Libre choix du consommateur dans le cyberespace

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues, à la demande de la commission des affaires économiques.

Discussion générale

Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi, importante, concerne le sujet stratégique pour notre avenir de la liberté du consommateur au sein de l'économie numérique. Il nous rassemble tous.

Le 5 février 2020, la commission des affaires économiques a voté cette proposition de loi à l'unanimité, sans abstention. Outre les membres de la commission, plus de la moitié des sénateurs l'a cosignée.

C'est une spécificité du Sénat où émergent des majorités d'idées au-delà des clivages politiques traditionnels. Le mot consensus n'est ici ni gros ni vain.

L'enjeu du texte est essentiel car la quasi-totalité de nos concitoyens est concernée, du soir au matin, sans qu'ils ne s'en rendent réellement compte, à savoir l'enfermement des consommateurs sur internet par quelques acteurs dominants et trop puissants.

Si le Sénat vote cette proposition de loi, il pourra s'enorgueillir de placer ce sujet au coeur du débat : merci à tous mes collègues qui se sont associés à notre démarche. Les critiques adressées aux Gafam sont nombreuses : évasion fiscale, pillage des données personnelles et professionnelles, concurrence déloyale, propagation de la haine en ligne, déstabilisation de la démocratie.

Nous avons déjà légiféré sur les géants du numérique, notamment en matière de fiscalité ; mais c'est insuffisant. La cause ? La domination économique de quelques-uns et la restriction de la liberté des consommateurs qui en résulte. Or ce qui a fait l'efficacité du marché, c'est la concurrence. Les start-up d'autrefois sont devenues des géants abusifs.

La tendance ne risque pas de s'inverser : malgré les scandales et les amendes à répétition, les marchés financiers leur accordent toujours leur confiance. C'est plus de 5 000 milliards de dollars de valorisation boursière pour les Gafam et 1 600 milliards de croissance en 2019. Comme Facebook ou Google, WhatsApp compte désormais plus de deux milliards d'utilisateurs. Le commerce électronique occupe une place sans cesse croissante. Grâce aux smartphones, il est possible de consommer en tout lieu et à toute heure. Or ils sont régis par un duopole d'écosystème en silo. Nous sommes dans les mains d'un duopole qui a toute latitude pour organiser comme il le souhaite la façon dont nous agissons en ligne. C'est comme si une seule marque de téléviseur ne diffusait qu'une seule chaîne.

Les géants du net apportent certes un service mais ils pèsent trop lourd. Plus nous attendons pour agir, plus ils se renforcent et tuent toute concurrence : nous risquons de nous retrouver face à un duopole constitué d'un américain et d'un chinois. Tant que nous n'agissons pas, nous envoyons un signal de laisser faire.

Nous devons rendre le pouvoir au consommateur. Oui, il serait plus efficace d'agir au niveau européen, voire mondial ou même intergalactique ! (Sourires)

Les parlementaires ne peuvent plus se contenter d'un « Attendons l'Europe ». Comme disait le général de Gaulle, on peut sauter sur notre chaise comme un cabri en disant « L'Europe, l'Europe, l'Europe » : cela risque de n'aboutir à rien, en tout cas pas tout de suite.

Il faut agir au niveau européen et nous soutiendrons toute initiative, mais en attendant limitons la casse en légiférant au niveau national. Voyez la taxe Gafam, que de temps perdu au niveau européen pour finalement légiférer au niveau national.

L'Allemagne a déjà publié un avant-projet de loi musclant son droit de la concurrence pour l'adapter à l'ère numérique. Confions à un régulateur le soin de fixer un cadre et même un cap au marché. Si nous disposons de commissaires européens allants sur le sujet, ce n'est pas le cas de tous les pays. Le calendrier européen nous amènera au mieux à 2022 et au pire à 2024.

Notre pression parlementaire envoie un signal aux institutions européennes. Monsieur le ministre, si le Sénat vote ce texte, la balle sera dans votre camp et dans celui de l'Assemblée nationale. Dans tous les cas, nous aurons l'occasion d'en rediscuter lors de l'examen du projet de loi audiovisuel, qui contient des dispositions relatives au numérique, au droit de la concurrence et aux communications électroniques. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe LaREM)

M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du groupe SOCR) Nous examinons un texte qui nous rassemble largement. Le groupe socialiste et républicain a tenu à y apporter d'emblée une contribution active par la fonction de co-rapporteur que j'ai le plaisir d'exercer. Nos travaux prolongent ceux de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique que j'ai eu l'honneur de présider et que M. Longuet a rapporté.

M. Gérard Longuet.  - Très bien !

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Merci pour votre travail, monsieur le sénateur. Nous avions souligné le fonctionnement des ministères en silo, regretté l'absence de stratégie nationale pour le numérique et proposé une loi d'élaboration et de suivi de la souveraineté numérique.

Continuer à procrastiner, c'est nous condamner à la « silicolonisation » de la France et de l'Europe, pour reprendre le néologisme du philosophe Éric Sadin.

Il convient de rééquilibrer la relation entre les géants de l'internet et les utilisateurs par une régulation ex ante. La sanction ne servirait qu'à crédibiliser la régulation.

La célérité avec laquelle des comportements dommageables pour les concurrents et pour les consommateurs peuvent apparaître dans l'économie numérique justifie de compléter la régulation a posteriori, celle du droit de la concurrence ou des pratiques restrictives de concurrence. Il faut repenser la logique de l'action publique. C'est ce qu'envisage la proposition de loi, avec deux points d'entrée que sont la neutralité des terminaux et l'interopérabilité des plateformes. La nouvelle régulation que nous proposons est complémentaire de la réglementation ex post que nous connaissons et qui reste nécessaire.

La commission propose un dispositif pour garantir la sincérité des interfaces et lutter contre ce qu'il est convenu d'appeler les dark patterns, ces techniques de manipulation et de contrainte des utilisateurs internautes. La DGCCRF devra contrôler les pratiques, afin de protéger les consommateurs.

Mais le coeur de la proposition de loi est bien d'inventer de nouvelles formes de régulation des plateformes structurantes : une régulation plus agile et plus efficace contre la dynamique d'enfermement du consommateur. Nous avons suivi l'avis du Conseil d'État et les amendements de la commission visant à assurer la conformité du dispositif au droit de l'Union européenne. La directive e-commerce des années 2000 a montré son inadaptation au contexte économique nouveau. Ainsi, la Chine et la Russie ont leurs géants du numérique quand l'Europe est contrainte de suivre ceux des États-Unis.

Si le Sénat adopte cette proposition de loi au-delà des clivages politiques, il ne tiendra qu'à vous, monsieur le ministre, d'agir. La France aura donné l'exemple, comme l'Allemagne d'ailleurs, dans un contexte européen où l'on sait que les calendriers de l'action publique effective sont toujours très longs et parfois préjudiciables aux économies nationales. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM, ainsi que sur le banc de la commission)

Mme Sylviane Noël, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) Avec cette proposition de loi, nous nous adressons à tous les utilisateurs de smartphones. Si, grâce à eux, « le monde est à portée de main » comme dit la publicité, il est en réalité orchestré par deux acteurs, Apple et Google, qui possèdent toute la chaîne de valeur. Ils enferment les consommateurs et verrouillent l'accès des entreprises à certaines applications. La concurrence est bridée comme la liberté du consommateur.

Demain, si le texte que nous examinons aujourd'hui était adopté, ces comportements seraient sous le contrôle d'un régulateur dédié.

Il y a près d'un an, l'autorité de la concurrence néerlandaise publiait un rapport sur ce sujet. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) propose, elle, depuis les années 2010, d'étendre la neutralité du Net à tous les supports, téléphone compris. Il faut passer du constat à l'action.

C'est aussi à tous les utilisateurs de réseaux sociaux que s'adresse ce texte. Bien des échanges ont eu lieu sur ce point dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne. Nous pensons que l'interopérabilité des réseaux sociaux, comme celle d'autres plateformes, permettra de rendre le pouvoir au consommateur, de communiquer avec des utilisateurs d'autres plateformes. La proposition de loi permettrait, sous le contrôle de l'Arcep, l'émergence d'agrégateurs de comptes de réseaux sociaux, comme il existe aujourd'hui des agrégateurs de mails. Elle permettrait aussi de discuter avec ses contacts, qu'ils soient ou non utilisateurs du même réseau social, comme il est possible de parler depuis un téléphone abonné à SFR vers un téléphone abonné à Orange.

Ce texte interdit le recours à des interfaces trompeuses, ces modes de conceptions des interfaces numériques qui orientent les choix du consommateur et le piègent de façon discutable. Appelées dark patterns, il s'agit par exemple de cases pré-cochées pour payer une assurance que l'on ne souhaite pas, ou le fait d'avoir de grandes difficultés à se désinscrire ou se déconnecter d'un service.

Nous entendons également renforcer le droit de la concurrence. Les seuils de déclenchement du contrôle des concentrations comprennent aujourd'hui de nombreux angles morts. Or, dans le monde numérique, les géants américains et chinois adoptent des stratégies d'acquisition à tout va et passent entre les mailles du filet. Nous proposons donc de rendre la vue à l'Autorité de la concurrence.

En commission, nous avons proposé d'établir un faisceau d'indices pour caractériser les géants du numérique. Nous ne voulons ajouter une couche de réglementation que là où c'est nécessaire.

Nos partenaires allemands ont déjà publié un projet de réforme sur le droit de la concurrence. C'est un véritable encouragement à faire du couple franco-allemand le moteur de l'Europe sur ce sujet. (Applaudissements sur le banc de la commission, ainsi que sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - On observe deux mouvements paradoxaux dans le développement d'internet. Une promesse d'universalité fondée sur la neutralité, l'ouverture, et une concentration continue.

L'utilisation des terminaux y a participé. Les environnements logiciels des téléphones, et notamment les applications préinstallées, donnent une illusion de choix. Sans doute leur succès est lié à leur commodité, qui conduit in fine à créer des positions dominantes.

Mais le confort ne saurait justifier la mainmise croissante des grandes entreprises du numérique.

L'initiative du Sénat est largement bienvenue sur le fond, même si nous divergeons sur la méthode, madame la présidente.

Il en va d'abord de l'intérêt des consommateurs, si l'on garantit le libre choix dans les usages numériques et un internet réellement ouvert de bout en bout. Le combat pour la neutralité du Net est devenu un combat démocratique.

Il en va aussi du développement de nos entreprises, parfois soumises à des conditions contractuelles avec des plateformes structurantes qui leur sont particulièrement défavorables et interrogent sur le partage de la valeur.

Il en va de notre souveraineté française et européenne. Je me réjouis de partager avec vous cette conviction commune et je remercie le Sénat, tout particulièrement Mme la présidente Sophie Primas, pour les travaux menés sur ce texte.

Outre la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le respect de la concurrence sont des axes fondamentaux.

Nous ne sommes pas dépourvus de leviers d'action au niveau national sur ces questions, que ce soit au travers du droit de la concurrence ou par le biais d'autres outils. Ainsi, le droit de la concurrence permet d'ores et déjà d'agir en matière de ventes liées. En outre, la Commission européenne vient de condamner Google à une amende de plus de 4 milliards d'euros pour des pratiques de ventes liées de l'application Google Search et du navigateur de recherche Google Chrome.

La DGCCRF peut déjà sanctionner certaines pratiques abusives. C'est dans ce cadre que le ministre de l'Économie a assigné Google en justice devant le tribunal de commerce de Paris en 2017 et en 2018. Des outils existent donc pour agir sur les questions légitimes que vous avez soulevées.

Frapper juste, c'est frapper au bon moment et la régulation ex post est souvent trop tardive. Une régulation efficace doit agir au bon niveau : celui de l'Union européenne. Qui d'autre a prononcé 8,2 milliards d'euros d'amende en deux ans à Google pour abus de position dominante ?

J'ai engagé un dialogue avec la Commission européenne dans le cadre d'une réflexion globale, notamment avec Mme Vestager et M. Breton qui élaborent le Digital Services Act. Nous avons conscience qu'il reste du chemin à parcourir.

La seule solution est le respect d'un cadre harmonisé à l'échelon européen. Certaines entreprises numériques ont un poids structurant inédit sur notre économie et notre démocratie.

Nous devons apporter une réponse structurante, une régulation systémique pour des acteurs systémiques, qui imposerait notamment une interopérabilité et l'ouverture de certains services à des tarifs régulés. C'est notre priorité, mais nous sommes dans le temps de l'agenda de la nouvelle Commission européenne. Je comprends l'impatience du Sénat, mais nous serons prochainement fixés sur les ambitions de la Commission. À défaut, nous pourrons agir au niveau national.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Il faut faire les deux !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement partage votre diagnostic mais reste réservé sur votre dispositif. Il faut laisser sa chance à l'Europe de travailler sur ce sujet, notamment sur les obligations à appliquer aux plateformes. Il ne faut pas affaiblir le combat engagé. À ce stade, il est tôt pour légiférer au niveau national : le Gouvernement est donc défavorable au texte.

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants) L'objet de cette proposition de loi est aussi utile et passionnant pour nos concitoyens que technique et complexe à mettre en oeuvre. Cela me rappelle nos débats sur le secret des affaires en 2018, avec le même souci de concilier soutien à l'activité économique et protection des libertés.

L'actualité ne cesse de nous rappeler pour le meilleur et parfois pour le pire les défis posés par les nouvelles technologies. Les services proposés sont aussi variés que le commerce en ligne, la banque ou l'information. Ces pratiques sont désormais ancrées dans les modes de vie, mais le mouvement des gilets jaunes montre combien l'éloignement de l'accès au numérique pose problème.

Mais à côté des bénéfices pour les consommateurs, cette transformation s'accompagne d'une forte concentration de l'offre dans les mains de quelques entreprises très puissantes, les géants du numérique, principalement américains, qui tendent à acquérir une situation de monopole ou d'oligopole, à cause des effets de réseau désormais bien connus.

La croissance à deux chiffres du commerce en ligne entraîne des changements profonds et peut-être irréversibles de la consommation et des conditions de travail. Le principe de la liberté du commerce et le droit de la concurrence sont remis en cause : acquisitions prédatrices, applications préinstallées, impossibilité de passer d'un réseau social à l'autre.

Avec ce texte, il s'agit de redonner du pouvoir au consommateur à l'ère numérique. Il codifie le fonctionnement du secteur des postes et communications électroniques en donnant plus de compétences à l'Arcep et à l'Autorité de la concurrence.

Les sanctions administratives en cas de non-respect des règles pourront aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial. Je salue aussi le rôle donné à la CNIL.

Je regrette en revanche le rejet de mon amendement sur l'information des consommateurs au titre de l'article 41. C'est pourtant indispensable à la mise en oeuvre du texte : nos citoyens doivent savoir quels sont leurs droits vis-à-vis des plateformes.

Le groupe RDSE votera cependant en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE et sur le banc de la commission)

M. Xavier Iacovelli .  - Grâce au numérique, notre monde est à portée de clic. C'est une chance mais aussi une source d'inquiétude. Les smartphones et, demain, les objets connectés créent des opportunités nouvelles : le commerce en ligne a connu une croissance de 72 % entre 2014 et 2017, pour atteindre 2 300 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Depuis sa création en 2004, Facebook est devenu un leader des réseaux sociaux. Il a d'ailleurs franchi un nouveau palier en 2017, atteignant les 2 milliards d'utilisateurs actifs.

Mais c'est aussi une source d'inquiétude car, face à la toute-puissance des géants du numérique que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, le risque de voir le consommateur entravé dans sa liberté de choix s'accroît au fur et à mesure que l'offre en ligne se développe.

Il appartient donc au législateur de mieux protéger les consommateurs en garantissant leur liberté de choix sur les terminaux et en protégeant la libre concurrence des acteurs économiques sur le marché.

La proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par la commission. Les rapporteurs ont su l'amender en tenant compte des préconisations du Conseil d'État. Nous souhaitons renforcer le pouvoir des régulateurs nationaux sur les géants du numérique, afin de garantir la liberté de choix sur les terminaux, de faciliter le passage d'un réseau social à un autre. Ainsi, l'utilisateur pourra conserver ses contacts du réseau précédent et interagir avec eux. Il faut également limiter les acquisitions prédatrices.

L'Arcep jouera un rôle central dans la régulation ainsi mise en place et disposera d'un pouvoir de sanction.

De nombreux rapports ont établi la nécessité de réguler les Gafam. C'est pourquoi, fin 2018, le Président de la République avait annoncé l'instauration d'une taxe française sur les Gafam. Cette mesure, définitivement adoptée par le Parlement le 11 juillet dernier, a fait de la France le premier État à introduire en Europe une taxation de ce type, en l'attente d'un accord au niveau européen. Le ministre a d'ailleurs rappelé la mobilisation du Gouvernement pour faire aboutir le sujet au niveau de Bruxelles.

Le groupe LaREM soutient cette proposition de loi tout en rappelant l'importance de parvenir à un accord européen pour en garantir l'efficacité. (Applaudissements sur le banc de la commission ; M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Notre groupe votera ce texte bienvenu. La transformation de l'internet en un vaste supermarché mondial dont les Gafam sont les grands bénéficiaires, pose question.

Les Gafam ont développé une hyperpuissance, notamment en bridant les choix des internautes. Nous faisant croire qu'ils nous ouvrent le monde, ils nous enferment dans le leur.

La commission d'enquête sur la souveraineté numérique, où notre collègue Pierre Ouzoulias représentait le groupe CRCE, a fait un excellent travail. Elle a notamment insisté sur la nécessité d'imposer l'interopérabilité des plateformes. Ses propositions sur le libre choix ont été reprises par ce texte.

Dès 2013, il y a sept ans, il apparaissait déjà nécessaire d'élargir la neutralité du Net aux équipements terminaux. Depuis, les géants du Net ont développé considérablement leur influence. Vous nous dites, Monsieur le ministre, qu'il faut encore attendre. Mais si nous faisons cela, nous permettrons aux Gafam d'asseoir davantage leur position. Certes, nous espérons un accord européen, mais il est temps, en attendant, de poser des actes. Voyez en matière de fiscalité du numérique !

Les données sur internet sont maîtrisées par la plateforme. Grâce à l'interopérabilité, l'utilisateur les récupère. Il y a aussi un enjeu économique, celui de permettre à d'autres entreprises d'émerger sur le marché en luttant contre les acquisitions prédatrices.

Nous sommes favorables au rôle de régulateur de l'Arcep. Nous déposerons des amendements sur le contrôle des algorithmes et sur la possibilité de mener des actions de groupe.

Cette proposition de loi porte des avancées réelles. Il faut faire émerger des acteurs français et européens pour garantir notre souveraineté numérique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. le président.  - Il y a une tolérance, mais le dépassement était excessif.

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Après avoir suscité espoir et enthousiasme, internet est-il en train de mal tourner ? Les règles du jeu sont de plus en plus détestables : loi du lynchage d'abord, avec les affaires Mila et Pavlenski, loi de la prétendue démocratie directe numérique qui se transforme en tentative de meurtre de la démocratie représentative ; loi du rendement décroissant et qui énonce que la vitesse de fabrique du crétin digital augmente en proportion du temps passé sur les écrans (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains), loi du plus fort enfin, que cette proposition de loi combat.

Nous accomplissons des actes dont nous devenons des esclaves, disait Goethe au XIXe siècle ; il ne s'attendait pas, certes, au bouleversement numérique qui conduirait à l'émergence de nouveaux tyrans tout puissants qui, subrepticement, restreignent nos libertés. Les bottes du diable ne craquent pas, comme dit le proverbe...

L'un des grands pionniers de l'internet, Robert Metcalfe, avait établi la loi qui porte son nom : l'utilité d'un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. Cette loi de l'effet réseau explique pourquoi les nouvelles technologies sont aujourd'hui régies par une poignée d'entreprises qui n'ont plus de concurrence sérieuse et peuvent imposer leurs lois contre les lois du marché et contre les lois des États.

C'est la tendance naturelle des réseaux d'absorber, comme un trou noir, tout ce qui gravite à leur périphérie et de réduire l'univers des possibles promis par internet à leur seul appétit monopolistique.

Les Gafam n'ont au départ de puissance que celle que les citoyens leur donnent. Mais dès lors que leur place dans l'économie devient cardinale, les consommateurs et les entreprises n'ont plus d'autre choix que de se soumettre aux conditions léonines qu'ils imposent.

Il y a deux erreurs que nous devons éviter. La première consiste à croire que cet excès du capitalisme doit nous conduire à en condamner le principe même ; la seconde consiste à croire qu'en laissant faire les choses elles s'arrangeront d'elles-mêmes. Il faut aujourd'hui non pas renverser nos valeurs et abandonner le libéralisme, mais l'adapter à notre temps.

Suivons Hayek, que l'on critique plus qu'on le lit : « Dans la conduite de nos affaires, écrivait-il, nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées et recourir le moins possible à la coercition. Mais il y a une immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera le rôle le plus bienfaisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu'elles sont. Rien n'a sans doute tant nui à la cause libérale que l'insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laissez-faire ».

Je salue cette proposition de loi, aboutissement concret des travaux de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique, dont je partage les conclusions : le meilleur moyen d'empêcher une casserole de déborder, c'est de la surveiller. Bien sûr, le choix de confier le sujet à l'Arcep peut paraître quelque peu virtuel devant l'ampleur de la tâche et du défi. Avec ses 170 agents et ses 27 millions d'euros de budget, ce serait un excès d'optimisme que d'imaginer qu'elle aura les moyens de briser les monopoles d'entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse le PIB de nombreux pays. Mais ce serait baisser les bras que de ne pas confier au régulateur des moyens plus importants pour agir.

Ce texte pourrait être une Sherman Act à la française, mais il ne concerne pas des entreprises nationales. Il ne s'agit plus de démanteler un réseau de chemins de fer à l'échelle d'un pays mais de briser l'emprise de réseaux de données à l'échelle de la planète. Le sujet devra donc être porté demain au niveau européen.

Pourquoi refuser pour la régulation ce que, monsieur le ministre, vous avez fait pour la fiscalité du numérique ? Il faut activer tous les leviers dont nous disposons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains, UC, SOCR et sur le banc de la commission)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le cyberespace a beau être virtuel, les enjeux économiques sont bien réels. Ils vont jusqu'à ébranler les fondements de nos démocraties et la souveraineté des États. De l'accaparation des données, au verrouillage du système, certains géants du numérique s'affranchissent sans vergogne des règles des États, comme l'ont montré les affaires Snowden et Cambridge Analytica.

Le Sénat donnait l'alerte dès 2013. En 2015, la rapporteure de la mission d'information « l'Europe secours de l'internet » ma collègue Catherine Morin-Desailly soulignait déjà combien la gouvernance de l'internet était un terrain d'affrontement mondial sur lequel se jouait l'avenir des valeurs européennes.

Cette proposition de loi reprend la question essentielle de la régulation économique dans le cyberespace. Elle vise à redonner du pouvoir au consommateur-internaute en définissant une régulation économique plus pragmatique et surtout plus réactive face aux pratiques évolutives des géants du numérique.

En dépit des évolutions du droit de la concurrence, le consommateur subit le monopole de quelques grandes entreprises qui neutralisent toute concurrence. Elles utilisent un modèle économique dit bi-face, avec deux ensembles distincts d'utilisateurs dont le nombre augmente corrélativement : plus il y a de chauffeurs Uber, plus il y a de clients. Le réseau se démultiplie en faisant fi des frontières. Cela favorise une économie de la concentration et de l'oligopole.

Ainsi, dès 2018, un tiers de l'humanité était sur Facebook et utilisait Androïd, le système d'exploitation de Google, et un cinquième utilisait celui d'Apple.

Le droit de la concurrence a permis aux autorités françaises et européennes de se saisir et d'infliger des sanctions. Mais les procédures sont longues, parfois jusqu'à sept ans ! La DGCCRF peut également infliger des amendes. Cependant toutes ces initiatives ex post reposent sur des sanctions inadaptées au monde numérique et à ses cycles d'innovation de plus en plus rapides.

Ce texte s'inspire des travaux de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique et de la mission d'information sur la gouvernance mondiale du Net. Le Sénat a pris la précaution de recueillir l'avis du Conseil d'État, qui a inspiré les modifications de la commission.

Le groupe UC votera ce texte qui réaffirme le rôle de l'État, garant des droits et libertés publiques.

Il faudra aussi agir au niveau européen, pour forger des outils pragmatiques de régulation, afin de contrecarrer les entreprises de domination économique qui s'exercent avant tout au détriment des États - raison pour laquelle ceux-ci ont été plus prompts à réagir que l'Europe. (Applaudissements)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2019, 49 millions de Français ont acheté des biens de consommation sur Internet. Le chiffre d'affaires de la vente en ligne a bondi de 11 % cette année, à plus de 5 milliards de dollars.

L'État est impuissant face à des multinationales en situation de monopole de fait. M. Malhuret parlait de crétin digital ; je dirai ignorant 2.0. Alain Finkielkraut s'inquiétait déjà, il y a vingt ans, de ce vide-ordures planétaire que pouvait devenir internet.

La commission d'enquête sur la souveraineté numérique a préconisé des mesures fortes et protectrices. Google et Facebook concentrent 75 % du marché de la publicité digitale en France.

Il ne s'agit pas de freiner les opportunités économiques du numérique, ni de briser l'essor de ce dernier, mais de pallier les lacunes dans la protection du consommateur. Ce texte y pourvoit. Il est anormal de priver des consommateurs de certaines applications, comme l'a fait Apple en refusant de mettre à disposition des titres de transport dématérialisés sur ses terminaux mobiles. Spotify a récemment déposé plainte contre la même entreprise pour des pratiques discriminatoires.

Le présent texte accroît les pouvoirs de l'Arcep contre les pratiques abusives. Tant mieux, car la France, au-delà des rodomontades, n'a que trop tardé à agir. L'Allemagne nous montre l'exemple. Il est primordial également de construire une réglementation à l'échelon européen, mais commençons au niveau national !

Espérons que ce texte nous permettra de combler notre retard et d'adresser un signal aux entreprises en situation de monopole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur le banc de la commission)

Mme Viviane Artigalas .  - Je félicite les rapporteurs pour leur travail sur ce texte qui répond à l'impérieuse nécessité de protéger nos concitoyens contre ceux qui les dépossèdent de leurs données et stérilisent l'espace numérique pourtant bâti, jadis, sur la liberté de naviguer et d'explorer.

Les géants du Net mettent à profit le vide juridique. L'Europe s'est emparée de ces questions, mais la France doit demeurer force de proposition, comme elle l'a été sur la fiscalité numérique ou la lutte contre la haine sur internet.

L'économie de la donnée est un enjeu politique. Un capital pour nos entreprises. La somme d'un vécu pour nos concitoyens. Il faut donc lutter contre les ultra-monopoles qui anéantissent la liberté de choix et la concurrence. L'Arcep doit avoir les moyens de faire respecter, par des sanctions, les dispositions légales.

En deuxième lieu, il faut faciliter l'interopérabilité entre les plateformes, pour préserver la liberté des consommateurs - une liberté fondamentale dans le cyberespace. C'est aussi la garantie de l'émergence d'offres compétitives.

Enfin, ce texte vise à lutter contre les acquisitions prédatrices. L'Autorité de la concurrence n'a pu examiner les achats, par Facebook, d'Instagram et WhatsApp, parce que le chiffre d'affaires de ces deux plateformes est modeste... Le rapport de la commission d'enquête prônait le déclenchement d'un contrôle lorsque le prix de rachat était sans proportion avec le chiffre d'affaires. La proposition de loi préfère une information minimale par les entreprises systémiques. Ce choix peut paraître frileux, mais il évite à l'Autorité de la concurrence d'être saisie d'opérations sans incidence sur le marché.

Les rapporteurs ont ajouté des dispositions contre les interfaces trompeuses.

Le groupe socialiste et républicain proposera des amendements sur l'auditabilité des algorithmes, la notion d'interopérabilité, les obligations de loyauté des fournisseurs de systèmes d'exploitation. Ce texte est pertinent et urgent. On ne peut attendre que la Commission européenne agisse.

La capitalisation boursière des Gafam est deux fois plus importante que celle du CAC 40, à plus de 4 000 milliards de dollars. Leur chiffre d'affaires équivaut à la totalité des recettes fiscales de notre pays. Ils ont la puissance économique d'un État. Nous devons freiner cet expansionnisme délétère et favoriser une concurrence saine, défendre un modèle de société où l'être humain ne sera pas réduit à une somme de données.

La saisine du Conseil d'État a permis d'améliorer ce texte. J'espère que l'Assemblée nationale ne tardera pas à s'en saisir. Les sénateurs socialistes, très logiquement, le voteront. (Applaudissements)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Même les personnes les moins au fait des nouvelles technologies connaissent les Gafam, voire Baidu, Xiaomi, Huawei, Alibaba.

Ces géants, par des acquisitions, concentrent l'ensemble du marché entre leurs mains, enfermant le consommateur dans un écosystème dominé par leurs stratégies. Les cycles d'innovation très courts facilitent cette tendance. Il faut donc renforcer les législations, qui demeurent lacunaires. L'inaction est coûteuse : si l'Europe est trop lente à intervenir, les positions dominantes se renforceront. Agissons au niveau national afin que les dispositions adoptées fonctionnent en Europe comme un catalyseur.

Le texte interdit notamment les traitements discriminatoires et le blocage d'applications en fonction du système utilisé. L'Arcep verra ses compétences renforcées pour y veiller.

Il assure aussi l'interopérabilité entre les plateformes, même s'il faudrait affiner les critères.

Enfin, il encadre strictement les acquisitions. La commission a décidé d'inverser la charge de la preuve : à l'acquéreur de démontrer qu'il n'est pas dans l'illégalité.

La commission a enfin ajouté des dispositifs sur les conditions du type « cases à cocher » que nous connaissons bien, qui entraînent subrepticement un consentement du consommateur.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Depuis dix ans, le Parlement vote des propositions de résolution européenne sur le sujet... Le diagnostic était posé dès notre rapport de 2013 et, pour faire écho à son titre, oui, l'Union européenne est bien devenue une colonie du monde numérique.

Si les propositions de loi fleurissent sur la manipulation de l'information sur internet, la diffusion de contenus haineux en ligne, la fiscalité numérique, c'est faute d'une stratégie globale et offensive du Gouvernement.

Monsieur le ministre, vous imputez au consommateur la faute de l'absence de libre choix. Non ! Nous sommes dans le capitalisme de surveillance ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.) Les opérateurs s'accaparent nos données gratuitement et en veulent toujours plus.

Le ministre de la justice des États-Unis conseille aux uns et aux autres de prendre des actions dans les rares entreprises européennes qui restent, Nokia ou Ericsson, pour combattre Huawei. Nous en sommes au dépeçage !

Par ce texte, le Sénat vous demande d'agir fermement. L'heure est grave ; j'en ai assez de voir nos amendements retoqués, nos propositions de loi ignorées. Merci à Mme Primas d'avoir pris cette initiative. (Applaudissements sur toutes les travées)

M. le président.  - Amendement n°13 rectifié ter, présenté par MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot, MM. Menonville, Wattebled et Gabouty, Mme Bories, MM. de Belenet, Bonhomme, Bonne, Bonnecarrère, Brisson et Cadic, Mme Canayer, MM. Canevet, B. Fournier, Henno, Huré et Kern, Mme Lamure, MM. Lefèvre, de Legge, Lévrier, Longeot, Louault, Mizzon, Moga et Pellevat, Mme Puissat, MM. Rapin et Requier, Mmes Troendlé et Vermeillet, M. Vogel et Mme Vullien.

I.  -  Alinéa 8

Supprimer les mots :

de façon injustifiée

II.  -  Alinéa 9

1° Remplacer le mot :

réglementaires,

par les mots :

réglementaires ou

2° Supprimer les mots :

, ou au bon fonctionnement de l'équipement terminal et des services disponibles au bénéfice des utilisateurs non professionnels et auxquelles des pratiques moins limitatives du droit énoncé? au même premier alinéa ne peuvent se substituer

M. Claude Malhuret.  - Je soutiens pleinement les mesures de l'article premier qui laisse la possibilité aux fournisseurs de système d'exploitation de justifier d'éventuelles limitations aux choix des consommateurs. Mon amendement vise cependant à éviter le dévoiement du dispositif en le rendant plus restrictif, s'agissant du « bon fonctionnement de l'équipement terminal ».

La formule est trop floue et pourrait multiplier les contentieux, que les géants du numérique savent faire durer.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Avant de vous répondre, je souhaite saluer le travail de grande qualité mené par Catherine Morin-Desailly, auteur voici quelques années d'un rapport sur le sujet, dont la commission d'enquête s'est nourrie.

Avis défavorable à l'amendement, même si nous en comprenons le principe, car il ne faudrait pas que l'utilisateur se trouve avec des terminaux qui ne fonctionneraient plus parce qu'il serait allé trop loin dans leur adaptation.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Sur le fond, le Gouvernement voit d'un bon oeil les dispositions du texte, mais pour des raisons d'efficacité dans le dialogue européen, l'avis est défavorable. En l'espèce, le Conseil d'État a souligné que la dérogation pour motif de bon fonctionnement du terminal était justifiée.

L'amendement n°13 rectifié ter est retiré.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°12 rectifié, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 4

Après les mots :

systèmes d'exploitation

insérer les mots :

et, le cas échéant, aux principes des traitements algorithmiques des informations proposées aux consommateurs,

M. Pierre Ouzoulias.  - Les plateformes ne sont pas neutres dans le traitement de l'information qu'elles convoient : elles agissent comme des chambres d'écho, rendant virales des informations d'abord faiblement repérables sur internet. Derrière cela, il y a des algorithmes qui alimentent cette économie de l'attention.

D'où cet amendement, qui oblige à donner au consommateur des informations claires sur les algorithmes appliqués, afin que celui-ci puisse choisir les logiciels en fonction des règles déontologiques qu'il approuve.

Pour le moment, les plateformes ne communiquent pas leurs algorithmes, malgré les demandes des opérateurs ; le CSA est obligé de faire des simulations pour en comprendre le fonctionnement ! Et lorsque nous proposons d'appliquer des principes éthiques, vous ne les défendez pas. Faites respecter la loi - et renforçons-la au bénéfice des consommateurs.

Mme Sylviane Noël, rapporteur.  - L'article 117 du code de la consommation oblige les plateformes à renseigner les consommateurs sur les modalités de classement, de référencement ou de déréférencement.

L'amendement est donc satisfait. Retrait ou avis défavorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Même avis.

M. Pierre Ouzoulias.  - Monsieur le ministre, « même avis », c'est une réponse trop lapidaire ! Le Gouvernement ne fait pas respecter la législation existante. Le CSA s'est plaint à plusieurs reprises de ne pas obtenir les algorithmes.

J'entends les explications de la rapporteure mais, monsieur le ministre, nous voulons une discussion de fond. Nous l'aurons la semaine prochaine sur la proposition de loi Avia ; autant l'entamer maintenant.

L'amendement n°12 rectifié est retiré.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Nous avons déjà eu ce débat. Les scientifiques s'accordent sur le fait que tout dépend de la manière dont fonctionne le machine learning - en l'absence de ces informations, obtenir l'algorithme n'apporte rien.

L'Arcep dispose déjà du pouvoir que vous souhaitez lui donner. Elle peut faire appliquer ses décisions sans avoir besoin du Gouvernement ! Au contraire, la précision pourrait fragiliser l'ensemble de ses pouvoirs.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Ils ne sont pas opérants !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - L'amendement est satisfait.

Je ne crois pas que les autorités juridiques n'agiraient pas dans le sens que vous souhaitez, si elles en avaient la possibilité. Et le Gouvernement ne s'y opposerait pas.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié, présenté par Mme Noël, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 6

1° Au début, insérer la mention :

II.  -  

2° Remplacer les mots :

au présent I

par les mots :

au I du présent article

II.  -  Alinéa 7

Au début, insérer la mention :

III.  -  

III.  -  Alinéa 12

Remplacer les mots :

des alinéas précédents

par les mots :

du présent III

IV.  -  Alinéa 14, première phrase

Remplacer la mention :

II

par la mention :

IV

et la mention :

1° 

par les mots :

premier alinéa

V.  -  Alinéa 15

Remplacer la mention :

III

par la mention :

V

VI.  -  Alinéa 16

Remplacer la mention :

IV

par la mention :

VI

VII.  -  Alinéa 17

Remplacer la mention :

V

par la mention :

VII

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Amendement de coordination sans conséquence juridique sur le texte.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Sagesse.

L'amendement n°16 rectifié est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l'article L. 442-1 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« ...° D'empêcher ou de tenter d'empêcher la liberté de choix des utilisateurs d'équipements terminaux, dans les conditions prévues à l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Cet amendement donnera un moyen d'action aux entreprises dont l'existence est directement menacée par les pratiques des entreprises systémiques. Les TPE et PME françaises n'ont aujourd'hui pas les moyens d'agir devant le régulateur.

Les manquements visés par le présent chapitre relèvent tout autant des atteintes à l'interopérabilité que des pratiques restrictives de concurrence, et notamment l'avantage sans contrepartie et le déséquilibre significatif, tels que visés à l'article L. 442-1 du code de commerce.

Une entreprise qui serait menacée par la pratique des plateformes doit pouvoir aller se défendre devant le tribunal de commerce. Cette démarche est opérationnelle et efficace. Cela n'est pas, du reste, contradictoire avec la faculté de saisir l'Arcep. Mais l'autorité de régulation ne doit pas être embouteillée par toutes les demandes qui remonteraient.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Cet amendement est satisfait. Nous en partageons l'objectif ; les TPE et PME françaises pourront agir auprès du régulateur dans le cadre de l'article L. 108 sur la neutralité des terminaux et des articles L. 109 et L. 113 sur l'Arcep. Retrait ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Même avis. La rédaction de l'amendement poserait problème. Une enquête de la DGCCRF a incité le ministère à mettre en oeuvre un certain nombre d'assignations.

En outre, la mesure proposée vise les relations entre professionnels et utilisateurs, or le tribunal de commerce s'occupe des relations entre les professionnels.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je maintiens mon amendement car je ne crois pas que passer uniquement par l'Arcep puisse être opérationnel pour une PME-TPE qui voudrait se défendre contre la spoliation par les Gafam. Passer directement par le tribunal de commerce sera bien plus rapide et efficace.

En outre un certain nombre de litiges n'entrent pas dans le champ de l'Arcep : une société de tourisme désavantagée par les moteurs de recherche ou une clinique hospitalière qui souhaiterait modifier la manière dont elle est présentée par les algorithmes n'obtiendraient rien de l'autorité.

Intervenir ex ante seulement est peu efficient. Il faut garantir des droits aux personnes morales et physiques menacées par les Gafam.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Temal et les membres du groupe socialiste et républicain.

I.  -  Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 111-7 du code de la consommation, il est inséré un article L. 111-7-... ainsi rédigé :

« Art. L. 111-7-....  -  Tout fournisseur de système d'exploitation tel que défini à l'article L. 105 du code des postes et des communications électroniques est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur :

« 1° Les conditions générales d'utilisation du service de communication qu'il propose et sur les modalités d'adaptation et d'édition des logiciels préinstallés sur ses équipements pour contrôler l'accès à leur fonctionnalité ;

« 2° L'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération à son profit, dès lors qu'ils influencent le classement ou le référencement des applications et des services accessibles via lesdits logiciels préinstallés ;

« 3° La qualité de l'annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels par l'intermédiaire desdits logiciels préinstallés. »

II.  -  En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre ...

Loyauté des fournisseurs de système d'exploitation et information des consommateurs

M. Alain Duran.  - Les résultats d'une recherche sur internet dépendent de critères de référencement. Cette question est centrale. La loi du 7 octobre 2016 a créé une obligation de loyauté, pour que les plateformes éclairent les consommateurs sur les raisons de la mise en avant de certains sites.

Cependant, la question du référencement se pose aussi pour les terminaux mobiles, en particulier les appstores.

La question du libre choix est d'autant plus importante qu'il y a achat. Cet amendement transpose aux fournisseurs de systèmes d'exploitation, les obligations qui s'imposent aux plateformes en ligne en matière de loyauté et d'information des consommateurs.

Mme Sylviane Noël, rapporteur.  - Un magasin d'applications est une plateforme en ligne. Dès lors l'amendement est satisfait. Retrait ou avis défavorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Même avis.

M. Alain Duran.  - Dans ce cas, pourriez-vous nous assurer que le principe de loyauté est respecté par les fournisseurs de ces magasins d'applications ? Y a-t-il eu des contrôles pour s'assurer du respect de cette obligation ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Votre amendement n'étend pas le champ d'application des dispositions existantes. Cependant, je pourrai vous répondre plus en détail ultérieurement.

L'amendement n°4 est retiré.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Artigalas et les membres du groupe socialiste et républicain.

Au début de cet article

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Après le 9° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« ...° Interopérabilité

« L'interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d'accès ou de mise en oeuvre. »

Mme Viviane Artigalas.  - L'interopérabilité est qualifiée « d'exigence essentielle » dans le code des postes et des communications électroniques, s'agissant des « services » et des « équipements radioélectriques ».

L'interopérabilité est une considération structurante pour la liberté des internautes dans le cyberespace, et la définition actuelle paraît insuffisante par rapport aux enjeux soulevés par la proposition de loi. Il ne s'agit pas seulement de permettre à deux systèmes de communiquer entre eux, mais aussi de lire et de modifier les informations et contenus de manière fiable en garantissant que n'importe quel système présent ou futur puisse s'interconnecter.

On ne peut donc parler d'interopérabilité d'un produit ou d'un système que lorsqu'on en connaît toutes les interfaces.

Cet amendement reprend la définition de l'interopérabilité retenue dans le référentiel général d'interopérabilité (RGI), cadre de recommandations référençant des normes et standards qui favorisent l'interopérabilité au sein des systèmes d'information de l'administration.

L'interopérabilité serait ainsi définie comme la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d'accès ou de mise en oeuvre.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Avis favorable. La définition du RGI va dans le bon sens.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - De prime abord, cette définition ne pose pas de problème. Cependant, je ne suis pas certain que la précision soit très utile ni productive. Définir trop précisément les termes ouvre des voies de contournement pour les acteurs. Peut-être faudrait-il une réflexion plus approfondie ? Sagesse.

M. Pierre Ouzoulias.  - Nous voterons cet amendement qui permet d'avancer. Monsieur le ministre, je ne comprends toujours pas votre argumentation. Vous nous dites que notre amendement est superfétatoire par rapport à une législation déjà existante. Or en l'état, celle-ci ne nous permet pas de réguler les Gafam. Que proposez-vous, alors ? Depuis le début de la séance, vous vous en remettez à l'Europe et vous réfugiez derrière la législation existante. C'est un peu faible.

Nous avons voté à l'unanimité la proposition de loi du président Assouline sur les droits voisins. Or le texte bute au niveau européen car les Gafam s'y opposent. Que comptez-vous faire ?

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

L'article 5 est adopté.

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°17 rectifié, présenté par Mme Noël, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 6

1° Au début, insérer la mention :

II.  -  

2° Remplacer les mots :

au présent I

par les mots :

au I du présent article

II.  -  Alinéa 7

Au début, insérer la mention :

III.  -  

III.  -  Alinéa 12

Remplacer les mots :

des alinéas précédents

par les mots :

du présent III

IV.  -  Alinéa 14, première phrase

1° Remplacer la mention :

II

par la mention :

IV

2° Après les mots :

mentionnées au

insérer les mots :

premier alinéa du

V.  -  Alinéa 15

Remplacer la mention :

III

par la mention :

V

VI.  -  Alinéa 16

Remplacer la mention :

IV

par la mention :

VI.-

VII.  -  Alinéa 17

Remplacer la mention :

V

par la mention :

VII

VIII.  -  Alinéa 21

Remplacer les mots :

des articles L. 36-11 et l'article L. 108, et de l'article L. 113

par les mots :

de l'article L. 36-11, de l'article L. 108, et des I et II des articles L. 109 et L. 113

IX.- Alinéa 22

Rédiger ainsi cet alinéa :

b) À la dernière phrase, les mots : « de l'article L. 36-11 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 36-11, L. 109 et L. 113 » ;

X.  -  Alinéa 24

Remplacer les mots :

et de l'article L. 108, de l'article L. 109 et de l'article L. 113

par les mots :

, de l'article L. 108 et des I et II des articles L. 109 et L. 113

XI.  -  Alinéa 25

Rédiger ainsi cet alinéa :

b) À la dernière phrase, les mots : « de l'article L. 36-11 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 36-11, L. 109 et L. 113 ».

L'amendement de coordination n°17 rectifié, approuvé par le Gouvernement, est adopté.

L'article 6, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°11 rectifié, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l'article L. 442-1 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« ...° D'empêcher ou de tenter d'empêcher l'interopérabilité des services de communication au public en ligne dans les conditions définies à l'article L. 111 du code des postes et communications électroniques. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Cet amendement est similaire à l'amendement n°10, rejeté. Je le retire.

L'amendement n°11 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Sous réserve du présent article, le chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et le chapitre X du titre VII du livre VII du code de justice administrative s'appliquent à l'action ouverte sur le fondement du présent article.

II.  -  Lorsque plusieurs personnes physiques placées dans une situation similaire subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement de même nature aux dispositions de la présente loi par une entreprise systémique, une action de groupe peut être exercée devant la juridiction civile ou la juridiction administrative compétente au vu des cas individuels présentés par le demandeur, qui en informe l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

III.  -  Cette action peut être exercée en vue soit de faire cesser le manquement mentionné au II, soit d'engager la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d'obtenir la réparation des préjudices matériels et moraux subis, soit de ces deux fins.

Toutefois, la responsabilité de la personne ayant causé le dommage ne peut être engagée que si le fait générateur du dommage est postérieur au jour de la publication de la présente loi au Journal officiel.

IV.  -  Peuvent seules exercer cette action :

1° Les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant dans leur objet statutaire la protection des libertés numériques, de l'internet ouvert, de la vie privée ou la protection des données à caractère personnel ;

2° Les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées en application de l'article L. 811-1 du code de la consommation, lorsque le manquement affecte des consommateurs ;

3° Les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ou du III de l'article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou les syndicats représentatifs de magistrats de l'ordre judiciaire, lorsque le manquement porte atteinte aux intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre.

Lorsque l'action tend à la réparation des préjudices subis, elle s'exerce dans le cadre de la procédure individuelle de réparation définie au chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et au chapitre X du titre VII du livre VII du code de justice administrative.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il s'agit ici de rappeler de manière explicite que les atteintes à la neutralité des terminaux et à l'interopérabilité des plateformes sont couvertes par l'action de groupe.

Cela renversera le rapport de force entre nos concitoyens et l'Arcep d'une part, les Gafam d'autre part. On nous répondra certainement que c'est déjà possible. Tout est dans les textes ? Mais personne n'utilise ces possibilités ! La saisine de l'Arcep reste limitée aux entreprises : il faut l'élargir aux relations « B to C ».

Quant à l'interopérabilité du Net, elle n'est pas entièrement visée. La liste des opérations ouvertes à l'action de groupe ne comprend pas le libre choix du consommateur dans le cyberespace. La législation sur l'action de groupe ne connaît que le préjudice matériel, non l'immatériel.

Or c'est précisément celui qui est en cause dans le cyberespace.

Enfin, le code de la consommation ne prévoit l'action de groupe que pour la défense du consommateur.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - On ne peut pas dire que tout est déjà dans les textes. La raison d'être de cette proposition de loi est précisément de compléter la législation.

Mais l'Arcep peut d'office, ou à la demande du ministère, d'une association, ou d'une personne physique ou morale, sanctionner l'atteinte à la liberté de choix ou à l'interopérabilité. Elle peut être saisie aux termes des articles 3 et 6 de notre texte.

L'article L.623-1 du code de la consommation couvre les manquements d'un professionnel à ses obligations légales à l'occasion de la vente d'un bien ou d'un service. Votre amendement est satisfait. Retrait ou avis défavorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Même avis.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Les juristes considèrent que l'interopérabilité ne relève pas de la fourniture de services. Notre amendement éviterait les divergences d'interprétation. D'autant que les fournisseurs ne sont pas des enfants de choeur... Il est fondamental de rappeler que les actions de groupe couvrent ce champ.

Inscrivons cette précision dans notre droit à ce stade de la discussion ; il sera toujours temps de la supprimer ensuite.

L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE 7

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Daunis et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 3

Supprimer la première occurrence des mots :

un ou

Mme Viviane Artigalas.  - Le texte vise à limiter la consolidation des entreprises structurantes qui rachètent peu à peu tout un écosystème. Pour déterminer le caractère structurant d'une entreprise, il retient une approche par indices. Notre amendement précise que l'Autorité de la concurrence devra recourir à un faisceau d'indices pour ce faire.

Mme Sylviane Noël, rapporteur.  - Cette clarification est bienvenue. Avis favorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Modulo le sujet du bon niveau, européen ou national, il me semble utile de se reposer sur plusieurs indices plutôt qu'un seul. Sagesse.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Artigalas et les membres du groupe socialiste et républicain.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Le dernier alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils ont également accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu'aux données utilisées par ces algorithmes. »

Mme Viviane Artigalas.  - Les algorithmes sont au coeur du fonctionnement de certaines entreprises. Or ils risquent de faciliter ou d'autoriser des comportements contraires au droit de la concurrence. Il faut désormais s'interroger sur leurs usages commerciaux.

L'Autorité de la concurrence doit avoir une connaissance approfondie des systèmes algorithmiques utilisés par les plateformes numériques. Notre amendement propose de renforcer ses moyens d'action.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Avis favorable à cet amendement qui clarifie le droit en vigueur et correspond à une recommandation de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique. Le Sénat l'a d'ailleurs voté dans la proposition de loi sur les contenus haineux, amendement conservé par l'Assemblée nationale.

Il sera utile au regard de l'équipe de data scientists de haut niveau qui sera mise à disposition des autorités de régulation.

Avis favorable également à l'amendement n°2 rectifié.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - L'amendement est satisfait. Nous partageons l'objectif. Le Gouvernement proposera dans le projet de loi Audiovisuel la création d'un service national pour mutualiser les compétences des data scientists, au bénéfice des administrations et des autorités administratives indépendantes.

L'article L.453-4 du code du commerce autorise déjà les agents à recueillir toutes les données utiles à une enquête, y compris les algorithmes. La DGCCRF a engagé un travail en coopération avec le CEA pour se doter des compétences techniques nécessaires ; l'Autorité de la concurrence aussi, en partenariat avec son homologue allemand. Retrait ou avis défavorable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La philosophie de l'amendement est pertinente, mais il faudra dégager des moyens financiers considérables. Les ingénieurs et les mathématiciens français particulièrement doués en algorithmes sont recherchés par les Gafam, qui leur proposent de très gros salaires. C'est un choix stratégique que de travailler avec les universités pour retenir ces compétences et les mettre au service de l'intérêt général. Nous verrons lors du projet de loi de finances si la France se dote des moyens nécessaires.

Mme Viviane Artigalas.  - Il est important d'inscrire ce point dans la loi afin d'en rappeler l'importance.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Je suis sensible aux arguments du ministre, mais la clarification n'est pas inutile, même s'il y a redite.

La commission d'enquête sur la souveraineté numérique a auditionné le philosophe Bernard Stiegler qui avait appelé à financer d'urgence des milliers de thèses sur les questions numériques. C'est un investissement stratégique qui conditionne notre souveraineté.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - La future loi de programmation sur la recherche devra poser les impératifs qui devront gouverner nos choix.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Très bien.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - La recherche sur les nouvelles technologies devra être prioritaire. Notre commission de la culture engagera très prochainement une réflexion sur le sujet.

Nous devons nous donner les moyens d'ancrer un écosystème du numérique en Europe en soutenant nos chercheurs et nos startups.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

L'amendement n°1 rectifié est adopté.

L'article 7, modifié, est adopté.

ARTICLE 8 A

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Artigalas et les membres du groupe socialiste et républicain.

I.  -  Alinéa 1

Supprimer les mots :

livre Ier du

II.  -  Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

...° L'article L. 512-11 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils ont également accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu'aux données utilisées par ces algorithmes. »

Mme Viviane Artigalas.  - L'algorithme est devenu un outil incontournable des plateformes pour cibler les besoins et envies du consommateur par des recommandations personnalisées.

Leur utilisation dans le e-commerce peut mener à des pratiques déloyales, voire trompeuses ou agressives, à l'instar des cases précochées. Notre amendement renforce les moyens d'action de la DGCCRF pour lutter contre les interfaces trompeuses.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Avis favorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Cet amendement est satisfait par l'article L.512-11 qui donne accès aux données et aux logiciels à la DGCCRF et permet l'adaptation à toute évolution technique ultérieure. La rédaction proposée n'apporte rien à ce qui existe déjà, et trop de précision risque de réduire le champ d'application du dispositif.

L'amendement n°2 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°14 rectifié ter, présenté par MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot, MM. Menonville, Wattebled, Gabouty, Buis, Saury, de Belenet, Bonhomme, Bonne, Bonnecarrère, Brisson et Cadic, Mme Canayer, MM. Canevet, B. Fournier, Henno, Huré et Kern, Mme Lamure, MM. Lefèvre, de Legge, Lévrier, Longeot, Louault, Mizzon, Moga et Pellevat, Mme Puissat, MM. Rapin et Requier, Mmes Troendlé et Vermeillet, M. Vogel et Mme Vullien.

Alinéa 3

Supprimer les mots :

dont l'activité? dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret

M. Claude Malhuret.  - La lutte contre les interfaces trompeuses est essentielle pour garantir le libre choix des consommateurs. Je salue l'apport de la commission. Cependant, ces pratiques visant à subvertir ou altérer l'autonomie du consommateur dans sa prise de décision ou d'obtenir son consentement ne se limitent pas aux grands opérateurs, elles sont également le fait de petits opérateurs. C'est une question de principe.

Mme Sylviane Noël, rapporteur.  - En effet, il n'y a pas lieu de tenir compte de la taille de la plateforme. Avis favorable.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. L'article 8A ne fait que répéter le droit en vigueur s'agissant des pratiques commerciales trompeuses. La pratique dénoncée peut être punie d'une amende maximale de 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel et d'une peine de deux ans de prison aux termes de l'article L. 121-2 du code de la consommation.

Ce dispositif ressort de la directive européenne du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales. L'interdiction ne se limite pas aux grands acteurs, mais s'applique à l'ensemble des plateformes.

L'amendement n°14 rectifié ter est adopté.

L'article 8A, modifié, est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Temal et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l'application de la section 3 du chapitre Ier du titre II de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

M. Alain Duran.  - La loi pour une République numérique a créé une obligation de loyauté pour les plateformes qui consiste à donner une information claire sur les critères de référencement et indiquer les liens contractuels et capitalistiques qui peuvent exister avec les différents résultats référencés. Cet amendement demande un état des lieux de l'application de la loi ; c'est une des recommandations de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - La commission d'enquête recommandait effectivement un tel rapport. Toutefois, la commission a émis un avis défavorable, comme à toutes les demandes de rapport.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous néanmoins à remettre ce rapport utile pour notre information et celle des consommateurs ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je rejoins le Sénat sur les demandes de rapport. Compte tenu de l'information disponible, la demande est satisfaite. De fait, en application de la loi pour une République numérique, la DGCCRF réalise des enquêtes nationales annuelles. Les résultats de celle de 2018 ont été publiés en 2019. Elle a mis en évidence un taux de non-conformité élevée : sur 29 plateformes contrôlées, une seule remplissait ses obligations ; il y a eu 22 injonctions et 4 avertissements. Nous allons maintenir la pression pour qu'elles rentrent dans le rang. Je m'engage à ce que les résultats de l'enquête 2019 soient rendus publics cette année.

L'amendement n°5 est retiré.

Les articles 8 et 9 sont successivement adoptés.

Interventions sur l'ensemble

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - L'un de nos amendements a été déclaré irrecevable car trop éloigné de l'objet du texte. Il portait sur les lanceurs d'alerte et l'asile constitutionnel. Au regard de l'affaire Snowden, ce sujet méritera d'être traité.

Nous voterons néanmoins favorablement cette proposition de loi.

Je suis consternée par la position du Gouvernement dans ce débat. M. Ouzoulias et Mme Morin-Desailly l'ont dit : il ne suffit pas de s'en remettre à l'Union européenne. Nous sommes face à une absence totale de stratégie. Vu l'urgence pour la France de s'outiller pour se faire respecter et défendre ses citoyens, c'est alarmant.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - J'ai déposé il y a quelques années, avec Chantal Jouanno, une proposition de résolution européenne sur les lanceurs d'alerte, qui demandait que la France accorde l'asile à Edward Snowden. Le Sénat l'avait votée.

Nous voterons cette proposition de loi que j'ai cosignée, mais ne nous mettons pas le doigt dans l'oeil : c'est bien au niveau européen qu'il faut agir. Encore faut-il avoir une vision claire de ce que l'on veut porter.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à mener le combat pour rouvrir le débat sur la directive e-commerce ? C'est par cela qu'il faut commencer. Êtes-vous prêt à revoir les règles de concurrence en cas d'abus de position dominante ? Vous pouvez vous appuyer sur la proposition de résolution adoptée par le Sénat.

Êtes-vous prêt à mener une politique industrielle offensive, sur la santé, la mobilité, les outils cryptographiques ? Une vague d'ubérisation nous guette, dans le secteur assurantiel et bancaire notamment. Êtes-vous prêt à engager une réflexion sur les outils technologiques stratégiques ? La DGSI a passé un contrat avec Palantir, start-up financée par la CIA, faute d'option hexagonale ! Je regrette notre absence de patriotisme dans ce domaine...

Que le Président de la République confie la présidence de la French Tech à John Chambers, ancien président de Cisco, envoie un signal très négatif.

Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Sylvie Goy-Chavent et M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias .  - Je remercie Mme Primas pour cette proposition de loi qui arrive à un bon moment, après la commission d'enquête qui a montré l'absence de stratégie globale de l'État pour la régulation des Gafam.

Le ministre a déclaré que des infractions avaient été relevées lors des contrôles menés sur les plateformes. J'espère qu'il y a eu des amendes. Les Gafam ont reçu 8 milliards d'euros d'amendes en deux ans dans l'Union européenne, plus encore aux États-Unis et en Asie : on voit bien que les amendes ne suffisent plus face à ces entreprises dont les budgets sont ceux des États.

Essayons de toucher le fondement même de la logique des Gafam, c'est-à-dire l'économie de l'attention. Il faut une prise de conscience des utilisateurs. La jeune génération n'a toujours pas compris que quand un logiciel est gratuit, c'est grâce à la vente des données.

Il est important que le Gouvernement nous retrouve sur la façon dont les Gafam se sont emparés du pouvoir.

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - Les positions du Gouvernement sur l'interopérabilité sont claires, je les ai exprimées lors de l'examen de la loi Avia. Vous pouvez vous opposer, mais pas dire que nous n'avons aucune vision ou stratégie !

Vous préférez avancer au niveau national qu'au niveau européen, soit. Le président Retailleau disait le contraire sur la loi Avia, arguant que dès lors qu'il y a une initiative de la Commission européenne, il était prématuré d'agir au niveau national.

Or il y a une différence de nature entre la proposition de loi Avia et le présent texte : dans le premier cas, il y a une urgence vitale à intervenir.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Pour l'économie aussi !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - L'urgence est moins vitale, au sens propre !

En effet, monsieur Ouzoulias, étant donné le cash flow de ces entreprises, les amendes, même de 10 milliards d'euros, ne suffisent pas. Il faut une régulation structurante au niveau européen, et intrusive dans le business model des plateformes. Profitons du volontarisme de Margrethe Vestager et Thierry Breton pour pousser une action agressive sur la lutte contre la concentration et la régulation des contenus.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Nous ne sommes pas opposés à la réouverture de la directive e-commerce pour renforcer la responsabilité des plateformes, mais les États membres sont partagés. L'important est d'être efficace.

Madame Morin-Desailly, peu de gouvernements ont fait autant que nous pour l'écosystème numérique français. Demandez aux principaux concernés ! Si nous voulons faire émerger des champions du numérique, une réforme de la fiscalité du capital est impérative.

Je vous indique que John Chambers est ambassadeur de la French Tech pour les investissements étrangers, pas président. Il ne décide pas des politiques que nous menons. Si l'ancien président de Cisco nous ouvre son carnet d'adresses pour attirer des investissements en France, chacun devrait s'en féliciter.

Le Gouvernement est mobilisé pour faire émerger des champions européens. Depuis le sommet de Lisbonne en 2010, on dit qu'il faut investir 3 % du PIB dans la Recherche Développement. Nous serons les premiers à inscrire cet objectif dans une loi de programmation pour la recherche. Dire que nous n'avons pas d'ambition, c'est nous faire un mauvais procès.

Mme Sophie Primas .  - Nous ne sommes pas surpris par votre position, mais elle apparaît incohérente avec celle que vous avez soutenue sur la taxe GAFA et sur la proposition de loi Avia. Peut-être des menaces de rétorsion économique ont-elles eu raison de votre volontarisme ?

Venant de lire votre article dans La Tribune, je m'étonne que vous ne nous tendiez pas la main. Si vous reveniez vers nous à l'avenir, comme vous le laissez entendre, vous serez bien accueilli.

Je précise que le président Retailleau reproche à la loi Avia d'être attentatoire aux droits et libertés individuelles et non conforme au droit européen.

Je remercie mes collègues pour leur soutien politique et technique, les rapporteurs pour leur engagement, Mme Morin-Desailly pour son travail sur le numérique, ainsi que les membres de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique. Je remercie les autorités de régulation pour le dialogue que nous avons eu avec elles et, enfin, le Conseil d'État pour ses précieux conseils.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très utile, le Conseil d'État !

À la demande de la commission des affaires économiques, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°91 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 342
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

Prochaine séance, demain, jeudi 20 février 2020, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 15.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication