L'état du service public dans les transports en région Île-de-France (Suite)

M. Fabien Gay .  - Alors que les transports devraient être des facilitateurs du quotidien, ils sont de véritables plaies. Pas une semaine sans qu'un usager du RER B ne soit en retard à son travail ou à la crèche de son enfant. Il en résulte du stress, des pertes d'emploi et une fatigue chronique. Personne n'a intérêt à ce que des dizaines de milliers de Franciliens se détournent du transport public pour prendre la voiture. La pollution tue chaque année 2 500 personnes à Paris, soit soixante fois plus que le nombre de morts par accident de la route.

Vous n'avez rien dit des engagements financiers de l'État pour améliorer les transports du quotidien. On nous pose souvent la question des moyens. Le Gouvernement consacre des sommes fabuleuses au CDG Express alors que les usagers du RER B attendent avec impatience le doublement du tunnel du Châtelet ou le rehaussement des ponts pour des trains à deux niveaux. Madame la Ministre, êtes-vous disposée à orienter les crédits de l'État vers les transports du quotidien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La priorité du Gouvernement, ce sont les transports du quotidien, l'entretien et la régénération des réseaux : c'est ce qu'a dit très clairement le président de la République dès le 1er juillet dernier, annonçant une pause sur les grands projets d'infrastructure, c'est un choix politique courageux.

Le Conseil d'orientation des infrastructures y travaille et c'est le Parlement qui votera les investissements. Je rappelle les chiffres : 1,4 milliard du contrat de plan État-région pour 2015 à 2020, 2,5 milliards en 2017-2020 par la société du Grand Paris, auxquels s'ajoute 1,6 milliard de la SNCF et de la RATP : c'est un effort conséquent !

M. Laurent Lafon .  - Le Grand Paris Express est indispensable à la région Île-de-France. Deux inquiétudes préoccupent les élus : d'une part le calendrier lié aux Jeux olympiques et de manière plus large le calendrier en général, d'autre part la dérive financière à laquelle donnerait lieu le Grand Paris Express, chantier que la Cour des comptes vient tout juste d'évaluer à 38,5 milliards d'euros contre 20 milliards initialement prévus. À quel chiffre nous arrêterons-nous ? Une parole forte de l'État rassurerait les élus locaux sur la poursuite de ce projet.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je vous rassure sur l'importance du Grand Paris Express pour le Gouvernement. Le développement des territoires en Île-de-France s'est fait sur des radiales, depuis Paris : c'est ce qui fait du Grand Paris Express un projet crucial pour la région. Le Gouvernement n'envisage nullement d'en modifier le schéma global. Cependant, des délais peu réalistes ont été annoncés pour un chantier si important et complexe - deux cents kilomètres de voies nouvelles, souvent souterraines, dans le sol francilien, c'est particulièrement difficile... - , les coûts sont revus à la hausse, il faut en tenir compte. Le Gouvernement présentera prochainement un calendrier plus réaliste.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Le schéma est maintenu, certes, mais le calendrier nous inquiète : il ne faudrait pas repousser trop loin ce projet indispensable pour les Franciliens.

Selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, quelque 267 000 personnes ont été victimes d'atteintes sexuelles dans les transports en 2014-2015 ; six femmes sur dix craignent une agression ou un vol - contre trois hommes sur dix. Si l'anonymat des transports en commun favorise les comportements des agresseurs, c'est surtout la tolérance sociale qui les légitime.

Les pouvoirs publics ont communiqué sur le sujet ces dernières années. Des systèmes d'alerte ont été mis en place, la brigade de lutte contre les atteintes à la sécurité dans les transports (BLAST) oeuvre avec efficacité. Il faut amplifier ces mesures.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La sécurité dans les trains en Île-de-France, comme partout, est la première garantie que nous devons assurer aux voyageurs. Je peux vous rassurer sur les moyens engagés. Le réseau Île-de-France bénéficie d'une unité de police dédiée qui travaille en étroite collaboration avec le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR). Les agents sont présents au quotidien. La vidéosurveillance est également très développée et des solutions de vidéos intelligentes sont en cours de développement. À cela s'ajoutent les systèmes d'alerte avec les numéros 3117 et 31117.

La population féminine est particulièrement touchée par ces agressions. Je lancerai un appel à projet pour trouver des solutions innovantes à ce problème.

Mme Colette Mélot .  - Ce matin, j'ai pris le train à Melun jusqu'à la gare de Lyon : 27 minutes, c'est idéal par comparaison à la voiture, qui demande au minimum une heure, quand ce n'est pas le double.

Malheureusement, en Île-de-France et particulièrement en Seine-et-Marne, les réseaux sont peu fiables. La multiplication des incidents l'a montré l'an dernier : après trente années de sous-investissements, c'est d'un véritable plan Orsec dont nous avons besoin, comme le réclame Valérie Pécresse, ou bien la situation ne changera pas. En Seine-et-Marne, la voiture reste le premier mode de déplacement. La ligne P est le symbole de l'abandon de mon département : retards, incivilités, pannes et voilà que le Gouvernement retarde la mise en place de la ligne 17, vitale pour 420 000 habitants !

Quelles seront les priorités du Gouvernement en matière de transport en Seine-et-Marne ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - En effet, nos réseaux ont souffert de sous-investissement et de sous-entretien pendant des décennies. Il nous faut faire des choix pour moderniser et régénérer nos lignes. Il s'agit d'abord de mettre à niveau notre réseau, ce que nous faisons en nous engageant sur un calendrier ambitieux mais réaliste pour le Grand Paris Express. Nous devrions tenir compte du fait que les travaux peuvent engendrer des difficultés imprévues. Par exemple, les travaux d'interconnexion des lignes du RER D avec les lignes du Grand Paris Express ont provoqué des perturbations. La Seine-et-Marne a besoin de nouvelles solutions de mobilité comme le covoiturage, le transport à la demande, tous les outils utiles à rabattre les flux vers le réseau ferré - la présidente de France Mobilités est très investie sur ces chantiers, l'État aidera les collectivités et les AOT à se saisir des outils nouveaux de la loi d'orientation.

M. Olivier Léonhardt .  - Après la Seine-et-Marne, l'Essonne, où l'on considère que les transports en commun sont répartis de manière scandaleuse entre Paris et les départements de la grande couronne - lesquels, avec 4 millions d'habitants sont plus peuplés que les dix premières villes de France où l'on trouve partout des transports en sites propres et des transports en commun efficace.

Le Grand Paris Express bénéficiera de 20 milliards d'euros et même plus, au-delà de 40 milliards d'euros avec les dérives financières à prévoir. Tout cela sans aucune réalisation concrète pour les habitants de la grande couronne. Nous concevons les territoires de demain comme il y a trente ans ! D'autres projets, comme le développement du tramway ou de bus en site propre, pourraient répondre à l'urgence du quotidien. Y êtes-vous favorables ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je partage votre volonté d'offrir des solutions adaptées à chaque territoire : elles ne peuvent être les mêmes selon qu'on est proche ou éloigné de Paris. L'enjeu de la loi Mobilités est que les AOT se saisissent de nouveaux outils propres à tirer parti des nouvelles mobilités rendues possibles à l'ère digitale en les combinant aux transports existants. Dans l'Essonne, nous avons inauguré une voie dédiée aux transports par car et au co-voiturage. C'est une solution rapide que nous apportons à nos concitoyens.

M. Roger Karoutchi .  - Tout cela est sympathique, mais c'est du bricolage. Le président de la République veut réorganiser l'Île-de-France, faire la révolution et j'en passe. En matière de transport, rien de nouveau. Nous avions suggéré la création d'une entreprise publique unifiée des transports. Si l'on veut réformer les transports, il faut commencer par leur organisation car on ne peut plus continuer avec les compétences croisées de la RATP et de la SNCF, de la région, etc. Valérie Pécresse a raison de dire qu'il faut un plan Orsec des transports en Île-de-France.

Trop longtemps, tandis que la RATP vendait son métro à Rio, la SNCF déployait des TGV...

Je ne doute pas de votre bonne volonté, mais ou bien vous réformez intégralement l'organisation des transports en commun en Île-de-France, ou bien il ne se passera rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Léonhardt applaudit aussi.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La RATP a entretenu son réseau avec détermination et constance. Je ne peux pas laisser dire qu'elle s'est désintéressée du métro parisien pour construire celui de Rio. Cependant, le rythme des investissements doit être soutenable pour les transports de la vie quotidienne. Cela signifie que les travaux se font souvent de nuit. Le souhait du Gouvernement est de remettre le réseau en état au plus tôt. Mais il faut tenir compte des contraintes. Je ne suis pas certaine qu'une réorganisation favoriserait le bon fonctionnement des territoires.

M. Roger Karoutchi.  - Loin de moi l'idée de critiquer le personnel de la RATP et de la SNCF. Mais il a fallu quatorze ans pour construire une station à Montrouge ! Pardon, mais il faut faire la révolution !

Mme Laurence Cohen.  - ça alors !

M. Roger Karoutchi.  - Mais non, pas la vôtre !

M. Arnaud de Belenet .  - Je me réjouis du plan d'investissement que le Gouvernement consacre aux transports du quotidien. Toute bonne règle a une exception. La Seine-et-Marne est singulière car elle a commencé son développement tardivement et a une croissance démographique forte. Elle a toujours été le parent pauvre de l'aménagement du territoire. Elle manque d'infrastructures routières, d'interconnections. Les lignes des RER et du Transilien dysfonctionnent.

Paul Delouvrier a initié le développement de l'Est parisien, il y a quarante ans. Au-delà du plan d'investissement, nous avons besoin d'un nouveau Delouvrier. Serez-vous celui-là ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La grande couronne doit prendre sa part dans l'amélioration des territoires. À nous de trouver des solutions nouvelles et rapides pour que les investissements dans la zone agglomérée profitent à tous les habitants d'Île-de-France. L'État mettra à la disposition des autorités organisatrices les innovations existantes pour dévier des voies quand cela sera nécessaire.

M. Pierre Ouzoulias .  - Effectuant régulièrement le trajet de Nanterre à Bourg-la-Reine, j'ai le triste privilège d'emprunter souvent les lignes A et B du RER, qui sont les plus surchargées d'Europe. C'est une véritable souffrance, qui rend littéralement malade - et il est absurde de devoir passer par Paris pour aller du sud au nord des Hauts-de-Seine... La ligne 15 apportera la solution, mais elle ne sera pas opérationnelle avant que je ne prenne ma retraite - puisque vous annoncez, Madame la Ministre, qu'on ne peut compter dessus avant, au moins, 2025.

Nos migrations, insupportables, sont imposées par la concentration du travail à l'ouest et du logement à l'est. Voilà vingt ans que le déséquilibre s'accroît, et votre Gouvernement, Madame la Ministre, l'a encore aggravé en autorisant l'extension du quartier d'affaires de La Défense sur un tiers de la commune de Nanterre. (M. Vincent Éblé approuve.)

Ces problèmes sociaux appellent des réponses sociales, et pas seulement techniques... Comment résorber ce déséquilibre structurel ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - On s'éloigne un peu du sujet des transports...

Mme Laurence Cohen.  - Pas du tout !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - ... mais les deux sont liés.

Le schéma directeur d'Île-de-France est l'outil à la disposition des collectivités territoriales pour coordonner le développement de la région avec le déploiement de ses infrastructures.

M. Pierre Ouzoulias.  - Vous ne l'avez pas respecté !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il s'impose à tous les documents d'urbanisme.

J'entends votre déception, mais il faut être réaliste : non, les 36 milliards d'euros de LGV ne seront pas réalisés dans les cinq prochaines années, non plus que les 200 kilomètres du Grand Paris Express.

M. Roger Karoutchi.  - Absolument. Il faut dire les choses.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - C'est restaurer la crédibilité de la parole de l'État que de le dire : on ne fait pas de telles infrastructures en claquant des doigts. Nous abordons ces sujets avec volontarisme mais aussi réalisme et sincérité.

M. Laurent Lafon .  - Les Franciliens ont souffert de la politique donnant la priorité aux LGV. Sur les 78 milliards d'euros investis en vingt-cinq ans, 13 % seulement l'ont été dans le réseau francilien, alors que celui-ci enregistre 850 millions de trajets par an, contre 110 millions pour le TGV. D'où une saturation du réseau. Selon la Cour régionale des comptes, 40 % des voies et 30 % des aiguillages ont plus de trente ans, alors que leur durée de vie est de vingt-cinq ans.

Les effets des 800 millions d'euros investis pour la régénération du réseau ne sont pas encore visibles. À quel horizon temporel les Franciliens constateront-ils une amélioration de leurs conditions de transport ? (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je ne sais pas vous le dire avec précision. Aujourd'hui, les usagers paient les conséquences du sous-investissement.

SNCF Réseau lance avec détermination les programmes les plus efficaces, produisant les effets les plus rapides. Il s'agit de cibler les investissements là où la rentabilité sera la plus grande pour les voyageurs, car les retards se chiffrent en dizaines de milliards. Les grandes gares, dans ce rapport, sont un enjeu prioritaire. Je ne vous promets pas que les problèmes seront réglés en dix-huit mois

Le comité d'orientation des infrastructures et la mission de Jean-Cyril Spinetta nourriront utilement la réflexion.

M. Gilbert Roger .  - La création du Grand Paris Express, qui procède d'un accord historique entre l'État et les collectivités territoriales, est très attendue par nos concitoyens. Pour ma part, j'emprunte quotidiennement les RER B et E...

Financé exclusivement par les contribuables franciliens depuis 2010, et non par le budget national, le projet desservira la petite et la grande couronne.

La construction des lignes 15 et 16 complèteront une offre de transports particulièrement défaillante en Seine-Saint-Denis. La ligne 15 Est doit relier Champigny à Saint-Denis Pleyel en passant par Bondy. Mais la perspective des Jeux olympiques imposera sans doute des arbitrages, ou un report après 2024... Pouvez-vous nous donner l'assurance que les lignes 15 et 16 seront bien réalisées, comme le président de la République s'y était engagé à Clichy-sous-Bois ?

Avec l'ouverture de la nouvelle branche de la ligne T4 en 2019, la gare de Bondy accueillera 19 000 déplacements pendulaires supplémentaires par jour. Est-il prévu d'accroître la fréquence du RER E en conséquence pour absorber l'arrivée massive de nouveaux usagers ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je vous confirme l'engagement du Gouvernement de mener à terme le réseau du Grand Paris Express.

Le schéma de développement de la région parisienne, comme on disait à l'époque de Paul Delouvrier, a permis le développement de villes nouvelles appuyées sur le RER mais fait l'impasse sur toute une zone agglomérée. Il faut aujourd'hui des infrastructures pour développer ces zones oubliées, d'où les prolongements de ligne, les interconnexions prévues avec la nouvelle infrastructure.

Le schéma d'ensemble n'est pas remis en cause. Le Gouvernement a conscience des attentes, mais nous voulons sortir des calendriers irréalistes et des promesses non financées. Le Gouvernement fera prochainement des annonces sur le calendrier.

M. Olivier Léonhardt .  - Si rien n'est fait, les inégalités entre Paris et la grande couronne continueront de progresser ; des gens vont continuer à subir les retards et suppressions de train, à perdre leur emploi, à voir leur vie familiale en pâtir.

S'y ajoute une politique égoïste visant à exclure les voitures de Paris sans augmenter pour autant l'offre de transports en commun pour les habitants de grande banlieue travaillant à Paris. Et ce alors que la population baisse dans Paris intramuros et augmente dans les départements de grande couronne, particulièrement dans l'Essonne et en Seine-et-Marne.

La pollution s'arrêterait-elle aux limites du périphérique ? Le meilleur moyen d'éviter les embouteillages et la pollution, c'est d'investir massivement pour les transports en grande couronne. Il est inacceptable que le produit de la taxe du Grand Paris, payée par tous les contribuables franciliens, bénéficie quasi exclusivement à la zone dense - sans parler des recettes de la vignette.

Madame la Ministre, êtes-vous favorable à un rééquilibrage significatif des investissements au niveau régional ? (M. Jean-Claude Requier approuve.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - On ne peut opposer la grande couronne et la zone agglomérée. Assurons-nous que les équipements du Grand Paris Express bénéficient à l'ensemble des territoires. IDF-Mobilités et les présidents des conseils départementaux ont beaucoup d'idées en matière offres de mobilité - transport à la demande, covoiturage, voies dédiées. On peut améliorer les conditions de déplacement en provenance de la grande couronne avec des réponses rapides, sans passer par des investissements lourds. S'il y a deux personnes par voiture au lieu d'une, il y a deux fois moins de voitures. La loi à venir s'efforcera d'encourager les solutions innovantes.

M. Philippe Pemezec .  - Je salue votre courage, Madame la Ministre. Difficile en effet de réaliser tous les investissements en si peu de temps.

En 2024, se tiendront les Jeux olympiques, puis l'Exposition universelle en 2025 sur le plateau de Saclay. Nous avons attendu 45 ans pour Vélizy et Chatillon. J'espère qu'il n'en ira pas de même pour Saint-Quentin-en-Yvelines et la ligne 18. Il faut une action forte et des investissements importants pour répondre aux difficultés des déplacements en Île-de-France.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement est conscient des besoins en Île-de-France - comme autour des métropoles de province - et des enjeux soulevés par l'organisation des Jeux olympiques. Il s'engage à réaliser le schéma du Grand Paris Express dans son ensemble.

Les Assises de la mobilité ont révélé que la région parisienne n'avait plus le monopole des difficultés de transport. Il faut désaturer le réseau, en Île-de-France mais aussi en province, en imaginant sans attendre des solutions innovantes pour une amélioration rapide et visible.

M. Arnaud de Belenet .  - Le rattrapage du sous- investissement ne compensera pas la dynamique économique et démographique en Seine-et-Marne, liée à des opérations d'envergure nationale. Les contribuables de ce département paient la taxe sur le Grand Paris, mais la ligne 17 l'effleure à peine. L'incompréhension est totale, et appelle des réponses opérationnelles immédiates : bus, parkings de rabattement ou, pourquoi pas, suppression du péage de Coutevroult...

En outre, partagez-vous nos préoccupations sur l'accueil et la sécurité des touristes, notamment asiatiques, dans les transports ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - J'ai bien noté vos préoccupations sur l'équilibre et l'affectation des ressources de la SGP.

L'accueil des touristes est un enjeu, car l'Île-de France compte plusieurs grandes destinations touristiques. Les opérateurs fournissent des applications multilingues, les offices du tourisme s'efforcent de proposer des titres de transport. La préoccupation majeure reste la sécurité : brigade spécialisée, renforcement des services de sécurité de la SNCF et de la RATP, de la présence humaine comme de la vidéosurveillance. Le gestionnaire du grand parc d'attractions de votre département s'est ainsi doté d'outils innovants de vidéosurveillance intelligente. Le Gouvernement accompagne les AOT dans ce sens.

M. Rémi Féraud .  - En 2015, à l'initiative de Jean-Paul Huchon, a été instauré le pass Navigo au tarif unique de 70 euros pour tous les Franciliens. En 2016, Valérie Pécresse a entamé un bras-de-fer avec le Gouvernement, menaçant, malgré sa promesse de campagne, de porter le pass Navigo à 80 euros si l'État ne lui versait pas 300 millions d'euros. Elle a abouti à un accord avec le Gouvernement. Depuis, les comptes de la région ont révélé que 300 millions n'avaient pas été consommés - or le prix du pass Navigo passe à 77,45 euros, soit une hausse de 10 % en trois ans. Quelles conséquences le Gouvernement en tire-t-il dans son dialogue avec la région ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je me garderai de me prononcer sur les comptes d'IDF-Mobilités, d'autant que ce n'est pas dans mes attributions. Les entreprises financent 50 % des transports en Île-de-France, les voyageurs moins de 30 %, part qui a baissé de dix points en dix ans. Dès lors, la question de la soutenabilité du modèle se pose, sachant les tensions qui pèsent sur les ressources publiques et les collectivités territoriales en particulier. Il faut aussi poser la question du financement du fonctionnement des nouvelles lignes. Je suis pour des transports publics accessibles à tous. (Mme Laurence Cohen s'exclame.) Ce n'est pas incompatible avec la tarification solidaire appliquée dans les métropoles de province ; si nous voulons des politiques ambitieuses, il faudra réfléchir à la contribution des usagers.

M. Arnaud Bazin .  - Je suis surpris d'entendre que les délais du Grand Paris Express seraient techniquement impossibles à tenir. Il y a quelques mois, au conseil de surveillance, il s'agissait de chiffrer le coût de la tenue des délais, estimé à 200 millions d'euros. L'affaire n'était pas technique, mais purement financière...

Le RER A est arrivé à Cergy dix ans après la construction de la préfecture et de l'Essec. L'artère enregistre 1,3 million de voyages par jour. Malgré les investissements de la région, la nouvelle grille horaire acte la baisse du nombre de trains. À Cergy, le matin, toutes les places assises sont prises alors qu'il reste sept stations avant La Défense ! Je passe sur les retards sans la moindre explication ni excuse - ce matin encore, un arrêt de dix minutes... Depuis toujours, la branche de Cergy subit un traitement inique : avec ses 50 000 voyageurs, elle est traitée comme la branche de Poissy qui n'en véhicule que 9 000. Quand la SNCF et la RATP vont-elles rattraper trente ans de sous-investissement ? Le tabou de la réparation de l'offre de RER entre Cergy, Poissy et Saint-Germain sera-t-il un jour levé ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le RER A est sans doute la ligne la plus chargée d'Europe. Nous avons avec le RER un outil de déplacement extrêmement puissant, mais il faut en assurer la robustesse. C'est l'objet du programme de rénovation mené par la SNCF et la RATP.

Si les améliorations d'infrastructure prennent du temps, les voyageurs peuvent d'ores et déjà voir le progrès des matériels roulants. L'énorme chantier d'Éole a pu causer des désagréments pour les usagers du RER A. On évaluera mieux la situation lorsqu'il sera achevé.

M. Vincent Éblé .  - Le choix du tout-TGV a fait prendre un retard considérable aux transports du quotidien franciliens, qui accueillent pourtant bien plus de voyageurs.

Avec le Grand Paris Express, une dynamique a été enclenchée en Île-de-France. Le projet est entièrement financé par les ressources des contribuables franciliens. Il porte une ambition sans équivalent. Ses atouts, notamment pour les lignes 16, 17 et 18 sont de desservir des territoires défavorisés, d'ouvrir des réserves foncières comme le plateau de Saclay, de favoriser le développement économique en assurant une meilleure accessibilité aux emplois.

La mise en connexion avec les lignes existantes est fondamentale. Le Grand Paris Express ne peut pas être un manège forain en double boucle que les usagers de grande couronne ne pourront emprunter faute d'interconnexions avec les lignes radiales ! En Seine-et-Marne, les gares de Vert de Maisons et de Bry-Villiers-Champigny doivent être reliées ; or les financements font défaut. Les habitants de la grande couronne seraient exclus de ce projet qu'ils financent pourtant. Le précédent Gouvernement s'était engagé à ce que les deux gares soient réalisées en même temps que le Grand Paris Express. Quelles sont vos intentions ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La capacité à interconnecter le nouveau réseau et l'existant est fondamentale. L'interconnexion avec le RER D est bien prévue à Vert de Maisons. Une interconnexion avec la ligne R coûterait 250 millions d'euros... Le problème se pose surtout à Champigny où le coût serait très important. Des études ont été lancées pour ne pas retarder la construction des gares d'interconnexion, tout en poursuivant la discussion entre l'État et les collectivités territoriales sur les modalités de financement. Sur 68 gares du Grand Paris, 44 sont en interconnexion avec le réseau existant.

M. Philippe Dominati .  - Merci au groupe CRCE d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour car il montre l'état du service public en Île-de-France. Je n'ai pas entendu un seul propos exprimant de la satisfaction !

Madame la Ministre, vous n'avez pas répondu à la question de Mme Cohen : pourquoi cette politique libérale ? Vous auriez dû lui répondre que dans aucune autre métropole européenne l'État n'est aussi pesant ! Ce sont les contribuables franciliens qui financent le système. Quand une société d'État n'a plus d'argent, on en crée une deuxième, puis une troisième... Depuis des décennies, on n'écoute ni les élus ni les usagers.

Il faut décentraliser, libéraliser la politique de transport. On pourrait déjà s'intéresser au réseau de surface. Les bus de la RATP devraient être immédiatement privatisés et soumis à la concurrence.

Enfin, c'est la connivence Hidalgo-Huchon qui fait que les Parisiens paient beaucoup trop cher le service rendu dans le centre de l'agglomération. (M. Vincent Eblé s'amuse, Mme Céline Boulay-Espéronnier applaudit.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les transports en Île-de-France sont totalement décentralisés : ils sont gérés par le syndicat des transports d'Ile-de-France, devenu IDF-Mobilités.

Vous avez résumé le débat à une expression d'insatisfaction générale. J'entends les difficultés de nos concitoyens qui effectuent quotidiennement de longs déplacements, mais je ne peux laisser dire que le service serait à ce point dégradé. Notre réseau de transports, certes centré sur Paris, est le plus dense au monde ! Il s'agit d'en faire bénéficier aussi les habitants les plus éloignés du coeur de l'agglomération. Avec 12 millions de voyageurs par jour, notre système a peu d'équivalents dans le monde. Cela explique les difficultés, mais aussi la détermination du Gouvernement à investir dans l'entretien et la régénération.

M. Pierre Cuypers .  - Les franciliens consacrent en moyenne 92 minutes par jour à leurs déplacements ; trois quarts de ces flux sont des trajets de banlieue à banlieue.

La ligne 17, qui aura son terminus au Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, représentera 5 000 voyages par jour et 1 100 emplois dans un rayon d'un kilomètre. Elle est donc vitale pour 420 000 habitants. Cette ligne sera la garantie d'une cohérence du Grand Paris Express.

Or la Cour des comptes s'interroge sur la capacité à respecter les échéances avant les Jeux olympiques. Il serait inacceptable de sacrifier la ligne 17 au profit du CDG Express. Ce serait privilégier les transports internationaux au détriment des trajets quotidiens.

Enfin, les interconnexions doivent permettre aux Seine-et-Marnais d'accéder au Grand Paris Express, notamment en gare de Vert de Maison et Bry-Villiers-Champigny, si l'on veut éviter de creuser les écarts entre petite et grande couronne.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le montant consacré à la modernisation du réseau francilien - 800 millions d'euros - a été triplé. Le schéma d'ensemble du Grand Paris n'est pas remis en cause. Nous élaborons un phasage réaliste pour nous engager sur un calendrier crédible. Nous allons arrêter de promettre des infrastructures non financées !

Il faut cesser d'opposer les transports du quotidien et le CDG Express. (Mme Laurence Cohen proteste.) Ce dernier se fait sans concours publics, sous forme de concession ; il sera financé par les billets et par une taxe sur les passagers aériens.

Mme Laurence Cohen.  - Et un prêt !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Un prêt n'est pas un don.

M. Philippe Dominati.  - Allez voir gare de l'Est !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - C'est un moyen d'éviter de payer des intérêts élevés aux banquiers. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Éliane Assassi.  - Hérésie ! Qui peut vous croire ?

Mme Laurence Cohen.  - Vous auriez pu prêter 1,7 milliard pour les transports du quotidien !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je le redis, ce prêt évitera des frais financiers et n'entre pas en concurrence avec le projet d'investissement du Grand Paris Express.

Mme Nicole Duranton .  - Au Moyen-Âge, la voie romaine reliant Beauvais à Chartres desservait déjà Gisors, qui compte aujourd'hui 12 000 habitants. Gérée par IDF-Mobilités, la ligne J du Transilien dessert Gisors et Vernon. Elle est en crise. Le maire de Gisors m'a dressé un tableau calamiteux de la situation : retards, trains mal entretenus, toilettes condamnées... Les nouveaux horaires, censés améliorer la ponctualité et la fréquence, n'ont fait qu'empirer la situation.

La ligne J voit passer chaque jour 110 000 voyageurs, dont 1 300 Gisorsiens qui ont choisi la Normandie pour sa proximité avec leur lieu de travail. Imaginez leur sentiment d'abandon en constatant que les gares normandes sont sacrifiées sur l'autel des intérêts franciliens ! Les élus provinciaux sont purement et simplement méprisés. Comment comptez-vous améliorer la desserte des gares hors Ile-de-France par les transports franciliens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les villes autour de l'Île-de-France peuvent en effet vivre des barrières tarifaires et mal accepter les choix en matière de trains directs ou semi-directs et de nombre d'arrêts. Ces questions sont vraiment du ressort des AOT. Nous mettons l'expertise et la méthode de la commission nationale du débat public au service de celles-ci : les choix doivent être concertés et tenir compte des différentes populations dont les besoins ne sont pas forcément alignés.

Prochaine séance mercredi 17 janvier 2018 à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 45.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus