Politique énergétique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique énergétique à la demande du groupe Les Républicains. Il se déroulera sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des Présidents.

Je vous rappelle que l'orateur du groupe ayant demandé ce débat disposera d'un temps de parole de huit minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Trois ans après l'adoption de la loi de transition énergétique et quelques semaines avant la présentation de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le groupe Les Républicains a jugé ce débat nécessaire. Il l'est d'autant plus que le Parlement n'est pas associé à la déclinaison des grands objectifs de la PPE. Cela mériterait une loi de programmation, comme le demande, avec raison, notre collègue Husson.

La politique énergétique est traitée par petit bout : les éoliennes en mer dans la loi Droit à l'erreur, le droit à l'injection du biogaz dans la loi Egalim - et on y reviendra dans la loi Mobilités, ou encore la suppression des tarifs réglementés dans la loi Pacte. Ce n'est pas sérieux.

Nous disposons désormais des premiers chiffres pour évaluer les effets des choix faits en 2015. Ils révèlent ce qu'a toujours dit le Sénat : les objectifs fixés étaient irréalistes, voire dangereux pour certains. Notre taux d'indépendance énergétique a baissé de trois points, ce qui a contribué à un rebond de 23 % de la facture énergétique.

En 2017, la consommation électrique finale a progressé de près de 1 % avec la croissance économique - mais la loi prévoyait une division par deux en 2050.

Le Sénat avait eu raison de plaider pour une diversification plus progressive du mix électrique. Ce n'est pas parce que nous serions au Sénat des « nucléocrates » béats - nous n'ignorons pas que ce n'est pas une énergie comme les autres et connaissons l'importance de la sûreté nucléaire, et la France possède l'une des autorités de contrôle les plus exigeantes du monde.

N'oublions pas que le nucléaire nous a permis d'avoir une énergie peu chère et parmi les moins carbonées en Europe, tout en assurant notre sécurité d'approvisionnement.

Il faut remettre de la raison dans le débat. Qu'on le veuille ou non, la lutte contre le changement climatique passe par le nucléaire, auquel votre prédécesseur, Monsieur le Ministre, était opposé. Le flou règne au Gouvernement.

Monsieur le Ministre, vous engagez-vous à ce que la PPE précise le nombre de réacteurs à fermer, voire leur nom et leur calendrier de fermeture ?

Le nucléaire n'a représenté que les trois quarts de l'électricité - qui ne représente qu'un quart de notre consommation d'énergie, laquelle est aux deux tiers alimentée par les énergies fossiles.

Sur ce sujet, nos concitoyens ruraux n'ont souvent pas d'autre choix que de prendre leur voiture diesel et de se chauffer au fioul. (M. Roland Courteau le confirme.) Or vous les matraquez : l'an dernier, nous avions calculé qu'entre 2018 et 2022, la pression fiscale augmenterait en cumulé de 46 milliards d'euros par le seul effet de la fiscalité énergétique.

Vous prétendez avoir une vision non punitive de la fiscalité environnementale, mais vous ne poursuivez en réalité qu'un objectif de rendement budgétaire. Il est temps d'entendre nos appels à la compensation, à la modération, sans quoi vous casserez la croissance en cassant le moral des Français.

Dans le bâtiment, les aides sont insuffisantes. Pour 2019, c'est raté - mais vous engagez-vous pour 2020, Monsieur le Ministre ?

Il faut remettre le paquet sur le verdissement du gaz, notamment grâce à la méthanisation. Biocarburants, bio-GNV, hydrogène renouvelable : ces pistes doivent être explorées...

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Daniel Gremillet.  - Je termine d'un mot sur un enjeu qui les englobe tous : celui de la solidarité, envers les plus modestes de nos concitoyens mais aussi entre les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président. - Vous avez huit minutes, Monsieur le Ministre.

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Ma première intervention à la tribune du Parlement en tant que membre du Gouvernement est donc pour le Sénat... (Sourires)

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. François de Rugy, ministre.  - C'est l'occasion de réaffirmer mon attachement au bicamérisme, très utile pour notre démocratie...

M. Jérôme Bignon.  - Très bien ! (On renchérit sur divers bancs.)

M. François de Rugy, ministre.  - ... et de saluer le président Gérard Larcher, avec qui j'ai beaucoup travaillé pendant quatorze mois. Merci, Monsieur Gremillet, d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce débat qui tombe à point nommé, à la veille de l'examen de la PPE. C'est la traduction des engagements de la loi Transition énergétique de 2015 ; nous l'avons dit, nous nous inscrivons dans ce cadre législatif.

Notre politique énergétique doit traduire en actes la stratégie climat de la France - laquelle découle de l'accord de Paris de décembre 2015. L'objectif, c'est la neutralité carbone en 2050.

Première priorité, la réduction de la consommation énergétique. L'objectif est une baisse de 45 % à l'horizon 2050. L'énergie la moins polluante et la moins chère est celle que l'on ne consomme pas... Baisser la consommation, c'est aussi un bouclier contre les augmentations et les variations de prix - le marché de l'énergie est tendanciellement à la hausse.

J'ai récemment annoncé l'initiative Faire pour la rénovation énergétique des logements, avec l'objectif de 500 000 rénovations par an.

Deuxième axe : le transport. Le président de la République a réuni hier, à quelques jours de l'ouverture du salon de l'automobile, les grands dirigeants de l'industrie automobile française, européenne et mondiale, afin de discuter concrètement de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les transports individuels. Je participais à cette rencontre. Nous n'allons pas promettre aux Français de basculer totalement dans la voiture électrique dans les cinq ans qui viennent, ce serait irréaliste. Pour atteindre l'objectif de décarboner les transports d'ici à 2050, il faut diversifier les solutions : véhicules électriques, hybrides, gaz naturel pour les bus, les cars et les camions, auxquels la motorisation électrique ne convient pas.

Un mot sur la fiscalité écologique. Parlementaire, j'ai entendu mes collègues en appeler sans cesse à la fixation d'un prix au carbone. Mais quand il faut voter une fiscalité, il y a moins de monde, et moins encore pour en défendre l'application. Moi, je l'assume.

Le Gouvernement a publié une trajectoire qu'il assume. Nous voulons baisser la taxation sur le travail, sur les entreprises ; mais il faut des recettes compensatrices...

M. Jean-François Husson.  - Un « pognon de dingue » ! (Sourires sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. François de Rugy, ministre.  - C'est la base du changement des comportements. J'étais à New York, à l'assemblée générale des Nations Unies, où la différence de taille entre les véhicules américains et européens, plus sobres, plus compacts, est patente. Aux États-Unis, les voitures consomment beaucoup plus, parce que le carburant y est moins cher. Le signal prix est fondamental.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. François de Rugy, ministre.  - Je croyais avoir 10 minutes !

M. le président.  - Je vous ai dit 8 minutes !

M. François de Rugy, ministre.  - J'y reviendrai dans mes réponses aux questions. Le Gouvernement organise l'accompagnement des Français dans la réduction de leur consommation, sur le logement comme sur les transports.

M. le président. - Chaque orateur dispose à présent de 2 minutes maximum pour présenter sa question, le Gouvernement de 2 minutes pour répondre. Vous pouvez répliquer, si et seulement si vous n'avez pas dépassé les 2 minutes : vous avez alors 30 secondes supplémentaires.

M. Roland Courteau.  - Oh là là !

M. Didier Rambaud .  - Il y a un obstacle majeur au développement des énergies renouvelables : l'hostilité de nos concitoyens aux éoliennes, aux stations de méthanisation près de leurs lieux de vie. Je le constate en Isère, où nous sommes interpellés par des associations : dans leur grande majorité, les Français sont favorables à l'essor des énergies vertes, « partout, sauf dans mon jardin » !

Or la méthanisation est un procédé prometteur, qui a fait l'objet d'un groupe de travail piloté par votre secrétaire d'État, Sébastien Lecornu, et qui permet aux agriculteurs de compléter leurs revenus tout en augmentant la part décarbonée du mix.

Comment pouvez-vous vous engager sur une pédagogie de grande ampleur pour soutenir ces projets et le développement d'une filière française ?

M. François de Rugy, ministre.  - Vous avez raison d'évoquer cette question de l'acceptabilité. Sur les énergies renouvelables, nous avons beaucoup progressé. Les procédures d'information sont transparentes, et assez longues. Les collectivités territoriales, l'Ademe, tous les acteurs y participent. Beaucoup voient aussi ces projets comme des opportunités de développement local. C'est une énergie made in France.

L'objectif fixé par la loi de transition énergétique est qu'en 2030 10 % du gaz produit soit bio. Il faut promouvoir les circuits courts. Le transport urbain adopte de plus en plus les bus au gaz.

M. Fabien Gay .  - La PPE s'inscrit dans un contexte de déréglementation accélérée de l'énergie. Les États devront abandonner des prérogatives alors que le pilotage national semble plus important que jamais.

Or l'énergie n'est pas une marchandise mais un bien commun. Mais le découpage d'EDF et GDF et d'autres mesures ont fragilisé le secteur.

La transition énergétique ne se fera qu'avec les citoyens et des investissements massifs dans la recherche.

Quels moyens seront mis en place pour créer de véritables filières d'énergies renouvelables pourvoyeuses d'emplois durables et facteurs de prix modérés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. François de Rugy, ministre.  - Nos approches divergent sur le plan idéologique. Votre idéologie est étatique, monopolistique. Je préfère la concurrence de plusieurs acteurs, y compris privés - étant entendu que l'opérateur public, EDF, contrôle encore tout de même 85 % du marché - et l'incitation, par les nouvelles technologies, les nouvelles pratiques, à maîtriser la consommation, qui n'a pas toujours été au coeur de l'action de l'opérateur historique.

Abandonne-t-on pour autant tout pilotage politique ? Certainement pas ! La loi de transition énergétique de 2015 en est la preuve. (M. Roland Courteau approuve.) C'était la première fois que le Parlement s'exprimait sur ce sujet !

Les collectivités locales, le privé, les citoyens, je le crois, doivent être mobilisés - je songe aux coopératives citoyennes, qui en Allemagne possèdent 50 % des éoliennes. Nous développons en outre une filière industrielle forte. À Saint-Nazaire, 100 % de la production locale d'éoliennes est exportée !

Mme Cécile Cukierman.  - Il n'y a plus de filière française !

M. Fabien Gay.  - D'après vous, nous sommes en pleine idéologie ; mais c'est vous qui défendez l'idéologie libérale ! Le prix du gaz a augmenté de 70 %, les dividendes pour les actionnaires ont explosé avec la fin de GDF. Ce n'est pas notre idéologie !

Mme Cécile Cukierman.  - Très bien !

M. Roland Courteau .  - La France prend du retard. Plus de 8 millions de logements consomment 330 kWh par mètre carré par an. La fiscalité écologique pèse lourd. La transition énergétique doit être socialement inclusive, or elle ne l'est pas. Pour certains, le fioul et l'automobile sont incontournables. Ils se sentent pénalisés.

Que prévoyez-vous, Monsieur le Ministre, afin que la transition énergétique n'aggrave pas la fracture sociale ? Le remplacement du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) par une prime sera-t-il acté en 2019 ?

M. François de Rugy, ministre.  - La question énergétique est de nature tout aussi sociale qu'écologique.

Quant aux passoires énergétiques, le président de la République a pris l'engagement de les sortir du marché avant 2025. C'est difficile, mais l'enjeu est avant tout social : les factures de chauffage sont un trou dans le budget pour les habitants de ces logements.

Dans le projet de loi de finances pour 2019, 50 euros supplémentaires sont prévus pour la prime à la conversion automobile, qui est un grand succès : 200 000 véhicules vendus en fin d'année sans doute, à 70 % par des ménages non imposables.

M. Roland Courteau.  - Les enjeux sont climatiques mais concernent aussi au premier chef la santé : selon l'Organisation mondiale de la santé, un euro investi dans la rénovation énergétique conduit à 0,42 euro d'économies en dépenses de santé. Prenons garde à ce que la transition énergétique ne reste pas vécue par beaucoup comme un luxe inaccessible !

M. Jean-Claude Requier .  - L'hydrogène « vert » contribue à l'indépendance énergétique ; c'est le « couteau suisse » de la transition énergétique, selon votre prédécesseur, Monsieur le Ministre. La France doit, à l'image de l'Allemagne, du Japon et des États-Unis, se saisir de cette opportunité. Or la stratégie en la matière, élaborée très tardivement, demeure en-deçà des attentes, avec l'objectif de 100 stations de distribution en 2023, quand l'Allemagne en prévoit 400 à la même échéance. Quelle place occupera l'hydrogène dans la prochaine PPE ? Quels moyens seront alloués à son développement ?

M. François de Rugy, ministre.  - Vous avez raison d'insister sur le rôle que peut jouer l'hydrogène, mais soyons clairs : il n'y a pas d'énergie miracle ! Je crois à la diversification ; l'hydrogène a toute sa place. Le Gouvernement a débloqué 100 millions d'euros pour des recherches. Mais 95 % de l'hydrogène utilisée en France dans l'industrie est issu d'énergies fossiles. Il faut développer l'usage de l'hydrogène propre, renouvelable, comme carburant. Son stockage implique des contraintes particulières. Le président de la République a évoqué ce sujet hier avec les constructeurs. C'est une perspective intéressante.

M. Jean-Claude Requier.  - Vous n'avez pas d'équivalent du groupe RDSE à l'Assemblée nationale, dont vous venez... Nous sommes attachés au nucléaire. (M. Ronan Dantec fait signe que non ; on s'en amuse à droite)... du moins en majorité ! (Sourires) Mais nous n'en sommes pas moins ouverts aux énergies renouvelables. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur divers autres bancs)

M. Jean-Claude Luche .  - Comme l'an dernier, le Gouvernement décide d'augmenter les taxes sur l'essence et encore plus fortement sur le diesel. Cela touche lourdement le pouvoir d'achat des périurbains et des ruraux qui n'ont ni métro ni RER, et de nombreuses activités.

Or le plus gros porte-conteneurs français pollue autant que 50 millions de voitures ! Et les transports maritimes et aériens ne sont pas inclus dans l'accord de Paris sur le climat... (M. Jean-François Husson confirme.)

Pendant ce temps, de nombreux emplois demeurent liés à cette filière, mise en difficulté. Dans l'Aveyron, Bosch fabrique des moteurs diesel, ce qui fait vivre 600 personnes directement et 10 000 indirectement. Comment, pour éviter la disparition ou la délocalisation de ces emplois, assurer la reconversion de cette filière mise à mal ?

M. François de Rugy, ministre.  - Votre comparaison entre le transport maritime et le transport automobile ne me semble pas fondée : un porte-conteneurs émet un million de tonnes de CO2 par an : c'est beaucoup, mais ce n'est pas la même chose ! Quoi qu'il en soit, les transports doivent tous évoluer.

Nous avons souhaité que la prime à la conversion concerne autant les véhicules neufs que d'occasion : c'est la première fois ! Ainsi, à 80 %, ce sont les vieux véhicules diesel qui sont mis à la casse, et 70 % des bénéficiaires touchent 2 000 euros car ne sont pas imposables. Cela profite à 95 % des ménages hors Île-de-France !

Nous n'avons certes pas assez anticipé la chute du marché du diesel qui ne représente plus que 40 % des ventes contre 75 % il y a dix ans. Cette chute n'est pas due uniquement aux politiques publiques. Il y a eu le dieselgate et d'autres facteurs. Près de 18 millions d'euros sont consacrés à l'accompagnement de la filière.

M. Jérôme Bignon .  - Ce débat est opportun qui vient quinze jours après la présentation du rapport sur le débat public sur la PPE.

Vous avez évoqué la diversification. L'énergie marémotrice en fait partie. La création, dans les Hauts-de-France, sur la côte picarde, ainsi que sur la côte ouest de la Normandie, seules zones françaises de fort marnage, d'un parc de cinq lagons marémoteurs produisant quinze gigawatts zéro carbone, soit 15 % des besoins français, a été estimée possible. Cela protègerait la biodiversité et limiterait l'érosion du trait de côte. Comment l'envisagez-vous dans le mix énergétique, et quelle place pour cette énergie dans la PPE, cinquante ans après l'usine de la Rance, Monsieur le Ministre ?

M. François de Rugy, ministre.  - Le prochain projet offshore, près de Dunkerque, arriverait à un coût de l'énergie, de l'ordre de 50 à 60 euros, proche de celui du marché pour l'éolien flottant. Mais les centrales marémotrices peuvent pâtir de l'envasement, comme ce fut le cas dans l'estuaire de la Rance...

Quoi qu'il en soit, nous continuerons à accompagner les acteurs, à évaluer l'acceptabilité des chantiers et la compétitivité de ces offres. Dans la baie de Somme, ce n'est pas facile, mais je suis prêt à y travailler avec vous.

M. Jérôme Bignon.  - Merci pour cette réponse ouverte, que je transmettrai en baie de Somme et en Normandie.

M. Jean-François Husson .  - L'énergie est corrélée à la préservation de l'environnement ou à la pollution de l'air, elles-mêmes liées à la fiscalité environnementale. Le Gouvernement poursuit la politique menée sous la présidence Hollande, qui se limite à un coup d'assommoir fiscal. L'État ferait mieux d'associer tous les acteurs pour donner un vrai sens à l'écologie, enfin. L'écologie punitive est-elle la seule solution ?

Quand ferez-vous le pari d'une économie décarbonée au service d'une croissance durable ?

M. François de Rugy, ministre.  - J'ai cru un moment que vous alliez me demander si j'étais pour l'écologie punitive... Je ne vous ferai pas cet aveu. Parleriez-vous aussi de « solidarité punitive » pour décrire la protection sociale, où les montants en jeu sont d'une tout autre ampleur ?

Pour dépenser, il faut des recettes. Je préfère taxer la pollution plutôt que le travail... Croyez-vous que l'on taxe sans contrepartie ? Non, nous investissons en retour.

Il faut développer les transports en commun pour faciliter la mobilité propre. C'est l'objet des chantiers du Grand Paris et de la loi sur les mobilités. Tout cela exige des ressources. Aux dépenses d'investissement nécessaires doivent correspondre des recettes à la hauteur. On veut un TGV ici, un métro ou un CDG Express là... Et la vignette poids lourds ne représente que 500 millions d'euros !

Nous donnons ainsi aux collectivités territoriales, aux entreprises et aux Français les moyens de réussir la transition énergétique.

M. Jean-François Husson.  - L'an dernier, le budget a prélevé 3,7 milliards d'euros de recettes environnementales pour 180 millions d'euros distribués !

La contribution climat énergie (CCE) représente 47 milliards d'euros sur le quinquennat ! Par ailleurs, la pollution de l'air due au trafic maritime est égale à celle due au trafic automobile... Sachons raison garder.

Mme Martine Filleul .  - Nous ne remplissons pas nos objectifs et en sommes même loin puisque notre consommation d'énergie a progressé de 4,2 points et les énergies renouvelables ont baissé de 12 points.

Notre politique est illisible. Le CNTE est une instance de discussion mais ses moyens humains et financiers sont insuffisants et il n'est pas toujours consulté !

Comment mieux coordonner la politique énergétique et mieux la décliner localement ?

M. François de Rugy, ministre.  - Je partage votre souhait d'aller plus vite, plus fort ; pour cela il faut mobiliser tout le monde. Je l'ai dit dès le départ, la politique énergétique ne se fait pas du seul bureau du ministre. Il faut mobiliser les entreprises - en accompagnant par exemple les industries, les électro-intensives en particulier, qui seraient étranglées si on leur appliquait la taxe carbone - les collectivités territoriales, bénéficiaires des deux tiers du fonds chaleur qui augmentera à 300 millions d'euros en 2019.

Nous n'oublions pas les citoyens : le chèque énergie, pour passer le cap, est porté à 800 millions d'euros ; le CITE, à 1 milliard d'euros !

Les transports publics, je le redis, ne sont pas autofinancés. Après le débat que vous avez suivi l'an dernier, le budget de l'État finance jusqu'à la dette de la SNCF, soit 25 milliards plus 10 milliards, donc 35 milliards d'euros en deux ans ! Tout cela, il faut le financer.

M. Claude Kern .  - Une incinération performante des déchets reste la meilleure solution pour les éliminer tout en valorisant leur apport énergétique. Mais les réseaux de chaleur restent trop rares car ils nécessitent des capitaux sur le long terme.

Malgré les ambitions de la loi Transition énergétique - multiplier par cinq les déchets traités ainsi - les investisseurs ne sont pas au rendez-vous, faute de visibilité. Le budget 2019 ne paraît pas renverser la tendance. Éclairez-nous, Monsieur le Ministre d'État, sur les mesures destinées à favoriser les sites de valorisation énergétique.

M. François de Rugy, ministre.  - Une feuille de route pour l'économie circulaire a été présentée avant ma prise de fonctions qui vise la baisse de la mise en décharge, encore trop importante en France, et au recyclage total des plastiques d'ici 2025. N'oublions pas la biomasse (bois, déchets agricoles, notamment) et la géothermie, à laquelle sont raccordés 400 000 logements en Île-de-France. Le développement des réseaux de chaleur sera une priorité dans la PPE et le soutien au fonds chaleur, outil d'intervention que l'État donne aux collectivités locales, sera augmenté.

M. Guillaume Chevrollier .  - Aujourd'hui, deux points de pression s'exercent sur les décideurs politiques : la dégradation du climat, et les cris d'alarme, les attentes légitimes des associations et des citoyens. L'accord de Paris a amorcé une réflexion, mais n'a pas impulsé de nouveau modèle énergétique clair. Reste aussi la question de la pression démographique - nous serons 10 milliards en 2050 - et celle, corrélative, de la pression sur les ressources. Les vidéos de l'astrophysicien Aurélien Barrau, devenues virales sur Internet, pointent que les réfugiés climatiques seront entre 250 millions et un milliard en 2030.

Alors que la COP24 commence bientôt en Pologne, quelle est la position de la France ? Quels outils comptez-vous utiliser ?

M. François de Rugy, ministre.  - Les conséquences sont en effet palpables, non pas seulement chez les autres, loin, mais chez nous. Je l'ai constaté avec le président de la République aux Antilles. Les assureurs le constatent et les conséquences économiques, dans de nombreux secteurs, sont concrètes...

Il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, c'est l'enjeu central de la COP24 ; la négociation sera difficile, il faut faire des choix, sur le plan global, comme national. Nous préparons ces négociations, et nous mobilisons à l'intérieur - j'en ai déjà parlé.

Nous nous dotons aussi d'un plan d'adaptation au changement climatique, dans tous les domaines - au-delà des problèmes posés par l'érosion à Soulac-sur-Mer.

M. Jean-Claude Tissot .  - En matière de prix ou de qualité de service, les progrès ne sont pas perçus par les consommateurs.

La mise en concurrence, en impliquant une multitude d'acteurs, n'a-t-elle pas entraîné un désordre nouveau ? En avez-vous une évaluation globale ? Je pense dans mon département, la Loire, à l'ancienne mine d'uranium de Saint-Priest-la-Prugne, dont la gestion est un véritable casse-tête.

Les tarifs réglementés - que la loi Pacte envisage de supprimer - sont un des derniers garde-fous, pour protéger les consommateurs. Nous avons besoin de plus de volontarisme européen : il ne faut pas se contenter de la construction d'un marché. Comment envisagez-vous cet aspect ?

M. François de Rugy, ministre.  - Certains auraient promis une baisse des prix de l'énergie avec la mise en concurrence - ce n'est pas le cas, mais les prix suivent les prix mondiaux qui sont orientés à la hausse. Les Français doivent comprendre que la France ne peut pas être une oasis de prix bas. C'est pourquoi nous voulons réduire la consommation ; ces choix sont incarnés dans le renoncement à exploiter nos gisements de gaz de schiste, acté par mon prédécesseur.

L'ouverture à la concurrence permet la diversification des énergies et des opérateurs. Autrefois, si l'on n'était pas l'opérateur historique, on ne pouvait pas produire de l'électricité - puisqu'on n'avait pas le droit de la vendre à son voisin.

Dans ce domaine comme dans d'autres, le président de la République et le Gouvernement sont pour la coopération et contre le chacun pour soi.

Le président de la République pèse, au niveau européen, en faveur d'une politique européenne coordonnée, dans ce domaine comme dans d'autres.

Mme Agnès Canayer .  - La PPE doit s'adapter aux enjeux de société et aux innovations techniques. La diversification des sources d'énergie est un enjeu majeur. L'énergie thermique, comme celle du Havre, une des quatre centrales thermiques qui restent, permet de faire face aux pics de consommation. Fermer toutes ces centrales nous obligera à acheter notre énergie lors des pics - en Allemagne par exemple pays qui a rouvert ses centrales à charbon, tandis que les nôtres remplacent de plus en plus le charbon par la biomasse. Monsieur le Ministre, le Gouvernement entend-t-il réellement se passer de l'apport utile des centrales thermiques ?

M. François de Rugy, ministre.  - Mon prédécesseur a décidé de fermer les quatre centrales, dont Gardanne et Saint-Avold, d'ici 2022 - contre 2025 auparavant.

Tout le monde parle de Fessenheim, mais les difficultés sont les mêmes pour les centrales à charbon, la fermeture pose toujours des questions aux territoires, aux populations directement touchées.

Nous assumons pourtant ce choix, car sans cela nous ne pourrions pas demander la fermeture des centrales à charbon à l'étranger. Pour les pics de consommation, il faudra utiliser des centrales à gaz et des nouvelles méthodes de stockage. Quant aux enjeux de la biomasse, nous ne parlons pas de la même puissance.

M. Pierre Cuypers .  - Libérer la croissance verte, tel était le projet de la loi de transition énergétique. Quel retard depuis ! La France, avec 12 millions d'hectolitres par an, est championne du bioéthanol, renouvelable et qui diminue de 60 % les émissions de CO2.

Mais, notre bioéthanol a perdu 15 % de son marché au profit du biocarburant étranger à base d'huile de palme.

Le prochain projet de loi de finances prévoit de transformer la TGAP en taxe incitative à l'incorporation de biocarburants, mais les ambitions sont très modestes : +0,2 % en 2019, +0,1 % en 2020 pour porter le taux de biocarburants dans l'essence à 7,8 %, c'est en-deçà de la trajectoire fixée par notre stratégie bas carbone. Le bioéthanol est insuffisamment utilisé. Il n'est pas compris dans le plafond européen d'énergie de 7 %. Il n'y a donc pas de frein ! (MM. Daniel Gremillet, Jean-Paul Emorine et Jacques Genest applaudissent.)

M. François de Rugy, ministre.  - Le sujet est méconnu mais important : celui des biocarburants, que je préfère nommer agro-carburants ; ils doivent être mesurés au vu de leur bilan global. Il ne s'agit pas d'importer de la déforestation.

La filière française est soutenue. Nous fixerons un niveau de biocarburants - y compris le gaz issu de la méthanisation dans les transports.

Il y aura une place pour les carburants renouvelables dans la PPE.

M. Jacques Genest .  - Les territoires essaient de jouer le jeu de la transition énergétique. Mais combien d'obstacles, en particulier venues de l'État ! Les énergies renouvelables progressent plus vite que les réseaux. Le raccordement est souvent tardif. Les procédures sont bien trop lourdes, il faudrait les simplifier. Le coût du branchement est une taxe exorbitante.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) impose que les éoliennes respectent les règlements d'urbanisme. Que dire de la position rigide de l'armée de l'air sur les réseaux d'entraînement à très basse altitude (RTBA), secteurs qui couvrent la moitié de l'Ardèche, la totalité de la Haute-Loire et de la Loire ainsi qu'une partie du Cantal et du Puy-de-Dôme ?

Que faire Monsieur le Ministre pour réduire ces obstacles, qui viennent souvent de l'État ?

M. François de Rugy, ministre.  - Vous avez raison de souligner que les énergies renouvelables représentent une opportunité pour les campagnes - l'éolien, bien sûr, mais également la filière bois-énergie, qui demande une meilleure exploitation forestière.

Sur les freins et complications administratives, vous connaissez comme moi de quoi il retourne. Bien des gens se sont ingéniés à inventer de nouvelles contraintes, à l'Assemblée nationale, comme ici certains voulaient porter à un kilomètre la distance minimale entre les habitations et les éoliennes aujourd'hui de 500 mètres.

Pour l'armée de l'air, je sais bien quelles sont les règles étranges qu'elle impose, mais pourquoi faudrait-il entraîner les pilotes dans un terrain totalement dégagé ?

Sur la simplification, je vous rejoins également, et l'un de mes tout premiers actes a été de signer l'arrêté ministériel de simplifications administratives, issues du groupe de travail piloté l'an passé par Sébastien Lecornu.

M. Michel Savin .  - L'hydroélectricité est la première source d'énergie renouvelable, avec 12 à 14 % de la production électrique. En 2015, la Commission européenne a mis en demeure notre pays d'ouvrir ses barrages hydrauliques à la concurrence, en application de l'article 106 du Traité. La France ouvrira à la concurrence 136 barrages, soit 35 % de ses possibilités. Mais les autres pays ne le font pas...

On le voit en Isère, il est primordial que la filière soit préservée, alors qu'elle nous offre une autonomie précieuse.

Comment sera assurée la gestion des vallées, si les différents barrages sont attribués à différents acteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. François de Rugy, ministre.  - L'hydroélectricité est effectivement importante, avec 12 % de notre production électrique. La France a attribué 80 % des 400 concessions à EDF et le reste à la Compagnie nationale du Rhône, filiale d'Engie. C'est une spécificité nationale. Lorsqu'elles arrivaient à expiration, les gouvernements se sont hâtés lentement - peut-être croyant que l'Union européenne fermerait les yeux.

J'estime pour ma part que le statu quo n'est pas tenable, avec des entreprises qui ne savent pas si elles peuvent investir, des élus locaux en proie au doute, alors que des opérateurs les démarchent... Il sera possible de regrouper les concessions hydrologiques liées, les collectivités territoriales pourront jouer un rôle, les concessions pourront être prolongées contre travaux, les personnels verront leur statut être protégé.

Nous avons été élus pour régler les problèmes, pas pour les conserver en l'état.

M. Michel Savin.  - Le problème, ce n'est pas la concurrence ; c'est que les règles sont différentes ici et ailleurs. Les entreprises françaises ne peuvent pas aller sur les marchés européens. La sécurité des vallées ne doit pas être une option, Monsieur le Ministre, il en va de leur sécurité et de leur vitalité mêmes.

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains .  - Nous finissons par penser que le but unique de la politique énergétique est la réduction des gaz à effet de serre ; mais rappelons-nous l'essentiel : s'assurer que nous disposerons toujours de l'énergie nécessaire.

M. Gremillet a dit à raison que la réduction de la part du nucléaire pourrait être un danger car elle dégrade notre autonomie énergétique. Il est essentiel de diversifier nos sources. Lors d'une mission conduite cet été en Russie, notre commission des affaires économiques a mesuré combien ce pays était le réservoir naturel en ressources énergétiques de l'Europe - qui a peu de ressources et qu'elle rechigne à exploiter. Les gisements britanniques et norvégiens sont limités. Nous devons nous tourner vers les États-Unis, le Canada ; - Shell vient d'annoncer un projet à Kitimat, en Colombie-Britannique - le Moyen-Orient, mais aussi la Russie.

Le gaz est une énergie bon marché car abondante, les émissions sont inférieures, et demain, les infrastructures pourront être utilisées pour le biogaz.

La présence en Russie de deux des grandes entreprises énergétiques françaises est un bon point. Mais les sanctions américaines prises après la crise ukrainienne, présentent des obstacles.

Les États-Unis s'opposent à Nord Stream 2, projet de pipeline et placent l'opérateur russe Novatek sur la liste des sanctions. Or le gaz américain est plus cher que le gaz russe. Faut-il penser qu'il s'agit de fausser la concurrence ? Je ne le dirai pas - mais certains le font, en particulier en Russie. Ne soyons pas naïfs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Prochaine séance, demain, mercredi 3 octobre 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 20.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus