SÉANCE

du mercredi 20 mai 2020

83e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Yves Daudigny, M. Daniel Dubois.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement sous le format adapté que nous avons défini et que nous reverrons en fonction de la situation dans les deux prochaines semaines.

Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars. L'hémicycle est nettoyé et désinfecté avant et après chaque séance ; les micros, après chaque intervention. J'invite chacun à respecter les distances de sécurité. Les sorties s'effectueront exclusivement par les portes situées au pourtour de l'hémicycle.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Proposition franco-allemande pour une relance européenne

M. Hervé Marseille .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Le Président de la République et la chancelière allemande ont formulé lundi une proposition ambitieuse pour répondre au besoin de relance économique. Elle complète les mesures déjà annoncées par la Commission et la Banque centrale européenne (BCE).

Le groupe UC salue ce projet et se réjouit du retour du couple franco-allemand, alors que le fossé entre le Nord et le Sud de l'Europe s'était dangereusement creusé et que nous avions regretté la réaction tardive de l'Union. Encore faut-il que cette proposition soit approuvée par les Vingt-sept. Mais la volonté est là des deux côtés du Rhin, et c'est déjà beaucoup.

Toutefois, puisque nous léguerons à nos enfants une dette colossale, cet argent doit être utile à un horizon qui dépasse la sortie de crise. L'effort consenti par les États membres impose d'utiliser ces fonds dans une perspective de long terme qui serve les intérêts de notre continent.

Pour convaincre certains de nos partenaires qui connaissent trop bien nos mauvaises habitudes, il nous faudra leur donner des assurances solides. Comment garantirez-vous que cet argent financera des investissements stratégiques nécessaires pour recouvrer notre souveraineté, préserver notre environnement et notre santé, et non des dépenses de fonctionnement déjà hypertrophiées ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - L'initiative franco-allemande exceptionnelle qui a été annoncée fait suite à la crise sanitaire et à la crise économique et sociale qui s'annonce, conséquence du confinement et de l'arrêt de la production et de la consommation dans un grand nombre de pays.

L'Europe a-t-elle été à la hauteur de la crise ? Beaucoup de nos concitoyens, nos amis espagnols et italiens, en doutent. Avec le recul, on reconnaîtra que l'Union européenne n'a pas rien fait ; elle a été utile, mais je ne crois pas qu'elle ait été à la hauteur.

Quand on rencontre une difficulté, on peut soit la déplorer et vivre avec, soit agir pour y remédier. Quand l'Europe est en crise, c'est dans la capacité de la France et de l'Allemagne à s'entendre et à entraîner - sans décider pour les autres - que l'on trouve des solutions. C'est ce qui est en train de se passer. La France et l'Allemagne se sont accordées sur un plan ambitieux de 500 milliards d'euros pour alimenter le marché, l'investissement et la relance.

Il repose sur quatre piliers. D'abord, investir collectivement dans l'Europe de la santé et améliorer nos dispositifs sanitaires. Ensuite, créer un instrument de solidarité, un fonds de relance doté de 500 milliards d'euros de dette émise par la Commission européenne, en complément des 500 milliards d'euros de prêts accordés par l'Eurogroupe - des sommes vertigineuses, auxquelles s'ajoutent les dispositifs nationaux. Puis, accélérer la transition numérique et écologique ce qui revient de facto à préparer l'avenir. Enfin, renforcer la souveraineté européenne. La crise a montré que si nous voulons maîtriser notre destin, il faut relocaliser un certain nombre de productions dans l'espace européen et maîtriser des marchés sensibles.

Les annonces faites par la chancelière et le Président de la République sont sans précédent. De fait, l'Allemagne a bougé, elle a accepté de faire ce qu'elle n'envisageait pas avant. Je n'exclus pas que ce soit parce que la France elle-même a bougé, en s'attelant à des réformes de structure pour préparer l'avenir.

Le moteur franco-allemand est indispensable au redémarrage de l'Europe, à son existence même. Cette annonce conjointe est donc une excellente nouvelle pour les Français, les Allemands, les Européens. La Commission européenne et la BCE se sont félicitées de cette initiative. Il va falloir désormais convaincre nos partenaires. Mais en général, quand la France et l'Allemagne avancent ensemble, elles savent entraîner. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur plusieurs travées des groupes RDSE et UC)

Dispositif « Objectif reprise »

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Le confinement a paralysé l'économie française pendant huit semaines. La trésorerie et l'activité de nombre d'entreprises ont été mises à mal et nous ne sommes qu'au début de la crise économique.

D'emblée, le Gouvernement a mis en place des moyens exceptionnels afin d'aider les entreprises et les salariés : chômage partiel, développement du télétravail, fonds de soutien, fiches métiers, guides de branches, protocole de déconfinement.

Pour concilier redémarrage de l'économie et protection de la santé des salariés, le Gouvernement a confié aux Agences nationale et régionales pour l'amélioration des conditions de travail et aux Direccte un dispositif d'appui gratuit destiné aux entreprises de moins de 250 salariés. Depuis hier, les TPE-PME peuvent, grâce au dispositif « Objectif reprise », bénéficier de préconisations gratuites qui proposent trois modalités d'appui : sensibilisation, conseil et accompagnement.

Pouvez-vous nous garantir que ce dispositif est accessible à tous, en cette période d'inquiétudes ? (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Nous nous sommes retrouvés dans une situation inédite : devoir ralentir l'économie pour sauver des vies, et nous avons eu raison.

Avec le protocole de déconfinement, nous pouvons continuer à sauver des vies tout en faisant repartir l'économie. Nous avons établi 64 fiches métiers pour adapter les gestes barrières. Je l'ai constaté sur un chantier du bâtiment et chez Toyota à Valenciennes, ces dispositifs sécurisent salariés et employeurs.

Quand le dialogue social est de qualité, la reprise de l'activité est plus aisée et plus sereine. Dans les plus petites entreprises, qui ne sont pas outillées en RH, c'est moins facile. Nous avons donc lancé le dispositif « Objectif reprise », opérationnel dès hier sur simple demande en ligne, pour leur fournir des conseils gratuits, en ligne, par téléphone ou sur place, afin d'aborder la reprise en toute sérénité pour les salariés.

Télémédecine

Mme Véronique Guillotin .  - Entre le 6 et le 12 avril, plus d'un million de téléconsultations ont été réalisées, soit 28 % du total, contre 0,1 % avant la crise. Ce succès s'explique par le contexte de contagiosité et de confinement, mais aussi par le déploiement massif de moyens, avec la levée d'un certain nombre de restrictions.

Les avantages de la télémédecine sont nombreux : renforcement de l'accès aux soins, désengorgement des urgences, limitation des déplacements - en Île-de-France, deux millions de trajets automobiles par jour sont liés à un motif de santé.

Il n'est pas pensable de revenir à la situation d'avant-Covid, mais des freins demeurent : zones blanches numériques, absence de très haut débit et conditions de remboursement en particulier. L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale 2018 sur le financement des innovations est trop rigide, il faut plus d'agilité et réduire les délais.

Pouvez-vous nous assurer que le pas de géant qui a été fait durant la crise ne se transformera pas en piétinement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Julien Bargeton applaudit également.)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - Pendant la crise sanitaire, le nombre de téléconsultations est passé de 1 % à 11 % des consultations. Nous escomptions un million de téléconsultations sur l'année ; il y en a eu autant en une semaine. Nous avons aussi assoupli l'accès au télésoin pour les infirmiers, les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les orthophonistes, les psychomotriciens ou encore les pharmaciens.

Le numérique est un axe de transformation majeur pour le Gouvernement depuis le début du quinquennat. Nous avons engagé des chantiers pour sa gouvernance, avec l'espace numérique de santé, le dossier médical partagé, le bouquet de services numériques pour les professionnels et le Health Data Hub.

Nous examinerons ce qui devra être pérennisé, amélioré ; nul doute que l'e-santé nourrira les discussions du prochain Ségur de la santé. Le numérique a remis en cause nos pratiques, y compris dans le médico-social, il faut en tirer les leçons. Il y aura bien un avant et un après-Covid.

Mme Véronique Guillotin.  - Je prends acte de votre volonté mais j'aurais aimé que vous évoquiez les remboursements et le volet réglementaire...

Interdiction des licenciements

M. Fabien Gay .  - Le Président Macron a prévenu : nous allons souffrir. Mais tous ne seront pas égaux devant cette souffrance. Des plans de suppressions d'emplois tombent comme des couperets : Airbus, Alinéa, AirBnb, SNCF, TUI France... Des milliers de salariés vont subir un véritable tsunami social.

Comment accepter qu'Air France et Renault, qui ont bénéficié de milliards d'aides, envisagent de licencier ? Pourquoi avoir refusé de conditionner ces aides à des critères sociaux et environnementaux ? Vous refusez de tirer la leçon des crédits d'impôt et autres aides publiques qui n'ont fait que gonfler les poches des actionnaires.

Pire, certains groupes opportunistes profitent de la crise pour faire un chantage odieux à leurs salariés, comme Derichebourg : abandon de tous les conquis sociaux, ou licenciement de 750 personnes ! Et que dire de ceux dont les restructurations étaient prévues avant la pandémie et qui en profitent pour les justifier, comme General Electric ?

Il faut agir par la loi. Sans quoi ce sera le chômage de masse, d'autant que, depuis 2017, les plans sociaux peuvent être activés au seul motif économique, qu'il soit passager ou artificiel.

Interdisons les licenciements, comme en Espagne, et préparons un plan de relance qui s'appuie sur la relocalisation de notre industrie, la nationalisation des entreprises stratégiques et la transition écologique. Les jours heureux ne se convoquent pas dans les discours : ils se mettent en oeuvre au prix d'une ambition politique. Aurez-vous le courage d'interdire les licenciements pour éviter le massacre social ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Nous avons le même objectif - l'emploi - mais pas la même méthode.

Mme Éliane Assassi.  - C'est sûr !

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Pour préserver l'emploi, nous avons mis en place le système de chômage partiel le plus généreux d'Europe : il a protégé jusqu'à 12 millions de salariés, et en concerne encore 8,6 millions.

Comment continuer à stimuler et protéger l'emploi dans cette deuxième phase de reprise économique progressive ? Les secteurs sont très inégalement touchés : l'aéronautique, l'aviation ou l'automobile se sont effondrés, quand l'agroalimentaire a poursuivi son activité. Il faut des mesures spécifiques, adaptées à chaque secteur.

Toutes les études et les expériences montrent que sur le moyen terme, l'interdiction des licenciements est une machine anti-emploi : elle fait chuter les recrutements et n'empêche pas les défaillances.

Il y aura plusieurs plans sectoriels, à l'instar de celui annoncé pour le tourisme, l'hôtellerie et la restauration ainsi qu'un plan de relance pour stimuler l'emploi, l'apprentissage et la formation.

Le but, c'est l'emploi, ce qui suppose d'éviter au maximum les défaillances. Nous serons attentifs au dialogue social et à la manière de relancer l'activité, notamment autour de relocalisations stratégiques.

Difficultés financières des collectivités locales

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) J'associe Franck Montaugé à ma question.

Je salue le dévouement et le travail des élus locaux dans ce contexte inédit de crise.

Les collectivités et leurs régies sont aux prises avec des difficultés financières sans précédent. Le manque de recettes se chiffre en dizaines de milliards d'euros, et risque d'engloutir leur épargne.

Sans soutien de l'État, le redémarrage économique ne pourra se faire dans de bonnes conditions. De fait, les collectivités territoriales représentent 70 % de l'investissement public dans les territoires et les nouvelles équipes municipales portent des projets ambitieux. La confiance nécessaire à l'action publique ne sera pas au rendez-vous si leurs capacités de financement sont par trop diminuées.

Concrètement, quelles garanties pouvez-vous donner aux élus locaux qui veulent relancer leur territoire par l'investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Le Gouvernement travaille sur le sujet depuis le début de la crise. Nous avons demandé aux préfets d'accorder des avances de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour soutenir la trésorerie des collectivités territoriales, mais seule une centaine d'entre elles a eu recours à ces facilités de caisse, signe que la situation reste soutenable pour la plupart.

J'ai demandé aux préfets de mobiliser la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) avec souplesse pour relancer les travaux urgents.

Nous évaluons les pertes de recettes subies par les collectivités territoriales ; c'est notamment l'objet de la mission confiée au député Jean-René Cazeneuve. Nous savons déjà que certaines recettes ont beaucoup diminué : taxe de séjour, octroi de mer, contribution économique territoriale (CET), droits de mutation à titre onéreux (DMTO)...

Ses conclusions seront étudiées dans les prochains jours avec pour objectif de proposer des mesures pour les collectivités territoriales dans le prochain projet de loi de finances rectificative. Le projet de loi de finances pour 2021 sera également un moment essentiel, car les pertes de recettes engendrées par la crise se feront sentir à moyen et long termes.

Nous n'abandonnerons pas les collectivités territoriales. De nombreux outils existent, d'autres seront mis en place.

M. le président.  - La parole est à Mme Grelet-Certenais, pour une réponse en flèche ! (Sourires)

Mme Nadine Grelet-Certenais.  - Je retourne en effet auprès des élus locaux en tant que future maire de La Flèche. (Applaudissements à gauche)

Les élus locaux ont été au front ; ils font les comptes et sont inquiets pour l'avenir. Vous êtes attendue. Les élus comme les acteurs économiques veulent des réponses concrètes et rapides.

Fonctionnement de la justice pendant l'épidémie de Covid-19

M. Jérôme Bignon .  - Selon un journaliste du Monde du 14 avril, chaque juridiction a établi ses propres règles de fonctionnement pendant le confinement : aucune chambre civile ne se réunit, malgré la procédure sans audience prévue par une ordonnance du 25 mars.

Ancien avocat, j'ai fait un rapide tour de France des juridictions pour en savoir plus : j'ai contacté Mmes les bâtonniers d'Amiens et de la Meuse (Verdun et Bar-le-Duc), MM. les bâtonniers de Lille, de Béthune, d'Angers, lui-même co-président de la Conférence des bâtonniers du grand ouest et un de mes anciens associés du barreau de Lyon, pour tenter de bâtir un échantillon représentatif.

Je n'ai pas eu le sentiment d'une catastrophe généralisée. Pour deux d'entre eux, tout a bien fonctionné. Pour certains, la justice a manqué d'une doctrine nationale, laissant la porte ouverte à quelques initiatives locales, mais aussi à l'absence d'initiative.

Ils ont regretté l'absence d'accès au système informatique des avocats pour les magistrats en télétravail ; les problèmes de respect des conditions sanitaires, mais aussi de santé économique des cabinets, liée à l'aide juridictionnelle ; les dysfonctionnements, entraînés par le droit de retrait de certains magistrats, entraînant des retards de jugement.

Il faudrait une mission d'information sur le sujet ; une après-midi d'enquête ne suffit pas.

Quelles leçons entendez-vous en tirer, pour un fonctionnement de la justice mieux adapté à la crise ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Merci d'avoir pris le soin de faire cette enquête, même si elle est éparse. Le fonctionnement de la justice pendant le confinement n'a en effet pas correspondu à certaines descriptions catastrophiques.

La justice a une partie visible, les palais de justice, fermés dès le 16 mars pour éviter la propagation de l'épidémie. Mais il y a aussi une partie invisible, si j'ose dire : les greffiers, les magistrats, ont continué à travailler. Nous avons donné immédiatement des instructions communes, qui ont pu être adaptées localement. De fait, la situation du tribunal de Paris, avec 1 800 agents, ne peut être comparée à celle du tribunal de Mende et de sa vingtaine d'agents.

Des magistrats et greffiers ont continué à traiter le contentieux de l'urgence. Il y a eu 5 850 jugements civils rédigés à Paris, 600 à Lille et plus de 1 000 ordonnances des juges des libertés et de la détention à Lille.

Cela a été possible, parce que nous avons travaillé avec les barreaux aux procédures sans audience ; 50 millions d'euros d'avance ont été versés sur l'aide juridictionnelle à venir.

Nous avons bénéficié aussi des fruits du travail engagé depuis deux ans pour numériser le monde de la justice : les réseaux informatiques ont été améliorés, avec des portables distribués à tous les magistrats et à certains greffiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Réforme de la santé

M. Michel Raison .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les soignants n'ont pas attendu l'épidémie pour être remarquables et dévoués. Les Français tenaient déjà en haute estime le dévouement des aides-soignants, infirmiers, médecins, brancardiers, agents de nettoyage.

Depuis des mois, ce personnel appelait à l'aide. Ne commettons pas une nouvelle erreur de diagnostic ! Le mal est profond : la réponse ne peut être contextuelle ni provisoire. Médaille et participation à un défilé guerrier sont au mieux une blague de mauvais goût, au pire une pique incendiaire.

Nous nous méfions des discours de théâtre du Président de la République annonçant un plan pour l'hôpital.

Êtes-vous prêts à une vraie décentralisation de la décision, qui implique que les agences régionales de santé (ARS) ne soient pas de simples courroies de transmission de l'État central ? Êtes-vous prêts à mettre fin au fléau bureaucratique - selon les termes des professeurs de médecine exerçant dans l'hôpital public ? (Applaudissements au centre et à droite)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - Je m'associe à votre hommage au personnel soignant. Il est impératif de mieux prendre soin de ceux qui nous soignent et de partir de leur expérience pendant cette crise pour bâtir le plan pour l'hôpital. Chacun devra être associé à ce plan. C'est tout le sens du Ségur de la santé lancé par Olivier Véran, dont la première réunion se tiendra lundi prochain.

Dès la fin du mois de mai, nous organiserons un retour d'expérience dans les territoires sur les succès mais aussi les attentes révélés pendant cette crise, qui a confirmé ce que nous savions, mais aussi bousculé des certitudes et permis de nouvelles pratiques sanitaires créatives.

Les Français aspirent à une protection sociale forte, un modèle de santé à la hauteur et efficace.

Le Gouvernement veut aller vite. Les changements doivent intervenir, non dans plusieurs années, mais dans quelques mois. Nous n'avons été ni assez vite ni assez fort. Dès cet été, ce plan sera présenté et inscrit dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous en débattrez. Il n'y a pas de tabou, sur l'articulation public-privé, ni sur les ARS, qui ont su montrer pendant la crise qu'elles pouvaient être en pilotage et appui, en proximité aussi. C'est à l'échelle des territoires que nous penserons l'organisation des soins de demain.

M. Michel Raison.  - Vous n'avez pas répondu sur la bureaucratie, j'aurais aimé du concret. Des états généraux locaux ont été faits pour l'agriculture, cela n'a rien donné. Or il faut réunir tous les acteurs, publics et privés, de la santé, pour créer de véritables synergies. Vous n'avez pas répondu là-dessus non plus. (Applaudissements au centre et à droite)

Difficultés de Renault

Mme Sophie Primas .  - Je pose cette question comme sénatrice des Yvelines, premier département automobile d'Île-de-France et j'y associe mes collègues Yvelinois.

Personne n'ignore les difficultés du groupe Renault, ses problèmes de gouvernance et de management, de résultats, commerciaux, industriels, de tensions avec Nissan. Personne n'ignore les effets de la crise : le groupe vient d'annoncer une baisse de 79 % de ses ventes en Europe, au mois d'avril. Hier soir, a été annoncé dans la presse un plan de restructuration se traduisant par la fermeture et la transformation de plusieurs sites, dont celui de Flins-sur-Seine.

L'État est un actionnaire important de Renault. Le plan de soutien et de relance du secteur automobile de Bruno Le Maire serait fondé sur un modèle « plus durable ».

Le site de Flins-sur-Seine s'appuie sur un écosystème puissant de sous-traitants locaux et sur la proximité du centre de recherche sur le véhicule autonome et propre. C'est le site de production emblématique de Zoé. Au coeur d'un territoire d'industrie que vous avez mis en place récemment, il est donc le site idéal de point de départ de cette stratégie de transformation vers plus de durabilité, d'autant que l'État va probablement garantir un prêt de 5 milliards d'euros à Renault.

Pouvez-vous confirmer que l'État n'acceptera pas un plan de désindustrialisation et appuiera un plan de transformation industriel de long terme, en gardant le coeur de métier de l'entreprise, la construction automobile ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - C'est quelque chose Renault : un fleuron de notre histoire industrielle, économique et sociale. C'est aussi un groupe mondial par l'alliance qu'il a su construire et défendre avec Nissan et Mitsubishi. Il est établi dans notre pays : vous avez cité Flins, je me réjouis que le site de Sandouville, en Seine-Maritime, rouvre le 22 mai. L'État, actionnaire de Renault, est extrêmement attentif à sa situation.

Le secteur automobile, partout dans le monde, subit un coup de frein massif et brutal : diminution de 75 % à 80 % des ventes en avril, c'est du jamais vu ! Tout laisse à penser que les chiffres de mai ne seront pas excellents non plus. C'est vrai pour Renault comme pour les autres constructeurs, à des degrés divers.

Le secteur automobile, dans sa globalité, connaît une transformation d'une intensité et d'une brutalité jamais atteintes ! Dès avant la crise, était dans l'atmosphère la nécessité pour Renault comme pour les autres acteurs du secteur d'accélérer sa transformation et son adaptation, dans une concurrence féroce, aux exigences des temps nouveaux.

Renault doit d'abord renforcer l'alliance, c'est un enjeu vital, puis adapter son organisation aux circonstances, renforcer sa compétitivité, et sécuriser sa capacité d'investissement. Les coûts fixes de Renault sont considérables. Sans recettes, comment sécuriser sa trésorerie et ses capacités d'investissement ?

L'État est au rendez-vous pour l'accompagner. Le constructeur doit formuler un plan, non pas défensif mais offensif : mieux vaut franchir encore plus vite les étapes prévues que défendre une position intenable. Nous serons intransigeants sur la préservation du site France et des sites français : Renault est une entreprise mondiale, mais sa marque française est évidente. Nous serons extrêmement exigeants sur le fait que la France demeure le centre mondial de l'ingénierie, de la recherche et de l'innovation et du développement. Vous savez, dans le département des Yvelines, combien c'est précieux pour préparer l'avenir.

Nous sommes très attachés à la qualité du dialogue et à l'accompagnement social de la stratégie et des décisions. C'est sous ce prisme que nous étudierons le plan du constructeur, non encore présenté, ni arrêté sans doute.

Nous sommes attachés au site de Flins, qui représente quelque chose dans le fonctionnement de l'entreprise qui effectivement doit être préservé dans toute la mesure du possible. Il y a une forme de responsabilité de l'entreprise à se transformer et à expliquer le besoin de transformation, mais aussi à tenir compte des réalités du pays qui l'accueille et qui l'a fait vivre.

Mme Sophie Primas.  - Tous les élus territoriaux - je me suis entretenue ce matin avec Valérie Pécresse, présidente de la région - sont volontaires depuis de nombreuses années pour accompagner la dynamique de transformation de l'industrie automobile. Dans le département des Yvelines, nous ne supportons plus la désindustrialisation continue de notre territoire. C'est pourquoi nous sommes prêts à investir aux côtés de l'État et auprès de Renault.

Plan santé et augmentation des moyens pour l'hôpital public

M. Bernard Jomier .  - Monsieur le ministre, le 26 février dernier, je vous interrogeais dans cet hémicycle sur les moyens attribués aux hôpitaux et aux professionnels de ville pour faire face à l'épidémie de Covid. Votre réponse fut courtoise, comme toujours. Aujourd'hui, j'aimerais qu'elle soit précise.

Avec mes collègues Jacques Bigot et Olivier Jacquin, je souhaite vous interroger sur l'hôpital où deux rythmes de décisions s'imposent : un rapide, ne nécessitant pas des mois et des mois d'échanges, qui est la revalorisation des rémunérations. N'en restez pas aux mesures parcellaires et homéopathiques de votre prédécesseure ! La réponse doit nous conduire à rétribuer nos personnels soignants comme un pays européen qui place la santé publique au rang de ses priorités. Quand annoncerez-vous des décisions en la matière ?

Un second tempo impose de repenser l'organisation de notre système de soins. Il faut revoir la place, les missions et l'organisation de l'hôpital, et redéfinir ses moyens en fonction de ses missions et non l'inverse. Le Président de la République a, à demi-mot, semblé admettre les carences de la loi de 2019, qui n'a pas su défaire les méfaits du concept d'hôpital-entreprise. C'est un premier pas.

Il faut aussi redéfinir l'articulation avec les acteurs de ville et médico-sociaux, écartés pendant près de deux mois de la gestion de l'épidémie - par décision prise au sommet - alors qu'ils ont souvent démontré leurs capacités d'adaptation et de réponse au plus près du terrain, leur capacité à « aller vers » les populations et les territoires les plus touchés par l'épidémie, fondement de toute réponse efficace.

Sur ces chantiers, un nouveau catalogue de mesures, un nouveau projet de loi parachuté d'en haut serait une nouvelle erreur : il faut maintenant des états généraux impliquant l'ensemble des acteurs, les Français inclus. Comment concevez-vous ce temps, quelles garanties pour assurer que les usagers et les soignants, en hôpitaux ou de ville, seront écoutés et entendus, et quel en est le calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - Je m'évertue à être aussi courtois que précis ! Je sais que vous suivez ces sujets depuis plusieurs années et que vous avez passé plusieurs semaines à l'hôpital de Melun durant la crise ; je ne doute pas que vous aurez des propositions concrètes à formuler au regard de cette expérience. Le mal-être des soignants ne date pas de 2017.

Notre réforme est plus vaste que le seul hôpital, elle couvre l'ensemble du champ de la santé, en incluant le médico-social et la médecine de ville. Elle doit mettre fin à des années de dégradation et de sous-investissement.

Nous allons augmenter les rémunérations des soignants, proposer un plan ambitieux d'investissement et enclencher une transformation profonde du système de santé. La seule contrainte est d'être à la hauteur des attentes. Les moyens seront au rendez-vous. Nous avancerons ensemble, avec les soignants et les patients.

Une plateforme numérique sera abondée par les soignants pour créer ce nouveau système de santé. Olivier Véran veut inclure tous les acteurs dans le Ségur qui débute lundi prochain, pour construire avec eux la santé de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Prime exceptionnelle pour les salariés des réseaux d'aide à domicile

Mme Catherine Fournier .  - Cette question est aussi portée par mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe.

Le 7 mai dernier, le Premier ministre annonçait le versement d'une prime pour le personnel des Ehpad via l'assurance maladie, ce dont nous nous réjouissons tous.

Mais il n'a pas eu un mot pour le personnel intervenant au domicile des personnes dépendantes ; rien pour ces salariés engagés en première ligne depuis le début de la crise sanitaire, qui ont permis aux plus fragiles, âgés ou handicapés, d'être pris en charge et de mieux supporter l'isolement lié au confinement, en dépit de la promesse qui avait été faite par le Premier ministre le 15 avril dernier.

Dans un communiqué publié le 11 mai, le ministre de la Santé a réaffirmé sa volonté d'accorder une prime en faveur de cette profession tout en souhaitant que celle-ci soit financée et versée aux services d'aide à domicile (SAAD) et services de soins infirmiers à domicile (SIAD) par les conseils départementaux dont c'est la compétence.

Or ce mécanisme ne garantit pas une égalité de traitement des aides à domicile sur tout le territoire, puisque le financement de cette prime dépendra de l'état budgétaire de chaque département. Il serait injuste que ces salariés pâtissent de la gouvernance dont ils dépendent.

La crise sanitaire a démontré leur dévouement, leur écoute ; ils forment un maillon essentiel dans la chaîne des soins. Par leur mobilisation, ils ont contribué à ce que l'hôpital ne soit pas submergé. Ils étaient présents, travailleurs de l'ombre, « invisibles de la République »... La réalité est là : ils souffrent d'une rémunération basse, de l'ordre de 900 euros nets par mois, qui n'est pas en adéquation avec l'effort fourni.

Allez-vous attribuer à cette profession, dans des conditions de justice et d'égalité territoriale, une prime financée par l'État, équivalente à celle que vous comptez verser aux personnels des Ehpad ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - Cette crise n'a pas révélé, mais exacerbé la vulnérabilité de certains de nos concitoyens. Certaines professions jouent un rôle essentiel. Il est juste de reconnaître le travail accompli par les aides à domicile.

Les seuils et conditions du versement d'une prime exceptionnelle pour les services d'aide à domicile relèvent de la compétence des départements ; quant aux SIAD et aux Ehpad, ils relèvent de l'assurance maladie. Pour ces derniers, financés en partie par l'assurance maladie, la prime a été accordée.

L'État, avec Jacqueline Gourault et Olivier Véran, travaille avec les départements depuis plusieurs semaines pour qu'ils fassent un geste pour les services d'aide à domicile qui relèvent de leurs compétences. Je leur ai dit la même chose pour la protection de l'enfance - mon autre casquette. Il faudra en finir avec les silos de l'hôpital, du médical, du social, du médico-social afin que nous puissions proposer à l'avenir des réponses plus uniformes.