Sécurité des ponts : éviter un drame

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport d'information : « Sécurité des ponts : éviter un drame », à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Patrick Chaize, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 14 août 2018 s'effondrait le pont Morandi de Gênes, tuant 43 personnes. Ce drame a soulevé des inquiétudes sur l'état des ponts. Une telle catastrophe serait-elle possible en France ?

La commission de l'aménagement du territoire du Sénat a donc lancé une mission sur la sécurité des ponts. J'en remercie le président Maurey et mon collègue Michel Dagbert. Notre question était : quel est l'état des ponts en France et comment ce patrimoine est-il entretenu par l'État et les collectivités territoriales ? Après plusieurs mois de travaux et un grand nombre de témoignages, le constat est inquiétant.

Personne ne sait dire avec exactitude combien il y a de ponts en France.

M. Roland Courteau.  - Ça c'est sûr !

M. Patrick Chaize.  - On estime qu'il y aurait 200 à 250 000 ponts routiers, dont 90 % gérés par les collectivités territoriales. Leur état s'est dégradé ces dernières années au point de devenir préoccupant. En dix ans, le taux de ponts gérés par l'État nécessitant un entretien est passé de 65 % à 79 %. Plus de 700 ponts nécessitent des travaux. Quelque 8,5 % des ponts gérés par les départements, soit 8 500 ponts, sont en mauvais état, 30 % nécessiteraient des travaux d'entretien spécialisé.

Pour les ponts gérés par les communes et les intercommunalités, c'est la grande inconnue. Selon un rapport de 2008, 16 % étaient en mauvais état. Ils ont dû se dégrader encore, avec la fin de l'assistance technique de l'État, l'absence de surveillance et d'entretien, la mauvaise santé financière des collectivités. Au total, au moins 25 000 ponts auraient une structure altérée ou gravement altérée.

Cela pose un problème de sécurité et de disponibilité des infrastructures. D'après un audit externe, 7 % des ponts gérés par l'État risquent de s'effondrer, ou de devoir être fermés préventivement à la circulation.

Dans la Nièvre, à Lamenay-sur-Loire, ou dans le Loir-et-Cher, au Poislay, on nous a alertés sur des risques prévisibles. Lors de nos déplacements en Moselle ou en Seine-et-Marne, nous avons vu combien la fermeture d'un pont pouvait pénaliser les usagers. Il est urgent de prendre conscience du problème.

M. Michel Dagbert, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur le banc de la commission) Le constat rappelé par Patrick Chaize est inquiétant. Comment en est-on arrivé là ? Cette dégradation s'explique d'abord par le vieillissement de ce patrimoine ; un quart des ponts de l'État a été construit entre 1950 et 1975. Quant aux ponts des communes, ils ont souvent plus de 50 ans.

Deuxième raison, l'insuffisance des moyens consacrés à l'entretien. L'État a consacré en moyenne 45 millions d'euros par an à ses ouvrages d'art, mais l'audit a démontré qu'il faudrait deux, voire trois fois plus.

Troisième raison, les collectivités territoriales, et notamment le bloc communal, ne disposent ni de l'expertise en interne, ni des ressources financières pour employer une expertise externe.

Dans les deux communes que nous avons visitées, où les ponts sont fermés à la circulation, les travaux coûteraient un million d'euros pour chacun, sur un budget communal de 3 millions d'euros seulement.

Nous réclamons donc un véritable plan Marshall et un fonds d'aide aux collectivités. Sans concours, les petites communes et intercommunalités ne pourront pas faire face. (M. Roland Courteau renchérit.)

Il faut aussi recréer une ingénierie publique locale pouvant être mobilisée par les collectivités. Nous attendons beaucoup de la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). La mutualisation de la gestion mérite d'être encouragée.

Au-delà, il faudrait la prise en compte des dépenses d'entretien de ces ouvrages dans la comptabilité publique, et renforcer la connaissance du patrimoine par la mise en place d'un système d'information géographique (SIG) national et de « carnets de santé » pour chaque pont. Je vous renvoie à notre rapport. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Indépendants)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Merci pour ce rapport important, sur un sujet abordé dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) et qui reste d'actualité - en témoigne l'effondrement d'un pont à Taïwan hier.

Les ouvrages d'art de l'État sont plutôt bien connus. On en dénombre environ 12 000, inventoriés et entretenus selon une maintenance ou des programmes de soutien calendaires, avec des budgets croissants. La LOM prévoit 120 millions d'euros à horizon 2023, comme votre rapport le préconise, avec une montée en puissance dès l'an prochain.

Concernant le pont de Gennevilliers, c'est le mur de soutènement en terre armée qui était en cause. Cette technique qui date d'une vingtaine d'années n'est plus utilisée.

J'en viens aux ouvrages d'art des collectivités territoriales. Sur la connaissance et l'inventaire, les situations sont hétérogènes.

Le conseil départemental de la Haute-Saône, présidé par M. Krattinger, compte en son sein des entités spécialisées et peut proposer de l'ingénierie de proximité à ses communes et intercommunalités. Même chose en Mayenne.

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) peut apporter un soutien en ingénierie, en attendant la future ANCT. Plus de 10 % des effectifs du Cerema sont consacrés aux ouvrages d'art. C'est certes insuffisant en volume, mais la compétence est mobilisable.

Sur le financement, pour faire court...

M. Pierre Ouzoulias.  - Très court !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - ... nous pourrions envisager, en loi de finances, que certaines dépenses de régénération non récurrentes puissent s'imputer aux sections d'investissement et échapper aux règles de Cahors. Il faudra en débattre avec MM. Lecornu et Darmanin.

La DETR ou la DSIL peuvent-elles constituer une réponse ? C'est une piste à creuser.

La loi Didier traite des ouvrages de reclassement, construits pour rétablir une voie de communication interrompue par une LGV ou une autoroute. Ces 15 400 ouvrages d'art sont en cours de recensement ; la revue est ouverte jusqu'à la fin de l'année. Une fois la liste fixée par arrêté ministériel, ils feront l'objet d'un cofinancement entre les collectivités territoriales et les gestionnaires d'infrastructures.

Enfin, nous devons ouvrir la réflexion sur la maintenance dite prédictive, notamment sur les ouvrages les plus circulés, via des capteurs permettant de faire varier le pas de maintenance en fonction de la circulation et de l'usure des ouvrages.

Mme Françoise Cartron .  - Préserver l'état de nos ponts est un enjeu majeur de sécurité. Comme le rapport le note, l'importance du patrimoine routier géré par les collectivités territoriales est une spécificité française : 98 % du réseau routier pour deux tiers du trafic, mais aussi un tiers des ponts gérés par les communes, deux tiers par les départements. En Gironde, hors métropole, 1 800 ponts et 200 murs de soutènement sont gérés par le département. Ce patrimoine est en partie dégradé, faute d'entretien. Or les communes et intercommunalités n'ont pas les moyens de mener les travaux nécessaires. La mission appelle donc à développer une offre d'ingénierie améliorée à destination des collectivités. L'ANCT, voulue par les collectivités et portée par le Gouvernement, serait un bon outil. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Tout à fait. L'ANCT sera opérationnelle au 1er janvier 2020. Il faut toutefois un bouquet de solution. Certains conseils départementaux ont une forte expertise et pourront offrir de l'ingénierie, je l'ai dit. Le Cerema est aussi bien doté et a publié en septembre 2018 un guide à destination des collectivités territoriales sur la surveillance et la maintenance des ouvrages.

Mme Françoise Cartron.  - Il n'y a plus qu'à faire.

Mme Éliane Assassi .  - Après un travail d'une grande rigueur, que je salue, la commission de l'aménagement du territoire a produit un excellent rapport.

À l'initiative d'Évelyne Didier, notre groupe a fait adopter une proposition de loi sur ce sujet. Le mauvais état des ouvrages d'art est une bombe financière pour les collectivités territoriales. Quelque 98 % du réseau routier, quelque 150 000 ponts dépendent des collectivités. Or les infrastructures se dégradent rapidement. La décentralisation de 1982 a été un cadeau empoisonné.

Grâce à la loi Didier, les gestionnaires d'infrastructures doivent signer une convention avec les collectivités territoriales pour chaque ouvrage d'art. Il faut un bilan de l'application de cette loi, voire envisager une application rétroactive dans le cadre d'un grand plan de rénovation.

Il faut des moyens financiers, faute de quoi le mauvais état des infrastructures servira d'argument pour privatiser. Quels moyens le Gouvernement va-t-il mobiliser pour aider les plus petites collectivités à entretenir leurs ouvrages d'art ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Les quelque 15 400 ouvrages dits de rétablissement visés par la loi Didier sont en cours de recensement. La liste est publiée sur le site du Gouvernement. L'arrêté ministériel est prévu pour janvier prochain. Les ouvrages concernent pour 4 400 des voies navigables, pour 2 700 des voies ferrées ; le reste concerne les routes. Une fois recensés, ils pourront faire l'objet d'une convention entre le gestionnaire des ouvrages et les collectivités concernées à compter de 2020.

M. Alain Fouché .  - Je remercie le président Maurey à l'initiative de cette mission, ainsi que les rapporteurs. Je souhaite que leurs recommandations soient rapidement suivies d'action.

Le constat est alarmant : nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe analogue à celle du pont Morandi. Les collectivités territoriales ne sont pas en mesure d'entretenir les 90 % du réseau qui leur échoit. Nous n'avons d'autre choix que de lancer un ambitieux plan d'action afin d'éviter toute catastrophe. Le Gouvernement doit s'engager à déployer un plan Marshall d'ici 2021.

Monsieur le ministre, vous connaissez les difficultés financières des collectivités territoriales. Elles devront être associées à ce plan.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le réseau routier d'État, c'est 2 % des ponts mais 20 % du trafic. En 2015, 50 millions d'euros étaient engagés pour l'entretien des ponts, 70 millions d'euros cette année ; avec la LOM, ce sera 79 millions en 2020 et 120 millions à partir de 2023 pour faire face à la vétusté du réseau. Il faudra aussi voir s'il est possible de sortir des critères de Cahors les efforts de régénération non récurrents.

M. Alain Fouché.  - Le plus important pour nous, ce sont les ponts gérés par les collectivités. Nous avons besoin d'un engagement financier très fort de l'État. Le Gouvernement aura une part de responsabilité en cas de catastrophe.

Mme Nadia Sollogoub .  - Quiconque a été maire sait que la question des ponts n'est pas simple. Quand les problèmes surviennent, c'est qu'il est déjà trop tard et les travaux coûteux. Pourquoi cette politique de l'autruche, comme si les ponts étaient éternels ?

La loi sur l'eau a imposé des procédures complexes et coûteuses. Il y a quelques années le cantonnier communal pouvait faire quelques travaux préventifs. Maintenant, il faut faire un appel d'offres, trouver un bureau d'études : une visite initiale sommaire coûte de 2 000 à 5 000 euros par ouvrage. L'entretien courant au-dessus d'un cours d'eau n'est plus possible.

Nombre de collectivités ne sont pas au courant du partage des charges avec VNF. Peut-on raisonnablement laisser VNF dire qu'elle ne s'intéresse qu'à la partie navigable ? Elle se borne à vérifier que les morceaux de pont tombés dans l'eau ne modifient pas trop la profondeur pour les bateaux, mais quid de l'usager de la voie d'eau qui risque de recevoir un morceau de pont sur la tête ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Nous avons collectivement trop tardé et plus nous tardons à maintenir les ouvrages dégradés, plus le coût pour la collectivité sera élevé. D'où l'intérêt de conventions de cofinancement pour les 4 400 ouvrages enjambant des voies navigables. Nous veillerons à ce qu'elles soient signées dès le début de l'année 2020, puisque l'arrêté sera pris une fois la revue achevée, au 31 décembre.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Le rapport a mis en exergue un état inquiétant des ouvrages d'art : pour 25 000 d'entre eux, la sécurité des usagers est en péril. Les collectivités territoriales sont particulièrement impactées puisque c'est 20 % de leurs ponts qui sont touchés. Or elles n'ont pas les moyens, techniques et budgétaires, pour y répondre. Une petite commune de mon département devrait débourser 700 000 euros pour un pont rétrocédé par VNF sans qu'elle n'ait rien demandé. Résultat, il a fallu restreindre la circulation...

Il est regrettable que les fonds de l'Afitf dédiés à la sécurisation des tunnels aient été reversés dans le budget du réseau routier et non fléchés vers les ponts. Nous ne demandons pas une réorientation des crédits mais une enveloppe nouvelle ! Espérons que la loi de finances sera l'occasion de prendre la pleine mesure de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Pour les ouvrages d'art d'État, le budget est fixé dans la LOM avec une montée en puissance jusqu'à 120 millions d'euros par an à compter de 2023.

Pour les ouvrages dits de reclassement, qui feront l'objet de conventions de financement, les crédits seront à trouver en loi de finances. C'est bien de l'argent nouveau qu'il faudra leur consacrer.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Les élus locaux sont déjà échaudés par le projet de loi Lecornu. À six mois des municipales, le Gouvernement devra apporter des réponses juridiques, techniques et financières s'il veut éviter une catastrophe.

M. Michel Vaspart .  - Je pose la question au nom d'Édouard Courtial. La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, en 1999, puis l'effondrement du pont Morandi ont inquiété. Hier encore, un pont de 140 mètres s'est effondré à Taiwan.

Le rapport montre qu'il y a un besoin urgent d'investissement mais aussi de gestion de long terme. Il faut un fonds spécial et de l'ingénierie à destination des collectivités locales, même si certaines ont pris le problème à bras-le-corps. Ainsi, le conseil départemental de l'Oise a voté en 2017 un plan de 5 millions d'euros par an sur dix ans pour rénover ses 700 ouvrages d'art.

Reste des difficultés pratiques lorsque les ponts enjambent des voies SNCF ou des voies d'eau. Le pont de Saint-Ladre à Crépy-en-Valois appartient au gestionnaire de la chaussée mais son entretien est assuré par la SNCF. La responsabilité de l'entretien voire de la reconstruction est confuse. Depuis des années, malgré un référé, c'est le statu quo. Tout juste un expert a-t-il interdit la circulation des poids lourds... Cela illustre le blocage administratif.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Vous avez raison de souligner les difficultés administratives.

Il est compliqué d'établir le diagnostic et de préciser les responsabilités. La loi Didier est à cet égard une avancée considérable : la liste des 8 700 ouvrages enjambant une voie ferrée est en cours d'élaboration et sera publiée au 1er janvier 2020. Les conventions de financement qui seront passées établiront très clairement les responsabilités.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Mark Twain disait : « La catastrophe qui finit par arriver n'est jamais celle à laquelle on s'est préparé. » Jean-Louis Nicolet nous invitait à penser les objets technologiques comme des systèmes complexes dont les éléments en interaction dynamique pouvaient entrer en résonance jusqu'au dépassement des limites de rupture. D'où l'importance de l'analyse et de la surveillance pour déclencher les interventions prédictives ou curatives.

Les collectivités territoriales gèrent désormais seules 90 % du réseau routier. Or le transfert des compétences pour les ouvrages d'art et la voirie ne s'est pas toujours accompagné du transfert des plans de récolement et de la documentation technique. Les directions départementales de l'équipement qui apportaient un appui technique ont été redéployées, voire supprimées. Enfin, les financements nécessaires à l'entretien n'ont pas été transférés non plus.

Pouvez-vous préciser selon quelles modalités l'ANCT interviendra ? À quand un plan national pour développer et diffuser les innovations technologiques en matière de maintenance des ponts : géolocalisation, maquettes numériques, capteurs et jauges de déformation ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Les modalités concrètes de l'action de l'ANCT sont en cours d'élaboration. Il faut penser l'ingénierie du Cerema et de l'ANCT ensemble.

L'utilisation des objets connectés et plus largement la maintenance prédictive me parait être un futur désirable. Elle est déjà expérimentée. Il serait utile de pouvoir s'assurer en temps réel de la santé des ouvrages les plus circulés, ou ceux qui font déjà l'objet de restrictions.

Quelque 10 % des camions et poids lourds sont en surcharge, ce qui fragilise plus que prévu les ouvrages. Il faudra réfléchir collectivement à un plan d'équipement des plus grands ouvrages, et particulièrement à un équipement technologique des ouvrages les plus sensibles.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Il est aussi nécessaire de développer la recherche sur les nouveaux matériaux, comme les polymères, qui évitent de modifier l'esthétique du pont.

M. Jean-Marie Mizzon .  - Un cas particulier fait l'actualité en Moselle : le pont de Petite-Rosselle, construit au XIXe siècle pour l'acheminement du charbon. Son délabrement est tel qu'il faut le reconstruire.

Le 19 mars 2019, devant la commission, Mme Borne a reconnu que ce pont appartenait sans ambiguïté à l'État, qui a repris le patrimoine des Houillères, et confirmé qu'il appartient à l'État de le remettre en l'état, disait-elle, annonçant des travaux prochainement.

C'est pourquoi le maire de Petite-Rosselle a été très surpris d'apprendre du préfet que les travaux seraient uniquement cofinancés à hauteur de 35 %, qui plus est au titre de DETR, privant la commune d'un autre projet prioritaire. C'est la double peine !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je dois vérifier ce point : mes services ne sont pas d'accord. La ministre a proposé une prise en charge partielle...

M. Jean-Marie Mizzon.  - Non, totale !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je ne m'avance pas et m'engage à vous faire une réponse écrite.

M. Jean-Marie Mizzon.  - J'en prends acte. Mais Mme Borne a bien dit et écrit que la prise en charge serait totale, le président Maurey en est témoin.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Je le confirme.

M. Jean-Marie Mizzon.  - La commune a épluché toutes les délibérations depuis 1850. C'est complexe, car il faut lire l'allemand et la Spitzschrift ! Elle n'a trouvé aucune trace de la moindre participation à la construction du pont. En revanche, les archives départementales regorgent de plans, de notes de calcul, de devis qui démontrent que le pont a bien été construit par les Houillères.

Monsieur le ministre, il faut faire vite si vous ne voulez pas que cette actualité locale ne fasse l'actualité nationale.

M. Antoine Lefèvre .  - Bon nombre d'ouvrages SNCF concernant des routes départementales ou communales de l'Aisne ne figurent pas sur la liste provisoire publiée en août 2019.

Le Conseil d'État a admis une valeur conventionnelle aux procès-verbaux de récolement fixant la répartition des charges d'entretien. Or ces procès-verbaux ne traitent que des opérations d'entretien courant, pas des grosses réparations.

Si seuls les ouvrages figurant sur la liste pourront faire l'objet d'une convention nouvelle, le problème restera entier pour les collectivités gestionnaires de ces voies portées.

Que comptez-vous donner comme moyens financiers aux collectivités, au-delà de l'ingénierie ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - La liste est en cours d'élaboration. Les collectivités territoriales peuvent se manifester jusqu'à la fin de l'année pour demander l'inscription d'un ouvrage.

S'agissant du financement, j'ai saisi mes collègues Lecornu et Darmanin pour voir si les opérations d'entretien non récurrentes ne pourraient être considérées comme des investissements et, à ce titre, être exclues du pacte de Cahors. Autre piste : que les conseils départementaux étudient l'allocation éventuelle de moyens non récurrents au travers de la DETR ou puissent abonder la part collectivité du financement.

M. Antoine Lefèvre.  - Il faudra des moyens importants et des systèmes dérogatoires.

Mme Nicole Bonnefoy .  - Le rapport d'information a mis en avant les carences de l'État dans la gestion des ponts. Surveillance et entretien sont pourtant la clé de la sécurité des ouvrages.

L'expertise du Cerema est indispensable pour analyser les risques et réaliser les travaux d'entretien, or ses effectifs sont en constante baisse, ce qui a des conséquences sur ses capacités d'intervention, voire sur ses compétences. Il en va de même à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar).

Cette tendance risque de se poursuivre, sachant que le projet de loi de finances supprime 1 700 postes au ministère de la Transition écologique. Comment l'État peut-il alors garantir une expertise de qualité et en assurer la transmission ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le Cerema et l'Ifsttar avec leurs compétences et leur savoir-faire, sont capables de se projeter dans l'avenir sur les technologies embarquées qui permettront une surveillance moderne.

Au Cerema, 10 % des effectifs, soit 300 personnes, travaillent sur les ouvrages d'art. Elles peuvent mettre à disposition des collectivités territoriales des outils, des logiciels, des formations...

Quant au budget, je ne doute pas qu'il y aura débat en loi de finances.

M. Didier Mandelli .  - La catastrophe de Gênes a ému. Le rapport d'information a mis en lumière l'absence de contrôle effectif : faute d'un recensement exhaustif de nos ouvrages, 25 000 ponts sont en mauvais état structurel. Il y a urgence à agir. La LOM pouvait être l'occasion de soutenir les collectivités territoriales via l'Afitf.

Le Sénat avait fait en sorte d'y inscrire qu'au travers de partenariats avec les collectivités territoriales, l'État accompagnait l'inventaire, la surveillance, l'entretien et, le cas échéant, la réparation des ouvrages. Je regrette que l'Assemblée nationale l'ait supprimé au profit d'un simple accompagnement logistique et non financier.

Après la catastrophe du Mont-Blanc en 1999, quelque 2 milliards d'euros avaient été débloqués pour sécuriser les tunnels. Faut-il attendre un drame pour obtenir les fonds nécessaires à la sécurisation des ponts ? Allez-vous valider la création du fonds préconisé par la mission ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je salue vos travaux à l'occasion de la LOM, monsieur le sénateur.

Mauvais état n'est pas synonyme de dangerosité : on estime que 6 % des ponts en France sont en mauvais état, ce qui implique des travaux, mais les ponts jugés dangereux sont interdits à la circulation.

Les financements inscrits dans la LOM - 120 millions d'euros par an à partir de 2023 - coexisteront avec des financements nouveaux qui seront inscrits en loi de finances.

M. Olivier Jacquin .  - Lors de la LOM, j'ai interpellé Mme la ministre sur le pont de Pierre-la-Treiche en Meurthe-et-Moselle. Ce pont a été construit par Voies navigables de France (VNF) en 1980 et est en mauvais état. La ministre m'a confirmé qu'il faisait partie du périmètre de la loi Didier. En juin, une rencontre a été organisée entre le maire, VNF, le sous-préfet pour faire un point précis. J'ai le sentiment qu'il y a peu d'empressement à conclure la convention qui fixera les responsabilités et les financements des uns et des autres.

J'ai cru comprendre qu'une pré-évaluation fixait à près de 50 millions d'euros les besoins pour les 2 200 ouvrages relevant de VNF, qui n'a pas les moyens ni l'ingénierie nécessaire.

Pour la part communale, vous incitez les collectivités territoriales à solliciter de la DETR et de la DSIL. C'est habituel... Pouvez-vous être plus précis ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le 12 mars, Mme la ministre vous a bien indiqué que Pierre-le-Treiche relevait de la loi Didier. La convention ne pourra être signée qu'en début d'année prochaine dans la mesure où le recensement des 4 400 ouvrages impliquant VNF est en cours. Le volume financier et le nombre d'ouvrages à réhabiliter sont considérables, l'État en prendra sa part.

J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que la piste DETR et DSIL était la bonne. En outre, il faudrait pouvoir inscrire les dépenses d'entretien de ces ouvrages au titre des dépenses d'investissement des communes : la loi de finances sera l'occasion d'en débattre.

M. Olivier Jacquin.  - C'est de la procrastination. Malheureusement, un accident risque de finir par accélérer les choses. Nous ne le souhaitons pas. Vous pourrez compter sur mon opiniâtre courtoisie républicaine pour suivre ce dossier.

M. Christophe Priou .  - La mission souligne la nécessité d'une gestion patrimoniale des ponts. Un exemple : en Loire-Atlantique, le pont de Saint-Nazaire, construit en 1975, qui relie la Bretagne à la Nouvelle Aquitaine, long de plus de 3,3 km ce qui en fait le plus long de France devant le pont de Normandie, a besoin de travaux de consolidation. Or près de 30 000 véhicules l'empruntent chaque jour.

De 2010 à 2014, ce pont a fait l'objet de 20 millions d'euros de réparations sur sa partie Sud. 8 millions d'euros pour sa partie Nord en 2018. Tous les trois ans, des spécialistes auscultent ses sommets et fondations immergées.

Mais, à côté, 200 000 petits ponts périclitent dans l'indifférence.

Nous attendons un signal fort de l'État : quelles suites donnera-t-il à notre excellent rapport ? En économie, sans infrastructure, pas de vie et de développement économique.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le pont de Saint-Nazaire pourrait être équipé, à titre expérimental, de dispositifs d'analyse des vibrations pour adapter l'entretien. Il semble que cela pourrait dégager des économies substantielles.

Mme Catherine Deroche .  - Après un accident tragique, la chute d'un balcon à Angers en 2016, j'ai alerté le Gouvernement sur la nécessaire certification des armatures de béton. Des poses incorrectes peuvent avoir des conséquences dramatiques. Fin 2017, le ministre Mézard annonçait une étude, rendue cet été, mettant en évidence des défauts structurels dans 15 % des ouvrages. L'étude propose des audits et des contrôles mais qu'en est-il de la certification des armatures ?

Plusieurs pays européens comme l'Allemagne, l'Espagne ou la Belgique ont introduit une certification obligatoire pour les entreprises construisant des armatures de béton. Dans notre pays, seules 50 % des entreprises du secteur en ont une.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire ? Le sujet déviant un peu de celui des ponts, j'admettrais une réponse différenciée.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Vous me surprenez en flagrant délit d'incompétence sur le sujet... (Sourires) Je solliciterai la ministre de la Cohésion des territoires : une réponse par écrit est nécessaire.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Il a fallu attendre la catastrophe du pont Morandi, 43 morts dont 4 Français, pour se pencher sur la question des ponts. Le Sénat l'a fait avec MM. Dagbert et Chaize.

Bien entendu, plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d'alarme et appellent à investir davantage. Mais la véritable question est : qui va payer ? En France, les collectivités territoriales sont en première ligne, car elles gèrent près de 90 % de ces ouvrages d'art. Je suis marqué par le désarroi des élus locaux qui gèrent des communes de taille modeste : 20 % des ponts communaux, soit 16 000, auraient une structure altérée.

Limours, dont j'ai été maire pendant 17 ans et qui se situe à 30 km de Paris, possède 25 bâtiments communaux, une église du XVIe siècle, 56 km de voiries, 100 km de canalisations, trois ponts et un viaduc - et une DGF en retrait de 650 000 euros sur quatre ans.

Il faut un fonds d'aide spécifique pour le suivi patrimonial des ponts.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Il y a plusieurs dispositifs. D'abord la trajectoire définie par la LOM, pour ce qui relève de l'État : 120 millions sont prévus. Il faudra aussi des fonds, répartis entre État et collectivités territoriales, pour 15 400 ouvrages supplémentaires.

Le Gouvernement ne procrastine pas ; le travail très utile de MM. Dagbert et Chaize apporte un éclairage nouveau sur ce sujet. Le Gouvernement apportera les réponses nécessaires.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Merci aux rapporteurs, aux groupes politiques d'avoir participé à cette mission et à ce débat, et au ministre dont c'est le baptême du feu, même si nous avons eu l'occasion de travailler ensemble sur le nouveau pacte ferroviaire.

Monsieur le ministre, vous annoncez que les travaux sur les ponts pourraient être imputés aux dépenses d'investissement. Ce serait une bonne nouvelle, qui permettrait de récupérer la TVA, mais ce n'est que l'une des dix propositions du rapport. Nous sommes loin du plan Marshall que nous avons appelé de nos voeux.

En France, 25 000 ponts sont considérés à risque. Et 7 % des ponts d'État sont en situation insatisfaisante. La trajectoire budgétaire engagée est positive ; on nous annonce 120 millions d'euros à partir de 2022. Il faut monter en puissance très rapidement : si nous ne faisons rien, nous aurons dans dix ans deux fois plus de ponts en mauvais état qu'aujourd'hui. Nous sommes loin de ce qui se fait en Allemagne, par exemple.

Pour les communes et les communautés de communes, la situation est préoccupante. Elles n'ont pas, comme les départements, des services compétents. Il faut les aider à acquérir une connaissance qualitative et même quantitative de leurs ponts, avant de les réparer.

Dans mon département, on s'est aperçu un matin qu'un pilier manquait à un de nos ponts. Un coût : 300 000 euros pour la communauté de communes. En deux ans, elle aura dépensé près d'un million pour deux ponts.

En Seine-et-Marne, des communes ont dû fermer leurs ponts à la circulation. Comme M. Corbisez, je regrette que l'on n'ait pas pu mobiliser le fonds créé après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. On a le sentiment qu'il faut attendre une catastrophe pour dégager les moyens nécessaires.

Avec la suppression de l'Assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) en 2014, l'ingénierie nécessaire n'est plus là. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) demeure dans le flou. Enfin, le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) n'a pas les moyens suffisants.

Il y a eu Gênes, puis Taïwan. Il y aurait pu y avoir Gennevilliers. Arrêtons-nous là, et mettons les moyens nécessaires. (Applaudissements sur le banc de la commission)

La séance est suspendue quelques instants.