contrat de ressources », les mots sont sans doute mal choisis, car il s'agit moins d'un outil technico-administratif que d'un rêve de solidarité territoriale - souvent de l'urbain vers le rural.

L'eau, même quand on ne la boit pas, mérite d'être protégée, et nous sommes coresponsables de certaines dérives. Agriculture, industriels, citoyens, nous sommes tous un peu responsables car nous sommes tous un peu utilisateurs et consommateurs.

Pourquoi cette proposition de résolution ? Après tout, les agences de l'eau sont omniprésentes et les syndicats font leur travail. Mais si tout était parfait, nous aurions respecté l'échéance de 2015 fixée dans la directive-cadre sur l'eau ; elle a été repoussée à 2021, et le sera sans doute à 2027... Les maîtres d'ouvrage ne se poseraient pas de questions.

Pourquoi une proposition de résolution, et non de loi ? Parce que le sujet mérite d'être peaufiné et confronté aux multiples situations locales. Lorsqu'un syndicat ou un EPCI est chargé de l'eau, que l'assainissement est réalisé sur son territoire, que tous les consommateurs y habitent, pas de problème. Mais tous les EPCI n'ont pas pris cette compétence, toutes les communes ne font pas partie d'un syndicat.

Par exemple, la ville de Guînes ne tire aucun avantage du champ captant situé sur son territoire. Est-il normal que 5 000 Guinois paient pour 100 000 consommateurs ? Non, et c'est pourquoi nous avons imaginé un contrat de ressources.

Autre exemple, la communauté urbaine de Dunkerque va chercher de l'eau à 40 kilomètres, dans un village de 1 000 habitants. Elle a eu l'intelligence et l'honnêteté de dire : « J'ai besoin de votre eau, je vais vous aider à la protéger ».

Protéger un champ captant est souvent coûteux. Et les démarches environnementales ne sont pas un automatisme pour les élus, surtout quand elles ne se voient pas. Avec 80 % de subventions, on ne réfléchit pas, on fait...

Un contrat de ressources, on y met ce que l'on veut : montant de la participation au mètre cube, même une fraction de centimes - cela peut suffire à rembourser les emprunts ; taux d'intérêt et terme de l'emprunt et, même, liste des entités exonérées pour telle ou telle raison.

« Les gens en ont marre de payer » ? La solidarité ne saurait être à sens unique. J'ai ici une facture d'eau du 10 novembre 2016 (L'orateur la brandit), de 267 euros, avec une « surtaxe contrats de ressources » de 27 centimes... Ridicule ? Un demi-centime sur des dizaines de milliers de mètres cubes, ce n'est pas négligeable !

Cette proposition de résolution est l'émanation du terrain. J'ai la faiblesse de penser qu'une mesure venant d'en bas, testée et assumée, ne peut être entièrement mauvaise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

Mme Évelyne Didier .  - Quel beau plaidoyer !

L'eau est le bien commun de l'homme, il convient d'en garantir à tous l'accès. Depuis les lois Maptam et NOTRe, la compétence Gemapi fait partie des compétences obligatoires du bloc communal et, plus particulièrement, de l'intercommunalité. Cette proposition de résolution prévoit de généraliser les contrats de ressources, qui permettraient de regrouper des EPCI sur un même champ captant. Fort bien, et nous adhérons au principe du partage de l'investissement, mais les outils existent déjà. Faisons confiance aux élus pour trouver des solutions au plus près du territoire. Le facteur déterminant, c'est la volonté politique ! La préservation de l'eau est déjà reconnue comme prioritaire par la loi et la directive-cadre sur l'eau. Les agences de l'eau y veillent. Les situations sont diverses, les structures nombreuses de même que les documents programmatiques qui sont opposables aux documents d'urbanisme.

Nous nous interrogeons sur le parallèle avec la taxe Gemapi, celle-ci étant payée par les contribuables et non par les usagers. Si un besoin n'est plus financé en raison du désengagement de l'État, faut-il mettre les usagers à contribution ?

L'État prélève chaque année une part du fonds de roulement des agences de l'eau. Demandons au Gouvernement de mettre fin à ces ponctions d'autant que les agences doivent désormais protéger aussi la biodiversité terrestre ! Hier encore, les salariés de ces agences étaient en grève. Les départements, recentrés sur leurs compétences sociales, ne peuvent plus aider les communes... Les financements croisés avaient du bon !

Plus largement, je regrette que cette proposition de résolution ne traite que d'une petite partie des enjeux fondamentaux d'une maîtrise publique du secteur. Ni une résolution ni une loi ne peut résoudre les problèmes d'un territoire où la volonté politique manque.

Mme Mireille Jouve .  - La reconquête de la qualité de l'eau, patrimoine de l'homme indispensable à la vie, est indispensable. Qualité et quantité ne doivent pas être dissociées. L'absence de prévention efficace entraîne des surcoûts pour le traitement de l'eau ; les efforts de contractualisation avec les agriculteurs commencent à porter leurs fruits. Mais seuls 60 % des 34 000 captages de France sont protégés par le périmètre imposé par la loi du 3 janvier 1992. Chaque année, des captages ferment en raison de la présence de nitrates et de pesticides. Le coût des travaux de protection est prohibitif pour certaines communes, alors que les captages alimentent d'autres communes.

Jusqu'ici, il est interdit de compenser aux collectivités le préjudice économique important résultant des servitudes liées à des périmètres de protection des captages d'eau. En 2011, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l'environnement, encourageait ici la conclusion d'accords entre collectivités territoriales. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), en décembre 2012, recommandait à son tour la solidarité territoriale.

Il paraît équitable de faire contribuer les collectivités qui tirent bénéfice de l'utilisation des captages situés hors de leur territoire. Les contrats de ressources permettraient de financer des travaux de protection des captages ; leur traduction sur la facture des ménages sera pédagogique. Une étude d'impact serait néanmoins indispensable avant toute généralisation.

Enfin, est-ce le bon moment pour présenter cette proposition de résolution, alors que cette compétence relèvera bientôt obligatoirement des EPCI ? Faut-il imposer une obligation ?

Le groupe RDSE ne s'opposera pas à cette proposition de résolution, plusieurs d'entre nous la voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et écologiste)

Mme Annick Billon .  - Les contrats de ressources organisent la captation et la distribution de l'eau potable, en en répartissant la charge entre tous les usagers. Sont surtout concernées les petites structures.

En Vendée, depuis plus de cinquante ans, une solidarité territoriale est mise en oeuvre entre les communes aux moyens faibles ou importants ; le syndicat Vendée-Eau est souvent cité en exemple. Ce sont bien les usagers qui financent.

La proposition de résolution tend à généraliser une solution technique qui ne profiterait donc pas à tous les départements. La répartition des volumes d'eau proposée peut être source de blocage. Si l'on veut que le système d'une gestion collective fonctionne, la collectivité qui oeuvre doit être bénéficiaire unique de l'attribution du volume, comme c'est le cas dans un barrage d'eau potable.

Second point : les compétences Gemapi ne portent ni sur l'agriculture, ni sur l'industrie, ni sur l'assainissement. En Vendée, l'objectif de teneur en nitrate varie selon l'objectif. Il importe donc de savoir sur quelle base mutualiser les coûts.

Enfin, la solidarité entre l'amont et l'aval existe avec les SAGE ainsi que les regroupements encouragés par la loi NOTRe autour des deux niveaux que sont les Epage et les EPTB.

Enfin, peut-on assujettir les collectivités à des obligations, donc à des charges, tout en se déclarant attaché au principe de libre administration des collectivités ?

L'intention est louable mais le dispositif et ses modalités peu clairs. D'où des votes différenciés au sein du groupe UDI-UC. (Applaudissements au centre)

M. Hervé Poher .  - J'entends, mais il ne s'agit que d'une résolution... Splendeurs et misères d'un élu local : ma première réunion importante en tant que maire eut lieu trois jours après mon élection, sur le champ captant de Guînes. On me disait qu'il fallait revoir tout le système d'assainissement, bâtir une seconde station d'épuration, déplacer une exploitation agricole, et même un cimetière millénaire que j'avais contribué à alimenter en tant que médecin... Un mois plus tard, les mêmes interlocuteurs - je les appelais mes « tortionnaires » en privé - évaluaient le coût des travaux à 30 millions d'euros hors taxes, soit deux fois le budget annuel de ma commune ! Et cela, pour protéger de l'eau bénéficiant à 98 % à des personnes n'habitant pas dans la commune ! Même si je voulais être un chevalier blanc de l'eau, il y avait là de quoi me faire réfléchir... Eh bien, grâce à un contrat de ressources et à une surtaxe de 3 centimes par litre, tout a été fait.

Les objectifs de la directive-cadre sont nobles, mais nous n'y arriverons qu'en nous en donnant les moyens. Un contrat de ressources n'est qu'un outil pour encourager les bonnes volontés locales. Le juge de paix, c'est le résultat !

Incitons la dynamique, tutoyons l'efficacité et osons le résultat ! Pourquoi pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Claude Raynal .  - Toute production de service a un coût, l'eau n'y échappe pas. La législation en la matière est riche, de même que la jurisprudence administrative et le règlement. Malgré tout, la répartition des coûts n'est pas équilibrée, nous dit-on, et il faudrait généraliser les contrats de ressources. Nous comprenons l'objectif. Des outils existent déjà, toutefois, les collectivités territoriales ont fait preuve d'ingéniosité pour mutualiser les charges, et d'abord par le biais des syndicats. Dans d'autres cas, une commune productrice organise une vente d'eau, ce qui répartit les coûts sur tous les usagers.

Le coût de production de l'eau potable diffère grandement selon les lieux, car elle dépend de nombreux facteurs.

Les agences de l'eau sont là pour favoriser une gestion équilibrée et économe, par bassin versant, ce qui contribue à réduire les écarts de tarifs.

Certaines collectivités ont l'impression de subir le coût des travaux bénéficiant à d'autres. Mais au-delà de la protection des captages, les travaux destinés à préserver la qualité de l'eau sont toujours cofinancés par les agences de l'eau.

La compétence devant désormais appartenir aux EPCI - sans mettre en cause les syndicats départementaux, cela rendra les difficultés plus rares.

La mutualisation des coûts sur une grande échelle est un facteur d'équité entre villes et campagnes.

La loi NOTRe date d'à peine un an, donnons-nous le temps de l'évaluer. En outre, cette proposition de résolution pourrait être contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Le groupe socialiste et républicain choisi l'abstention bienveillante...

M. Rémy Pointereau .  - Je me réjouis que le Sénat se saisisse une nouvelle fois du sujet de l'eau, après avoir examiné le rapport Tandonnet-Lozach et le mien. Un milliard de mètres cubes de fuites par an, en raison de la vétusté des canalisations, de la pression de l'eau qu'elles contiennent, du mouvement des sols..., c'est préoccupant. Des investissements lourds sont nécessaires pour rénover les réseaux.

La compétence Gemapi appartient au bloc communal. Vous proposez que, grâce aux contrats de ressources, tous les usagers participent au financement des travaux. Je partage l'objectif, même si j'aurais souhaité une définition plus claire des contrats de ressources... Surtout, vous ne vous posez pas les vraies questions. « Les aides accordées par les agences de l'eau ne suffisent pas », écrivez-vous. Pourquoi ? Parce que, depuis 2015, l'État ponctionne chaque année leurs fonds de roulement, et diminue leur budget depuis trois ans. Depuis 2014, ce sont plus de 500 millions d'euros qui leur ont manqué ! Autant que les agences auraient pu allouer aux collectivités territoriales... La loi Biodiversité a en outre étendu leur compétence à la biodiversité terrestre. On leur demande de faire plus avec moins ! Selon moi, l'eau doit payer l'eau. Hier, le personnel des agences de l'eau est d'ailleurs entré en grève.

Autre problème : la compétence Gemapi, qui va alourdir la charge des collectivités territoriales... et des contribuables. Sans compter la compétence eau et assainissement du ressort des communautés de communes à compter de 2020 du fait de la loi NOTRe.

Mieux vaudrait rendre cette compétence aux régions et aux agences de l'eau. Les communes et leurs groupements n'en ont pas les moyens.

Limitons l'inflation des normes, fixons des objectifs réalistes, menons une large concertation avec les élus et la société civile. Plutôt que de ponctionner les contribuables, la péréquation doit se faire au niveau de l'État, des collectivités territoriales et des agences de l'eau. Du pragmatisme et du discernement !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville .  - L'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation, son usage appartient à tous. L'article L. 210-1 du code de l'environnement en fait une chose commune au sens du code civil.

La loi donne néanmoins aux collectivités territoriales la possibilité de mobiliser la ressource en eau et d'en assurer la protection. La Conférence environnementale de 2014 a identifié 1 000 captages prioritaires, les travaux sont en cours.

Des périmètres sont établis autour des sites de captage pour réduire les risques de pollution accidentelle. Depuis la loi de 1992, ils sont devenus obligatoires.

Depuis la loi du 30 décembre 2006, des mesures de prévention sont prises contre la pollution diffuse. Des schémas directeurs ont été instaurés, sans obligation légale pour les collectivités.

Depuis des décennies, celles-ci se sont organisées pour mutualiser la ressource surtout lorsqu'elle est rare. Selon des modalités diverses, la fermeture d'un captage oblige en effet une collectivité territoriale à recourir au transport ou à la vente d'eau, M. Poher l'a dit. Or, par la vente d'eau, une collectivité peut mettre à contribution tous les bénéficiaires de la ressource, sans pouvoir en retirer un profit car il s'agit d'un bien essentiel et non substituel.

La Cour d'appel de Paris enjoint au maître d'ouvrage d'une unité de production de communiquer à un tiers le coût de production calculé d'une manière objective et transparente, sans pouvoir intégrer aucun coût étranger. Le coût de production d'eau potable dépend de nombreux facteurs, et est en conséquence hétérogène. Pour les harmoniser, divers mécanismes existent, parmi lesquels des soutiens financiers spécifiques. Les syndicats départementaux, M. Raynal l'a dit, sont une autre méthode de péréquation.

Une commune ne peut en principe se retrouver seule à supporter l'ensemble des investissements. La loi NOTRe a organisé un transfert des compétences relatives à l'eau potable à l'horizon 2020. Il ne remettra pas en cause les syndicats existants mais, en étendant le périmètre de coopération, facilitera la mutualisation.

Le rapport « Eau et assainissement : à quel prix ? » envisage plusieurs hypothèses sur l'évolution des prix de l'eau. La convergence tarifaire devra être atteinte cinq ans après l'extinction des contrats.

Bref, cette proposition de résolution nous conduirait à créer un nouveau dispositif réglementaire, alors qu'il en existe déjà de nombreux. La réforme territoriale est en cours de mise en place, il ne semble donc pas opportun d'ajouter une nouvelle norme. Le Gouvernement a déjà demandé aux préfets coordonnateurs de bassins d'associer les collectivités territoriales aux stratégies dites « socle » sur les ressources en eau.

Le Gouvernement est donc réservé, non sur l'objectif que vous poursuivez - mieux protéger la ressource - mais sur l'opportunité d'y procéder par la généralisation des contrats de ressources alors que la loi NOTRe entre tout juste en application et qu'elle devrait répondre à l'essentiel de vos préoccupations.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°74 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 203
Pour l'adoption 20
Contre 183

Le Sénat n'a pas adopté.