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Table des matières



Faciliter le désenclavement des territoires

Discussion générale

M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

M. Jean-Marc Boyer

M. Frédéric Marchand

M. Guillaume Gontard

Mme Angèle Préville

M. Jean Louis Masson

Mme Michèle Vullien

M. Alain Fouché

Mme Maryse Carrère

Mme Sylviane Noël

M. Jean-Marc Todeschini

M. Bernard Delcros

Mme Patricia Morhet-Richaud

Mme Élisabeth Borne, ministre

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. François Bonhomme

M. Jean-Claude Requier

M. Raymond Vall

M. Stéphane Piednoir

M. Franck Montaugé

ARTICLE 2

ARTICLE 5

« L'hydrogène, une énergie d'avenir »

M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe RDSE

M. Frédéric Marchand

M. Fabien Gay

Mme Angèle Préville

M. Jean-Yves Roux

M. Alain Cazabonne

M. Alain Fouché

Mme Martine Berthet

M. Martial Bourquin

M. Stéphane Piednoir

M. Daniel Gremillet

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Mise au point au sujet d'un vote

Échec en CMP

Fracture numérique et inégalités d'accès aux services publics

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement

M. Guillaume Gontard

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique

M. Joël Bigot

Mme Véronique Guillotin

M. Jean Louis Masson

M. Bernard Delcros

M. Alain Fouché

M. Daniel Laurent

Mme Françoise Cartron

M. Jean-Claude Tissot

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Yves Bouloux

Mme Viviane Artigalas

Mme Marta de Cidrac

M. Dominique de Legge

M. Hugues Saury

M. Michel Savin

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains

Annexes

Ordre du jour du jeudi 21 février 2019

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mercredi 20 février 2019

63e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Agnès Canayer, M. Victorin Lurel.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Faciliter le désenclavement des territoires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, présentée par MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Requier et Yvon Collin et plusieurs de leurs collègues.

Discussion générale

M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Cette proposition de loi s'inscrit dans le coeur de la mission institutionnelle du Sénat. La question du désenclavement prend aujourd'hui une acuité particulière, douloureuse. Le sentiment d'abandon est fort, la révolte contre la fermeture de dessertes de villes moyennes par la SNCF est là pour nous le rappeler. Plus que jamais, nous avons besoin d'un cadre qui garantisse le développement équilibré de nos territoires.

Nous avons donc saisi cette occasion, avant l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, pour fixer un objectif national de désenclavement qui tienne compte de la réalité d'une France polycentrée.

La loi du 4 février 1995 avait prévu qu'en 2015, aucune sous-préfecture ne se trouverait à plus de 50 kilomètres ou 45 minutes de voiture soit d'une autoroute ou d'une route express, soit d'une gare TGV. La loi de 1999 a fait disparaître cet objectif. Le rapport sénatorial de Jacqueline Alquier et Claude Biwer de 2008 jugeait que le critère de 45 minutes/50 kilomètres était un minimum et identifiait les zones prioritaires : des zones alpines et pyrénéennes, une partie du Morvan, du Massif central, du Limousin, des bassins de vie centrés autour de villes, comme Auch ou Nevers.

Madame la ministre, nous savons où la solidarité nationale doit s'exercer. Les citoyens et les élus ont à présent besoin de garanties claires, dans la loi.

Notre texte vise à améliorer l'accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes dans les territoires prioritaires.

La route y constitue le moyen universel de déplacement. J'ai plaisir à prendre les transports en commun sur Paris, mais le modèle n'est pas partout exportable. Selon l'Insee, l'emploi du véhicule prédomine quelle que soit la distance. Chez moi, plus de huit personnes sur dix prennent leur voiture, 3,2 % les transports en commun. Pour venir à Paris, j'ai une heure et demie de voiture pour accéder au train, deux heures à l'avion.

Voilà trente ans que les élus des Alpes-de-Haute-Provence bataillent pour que la ville préfecture de Digne-les-Bains soit reliée à l'autoroute. Tout l'est du département n'en finit plus d'espérer que les travaux soient enfin réalisés. Dès lors, élaborer une politique d'attractivité touristique revient à nager à contre-courant ! Nous avons besoin d'actes concrets.

L'article premier, s'appuyant sur une proposition de loi d'Alain Bertrand, reprend le critère de 50 kilomètres ou 45 minutes de voiture mais intègre les bassins à unités urbaines de 1 500 emplois. La commission a ajouté l'accès aux lignes à grande vitesse. Nous proposerons, par amendement, d'intégrer la notion de distance parcourue par rapport à la préfecture.

L'article 2 inscrit dans la loi un principe d'adaptation aux réalités topographiques, économiques et financières. Nous reprenons là aussi le rapport Bertrand de 2014 sur l'hyper-ruralité.

Le désenclavement aérien est censé être assuré par une couverture minimale, via les lignes d'aménagement du territoire. Les compagnies sont soumises à des obligations de service public et sont subventionnées pour cela, mais affectent du matériel ancien sur ces lignes et ne respectent pas leurs obligations. L'article 2 vise à y remédier.

L'article 3 permet, sans outrepasser les compétences régionales, aux départements et aux EPCI de s'engager financièrement.

L'article 4 demande aux entreprises signataires d'une obligation de service public de remettre un bilan d'activité tous les six mois.

L'article 5 vise à adapter l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h, avec pragmatisme et responsabilité. Le sujet n'est pas clos... La commission a ainsi proposé que le préfet et le président du Conseil départemental puissent y déroger par arrêté motivé et avis simple de la commission départementale de la sécurité routière. Enfin, l'article 6 avance la publication de l'évaluation de la mesure.

Cette proposition de loi est une garantie concrète offerte aux territoires, qui sont la colonne vertébrale française.

Avec l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et la proposition de loi Gold sur la désertification bancaire, nous faisons valoir que nous croyons en une France polycentrée, capable d'assurer son propre développement. Le réchauffement climatique exige des transports plus courts, plus sobres ; il convient d'accompagner le désir des Français de s'établir hors des grandes villes, d'inventer des formes d'économie sociale et solidaire.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi.  - Nous veillerons à ce qu'un financement correspondant soit prévu dans les prochains contrats de plan État-Région.

Lors des dernières questions d'actualité, le ministre de l'Éducation nationale a déclaré vouloir « tout faire pour que les familles se réinstallent dans les territoires ruraux ». Nous répondons : chiche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Sur cette question du désenclavement des territoires, l'actualité parle d'elle-même. Ceux qui manifestent sur les ronds-points expriment un sentiment d'abandon face aux difficultés économiques et sociales, à la disparition de services publics mais aussi face à l'absence de solutions de mobilité. La colère a été déclenchée par la hausse de la fiscalité sur les carburants, qui pénalise ceux qui prennent leur voiture pour se déplacer, faute de transports publics.

Voilà ce que vivent tous les jours les habitants des territoires enclavés. Cela découle aussi d'un manque d'infrastructures de transport adaptées.

Cette proposition de loi agit d'abord en faisant du désenclavement des territoires un des piliers de la programmation de ces infrastructures, intégré dans la politique d'aménagement du territoire. L'objectif est qu'en 2025, aucune partie du territoire ne soit trop éloignée d'une voie rapide ou, comme l'a ajouté la commission, d'une gare TGV.

Par le passé, les investissements ont été ciblés sur de grandes infrastructures onéreuses, au détriment de l'entretien et de l'aménagement du réseau routier ou ferroviaire existant. Certes, l'actuel Gouvernement a infléchi la tendance et le projet de loi d'orientation des mobilités doit donner la priorité aux transports du quotidien.

Pour autant, il nous parait utile d'inscrire l'objectif de désenclavement dans le marbre de la loi, faute de quoi il passera toujours au second plan.

La proposition de loi prévoit ainsi que l'État devra veiller à adapter les infrastructures aux caractéristiques des territoires, en privilégiant par exemple l'aménagement de routes existantes plutôt que la construction d'autoroutes, lourde et coûteuse.

Deuxième volet : le désenclavement par la voie aérienne. La puissance publique peut déjà organiser des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public et verser des subventions d'équilibre aux compagnies qui exploitent ces lignes. Depuis la loi NOTRe, seul l'État et les régions sont compétents en la matière - or l'État s'est désengagé ces dernières années, même si le budget 2019 octroie 4 millions d'euros supplémentaires au financement de ces lignes.

Les régions ne sont pas le seul échelon pertinent. Un amendement, hélas irrecevable, aurait consisté à étendre cette compétence aux départements et aux EPCI...

La proposition de loi prévoit que l'État s'assure que les compagnies aériennes maintiennent leurs dessertes et remplissent leurs obligations ; on constate en effet une dégradation du service rendu par la filiale d'Air France, avec des annulations et retards fréquents.

Troisième et dernier volet : la réduction de la vitesse à 80 km/h qui figure légitimement dans ce texte car cette mesure, décidée sans concertation, a contribué au sentiment d'abandon des habitants des territoires ruraux. Le groupe du travail du Sénat avait pourtant appelé à décentraliser la décision... Lors de l'ouverture du grand débat national, le 15 janvier, le président de la République s'est dit ouvert à des aménagements. D'où notre proposition, à l'article 5, de donner aux présidents de département et aux préfets la possibilité de remonter les vitesses sur les voies dont ils sont gestionnaires, après avis de la commission départementale de la sécurité routière.

J'espère, madame la ministre, que vous soutiendrez notre proposition, même si cela ne dépend pas de votre ministère.

Ce texte répond à une demande de nombreux élus locaux et j'espère que vous serez nombreux à le soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Le désenclavement est au coeur de mes préoccupations. Les Assises de la mobilité en ont fait le constat : trop de citoyens se sentent à l'écart, oubliés des politiques publiques. C'est le résultat d'une politique des transports qui a dessiné une France à deux vitesses : TGV pour les métropoles, défaut d'entretien sur les lignes classiques où les trajets s'allongent.

Une large partie du territoire est abandonné au tout-voiture. Je porte la volonté de proposer des solutions de mobilité à tous, nous en discuterons très prochainement avec la loi d'orientation des mobilités.

Au-delà de l'objectif de développement des infrastructures, il ne faut pas perdre de vue l'état des réseaux : l'allongement du temps de trajet participe du sentiment de relégation. Les crédits dédiés augmenteront de 31 % d'ici 2027 et de 25 % sur le quinquennat.

L'accessibilité des territoires est nécessaire au maintien des emplois, tout comme la connexion aux centres économiques. C'est pourquoi j'ai annoncé un plan de désenclavement routier.

Partout, de nombreux territoires attendent une amélioration de la qualité des routes et déplorent la lenteur des travaux. Il est urgent d'agir : l'État prévoit donc des opérations sur une vingtaine d'itinéraires de désenclavement routier au sein des contrats de plan État-région pour un milliard d'euros sur dix ans, pour améliorer la qualité de vie. Il ne s'agit pas de couvrir le territoire de routes à 2 x 2 voies, mais de réaliser des aménagements adaptés aux besoins pour fiabiliser les temps de parcours, améliorer la sécurité routière et le cadre de vie.

Cette démarche s'inscrit dans une politique globale de cohésion des territoires reposant sur l'ensemble des modes de transport. Je partage la philosophie de l'article 2 et salue la vision des sénateurs qui préfèrent un aménagement adapté et crédible à la promesse de 2 x 2 voies partout...

Concernant l'article 3, la loi confère déjà implicitement aux départements et communes le droit de participer au financement des liaisons aériennes d'aménagement du territoire. Une note méthodologique est en cours de publication afin de clarifier le droit.

L'article 4 traite des liaisons d'aménagement du territoire, que je juge essentielles. C'est pourquoi j'ai triplé le budget consacré.

La qualité de service est en effet insuffisante, et HOP est confronté à des difficultés d'exploitation récurrentes. J'ai demandé un plan d'action à l'entreprise en juin 2018 qui a permis des améliorations notables. HOP vient d'être réintégré sous le nom Air France-KLM, et je sais le nouveau patron conscient de la nécessité d'améliorer le service sur les lignes d'aménagement du territoire.

Je rappelle que des pénalités financières ou amendes administratives peuvent être appliquées pour tout manquement aux obligations de service public...

Je suis bien consciente que les 80 km/h aient pu être mal vécus et perçus comme peu équitables. (On le confirme sur divers bancs.) Cela dit, il faut mettre cette mesure en regard du bilan de mortalité routière. L'évaluation est prévue pour début 2020. Ce sujet est discuté dans le cadre du grand débat, n'en préemptons pas les conclusions.

Les déplacements du quotidien me tiennent particulièrement à coeur. Je pense à ceux qui n'ont pas accès à des transports collectifs, pas de voiture ou qui ne peuvent conduire. On ne réglera pas tout par le développement des infrastructures. Pour lutter contre les fractures territoriales, sociales et environnementales, il faut une vision globale de la mobilité. C'est toute la philosophie du projet de loi d'orientation, qui apportera des outils concrets. Cela passe par une meilleure gouvernance, le soutien aux innovations qui offrent quantité de solutions adaptables aux territoires. Le Gouvernement, sans attendre la loi, accompagne les territoires avec France Mobilités. Plus de cinquante territoires ont déjà été sélectionnés pour des expérimentations. Les pistes innovantes sont nombreuses : covoiturage, autopartage, véhicules autonomes...

En conclusion, si je partage les constats et enjeux portés par cette proposition de loi, je crois que ce sujet essentiel a vocation à être discuté dans le cadre de la future loi d'orientation sur les mobilités. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et UC et sur le banc de la commission)

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Rural, montagnard, je sais ce qu'est l'enclavement. Quand le monde bouge autour de vous, mais que vous n'avez pas les moyens de faire bouger votre quotidien, d'être dans le move, comme on dirait dans la start-up nation. Les maîtres-mots ne sont-ils pas accessibilité, mobilité et connexion ?

Les difficultés des territoires enclavés ont été aggravées par la loi NOTRe qui a accru le sentiment d'abandon, les fractures économiques et sociales et creusé les inégalités.

Nos territoires ont besoin d'un plan Marshall, de perspectives à long terme ! Jacques Mézard a voulu, avant la loi d'orientation des mobilités, déposer une proposition de loi sur le désenclavement qui en serait l'ébauche.

Le président de la République, nous a dit Mme la ministre, a souhaité une pause des grands projets pour « prendre le temps de construire une rupture, avec l'objectif de répondre aux besoins de tous dans tous les territoires ». Nous ne réclamons pas une rupture mais des routes sûres, des dessertes ferroviaires améliorées, notamment des lignes trains d'équilibre du territoire (TET), un déploiement du numérique dans tous les territoires !

Je ne désespère pas de voir un jour réalisé le POCL, la ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Lyon qui désenclavera une partie du Grand Centre, de l'Auvergne et du Massif central. (M. Jacques-Bernard Magner approuve.) Je serai peut-être en déambulateur, mais j'y crois !

Veillons à pérenniser les lignes aériennes d'aménagement du territoire, face à l'impératif de rentabilité. N'abandonnez pas nos petites lignes, madame la ministre !

La couverture numérique est tout aussi importante : c'est le transport virtuel, vital pour le monde rural.

J'en viens à la limitation de vitesse à 80 km/h. Aujourd'hui, les Français parcourent en moyenne 45 kilomètres par jour contre 5 kilomètres dans les années soixante. La distance moyenne entre domicile et commerces a augmenté de 30 % en quinze ans. Autant de raisons de ne pas imposer sans distinction des normes centralisées, d'autant que rien ne prouve que la limitation à 80 km/h fait baisser la mortalité. Les causes tiennent avant tout au comportement des conducteurs et à l'état des routes...

En conclusion, nous plaidons pour un vrai plan Marshall en faveur du désenclavement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et RDSE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Frédéric Marchand .  - Comment désenclaver nos territoires ? Cette question a fait l'objet de débats riches au cours des Assises de la mobilité. Nos concitoyens ne sont pas égaux face aux transports. Les territoires moins denses, ruraux, périurbains, les villes petites et moyennes ou les quartiers périphériques sont fragilisés. Or l'accès à l'emploi, à l'éducation, à la santé, aux commerces, aux loisirs est une condition essentielle d'exercice de la citoyenneté.

Le désenclavement est une question d'égalité, car nos concitoyens rencontrent des difficultés accrues à trouver un emploi, à faire leurs courses, etc. Le sentiment d'abandon est réel, alimenté par l'absence de solutions de mobilités adaptées. Il s'est cristallisé dans le mouvement des gilets jaunes. En réponse, le président de la République a lancé ce grand débat national, attendons ses conclusions.

Le transport aérien est-il pertinent pour désenclaver les territoires les moins desservis en France métropolitaine ? Le rapport du CGET de janvier 2017 s'interroge sur le recouvrement des zones d'attraction des aéroports, sur le coût moyen du billet - à cet égard une étude d'impact s'imposerait avant de légiférer et d'augmenter les subventions.

Le désenclavement est aussi nécessaire sur certaines parties des métropoles. Pour autant, cette proposition de loi intervient un peu tôt, avant les conclusions du grand débat et anticipe sur la loi sur les mobilités qui sera examinée à partir du 19 mars.

Si l'on ne peut qu'être favorable au désenclavement des territoires, il faut aussi poser la question du financement... La loi d'orientation apportera des solutions alternatives à la voiture individuelle et mettra l'accent sur la coopération avec les collectivités territoriales, pour partir des réalités du terrain.

Le Gouvernement doit s'engager sur des projets qu'il sait pouvoir réaliser et qui répondent aux besoins des habitants, en s'assurant de disposer des ressources correspondantes, comme il l'a fait pour le contrat de transition écologique de la Sambre-Avesnois, qui acte la mise à deux fois deux voies de la RN2, attendue depuis quarante ans.

Rappelons aussi le pacte de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, doté de 5 milliards d'euros.

Finalement, même si ce texte soulève de vraies questions qui rejoignent les orientations du Gouvernement, le groupe LaREM s'abstiendra car il serait opportun d'attendre la loi sur les mobilités.

M. Guillaume Gontard .  - Nous partageons le constat de l'accroissement de la fracture territoriale et de l'enclavement de certains territoires ruraux. Le mouvement des gilets jaunes témoigne de cette paupérisation des zones périurbaines des villes petites et moyennes qui perdent leurs commerces, leurs habitants, leurs services publics. Tout cela nourrit un sentiment d'abandon.

Le bilan du Gouvernement en la matière n'est pas bon. Réforme ferroviaire qui se traduira par l'abandon de petites lignes, réforme de la justice qui menace les petites juridictions, fermeture de maternités, épée de Damoclès de la suppression de 70 000 fonctionnaires territoriaux.

Cette proposition de loi est à la fois lacunaire et inadaptée. Lacunaire, car les solutions contre l'enclavement se limitent au prisme de l'accessibilité physique, ni exclusif ni suffisant. Les Français sur les ronds-points souffrent de l'absence de transports, certes, mais aussi de la fermeture des écoles, des hôpitaux, des bureaux de poste...

Rien sur l'impact de la mise en concurrence des territoires, de la réduction de la dépense publique ou de la privatisation des services publics qui réduit leur présence territoriale. Rien non plus sur les documents d'urbanisme qui traduisent des projets de territoire de long terme. L'égalité territoriale ne se résume pas à relier des zones dortoirs à des métropoles !

À croire que ce texte vise avant tout à faciliter la vie de quelques responsables politiques et acteurs économiques qui font des allers-retours fréquents vers la capitale ou les métropoles régionales !

Comment peut-on n'envisager la mobilité que par les airs et la route en omettant le rail ? Des aéroports tous les 200 kilomètres, c'est une vision de l'aménagement du territoire des années 1970 ! Nous avons hérité de cette époque une soixantaine d'aéroports déficitaires, que l'on maintient sous perfusion, quand on laisse mourir les lignes de chemin de fer. Ainsi, dans l'Isère, une subvention de 2 millions d'euros a été votée pour maintenir à flot l'aéroport de Grenoble-Alpes-Isère.

Subventionner un mode de transport peu rentable et polluant - et avec quel argent ? Pas la moindre piste de financement dans ce texte.

Pour résorber la fracture territoriale, il faut des moyens concrets, revitaliser les territoires par le soutien à l'agriculture, à l'artisanat, par la reconquête industrielle et la relocalisation des sites de production.

Le report modal de la route vers le rail est au coeur des politiques de mobilité, car ce sont les lignes de chemin de fer régionales qui repeuplent les campagnes, pas les autoroutes ou les aéroports.

Nous saluons l'amendement de M. Dantec adopté en commission qui remplace le critère de distance avec un aéroport par celui de la proximité avec une gare TGV. Reste que le groupe CRCE s'abstiendra sur ce texte trop réducteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Il faut, en effet, s'attaquer aux causes de l'enclavement et lutter contre le sentiment d'exclusion de nombre de nos concitoyens, car cohésion des territoires et lutte contre la marginalisation vont de pair. Nous soutiendrons donc ce texte, en saluant les améliorations apportées par la commission.

Un quart du territoire accueille 5,6 % de la population, et ces zones peu denses voient partir leurs forces vives. Cette situation, devenue critique dans les territoires les plus enclavés, est le fruit de notre histoire, de la métropolisation, d'une décentralisation inefficace. L'activité économique s'est concentrée dans les villes, d'où un sentiment de malaise diffus dans les campagnes qui voient écoles, maternités et gares fermer les unes après les autres.

Pourtant, ces territoires offrent une qualité de vie indéniable et sont un réservoir d'initiatives pour demain.

Absentes de la proposition de loi, les petites lignes ferroviaires seraient-elles déjà condamnées ? Depuis 2011, 744 kilomètres de lignes ont été fermés et la loi ferroviaire ne laisse rien présager de bon. En Occitanie, 40 % des petites lignes sont menacées.

Pour sortir du pétrole, il faut une vision globale de l'aménagement du territoire, renforcer les pôles d'échanges autour des lignes existantes. C'est le volontarisme politique qui donnera du sens à la mobilité.

Les territoires enclavés sont victimes de la marginalisation numérique et d'infrastructures de transport insuffisantes, et le recours à la voiture est indispensable. Selon l'Insee, 58 % des actifs habitant à moins d'un kilomètre de leur travail y vont en voiture.

Le développement de la voiture électrique doit s'accompagner d'une politique ferroviaire ambitieuse.

La limitation de la vitesse à 80 km/h, très critiquée par nombre d'élus locaux et de gilets jaunes, a été décidée unilatéralement, sans tenir compte des préconisations du Sénat. Le groupe de travail avait pourtant souligné les insuffisances de l'expérimentation et appelé à cibler la réduction de vitesse sur les routes les plus accidentogènes.

M. Alain Fouché.  - Très bien !

Mme Angèle Préville.  - Le Lot est un département hyper-rural, enclavé. Ce week-end, un élu est retourné dans le village de son enfance, dans le Ségala.

M. Roger Karoutchi.  - Magnifique région !

Mme Angèle Préville.  - Un choc : sur la route, la nature a repris ses droits, les maisons sont fermées, l'école a été envahie par la végétation. La ruralité se meurt, m'a-t-il dit. Point de nostalgie mais un constat amer... Ne laissons pas mourir nos campagnes. Certains territoires hyper-ruraux sont menacés par le dépeuplement et la friche. Les métropoles peuvent-elles continuer à se densifier sans fin ? N'avons-nous plus besoin des paysans ? Le développement durable ne suppose-t-il pas la proximité ?

Il est temps de replacer les territoires enclavés au coeur des débats afin qu'ils ne deviennent pas les territoires oubliés voire perdus de la République.

La France est vivante de ses campagnes, de son patrimoine, de ses terroirs, de ses paysages façonnés par les paysans, qui en font la première destination touristique au monde. Gouverner, c'est se laisser imprégner par tout ce que le pays murmure ; c'est anticiper et préparer l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et RDSE ; M. Bruno Sido applaudit également.)

M. Jean Louis Masson .  - La ligne TGV Est était la première pour laquelle les collectivités territoriales ont payé une quote-part.

M. Bruno Sido.  - Exact !

M. Jean Louis Masson.  - La SNCF s'était engagée en contrepartie à assurer une desserte cadencée et régulière de Metz et de Nancy. Nous l'avons eue - au début. Mais au fil des ans, elle a diminué la desserte, remplacé deux trains d'une rame par un train de deux rames... On a désormais moins de TGV qu'il n'y avait de trains Corail.

Comble du comble, certains trains desservant Metz passent désormais par Nancy. Le Corail mettait deux heures cinquante pour relier Metz à Paris, le TGV ne met qu'une heure vingt-cinq - mais le temps de trajet n'a pas baissé puisqu'il faut désormais changer à Nancy, et il y a moins de trains ! C'est une honte.

Je salue M. Todeschini (Exclamations de contentement sur les bancs du groupe SOCR) qui s'est beaucoup mobilisé sur ce dossier et lancé une pétition. Qu'on ne nous parle pas de desserte des territoires ruraux si on tolère cette situation ! Nous avions des trous horaires de trois heures, que la SNCF aurait élargis à cinq heures en supprimant des trains supplémentaires. À quoi bon une ligne TGV qui coûte les yeux de la tête si c'est pour avoir moins de trains et un temps de parcours plus long ?

Madame la ministre, je vous ai adressé un certain nombre de questions écrites à ce sujet. J'espère une réponse, et en un temps plus rapide qu'il n'en faut pour aller de Paris à Metz par la SNCF ! (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Michèle Vullien .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'objectif est partagé : agir sur les causes de l'enclavement des zones les plus reculées du territoire métropolitain. En revanche, pourquoi cette proposition de loi alors que nous examinerons dans moins de deux semaines en commission le projet de loi d'orientation des mobilités ? Un débat aurait été plus utile mais puisque l'on nous propose un échauffement, lançons-nous !

Nous pourrions nous pencher sur l'empilement des lois, des structures et des documents de programmation. LOADT, Sraddet, Scot, DTA, PLU et j'en passe. C'est le triomphe de la technostructure ! La feue DATAR, une des rares structures qui faisait sens en matière d'aménagement du territoire, a disparu comme le regrettait récemment Didier Migaud.

Sur la question du financement, plutôt que de faire miroiter l'arrivée d'équipements qui ne peuvent être financés ou nécessitent des sommes déraisonnables, identifions des sources de financement et programmons les investissements en établissant des priorités, comme le propose le Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Depuis plus de vingt ans, on ne compte plus le nombre de promesses non tenues et de projets absurdes qui ont été achevés.

Membre du Conseil national de la transition énergétique, j'aimerais qu'on interroge sur la pertinence écologique des projets. Un car doté des dernières technologies anti-pollution est une alternative crédible à une petite ligne ferroviaire propulsée par une machine thermique d'un autre âge.

Enfin, co-rapporteur du rapport sur les 80 km/h, je ne peux que militer pour une définition locale de la vitesse de circulation. Nous avons été finalement entendus, aidés, il est vrai, par une pression populaire sans précédent.

Je vous donne rendez-vous le 19 mars pour l'examen de la loi d'orientation des mobilités en comptant sur le fait que nous pourrons y intégrer les idées pertinentes qui sortiront de nos débats d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Alain Fouché .  - (M. Bruno Sido applaudit.) L'enclavement des territoires est une question intemporelle, à laquelle les gouvernements ont apporté des solutions variées à l'efficacité parfois relative. Il demeure une réalité qui fracture la cohésion sociale, aggrave les disparités économiques et renforce le sentiment d'exclusion.

Le réseau routier joue un rôle fondamental dans le développement économique et touristique des zones rurales, l'implantation des retraités et des jeunes, le développement de transports collectifs.

Trop souvent, les décisions sont prises sans aucune considération des territoires. Pour preuve, la mobilisation des élus des Hauts-de-France pour le maintien des dessertes régionales des TGV.

Définir précisément l'enclavement est loin d'être évident. Les critères des 45 minutes et des 50 km couvrent-ils toutes les situations que certains Français vivent au quotidien ? Il faudrait aussi tenir compte du temps passé dans les transports.

M. Roger Karoutchi.  - Surtout en Île-de-France !

M. Alain Fouché.  - Nous avons une vision très centralisée des territoires.

L'isolement, ce n'est pas forcément être loin d'une ville ; ce sentiment peut aussi survenir quand on est dans une zone blanche numérique.

Les infrastructures de transport doivent prendre en compte les stratégies locales pour développer les territoires de façon optimale.

Je soutiens la position de la commission sur les 80 km/h. Bravo au Premier ministre qui a réussi à enclencher le mouvement des gilets jaunes ! Madame la ministre, vous qui avez été une excellente préfète de Poitou-Charentes, je sais que vous auriez réuni tous les élus autour de la table pour résoudre le problème. (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido approuvent.)

Le groupe Les Indépendants soutiendra cette proposition de loi améliorée par la commission. Elle contribuera au débat à venir sur le projet de loi d'orientation des mobilités, dans lequel nous insisterons sur l'aménagement équilibré du territoire.

Madame la ministre, je connais votre détermination mais je sais qu'elle ne suffit pas ; il faut aussi des moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains ; M. Jacques Mézard applaudit également.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur une partie des bancs du groupe UC) Par cette proposition de loi, le groupe RDSE réaffirme son attachement à la ruralité et aux territoires fragiles. « Diagonale du vide », « France périphérique », derrière ces termes, une même réalité : l'éloignement de certains territoires. Éloignement de l'emploi, malgré le récent programme Territoires d'industrie, éloignement des formations supérieures qui poussent les jeunes à rejoindre les métropoles, éloignement des spécialistes de santé qui aggrave la précarisation médicale, éloignement de tous les services publics enfin, avec la fermeture des bureaux de poste, des trésoreries et des écoles. Pour le combattre, le préalable, c'est l'accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes.

Cette proposition de loi ne révolutionnera pas le sujet, c'est une première pierre d'un travail plus global qui, je l'espère, sera engagé dans la loi d'orientation des mobilités.

Investir dans les infrastructures de transport est à graver dans le marbre de la loi ; c'est l'objet de l'article premier. Le texte initial reprenait les critères de la loi Pasqua de 1995, la commission l'a amélioré en y ajoutant l'unité urbaine et l'éloignement d'une ligne à grande vitesse. Nous proposerons un critère supplémentaire : la distance aux préfectures et sous-préfectures - elles devaient se situer à moins d'une journée de cheval. C'est symbolique mais d'actualité.

L'article 2 va dans le bon sens : il faut des infrastructures plus légères et moins coûteuses, compte tenu du contexte budgétaire contraint et de la contractualisation à laquelle sont soumises les collectivités.

Parfois, l'aérien est la seule option. Dans mon département des Hautes-Pyrénées, nous sommes à plus de huit heures de voiture et six heures de train de Paris. L'article 3 réaffirme la possibilité, pour les collectivités, de participer au financement de ces lignes. Le groupe RDSE aurait aimé aller plus loin en laissant aux collectivités territoriales l'organisation de ces liaisons sans passer par une autorisation de l'État.

Les élus financeurs sont parfois dubitatifs devant le fonctionnement et les résultats financiers d'exploitation de ces lignes. La liaison Tarbes-Orly a un taux de remplissage de presque 80 %, le nombre de voyageurs a augmenté de 4 % l'an dernier et l'on nous explique qu'elle serait déficitaire... Ce manque de transparence est à déplorer, de même que les retards, les annulations de vols et les variations des tarifs du simple au quintuple. Ce n'est pas le sénateur d'Aurillac qui me contredira. Il faut un contrôle renforcé de l'État, c'est l'objet de l'article 4.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Maryse Carrère.  - Faisons confiance aux élus locaux qui connaissent leurs territoires pour aménager les 80 km/h.

L'éloignement creuse, depuis de trop nombreuses années, les inégalités entre nos territoires, il est temps d'établir une véritable équité territoriale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Sylviane Noël .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La montagne, lieu d'exception, est aussi cet espace singulier où des personnes vivent et travaillent au quotidien, où les distances ne se mesurent pas en kilomètres mais en temps de parcours. En 2009, le traité de Lisbonne l'a rangée parmi les « régions souffrant de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents ».

Chaque jour, plus de 20 000 personnes quittent le Chablais pour se rendre à leur travail, parfois jusqu'en en Suisse ; 80 % d'entre eux utilisent leur véhicule personnel, faute d'une offre de transport adaptée. Le projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains, dernier barreau manquant de l'axe routier structurant devant relier l'A40, est vital pour notre territoire. De même que l'amélioration rapide du réseau ferroviaire et du cadencement en direction d'Annecy, Évian et Chamonix.

Puisque l'article 2 vise à faciliter la construction d'infrastructures moins lourdes dans les zones enclavées, pensons, pour la montagne, aux ascenseurs valléens. Le transport par câble est une alternative pertinente pour franchir des dénivelés sans polluer, d'autant que la France a une longue tradition d'ingénierie en ce domaine.

Je soutiens cette proposition de loi sans réserve, en espérant des actes plus que des paroles. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Marc Todeschini .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La première façon de désenclaver un territoire est de le raccorder aux autres espaces et à Paris et l'Île-de-France, compte tenu de leur poids. Les usagers du Paris-Metz et des TER vers le Luxembourg vous le diront.

Et la SNCF supprime des TGV sans aucune annonce. Elle qui utilise pourtant beaucoup les réseaux sociaux, elle ne juge plus utile de communiquer ; début décembre, sur la disparition de trains vers ou au retour de Paris. Un TGV sera rétabli le matin après une mobilisation sans précédent.

Même silence sur les TGV de 17 h 40 et 20 h 13 au départ de Paris dont on a découvert qu'ils n'étaient plus « réservables » en ligne à compter du 1er avril.

La SNCF ne répond plus aux usagers ; aux parlementaires, non plus - nos courriers d'octobre 2018 sont sans réponse, pas plus qu'à la presse devant laquelle elle invoque un bug informatique qu'elle découvrirait après une semaine !

Nos collectivités territoriales, qui ont participé au financement de la ligne, veulent un véritable débat sur les mobilités dans l'Est. La suppression sans concertation de la ligne Saint-Dié - Épinal contraint les habitants de deux aires urbaines de 50 000 et 100 000 habitants à prendre la voiture. Quel progrès pour l'environnement !

À l'heure du grand débat national, nous attendons des réponses de la SNCF et, de vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.) Merci à nos collègues d'avoir porté ce sujet du désenclavement devant le Sénat mais les solutions qu'ils proposent par ce texte ne répondent pas aux causes, multiples, de l'enclavement.

À l'article premier, la proposition de loi donne un cadre - 50 kilomètres d'une unité urbaine et une heure d'une LGV - qui ne répond pas aux enjeux.

Nous approuvons l'article 4 qui définit des exigences en matière de qualité de service des compagnies aériennes.

Le numérique aurait dû ouvrir le champ des possibles pour les territoires ruraux, mais c'est souvent l'inverse qui s'est produit. On a couru sans cesse derrière les avancées technologiques. La 4G couvre 99 % des villes mais 39 % des territoires ruraux. Le numérique doit s'accompagner d'une politique ambitieuse d'aménagement du territoire.

Le volet sanitaire du désenclavement est important. Dans un bassin de vie de mon département, il n'y a plus aucun médecin.

Nous devons apporter des solutions globales. Cette proposition de loi a une portée insuffisante mais constitue les prémices d'un travail à poursuivre. Le groupe UC, dans sa majorité, votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe RDSE ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - Je remercie mes collègues du groupe RDSE et, en particulier, Jacques Mézard - que je félicite pour sa nomination au Conseil constitutionnel.

Je puis témoigner des difficultés d'un territoire rural, les Hautes-Alpes, d'où il faut deux heures de voiture et trois heures de train pour se rendre à Paris. En comptant le stationnement et les embouteillages, c'est au minimum 12 heures de voyage chaque semaine pour un aller-retour. C'est pourquoi la limitation de vitesse à 80 km/h y a été ressentie comme une double peine.

La République est une et indivisible mais la France est diverse et plurielle. Le droit à l'expérimentation doit être reconnu, plutôt que de casser ce qui fonctionne. Plus le centre de décision est éloigné, moins la décision est adaptée.

En matière de sécurité routière, la vitesse est un facteur d'aggravation des risques, mais seul le changement de comportement des automobilistes réduira la mortalité routière. Le week-end dernier, quatre jeunes de 17 à 20 ans sont morts sur la route à Serre Chevalier. Le Sénat a fait des propositions, je me réjouis que ces apports soient partiellement repris aux articles 5 et 6, même si je regrette que nous n'ayons pas été entendus plus tôt.

Concernant l'article premier, les critères de l'éloignement ont été utilement précisés mais cela ne suffira pas couvrir l'ensemble des situations sur le territoire.

Rompre l'isolement d'un territoire ne se limite pas à l'aspect routier, il faut aussi travailler sur le ferroviaire, l'aérien et les services. Une femme enceinte, à Aiguilles dans le Queyras, mettra 1 h 10 pour se rendre à la maternité de Briançon. Qu'en est-il de l'égal accès aux services publics ? L'objectif fixé est-il assez ambitieux ?

Je voterai ce texte mais avec des réserves. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

Mme Élisabeth Borne, ministre .  - Je veux vous redire mon attachement au désenclavement, composante essentielle de l'équilibre de nos territoires. Réduire la desserte des villes moyennes, c'est pénaliser les territoires alentour mais aussi la métropole voisine asphyxiée par la saturation des TER.

Il existe des programmes pour lutter contre le phénomène : Action coeur de ville que connaît bien Jacques Mézard, mais aussi l'action que mène Agnès Buzyn contre la désertification médicale. Bien sûr, c'est aussi une question d'infrastructures. Le Gouvernement veut se doter d'un véritable plan de bataille sur les dessertes fines avec chaque région. Une mission a été confiée sur ce sujet au préfet Philizot. Madame Préville, je ne me sens pas comptable des reculs depuis 2011...

Je salue l'article 2 : il faut accélérer les projets de désenclavement sur la base de normes raisonnables. Monsieur Boyer, à mon arrivée au ministère, j'ai trouvé 36 milliards d'euros de LGV promises sur tout le territoire... Un calendrier et des moyens pour des projets réalistes, c'est ainsi que nous rendrons de la crédibilité à la parole publique. (M. Bruno Sido approuve.)

Les infrastructures sont nécessaires mais insuffisantes. Il faut aussi proposer des services accessibles à tous. C'est le sens des trois premiers titres du projet de loi d'orientation des mobilités dont nous débattrons prochainement.

Un mot sur la desserte TGV. Le modèle de TGV irriguant tous les territoires sera maintenu ; ces derniers seront associés en amont aux décisions, par les comités de suivi.

Monsieur Todeschini, je le confirme, il y a eu un bug informatique à la SNCF. Il sera résolu prochainement.

Le remplacement des TGV par des TGV Ouigo est une bonne chose à mes yeux : Ouigo est un TGV accessible à tous, qui permettra à la SNCF d'accueillir 25 millions de voyageurs en plus en 2020. La stabilisation des péages, qui est dans le pacte ferroviaire, facilitera le développement des dessertes et d'un TGV accessible à tous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UC ; M. Jacques Mézard applaudit également.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. François Bonhomme .  - L'enclavement est plus ou moins marqué selon les territoires, c'est une évidence. Le rapport du CGET rappelle que la désindustrialisation, le vieillissement de la population et la métropolisation ont eu des effets géographiquement très contrastés.

Je ne veux pas opposer les métropoles dynamiques aux territoires périphériques délaissés mais seul l'État peut assurer la péréquation nécessaire, garantir la cohésion territoriale. À la fin des années soixante-dix, le Capitole était cité en exemple. Depuis, alors que Strasbourg, Lyon, Marseille, Rennes, Lille se sont rapprochés de Paris, Toulouse s'en est éloigné. Et l'entretien de la ligne POLT a de plus été négligé.

Cet article a le mérite de rappeler que l'État, même devenu impotent, doit prendre la mesure de la crise et investir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Claude Requier .  - Le désenclavement n'est pas la lubie de quelques élus de province. Dès 2014, dans son rapport sur l'hyper-ruralité, M. Bertrand posait le diagnostic.

La fermeture de l'usine Molex en 2008, dans le département de notre collègue Françoise Laborde, a touché une centaine de salariés du Tarn-et-Garonne, département de notre collègue Yvon Collin. La gare de La Brillanne, dans le département de notre collègue Jean-Yves Roux, va fermer alors que le trafic augmente.

Un objectif national préservera nos infrastructures de transport. Parce que la voiture reste très souvent le seul moyen de déplacement au quotidien, nous proposons de rendre chaque partie du territoire métropolitain accessible à un petit bassin d'emplois par une autoroute ou une voie rapide en moins de 45 minutes en voiture ou, à défaut, en moins de 50 kilomètres de trajet, d'ici 2026. Cet objectif n'a rien d'irréaliste et il n'en sera tenu compte que lors de la révision des Sraddet. Nos concitoyens attendent désormais du concret. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Raymond Vall .  - Le Gouvernement a annoncé le programme Territoires d'industrie : 1,3 milliard d'euros de financements pour redynamiser l'industrie dans des territoires ruraux et périurbains. Très bien mais il faudra tenir compte de leur enclavement en fléchant ces crédits vers l'aménagement de 2x2 voies. Parfois, on l'attend sur quelques kilomètres depuis dix ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Stéphane Piednoir .  - L'intention du texte est louable : nos territoires ruraux souffrent d'un manque de dessertes et de services publics. Cependant, l'article premier a douché mon enthousiasme : on a sorti la règle à calcul pour définir 50 km de distance à une autoroute, sans évoquer les sorties, 45 mn d'un centre urbain et moins de deux heures d'un aérodrome, sans précision sur la vitesse maximale sur le trajet concerné. Chers collègues, je vous ai connu plus pragmatiques et moins technocratiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé .  - Je salue l'initiative du groupe RDSE, qui vise à réintégrer des territoires délaissés dans la République car c'est surtout de cela qu'il s'agit.

Dans le Gers, le chantier de la RN 124 a démarré il y a quinze ans, il n'est toujours pas achevé. Nous avons reçu M. de Rugy qui ne nous a pas donné de calendrier précis. Il faut en finir ! Cet équipement est indispensable comme l'est le contournement de la ville d'Auch, en voie simple. La nationale passe en pleine ville, devant l'escalier monumental qui est le site le plus visité du département et de l'Occitanie.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié bis, présenté par M. Requier, Mme Jouve, MM. Dantec, Roux, Gabouty, Castelli, Labbé, Léonhardt, Artano et Collin, Mme M. Carrère, MM. Gold et Guérini, Mmes N. Delattre et Laborde, MM. A. Bertrand, Corbisez, Mézard, Menonville et Arnell et Mme Guillotin.

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Dans le même délai, l'État veille à ce que les infrastructures de transports disponibles permettent à tout citoyen de se rendre à une préfecture ou sous-préfecture en moins de quarante-cinq minutes.

M. Jean-Claude Requier.  - Cet amendement complète l'objectif national de désenclavement. Les récents mouvements sociaux ont montré que le maire et les représentants de l'État étaient perçus comme les premières instances de dialogue. Or le lien avec les préfectures s'est fortement distendu, notamment avec les fermetures programmées de sous-préfectures et la numérisation des services de guichet qui, le défenseur des droits l'a souligné, met en difficulté les plus fragiles. Concilions la nécessaire modernisation de l'administration et la proximité qui est dans l'ADN du réseau préfectoral.

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur.  - Plusieurs amendements, notamment celui de Mme Imbert sur le télétravail en zone de revitalisation rurale ou celui de M. Rapin sur le logement des jeunes travailleurs, ont été jugés irrecevables. Ils n'en étaient pas moins intéressants : le premier dépend du déploiement du THD et le second devrait faire l'objet d'un travail coordonné avec Julien Denormandie.

Concernant cet amendement, avis favorable : il est important de rappeler que l'État doit rester présent dans ces territoires.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je perçois l'enjeu symbolique mais le lien avec les préfectures et les sous-préfectures est-il prioritaire ? La réponse se trouve dans le déploiement du haut débit sur tous les territoires. De plus, ce critère est rempli par celui de la proximité avec une unité de 1 500 à 5 000 emplois. Sagesse.

M. Bernard Delcros.  - Cet amendement serait un bon message à destination des habitants des territoires enclavés, surtout dans le contexte actuel.

M. Bruno Sido.  - L'enfer est pavé de bonnes intentions... Je voterai cet amendement même s'il ne se passe plus grand-chose dans les préfectures. La charge de l'objectif à atteindre retombera, de surcroît, sur les départements... Ne nous faisons pas d'illusions.

L'amendement n°5 rectifié bis est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par MM. Requier et Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Jouve, MM. Labbé, Léonhardt, Roux et Vall, Mme Laborde et MM. A. Bertrand, Corbisez, Menonville, Mézard et Arnell.

Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  Après l'article L. 1213-1 du code des transports, il est inséré un article L. 1213-1-... ainsi rédigé :

« Art. L. 1213-1-... -  Sans préjudice des compétences de la région en la matière, les départements et le représentant de l'État dans le département sont systématiquement consultés et associés à la procédure de planification régionale des infrastructures de transport. »

Mme Mireille Jouve.  - Cet amendement rend la planification des infrastructures de transport plus inclusive. La loi d'orientation des mobilités conférera une forte prégnance au couple intercommunalité-région. Mais depuis la loi NOTRe, ces dernières se sont éloignées de l'échelon local. Il faut donc inclure les départements et le préfet dans la planification. C'est juridiquement viable car la région reste décisionnaire.

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Sujet important qui fera l'objet d'une partie de la loi d'orientation des mobilités, mais l'article 10 de la loi NOTRe prévoit que soient associés à l'élaboration du Sraddet le préfet de région et les conseils départementaux. Retrait, sinon rejet.

M. Bruno Sido.  - La loi NOTRe a confié - aberration ! - le transport scolaire aux régions. Mon département a connu un épisode neigeux il y a peu : le département a fait ce qu'il a pu pour dégager les routes, la région, à Strasbourg, à 300 kilomètres, n'a rien vu et il a fallu que ce soit Mme le préfet qui interdise le transport scolaire ! J'ai été président de département pendant vingt ans, et n'ai jamais eu besoin de passer par le préfet pour cela...Transformer la compétence transport scolaire sans transférer les routes est une ineptie ! Je voterai l'amendement.

M. François Bonhomme.  - Oui, cet amendement, même s'il n'est pas déterminant, rappelle que tous les moyens sont bons pour corriger la funeste loi NOTRe...

M. Bruno Sido.  - Eh oui !

M. François Bonhomme.  - N'en déplaise aux promoteurs du couple intercommunalités-région, le département est, malgré son affaiblissement voulu, toujours un échelon administratif et politique nécessaire. Chez nous aussi, la gestion irresponsable par la région du transport scolaire a conduit à des choses aberrantes.

M. Jean-Claude Luche.  - La loi NOTRe - que je n'ai pas votée ...

M. Bruno Sido.  - Vous avez bien fait ! (Marques d'approbation sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Claude Luche.  - ...a en effet confié le transport scolaire à la région, alors que les départements restent compétents pour les collèges ou même les abribus. Il est urgent que cette compétence soit rendue au département. Et j'y ajouterai le transport des personnes handicapées, qui ressortit au domaine social. Rendons l'action publique plus lisible pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Ronan Dantec.  - Il est dangereux de faire croire que tout marchait parfaitement avant la loi NOTRe ! On a longtemps vu des difficultés de coordination entre les départements, les agglomérations et les régions...

M. François Bonhomme.  - C'est vrai !

M. Ronan Dantec.  - Ce qu'il faut, à présent, c'est de la souplesse.

M. Bernard Delcros.  - Je voterai aussi cet amendement : le préfet et le département sont des acteurs de proximité incontournables dans l'élaboration des projets.

M. Mathieu Darnaud.  - J'entends l'appel à la souplesse de M. Dantec, mais soyons réalistes : la loi NOTRe ne mérite peut-être pas un procès en sorcellerie - encore que - mais a conduit à une inefficacité absolue de la répartition des compétences. Il faut remettre de l'huile dans les rouages. Le département reste essentiel en matière de mobilité, nous y reviendrons lorsque nous débattrons du projet de loi d'orientation. Il est grand temps d'ouvrir les yeux sur ce point, sinon l'on court à la catastrophe ! Dans mon département, il n'y a plus de trains de voyageurs, plus d'autoroute, et il ne reste qu'une seule route nationale !

M. Michel Dagbert.  - Je n'avais pas prévu d'intervenir mais l'article 10 de la loi NOTRe satisfait cet amendement, et l'espace de discussion existant au niveau de la région inclut le département. Il serait illusoire de défaire ce qui a été fait. Il s'agit de faire preuve de bon sens.

J'ajoute même que le transfert de compétences entre la région Hauts-de-France et le département du Pas-de-Calais que je présidais s'est très bien passé alors que Xavier Bertrand et moi-même ne sommes pas du même bord politique.

L'amendement n°6 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

L'article 3 est adopté, de même que l'article 4.

ARTICLE 5

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, Fouché, Guerriau et Wattebled, Mme Mélot, MM. Lagourgue, A. Marc, Decool, Longeot et Joyandet, Mme Guidez, MM. Luche, Le Nay, Mizzon, Canevet, Bizet, Henno, Reichardt et Laménie, Mme Goy-Chavent, MM. Dufaut, Lefèvre, de Nicolaÿ, Houpert, D. Laurent, Vogel, Nougein et Revet, Mme Lopez, MM. Bouchet et Pierre, Mme A.M. Bertrand, M. Mayet, Mme F. Gerbaud, M. B. Fournier et Mme Berthet.

Alinéa 5

Après le mot :

routière

insérer les mots :

et celui du président du conseil départemental, et en fonction des réalités géographiques et topographiques

M. Alain Fouché.  - Il s'agit de souligner là aussi le rôle essentiel du département.

Fixer une vitesse maximale à 80 km/h sur l'ensemble du réseau national n'a pas beaucoup de sens. Dans certains secteurs du monde rural, voire hyper-rural, il est, en effet, tout à fait possible de rouler à 90 km/h sans présenter de danger majeur. Dans d'autres, en revanche, comme les abords d'une école ou d'un centre commercial, un automobiliste peut être dangereux à moins de 30 km/h, norme généralement admise. Adapter la vitesse au terrain paraît plus sage et plus efficace.

M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur.  - Lorsqu'un conseil départemental veut modifier une vitesse, il se tourne vers la commission départementale de sécurité routière présidée par le préfet. Sur le recueil de l'avis du président du conseil départemental, sagesse.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous vous doutez que le Gouvernement est défavorable à cet article, en attendant les conclusions du grand débat. Avis défavorable.

M. Bruno Sido.  - J'ignore ce que donnera le grand débat, mais il convient de consulter l'ensemble du conseil départemental, et pas le seul président du conseil départemental, qui a des pouvoirs propres ! Il faut une concertation entre le président, le préfet et le conseil départemental.

L'amendement n°1 rectifié bis est adopté.

L'article 5, modifié, est adopté.

L'article 6 est adopté.

À la demande du groupe RDSE, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°57 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 305
Pour l'adoption 305
Contre     0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

« L'hydrogène, une énergie d'avenir »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe RDSE, sur le thème : « l'hydrogène, une énergie d'avenir ».

M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe RDSE .  - Il y a un mois, nous débattions des mobilités du futur. J'avais alors insisté sur le potentiel de développement de l'hydrogène. D'où le présent débat.

Les possibilités de l'hydrogène, à présent bien documentées, peuvent fonder et garantir le développement d'une filière d'excellence.

L'hydrogène peut réduire notre dépendance aux énergies fossiles, dans les mobilités, le bâtiment et l'habitat ; développer la mobilité électrique dans l'ensemble du secteur des transports ; être facilement stocké et injecté et être une source d'innovation et de compétitivité de nos entreprises.

Les initiatives existent et il faut les encourager. Le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, lancera prochainement une ligne sur laquelle circuleront des bus diesel, électriques, hybrides et à hydrogène. Une réflexion analogue est en cours à Pau. Les bus à hydrogène peuvent rouler 420 000 kilomètres sans émettre de CO2, alors qu'un bus diésel en émet 88 500 kilogrammes.

Les élus ont fait le choix de stocker l'hydrogène sur place. La station rejettera 374 tonnes d'oxygène, l'équivalent de 66 hectares de forêt. Cet exemple illustre le dynamisme de nos territoires. Les technologies sont prêtes mais les coûts restent bloquants. Créer une filière, en industrialisant la chaîne de production et en rentabilisant les investissements, les diminuerait et serait bon pour l'emploi.

Autre exemple : le vélo à hydrogène, innovation de Pragma Industries, une première mondiale, avec une autonomie de plus de 100 kilomètres, se recharge en une ou deux minutes, contre plusieurs heures pour un vélo électrique ! L'hydrogène restera, faute de portage politique, cantonné aux flottes d'entreprises. Une politique plus volontariste serait bienvenue. Le projet de loi d'orientation des mobilités aurait pu intégrer des mesures incitatives. Je veux d'ailleurs rendre hommage à Nicolas Hulot, à l'initiative, en 2018, de notre premier plan Hydrogène, doté de 100 millions d'euros, dont une partie profitera à nos territoires, via les appels à projets de l'Ademe.

Coupler des sites de stockage d'hydrogène à des sites de production d'électricité solaire ou éolienne est une piste à creuser. Des expériences positives existent, dans la communauté urbaine de Dunkerque, ou à Paris, avec les taxis. Un village de l'Aisne, Pupigny, a installé un site de stockage, couplé à des électrolyseurs produisant de l'hydrogène pour alimenter deux véhicules mis à la disposition des habitants pour effectuer leurs démarches administratives à la préfecture ou à la sous-préfecture...

Le premier appel à projets de l'Ademe a eu un tel succès que tous ne pourront être financés... L'État doit d'ores et déjà inscrire ses financements dans la durée.

Le sujet est passionnant, l'enjeu est réel, et les technologies existent. La France ne doit pas rater ce rendez- vous ! Le recul récent annoncé par le Président de la République en matière d'objectifs de réduction de nos émissions de C02 ne nous rassure pas...

Le retard pris sur les programmes innovants, tels les trains à l'hydrogène, qui commencent déjà à circuler en Allemagne, est préoccupant.

Toutes les conditions sont réunies pour avancer sur les plans écologique et industriel. Nous avons besoin d'une volonté politique forte pour prendre ce tournant technologique que nous n'avons pas le droit de manquer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Alain Fouché applaudit également.)

M. Frédéric Marchand .  - Évoquer l'hydrogène, c'est parler de l'industrie, de logistique, d'accessibilité, de transport, d'énergie ou d'économie circulaire. Nos territoires ont pleinement pris conscience des atouts de l'hydrogène pour la transition énergétique, la qualité de l'air. C'est une solution crédible et un outil polyvalent. La communauté urbaine de Dunkerque est en pointe. Le bateau Energy observer y fera bientôt escale, symbole fort pour cette ville qui a choisi de stocker l'énergie renouvelable sous forme d'hydrogène solide. À Cappelle-la-Grande a été installée une centrale power-to-gas dans un nouveau quartier. Il s'agit de stocker l'électricité : un démonstrateur collecte le surplus d'électricité produite par un parc éolien à proximité et par les panneaux photovoltaïques de la communauté de communes, pour les transformer en hydrogène, avant de la déstocker sous forme de gaz. Ce surplus est ensuite utilisé dans le réseau de gaz naturel, alimentant 200 logements.

La part d'hydrogène dans le gaz naturel est passée de 6 %, en juin 2018, à 20 % en janvier 2019, soit le seuil le plus élevé d'Europe.

On pourra donc mesurer l'éventuelle corrosion des chaudières, la résistance des matériaux, le pouvoir calorifique, l'acceptabilité par les consommateurs, la viabilité économique du modèle.

L'hydrogène embarqué fournit aussi de nouvelles solutions pour l'électromobilité et en priorité les véhicules à usage professionnel, terrestres, maritimes, fluviaux ou ferroviaires. C'est donc une ressource précieuse dans le cadre d'une transition énergétique réussie et pour élaborer un mix énergétique décarboné.

Merci aux promoteurs de ce débat : l'hydrogène est donc un sujet essentiel pour nos territoires, et pour la France. Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement de développer cette filière.

M. Fabien Gay .  - Je remercie à mon tour le groupe RDSE pour ce débat d'actualité, car il y a urgence à trouver des énergies décarbonées. Ce n'est certes pas la solution miracle pour nous détacher de notre monde fossile et fissile - ne soyons pas naïfs ! - mais les potentialités sont indéniables : l'hydrogène, bien connu et déjà utilisé pour lancer les fusées, peut être stocké, et permet de traiter quatre fois le volume du gaz naturel. C'est aussi un vecteur stable d'énergie qui pourrait, grâce à la pile à combustible, alimenter des véhicules, sans dégager de gaz polluants. C'est pourquoi certains y voient une révolution aussi importante que celle du charbon au début de l'ère industrielle.

Comme le disait Nicolas Hulot lors du lancement du plan Hydrogène, c'est la seule technologie qui permet de stocker l'énergie renouvelable produite.

Néanmoins, la production d'hydrogène provoque des émissions de CO2 et l'électrolyse est consommatrice de grandes quantités d'électricité. Le transport et le stockage se font à très haute pression ou à très basse température, ce qui est cher, lourd et encombrant. Les procédés de fabrication sont coûteux, quant à la pile à combustibles, elle requiert des métaux rares et précieux.

Alors que le Gouvernement a choisi un État régulateur plutôt qu'interventionniste, ce débat nous rappelle que sans intervention publique forte, il n'y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques. En effet, comme le rappelle l'Ademe, les nouveaux réseaux d'hydrogène auront un coût de démarrage élevé, comme ce fut le cas pour le gaz ou l'électricité. Le déploiement d'un réseau exige des investissements élevés. Or les acteurs privés auront tendance à se concentrer sur les zones rentables. Seul l'État peut mettre en place les infrastructures nécessaires notamment à la distribution du carburant, afin de sortir du cercle vicieux qui empêche le démarrage de la filière. L'intervention publique est indispensable pour soutenir l'entrée sur le marché. Difficile, vu les contraintes budgétaires mais nécessaire, comme le dit l'Ademe ! Toutefois, la baisse durable de la dépendance vis-à-vis du pétrole passera par une réflexion globale sur l'aménagement du territoire, la limitation de la place de la voiture individuelle et le développement des transports collectifs, le rapprochement des lieux de travail et du domicile. Bref, il faut un diagnostic, une vision d'avenir et une intervention de l'État, dont nous sommes loin aujourd'hui.

Mme Angèle Préville .  - Merci au RDSE d'avoir inscrit ce débat très intéressant et actuel. Alors que la fonte du glacier Thwaites menace d'accroître le risque réel de submersion des côtes, nous sommes à la croisée des chemins pour réduire les gaz à effet de serre, dont les deux principaux sont le méthane et le dioxyde de carbone, et pour faire des choix responsables, afin d'éviter l'irréversibilité du changement climatique. Il y a urgence absolue.

L'hydrogène est un fabuleux espoir : gaz incolore et inodore, très léger, libérant par combustion de la chaleur et de l'énergie, lors de cette réaction chimique, il ne produit que de la vapeur d'eau. C'est dire son potentiel extraordinaire. Toutefois, il n'existe pas dans la nature et la technique actuelle, par vaporeformage de méthane, dégage du dioxyde de carbone, pour produire de l'hydrogène « gris ».

Au contraire, l'électrolyse, passer un courant électrique dans l'eau, est plus propre, mais coûteuse et de rendement moyen, donc peu utilisée. Le Commissariat à l'énergie atomique a montré qu'il est possible de produire un « hydrogène vert » avec des éoliennes et des panneaux photovoltaïques dont l'électricité produite en excès à l'été, peut alimenter l'électrolyse à haute température et haut rendement, qui est testé actuellement à Grenoble, en vue de son industrialisation à cinq ans. Le projet Jupiter 1000 power-to-gas de stockage de l'électricité fonctionnera dès cette année à Fos-sur-Mer.

L'hydrogène est un vecteur stratégique de stockage intersaisonnier de l'électricité : celle-ci ne se stocke pas, celui-là oui. En Allemagne, j'ai vu fonctionner à Cologne un bus à hydrogène. À terme, tout le réseau de la ville sera ainsi équipé. Le remplissage du réservoir est rapide, la capacité équivalente à celle d'un bus diesel, et le moteur est plus puissant que celui d'un véhicule électrique...

En 2035, les trains régionaux roulant au diesel devront avoir été remplacés par des trains propres. Mais nous avons du retard. J'espère que l'objectif de verdissement du parc sera tenu.

Pour que l'hydrogène se développe, il faut une action volontariste, pour installer le réseau sur l'ensemble du territoire national. N'est-ce pas le rôle de l'État stratège ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Jean-Yves Roux .  - « L'utopie est une réalité en puissance », disait Édouard Herriot. Il s'agit de décarboner notre économie. Année après année, les rapports, du GIEC notamment, nous exhortent à accélérer les investissements. La stratégie climat de la Commission européenne, communiquée en novembre dernier, veut passer à la vitesse supérieure pour développer une énergie décarbonée.

Il ne s'agit plus de tergiverser. La France est en retard pour diversifier son mix énergétique. L'hydrogène peut être une solution. Nous connaissons précisément son fonctionnement. Il pourrait être utilisé pour propulser des véhicules, et des modes de transport lourds, grâce à l'installation de stations de recharge.

Nicolas Hulot avait lancé, le 1er juin dernier, un plan Hydrogène.

L'enjeu est de stocker l'électricité des énergies renouvelables et de l'utiliser ensuite dans les réseaux de gaz ou sous forme de piles à combustible, pour développer des mobilités propres. L'Ademe pourrait proposer des aides, des avances remboursables, par exemple, notamment pour développer les réseaux dans les zones non interconnectées. Cela demande de la constance, du temps et une stratégie. Des territoires ont d'ores et déjà relevé ce pari. Des EPCI se sont dotés de stratégies de diversification à grande échelle.

Il faut structurer davantage la filière. Nous plaidons pour que le plan Hydrogène débouche sur des projets concrets et visibles, accessibles dans tous nos territoires, au service de tous nos concitoyens. En découlera le contrat social et environnemental qui les liera à la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC ; M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. Alain Cazabonne .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat. La crise des gilets jaunes illustre l'urgence économique et climatique, à l'heure où le président de la République voulait, avec les accords de Paris, dont les États-Unis sont sortis, faire de la France un pays leader pour lutter contre le réchauffement climatique. L'enjeu est aussi industriel. L'hydrogène, s'il est issu d'une production non carbonée, pourrait occuper une place de choix dans la transition énergétique. C'est l'élément le plus léger que l'on trouve dans l'univers : il se compose d'un seul proton et d'un seul électron. Il est aussi l'élément le plus abondant : 75 % en masse et 90 % en nombre d'atomes.

Cependant, la molécule d'hydrogène (H2) n'est jamais seule mais toujours combinée à un autre élément, comme l'eau (H20) ou le méthane (CH4). L'essentiel est donc de décarboner la production de l'hydrogène, pour l'instant issu d'énergies fossiles à 95 %.

La France vise la neutralité carbone en 2050, soit un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions anthropiques comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Outre les hydrocarbures et le charbon, l'hydrogène peut être produit à partir de l'électrolyse de l'eau et d'électricité d'origine renouvelable. Dans ce cas, c'est vraiment une énergie d'avenir.

Alors que l'Allemagne investit 1,4 milliard d'euros et la Chine 8 milliards d'euros depuis 2015, nous devons le faire aussi : nous lançons bien des fusées avec l'hydrogène, pourquoi ne pas faire rouler nos voitures et nos bateaux à l'hydrogène aussi ? J'ai pu faire l'expérience, il y a cinq ans, d'un tel bateau, lors d'un stage en Floride.

La question est celle du stockage de l'électricité. Deux axes d'action apparaissent : d'abord, stocker l'hydrogène pour le convertir en électricité. En Guyane, le plus grand centre de stockage de ce type existe déjà.

L'autre axe est d'utiliser l'hydrogène pour développer les mobilités. C'est sans doute la source des plus grands bouleversements. Des mobylettes fonctionnent déjà avec des piles à combustibles. En Allemagne, deux trains d'Alstom roulent avec cette énergie depuis septembre 2018.

Depuis la loi NOTRe, les régions se sont pleinement saisies de la compétence transport. Les régions Occitanie et Grand Est ont investi 3 millions d'euros avec la région Nouvelle-Aquitaine, dans un projet de TER hybride. M. Benoît Simian, député du Médoc, souhaite que la première ligne TER à hydrogène relie Bordeaux à Soulac-sur-Mer ; je m'associe naturellement à cet objectif.

Vous connaissez les problèmes de l'usine, vitale pour la métropole bordelaise, de Blanquefort, au bord de la fermeture. Elle pourrait se reconvertir dans la production et le stockage d'hydrogène.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Alain Cazabonne.  - Selon McKinsey, la filière hydrogène pourrait générer un chiffre d'affaires de 40 milliards d'euros et représenter 150 000 emplois. Ces investissements ouvriraient des perspectives à l'exportation de 6 milliards annuels.

Dans L'île mystérieuse, Jules Verne écrit : « je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir. » Saisissons cette opportunité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Indépendants)

M. Alain Fouché .  - Je salue l'initiative du groupe RDSE sur ce sujet d'avenir. L'hydrogène a de nombreuses qualités, notamment écologiques. Son rendement énergétique est trois fois supérieur à celui de l'essence ; c'est grâce à lui qu'Ariane 5 met en orbite les satellites.

Associé à une pile à combustible, l'hydrogène joue le rôle de batterie. Divers projets sont en cours dans le transport maritime et aérien, notamment grâce à Safran. Alstom a construit un train à hydrogène qui circule déjà en Allemagne. Pourquoi pas en France ?

Selon Guillaume Pépy, la SNCF souhaite sortir du diesel à horizon 2035. Pourquoi encore seize ans de diesel sale et de particules fines ?

M. Martial Bourquin.  - Excellent !

M. Alain Fouché.  - Si l'utilisation de l'hydrogène ne pollue pas, sa production est bien moins écologique. Plus de 90 % de la production actuelle est réalisée à partir de composés organiques, source de CO2. Des modes de productions non polluants sont à l'étude. La voie la plus intéressante parait être la production par électrolyse, qui lisse la production renouvelable d'électricité. Le village de La Nouvelle, à La Réunion, expérimente déjà un tel mix énergétique.

Mais cette technologie reste très coûteuse. Le développement de l'hydrogène nécessite des investissements d'ampleur. Ce gaz est volatil, très inflammable et explosif ; fabriquer la pile à combustible nécessite du platine, d'où un coût élevé.

Cela suppose une politique d'aménagement et d'infrastructure assurant des conditions de sécurité maximale. L'hydrogène pourrait être utilisé afin d'éviter l'extension coûteuse de lignes électriques pour alimenter des territoires ou des voies ferrées isolés.

Notre groupe suivra avec d'attention l'action de l'État en la matière. Ce vecteur d'énergie aura un grand rôle à jouer dans le mix énergétique de demain, à condition de prendre toutes les précautions de sécurité et d'y mettre les moyens suffisants. Je crois à sa réussite ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, Les Indépendants et SOCR)

M. Martial Bourquin.  - Très bien !

Mme Martine Berthet .  - À la veille de l'examen de la loi d'orientation des mobilités, ce débat est le bienvenu. Le remplacement de l'hydrogène gris des industriels, peu coûteux mais très polluant, par un hydrogène vert décarboné est prévu par le plan Hydrogène de Nicolas Hulot qui comporte trois volets : décarbonation de l'hydrogène industriel, mobilité et stockage.

Une enveloppe de 100 millions d'euros a été annoncée, mais les mesures présentées ne sont pas à la hauteur des enjeux. On sait produire de l'hydrogène vert grâce à la biomasse mais surtout à l'électrolyse de l'eau. L'avantage est de pouvoir stocker une électricité d'origine renouvelable produite discontinûment -  ce qu'auparavant, seuls les barrages hydroélectriques pouvaient faire. Stockage massif, activation flexible et restitution multi-usage, voilà qui justifie l'intérêt des énergéticiens.

En Savoie, Mme Poirson a pu constater les avancées technologiques de l'entreprise Atawey et d'autres start-up. Les industriels sont prêts : H2V ambitionne de produire 200 000 tonnes d'hydrogène vert et de créer 12 000 emplois d'ici 2025.

L'hydrogène entre dans une phase d'hyper-croissance, les industriels attendent qu'on les aide à passer à l'échelle supérieure. La fabrication locale bénéficierait grandement à notre balance commerciale.

À la suite du plan Hulot, l'Ademe a lancé des appels à projets ; de nombreux dossiers ont été déposés mais les moyens ne sont pas à la hauteur - ils sont même en deçà de ceux annoncés mi-2018. Il faut étendre le travail de la CRE, trouver des moyens pour faire baisser les coûts, par exemple en baissant les taxes de transport de l'hydrogène vert. Des critères en matière d'émissions de CO2 valoriseraient la filière française, tout comme un dispositif de garantie d'origine.

Il faudra accompagner la transformation des métiers par la formation continue. Une entreprise française a déjà développé des programmes spécifiques pour préparer la nouvelle génération hydrogène.

Enfin, les élus devront être accompagnés : il faut donner aux territoires l'envie d'hydrogène, développer le maillage des bornes de recharge, aussi rapides que celles de carburant classique, à des coûts moindres. Ainsi seraient conciliés les enjeux du pouvoir d'achat et de l'environnement.

L'hydrogène, énergie d'avenir, a toute sa place dans notre mix énergétique, mais il est urgent d'accélérer les démarches pour rattraper notre retard par rapport à nos concurrents. Je regrette que la loi d'orientation des mobilités ne soit pas plus ambitieuse en la matière... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants, RDSE et UC)

M. Martial Bourquin .  - L'hydrogène est un sujet décisif pour notre industrie et pour l'avenir de l'humanité. Il faudrait faire plus que l'effleurer. Faut-il aller vers une économie décarbonée ou une économie de l'hydrogène, faut-il corriger à la marge ou préparer les mutations indispensables de notre économie ?

Notre pays doit investir massivement dans la production d'hydrogène décarboné à partir d'énergies douces, d'autant que l'hydrogène permet de stocker ces énergies propres.

Nicolas Hulot avait réservé 100 millions d'euros par an à la filière pour des investissements massifs. Je regrette que ces crédits aient été réduits à 100 millions d'euros sur trois ans, quand la Californie prévoit cent stations hydrogène en 2020, que le Japon prépare un passage rapide à l'hydrogène. Ce retard risque de se payer industriellement et écologiquement. Les choix technologiques doivent rester ouverts. Doit-on passer du tout-diesel au tout-électrique ? Les conséquences seraient désastreuses pour l'environnement mais aussi l'industrie : selon FTI Consulting, un passage trop brusque à l'électrique se traduirait par 38 % du contenu des voitures en moins à produire par les sous-traitants ; 17 % en moins par les constructeurs eux-mêmes. Nous nous battons pour une usine européenne de batteries, mais sommes loin du compte en termes d'emplois...

Ne nous refermons pas sur une seule stratégie. Le moteur atmosphérique peut se dépolluer ; l'électrique prendra sa part. La Chine proposera bientôt une voiture électrique à 8 500 euros, largement subventionnée. Comblons notre retard sur l'hydrogène !

Cela peut passer par le rétablissement d'une fiscalité pour les plus fortunés mais aussi une baisse de la fiscalité de 10 % à 20 % sur l'hydrogène produit à partir d'énergies renouvelables. Ce sont des idées émises par des industriels qui se préparent déjà à cette révolution.

L'hydrogène est cher mais c'est l'avenir. Ne retardons pas la décarbonation de notre industrie, fondamentale pour réindustrialiser la France et l'Europe. C'est un débat plus politique que technique. Prenons de l'avance, ayons de l'ambition ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE)

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) « Je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir », écrivait Jules Verne dans L'île mystérieuse, publié en 1875.

J'ai le sentiment que nous ne sommes plus capables d'audace scientifique, de cette capacité de rêver, que l'enthousiasme autour de la potentialité de découvertes disruptives s'est éteint. Pire, coincée entre les intérêts des uns et les craintes des autres, notre recherche semble au point mort.

Après un siècle et demi de tout pétrole, avec à la clé une pollution devenue insoutenable, se profile une massification du véhicule électrique. Il nous faut réinventer notre production d'électricité. La filière nucléaire, pierre angulaire de notre indépendance énergétique, a toute sa place ; nous devons consolider notre savoir-faire, développer de nouveaux procédés de traitement des déchets radioactifs, envisager de plus petites unités de production.

Mais parallèlement, nous ne pouvons plus négliger l'hydrogène qui, grâce à sa capacité de stockage et de diffusion rapide, a des atouts indéniables. Je ne méconnais pas son bilan carbone très défavorable, mais des alternatives se font jour, notamment par la méthanisation.

Le génie humain est capable de surmonter ces difficultés. Encore faut-il déployer des moyens adaptés, définir une stratégie de long terme. L'annonce en grande pompe du plan Hydrogène n'a pas suffi à retenir Nicolas Hulot. Avec 100 millions d'euros par an sur cinq ans, comment prétendre que nous sommes engagés dans une véritable transition énergétique ? Quelques mois plus tard, le Gouvernement annonçait ne subventionner que les projets les plus avancés. Quelle frilosité ! Donnons un cap, au lieu de porter des coups !

Le projet de loi d'orientation des mobilités, tout orienté vers le véhicule électrique à batterie, ne fait aucune mention de l'hydrogène alors qu'il faudrait diversifier notre approche sur les mobilités propres. Dans trois mois, les programmes aux élections européennes proposeront, je l'espère, un projet européen susceptible de rivaliser avec la Chine. Le président de la République a annoncé un « Airbus de la batterie » avec 700 millions d'euros de contribution de la France ; grand bien lui fasse mais il faudrait qu'il soutienne aussi l'hydrogène pour en faire un acteur majeur de la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il manque au titre de ce débat un point d'interrogation. Quand j'étais étudiant, on nous présentait déjà l'hydrogène comme l'avenir...

Je ne conteste pas les potentialités d'un élément qui renferme trois fois plus d'énergie que l'essence, mais l'hydrogène ne sera une solution durable que si sa production est décarbonée : elle représente 3 % des émissions de CO2 et 94 % de sa production provient d'énergies fossiles. Quand il est produit par électrolyse de l'eau, encore faut-il que l'électricité soit elle-même de source bas carbone.

La deuxième question est celle de sa compétitivité. Pour de grandes quantités, le coût varie encore du simple au double, l'hydrogène propre n'étant compétitif que sur certains usages industriels de niche.

Le Gouvernement veut incorporer 20 % à 40 % d'hydrogène décarboné dans l'hydrogène industriel d'ici 2028, en mobilisant 100 millions d'euros d'investissement. Mais, y compris pour le stockage, l'hydrogène est en concurrence avec d'autres technologies comme les stations de transfert d'énergie par pompage ou les batteries dont le coût ne cesse de baisser. À moyen terme, le stockage par hydrogène peut être une solution pour des cas très spécifiques comme zones non interconnectées, avec des réseaux isolés, ou pour certaines mobilités, en complément de l'hybridation, de la mobilité électrique ou du bio-GNV et pour certains usages comme les transports lourds ou les flottes de livraison en milieu urbain.

L'électrification et le biogaz sont plus adaptés pour les véhicules individuels. Outre les surcoûts à l'achat et à l'usage, l'hydrogène impose de respecter des conditions strictes de sécurité. Comment le Gouvernement compte-t-il accompagner le développement d'une gamme de véhicules lourds ou les flottes des collectivités territoriales ?

Sur ce sujet comme sur d'autres, raisonnons sans a priori ni idéologie : la transition énergétique passera par une multitude de solutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat. S'il est produit à partir de sources décarbonées, l'hydrogène est un vecteur unique de décarbonation de notre économie. C'est un couteau suisse de la transition énergétique car il contribue à la décarbonation de l'industrie, de la mobilité et de l'énergie.

Nous avons en France des acteurs industriels de premier plan et des utilisateurs prêts à s'engager. Le plan Hydrogène, lancé le 1er juin 2018 par Nicolas Hulot, vise à accompagner l'innovation, développer les usages et positionner nos acteurs sur un marché mondial. L'ambition est maintenue, avec 100 millions d'euros d'investissement et des objectifs confirmés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Les trois axes du plan sont la décarbonation des usages dans l'industrie, le développement des usages pour la mobilité propre et l'intégration de l'hydrogène dans le système énergétique.

L'hydrogène représente 3 % des émissions de CO2 en France mais 26 % des émissions de CO2 de l'industrie car il est à 95 % carboné. Nous allons donc soutenir le déploiement des électrolyseurs arrivés à maturité mais encore chers.

Pour réduire les coûts, il faut changer d'échelle. Pour des secteurs comme la chimie ou la verrerie, les électrolyseurs sont aussi compétitifs que l'hydrogène fossile ; il faut convaincre l'industriel d'investir et de changer ses pratiques. Un appel à projets sera bientôt lancé pour la production décarbonée d'hydrogène, avec une aide de l'État dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Nous sommes attentifs à l'équilibre entre usages diffus, plus proches de la compétitivité, et usages massifs où la maturité est plus lointaine mais les volumes permettront de déployer de gros électrolyseurs. Le comité stratégique de filière sur les énergies renouvelables fera des propositions en ce sens.

Le second axe du plan est la valorisation des usages de la mobilité, où l'hydrogène a trois avantages majeurs : faible temps de recharge, autonomie comparable au thermique, poids et encombrement réduits. Près de 5 000 utilitaires légers et 200 véhicules lourds sont équipés, 100 stations sont en cours de construction ; nous visons une flotte de 20 000 à 50 000 utilitaires légers et de 800 à 2 000 véhicules lourds à l'horizon 2028, avec 400 à 1 000 stations. Les exemples de Pau, de Dunkerque et du Pas-de-Calais en général sont intéressants.

Un premier appel à projets a été lancé par l'Ademe en octobre 2018, 24 dossiers sont en cours d'instruction.

La mission du député Benoît Simian a lancé une dynamique en faveur du verdissement du parc ferroviaire, qui réclame un investissement des régions.

Enfin, l'hydrogène par électrolyse est à long terme une solution pour intégrer des énergies renouvelables au système électrique. L'électricité est stockée sous forme d'hydrogène qui peut être valorisé directement, injecté dans les réseaux de gaz ou méthanisé. Les besoins de flexibilité sont forts dans les zones non interconnectées (ZNI), par exemple à La Réunion. L'hydrogène peut y être compétitif à court terme sur le plan environnemental et économique, et à plus long terme en métropole.

Les interactions entre électricité et gaz sont très prometteuses, notamment avec le power-to-gas expérimenté à Dunkerque et Cappelle-la-Grande.

Nous travaillons à identifier les services rendus par l'hydrogène et les moyens de valoriser ce type de service ; une mission est en cours à RTE et Enedis pour préciser le business model. Nous identifions aussi les besoins de stockage pour chaque ZNI et prévoyons d'y lancer des expérimentations en déterminant les conditions d'injection d'hydrogène envisageables. Un rapport est prévu à l'été.

Nous travaillons avec la filière pour constituer une véritable équipe de France de l'hydrogène, avec des engagements concrets des acteurs en complément de ceux de l'État. Il s'agit de lever les freins, d'encourager les regroupements.

Sur le financement, j'entends vos propositions. L'hydrogène, comme les autres énergies renouvelables, est au service de notre objectif zéro net carbone en 2050, soit une division par huit de nos émissions. Cet objectif est maintenu.

Le plan Hydrogène n'est qu'un début, il s'agit de le faire vivre collectivement. C'est un accélérateur formidable de la transition écologique. Le potentiel existe, agissons ensemble pour relever le défi ! Le Gouvernement vous rendra compte régulièrement des progrès accomplis en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)

Mise au point au sujet d'un vote

M. Michel Canevet.  - Lors du vote sur la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, Mme Valérie Létard souhaitait non pas voter pour mais s'abstenir.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

La séance est suspendue à 18 h 10.

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

La séance reprend à 18 h 35.

Échec en CMP

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que la CMP sur le projet de loi Pacte n'est pas parvenu à un accord.

Fracture numérique et inégalités d'accès aux services publics

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la fracture numérique et les inégalités d'accès aux services publics, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains .  - J'aimerais pouvoir vous dire qu'il s'agit du dernier débat sénatorial sur la fracture numérique... Malheureusement, ce n'est pas le cas. Non seulement parce que le Sénat a ce sujet chevillé au corps mais parce que le numérique constitue une révolution, comme le chemin de fer en son temps : le numérique entraîne de nombreuses externalités, positives et négatives. E-commerce, coworking, télémédecine, toutes ces conséquences ont des impacts sur l'aménagement du territoire.

Le Défenseur des droits braquait récemment le projecteur sur le numérique et les inégalités d'accès aux services publics. Son point de départ est sans équivoque : le développement des téléprocédures constitue un progrès mais la présence des services publics recule sur le territoire. Ne sachant si la dématérialisation est la cause ou la conséquence de la désertification, je ne trancherai pas.

En 2017, 20 millions de foyers ont déclaré leurs revenus en ligne. C'est 2,4 millions de plus qu'en 2016, et 80 % des utilisateurs sont satisfaits. De même, 70 % des usagers jugent que les services numériques des administrations sont aussi bons que ceux des entreprises. Un cas pratique : le ministre des solidarités a mesuré que le taux de recours à la prime d'activité avait atteint 73 %, soit 23 % de plus que les projections initiales, avec la numérisation.

Mais qui peut croire la dématérialisation des services publics indolore ? Les zones blanches ne sont que la face immergée de l'iceberg. Près d'un tiers des habitants, dans les communes de moins de 20 000 habitants, n'a pas accès à un internet de qualité, soit 15 % de la population française, les outre-mer et les territoires ruraux en tête.

Le Défenseur des droits pointe les problèmes d'accessibilité liés au coût de ces équipements ; les inégalités sociales rejoignent les inégalités d'accès.

Le taux de connexion internet varie de 54 % pour les non-diplômés à 95 % pour les diplômés du supérieur. La fracture culturelle rejoint la fracture numérique...

Il est possible de développer une administration numérique inclusive à condition de ne pas faire des téléprocédures un mirage comptable pour les services publics.

Choc de simplification en 2013, programme de transformation de l'administration, lancé en octobre 2017 et baptisé Action publique 2022, plan national pour un numérique inclusif en 2018 : l'administration, c'est indéniable, a pris la mesure du problème mais la fracture territoriale n'est pas pleinement prise en compte.

Identifiant unique, formation du personnel... Certes, mais il faudra des mesures plus profondes. Le Défenseur des droits plaide pour des mesures législatives.

Il y a quelques jours, le président de la République a annoncé vouloir mettre la pression sur les opérateurs. Qu'est-ce à dire ? Pendant combien de temps, allons-nous accepter que le principe d'égalité devant les services publics soit bafoué ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants, UC et RDSE)

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement .  - Merci pour ce débat sur un sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes impliqués depuis deux ans.

Le numérique a aggravé la fracture territoriale ; il faut le reconnaître et pour une raison simple : la capacité à y accéder diffère selon les territoires. Une personne sur deux n'a pas accès au très haut débit - ce sont autant de personnes qui ne peuvent bénéficier des avancées sur le télétravail. À cela, il faut ajouter l'illectronisme, contre lequel se bat Mounir Mahjoubi ; il concerne 13 millions de personnes. Dans ces conditions, comment concilier dématérialisation et accès aux services publics ?

D'abord, en considérant qu'une téléphonie mobile et un internet de qualité ne sont pas un luxe, ce sont des droits. Nous nous sommes fixé l'objectif d'apporter du bon débit à tous nos concitoyens d'ici 2020, et du THD, 30 mégabits par seconde, d'ici 2022. Nous ne remettrons pas en cause les réseaux d'initiative publique, que certains décrient ; nous engagerons des sommes importantes dans le cadre du plan THD et miserons sur la fibre. Nous avançons : depuis le 1er janvier 2018, 11 000 nouvelles lignes FTTH sont raccordables en moyenne chaque jour ouvré.

Dans les zones très denses, nous progressons bien ; toutes seront couvertes d'ici la fin de l'année. Les engagements des opérateurs n'étaient, en revanche, pas contraignants dans les zones AMI ; ils le sont désormais, et contrôlés par l'Arcep depuis la loi Montagne et son fameux article L. 33-13.

Il y a aussi le chapitre AMEL, sur lequel nous avons des échanges passionnants avec M. Chaize ; cela fonctionne dans un certain nombre de territoires. La réouverture du guichet est envisagée avec l'engagement, de notre part, d'analyser dans les six prochains mois, les besoins nécessaires au-delà de 2022, pour les années 2023 à 2025.

Enfin, la téléphonie mobile. Il n'est pas acceptable que la couverture soit si capricieuse qu'il faille se tenir la jambe en l'air au fond du jardin pour obtenir du réseau... Mises aux enchères, les fréquences sont, depuis le 1er janvier 2018, cédées par l'État en contrepartie de l'engagement de l'opérateur à tenir des objectifs contraignants suivis par l'Arcep. Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations ; d'ici fin 2020, ce seront 10 000 antennes. En 2019, 700 nouveaux sites zones blanches seront identifiés avec les collectivités et traités ; nous renouvellerons l'opération chaque année.

Nous déployons également la couverture mobile sur les axes routiers et ferrés. Nous travaillons enfin sur les usages pour lutter contre l'illectronisme.

Partons, pour ce faire, des territoires. Les Maisons des services au public (MSAP) sont utiles à certains territoires quand leur forme est adaptée à leur réalité ; ailleurs, il faut trouver autre chose. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC)

M. Guillaume Gontard .  - La tendance du nouveau monde est à la dématérialisation des services publics. Elle est à double tranchant : nombreux sont ceux qui se découragent devant la complexité des démarches et renoncent parfois à leurs droits, d'autres sont ravis de pouvoir accomplir des démarches administratives à toute heure du jour et de la nuit.

Le Défenseur des droits l'a dit, elle peut agrandir le fossé des inégalités d'accès aux services publics. Développement du numérique ne doit pas rimer avec désertification : cinq millions de Français n'ont pas accès à internet et des millions d'autres ne sont pas familiarisés avec cet outil. La numérisation suppose un accompagnement humain dans les mairies.

Monsieur le ministre, quelles assurances et quels moyens pour accompagner tous les usagers sur nos territoires ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - Pour beaucoup de Français, le réseau est une révolution si on sait l'utiliser - ce sont ainsi plusieurs millions de Français qui obtiennent désormais sans effort une carte grise. Reste que 20 % des Français ont une difficulté majeure avec le numérique.

Le président de la République a fixé un objectif de 100 % des services disponibles en ligne en 2022. Cela ne signifie pas qu'ils ne seront disponibles qu'en ligne ! Il y aura toujours la chaleur d'un être humain.

M. Jean-François Husson.  - C'est beau !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Nous resterons présents pour ceux qui sont perdus.

M. Guillaume Gontard.  - Vous ne m'avez pas tout à fait répondu. On a cité les MSAP. Ce sont de beaux outils mais, faute de moyens et d'accompagnement, ils ne fonctionnent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Joël Bigot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Deux Français sur dix n'ont pas accès au numérique ou ne maîtrisent pas ses usages. La dématérialisation ne doit pas conduire à une déresponsabilisation des pouvoirs publics, renvoyant l'accompagnement des usagers au secteur associatif. Le Gouvernement prévoit 100 millions d'euros pour l'inclusion numérique quand Emmaüs Connect évalue les besoins à un milliard en sept ans. Comment parer à ce risque de décrochage numérique ?

Les smart and safe cities, comme Angers, vont bouleverser nos modèles et posent la question de la souveraineté sur les données en tous genres, les data, mises à la disposition des plateformes. Comment assurer la maîtrise publique des données afin d'éviter la privatisation rampante de nos villes ? Luc Belot a sonné l'alerte dans un rapport d'avril 2017.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Depuis deux ans, l'inclusion numérique est une priorité du Gouvernement, dont il a débattu avec l'ARF et l'ADF.

L'impulsion ne doit pas venir uniquement du haut. Nous avons donc travaillé avec les régions, la coopérative MedNum, les associations, tous les partenaires, pour définir une stratégie d'inclusion numérique adaptée aux territoires car les besoins varient selon les lieux.

Le numérique est la compétence la plus partagée mais la moins financée. Savez-vous combien cela nous coûte, collectivement et individuellement ? J'ai commandé un rapport à France Stratégie sur ce sujet. Quand on ne sait pas utiliser internet, on est moins informé et on consomme plus cher. C'est la double peine.

M. Joël Bigot.  - Vous n'avez pas répondu sur le détournement des données. Certains restent en retrait, on risque de créer des citoyens de seconde zone.

Mme Véronique Guillotin .  - Numérique et santé sont de plus en plus indissociables. Les nouvelles technologies pourraient contribuer à réduire les inégalités d'accès aux soins mais le développement de la télémédecine se heurte à l'insuffisance des réseaux. Beaucoup de professionnels se disent également insuffisamment formés : 35 % seulement estiment bien connaître les technologies de santé connectée. Que compte faire le Gouvernement ?

J'ai soutenu l'inclusion numérique dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018. Le directeur de la CNAM estimait que toute téléconsultation devait être remboursée. Or la CNAM a annulé le remboursement, considérant que certains patients étaient trop éloignés du médecin. Comment lever ces freins ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - La téléconsultation est une opportunité incroyable : elle permet à des personnes qui ne peuvent physiquement rencontrer un médecin d'avoir accès à une consultation.

Je constate que les dispositifs de téléconsultation varient selon les lieux : depuis chez soi ou depuis des cabines ou des lieux ad hoc.

Nous en sommes à l'an I de la télémédecine. Pour l'heure, le remboursement concerne une téléconsultation entre un généraliste et l'un de ces patients. Il faut éviter un modèle de zapping médical comme aux États-Unis qui efface le lien humain.

M. Jean Louis Masson .  - L'administration oblige de plus en plus les citoyens à passer par internet. On ne peut plus obtenir un renseignement par téléphone, on vous renvoie à internet ! Mais comment vont faire les personnes de plus de 70 ans ? Il faut légiférer pour elles et leur garantir le maintien d'un contact traditionnel avec l'administration. Avec le temps, on pourra s'en passer.

M. Philippe Adnot.  - M. Masson est très raisonnable !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Je partage votre colère. Il est inadmissible d'imposer à quelqu'un qui n'a pas internet d'aller sur le réseau ou de le renvoyer à un outil qu'il ne maîtrise pas. C'est une insulte, une humiliation, à l'égard de ces personnes. C'était le cas hier quand l'agent répétait à une personne qui ne parlait pas français de remplir un formulaire incompréhensible.

Qu'avons-nous fait ? Quand nous sommes arrivés, beaucoup de dossiers de demande de carte grise étaient en attente. Nous avons créé des équipes spécialisées et une plateforme d'expertise régionale. Dans chaque préfecture, un être humain, un vrai, peut vous renseigner et appeler avec vous la plateforme régionale. J'observe, d'ailleurs, que pour ce médiateur, le numérique est une solution pour trouver la réponse à apporter à la personne en détresse numérique.

Le développement du numérique ne peut se faire sans accès à l'humain. Nous formons tous les personnels chargés d'accueillir les usagers dans les maisons de service au public ou les préfectures.

M. Jean Louis Masson.  - Monsieur le ministre, votre réponse est une vue de l'esprit. Il n'y a personne dans les préfectures ! Les joindre au téléphone est devenu le parcours du combattant !

M. Bernard Delcros .  - J'associe Mme Sollogoub à ma question. Le numérique est une opportunité pour désenclaver les territoires ; dans les faits, la fracture numérique a aggravé la fracture territoriale. Double peine ! Les réseaux ont été déployés à des rythmes différents selon les territoires. Il n'est plus acceptable que la ruralité soit pénalisée. Êtes-vous prêts à inverser la logique : à déployer la 5G en même temps partout ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants)

M. Julien Denormandie, ministre.  - J'étais récemment dans le Cantal. Le problème ne se limite pas au numérique, il faut parfois attendre des semaines pour qu'une ligne de téléphone fixe soit rétablie par l'opérateur titulaire du contrat de service public universel. L'Arcep a été saisie du dossier.

Pour la téléphonie mobile, votre département a fait le choix d'un plan régional. Le Cantal, comme tous les autres départements, a reçu des dotations en 2018 et 2019. Nous voulons les transformer en dotations pluriannuelles car c'est aux collectivités territoriales de répartir les investissements.

Notre détermination est totale.

M. Bernard Delcros.  - Il est temps de changer de logiciel : ne plus chercher à rattraper le retard mais rendre les avancées technologies disponibles partout en même temps. Ce ne serait que justice quand le coût de la connexion est le même pour tous en France.

M. Alain Fouché .  - Le numérique est omniprésent dans notre vie quotidienne : plateformes, réseaux sociaux, services web, paiements en ligne... Le numérique est une opportunité pour l'État, qui peut en tirer des économies, et pour les citoyens, à qui ils simplifient la vie.

Mais il y a un risque d'exclusion à l'égard de ceux qui n'ont pas accès au numérique ou le maîtrisent mal. Comment comptez-vous aider tous les citoyens pour que la dématérialisation soit une chance pour tous ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - J'ai évoqué le constat, j'en viens aux solutions. Certains ne pourront jamais être formés au numérique, que ce soit pour un problème de langue, de handicap ou d'âge. Il importe de les accueillir humainement. On a voulu créer des agents territoriaux multispécialistes dans les MSAP ou les centres sociaux mais ils n'avaient pas toujours été formés ou ne disposaient pas des outils nécessaires ! Nous y remédions désormais et travaillons sur France Connect Aidant pour un accès en toute sécurité au dossier de la personne à accompagner.

M. Alain Fouché.  - Le problème ne date pas d'hier... Je prends bonne note de la volonté du Gouvernement de trouver des solutions.

M. Daniel Laurent .  - L'accès au numérique est fondamental. Quand des familles et des entreprises veulent s'installer dans nos territoires, il vient toujours dans le Top 3 des demandes d'information avec l'école et l'accès aux soins. Les communes ont le sentiment d'être bien seules.

La dématérialisation des procédures administratives pose difficulté quand 27 % des usagers n'ont pas accès à internet et 33 % ne maîtrisent pas l'outil. Le transfert des permis de conduire à l'ANTS s'est soldé par un allongement des délais. Une seule erreur matérielle et il faut renouveler la demande, impossible de la rectifier.

En Charente-Maritime, nous voulons que 100 % du territoire soit couvert par la fibre optique en 2022. Nous avons une obligation de réussite. La verticalité a ses limites.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Le 18 mars prochain, je signerai avec M. Bussereau, président du conseil départemental, une charte d'inclusion numérique.

Une partie des personnes qui maîtrisent mal l'outil peuvent apprendre. Parfois, une vingtaine d'heures de formation suffit. Dans votre département, vous avez créé un Pass numérique avec Pôle Emploi, qui sera généralisé cette année.

L'inclusion numérique doit être une chance pour tous et votre département est exemplaire.

M. Daniel Laurent.  - Merci.

Mme Françoise Cartron .  - Le numérique a pris une grande importance dans notre vie quotidienne. Se pose désormais la question des usages et de l'inclusion numérique.

Jeudi dernier, vous étiez, monsieur le ministre, à Labège dans le cadre de votre tour de France des oubliés du numérique pour signer une charte pour l'inclusion numérique afin de viser tous les publics.

Dans mon département, des Assises des solidarités numériques ont été organisées en décembre dernier avec l'objectif d'apporter aux collectivités et aux associations les outils nécessaires, pour faire du numérique un facilitateur du lien social.

Envisagez-vous la création d'une plateforme d'échanges unique pour favoriser la diffusion des bonnes pratiques ? (Mme Noëlle Rauscent applaudit.)

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Merci d'avoir rappelé ce tour de France des oubliés du numérique. Dix territoires se sont engagés : six départements, la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Gironde, la Drôme, l'Ardèche, le Charente-Maritime et trois régions, Bourgogne, Franche-Comté, Hauts-de-France, et une intercommunalité, le Sicoval, près de Toulouse. Des expertises sont mises à disposition des territoires grâce à des réunions avec des acteurs locaux.

La plateforme inclusion.societenumerique.gouv.fr permet de trouver des kits, des contacts, des exemples de réalisations, afin d'analyser et de diffuser les meilleures pratiques. Nous n'y arriverons que grâce à un maillage fin, à la dentelle locale...

Mme Françoise Cartron.  - Les maires ruraux sont de bons artisans de cette dentelle locale. L'association des maires ruraux de Gironde a mis en place un wiki des réalisations des maires. Quand on fait appel à l'intelligence des territoires, beaucoup de choses sont possibles.

M. Jean-Claude Tissot .  - L'illettrisme numérique, ou illectronisme, touche 20 % de nos concitoyens. Selon Emmaüs, 35 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n'utilisent jamais internet. Cela pose des questions d'accès au droit. Même l'organisation du grand débat se fait sur internet. De même, en remettant en cause l'accès direct au juge, on postule un accès de tous à l'outil informatique. Le problème se pose de même pour l'accès à la démocratie, puisque le grand débat se déroule essentiellement sur internet.

Le plan de lutte contre la pauvreté prévoyait des bornes d'accès aux droits mais sans l'accompagnement nécessaire. Votre plan concerne une dizaine de lieux, soit même pas une grande région.

Le volontarisme des pouvoirs publics doit être le même que celui qui avait été déployé pour combattre l'illettrisme.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - On ne va pas ouvrir dix lieux, mais beaucoup plus ! L'appel à projets prévoit dix hubs, dix lieux de démultiplication. Dans une commune rurale, la médiation passe par une association ou un prestataire, voire par les services de la mairie. Ont-ils les bons outils ? Le hub le plus proche les leur fournira : il accompagnera et formera, grâce à son expertise, les acteurs locaux.

Le numérique des territoires va aussi vite que celui des réseaux sociaux et du e-commerce. Ce seront des milliers de lieux où chacun pourra se mettre à niveau.

Dès la mi-mars, nous mettrons en ligne une cartographie des acteurs open source des lieux de médiation numérique pour savoir qui peut accompagner et où. D'où un effet d'accélération. L'ambition est partagée et ce plan de 100 millions d'euros est national, porté par l'État et les collectivités locales. L'année 2019 est celle de l'action.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Être connecté et savoir se servir d'internet sont les deux conditions pour accéder aux services publics numériques.

Sur la première, la loi ELAN devait accélérer le déploiement. Combien de dispositifs AMEL ont-ils été conclus ? La méthode surprend : on met parfois, comme l'on dit chez nous, la charrue avant les boeufs, certains usagers n'étant pas connectés. Quid de la clause de protection, évoquée par le défenseur des droits ?

Le Gouvernement a lancé en septembre une stratégie nationale pour l'inclusion numérique. Dix millions d'euros sont consacrés au Pass numérique, cinq millions d'euros aux hubs. L'illectronisme est dû à de multiples facteurs, comme l'isolement. Il faut pouvoir se rendre aux MSAP ! L'initiative « Ardoiz » de La Poste accompagne les personnes âgées à domicile.

Selon vous, l'intégralité des services publics sera accessible sur internet en 2022. Le Gouvernement prévoit-il une clause de sauvegarde pour limiter la responsabilité de ceux ne pouvant pas se connecter ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Cela fait beaucoup de questions en une ! Les AMEL, dont on a peu parlé, ont suscité des inquiétudes. Elles permettent à certains maîtres d'ouvrage de recourir à des financements privés. Mais elles ne sont pas obligatoires et à la fin, c'est toujours la collectivité territoriale qui décide. Nous avons reçu une quarantaine de manifestations d'intérêt. Un million de prises seront ainsi financées par le privé dans ces zones d'initiative publique.

Quant à votre deuxième question, il n'y a pas de solution unique, c'est de la dentelle territoriale. Aucune MSAP ne ressemble à une autre : certaines sont dans des mairies, des gares, des postes, des lieux dédiés, etc. Certaines s'occupent de multiples domaines, d'autres de quelques-uns. Quinze millions d'euros sont prévus pour les MSAP. On a aussi entamé une réflexion sur les services de demain et l'accessibilité, afin d'améliorer le service rendu dès 2020.

M. Yves Bouloux .  - Le Sénat est attaché au respect effectif du principe d'égalité devant le service public, pour tous et partout. La Vienne est directement impactée par la fracture territoriale et numérique, ainsi que par la fermeture ou l'éloignement des services publics. Cette tendance devrait s'accentuer avec le projet de loi de réforme de la justice. Une partie de la population reste réfractaire au numérique. Les troubles actuels doivent faire comprendre que les plus mal lotis dans la France périphérique doivent être écoutés.

Jusqu'où le Gouvernement veut-il aller avec la dématérialisation, notamment pour ses fonctions régaliennes, en matière de police et de justice ? Le Défenseur des droits propose de conserver plusieurs voies d'accès aux services publics. Les synergies entre numérique et points de rencontres physiques doivent permettre à chacun d'accéder aux services publics et de garantir l'accès aux Français porteurs de handicaps.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Je suis responsable de la numérisation des services publics. J'ai reçu trois fois le Défenseur des droits et rencontré avec lui tous ses délégués territoriaux, qui ont témoigné d'histoires terribles, où l'on se heurte au mur du répondeur. Il ne peut y avoir de service public ne proposant pas l'accès direct à une personne, de visu, par téléphone ou par réponse à un message, ou via la médiation d'une autre personne. Nous analysons les 200 démarches en ligne correspondant à 90 % des démarches des Français, en regardant si elle est accessible, si elle utilise FranceConnect - qui garantit un mot de passe et un identifiant unique pour tous les services publics - si l'accès à un humain est proposé. Demain, nous rendrons obligatoire la faculté donnée aux usagers de faire remonter les problèmes.

Mme Viviane Artigalas .  - La dématérialisation de nombreuses démarches suppose de bonnes conditions de connexion, parfois difficiles, voire impossibles à obtenir, dans une partie des territoires.

Dans certaines communes rurales d'Occitanie, notamment dans les Hautes-Pyrénées, les zones blanches en téléphonie mobile ou les débits trop faibles d'accès à internet sont un frein important. On peut douter que l'aménagement des réseaux en THD y soit réalisé en cinq ans.

Cette fracture est à la fois sociale et territoriale. Les fermetures ou éloignements des services publics tels que les trésoreries ou bureaux de poste, l'instruction nationale des cartes nationales d'identité (CNI) et des passeports, renforcent ainsi les difficultés. Les plus fragiles, les personnes âgées ou au chômage n'ont guère les moyens d'avoir un ordinateur et de se former. Le désert numérique est aussi médical, ce qui aggrave les inégalités.

Le numérique n'est pas l'unique solution. Conservez une diversité de moyens d'accès aux services publics ! Que ferez-vous pour cela ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Selon les statistiques officielles, 99 % de l'accessibilité en téléphone mobile est assurée. Il y a deux ans, nous avons commencé, avec Mounir Mahjoubi, par revoir la définition d'un territoire couvert. Ce ne sont plus les fameux 500 mètres autour du clocher du village qui comptent, mais la perception de l'usager, c'est-à-dire les barres sur le téléphone qui sont prises en compte. Avec Mounir Mahjoubi, nous nous sommes saisis du dossier. Six cents sites étaient en 2017 des zones blanches. En 2018, nous avons couvert six cents sites, mais cela n'a pas fait disparaître les zones blanches... (M. Michel Savin acquiesce.) Nous avons ainsi identifié neuf sites en Midi-Pyrénées par exemple, qui vont être traités. Nous allons continuer ainsi, d'année en année, et nous mettrons en place un guichet pour mieux accompagner à l'accès aux offres de téléphonie.

Mme Viviane Artigalas.  - Certes, la couverture mobile s'améliore. Vous avez parlé de l'humain, mais dans mon département, beaucoup doivent téléphoner et certains ne savent plus comment obtenir une CNI ou un passeport. Les gens se sentent abandonnés. (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.)

Mme Marta de Cidrac .  - Si la France est une République indivisible, l'accès au numérique et aux services publics n'est pas homogène. Nous empruntons depuis quelques années le chemin de la fin de l'hyper-proximité des services publics. Nous avons dû nous adapter aux fermetures sèches et à la rationalisation de certains services.

Pour réduire la fracture territoriale, nous avons choisi de dématérialiser certaines fonctions, ce qui se justifie, pour compenser, au moins en partie, le départ de certains services publics.

L'accès au numérique est actuellement insuffisant. Ne perdons pas de vue les principes de continuité du service public, d'égalité devant le service public, d'adaptabilité et de mutabilité du service public.

Le numérique ne doit pas être un palliatif à la disparition des services publics. Comment corriger la fracture numérique, trop présente ? Que proposez-vous pour améliorer la qualité de l'adressage de nos communes, fondamental pour l'aménagement du territoire ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Prenons un peu de hauteur. Nous devons avoir des services publics numériques plus simples et plus accessibles. Nous ne devons jamais réorganiser territorialement sans nous interroger sur l'accès, réel et physique, à un être humain.

Jusqu'à présent, on ne faisait pas correspondre fermeture de services publics et création de MSAP. Grâce au travail que nous menons avec Gérald Darmanin, Olivier Dussopt et Jacqueline Gourault, nous posons systématiquement la question de l'accessibilité territoriale aux services publics, laquelle va de pair avec la numérisation.

Grâce au numérique, demain, on peut faire plus d'humain. On peut fermer un lieu et en ouvrir trois nouveaux. Telle est notre vision. En même temps, le numérique rend les humains plus proches. Le numérique peut être une solution de désenclavement pour ceux qui se sentent les plus éloignés. (Quelques marques de protestation sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Dominique de Legge .  - Oui, il est nécessaire de garder un contact humain, mais ce débat me met quelque peu mal à l'aise. On confond les fins et les moyens. La question de fond est celle de l'accès aux services, la dématérialisation n'est qu'un moyen.

Certes, vous nuancez en garantissant un contact humain. J'ai eu une mésaventure en téléphonant à la préfecture pour une carte grise : on doit composer un numéro payant ; on tombe sur un disque et au bout de quinze minutes, on a enfin quelqu'un !

La relation entre l'administré et l'administration ne peut se faire via un écran. La médiation est importante, comme le montre ce qui se passe à travers notre pays. Ne confondons pas la fin avec les moyens ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Depuis tout à l'heure, on dirait un débat entre personnes qui sont d'accord...

M. Jean-Claude Tissot.  - Pas tellement !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Je le répète, on s'est donné comme objectif de rendre les services publics accessibles numériquement d'ici 2022, pour ceux qui le souhaitent : on ne peut imposer à une maman seule de poser une demi-journée pour faire une démarche administrative. Grâce au numérique, ce seront des millions de demi-journées libérées et rendues à la vie économique et personnelle des Français.

La mise en place de numéros payants a été une erreur, un égarement passager de l'État. La loi ESOC prévoit qu'il n'y ait plus de numéro payant pour ses services. Je vais vous confier un secret : certains ne mèneront jamais à un être humain, ce ne sont que des boucles de répondeur et renvoient à des sites internet ! Nous cherchons à les identifier pour les supprimer. (MM. Jackie Pierre, Daniel Gremillet et Laurent Duplomb le contestent.)

Donnez-les-moi ! Venez me voir et établissons la liste ensemble ! Le parcours de service public doit pouvoir commencer par un être humain. L'accès à l'humain est aussi un enjeu pour la procédure de renouvellement des cartes grises, la plus contestée par les Français. Je vous confirme que je suis pour l'écoute inconditionnelle : nous trouverons des solutions pour chacun de vos territoires. (Même mouvement)

M. Dominique de Legge.  - Je vous crois de bonne volonté mais à chaque fois que je parle de réforme de l'État avec mon préfet, il me répond dématérialisation...

M. Hugues Saury .  - Le rapport du Défenseur des droits du 16 janvier dernier pointe la fracture numérique et l'efficacité des MSAP. Le dispositif de soutien aux MSAP, cofinancé par le Fonds national d'aménagement du territoire (FNADT) et un fonds alimenté par les opérateurs, est gelé jusqu'en 2019, à la demande de certains opérateurs qui s'interrogent sur l'efficacité des MSAP.

Pourquoi avoir gardé le plan MSAP ? Comment les collectivités territoriales seront-elles aidées financièrement ?

De même, le gel du financement par l'État du déploiement de la fibre, alors qu'il reste un nombre important de foyers à desservir, est-il temporaire ou définitif ? Les collectivités territoriales sont souvent obligées de financer des études, dans le cadre du dispositif, contestable, mis en place par le Gouvernement pour résorber les zones blanches, car les opérateurs ne veulent pas livrer certaines données. Comment comptez-vous accélérer le déploiement ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - J'ai évoqué les dix territoires qui ont élaboré des schémas directeurs d'inclusion territoriale. Les autres territoires ont aussi lancé des initiatives.

Nous voulons co-construire avec eux des stratégies d'inclusion numérique. Nous travaillons notamment avec l'Assemblée des départements de France. Les hubs, que nous avons créés, constitueront des lieux d'expertise permettant d'accompagner les collectivités territoriales.

Bref, l'État joue un rôle à tous les niveaux, du diagnostic au financement, pour aider les collectivités territoriales avec près de 15 millions d'euros cette année et les accompagner.

M. Michel Savin .  - Dans nos territoires de montagne, la couverture numérique en très haut débit mobile et fixe est un prérequis pour parvenir au désenclavement. L'accès à internet est un critère de choix pour le tourisme mais aussi pour le maintien des populations et des activités existantes, ainsi que pour l'accès au service public.

En dépit de la loi Montagne de 2016, il existe encore dans ces territoires de trop nombreuses zones blanches où l'accès à internet n'est pas possible. L'accord du 14 janvier 2018 sur l'aménagement numérique du territoire est contraignant pour les opérateurs, qui devront garantir l'accès à la 4G et construire, d'ici trois ans, 5 000 sites mobiles chacun.

Quand ces engagements seront-ils effectifs dans les territoires de montagne. Quid de la 5G dans ces territoires ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Lors de mon premier déplacement, un maire de l'Isère, à Besse-en-Oisans, a mis dix ans pour installer un pylône de téléphonie mobile, à cause des contraintes, notamment celles des architectes des bâtiments de France, lui demandant de consulter les maires alentour pour positionner le pylône sur la colline où il serait le moins visible...

Entre-temps, tous les jeunes, sauf deux, sont partis ! C'est pourquoi nous avons prévu le New Deal que j'ai évoqué et fixé des obligations pour les opérateurs. Douze zones blanches ont été identifiées en Isère. Au total, 3 500 sites sont passés de la 2G ou 3G à la 4G.

Nous ne voulons pas, au prétexte de déployer la 5G, oublier la 4G. Les sauts technologiques ne doivent pas se faire au détriment des technologies actuelles. Sinon, les territoires que vous défendez pourraient être perdants.

M. Michel Savin.  - J'entends bien vos intentions, mais les communes touristiques de montagne perdront des clients, faute de connexion internet : il y a urgence !

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'exaspération sociale actuelle face aux inégalités vécues et perçues dans les territoires se nourrit aussi de la fracture numérique. Le Défenseur des droits a rappelé que la dématérialisation des services publics doit respecter les principes fondamentaux d'adaptabilité, de continuité, d'égalité d'accès devant le service public. Cela suppose une connexion internet de qualité suffisante et l'accès à des équipements informatiques. Ce n'est pas le cas partout si les réseaux sont insuffisants. La fracture numérique est vécue par nos concitoyens comme une forme de déclassement et une véritable injustice. Ce sentiment est accentué par la généralisation des services en ligne. L'amélioration significative de la couverture du territoire est une condition sine qua non.

En moins de dix ans, l'accès aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) est devenu un enjeu crucial pour la compétitivité des territoires. Le plan France Très haut débit de 2013 et l'accord entre le Gouvernement, l'Arcep et les opérateurs de janvier 2018 ont suscité beaucoup d'espoirs.

Un nouveau report des engagements actuels serait catastrophique. Monsieur le ministre, nous confirmez-vous la date de 2020 pour le haut débit et 2022 pour le THD ?

Le Gouvernement a ouvert un guichet de cohésion numérique, doté de 100 millions d'euros. Cette enveloppe est-elle suffisante ? En effet, 19 % de la population ne possède pas d'ordinateur. De même, la dématérialisation des services publics ne peut se limiter à compenser la suppression des services publics sur les territoires pour des motifs budgétaires.

La présence humaine reste irremplaçable et est demandée avec insistance par nos concitoyens. La télémédecine peut améliorer l'accès aux soins, surtout dans les zones sous-dotées, mais ne remplacera pas la consultation de professionnels de santé dans les territoires. La dématérialisation doit s'accompagner d'un effort de simplification et de rationalisation administrative.

Déployer la fibre est coûteux dans le Grand Est, il faut s'acquitter d'une redevance de 66 millions d'euros auprès de l'ONF pour les 550 kilomètres de forêts domaniales traversées. M. Chaize a réalisé un travail important sur ces sujets. Je souhaite que vous vous appropriiez le texte adopté par le Sénat l'an dernier sur son initiative.

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'objectif du Gouvernement est le bon débit pour tous en 2020 et le THD pour tous en 2022. À l'heure actuelle, nous avons des inquiétudes pour dix départements, où, si nous n'accélérons pas, nous serons sous tension. Nous y mettons donc encore plus d'efforts, de financements et de transparence. Je rappelle toutefois que 11 000 prises sont raccordées chaque jour ouvré depuis janvier 2018. Le rythme est donc soutenu. La solution variant selon les territoires à fibre, accès satellitaire, etc. C'est pourquoi nous avons ouvert un guichet de 100 millions d'euros, avec des aides allant jusqu'à 150 euros, avec des solutions satellitaires possibles.

Dans la loi ELAN, nous avons facilité et simplifié le cadre de déploiement des infrastructures. Ainsi, dans la région Grand Est, nous avons travaillé avec Enedis pour lever les obstacles apparus après l'arrêté de 2001 pris à la suite de la tempête de 1999. Ainsi, nous travaillons avec Mme Agnès Pannier-Runacher pour garantir que le numérique soit, non pas un luxe, mais un droit, pour développer les infrastructures numériques le plus rapidement possible et pour accompagner les usagers.

Mme la présidente.  - Je tiens à remercier MM. Denormandie et Mahjoubi. Votre duo a été très apprécié par nos collègues.

Le débat est clos.

Prochaine séance, demain, jeudi 21 février 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 25.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du jeudi 21 février 2019

Séance publique

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : M. David Assouline, vice-président Secrétaires : Mme Catherine Deroche - Mme Françoise Gatel

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

1. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli (texte de la commission, n°307, 2018-2019).

2.  Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission, n°311, 2018-2019).

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°57 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires.

Résultat du scrutin

Nombre de votants :345

Suffrages exprimés :305

Pour :305

Contre :0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 144

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Pour : 74

Groupe UC (51)

Pour : 50

Abstention : 1 - Mme Michèle Vullien

Groupe LaREM (23)

Abstentions : 23

Groupe RDSE (22)

Pour : 22

Groupe CRCE (16)

Abstentions : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Pour : 3

N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier