Avenir du cinéma français

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir du cinéma français, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains .  - Il m'appartient donc de planter le décor. Le cinéma est une industrie mais avant tout un outil de démocratisation de la culture, une ouverture sur le monde qui reflète les mouvements de notre société.

Ce débat s'ouvre alors que s'achève le Festival de Cannes, qui a fait rayonner le cinéma français mais aussi vu s'exprimer certaines inquiétudes. Vous-même, monsieur le ministre, avez lancé des pistes.

En France, le cinéma est un secteur stratégique qui emploie 100 000 personnes et compte pour 0,5 % de notre PIB. La France est le premier marché européen avec plus de 200 millions d'entrées pour la cinquième année consécutive. Le cinéma est la sortie culturelle préférée des Français.

Ce succès est lié à la diversité de l'offre et à l'amélioration des conditions de projection. Le développement des multiplexes depuis 1993 a doté la France du parc de salles le plus dense d'Europe, le troisième au monde, avec 6 000 écrans.

Les films français représentent 40 % du total, avec 77 millions d'entrées. La production est d'environ 300 films par an. C'est beaucoup. Selon certains, c'est même trop, et tous ne trouvent pas leur public.

C'est de toute évidence le dispositif de soutien public qui a préservé ce dynamisme du cinéma français. Il repose sur le principe vertueux qui consiste à faire financer la création par la diffusion : taxe sur les billets de cinéma, obligations de financement des télévisions, des éditeurs vidéo, des distributeurs. Il bénéficie de crédits d'impôt très efficaces.

La défense de la diversité, de l'exception culturelle a légitimé l'ensemble de ces aides et explique que le cinéma français se porte -  encore - bien. Mais l'industrie est confrontée à la transformation rapide de l'environnement technologique, économique et financier, de la diffusion et des comportements des publics. La circulation des oeuvres s'intensifie, le marché s'ouvre. Il en résulte une concentration capitalistique qui menace la survie du circuit indépendant, tout ce tissu d'entreprises peu rentables, sous-capitalisées mais vitales. L'écart se creuse entre les grosses productions et les films plus modestes. Or nous avons besoin des deux.

Les équilibres ont été bouleversés par l'arrivée des plateformes comme Netflix, la plus prolifique, son taux d'abonnés en France est passé en peu de temps de 7,7 % à 15,6 %.

Il faut nous adapter à ces nouveaux défis, à ces bouleversements systémiques qui risquent sinon de nous broyer. Le sujet est vaste : concentration horizontale et verticale ; équilibre entre acteurs puissants et exigence de diversité ; respect par les géants du Net du financement de la création et du droit d'auteur ; ouverture à de nouveaux financements... Nous en débattrons. S'il nous sera difficile de gagner la bataille des tuyaux, nous pouvons gagner celle des contenus. C'est notre force, sachons la soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - Cela faisait longtemps que nous n'avions pas échangé sur les questions culturelles - une dizaine d'heures au moins ! (Sourires) Je suis heureux d'être parmi vous pour évoquer l'avenir du cinéma, après le très beau Festival de Cannes. Merci à Jean-Pierre Leleux de cette initiative.

L'avenir du cinéma français, c'est celui de Mati Diop, social et réaliste, onirique et mystique. C'est le cinéma ardent, authentique de Ladj Ly, qui nous emmène au-delà des clichés sur nos quartiers ; c'est celui, résolument féministe, de Céline Sciamma. Tous les trois ont été récompensés à Cannes et me portent à croire que l'avenir du cinéma français est déjà là. Il est fait de leur talent, de leur audace, et des regards singuliers qu'ils portent sur le monde et qui changent le nôtre.

Le ministère de la Culture, ministère des artistes, a la responsabilité d'aider les cinéastes de demain à émerger.

Le cinéma français rayonne, à Cannes mais aussi dans nos salles. En 2018, les films français y ont totalisé plus de 40 % des entrées ; par comparaison, la part du marché des films nationaux est de 24 % en Allemagne, de 18 % en Espagne, de 12 % au Royaume-Uni.

La France est une nation de cinéphiles : 65 % de nos concitoyens vont au cinéma au moins une fois par an, ce qui en fait la sortie culturelle la plus populaire. Une salle sur deux se trouve dans une commune de moins de 10 000 habitants. La fréquentation ne diminue pas, avec 200 millions d'entrées pour la dixième année consécutive, deux fois plus qu'en Allemagne.

Le cinéma français rayonne aussi dans notre économie. La France est redevenue attractive pour les tournages grâce à la réforme des trois crédits d'impôts. La délocalisation des dépenses a diminué de moitié, plus de 500 millions d'euros supplémentaires ont été dépensés en France et 15 000 emplois ont été créés. La filière représente aujourd'hui 0,8 % du PIB et 340 000 emplois.

Ce succès est le fruit d'une politique volontariste, initiée il y a soixante-dix ans, qui a doté notre pays d'un modèle unique au monde associant tous les maillons de la filière.

Pour permettre au cinéma français de briller davantage demain, il faut défendre ce modèle et l'adapter. Le premier enjeu est celui de l'égalité et de la diversité. Treize réalisatrices ont été sélectionnées à Cannes, un record. Beaucoup reste à faire, mais nous progressons, notamment grâce à un « bonus parité » dans l'attribution des aides du Centre national du cinéma (CNC).

II faut aller encore plus loin. Trop souvent, nos écrans occultent la diversité de notre société. Pour que le cinéma parle à tous, il doit parler de tous. À ma demande, le CNC organisera de nouvelles Assises à la rentrée sur le thème de la diversité.

Deuxième chantier : la régulation des géants du numérique. Facebook s'est dit prêt à coopérer sur les contenus haineux. Mais ils doivent aussi contribuer au financement de la création, à la diversité culturelle, au respect des droits des auteurs. Cela passe d'abord par un rééquilibrage de la fiscalité. Un premier pas a été franchi en 2018 avec le prélèvement de 2 % sur le chiffre d'affaires des plateformes de diffusion. Nous irons plus loin dans le projet de loi de finances pour 2020.

La loi qui transposera la directive Service des médias audiovisuels (SMA) sera ambitieuse, en matière d'obligations de diffusion, d'obligations d'investissement et d'indépendance de nos producteurs, qui ne doivent pas devenir les sous-traitants des plateformes. La transposition de la directive sera l'occasion d'inscrire dans la loi les règles de transparence sur les données d'exploitation des oeuvres, pour assurer le respect des droits d'auteur et droits voisins. La lutte contre le piratage sera en outre renforcée.

Pérenniser l'exception culturelle, c'est aussi permettre à nos producteurs et distributeurs, notamment indépendants, d'attirer de nouvelles sources de financement privé et de mieux se structurer.

Mme la présidente.  - Il faudrait conclure...

M. Franck Riester, ministre.  - Je veux que l'avenir du cinéma français soit radieux : un cinéma plus paritaire, plus représentatif de la diversité, intégrant les acteurs du numérique à son modèle de financement. Voilà quelques-uns des combats que nous aurons à livrer. Vous pouvez compter sur ma détermination. La France est la patrie du cinéma et le restera. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mmes Colette Mélot et Laure Darcos applaudissent également.)

M. Olivier Léonhardt .  - Rien ne sera possible sans un partenariat étroit entre État et territoires, sans un travail en confiance avec les élus locaux. C'est une des leçons à tirer du grand débat, et je me félicite que le président de la République ait appelé à un nouvel acte de décentralisation.

Dans l'Essonne, au Plessis-Pâté, sur l'ancienne base aérienne 217 a été créé le Backlot 217 ; 300 hectares de terrain ont déjà accueilli des décors extérieurs destinés aux tournages, dont L'Empereur de Paris, nominé pour le César du meilleur décor.

Ce succès est le fruit d'un partenariat entre Coeur d'Essonne Agglomération et TSF Studios, qui souhaite investir 14 millions d'euros pour construire des plateaux de tournage. Dans un rapport au CNC, Serge Siritzky estime que le Backlot 217 peut accueillir un studio répondant aux standards internationaux, tandis que les médias évoquent un « Hollywood à la française ».

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

M. Olivier Léonhardt.  - Le Gouvernement soutiendra-t-il le projet ? Je souhaite en discuter avec le ministre à l'issue de la séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Franck Riester, ministre.  - Volontiers !

Les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels des politiques culturelles. L'État doit accompagner leurs initiatives. Nous renforçons la déconcentration en donnant davantage de pouvoirs aux DRAC et sommes prêts à envisager des délégations de compétences, notamment en matière de cinéma, comme c'est le cas en Bretagne.

Nous avons à notre disposition des outils, comme les crédits d'impôt, pour éviter la délocalisation des tournages et pour attirer les projets internationaux sur notre territoire. À Nice, à Cannes, dans les Hauts-de-France avec le Festival Séries Mania, ou encore dans l'Essonne ou à Bry-sur-Marne, autour de l'INA, les projets sont nombreux. Il y a là un vrai potentiel pour développer toute une filière.

M. Stéphane Ravier .  - Le cinéma français, qui représente 100 000 emplois, est menacé par l'arrivée en force des plateformes comme Netflix et Amazon. Nicolas Seydoux, président de Gaumont, a même parlé de guerre culturelle. La fréquentation des salles baisse. Dès lors, les apôtres de l'ouverture et du multiculturalisme, pris de panique, n'hésitent plus à brandir l'exception culturelle française, préférence nationale à peine déguisée. (M. David Assouline se gausse.)

Si outre-Atlantique, le cinéma rapporte, chez nous, il apporte des émotions grâce à des scénaristes de génie, des réalisateurs exceptionnels, des acteurs devenus monstres sacrés. Même le calamiteux Festival de Cannes a été obligé de consacrer le très politiquement incorrect Alain Delon ! (M. Christian Manable lève les bras au ciel.)

De la trilogie marseillaise de Pagnol aux Petits Mouchoirs en passant par Les Tontons Flingueurs, La Grande Vadrouille ou Tous les Matins du Monde, notre cinéma est riche d'être terriblement français. Vrai, talentueux, audacieux, enraciné : en un mot, populaire !

Attaqués par le consumérisme et le prêt-à-penser, les Français ne se reconnaissent plus dans un cinéma subventionné, politisé, aseptisé, qui ne divertit ni ne fait rêver.

« Qu'est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! », s'écrie Louis de Funès, alias Don Salluste, dans La Folie des grandeurs. (Sourires) Qu'allez-vous faire pour préserver cette exception culturelle et populaire ?

M. Franck Riester, ministre.  - Le cinéma crée des émotions exceptionnelles, partagées par les spectateurs dans une salle, cette boîte noire qui rassemble des Français de toute origine, de tout milieu, autour d'un film. C'est fondamental, c'est une spécificité à défendre.

Le cinéma français, c'est soixante-dix ans de mobilisation de tous les acteurs de la filière : producteurs, acteurs, techniciens, compositeurs de musique et j'en passe. Les pouvoirs publics ont développé un écosystème bénéfique à la diversité de la création française qui s'est exprimée de la plus belle des manières lors du dernier Festival de Cannes, le plus beau festival du monde.

Mme Sonia de la Provôté .  - Depuis 1991, le label Art et Essai permet au cinéma indépendant d'irriguer les centres-villes comme les zones rurales. Ces salles maintiennent le lien social et la diversité culturelle. Les petits exploitants font parfois vivre les derniers lieux culturels de proximité. Concurrencées par les multiplexes, ces petites salles ont besoin des aides des collectivités : elles sont doublement frappées par la baisse des dotations et la réforme territoriale. Or les multiplexes se positionnent de plus en plus sur le secteur Art et Essai. Comme préserver les petites salles menacées de disparition ou d'obsolescence programmée ?

M. Franck Riester, ministre.  - Les 1 200 salles Art et Essai sont essentielles car au plus près des territoires. Ce réseau est le fruit d'une histoire, de politiques publiques qui ont accompagné cette spécificité française, notamment via le fonds d'aide à la numérisation ou le fonds d'adaptation pour les personnes à mobilité réduite.

Le CNC continue à apporter des aides ciblées. Il a augmenté le budget annuel à ces salles de 15 à 16,5 millions d'euros pour mieux accompagner les politiques d'ouverture au public, scolaire ou personnes âgées. Ces salles assurent un maillage territorial et oeuvrent à la diversité du cinéma français, qui fait sa qualité.

Mme Sonia de la Provôté.  - La concurrence des multiplexes sur ce créneau fragilise le réseau Art et Essai.

Mme Colette Mélot .  - À voir les chiffres de fréquentation, l'horizon du cinéma français semble au beau fixe. N'est-il pas toutefois un malade bien portant, comme le titrait L'Express ?

Face au développement des plateformes, il est urgent de réinventer l'architecture du financement du cinéma français pour en préserver le dynamisme, la qualité et la richesse. Le financement privé est une piste, certes, mais la rentabilité ne doit pas primer sur la diversité.

La politique publique d'aide au cinéma doit être modernisée pour assurer une meilleure diffusion et un meilleur soutien aux talents. Cela suppose d'avoir une approche globale. L'Union européenne à toute sa place autour de la table. D'une part, elle finance de nombreux projets audiovisuels depuis 1991 avec le programme Média dont le budget atteint 1 milliard d'euros pour 2021-2027. D'autre part, la bataille est aussi à mener sur le front numérique. Les plateformes de diffusion étrangères doivent davantage participer au financement du cinéma français et européen.

Que comptez-vous faire pour assurer la défense du cinéma français au niveau européen ? Comment comptez-vous rallier l'Union européenne à notre conception de l'exception culturelle ?

M. Franck Riester, ministre.  - Le cinéma français doit bénéficier de moyens suffisants pour faire face aux nouveaux défis et à la concurrence des plateformes. C'est pourquoi nous allons alourdir la fiscalité sur les nouveaux entrants. La transposition de la directive SMA dans la future loi Audiovisuel imposera des obligations ambitieuses en matière d'investissement et d'exposition des oeuvres.

Nous nous battons aussi pour la vision française du droit d'auteur, et la transposition de la directive Droits d'auteur a été une belle victoire qui permettra de développer un modèle de production indépendante, avec un préfinancement. Le président de la République a annoncé un fonds de 225 millions d'euros en plus des crédits d'impôt pour structurer l'industrie. Nous mettons les moyens pour préserver notre vision française de la création.

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - Soutenir la création cinématographique, c'est d'abord protéger les auteurs et ayants droit contre le piratage. Or 40 % des internautes consomment des films en ligne de manière illicite. La Hadopi, créée en 2009 pour apporter une riposte graduée, a émis plus de 10 millions d'avertissements, avec des résultats appréciables. Mais 80 % du piratage se fait désormais en streaming, c'est-à-dire hors de portée de la Hadopi qui ne surveille que le téléchargement de pair à pair.

L'écosystème se complexifie avec l'apparition d'une pluralité d'acteurs en amont ou en aval pour mieux organiser le piratage.

Votre prédécesseur avait indiqué des pistes de réforme : extension des prérogatives de la Hadopi, liste noire des sites, blocage ou déréférencement des sites de téléchargement illicites, responsabilisation des plateformes.

Or le projet de loi Audiovisuel est sans cesse reporté. Quelles dispositions prendrez-vous et selon quel calendrier ?

M. Ladislas Poniatowski.  - Bravo !

M. Franck Riester, ministre.  - La loi Audiovisuel comportera un volet sur le piratage. Le calendrier n'a pas changé : passage en conseil des ministres à la fin de l'été, inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en décembre 2019 ou début 2020.

Des avancées importantes ont déjà eu lieu avec la loi Hadopi dont j'étais rapporteur à l'Assemblée nationale. Des sites notoires de téléchargement ont fermé sous l'action de la justice et des professionnels. La jurisprudence a évolué avec l'affaire Allostreaming : fournisseurs d'accès et moteurs de recherche devront désormais déréférencer ces sites à leurs frais. En 2017, un accord inédit a été signé entre certaines plateformes et Google pour lutter contre le piratage.

Il faut aller plus loin, mieux caractériser l'illicéité des sites de piratage racines et miroirs, dresser une liste noire, responsabiliser les plateformes et les intermédiaires, souvent décisifs. Comptez sur l'engagement du Gouvernement pour lutter contre ce fléau.

M. Julien Bargeton .  - Jean Gabin, le plus parisien des acteurs, avait une conception tranchée de ce qui fait un bon film : « Premièrement, une bonne histoire ; deuxièmement, une bonne histoire ; troisièmement, une bonne histoire ». Bien qu'attaché aussi aux films de mise en scène, je souhaite rendre hommage à tous ceux qui écrivent le cinéma, car le cinéma s'écrit aussi.

Le soutien au cinéma français est incontestablement un choix politique, et de bonne politique. Le métier de scénariste connaît des évolutions inquiétantes avec la montée en puissance d'acteurs nouveaux comme Netflix ou Amazon qui développement leurs propres viviers de scénaristes.

On peut déplorer la discrétion du Sénat dans la fiction française. La troisième saison du Baron noir y remédiera peut-être !

Quelles actions comptez-vous mettre en oeuvre pour aider nos scénaristes à écrire leur avenir ?

M. Franck Riester, ministre.  - Nous devons en effet mieux prendre en compte la réalité économique et sociale souvent complexe des auteurs et scénaristes. Avec le CNC et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), nous avons lancé une étude transversale sur l'écriture des oeuvres cinématographiques et séries télévisées. Rendue publique en avril 2019, elle rappelle que l'écriture se fait souvent à plusieurs mains, que moins de 5 % du budget d'une oeuvre va aux dépenses d'écriture, que la rémunération des scénaristes de cinéma reste faible. Il faudra travailler sur ces points, évaluer les besoins en matière de formation...

J'ai confié à Bruno Racine une mission prospective sur la place des artistes-auteurs dans notre société. Le Sénat y sera associé.

Mme Céline Brulin .  - La France a le parc de salles le plus important et le plus dense en Europe, grâce en partie à son réseau de salles indépendantes. Or celles-ci font face à la concurrence des multiplexes situés en périphérie, ce qui contribue à la dévitalisation des centres-villes.

La raréfaction de l'offre culturelle concourt au sentiment d'abandon des territoires, d'autant que le cinéma est la sortie culturelle la plus populaire, ce qui lui donne une place centrale dans l'accès à la culture. Il est essentiel de préserver les salles indépendantes dans les villes moyennes.

En 2016, le CNC rappelait que le cinéma d'art et d'essai pouvait être porteur d'une dynamique éducative et culturelle, s'il était accompagné. Il est urgent d'agir, pour l'égalité territoriale autant que pour l'avenir du cinéma. Une piste serait de prendre en compte la diversité des lieux de diffusion dans les critères d'implantation des nouvelles salles de cinéma.

M. Éric Bocquet.  - Très bien.

M. Franck Riester, ministre.  - Une salle sur deux est une salle d'art et d'essai ; une salle sur deux est située dans une commune de moins de 10 000 habitants. Le CNC investit 8 millions d'euros par an pour aider ces salles dans les centres-villes. Cependant, il faut aussi les moderniser et favoriser l'accès des personnes à mobilité réduite.

La Médiatrice du cinéma a pour rôle de protéger les salles d'art et d'essai face à la concurrence des multiplexes dans l'accès aux films. Le CNC organise un tour de France des salles d'art et d'essai pour les aider à mieux gérer leur cinéma en achetant mieux, en valorisant leurs événements, leur présence sur Internet et sur les réseaux sociaux.

En mai 2016, le CNC a signé une avancée majeure qui favorisera l'accès des salles d'art et d'essai des petites villes et zones rurales aux films primés. Nous travaillons à un futur plan d'action 2019-2021 pour ces salles.

Mme Céline Brulin.  - Nous vous alertons aussi sur les petites salles non classées Art & Essai dans les villes moyennes.

M. David Assouline .  - Cet hémicycle a toujours eu à coeur la préservation de l'écosystème vertueux de notre cinéma.

Les grandes plateformes déséquilibrent l'ensemble du système. L'offensive des géants du numérique nous met face à une alternative : une adaptation à leur modèle, ou l'imposition de nos règles. Est-ce bien la taxe du CNC sur les plateformes qui va augmenter, et non celle sur les chaînes et Canal + qui va baisser ?

L'équité va-t-elle prévaloir dans les obligations de distribution respectives des chaînes et des plateformes ?

Pour la transposition des services de médias audiovisuels, va-t-on imposer une plus grande équité dans les obligations d'investissement et de diffusion entre les différents acteurs en appliquant la règle de la création la plus favorisée et non le nivellement par le bas réclamé par les opérateurs commerciaux ?

M. Franck Riester, ministre.  - C'est la vraie question. Le Gouvernement a fait le choix du rééquilibrage des contraintes entre acteurs historiques et les nouveaux entrants, à commencer par les plateformes. Je salue à cet égard le rôle du Sénat dans la création de la taxe de 2 % sur YouTube. Ce n'est qu'une première étape. Dans le projet de loi de finances pour 2020, cette taxe sera augmentée. La TST sur les éditeurs de télé hertzienne est de 5,65 %. Il faut donc un rééquilibrage. Bercy devra nous donner des estimations fiscales plus fines. Cette ambition figurera aussi dans le projet de loi audiovisuel dont vous allez être saisi prochainement.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - À Cannes, 500 personnalités du cinéma de toute l'Europe ont appelé nos concitoyens à voter aux élections européennes. Ces grandes figures veulent voir émerger une Europe de la culture.

J'ai formulé la semaine dernière une proposition à Cannes : quelques jours auparavant, le président de la République avait annoncé la création d'un fonds de 225 millions d'euros opéré par la Bpi pour aider les entreprises de la création. Pourquoi ne pas consacrer une partie de ce fonds à l'amorçage d'une plateforme européenne de production de films, séries et documentaires. Salto, CCS, la plateforme d'Arte sont des réussites, mais il faut une plateforme pour envoyer un message fort et faire la fierté des Européens.

M. Franck Riester, ministre.  - Le président de la République a en effet annoncé un fonds pour accompagner la structuration de la filière.

Plusieurs initiatives qui tendent à former une plateforme européenne ont été lancées. Le président de la République a annoncé, avec Mme Merkel, sa volonté de créer une plateforme franco-allemande pour la jeunesse et l'information. Je réfléchis avec mon homologue allemande, Monika Grütters, à la structuration d'une plateforme de mise à disposition de contenus numériques pour faire face à la concurrence anglo-saxonne et bientôt chinoise.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Je ne partage pas l'idée que nous avons déjà perdu la bataille des tuyaux et des outils. Soyons volontaires. L'État doit fédérer les acteurs et indiquer la direction à suivre. Il faut une impulsion coordonnée !

Mme Laure Darcos .  - Netflix vient d'acquérir les droits de deux films primés à Cannes : c'est contourner les règles en place.

Netflix, Amazon Prime et Disney-Fox devraient, aux termes du décret du 12 novembre 2010 relatif au service des médias audiovisuels à la demande, consacrer 12 % à 15 % de leur chiffre d'affaires au financement d'oeuvres françaises et européennes. Pour Netflix, l'investissement se monterait entre 55 millions d'euros et 90 millions d'euros pour les oeuvres européennes et entre 40 millions d'euros et 75 millions d'euros pour les oeuvres françaises.

Il faut deux réformes : unifier le taux d'investissement dans les oeuvres entre linéaire et non linéaire, et obliger à un financement en préachat, lors de la constitution du budget de l'oeuvre. Que comptez-vous faire ?

Entendez-vous mettre fin à la différence existante entre les investissements dans le cinéma et l'audiovisuel ?

M. Franck Riester, ministre.  - Les nouveaux entrants doivent avoir les mêmes obligations d'investissement que les acteurs historiques mais il ne faut pas les repousser d'un revers de la main. J'ai récemment rencontré Reed Hastings à ce sujet. Il faut aussi distinguer le cinéma de la production audiovisuelle et en tenir compte dans les obligations. La salle a une place particulière dans l'émotion cinématographique. Nous en reparlerons lors de l'examen de la loi audiovisuel.

Enfin, on sous-estime l'importance du droit moral, composante essentielle du droit d'auteur. La dernière touche doit rester au créateur, au réalisateur et non au producteur ou à la plateforme.

Mme Sylvie Robert .  - Paradoxalement, un artiste-auteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et 41 % ont un revenu équivalent au Smic. Si l'acte de créer est valorisé dans notre société, la rémunération est parfois dérisoire.

Les producteurs sont censés prendre en charge une fraction de la cotisation retraite des artistes-auteurs, mais le décret à cet effet n'a toujours pas été pris, après deux ans. Quand sera-t-il publié et quand la part sera prise en charge par les producteurs ?

La mission de M. Racine a-t-elle commencé et quand remettra-t-il son rapport ?

M. Franck Riester, ministre.  - Mon ministère veut remettre l'artiste au coeur de nos politiques culturelles. Avec l'arrivée du numérique et d'acteurs nouveaux, les artistes-acteurs ont vu leur situation financière et sociale bousculée.

Je souhaite que nous y réfléchissions ensemble, notamment sur les questions liées à la précarité. Une société comme la nôtre attachée au ciment social qu'est la culture doit faire une meilleure place aux artistes-auteurs. C'est l'objet de la mission prospective de Bruno Racine. Agnès Buzyn et moi-même travaillons sur la question des retraites complémentaires. Le Sénat y sera associé.

Mme Sylvie Robert.  - C'est une question urgente à laquelle il faudra répondre avant le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances.

Mme Nicole Duranton .  - Netflix était absent à Cannes cette année. En 2017, deux films produits et distribués par cette plateforme ont concouru au Festival, dont Okja de Bong Joon-ho. Le Festival avait été surpris que Netflix ne se plie pas à sa règle voulant que tout film sélectionné sorte en salle. Ces règles sont néanmoins sûrement obsolètes en raison de la transformation du monde de l'image. Cette année, ce réalisateur a remporté la Palme d'or avec Parasite, sorti en salles.

Notre modèle n'est donc peut-être pas adapté aux évolutions. Ce qui compte est la forme, pas le mode de diffusion. Roma, distribué par Netflix, a été primé à Venise. Le coût de l'abonnement à Netflix est de 11 euros alors que la place de cinéma peut aller jusqu'à 18 euros. En outre, le maillage des salles en province n'est pas toujours excellent. Au fond, le cinéma français et les plateformes sont peut-être complémentaires. Le cinéma français peut-il survivre à l'ère Netflix ?

Que fera le Gouvernement pour défendre les exploitants tout en tenant compte des nouvelles formes de consommation ?

M. Franck Riester, ministre.  - Le cinéma, c'est aussi une émotion partagée dans une salle. L'oeuvre, certes, peut être vue sur d'autres supports mais c'est d'abord cela.

Netflix peut sortir des films mais à condition qu'il respecte la réglementation française, notamment la chronologie des médias quand le film sort en salle. Celle-ci a évolué, les délais ont été raccourcis, les fenêtres de diffusion se rapprochent.

Mais ne lâchons pas notre vision du cinéma, ne renonçons pas à ce dispositif et faisons en sorte que les plateformes contribuent davantage au financement et à l'exposition de ces films. Il sera temps de réfléchir ensuite à une évolution de la chronologie des médias.

M. David Assouline .  - En juillet 2018, le Premier ministre annonçait la fermeture de France 4 pour 2020, sans avoir consulté qui que ce soit et sous l'impulsion de Bercy. France 4 anime une filière d'animation d'excellence.

Puis on nous a dit que la fermeture serait peut-être remise en question. Pouvez-vous nous en dire plus, bien que vous ne soyez pas président de FTV ?

M. Franck Riester, ministre.  - Dans l'investissement en faveur de la création cinématographique et audiovisuelle, l'audiovisuel public a un rôle majeur, notamment FTV et Arte. Nous le réaffirmerons dans le projet de loi audiovisuel.

En ce qui concerne France 4, il a été décidé de réduire le nombre de chaînes du bouquet de France Télévisions. Nous souhaitons cependant que l'animation et l'outremer soient très présents sur FTV mais aussi les outils numériques. Les jeunes, à 80 %, préfèrent désormais au poste de télévision les écrans connectés à Internet. Nous devons nous adapter à ces nouvelles donnes.

M. David Assouline.  - Cette réponse ne me rassure pas. Les services en ligne ne remplaceront pas la filière animation.

M. Henri Leroy .  - Le rayonnement international de la France est lié à son offre culturelle. Patrie des frères Lumière et de Georges Méliès, notre pays n'a pourtant pas de musée d'envergure international. Cannes va y remédier en créant son propre musée du cinéma et du festival. La démarche est parfaitement légitime pour la ville qui accueille depuis soixante-douze ans le plus grand festival de cinéma et premier évènement culturel du monde.

En outre, Cannes et sa communauté d'agglomération ont engagé un ambitieux programme pour devenir le territoire d'excellence de l'économie créative, avec le développement d'une filière complète de l'audiovisuel incluant la formation de créateurs, un campus universitaire sur les métiers de l'écriture, le soutien et l'accompagnement d'entreprises du secteur audiovisuel, la création de contenus, la distribution et la diffusion d'oeuvres culturelles et l'organisation d'événements.

Cannes reçoit plusieurs festivals mondiaux. Le nombre de tournages sur le bassin cannois est passé de 128 en 2015 à 562 en 2018.

Soutenir le Musée international du cinéma et du Festival de Cannes serait une mesure décisive de décentralisation culturelle. Comment allez-vous aider à sa réalisation ?

M. Franck Riester, ministre.  - Vous avez raison de dire que Cannes est un territoire de cinéma et de création audiovisuelle. Son maire a une vision claire du développement de la filière. L'État a vocation à accompagner les initiatives des collectivités. Je l'ai réaffirmé au maire de la ville, David Lisnard. Son projet de modernisation du Palais des Festivals de Cannes est excellent et mérite un soutien de l'État - même s'il est encore tôt pour dire quelle forme ce soutien pourra prendre.

Il y a aussi de beaux projets à Nice, avec les studios Victorine. Il y a d'autres beaux projets en Île-de-France et dans les Hauts-de-France.

M. François Bonhomme .  - Je veux alerter le ministre sur le risque de perte de substance du cinéma français. En 2018, 237 films français ont été produits. Un record, après celui de 2015. Mais Jean-Pierre Leclerc se demandait il y a déjà 15 ans si la limite pratique et pas seulement financière n'avait pas été franchie. Est-il raisonnable de produire 250 à 300 films par an alors que les entrées en salle stagnent, et que les deux-tiers des films n'atteignent pas 5 000 entrées ? Le taux de mortalité commerciale des films atteint 80 % à 90 % selon les semaines.

Quelles mesures envisagez-vous face à cette tendance à la surproduction tout en conservant la spécificité du cinéma français ?

M. Franck Riester, ministre.  - Votre question est légitime, mais il s'agit d'une tendance européenne, voire mondiale. Il est devenu plus facile de faire des films. Un simple téléphone suffit désormais, comme l'a montré Claude Lelouch. Le coût des films a également diminué. Le nombre de films produits est un faux problème. En outre, sur quelle base choisirions-nous les films méritant d'être produits ? En revanche, il faut agir sur la distribution en France, en Europe, dans le monde et sur les plateformes. C'est pourquoi, conformément à l'objectif que nous a assigné le président de la République, nous travaillons à une politique d'exportations plus ambitieuse.

M. Christophe Priou .  - Une anecdote d'abord. Un soir que je dînais avec le regretté maire communiste de Saint-Joachim, Marc Justy, et Claude Chabrol, celui-ci se déclara centriste, avant d'ajouter « c'est-à-dire à gauche du PC ». Mais peu importait pour lui, qui défendait toutes les formes de cinéma.

Malheureusement, l'écart s'accroît entre les films abondamment financés et les petites productions qui ont du mal à boucler leurs budgets. Il serait utile d'améliorer le fonctionnement du CNC, pour éviter de cibler les aides sur les films à gros budget, et afin de mieux soutenir l'émergence de nouveaux talents.

M. Franck Riester, ministre.  - Toute politique publique a vocation à être révisée et adaptée. L'aide aux nouveaux talents ne doit pas être oubliée. La politique menée en France le permet. Le Festival de Cannes montre, à travers le nombre de jeunes réalisateurs sélectionnés, la floraison des talents émergents en France, fruit d'une politique de longue date du CNC. Certes il est possible d'améliorer encore les choses, mais reconnaissons les succès des dispositifs publics en place pour aider la création française.

M. Christophe Priou.  - Soit, mais le clivage entre les grosses productions et les petits films d'auteurs nous interroge. Comme l'aurait dit Michel Audiard, « Dans le cinéma, on n'a pas assez de pognon, mais c'est partout pareil » !

M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains .  - Merci à tous nos collègues pour leurs interventions. Ce débat montre que notre modèle fonctionne, qui a intégré la diffusion dans la création. Il faut accueillir les nouveaux opérateurs plutôt que de se plier à leurs règles. Il n'est pas interdit de réfléchir à de nouveaux financements mais ne sacrifions pas le mécanisme actuel.

Dans son rapport, l'Autorité de la concurrence préconise une forte libéralisation, une déréglementation radicale du système. Cette position a choqué, mais a l'avantage de stimuler la réflexion. L'idéal est sans doute entre réglementation, parfois jugée lourde par les acteurs, et une libéralisation totale.

Dominique Boutonnat a aussi remis un rapport au président de la République proposant d'ouvrir le financement du cinéma à des opérateurs privés. Pourquoi se priver en effet de nouveaux financements ? La rentabilité n'est certes pas le seul indicateur pertinent, mais pourquoi se priver de viser les succès ?

De même, ce rapport traite de la chronologie des médias qui devra être revue pour plus d'équité.

La transparence, dans tous les cas, doit nous guider. Mieux connaître les revenus de tous les acteurs du système serait utile, et la blockchain peut y aider.

La capacité de résistance du cinéma résulte en partie de sa nature même, caractérisée par une émotion partagée collectivement en salle.

Robert Desnos disait : « Ce que nous demandons au cinéma, c'est ce que l'amour et la vie nous refusent, c'est le mystère, c'est le miracle ».

Cette demande existe sans doute pour longtemps encore. (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.