Nouveau pacte ferroviaire (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

Discussion générale

M. Gérard Cornu, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP est parvenue à un accord à une très large majorité - douze membres sur quatorze - qui témoigne d'une volonté forte, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, de faire aboutir une réforme indispensable et très attendue.

Ce texte comporte plusieurs avancées : il pose les conditions de l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, met fin au recrutement au statut des cheminots au 1er janvier 2020 et transforme les établissements publics qui composent le groupe ferroviaire en sociétés anonymes.

Cet accord témoigne aussi d'un échange fructueux entre le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat. Le projet de loi initial comportait huit articles, essentiellement d'habilitation ; il en compte désormais 35, et les principales habilitations ont été remplacées, au cours de la navette, par des dispositions législatives.

Au Sénat, nous avions adopté dès le départ une attitude constructive. Je salue la qualité du dialogue que nous avons eu avec vous, Madame la Ministre.

La CMP s'est concentrée sur les quelques points de divergence qui demeuraient. Merci à Jean-Baptiste Djebbari, rapporteur de l'Assemblée nationale. Le texte de la CMP préserve l'essentiel des apports du Sénat.

Nous avions quatre objectifs : préserver les dessertes TGV utiles à l'aménagement du territoire, renforcer les garanties aux salariés, préparer l'ouverture à la concurrence et maintenir un haut niveau de sûreté et de sécurité.

Le texte final conserve l'obligation pour l'État de conclure des contrats de service public pour préserver la desserte TGV des villes moyennes sans correspondance.

Il maintient le cadre relatif au transfert des salariés vers de nouveaux opérateurs, le Sénat ayant favorisé le recours au volontariat et garanti le maintien de droits sociaux substantiels.

Gares et Connexions deviendra une filiale de SNCF Réseau disposant d'une autonomie organisationnelle, décisionnelle et financière, qui contractualisera directement avec l'État.

Le champ des informations à transmettre aux autorités organisatrices de transport (AOT) a été étendu, sur le modèle de la proposition de loi Maurey-Nègre, et les matériels roulants et ateliers de maintenance pourront être transférés aux AOT. Enfin, deux dérogations à l'obligation de mise en concurrence des services conventionnés, trop générales, ont été encadrées.

Seuls trois sujets ont évolué : le nombre de salariés transférés, qui devait initialement être décidé par l'opérateur sortant, sera finalement décidé d'un commun accord avec les régions ; l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) pourra être saisie en cas de désaccord.

Deuxième sujet, l'indépendance de SNCF Réseau. Pour une ouverture à la concurrence réussie, il faut que les opérateurs aient un accès équitable aux infrastructures. Le Sénat a renforcé le régime d'incompatibilité des fonctions de membre du conseil d'administration et de surveillance ou de dirigeant de SNCF Réseau et assuré l'autonomie de SNCF Réseau vis-à-vis de la holding. Toutefois, nous avons permis que le directeur financier, par exemple, de la holding puisse siéger au conseil d'administration de SNCF Réseau.

Enfin, la CMP a supprimé l'avis conforme de l'Arafer sur le volet tarification du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau, que le Sénat avait introduit, mais préservé un mécanisme incitatif pour éviter le blocage : en cas de non-validation, SNCF Réseau devra présenter une nouvelle tarification dans les trois mois, ou la tarification antérieure sera reconduite. Le Sénat a accepté une indexation sur l'inflation, mais pendant une année seulement ; si le désaccord persistait, la tarification serait gelée.

La CMP a donc abouti à une réforme ambitieuse qui respecte les droits des salariés et conserve la desserte de nos territoires. La voix du Sénat a été entendue. J'espère que cet esprit d'ouverture du Gouvernement vis-à-vis de notre Haute Assemblée se prolongera.

Je veux, pour conclure, m'adresser solennellement aux grévistes. Désormais, la loi est votée, la grève ne sert plus à rien.

M. Jean-Louis Tourenne.  - Si tant est qu'elle ait servi...

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - La poursuivre, c'est l'affaiblir, la banaliser. Ce n'est pas aux syndicats de faire la loi, mais au Parlement ; au demeurant, le législateur a écouté ceux qui voulaient l'être. Arrêtons cette grève ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants ; M. Éric Gold applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Je ne citerai ni Victor Hugo, ni Jules Renard, ni Maurice Thorez, Monsieur le Rapporteur (Sourires), mais Portalis : il ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires. Cette loi est nécessaire, pour nos concitoyens, pour les territoires, pour la SNCF, pour les cheminots.

Depuis le 26 février dernier, j'ai mené cette réforme, tenu le cap dans un esprit de dialogue. Cette loi repose sur des principes structurants. Le premier, c'est l'ouverture à la concurrence. Vous l'appeliez de vos voeux, conscients qu'elle n'est pas une menace. J'ai confiance dans la SNCF, dans les 150 000 cheminots dont je connais l'engagement.

Cette concurrence sera progressive et protectrice pour les salariés, les territoires et les usagers. Elle n'a qu'un but : donner accès à nos concitoyens à plus de trains, moins chers.

Deuxième principe : transformer la SNCF en société nationale à capitaux publics pour en faire un champion. Détenue à 100 % par l'État avec des capitaux incessibles, la SNCF est et restera publique. N'agitons pas des peurs alors que le principe est unanimement partagé, ici comme à l'Assemblée nationale. Il n'y a pas de meilleure garantie.

Cette réforme refonde le pacte social des cheminots pour l'adapter à un monde ouvert à la concurrence, dans un esprit d'équité. Nous souhaitons un système ferroviaire tourné vers l'avenir et incarnant une valeur fondamentale du service public : l'adaptabilité aux besoins des territoires et des citoyens.

Certains agitent des épouvantails mais le contrat moral entre la SNCF et les cheminots sera respecté. Des garanties de haut niveau sont apportées à ces derniers en cas de transfert.

Enfin, le Gouvernement a présenté les leviers pour redresser le modèle économique de la SNCF et lui donner tous les atouts pour se développer.

Le Gouvernement avait présenté un projet de loi d'habilitation ; l'Assemblée nationale a inscrit les principales modalités de la réforme dans le texte, vous les avez complétées et précisées dans un travail inédit de co-construction. Cette méthode a pris en compte le dialogue avec les organisations syndicales et les collectivités. Vous en avez été des acteurs essentiels en construisant, au terme d'un riche débat, une majorité de projet, à l'écoute des organisations syndicales qui ont su apporter des garanties pour les salariés.

Votre assemblée a imprimé au texte son attachement singulier à l'aménagement du territoire, que je partage. Le 5 juin, vous avez refusé l'immobilisme en votant un texte majeur. Il traduit un engagement sans précédent du Gouvernement en faveur du transport ferroviaire : refus de la facilité d'une réforme a minima, reprise de 35 milliards d'euros de dette de la SNCF, investissement annuel dans le réseau ferré national porté de 3,6 à 3,8 milliards d'euros.

Il revient aux partenaires sociaux de dessiner un cadre social commun et protecteur au sein de la branche. La tâche est importante. Je veux croire que les organisations syndicales et patronales se montreront à la hauteur. Je serai vigilante au bon déroulement de la négociation que je relancerai demain au ministère.

Vous serez étroitement associé, Monsieur le Rapporteur, à la rédaction des ordonnances techniques.

Enfin, je veillerai à ce que le rapport attendu sur les petites lignes ne vienne pas nourrir la longue liste des rapports non remis. (Sourires)

Nous avons travaillé dans un climat de confiance constructif, qui a aussi prévalu en CMP.

Je salue Gérard Cornu, votre rapporteur (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC, Les Indépendants et Les Républicains) et Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. (Même mouvement) Je salue à nouveau l'attention particulière portée par le président Larcher à cette oeuvre commune. (Même mouvement)

Ce texte est le premier volet du projet de loi d'orientation des mobilités que je présenterai cet été, qui traduira l'engagement du président de la République en faveur d'une société de la mobilité. Il répondra à une exigence de justice pour nos territoires les plus fragiles, une exigence d'efficacité et une exigence environnementale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC, Les Indépendants et Les Républicains)

M. Frédéric Marchand .  - Il est des moments qui comptent dans une vie de parlementaire et, jeune élu, je mesure toute l'importance de cet instant.

Tout n'a pas été un long fleuve tranquille depuis le 26 février dernier. Pour la première fois depuis bien des années, un gouvernement décidait d'en finir avec les atermoiements et s'attaquait à la réforme d'un système ferroviaire en bout de course. Vous avez eu le courage et l'audace, Madame la Ministre, de le faire pour garantir un avenir au service public ferroviaire français face à l'ouverture à la concurrence. Il en fallait de l'audace, du courage pour bousculer les habitudes et les corporatismes, avec la volonté farouche et de trouver la solution législative la plus efficiente, celle de la co-construction entre Gouvernement et Parlement. Le Sénat a joué un rôle essentiel, et je salue le travail d'orfèvre réalisé par notre rapporteur, sous la houlette bienveillante du président Maurey.

La CMP a témoigné de l'apport sénatorial en s'accordant sur un texte équilibré qui fait la part belle à l'efficacité, à la modernité et à la justice sociale. « Penser social » n'est pas l'apanage de quelques-uns qui en font l'alpha et l'oméga d'un logiciel politique qu'ils peinent à réinventer !

Nous avons prévu des garanties sociales de haut niveau pour les cheminots transférés, noué avec les organisations syndicales réformistes un dialogue fécond.

L'unité sociale du groupe SNCF unifié est affirmée, grâce au Sénat.

L'ouverture à la concurrence n'est pas une fatalité pour le service public ferroviaire, c'est au contraire une chance de se réinventer.

Elle sera protectrice pour la desserte des territoires et garantira la défense des intérêts des usagers via les comités de suivi des dessertes auprès des AOT.

L'efficacité, c'est aussi la règle d'or, pendant la reprise progressive de la dette. Accompagnée d'un engagement fort de l'État en matière d'investissement, elle doit sécuriser la trajectoire financière de la SNCF.

Le Gouvernement a pris toutes ses responsabilités en matière financière pour que la SNCF puisse appréhender l'avenir et écrire une nouvelle page de notre histoire.

Cette réforme est une clé d'entrée pour la loi d'orientation sur les mobilités que nous attendons avec gourmandise. Preuve que le timing de la réforme ferroviaire était pertinent, puisque nous avons pointé nombre de sujets que nous aurons à reprendre pour transformer l'essai.

Dans un futur qui se doit d'être radieux, la gestion plus efficace des gares doit conforter le rôle de ces places fortes et en faire des lieux de vie incontournables pour la réussite des mobilités de demain. « Peut-être le bonheur n'est-il que dans les gares », disait Georges Perec ! (MM. André Gattolin et Julien Bargeton apprécient.)

Ce nouveau pacte ferroviaire apporte des garanties fortes aux cheminots, que le Gouvernement a complétées en confirmant le rôle qu'entend tenir l'État dans le cadre des négociations.

Le moment est venu de mettre un terme à une situation qui paralyse notre économie et pénalise nos concitoyens.

Le droit de grève est sans doute un droit constitutionnel...

Mme Éliane Assassi.  - Il l'est !

M. Frédéric Marchand.  - ... et loin de moi l'idée de faire un procès d'intention... (Protestations sur les bancs du groupe CRCE) mais ce n'est pas dans l'intérêt des cheminots de continuer. Félicitons-nous plutôt que ce texte grave dans le marbre notre attachement indéfectible au service public ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Éliane Assassi .  - Lors des explications de vote la semaine dernière, un sénateur a vomi pendant quatre minutes trente sur les sept qui lui étaient dévolues sa haine des cheminots, des syndicalistes et des communistes. La confrontation d'idées n'autorise pas les insultes.

Cette CMP ne clôt que provisoirement le débat parlementaire puisqu'il nous faudra encore ratifier de nombreuses ordonnances. Notre groupe sera un opposant déterminé à tout recul du service public. Notre boussole ne varie pas : c'est l'intérêt général et le respect des droits de nos concitoyens.

Le compromis trouvé entre majorités présidentielle et sénatoriale ne nous surprend pas, nous avions constaté leur volonté partagée d'en finir avec l'histoire publique du rail en changeant le statut de la SCNF. Or la libéralisation s'accompagne toujours d'une dégradation du service, de l'abandon des activités non rentables, d'un changement de logique. L'exemple du gaz est éclairant, si j'ose dire (Sourires) : le service public a été livré au privé, pour le plus grand bonheur des actionnaires d'Engie : plus 333 % de dividendes de 2009 à 2016 ! Cela fait un « pognon dingue », comme dirait l'autre... (Rires) Pendant ce temps, le taux de participation des salariés était de 1 % et les tarifs augmentaient de 80 % pour les usagers !

Le Gouvernement misait sur une division syndicale après l'examen au Sénat, il n'en est rien. Les cheminots restent mobilisés. Les pseudo-garanties apportées en cas de transfert n'ont pas rassuré les agents. Les amendements « très sociaux » du rapporteur n'auront pas pu cacher votre sombre dessein : la fin programmée du statut et le renvoi à une nouvelle convention collective sans doute moins favorable. C'est un mépris inacceptable envers les acteurs quotidiens du ferroviaire. À croire que l'on voulait la peau des cheminots, prélude à d'autres régressions.

Notre groupe continue à demander le retrait de ce texte.

Mme Françoise Férat.  - C'est un peu tard !

Mme Éliane Assassi.  - Vous savez, la résistance, on connaît, nous les communistes ! (Exclamations à droite)

M. Bruno Sido.  - Vous n'êtes pas les seuls !

Mme Éliane Assassi.  - Pour nous, l'avenir du rail, c'est la maîtrise publique. L'avenir, c'est la démocratisation de l'entreprise publique, la relance du fret ferroviaire comme outil de transition écologique, la fin de l'avantage concurrentiel de la route et des cars Macron - pour que la France respecte enfin ses engagements internationaux en matière d'émissions de gaz à effet de serre. L'avenir, ce sont aussi des trains plus nombreux, sûrs, ponctuels. Moderniser le service, c'est d'abord moderniser des installations vétustes. Pour cela, la concurrence ne changera rien. Il faut des financements.

Notre groupe avait proposé une taxe poids lourds pour financer les infrastructures, un versement transport régional, une baisse de TVA sur les services de transports, une renationalisation des autoroutes. Vous avez éludé, Madame la Ministre. Nous prenons acte et réitèrerons ces propositions à l'occasion de la loi d'orientation des mobilités.

En attendant, notre groupe votera contre ce texte porté par les tenants de l'ultralibéralisme qui veulent danser sur la dépouille de la SNCF. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je félicite les rapporteurs et tous ceux qui ont contribué à l'aboutissement de ce texte, sans doute l'un des plus important du quinquennat. Il a le soutien du groupe UC. La CMP a été conclusive, à 12 voix sur 14. Un consensus pourrait-il se dégager sur cette réforme si clivante ?

Démentant les craintes, le Gouvernement n'a pas confisqué le débat, qui ne s'était pas ouvert sous les meilleurs augures. Mais chacun a pu s'exprimer. Le champ des ordonnances a été restreint aux dispositions les plus techniques.

Le Sénat a pesé de tout son poids dans la discussion, démontrant, s'il en était besoin, son utilité fondamentale pour la démocratie.

Nous nous réjouissons que le pouvoir de l'Arafer sur la tarification ait été préservé. Le modus vivendi trouvé sur le transfert des salariés, dont le nombre sera fixé d'un commun accord par l'AOT et l'opérateur sortant, est un compromis tout à fait centriste.

Les modalités encadrant les transferts devraient éteindre l'incendie social. Mais, Madame la Ministre, une fois les écritures fixées sur papier, il faudra encore évangéliser...

L'avenir des « petites lignes » nous tient particulièrement à coeur. L'ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au prix de l'enclavement des zones rurales. Les offres de mobilité doivent être diverses et complémentaires, certes, mais quand l'avenir des lignes secondaires est incertain, l'entretien des routes problématique, les déplacements en voiture toujours plus lents et plus chers, les investissements verrouillés par des logiques comptables... les ruraux doutent.

C'est pourquoi le Sénat a fermement réaffirmé le rôle de l'État pour préserver les dessertes d'aménagement du territoire, moins rentables. Les régions pourront contractualiser directement avec l'État et les opérateurs pour préserver les petites lignes. Enfin, la tarification assurera une préparation entre les lignes les plus exploitées et celles qui le seront moins.

Ces garde-fous seront-ils suffisants ? Ce n'est pas certain. C'est pourquoi, à titre personnel, je me suis abstenue en première lecture. Le groupe UC fait le pari pascalien de le croire, mais croyance n'est pas blanc-seing : nous ne croirons que ce que nous verrons. Nous serons vigilants à ce que cette réforme ne se traduise pas, in fine, par un nouveau coup porté à la ruralité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Indépendants et RDSE)

M. Olivier Jacquin .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Nous avons dit la semaine dernière notre satisfaction sur le rôle du Sénat dans les travaux parlementaires, mais aussi notre déception sur ce texte, et voté contre.

En CMP, un amendement du rapporteur a élargi le périmètre social des garanties des salariés de SNCF Mobilités, petite avancée. Mais tout n'est pas rose.

La CMP a été conclusive mais surtout expéditive : 50 amendements en une heure !

L'amendement de Mme Keller, voté à l'unanimité, a été conservé, mais pas le sous-amendement de M. Brisson qui garantissait la desserte des gares prolongeant une ligne nouvelle.

Disparu également, l'amendement de MM. Huré et Sido sur l'information en cas de suppression d'un service... Nos si chères petites lignes !

M. Bruno Sido.  - Eh oui !

M. Olivier Jacquin.  - Un amendement Malhuret, qui assurait l'information du Parlement sur les grandes orientations stratégiques dans le ferroviaire, a été retoqué. Enfin, recul sur le volet tarification, avec le retrait de l'avis conforme de l'Arafer. Quels sacrifices ont été acceptés par notre rapporteur !

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Oh !

M. Olivier Jacquin.  - Le débat aurait mérité d'être prolongé dans l'hémicycle car il était fructueux.

M. Roland Courteau.  - En effet.

M. Olivier Jacquin.  - Ne nous félicitons pas trop d'une CMP conclusive, alors que nous nous battons pour le rôle du Sénat, comme le font le président Larcher et notre vice-présidente !

Il reste trop d'habilitations. (M. Charles Revet confirme.) Notre groupe sera vigilant sur le contenu des ordonnances : sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, nous avons légiféré au doigt mouillé.

Rendez-vous dans six mois pour en savoir plus sur les petites lignes, sujet habilement différé par le Premier ministre alors que le choquant rapport Spinetta préconisait la poursuite de l'attrition du réseau...

Madame la Ministre, vous ne nous avez pas convaincus de l'intérêt du statut de société anonyme plutôt que d'EPIC. L'incessibilité des capitaux est garantie... jusqu'à une prochaine loi ! Et quid de l'incessibilité des capitaux des filiales ? La filialisation de Fret SNCF a été annoncée sans être débattue. Auriez-vous un accord avec nos amis chinois et leur incroyable projet de nouvelles routes de la soie ? Un rapport sénatorial sur le sujet vous convaincra de l'intérêt du fret ferroviaire, dont nous parlons depuis le début du débat.

Les soupçons de privatisation n'ont pas été dissipés. Voyez les propos du ministre de l'économie dans Les Echos d'hier, qui estime que « l'État n'a pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles »... Nous restons inquiets et perplexes. (M. Roland Courteau le confirme.)

Oui à une plus grande unité du système ferroviaire : le rail doit parler au train. Il aurait fallu limiter les interfaces... Nous serons vigilants sur la séparation stricte entre SNCF Mobilités et Réseau, filiales d'une même holding mais ne pouvant dialoguer efficacement.

Enfin, la reprise de la dette : très bien. Merci au précédent gouvernement de vous l'avoir permis en faisant passer le déficit de 5,2 à moins de 3 % ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR, on ironise à droite.)

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Il n'y croit pas lui-même.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable.  - Humour socialiste !

M. Roger Karoutchi.  - Il vaut mieux entendre cela que d'être sourd !

M. Olivier Jacquin.  - Madame la Ministre, je dois vous rendre hommage.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - J'ai peur !

M. Olivier Jacquin.  - Votre vision a fait échec à une libéralisation sauvage à l'anglaise qui aurait dynamité notre système ferroviaire.

Mais pourquoi avoir ainsi brutalisé les cheminots et déclenché l'une des plus grandes grèves de la SNCF ? Les négociations de la convention collective du ferroviaire avaient été lancées en 2014. Madame la Ministre, pourquoi ne pas avoir pris le relais ? Le surcoût estimé du statut s'élève à plus ou moins 10 millions d'euros, le coût direct de la grève pour la SNCF à 400 millions !

D'ici cinq ans, moins de mille cheminots seront transférés, sur 130 000. Il n'y a que cela qui bloque les négociations ; on comprend leur anxiété. Nous aurions pu limiter encore le champ de cette cinquième ordonnance, au flou persistant, dans une logique de mieux-disant social.

Nous comptons sur la réunion tripartite de demain : vous avez toujours les moyens de faire cesser la grève.

Votre réforme ne dit rien du fret, ni de l'écologie alors qu'il faudrait utiliser le potentiel de massification du rail. C'est une réforme du XXe siècle, une réforme à l'envers puisqu'elle intervient avant la loi sur les mobilités.

Ce nouveau pacte ferroviaire est un pacte Les Républicains-En Marche sur le dos des cheminots. Le groupe socialiste votera contre. On ne dirige pas la France, comme une start-up. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Alain Fouché .  - Je remercie M. Maurey et le rapporteur de leur excellent travail ; ils ont su défendre en CMP les apports du Sénat.

Ce texte est doublement décisif. Il trace la route de l'avenir ferroviaire français et donne à la SNCF les moyens de rester un champion national face à la concurrence étrangère.

Sur la question des transferts, des garanties importantes ont été apportées, notamment en ce qui concerne le rôle de l'Arafer. Les garde-fous prévus sur la tarification devront être réellement utilisés.

Le Gouvernement souhaitait revenir sur l'incompatibilité de fonctions entre SNCF Mobilités et la holding de tête. Un compromis a été trouvé, mais l'on reste au milieu du gué. Il faudra régler définitivement la question.

Je me félicite que l'amendement Les Indépendants sur la lutte contre le changement climatique, adopté à l'unanimité à l'article premier, ait été conservé. La transformation des transports ne peut se faire qu'en accord avec la politique globale de développement durable et de préservation de l'environnement.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte et veut croire qu'il marquera, à l'instar de la pose du dernier boulon d'or, le début d'une nouvelle aventure ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Éric Gold .  - C'est le quatrième paquet ferroviaire, adopté en décembre 2016, qui ouvre à la concurrence le transport de voyageurs en Europe ; cela mérite d'être rappelé car beaucoup de nos concitoyens l'ignorent encore. Ce projet de loi prépare la SNCF à cet état de fait. Les inquiétudes qu'ils suscitent sont légitimes car il est question de libéraliser un service public, les Français sont attachés à la SNCF et aux 150 000 cheminots et ils ont raison.

Le RDSE, profondément européen, approuve, dans sa large majorité, l'ouverture à la concurrence. S'il faut rester vigilant sur ses conséquences, pour l'heure, inconnues, les défaillances actuelles de notre système ferroviaire appellent à sa refonte en profondeur pour préserver son attractivité. Cela est crucial pour l'aménagement du territoire et le respect de l'environnement.

Nous aurions voulu davantage de garanties sur les « petites lignes », il appartiendra aux AOT de rassurer élus et usagers. Le travail parlementaire a levé les inquiétudes sur l'avenir du groupe ferroviaire : le caractère incessible du capital de la SNCF met fin aux rumeurs d'une privatisation imminente. Concernant le transfert des salariés, la CMP a conservé les garanties apportées par le Sénat : la SNCF devra offrir un reclassement dans la région ou, à défaut, sur le territoire national aux salariés qui consacrent moins de 50 % de leur temps de travail à un marché perdu et qui souhaitent rester dans le groupe. J'aurais aimé des garanties géographiques plus fortes mais salue la détermination du Gouvernement et du Parlement à favoriser le plus possible le volontariat. Le nombre de salariés à transférer sera décidé d'un commun accord entre l'AOT et l'opérateur sortant, avec une saisine de l'Arafer en cas de différend. Un consensus a également été trouvé sur le régime d'incompatibilité des fonctions de dirigeant de SNCF Réseau et de la holding SNCF et la tarification du réseau.

Le RDSE approuve le travail réalisé en bonne intelligence par les rapporteurs et les présidents de commission, qui préserve le rôle de l'Arafer et des AOT. La CMP a d'ailleurs conservé en grande majorité les apports du Sénat, qui avait hérité d'un texte inabouti et a fait le choix de la transparence en inscrivant des garanties fermes dans la loi. Le Gouvernement, inflexible sur les grands principes de la réforme, a accepté des clarifications, voire des avancées, au fil de la discussion parlementaire : la reprise partielle de la dette et des investissements massifs dans la maintenance.

Le groupe RDSE, satisfait que certains de ses amendements aient été adoptés, votera en grande majorité ce texte ; il restera vigilant sur le contenu des décrets à venir et le rôle que jouera l'État dans les négociations de branches qui s'annoncent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et quelques bancs du groupe LaREM)

M. Philippe Pemezec .  - Ce texte doit être le socle d'un nouveau pacte ferroviaire, le départ d'une réforme de la SNCF à l'aube de l'ouverture à la concurrence des transports de voyageurs. Je salue l'accord trouvé en CMP en tant que sénateur, membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable mais aussi comme petit-fils de cheminot. N'en déplaise à Cécile Duflot, on peut descendre d'un cheminot, cégétiste de surcroît, et être conscient « qu'il faut savoir arrêter une grève », comme disait quelqu'un dont je préfère taire le nom. (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains ; marques d'agacement sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Roland Courteau.  - Pas la peine d'en rajouter !

M. Philippe Pemezec.  - Le Sénat a donné des garanties aux salariés transférés, préservé la desserte des villes moyennes par le TGV, assurer une ouverture à la concurrence équilibrée entre l'opérateur historique et les potentiels entrants. Contrairement aux ordonnances, la voie parlementaire est un gage de débat démocratique et, donc, de solidité pour l'avenir. Le Parlement a fait la preuve que, sans contrainte, il est capable de voter dans les temps une réforme majeure. Le débat a eu lieu : 82 amendements adoptés à l'Assemblée nationale, 145 au Sénat. Chacun s'est exprimé et le Sénat a joué un rôle essentiel, preuve qu'il n'est pas aussi inutile que certains de vos amis, Madame la Ministre, veulent bien le dire et l'écrire.

M. Roland Courteau.  - Juste !

M. Philippe Pemezec.  - La SNCF, grâce à cette réforme, restera une entreprise compétitive. Nous avons adopté le calendrier le plus souple possible. Reste au Gouvernement à résoudre plusieurs questions tout aussi importantes. Il s'est engagé à reprendre 35 milliards d'euros de la dette de la SNCF, que le contribuable et les régions devront payer : quelles seront les conditions de cette reprise ? La transformation de la SNCF en société anonyme ne sera que de façade sans réforme de structure et management pour réduire le déficit d'exploitation, qui était de 2,5 milliards par an ces dernières années. Un équilibre devra être trouvé sur l'avenir des salariés et l'adaptation de leur statut pour ne pas handicaper les potentiels entrants. Enfin, élu francilien, je ne peux que regretter qu'il ne soit pas question du service minimum dans ce texte.

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !

M. Philippe Pemezec.  - Les usagers du quotidien auraient dû être entendus.

Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP. Merci à Gérard Cornu pour son implication ainsi qu'au président Maurey. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et LaREM)

Explications de vote

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Je salue à mon tour le rapporteur, qui a fait un travail remarquable, ainsi que les administrateurs de la commission. (Applaudissements) Je salue l'esprit d'ouverture de la ministre, ce n'est pas si fréquent au Gouvernement. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je remercie le président Larcher pour son implication précieuse sur le volet social. Je salue le Premier ministre et le président de la République qui ont su tenir bon face à la rue et aux syndicats et démontré qu'ils étaient capables de mener à bien une réforme nécessaire pour le pays.

Les choses avaient mal commencé, elles se terminent bien. Retenons, pour l'avenir, que nous le devons à la volonté de co-construire le texte, la concertation avec les syndicats menée par Gérard Cornu qui aboutit à des avancées justifiant la reprise du travail, à l'esprit pluraliste qui règne ici, ce qui n'est pas le cas de toutes les assemblées, avec des avis favorables donnés à des amendements venant de tous les groupes. (Marques d'ironie sur les bancs du groupe CRCE) L'amélioration du volet social a été votée à l'unanimité.

La CMP a peu modifié le texte du Sénat, j'y vois la preuve que nous avions atteint un point d'équilibre. L'aménagement du territoire est pris en compte avec les contrats de service public que Louis Nègre et moi avions souhaité. Nous attendons d'ailleurs, Madame la Ministre, le schéma national des services de transport qui définira les dessertes à maintenir. Comme nous le voulions, l'ouverture à la concurrence se fera avec un régulateur fort, le président de SNCF Réseau ne pourra pas siéger dans la holding et l'opérateur historique devra transmettre toutes les informations nécessaires aux AOT -  l'expérience a démontré qu'il fallait insister sur ce point.

Le Sénat n'a pas donné dans le détricotage et la surenchère, il a fait le choix de la responsabilité. Madame la Ministre, vous avez pu observer l'intérêt d'un dialogue bicaméral. Nous espérons qu'il fasse jurisprudence, et pas seulement pour la loi Mobilités. J'ai noté votre engagement d'associer les rapporteurs à l'écriture des ordonnances. Les conditions sont dorénavant remplies pour qu'une grève qui n'a que trop duré pour les Français, l'économie française et la SNCF cesse. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Indépendants, LaREM et Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - Conformément à mes convictions, et même si je salue le travail du rapporteur et de la commission, je voterai contre. Depuis trop longtemps, nous assistons à des fermetures de lignes et à un défaut d'investissement tant pour les voyageurs que pour le fret. Dans un esprit de défense de nos territoires et au regard des enjeux du développement durable, le rail, moyen de transport le plus sûr, doit être soutenu. Pour la défense des voyageurs et du monde cheminot, je voterai contre ce texte qui comporte trop d'incertitudes.

À la demande des groupes LaREM et CRCE, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°124 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 245
Contre 83

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, UC et Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre .  - Merci pour ce vote à une très large majorité et à tous les sénateurs qui soutiennent cette réforme nécessaire pour offrir un meilleur service aux Français et renforcer la SNCF par des investissements sans précédent.

Le débat, parfois tonique, a été riche. Nous pouvons être fiers de cette co-construction. Rendez-vous pour le projet de loi Mobilités ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, UC et Les Républicains)