Prévention de l'érosion de la base d'imposition

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Discussion générale

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Vous examinez ce matin la convention multilatérale signée le 17 juin 2017 par la France et 67 autres États et territoires.

C'est une évolution majeure en ce qu'elle s'imposera aux États signataires sans qu'il soit besoin de modifier les conventions fiscales bilatérales. Elle s'inscrit pleinement dans l'engagement du président de la République en faveur de la lutte contre la fraude fiscale.

Cette convention met en oeuvre le projet BEPS (Base erosion and profit shifting) lancé par l'OCDE après l'impulsion donnée au sommet du G20 de 2012 qui s'est tenu à Los Cabos. Très novatrice, elle permettra au moyen d'une quinzaine d'actions de mettre à jour les 1 100 conventions bilatérales entre États signataires sans nécessiter d'ouvrir de longues négociations bilatérales - la France pourra ainsi modifier quelque 121 conventions fiscales bilatérales.

Cette convention multilatérale vise à imposer les bénéfices là où l'activité économique est réellement menée. Elle définit aussi des standards minimums avec une clause anti-abus de portée générale ; elle règle les cas de double imposition et les différends. Le but est de contrer les opérations sans réelle portée économique motivées par la recherche d'un avantage fiscal.

Au-delà de ce socle obligatoire, la convention comprend des dispositions optionnelles. Le Gouvernement a choisi de ne retenir que celles qui sont nécessaires à la lutte contre l'évasion fiscale.

L'une d'entre elles permet de lutter contre les abus dans l'utilisation de la notion d'établissement stable. Il sera aussi possible de contrer les domiciliations artificielles à l'étranger. La France a aussi retenu l'option consistant à empêcher les fractionnements abusifs de contrats, destinés à contourner le statut d'établissement stable.

Au 22 mars 2018, date de la dernière mise à jour par l'OCDE, 78 États et territoires sont signataires de l'accord. Plusieurs pays dont l'Autriche, l'île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie ont terminé le processus de ratification, et la convention y entrera en vigueur au 1er juillet.

Le Gouvernement, attaché à la bonne information des usagers et à la sécurité juridique, s'engage à informer chaque année le Parlement dans le rapport annuel relatif au réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances.

L'administration assurera également la lisibilité des conventions fiscales bilatérales affectées par la convention multilatérale en publiant des versions consolidées qui permettront d'assurer la bonne information des usagers. Elle garantira par ailleurs, comme c'est le cas aujourd'hui, la sécurité juridique des opérateurs économiques par la production de rescrits.

Voilà les principales observations que je souhaitais vous présenter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM, M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances .  - Nous sommes saisis du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dite convention BEPS.

Cette convention, signée à Paris le 7 juin 2017, vise à intégrer certaines dispositions figurant parmi les 14 actions du projet dit BEPS conduit par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au 22 mars dernier, elle réunissait la signature de 78 États, dont cinq l'ont déjà ratifiée, ce qui permet son entrée en vigueur au 1er juillet 2018.

Conduit par l'OCDE à l'initiative du G20, le projet BEPS vise à actualiser les règles du système fiscal international, en supprimant les vides laissés par la législation que certains acteurs exploitent pour réduire leur niveau d'imposition.

Ce projet n'aborde toutefois pas la question du régime fiscal applicable au secteur numérique. Il prévoit seulement la remise d'un rapport sur le sujet.

La Commission européenne a prévu deux directives, à propos desquelles nous avons déposé hier deux propositions de résolution européenne.

Plusieurs recommandations du projet BEPS nécessitent la modification des conventions fiscales bilatérales. En procédant selon la méthode traditionnelle de négociation, convention par convention, de nombreuses années auraient été nécessaires pour tirer les conséquences du projet BEPS dans chaque convention. La lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt en aurait été fragilisée.

C'est dans ce cadre que s'inscrit l'instrument multilatéral, signé par la France en juin 2017, dont il nous est proposé d'autoriser la ratification aujourd'hui. Il permet une intégration d'un seul tenant du paquet BEPS.

Quoique multilatéral, l'instrument consacre la dimension bilatérale des relations fiscales, puisqu'il ne les remplace pas mais s'y superpose si les États le décident.

Cet instrument s'inscrit donc dans les stratégies fiscales mises en oeuvre lors de la négociation de chaque convention fiscale.

Les modalités d'articulation de la convention multilatérale avec les conventions fiscales bilatérales sont soumises à trois conditions. Premièrement, seules les conventions fiscales notifiées par les deux parties entrent dans le champ de l'instrument multilatéral. Deuxièmement, seules les dispositions de ces conventions effectivement visées par les deux parties sont susceptibles d'être modifiées. Troisièmement, pour être effectivement touchées par la convention multilatérale, les deux parties doivent avoir formulé des réserves ou des options qui le permettent.

La spécificité de la convention tient à la latitude laissée aux États, dans son intégration. Sur 39 articles de l'instrument, seuls trois relèvent de normes minimales ne pouvant faire l'objet de réserves. Pour obtenir davantage de flexibilité et agréger le maximum de relations bilatérales entre États, c'est une convention multilatérale « à la carte » qui a été conclue, laissant une grande flexibilité aux États.

Inédite dans sa forme, la convention est aussi d'application très complexe.

De ces principales caractéristiques, je retiendrai principalement deux points de vigilance.

Ses conséquences concrètes sont d'abord incertaines. Les changements apportés par l'instrument multilatéral au sein de chaque convention fiscale pourraient se traduire par une modification de son équilibre initial.

De plus, la portée de l'instrument est susceptible d'évoluer au gré des modifications des conventions fiscales et sous l'effet des réserves et options formulées. Si la France a dressé une liste de 88 conventions fiscales qu'elle entend couvrir par l'instrument multilatéral, seule une cinquantaine d'entre elles seraient, en l'état des signatures, effectivement modifiées. Elles sont d'ampleur très variable.

Il en résulte une double difficulté : d'abord, pour les acteurs économiques, pour connaître des dispositions conventionnelles que les administrations fiscales seraient susceptibles de retenir ; ensuite, pour le Parlement, qui autorise la ratification d'un instrument qui peut encore évoluer largement.

En second lieu, il y a un risque que la conception initiale de la convention multilatérale soit trop large. À l'occasion de la signature de la convention multilatérale, la France a fait part de ses réserves, options et notifications provisoires, qui traduisent de la conception très large de la convention.

La partie de la convention multilatérale concernant les établissements stables, sur laquelle la France n'a formulé aucune réserve, mérite notre attention. Elle modifie le seuil de qualification d'un établissement stable. Cependant, les conséquences qui en seront tirées pour l'attribution de profits aux nouveaux établissements stables ainsi qualifiés demeurent en négociation à l'OCDE, faute d'accord entre États. Or c'est un instrument essentiel, qui concerne notamment les fractionnements des contrats par lots. Il peut en résulter des asymétries importantes de mise en oeuvre.

Il convient donc de rester vigilants, tant pour les entreprises françaises, qui seraient exposées à une utilisation accrue de ces dispositions dans les pays où elles opèrent, que pour la France, dont les recettes fiscales nationales pourraient être plus ou moins réduites.

Compte tenu des avancées du paquet BEPS, je vous propose d'autoriser la ratification de cette convention multilatérale, mais j'invite le Gouvernement à s'engager sur trois points.

En premier lieu, l'absence de consensus sur les conséquences susceptibles d'être tirées des nouveaux critères de qualification d'un établissement stable doit nous conduire à la prudence. N'y a-t-il pas un risque, Madame la Ministre, de se lier définitivement les mains ? La France doit utiliser la flexibilité offerte par la convention multilatérale pour privilégier une démarche certes volontariste, mais aussi progressive et nuancée.

En second lieu, la sécurité juridique des acteurs économiques doit être assurée.

Selon la Direction de la législation fiscale, deux documents d'information seront publiés : une fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale ainsi qu'une version consolidée permettant la lecture en un document unique des dispositions résultant de l'articulation des deux conventions. Il importe de savoir lequel des deux textes s'applique dans chaque cas. Cependant, l'administration considère que ces documents ne relèveront pas de la doctrine fiscale et ne pourront donc pas être opposables, alors que les instructions fiscales le seront. J'y vois un risque de contentieux.

En troisième lieu, il faut une bonne information du Parlement sur les options et réserves retenues par la France et par ses États partenaires, car elles détermineront la portée réelle de cette convention, qui nous échappe en partie au moment d'autoriser sa ratification.

Le Gouvernement nous indique qu'il informera le Parlement via l'étude d'impact annexée au projet de loi de finances ; mais le rapport annexé n'est plus remis depuis 2014 : c'est un peu léger, en matière d'information du Parlement... Madame la Ministre, ce rapport nous sera-t-il remis à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances ?

Trois éléments de ce texte nous semblent indispensables : l'état des réserves, options et notifications formulées par la France, des conventions fiscales bilatérales couvertes et des dispositions des conventions fiscales bilatérales effectivement modifiées en fonction des réserves, options et notifications formulées par les partenaires conventionnels de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

M. Yannick Botrel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Nos concitoyens sont très attentifs à l'évasion et à l'optimisation fiscale agressive.

La convention qui nous est soumise, très technique, est au croisement de deux sujets marquants de notre actualité : la mondialisation toujours plus forte de l'économie sous la poussée de la numérisation de nos sociétés, dont l'audition de Mark Zuckerberg par le Congrès américain récemment est un témoignage important après la révélation du siphonage de données de 96 millions de comptes, dont 200 000 en France ; le problème de la localisation fiscale des GAFA, sachant que, par exemple, Facebook revendique 2,13 milliards d'utilisateurs actifs l'an passé et que leur émergence s'est accompagnée de pratiques agressives de fraude et d'optimisation fiscales.

Nous sommes dans un entre-deux. Des initiatives ont été prises comme la taxe Google ou, je l'espère bientôt, la proposition de loi du groupe SOCR supprimant le verrou de Bercy, que nous examinerons dans un autre cadre.

Paradise Papers, Panama Papers, ces affaires ont ulcéré le public. D'importants progrès restent donc à faire, cette convention y contribue.

D'abord pour des raisons de méthode : une convention multilatérale permet de dépasser l'égoïsme des États et nous épargnera vingt ans de renégociations des conventions bilatérales.

La convention construit des standards minimum insérant une clause anti-abus dans chaque convention bilatérale et prévoit une imposition des bénéfices réels, tout en contrant les contournements de la notion d'établissement stable. Je regrette que les États-Unis aient refusé de la rejoindre.

Le groupe SOCR est favorable à la ratification de cette convention nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et LaREM ainsi que sur le banc de la commission et sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Emmanuel Capus .  - C'est un outil unique en droit international que nous examinons : d'abord sur la forme puisqu'il s'agit d'un accélérateur juridique se superposant aux conventions existantes. Dans un monde où le multilatéralisme est partout remis en cause, il montre les bénéfices de l'action multilatérale, indispensable ici comme en matière climatique, commerciale, numérique. Sur le fond, c'est une avancée majeure, due largement à Pascal Saint-Amans, initiateur de ce projet au sein de l'OCDE.

La convention apporte un changement de logique au bénéfice de la justice fiscale, et le groupe Les Indépendants y est très favorable.

Cependant, je regrette que la fiscalité du numérique n'y soit pas abordée. L'action 1 du BEPS prévoit seulement un rapport sur le sujet ; publié le 16 mars dernier, il se contente de présenter les pistes d'action et de constater une absence de consensus, c'est préoccupant. Comme en matière de protection des données, l'Union européenne devra donc, rapidement, adopter une position unie et forte pour pouvoir faire entendre sa voix au niveau international.

La France doit aller plus loin que la taxe à 3 % sur le chiffre d'affaires des GAFA : une refonte de la notion d'établissement stable est nécessaire.

Je regrette aussi des conséquences pour les PME et ETI françaises, déjà frappés par la loi Sapin II, qui réforme le seuil de prise en compte des prix de transfert.

Il convient que ces entreprises soient davantage associées aux conventions internationales qui les concernent autant que les grands groupes.

La force de cette convention, sa flexibilité, est aussi sa faiblesse. Elle doit être la première pierre d'un régime fiscal international plus juste, plus équitable et plus coopératif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Cette convention, signée le 7 juin par la France, met en oeuvre le projet BEPS de l'OCDE, lancé en 2012 au sommet de Los Cabos. Les données du ministère des finances montrent que l'impôt sur les sociétés est le premier poste d'évasion fiscale en France, devant l'impôt sur le revenu et le TVA, avec un manque à gagner estimé entre 23 et 32 milliards d'euros.

La portée de cette convention, qui ne met en oeuvre que quatre des quinze actions du projet BEPS, est limitée. Elle ne reprend pas les mesures sur l'économie numérique et laisse une grande latitude aux États dans la mise en oeuvre. Pas moins de 88 conventions bilatérales conclues par la France sont concernées. La convention limite les prises de participation aux seules fins de bénéficier d'avantages conventionnels, et surtout lutte contre le contournement du statut d'établissement stable par le statut dit de commissionnaire.

L'entrée en vigueur de l'accord aura lieu trois mois après la ratification définitive par cinq pays ; trois l'ont fait.

Madame la Ministre, la sécurité juridique des contribuables français est-elle assurée par cette loi de ratification ?

Je salue la contribution de cette convention à l'amélioration de la situation dans les États du Sud qui sont peu protégés contre l'évasion fiscale.

Deux réserves enfin : le nombre d'exceptions prévues et la non-signature de la convention par les États-Unis. Est-ce une volonté du président Trump ? Aucun tweet n'a été publié à ce sujet...

Le groupe RDSE votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe LaREM ; M. Charles Revet applaudit également.)

M. Didier Rambaud .  - Les stratégies d'évitement de l'impôt consistent le plus souvent à dépasser la base taxable. Il faut régler la contradiction entre une économie de plus en plus mobile et la segmentation des règles fiscales. Les groupes recherchent la circulation des dividendes sans imposition, la sous-capitalisation, le déplacement des bénéfices. Au total, 4 à 10 % des recettes mondiales de l'impôt sur les bénéfices des sociétés sont perdues, soit 100 à 240 milliards de dollars : c'est contraire au pacte social et au pacte républicain. Il faut que les bénéfices soient taxés là où ils sont réalisés ; c'est ce que visent les travaux de l'OCDE.

Le G20 a donné une impulsion décisive en faveur de cette convention, approuvant le rapport BEPS en 2015. Quinze actions, au total, ont été élaborées par l'OCDE, dont la dernière prévoit cette convention multilatérale. Pour la France, les effets de la convention se font déjà sentir dans la convention bilatérale passée avec le Luxembourg notamment en matière immobilière.

Elle met fin à un détournement des conventions fiscales de leur objet initial : sécuriser la situation fiscale des citoyens et des entreprises. Elle n'est cependant qu'une étape vers une harmonisation espérée.

Le projet de loi de lutte contre la fraude fiscale sera bientôt l'occasion de rappeler les principes d'égalité devant l'impôt au niveau national.

Le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Pascal Savoldelli .  - Il y a des hasards qui interpellent... Nous débattons de cette convention en même temps que d'une proposition de loi téléguidée sur le secret des affaires qui fera des montages d'optimisation fiscale de nos entreprises, des secrets industriels !

Or le poids de l'opinion publique internationale est devenu assez fort pour qu'il ne soit plus possible, même à l'OCDE, vecteur de la pensée économique libérale en actes, de refuser d'agir.

Tout a commencé avec la crise de 2008 qui a donné lieu à une socialisation scandaleuse des pertes. Je rappelle que certains, ici même, ont voté, en une journée, 400 milliards d'engagements financiers publics pour recapitaliser les banques et mettre de l'huile dans les rouages des marchés financiers passablement grippés. C'est l'opinion publique qui a fini par imposer les mesures contre la délinquance fiscale et financière.

L'OCDE propose une convention bien limitée. Profitons-en pour faire évoluer certaines conventions bilatérales, je pense à celles que la France a signées avec le Panama, le Qatar, les Bermudes...

Le cadre de cette convention est très optionnel, il ne doit pas nous dispenser d'une évaluation de notre propre système fiscal.

L'efficacité, pour le groupe CRCE, serait l'universalité des dispositions fiscales, c'est pourquoi nous proposerons une Conférence des parties, sous l'égide de l'ONU, sur ce thème.

Nous voterons cependant cette avancée bien timide. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Charles Guené .  - Le champ de cette convention couvre celui de multiples conventions bilatérales ; il met en oeuvre quatre des quinze actions du paquet BEPS, dont nous avons déjà intégré le reporting pays par pays.

Cette convention n'est qu'une étape, mais une réelle avancée. Cependant, la plupart de ses normes sont optionnelles et la souplesse d'application est grande. La commission des finances a émis des doutes sur le choix, assez isolé, de la France de ne mettre en oeuvre que peu de réserves. La France a retenu trois articles facultatifs permettant de taxer plus facilement les entités locales des multinationales. Lorsqu'une filiale est qualifiée d'établissement stable, les bénéfices qu'elle fait remonter à la société mère peuvent être taxés localement. Ce faisant, la France, qui est l'un des principaux pays d'implantation des multinationales, se prive de recettes fiscales : nos groupes de BTP ne pourront plus fractionner parmi différentes filiales leurs grands chantiers à l'étranger afin d'éviter de payer des impôts localement.

La contribution de l'économie numérique à l'impôt n'est abordée que via un rapport prévu dans l'action 1. Or, dans ce domaine, le critère d'établissement stable doit faire l'objet d'une réévaluation globale dès maintenant, au profit de la notion de marché de consommation, pour anticiper l'avenir.

Ces réserves faites, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La ratification de la convention signée à Paris le 7 juin 2017 visant à intégrer des dispositions du projet BEPS ne pose pas de difficulté particulière.

Cette convention met en place un outil inédit, sans se substituer aux conventions fiscales signées par les États souverains ; il permet en outre des adaptations très importantes en fonction des aspirations et possibilités de chaque État. Seuls trois des 39 articles relèvent de la norme minimale, ne pouvant faire l'objet de réserves ; le reste est à la carte. Le Gouvernement a fait les bons choix, dressant une liste de 88 conventions fiscales que la France entend couvrir par l'instrument multilatéral, et optant pour une large interprétation du texte, avec très peu de réserves formulées.

Un regret toutefois : l'insuffisante information du Parlement, qui vote pourtant l'impôt.

Le Parlement ne faisant qu'autoriser la ratification, il serait légitime et démocratique de renforcer son information. L'étude d'impact ne prévoit qu'une information de l'entrée en vigueur en fonction des ratifications par les partenaires conventionnels, au moyen d'un document annexé au projet de loi de finances... Or un tel document n'a pas été remis au Parlement depuis 2014.

M. Canevet alerte par ailleurs sur les Français dits Américains accidentels, citoyens binationaux nés par hasard aux États-Unis. En vertu du droit du sol applicable aux États-Unis, ils sont touchés par l'application de l'accord Fatca et considérés comme des contribuables américains, ce qui complique leurs opérations bancaires et financières ou leurs successions. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État .  - Merci de vos commentaires et points de vigilance, qui soulèvent de vrais sujets, tout en montrant votre soutien à l'action de la France en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Le Gouvernement a choisi une démarche cohérente en retenant toutes les options de la convention s'agissant de l'établissement stable, issues du projet BEPS. Le schéma de commissionnaire pour localiser artificiellement des activités à l'étranger ne pourra plus être utilisé à des fins d'optimisation fiscale.

J'ai bien entendu les craintes que nos entreprises soient imposées à l'étranger alors qu'elles n'y ont pas aujourd'hui d'établissement stable. Je vous rassure : en vertu de certaines conventions bilatérales, les grands chantiers emblématiques sont déjà imposés si la présence de l'entreprise à l'étranger excède six mois, voire trois dans certains cas. De plus, la taxation sera partagée entre la France et l'État d'établissement, en fonction de la valeur ajoutée produite. Ces stipulations ont d'abord un objectif anti-abus. La France n'est pas le seul pays à avoir fait ce choix : les Pays-Bas, l'Irlande, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Israël ont fait de même.

Le Gouvernement est conscient de l'impératif de sécurité juridique de nos opérateurs. L'administration fiscale publiera des versions des conventions fiscales bilatérales consolidées par les stipulations de la convention multilatérale qui garantissent l'intelligibilité de la norme mais ne sont pas, en tant que telles, des interprétations opposables. Elle recensera en outre les points d'attention et consultera les acteurs économiques en amont pour répondre à leurs attentes. Si cette version consolidée ne sera pas opposable, il restera l'outil du rescrit et des instructions fiscales.

Le Gouvernement s'engage à informer chaque année le Parlement : le projet de loi de finances comptera en annexe un rapport, et le retard accumulé est en passe d'être rattrapé par la remise imminente d'une version couvrant les années 2015 et 2016...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur.  - Mieux vaut tard que jamais !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - S'agissant de la fiscalité des géants du numérique, le Gouvernement reste attaché à une solution de long terme s'appuyant sur une conception élargie de l'établissement stable. Une task force coprésidée par la France a été constituée à l'OCDE ; son rapport intermédiaire préconise une solution de court terme basée sur la taxation du chiffre d'affaires. À long terme, une solution opérationnelle de taxation européenne des géants du numérique devra être trouvée, une directive européenne a été déposée en ce sens. Cette solution de court terme, pour laquelle la France s'engage, n'exclut pas la recherche d'un règlement de long terme.

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Le vote sur l'article unique vaudra vote sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Mme la présidente.  - C'est l'unanimité. (M. Ladislas Poniatowski s'en réjouit.)

La séance est suspendue quelques instants.