Ordonnance modifiant le code des juridictions financières (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières.

Discussion générale

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement .  - Je salue également les représentants du Parlement chinois et, plus particulièrement, le président du groupe d'amitié Chine-France.

L'article 86 de la loi du 20 avril 2016 a habilité le Gouvernement à adapter, par ordonnance, le Code des juridictions financières ainsi que le régime statutaire des membres de ces juridictions. L'ordonnance a été publiée le 13 octobre 2016 ; le projet de loi de ratification a été voté par l'Assemblée nationale le 16 février 2017, le Sénat en est aujourd'hui saisi.

Le Code avait perdu de sa cohérence au gré des ajouts. Il fallait également tirer les conséquences des missions nouvelles confiées aux juridictions financières au cours des quinze dernières années - l'évaluation des politiques publiques et la certification des comptes, de l'élargissement de leur périmètre de compétence par la loi de modernisation du système de santé aux établissements sociaux, médico-sociaux et aux cliniques privées et de la demande accrue d'enquêtes par le Parlement.

À cette occasion, les droits des personnes contrôlées ont été renforcés avec, entre autres, une extension de leur droit à être entendues directement en audition.

Des mesures trop complexes ou obsolètes ont été supprimées ; ainsi celles relatives au contrôle des entreprises publiques qui dataient de 1976.

Un nouvel article L. 132-5 harmonise les dispositions relatives aux enquêtes demandées par le Parlement : la Cour des comptes pourra intervenir dans le champ des chambres régionales et territoriales des comptes lorsqu'elle est saisie par la commission des affaires sociales, comme elle le peut quand elle est sollicitée par la commission des finances.

Les dispositions relatives au droit de communication sont mises à jour pour tenir compte de la dématérialisation croissante des données et inclure les dossiers des commissaires aux comptes des organismes contrôlés.

L'ordonnance procède à des adaptations ponctuelles du statut des membres des juridictions financières : est actée la suppression dans la LOLF d'août 2001 de la notion de vacances de postes ; est élargie l'application des normes professionnelles, que la loi du 13 décembre 2011 réservait aux magistrats, aux rapporteurs extérieurs, conseillers maîtres en service extraordinaire, conseillers référendaires en service extraordinaire et conseillers-experts.

Est désormais possible la mobilité sortante des magistrats des chambres régionales des comptes vers une collectivité ou un organisme de ce ressort, ce qui est naturel comme l'est son encadrement strict. Le magistrat, pour obtenir cette mobilité, devra ne pas avoir participé au jugement des comptes de la structure qu'il compte rejoindre, au contrôle de ses comptes et de sa gestion ou au contrôle de ses actes budgétaires ni même à ceux d'une autre collectivité ou organisme ayant le même représentant légal.

Enfin, l'ordonnance modernise les procédures de la Cour de discipline budgétaire et financière, sans toucher à leur fonctionnement sur le fond. Elles dataient de la loi du 25 septembre 1948...

Les modifications portent sur des règles d'organisation et de procédure : possibilités de représentation du procureur général dans ses fonctions de ministère public, plan de déroulement de l'audience, faculté pour les procureurs de la République de déférer des faits à la Cour - ce qui était déjà le cas dans la pratique - ou encore date d'interruption de la prescription.

Elles renforcent les droits de la défense, en clarifiant les règles d'incompatibilité et de récusation des membres de la Cour et des rapporteurs, en élargissant les droits d'accès au dossier des personnes mises en cause et en affichant expressément le caractère de sanction de la décision de publication de l'arrêt que peut prendre la Cour.

L'ordonnance supprime, enfin, certaines dispositions obsolètes ou susceptibles d'être déclarées non conformes à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, tels que le suivi du déroulement de l'instruction par le ministère public, la demande d'avis des ministres, la présentation de son rapport par le rapporteur à l'audience ou la voix prépondérante du président en cas de partage égal des voix.

Je vous invite à adopter sans restriction ce projet de loi en saluant le travail précis et rigoureux de la rapporteure, qui a apporté des compléments utiles sur des points soulevés par le Conseil d'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche.)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois .  - Ce projet de loi ratifie l'ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du Code des juridictions financières, prise sur le fondement de l'article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Les 53 articles de l'ordonnance modifient l'ensemble des livres du Code des juridictions financières. Ils concernent la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes mais également la Cour de discipline budgétaire et financière.

L'ordonnance introduit peu de modifications de fond, à l'exception des questions statutaires. Sur les missions, l'organisation et les procédures des juridictions financières, l'ordonnance procède à une révision complète de la présentation du Code ; elle tient compte de l'évolution des missions des juridictions avec l'ajout des fonctions d'évaluation des politiques publiques et de certification des comptes.

L'ordonnance harmonise les procédures d'enquêtes demandées à la Cour des comptes par le Parlement. Toutes les commissions parlementaires compétentes peuvent faire une demande d'enquête, les commissions des affaires sociales bénéficiant désormais des mêmes prérogatives que les commissions des finances et les commissions d'enquête.

L'ordonnance renforce également les droits des personnes contrôlées à être entendues sur l'ensemble des observations formulées par la Cour des comptes, y compris sur les observations qui ne sont pas publiées.

Est modifié le statut des membres de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes. Les normes professionnelles des juridictions financières s'appliqueront dorénavant à l'ensemble de leurs membres.

L'ordonnance modifie le régime disciplinaire des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes en s'inspirant de celui prévu par les articles 26 et 27 de la loi « Déontologie des fonctionnaires ».

Elle modifie certaines des conditions d'avancement des magistrats de la Cour des comptes. Elle assouplit le régime de détachement et de mise en disponibilité des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes auprès des collectivités territoriales, établissements publics et organismes de leur ressort.

Elle modifie certaines règles de procédure applicables devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Les possibilités de représentation et d'assistance du procureur général près la Cour sont rendues plus claires et la liste des autorités pouvant déférer une affaire au ministère public est ajustée. Est renforcée l'indépendance du rapporteur. Les personnes mises en cause devant la Cour auront désormais accès à leur dossier dès l'instruction.

L'impartialité de la Cour, conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est consolidée avec un dispositif de récusation des magistrats, consacré au niveau législatif. La prépondérance de la voix du président de la formation de jugement en cas de partage des voix est supprimée. Enfin, les arrêts de la Cour pourront être publiés même lorsqu'ils n'ont pas acquis un caractère définitif.

En cela, l'ordonnance dépasse le simple toilettage légistique. La Cour de discipline budgétaire et financière est un sujet en soi, ce dont témoigne d'ailleurs la proposition de loi déposée par M. Delahaye.

Néanmoins, la plupart des modifications renforceront les droits des personnes mises en cause devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Si la suppression de la voix prépondérante du président ne va pas de soi, Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes et président de la Cour de discipline, lors de son audition, a précisé qu'il n'a jamais été fait appel à sa voix prépondérante. En cas de partage des voix, le bénéfice du doute est accordé à la personne mise en cause.

Dès lors, rien ne fait obstacle à la ratification de cette ordonnance. Le Gouvernement a respecté le délai de l'habilitation comme celui qui lui était imparti pour déposer un projet de loi de ratification. Nous saluons aussi les efforts de clarification et de structuration du Code des juridictions financières.

La commission a soumis à votre approbation cinq amendements pour préciser le contenu de l'ordonnance, corriger quelques erreurs matérielles et procéder à des coordinations concernant l'outre-mer. Elle vous invite à adopter son texte en espérant que le Gouvernement pourra rapidement l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin qu'il entre en vigueur rapidement. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Union centriste)

M. Vincent Delahaye .  - La ratification de cette ordonnance aurait pu passer inaperçue si elle n'avait pas inauguré un cycle législatif consacré au rétablissement de la confiance dans l'action publique, cycle qui se conclura par une révision constitutionnelle dans les prochains mois.

Le président de la République l'a dit lundi à Versailles, il souhaite la suppression de la Cour de justice de la République. Dès lors, par qui seront jugées les carences financières et comptables des ministres ? La Cour de discipline budgétaire et financière, créée en 1948, n'a jamais été compétente dans ce domaine. Juridiction administrative spécialisée, elle agit comme une juridiction pénale -  cela lui est reproché mais demeure conforme à notre tradition.

Autrement dit, la clarification, si elle est bienvenue, arrive paradoxalement trop tôt. Si la Cour de justice de la République est supprimée, les ministres, comme les ordonnateurs locaux d'ailleurs, devront relever de la Cour de discipline.

J'ai déposé une proposition de loi qui fait de la Cour de discipline le juge répressif en matière de finances publiques en étendant sa compétence aux exécutifs locaux. C'est audacieux, peut-être prématuré, mais la transparence de la vie publique appelle de telles avancées. Je vous renvoie aux conclusions de l'audit de la Cour des comptes : elles confirment que les hypothèses de base comme la construction du budget pour 2017 étaient totalement insincères. Et ce n'était pas par accident car ce budget a été élaboré dans un but d'affichage politique. Le Gouvernement n'a voulu tenir compte ni de l'avis du Haut conseil des finances publiques ni du rejet franc, massif et immédiat du Sénat.

Sur les dispositions statutaires, l'ordonnance se contente d'un toilettage quand nous espérions une révolution. Pourquoi ne pas avoir encouragé la Cour des comptes à revoir les conditions d'avancement de ses membres en détachement, notamment en matière de droits à la retraite ? Comme la femme de César, elle doit être irréprochable. Nul ne doute qu'elle l'est mais il est toujours possible, dans ce domaine, d'accomplir des progrès.

Malgré ces observations, l'Union centriste ne voit aucune objection à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs de la commission et du groupe Union centriste)

Mme Michèle André .  - L'ordonnance du 13 octobre 2016, prise par le précédent gouvernement, a pour objet de rétablir la confiance dans la puissance publique en consolidant la culture déontologique dans la fonction publique.

Elle vise à moderniser le Code des juridictions financières, à clarifier le régime disciplinaire et à garantir la qualité du recrutement dans ces juridictions.

La commission des lois a proposé cinq amendements très opportuns, Le groupe socialiste et républicain votera le texte qu'elle propose.

À Vincent Delahaye, je veux faire observer que le Premier président de la Cour des comptes, lors de son audition, s'est borné à relever des éléments d'insincérité sans taxer le budget d'insincère. Quant au Sénat, il n'a pas rejeté le budget pour 2017 ; il a refusé de l'examiner...

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois.  - ...parce qu'il était insincère !

Mme Michèle André.  - Ce n'est pas tout à fait la même chose... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Le projet de loi initial relatif à la déontologie des fonctionnaires consistait à insérer dans la loi une série de dispositions ; certaines ont finalement été, à l'issue du dialogue social, introduites dans l'ordonnance soumise à notre ratification.

Harmonisation des procédures d'enquête sur saisine du Parlement, suppression de dispositions obsolètes, renforcement des droits des personnes contrôlées, clarification du Code... Ces mesures ne sont ni complexes ni clivantes ; elles n'outrepassent pas le périmètre de l'habilitation. L'évolution des compétences des juridictions financières les justifiait.

L'existence même de la Cour de discipline budgétaire et financière est sujette à caution : aux yeux de la Cour de cassation, il ne convient pas qu'une matière pénale relève d'une juridiction administrative. Mais, pour l'heure, saluons le fait que la Cour soit désormais soumise aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Un mot enfin sur le recours aux ordonnances, procédure fort décriée, y compris par votre serviteur, car antidémocratique. Ce texte le démontre, elle peut se révéler utile et efficace.

Gageons que cette ordonnance contribuera à améliorer la confiance dans les acteurs publics et la vie politique, dont nous reparlerons sous peu.

Le groupe La République en marche votera pour. (Applaudissements sur les bancs de la commission et du groupe socialiste et républicain)

M. Thierry Foucaud .  - Sous le quinquennat précédent, près de 500 textes ont été promulgués au moyen de l'article 38 de la Constitution... Avec ce texte, nous entamons un travail de longue haleine : une quarantaine de textes de cette nature nous attend.

Sur le fond, cette ordonnance ne pose pas de difficultés ; les députés ont d'ailleurs adopté sans difficulté ce projet de loi. Notre commission des lois a proposé de la parfaire, preuve que le législateur peut reprendre la main. Cela dit, la position du groupe CRC n'a pas varié depuis la loi d'habilitation : nous ne voterons pas pour.

Au fond, la question est : quel rôle les juridictions financières doivent-elles tenir ? La Cour des comptes a pris récemment une position qui a fait couler beaucoup d'encre. Elle recommande le gel du point d'indice, le non remplacement de départs en retraite dans la fonction publique ainsi qu'un énième coup de rabot aux dotations des collectivités territoriales.

Pourquoi ces orientations quand la Cour des comptes pointe, dans le même temps, la « faible progression » des recettes fiscales ? Au vrai, le déficit primaire du budget de l'État s'explique par le financement du CICE et du pacte de responsabilité, sans parler du CIR distribué sans aucun contrôle.

La Cour invite à un examen critique des dépenses fiscales : pourquoi le CICE ne fait-il pas l'objet d'un tel examen ? Pendant ce temps, la progression dynamique du patrimoine des plus riches se confirme. Les rapports de classe, n'en déplaise à certains, ne sont manifestement pas une vieille lune idéologique...

Ni la Cour des comptes ni les chambres régionales ne doivent outrepasser leurs fonctions. Elles n'ont pas à s'immiscer dans les choix politiques des élus.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Le groupe RDSE salue le respect des délais en tout point par le Gouvernement, les dispositions utiles sur le contrôle des entreprises publiques et de leurs filiales ou encore l'élargissement des possibilités d'audition des personnes contrôlées. Nous regrettons l'absence de mesures sur la diversification du recrutement des magistrats financiers, qui étaient pourtant prévues et, au contraire, le gonflement des dispositions sur la Cour de discipline qui mérite une réforme approfondie.

Pour l'heure, le RDSE n'a aucune raison de ne pas voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et celui des commissions)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, de même que les articles 2, 3 et 4.

Le projet de loi est adopté.