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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Mise au point au sujet d'un vote

La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux

M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Débat interactif

M. Henri Cabanel

M. Gérard Lahellec

M. Jean-François Longeot

Mme Florence Blatrix Contat

M. Gérard Longuet

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Joël Labbé

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Christian Redon-Sarrazy

Mme Viviane Malet

M. Serge Mérillou

M. Jean Bacci

Mme Sabine Drexler

M. Jacques Grosperrin

Mme Florence Lassarade

M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires

Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même

M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants  - République et Territoires

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Débat interactif

Mme Nathalie Goulet

M. Jérôme Durain

M. Christophe-André Frassa

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Thomas Dossus

M. Julien Bargeton

M. Éric Gold

M. Jérémy Bacchi

Mme Catherine Morin-Desailly

M. David Assouline

Mme Laure Darcos

M. Franck Montaugé

M. Jean-Pierre Grand

M. Marc Laménie

Mme Brigitte Lherbier

M. Guillaume Chevrollier

M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Républicains-République et Territoires

Échec en CMP

Projet de loi de finances pour 2021(Première partie)

Discussion générale

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Question préalable

M. Éric Bocquet

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros

M. Emmanuel Capus

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Didier Rambaud

M. Christian Bilhac

M. Pascal Savoldelli

M. Rémi Féraud

Mme Christine Lavarde

Mme Sylvie Vermeillet

M. Victorin Lurel

M. Jérôme Bascher

M. Vincent Delahaye

M. Patrice Joly

M. Philippe Dallier

M. Christian Klinger

M. Olivier Dussopt, ministre délégué

Discussion des articles

ARTICLE LIMINAIRE

ARTICLE 31

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. Patrice Joly

M. Emmanuel Capus

M. Jacques Fernique

M. André Gattolin

M. Henri Cabanel

M. Éric Bocquet

M. Pascal Allizard

Mme Catherine Fournier

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

Annexes

Ordre du jour du vendredi 20 novembre 2020




SÉANCE

du jeudi 19 novembre 2020

26e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Jean-François Longeot. - Au scrutin n°26 sur l'ensemble du PLFSS, Nathalie Goulet souhaitait s'abstenir.

Mme la présidente. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux

Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat intitulé : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux » à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) La forêt française est en danger, confrontée à de multiples défis.

Le groupe Les Indépendants - République et Territoires a choisi d'éclairer les difficultés et les atouts de la forêt française. Plusieurs rapports récents, dont celui publié en avril par la Cour des comptes d'avril, mais aussi celui d'Anne-Laure Cattelot, ont été utiles.

Je salue aussi le groupe de travail forêt-bois, présidé par notre collègue Anne-Catherine Loisier.

Le plan de relance apportera 200 millions d'euros à la forêt, qui est au bord de l'abîme.

La forêt couvre jusqu'à 31 % de notre territoire national. Elle est la quatrième forêt européenne, et ses surfaces progressent depuis 1840.

La tempête silencieuse du changement climatique a des effets croissants, favorisant le développement de maladies ou de parasites comme les scolytes et les chenilles processionnaires.

Nous devons adapter notre forêt aux enjeux de demain, par une gestion durable et volontariste.

La deuxième crise est économique : il faut entretenir durablement et valoriser les atouts. La filière forêt-bois représente 440 000 emplois, soit 60 milliards d'euros d'activité, mais son déficit commercial, de 6,6 milliards d'euros, s'accroît.

Malheureusement, l'insuffisante cohésion des acteurs entre amont et aval fragilise la filière.

La première transformation a insuffisamment de débouchés et souffre de la concurrence étrangère.

La filière bois doit jouer un plus grand rôle dans le secteur du bâtiment, notamment dans la rénovation. Incitons davantage à l'utilisation du bois comme levier de la stratégie bas carbone, en particulier dans la construction.

La troisième crise est sociétale. Lieu de loisirs, de bien-être, il faut préserver l'équilibre sylvo-cynégétique. Le dialogue permanent avec les forestiers, et les chasseurs est indispensable. Surtout, nous voyons se développer un courant de pensée tendant à considérer qu'il faudrait protéger les arbres sans les exploiter. Mettre sous cloche la forêt reviendrait à ignorer que l'entretenir et l'exploiter est la condition de sa régénération.

À la suite des auditions que nous avons menées avec Daniel Chasseing, je vous propose plusieurs pistes de réflexion.

Une politique efficace doit s'appuyer sur l'échelon local. Cela pourrait être inscrit dans la loi « décentralisation, différenciation et déconcentration » (3D), très attendue par les acteurs forestiers.

Il faut clarifier les missions de l'Office national des forêts (ONF), qui joue un rôle majeur, et lui donner plus de moyens. Je ne suis pas favorable à la création d'une agence nationale regroupant l'ONF et le Centre national de la propriété forestière (CNPF).

Les élus participent à la gestion de forêts communales, ils font vivre le lien avec l'ONF, la forêt privée, les chasseurs...

La lutte efficace contre la crise repose sur l'innovation, la recherche et développement, et l'investissement.

Je salue le plan de relance, monsieur le ministre, mais sa durée de déploiement - deux ans - est insuffisamment longue, car la forêt se développe sur le long terme, pour faire les bons choix de reboisement, de plants, de graines et d'essences.

Pouvez-vous nous rassurer sur la complexité éventuelle de la constitution des dossiers, qui pourrait nuire à l'efficacité de ce plan ?

Je soutiens la création d'un fonds pour le développement de la forêt, doté de 300 millions d'euros, financé par le privé et le public.

La forêt privée est au coeur de ce débat, qui se tient, dans cet hémicycle, sous le regard de Colbert, lequel estimait la forêt comme un trésor qu'il faut soigneusement conserver. N'oublions pas qu'elle est aussi le fruit et l'oeuvre du travail des hommes. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - J'ai plaisir à débattre de la forêt française, patrimoine et bien très précieux, tout comme l'ONF, dont je salue les agents et que je soutiens.

La forêt se cultive et doit être protégée. La forêt française est un actif, un trésor de notre pays. Nous devons en prendre soin pour en tirer tous les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux.

Le défi climatique est le premier des défis des écosystèmes forestiers. Les maladies, notamment celles liées aux scolytes, ont été amplifiées. Plus de 7 millions de mètres cubes d'épicéa ont été fortement impactés par les scolytes, en Grand Est ou en Bourgogne-Franche-Comté. Le frêne, le peuplier, le châtaignier, et combien d'autres essences des terrains humides sont menacées.

Comment rendre les écosystèmes forestiers plus résilients ? Comment mettre en oeuvre une véritable stratégie d'adaptation ?

Nous devons nous mettre d'accord sur les espèces à développer. Le peuplement des forêts ne peut se faire qu'avec la filière, avec laquelle nous écrivons une feuille de route, pour développer la recherche scientifique, déployer une vision de long terme - d'ici 2050 voire 2100 - et investir dans nos forêts.

J'ai obtenu que quelque 150 millions d'euros du plan de relance financent les repeuplements forestiers, soit jusqu'à 50 millions d'arbres pouvant être plantés dans les forêts communales, domaniales et privées. C'est le plus grand investissement forestier depuis l'après-guerre.

Deuxième défi, la réalité économique. Une forêt se cultive. Comment le bois peut accompagner la forêt et être utilisé dans l'industrie ? Cela suppose un lien indéfectible entre amont et aval. La situation est totalement ubuesque. Le taux de prélèvement est de 50 % : la forêt avance chaque année. Au même moment, le déficit commercial atteint 6 milliards d'euros.

Il y a vingt ans, durant mes études d'ingénieur des Eaux et Forêts, on me disait « la forêt avance, mais le bois recule ». Le bois continue à reculer ou n'avance pas suffisamment.

Cela repose sur notre souveraineté agricole et forestière - axe majeur de mon action - et nécessite une approche holistique, incluant amont et aval. Évitons des chaînes de transport peu convenables : on exporte en Chine des grumes qui reviennent en meubles transformés en France. C'est perdant-perdant !

Le plan de relance est une formidable occasion pour la filière. J'ai décidé, au-delà du plan de relance, de créer un fonds bois n°3 pour restructurer l'aval.

Quels sont les usages de la forêt ? La forêt française doit jouer un rôle beaucoup plus fort dans la construction bois. Actuellement, le bois de construction est principalement importé.

Troisième défi, il faut préserver l'écosystème, cultiver le potentiel économique, favoriser le rôle environnemental et sociétal de la forêt. Il convient de sortir de tout dogmatisme à cet égard en reconnaissant qu'une forêt se cultive, se protège, et qu'elle doit pouvoir donner à nos concitoyens des bienfaits sociaux.

Cela nécessite une vision et l'association de tous les acteurs - notamment les communes forestières, les agents de l'ONF et les propriétaires privés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains)

Débat interactif

M. Henri Cabanel .  - La forêt est durement touchée par le changement climatique, mais elle constituera un atout majeur car elle fait partie du cycle du carbone et constitue un réservoir de biodiversité.

Son morcellement pose problème. De nombreux propriétaires ne savent pas qu'ils le sont ; d'autres sont dans l'impasse, à cause de propriétés trop petites ou fragmentées. La loi d'avenir de 2014 a donné de nouveaux droits de préférence et de préemption. Souvent, les listes transmises aux mairies se limitent aux seules propriétés du domaine des propriétaires inconnus, ce qui est loin de recouvrir la notion de non-paiement des impôts fonciers pendant trois ans. Comment favoriser la mise à jour des données cadastrales ?

M. Julien Denormandie, ministre. - Dans le plan de relance, nous financerons de nouveaux outils technologiques pour l'ONF afin de mieux gérer l'espace forestier, notamment grâce au Lidar (Light detection and ranging) ou laser aéroporté.

La disponibilité des informations sur les relevés de propriété est insuffisante. C'est pourquoi j'ai introduit dans la loi ASAP, par un amendement que je vous remercie d'avoir voté, une disposition qui simplifie l'accès au registre foncier des experts forestiers et agricoles, pour une plus grande transparence.

La réforme du cadastre forestier est un autre chantier auquel nous devrons nous atteler prochainement.

M. Henri Cabanel. - L'Union régionale des collectivités forestières d'Occitanie, regroupant 700 collectivités territoriales, a fait de nombreuses propositions dont vous pouvez utilement vous inspirer.

M. Gérard Lahellec .  - La présentation des fonds du plan de relance destinés à la forêt s'ouvre sur un constat partagé : les forêts sont durement touchées par le changement climatique alors qu'elles jouent un rôle essentiel.

Nous devons favoriser une meilleure résilience de la forêt, et une gestion multifonctionnelle. Or l'ONF, qui ne cesse d'être malmené, est en voie de privatisation. Merci, monsieur le ministre, d'avoir rappelé qu'il est un bien précieux. Mais la fragilisation des moyens et les difficultés de recrutement s'accompagnent de la tentation de recruter des vacataires de droit privé. Depuis trois ans, les techniciens forestiers ne sont plus recrutés par concours et les postes de gardes forestiers sont de plus en plus affectés à des contractuels.

Quand arrêterez-vous la spirale de destruction d'un outil si précieux pour la durabilité de nos forêts ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Oui, l'ONF est un bien incroyablement précieux, vous avez raison. L'Office gère les forêts domaniales mais aussi de nombreuses forêts communales en lien avec les collectivités territoriales. J'ai donc maintenu la présence des communes forestières au conseil d'administration de l'ONF. Il y avait eu des débats sur le sujet.

Actuellement, le programme 149 du budget national finançant l'ONF est en augmentation. Cela ne résout certes pas le déficit structurel que vous avez rappelé.

En outre, l'ONF va bénéficier significativement du plan de relance. Le Lidar et d'autres outils de gestion, ainsi que des investissements seront financés par ce plan. Le troisième élément concerne la question du schéma d'emploi et du statut du personnel, dont nous avons beaucoup débattu lors de la loi ASAP ; actuellement, 40 % des agents relèvent du droit privé. Il ne faut pas opposer les uns aux autres. Je leur rends à tous hommage.

M. Jean-François Longeot .  - Je suis heureux que nous ayons ce débat. La forêt est une solution pour le changement climatique, les menaces sur nos ressources en eau, les glissements de terrain, l'érosion de la biodiversité, la demande de nature de nos concitoyens.

La forêt assure en effet de nombreuses fonctions. Mais elle est en multicrise. Les scolytes se sont développés à la faveur des sécheresses de 2018, 2019 et 2020. La moindre qualité et la baisse des cours qui en résulte menacent la filière bois et affaiblissent les communes forestières, dépendantes de leur patrimoine forestier, qui représentent une commune sur trois en France, un sur deux dans les DOM-TOM.

Le plan de relance prévoit 200 millions d'euros pour la forêt, en soutien de l'ambition d'un reboisement massif et d'un renforcement des aides aux entreprises de la filière.

Comment venir en aide aux collectivités dont les recettes forestières peuvent représenter jusqu'à 50 % de leurs ressources ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'enjeu est de taille. J'ai bien en tête que le soutien de l'État, via ONF, est crucial pour les communes forestières et que certaines communes font face à des crises.

Pour faire face aux scolytes, un décret de l'an dernier permet le transport et les échanges de bois scolytés entre régions, pour les mettre sur le marché. Ce système, qui paraissait complexe à première vue, fonctionne bien.

Les 150 millions d'euros du plan de relance aideront au repeuplement des forêts communales que les communes n'avaient pas les moyens de financer elles-mêmes.

Enfin, nous lançons une mission conjointe de l'inspection générale de l'administration (IGA) et du conseil général des Eaux et Forêts (CGER) pour évaluer les pertes financières des communes forestières dues à ces crises conjoncturelles.

Mme Florence Blatrix Contat .  - Depuis deux ans, nos forêts de résineux, sous l'effet des sécheresses successives, sont touchées par une épidémie de scolytes. Les régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est ont été les premières affectées. Mon département de l'Ain l'est également, ainsi que les massifs du Haut-Jura.

De nombreuses communes forestières ont vu leurs ressources, tirées de la vente de bois, baisser drastiquement. L'une d'elles m'a indiqué que ses produits forestiers ont chuté de 300 000 à 30 000 euros. Il en va de même des propriétaires privés. Nous faisons face à un problème de pérennité de notre couvert forestier.

Quelles mesures compensatoires envisagez- vous face aux pertes de recettes ? Allez- vous soutenir les coopératives forestières ? Les aiderez-vous à trouver des débouchés? Quid des aides à l'évacuation des bois, à la trésorerie et à la recherche sur la lutte contre les parasites ? Le plan de relance consacrera 150 millions d'euros à la forêt, quand l'Allemagne annonce un plan de 800 millions d'euros et une stratégie pour 2050. Quelle est votre stratégie à long terme ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - J'ai évoqué la mission d'évaluation. Notre dispositif de commercialisation des bois scolytés, bien que récent, semble bien fonctionner, mais je suis ouvert à son adaptation.

Le nouveau défi est de couper et de replanter nos forêts. Beaucoup de forestiers disent qu'ils ont une « boule au ventre » en voyant une parcelle qu'ils doivent couper sans avoir les moyens de repeupler... Le plan de relance le permettra car 150 millions d'euros, ce n'est pas une petite aide !

Nous avons beaucoup agi sur la recherche. Vous avez évoqué le rapport d'Anne-Laure Cattelot. La question est celle des essences de repeuplement, sur laquelle nous travaillons avec la filière.

M. Gérard Longuet .  - Vous avez déjà répondu en partie à la question des forêts scolytées, qui touche le Grand Est, la Lorraine, la Meuse. Les coûts de cette catastrophe sont sans doute supérieurs à ceux de la tempête de 1999.

Ce qui a été fait pour le transport a permis de péréquer le marché et d'amortir la baisse des prix.

Le changement climatique est jugé comme une certitude absolue par l'opinion et la forêt est une affaire de long terme.

Nous devons apporter des solutions de repeuplement pour lutter contre le réchauffement. Souvent, les forêts existent parce qu'il n'y avait pas d'autres solutions agricoles. Comment conduire des projets de forêts nouvelles ?

La forêt est un ensemble complet, de la production aux usages : pourquoi la filière bois n'a-t-elle pas le succès que nous attendons dans la construction ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Les deux questions sont intrinsèquement liées et renvoient à la vision de nos forêts.

C'est un système complexe avec une temporalité longue et une multifonctionnalité. C'est difficile pour les forestiers, alors que dire pour les politiques ! L'émotion et le simplisme qui y ont cours sont l'inverse de ce temps long qui est de mise en matière forestière.

Le plan de relance permettra un repeuplement massif des forêts avec des essences résilientes au changement climatique et adaptées aux usages dans trente ou quarante ans, notamment la construction bois.

Les feuillus correspondaient aux besoins militaires du XVIIIe siècle ; après la guerre, nous avons planté des résineux pour répondre à un usage industriel. L'équation actuelle sera sans doute résolue par une diversité d'essences, en fonction des territoires.

Il manque encore une articulation amont-aval. L'aval doit être financé et les deux doivent être reconnectés.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Aux frontières des Hauts-de-France, aux confins de l'Oise et du Val-d'Oise, se situe la forêt de Chantilly, véritable laboratoire de la forêt à ciel ouvert : réchauffement climatique, infestation de hannetons, dégâts causés par le gros gibier. Une mobilisation importante a réuni tous les acteurs - population, scientifiques, associations, chasseurs et élus - pour conserver une forêt vivante. Les problèmes ont pu être identifiés. De nombreuses solutions - reboisement, intégration des chasseurs, recherche, filière bois - ont ainsi été dégagées.

Nous avons l'idée de créer un groupement d'intérêt public (GIP) pour mettre tout le monde autour de la table afin de travailler, d'organiser et d'aménager une gestion durable et adaptée du domaine forestier. Cette pratique volontariste ne pourrait-elle être dupliquée  et déclinée selon les spécificités de chacun?

M. Julien Denormandie, ministre.  - J'ai en tête la situation particulière de la forêt de Chantilly et les déclarations du Général Millet. Votre mobilisation a été exemplaire en associant les acteurs, mais aussi un conseil scientifique avec France Nature Environnement (FNE), AgroParisTech et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). De nouvelles pratiques cynégétiques y ont été élaborées.

Le plan de relance devra venir soutenir votre plan d'action pour la forêt de Chantilly. Vous n'avez pas attendu l'État mais il arrive à point nommé et j'ai demandé à mes équipes d'y travailler.

M. Joël Labbé .  - La forêt, le climat, la biodiversité vont mal. Quelque quarante pesticides sont encore autorisés en forêt, dont le glyphosate, utilisé pour la régénération des parcelles. Au fil des mois, la promesse présidentielle de la sortie du glyphosate semble toujours plus floue. Nos concitoyens la réclament pourtant. En témoigne le succès de l'appel lancé en 2019 par la très sérieuse ONG Noé biodiversité. Les forêts sont des espaces de production mais aussi de biodiversité et des lieux de promenade. L'ONF a abandonné le glyphosate en 2018 et les autres pesticides en 2019. Mais l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a écarté toutes les alternatives.

Pouvez-vous vous engager pour une sortie rapide du glyphosate et des pesticides en forêt ?

M. Bruno Sido.  - Oh là là !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Mon approche est raisonnée. Nous devons protéger l'environnement. La forêt est un poumon vert mais elle se cultive aussi. Nous avons demandé à l'Anses d'établir les autorisations de mise sur le marché (AMM) y compris dans le milieu forestier. Ce n'est donc pas une responsabilité du ministre !

L'Anses a été très claire sur l'autorisation du glyphosate en forêt dans le cadre du plan sur les produits phytosanitaires présenté il y a quelques jours, en en limitant les usages sauf lorsqu'il n'y a pas d'alternative. Son travail a été très sérieux et son analyse holistique : nous sortirons du glyphosate dès lors que des alternatives existeront. Nous avons investi massivement dans la recherche à cette fin.

M. Joël Labbé.  - Je ne remets pas en question le sérieux de l'Anses...

M. Bruno Sido.  - Il ne manquerait plus que ça !

M. Joël Labbé.  - ...qui n'a pas pris sa décision sur la base d'une impasse technique mais en raison de considérations pratiques et économiques.

L'abandon du glyphosate en forêt est possible et souhaitable. C'est un modèle industriel d'exploitation qui est en cause, semblable à celui qui domine dans l'agriculture, avec la pratique des coupes rases qui nuit à la biodiversité.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - La forêt guyanaise couvre huit millions d'hectares, soit 96 % de la superficie du territoire, dont six millions d'hectares du domaine privé de l'État sont gérés par l'ONF.

Cette gestion fait de ses agents des juges et parties.

Un rapport de la délégation sénatoriale à l'outre-mer de 2015 a émis trente propositions pour améliorer cette gestion, en dessinant une nouvelle architecture propre à la Guyane.

L'exploitation du bois et des produits de la forêt constitue en effet une filière d'avenir pour la Guyane, mais l'ONF demeure l'unique fournisseur de bois pour les professionnels de la première transformation.

Il faut un transfert du foncier à la collectivité territoriale de Guyane L'État s'était engagé à rétrocéder 250 000 hectares après les évènements de 2017 mais les transferts prévus n'ont malheureusement jamais eu lieu.

Que compte faire le Gouvernement pour tenir son engagement et aider ainsi au développement économique de la Guyane?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Votre question est essentielle. La forêt guyanaise joue un rôle majeur pour la Guyane et pour tout le bassin amazonien, voire à l'échelle mondiale. C'est un trésor à protéger et une responsabilité à assumer.

Quelque 400 000 hectares devraient être transférés à la population, dont 250 000 aux collectivités et 20 000 à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Cela n'est pas allé assez vite.

Une disposition de la loi ASAP devrait accélérer ces transferts. J'y veillerai car votre demande est à la fois légitime et nécessaire.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth.  - Merci. Je souhaite que l'État concrétise ses engagements.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - L'inconnue n'est pas tant de savoir ce que nous devons planter, mais de sortir du spectre limité des essences limitées par l'aval. Aurons-nous les plants dans les délais impartis et les quantités nécessaires ?

Les forêts des communes forestières ont été attaquées par les insectes, les fortes chaleurs et les déficits hydriques : leurs trésoreries sont sinistrées. Or leurs pertes financières sont exclues des compensations de l'État. Elles vont se trouver en grande difficulté pour reboiser. Il ne faudrait pas que les forêts publiques soient ainsi pénalisées.

Autre problème : la réglementation environnementale des bâtiments neufs, dite  RE2020, qui est stratégique. Les 450 kilos de CO2 par mètre carré constituent un seuil réaliste, mais il doit être accompagné d'un label biosourcé pour la construction dans le neuf ou la rénovation.

Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur ces sujets déterminants ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je vous remercie de vos propos sur le plan de relance. Nous attendions depuis longtemps des financements massifs pour le repeuplement. J'espère une mise en oeuvre rapide, donc simple, de ce plan.

Sur les essences, je crois qu'il faut faire confiance à l'intelligence des forestiers. Nous allons lancer un appel aux manifestations d'intérêt à toutes les filières et espérons pouvoir commencer à planter dès le début 2021.

Vous prêchez un convaincu : en tant que ministre du logement, j'ai imposé que 50 % de la construction des établissements publics administratifs (EPA) soient en bois ou biosourcée et lancé un grand plan de construction bois. Nous avons une opportunité historique à saisir avec la RE2020.

Nous devons analyser le cycle de vie du bois. Certains continuent à prétendre que le béton est meilleur pour l'environnement que le bois. Je ne le crois pas.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Nous savons que vous serez notre avocat sur le sujet. Il est aussi temps d'avoir un débat sur l'ONF et d'établir une stratégie amont-aval.

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Le plan de relance permettra à la France de tenir ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique. La filière bois y joue un rôle majeur, elle qui capte le carbone et compense 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Pour autant, il faut que la forêt s'adapte aux changements climatiques. Aussi, le plan de reboisement prévoit 150 millions d'euros pour la plantation de 45 000 hectares de forêt et la régénération des surfaces existantes.

Toutefois, vous ne prévoyez aucune contrepartie à ces aides gouvernementales. Une certification serait nécessaire pour conditionner ces aides publiques à une gestion durable des forêts, comme le label PEFC, qui rassemble 5,5 millions d'hectares et 70 000 propriétaires privés. L'envisagez-vous ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je crois que les forestiers ont par essence une vision durable de la forêt. Sinon, autant changer de métier ! Je crois à l'intelligence collective des gestionnaires des forêts, même si tout n'est pas encore parfait partout.

La conditionnalité des aides est un débat récurrent. Face à une parcelle scolytée, l'urgence est avant tout d'éradiquer les scolytes et de repeupler. Trop de conditionnalité tue l'efficacité : c'est souvent un mal français.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Je ne peux me satisfaire de votre réponse. Qui peut le plus peut le moins.

Les propriétaires aidés pourraient respecter un certain nombre de critères dont la durabilité. Les collectivités territoriales sont contraintes de respecter de nombreux critères en matière de la construction. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour la filière bois ?

Mme Viviane Malet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un incendie a ravagé 175 hectares au coeur du parc national de la Réunion durant dix jours. Le ministre de l'Outre-Mer est venu, accompagné de sapeurs-pompiers métropolitains. L'île est l'un des 35 hots spots mondiaux de la biodiversité terrestre. Le classement des pitons et cirques au patrimoine mondial de l'Unesco en 2010 est une fierté locale.

Pour protéger notre territoire et entretenir ses sites, le rôle de l'ONF est indispensable. Il gère 90 % du domaine forestier de l'île, ses 850 kilomètres de sentiers, 365 aires d'accueil du public, 609 kilomètres de routes et de pistes, 276 kilomètres de pistes de VTT, 158 kilomètres de pistes équestres.

Le faible niveau de production forestière et le surcoût de l'inscription à l'Unesco entraîne un déficit structurel de l'ONF-Réunion. Pouvez-vous nous assurer que ses moyens ne seront pas réduits et son plafond d'emplois augmenté ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je rends hommage aux pompiers et apporte mon soutien aux Réunionnais touchés par cet incendie. L'ONF joue effectivement un rôle essentiel en matière de gestion des risques. Après les incendies de 2010 à La Réunion, de nouvelles catastrophes ont été évitées grâce à l'Office.

Le prochain contrat d'objectif et de performance concernera les outremers, dont La Réunion.

M. Serge Mérillou .  - En Nouvelle-Aquitaine, il y a 3 millions d'hectares de forêts, soit plus de 30 % de l'espace aquitain. En Dordogne, c'est 400 000 hectares, soit 40 % de la superficie du département.

La forêt est un poids lourd économique aux pieds d'argile, compte tenu de la multitude de petits propriétaires et des évènements climatiques récents - tempêtes et sécheresse. Elle joue un rôle majeur de protection de la biodiversité et des risques naturels, et contribue à la lutte contre le changement climatique.

Comment les petits propriétaires forestiers accèderont aux aides du plan de relance ?

Alors que notre forêt sera de plus en plus de type méditerranéen dans les cinquante prochaines années, comment mieux lutter contre les incendies, notamment dans les secteurs où forêt et habitat sont étroitement imbriqués ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je partage votre constat. Le plan de relance sera ouvert à tous. Nous travaillons avec les filières - Fransylva, la Fédération Forestiers privés de France, les centres nationaux de la propriété forestière (CNPF) par exemple - pour leur présenter les critères du plan de relance avant de lancer les appels à manifestation d'intérêt. En cas de besoin, les critères pourront être modifiés.

S'agissant de l'aménagement du territoire forestier, il faut avoir une approche concrète et globale avec la filière, notamment sur les essences.

M. Serge Mérillou.  - Merci pour vos réponses. Nous avons aussi un problème de morcellement de la forêt privée. Il faut privilégier la restructuration parcellaire : la forêt n'est transmissible que si elle est regroupée.

M. Jean Bacci .  - La forêt méditerranéenne s'étend sur tout le sud de la France, elle représente un tiers de la forêt française. Hélas, le pin d'Alep a peu à peu disparu au XXe siècle malgré ses nombreux atouts, remplacé par de nouveaux métaux.

Les acteurs publics locaux sont prêts à investir pour soutenir des partenaires publics et privés mais la règlementation européenne bloque les projets de relance. La négociation de la nouvelle PAC pourrait permettre d'avancer sur le sujet.

La plantation de nouvelles essences est importante pour les générations futures. C'est aussi une stratégie ambitieuse pour développer l'économie locale. N'oubliez pas, dans votre plan d'aides, la forêt méditerranéenne.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je ne l'oublierai pas. Cette forêt connaît de nombreux défis, notamment en matière de lutte contre les incendies. Les usages évoluent, comme le montre l'exemple du pin d'Alep. Il est donc indispensable de réconcilier l'amont et l'aval, sur le temps long. Je crois à la nécessité de planter des essences résilientes et adaptées à la construction.

Mme Sabine Drexler .  - Un scénario de crise se met en place depuis 2018, avec une succession d'étés caniculaires, des bois dépérissants, un engorgement du marché du bois et une chute des prix.

Il faut donner envie aux propriétaires de reboiser pour maintenir notre patrimoine forestier. Le rapport Cattelot propose à cet effet des plantations d'essences nouvelles et la création d'un fonds doté de 200 à 300 millions d'euros. Les procédures devront être simples pour ne pas décourager les petits propriétaires.

Jadis, dans le cadre du fonds forestier national, il était possible d'obtenir de bons de subvention pour des petits reboisements. Pourquoi ne pas faire de même dans le cadre du plan de relance ?

M. Julien Denormandie, ministre. - Vous souhaitez un système simple et inclusif, notamment pour les petites parcelles. Moi aussi, et j'y travaille avec la filière dans son ensemble. Nous envisageons un système de forfaitisation pour simplifier la vie des plus petites structures.

Il existe aussi le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), que j'ai prolongé pour deux années supplémentaires afin de donner plus de visibilité aux propriétaires forestiers.

M. Jacques Grosperrin .  - Dans le Doubs, la forêt recouvre 43 % du territoire et plus de la moitié de cette surface appartient aux communes. Les maires sont inquiets, entre la sécheresse et l'attaque des scolytes qui font dépérir les forêts.

La récolte annuelle de bois dans mon département est habituellement de 600 000 mètres cubes. Ce sera 720 000 mètres cubes cette année, ce qui entraîne les baisses du cours du bois et donc des recettes des communes. Ces dernières tentent de réguler le marché et demandent de réguler le volume de bois vert en 2021.

Il convient d'augmenter la dotation de solidarité rurale (DSR) pour les communes forestières afin de compenser le manque à gagner de ces trois dernières années et de les aider à réinvestir dans leurs forêts.

M. Julien Denormandie, ministre. - Nous avons lancé une mission du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture, et des espaces ruraux (CGAAER) pour évaluer les pertes subies par ces communes. Le PLRF3 prévoit un dispositif de compensation.

Les scolytes ne sont pas une fatalité : il faut s'adapter en soutenant le marché et lutter contre cet insecte. Les parcelles scolytées seront abattues et replantées, grâce au plan de relance. Le taux de subvention sera de 60 % pour un repeuplement, mais de 80 % quand la parcelle sera atteinte de scolytes. C'est énorme ! Nous devons juste nous assurer de la compatibilité de ce dispositif avec le droit européen.

M. Jacques Grosperrin. - Le temps de la forêt n'est pas celui du plan de relance. Les recettes des communes forestières sont intégrées dans le calcul de la contribution des collectivités au redressement des finances publiques, imputée sur la DGF. La contribution forestière est gelée depuis 2018. Les communes forestières sont au bord de l'asphyxie écologique, sociale et surtout économique.

Mme Florence Lassarade .  - La filière forêt-bois représente 60 milliards d'euros et 440 000 emplois ; elle est au coeur des solutions pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

La forêt française est privée à 74 %. Le coût de l'encouragement des petits propriétaires est dérisoire par rapport aux bénéfices globaux en matière de changement climatique. La loi d'orientation sur la forêt de 2001 a créé un avantage fiscal qui arrive à échéance le 31 décembre 2020. Mais son manque de lisibilité et ses modifications successives ont rendu son utilisation complexe Il faut reconduire la mesure tout en l'améliorant.

Le gouvernement a rallongé ce dispositif fiscal de deux ans. Le rapport du CGAAER a formulé des propositions en avril 2020 pour le rendre plus lisible et stable : le temps long doit être privilégié. Monsieur le ministre, quelles seront vos propositions ?

M. Julien Denormandie, ministre. - Outre les dispositifs fiscaux, le programme 149, le plan de relance et le volet européen accroissent les financements pour la forêt.

Le DEFI peut être amélioré et sera prolongé de deux ans, alors que les crédits d'impôts n'ont pas le vent en poupe en ce moment. Cela donne plus de visibilité.

Comme il s'agit de ma dernière prise de parole, je veux remercier la présidence et monsieur Menonville pour ce débat passionnant. Que la forêt et le bois avancent d'un même pas et le plus rapidement possible ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains)

M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires .  - Nos échanges démontrent l'importance d'une politique cohérente et de long terme sur la forêt. L'inaction serait dévastatrice.

Un tiers du territoire métropolitain est forestier, et jusqu'à 95 % en Guyane. Depuis 1945, la forêt a progressé de 40 %. Trésor de diversités d'essences, la forêt sauvegarde notre biodiversité et nos ressources naturelles. Elle doit être protégée, adaptée et régénérée.

Nous devons inciter à une gestion forestière plus durable et modifier les comportements. Les trois quarts de la forêt sont détenus par des propriétaires privés, dont la majorité détient moins de trois hectares. La gestion de ces espaces forestiers par des professionnels résoudrait bien des problèmes.

Le bois a des qualités et une performance thermique dont nous aurions tort de nous passer. Il peut être utilisé dans le neuf et la rénovation. La construction d'une maison en bois réduit de 55 % les émissions de CO2 alors que le BTP en produit 40 % à l'échelle mondiale.

La filière bois-énergie, c'est 40 000 emplois directs et indirects, notamment dans les territoires ruraux.

La compétitivité de cette filière est essentielle. Je ne suis pas forcément favorable à la limitation des coupes rases, même si j'entends les arguments légitimes. Nous devons tenir compte de la compétitivité entre pays, du respect de la maturité des arbres. Si nous ne le faisons pas, d'autres pays viendront sur notre propre marché, ce qui n'empêche pas de développer la forêt loisir.

Pour atteindre le bon équilibre, il faut favoriser le dialogue entre les acteurs et mieux informer nos concitoyens sur les enjeux économiques et écologiques.

Certes, l'État a une place centrale mais les territoires doivent tenir leur rôle. Les régions, mais aussi les départements, doivent jouer un rôle majeur.

Je remercie tous les intervenants. À l'issue de ce débat, je veux insister sur trois points.

L'ONF doit bénéficier de moyens supplémentaires. C'est un acteur essentiel pour une forêt efficace.

Le plan de relance va dans le bon sens, grâce au soutien de BPI France. Il doit marquer le début d'une politique ambitieuse.

La défiscalisation d'investissements aiderait les propriétaires à se restructurer.

Le Sénat souhaite une politique cohérente à long terme. Il y va de l'avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même

Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat intitulé « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même », à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants  - République et Territoires .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI) Autrefois, il y avait l'idiot du village. Actuellement, les idiots du village global sont sur internet : ils croient que la terre est plate ou que la lune est habitée. Ce sont les complotistes, harceleurs, racistes, haineux, radicalisés ou délirants... Cela ne serait pas important sans les réseaux sociaux qui leur permettent de se reconnaître, de se rassembler et de se réunir.

Ils sont bien plus nombreux qu'on ne le croyait. Staline demandait : « le pape, combien de divisions ? » L'armée des idiots du village en a beaucoup. Pourquoi ne pas laisser entre eux ceux qui croient que Bille Gates veut tuer 15 % de l'humanité avec un vaccin contre la covid ?

Mais les choses ont changé avec les élections américaines et la modification par Facebook de ses algorithmes, car les fake news avaient permis de peser sur le résultat du vote.

Hélas, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Une grande partie du contenu des fils d'actualité vient des groupes et de leurs centaines de liens, de vidéos et de commentaires indignés. Les plateformes sont remplies de bataillons soudés par leurs certitudes et leur combat contre ceux qui ne pensent pas comme eux. Les groupes sur Facebook et les combattants sur Twitter ressemblent de plus en plus à des gangs rivaux s'affrontant dans les quartiers mal famés.

« Nul ne ment autant qu'un homme indigné » disait Nietzsche. Mensonge, sexisme, racisme, injure, haine, homophobie, menace, violence, apologie du terrorisme : tout un pan d'internet est devenu un dépotoir.

Ce qui est dramatique, ce sont les conséquences sur la vie des victimes du harcèlement, du revenge porn, des vengeances, des dénonciations, des menaces de mort, obligés de quitter leur école ou leur ville, de voir leur réputation détruite, ou de vivre sous protection policière, comme Sonia Mabrouk.

L'affaire Mila, médiatisée dans toute son horreur, a permis à la France entière de prendre conscience du fléau et de l'urgence de l'endiguer. L'assassinat de Samuel Paty a été en grande partie dû aux torrents d'injure des fanatiques sur les réseaux sociaux.

Il est urgent de voter des lois enfin efficaces. Cela ne sera pas facile : les plateformes luttent pied à pied contre les régulations. Un ancien ingénieur de Twitter a expliqué que la polarisation de notre société faisait partie du modèle économique des plateformes, puisque pour chaque mot d'indignation, le taux de retweet augmente de 17 %.

La raison de la passivité des plateformes, c'est le pognon. Leur argument massue, c'est la liberté d'expression, et malheureusement, ça marche.

La loi Avia, ce n'était pas la privatisation de la censure. Celle-ci existe : ce sont les milliers d'internautes qui ne s'expriment plus sur les réseaux sociaux. C'est là qu'est le scandale.

La liberté d'expression, ce n'est pas la haine, les attaques, les menaces. C'est empêcher les autres de s'exprimer. Or on défend les agresseurs.

Pourquoi ne pas interdire aux plateformes ce que l'on interdit à la presse depuis 1881 : publier des contenus haineux, diffamatoires ou injurieux ? Elles ont les mêmes responsabilités. Il n'y a pas de raison que l'on puisse lire sur la toile ce que l'on ne verrait pas dans un journal.

J'étais heureux de lire que Thierry Breton, qui prépare le Digital Services Act européen, considère que ce qui est illégal offline doit être illégal online.

Le projet de loi du garde des Sceaux est une bonne idée mais la réponse doit être européenne, comme l'a montré le RGPD. Le Digital Services Act doit marcher sur ses deux jambes : une obligation de moyens et une obligation de résultats. Les opérateurs nous disent que c'est trop cher. Quelle indécence de la part des compagnies les plus riches du monde !

Le combat sera difficile mais il y va de la sécurité des victimes et de la stabilité de nos démocraties.

Barack Obama le disait il y a quelques jours dans une interview à The Altantic : « Internet et les réseaux sociaux sont devenus l'une des plus grandes menaces contre la démocratie. »

On ne peut pas se contenter de demi-mesures. Jean Castex s'y est engagé il y a quelques jours. Monsieur le ministre, cela figure aussi sur votre blog. La promesse doit être tenue. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques .  - Ce sujet nous a déjà beaucoup occupés lors de l'examen de la proposition de loi Avia. Ce qui est en jeu, c'est la pertinence de l'action de l'État, dont l'une des missions principales est de protéger les citoyens.

Théoriquement, ce qui est interdit hors ligne est interdit en ligne, mais, compte tenu des spécificités de l'internet, ce n'est pas le cas.

Bien sûr, la régulation des grandes plateformes est centrale, mais aucune démocratie n'est capable de contrôler efficacement ce qui se passe en ligne en raison de la viralité, de la massification et de la persistance propres à internet.

Combien d'infractions en ligne par jour en France ? Probablement plusieurs dizaines de milliers. Cela se passe en quasi-impunité, en raison de problèmes d'identification et de remontée. Comment pourrions-nous juger rapidement et efficacement tous les contrevenants ? Même si le contenu a été retiré, l'auteur ne risque rien.

La chaîne police-justice-sanction est fondamentale mais reste problématique. Nous progresserons dans le retrait de contenus haineux mais nous arriverons à un paradoxe ontologique intéressant. Les contenus terroristes, facilement détectables, seront supprimés. Mais les contenus gris, comme des menaces contenant des fautes d'orthographe, resteront en ligne et seront les seuls à faire l'objet de plaintes et de sanctions pour leurs auteurs.

Je discute actuellement avec Gérald Darmanin et Éric Dupont-Moretti pour avancer sur ces sujets, notamment la plainte en ligne.

Les plateformes créent des effets de silo. Plus vous êtes complotiste, plus vous visionnez des contenus complotistes. Des obligations adaptées doivent donc être appliquées. Mais les boucles privées WhatsApp relèvent de la correspondance privée. Personne n'a jamais demandé à la Poste d'ouvrir les lettres pour les vérifier. Ce sujet délicat devra également être examiné, notamment au niveau européen qui est le bon niveau de la régulation.

Nous devons imposer aux plateformes des obligations de moyens pour qu'elles appliquent le bon niveau de modération. C'est le sens du texte qui sera présenté début décembre par Margrethe Vestager Hansen et Thierry Breton, sur lequel la France et l'Allemagne ont été très actives.

Tous les pays européens n'ont pas la même conception mais je pense que nous pourrons trouver un accord sur une obligation de moyens.

Nous sommes parfois sur une ligne de crête au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C'est un enjeu majeur pour les démocraties. Ne nous trompons pas : si nous ne sommes pas capables de réguler efficacement internet et de protéger nos citoyens, ils risquent de voter pour des solutions plus radicales. (Applaudissements sur certaines travées du groupe INDEP)

Débat interactif

Mme Nathalie Goulet .  - Oui, la réponse doit être la même en ligne ou hors ligne. Mais le temps presse. La chasse en meute provoquent des actes d'une violence inouïe. Réguler, c'est bien, interdire ou supprimer des contenus, c'est bien aussi, mais il existe des entités identifiées comme porteurs de la haine, comme les Frères musulmans, Islamic Relief, l'application Euro Fatwa.

Je sais qu'interdire internet c'est comme essayer d'arrêter le vent... Mais certains chassent en meute avec des propos antisémites. Ne pourrait-on pas les surveiller ab initio ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Au-delà de la violence dans notre société et de la dérive liée à l'anonymat sur internet, la démocratie a du mal à gérer la question des professionnels de la haine. Alain Soral ou Démocratie Participative sont des spécialistes de ce qui est légal ou illégal en matière de liberté d'expression. La plupart de leurs déclarations sont parfaitement légales.

Sur le radicalisme musulman, des décisions ont été prises dernièrement par le ministre de l'Intérieur. Ce n'est pas un sujet numérique.

Mme Nathalie Goulet.  - Il n'y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté, qu'ils soient de droite, de gauche, suprémacistes blancs ou islamistes radicaux.

Il faut agir ; le texte sur les séparatismes va arriver. Les collectes de fonds en ligne pour financer des actes violents ou antisémites doivent être traquées : 60 milliards de livres sterling pour Islamic Relief ! Nous jouons au football avec les règles du basket. Il faut faire plus et mieux.

M. Jérôme Durain .  - Les réseaux sociaux, ce sont Twitter, Facebook, Snapchat, TikTok mais il y a aussi les plateformes de diffusion de vidéos comme YouTube et Twitch sur lesquelles on trouve le meilleur comme le pire. Il y a peut-être un angle mort.

Quelle est la politique du Gouvernement sur ces plateformes ? Certains éditeurs de jeux vidéo comme Nintendo interdisent toute discussion directe entre joueurs, d'autres laissent tout passer. C'est un sujet de jeunesse que nous devons considérer.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Le Digital Service Act est dans la lignée de la deuxième partie de la loi Avia qui n'a pas été censurée au fond par le Conseil constitutionnel. Il ne se limite pas aux réseaux sociaux mais concerne tout site diffusant des contenus. C'est un texte transversal, sans angle mort.

Je suis convaincu que la peur du gendarme est cruciale. Il faut retirer les contenus mais pas seulement : les gens ne fraudent pas dans le métro car ils ont peur d'être attrapés. Cette peur n'existe pas sur internet. La solution n'est pas simple. Comment susciter cette peur ?

M. Jérôme Durain.  - Je ne suis pas tout à fait d'accord sur la peur du gendarme. Il y a aussi, avec ces jeunes, une question d'éducation, d'acculturation, de codes... Nous ne parlons pas toujours la même langue. Il faut le gendarme, mais aussi l'instituteur, l'enseignant, le philosophe.

M. Christophe-André Frassa .  - Il faut lutter contre la haine sur internet comme dans l'espace physique. Ce n'est pas tant aux plateformes qu'il faut s'en prendre qu'aux auteurs de contenus.

Or les moyens ne sont pas là. Les services d'enquête ne sont pas nombreux. Comment se fait-il que la plateforme Pharos, dont l'actualité nous a douloureusement rappelé l'existence, soit à ce point sous-dotée ?

La régulation est aussi trop centralisée à Paris. Comment bien lutter contre les contenus antisémites et homophobes quand nous n'y arrivons pas contre le terrorisme ? Nous avons fait des propositions d'assignation de moyens autour d'un régulateur mais le Conseil Constitutionnel a eu raison de la proposition de loi Avia.

Au-delà de l'incrimination pénale proposée, que proposez-vous dans le futur texte sur les séparatismes pour lutter contre la haine en ligne ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - L'obligation de moyens est au coeur de la proposition européenne de Digital Services Act. Nous pourrions la traduire par anticipation dans le projet de loi sur les séparatismes, compte tenu de l'urgence.

Le crime de Conflans-Sainte-Honorine n'aurait pas été empêché par une meilleure régulation car les actions du père de l'élève n'étaient pas illégales. Pharos a vu ses moyens renforcés, les parquets ont été spécialisés. La plainte en ligne sera mise en place l'an prochain.

M. Christophe-André Frassa.  - Les deux doivent aller de pair. Les moyens de Pharos et du CSA doivent être renforcés. Et les services ne doivent pas être concentrés à Paris.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Comme il existe un bon usage du monde, il doit y avoir un bon usage de la liberté d'expression. Elle est précieuse mais ne doit pas être absolue.

Les premiers à responsabiliser sont les usagers. Les plateformes sont des espaces régis par des acteurs privés, avec un business model et leur propre vision de la liberté d'expression, nous l'avons vu lors de la censure du tableau L'Origine du monde par puritanisme américain.

Les abus doivent être punis. À titre préventif, ne serait-il pas judicieux de n'autoriser l'accès aux réseaux qu'après vérification de l'identité de l'usager ? Des dispositifs existent pour les hooligans, les personnes accros au jeu : pourquoi ne pas les transposer afin de responsabiliser les individus qui ne doivent pas être des chauffards sur les autoroutes de l'information ? Il ne s'agirait pas d'empêcher le pseudonymat mais d'interdire l'anonymat.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - À plusieurs reprises, je me suis prononcé contre l'obligation d'identification sur internet : je suis favorable au pseudonymat. Je ne suis pas enthousiaste à l'idée que chacun donne sa vraie identité aux réseaux sociaux. Cela pose un problème de vie privée. Il est en outre illusoire d'imaginer que c'est constitutionnellement faisable.

C'est tout aussi impossible d'un point de vue technique : en deux secondes, je géolocalise mon téléphone en Allemagne, où l'identification n'est pas obligatoire, et je peux vous insulter.

On sait retrouver les contrevenants, qui ne sont pas anonymes à 99 % mais sous pseudonyme, mais on peine à gérer la massification et la viralité. Il faut être efficace dans la chaîne police-justice.

M. Thomas Dossus .  - Ce sujet est capital, comme le montre la nouvelle campagne contre la jeune Mila.

Comment est-on passé de l'internet émancipateur à une oppression organisée et au harcèlement de masse ? On doit s'interroger sur le mécanisme économique. À qui profite la haine ?

Si la loi doit être la même en ligne et hors ligne, on doit s'interroger sur la massification. Les plateformes se concurrencent pour capter notre attention et enferment leurs utilisateurs dans des réseaux de plus en plus polarisés. Leur modèle économique favorise les discours choquants.

Il faut lutter contre ce phénomène, mais aussi réguler les algorithmes qui accélèrent une viralité provoquant des drames. Doit-on exiger leur transparence ? Que fait l'Union européenne et quelle est la contribution de la France ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Nous avons travaillé avec les Pays-Bas et l'Allemagne pour pousser à la régulation et à la transparence des grandes plateformes avec le Digital Services Act.

Le premier élément est la transparence. Moi qui suis secrétaire d'État au numérique, je ne sais pas de combien de modérateurs en langue française dispose Twitter par exemple ni quels sont leurs algorithmes. Facebook est un peu plus transparent, mais je ne peux pas vérifier les dires. C'est un problème démocratique.

Je crois beaucoup à l'éducation et à la formation. Un Français sur six n'utilise jamais un ordinateur, un Français sur trois manque de compétences numériques de base. C'est pourquoi nous allons déployer 4 000 conseillers numériques.

Il faut éduquer les Français à la haine en ligne et aux réseaux sociaux notamment.

M. Thomas Dossus.  - Si nous souhaitons réguler, il faudra exiger l'ouverture des boîtes noires que sont les algorithmes. (Applaudissements sur les travées du GEST. M. David Assouline applaudit également.)

M. Julien Bargeton .  - Merci à M. Malhuret et à son groupe pour ce débat.

Les conditions de vie de Mila, que nous devons tous protéger, montrent que la menace n'est pas seulement en puissance mais a des conséquences concrètes.

La tâche est complexe compte tenu des particularités juridiques et techniques d'internet et de la dichotomie entre éditeur et hébergeur. Il s'agit d'adapter la législation à l'espace numérique.

La Commission européenne va prochainement présenter son Digital Services Act et la France a fait une déclaration avec l'Autriche. Nous devons renforcer la diligence et les obligations de moyens des plateformes. La transparence des algorithmes est nécessaire.

Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment réguler les plateformes sans leur abandonner la gestion du lien social, notre bien le plus précieux ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je comparerai le numérique et la banque. Notre banque n'est pas responsable d'un virement frauduleux mais doit se doter des moyens de les détecter efficacement et de les signaler aux autorités.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont chargées de ce contrôle interne, lui-même contrôlé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de la résolution (ACPR), qui n'a que 800 à 1 000 contrôleurs. L'ACPR contrôle les contrôleurs. Nous voulons appliquer la même logique aux réseaux sociaux. Si les moyens ne sont pas au rendez-vous, l'opérateur doit être sanctionné.

M. Éric Gold .  - L'élection présidentielle américaine illustre les fractures des démocraties et les défis auxquels elles sont confrontées. Ces défis concernent aussi l'Europe.

Les réseaux sociaux sont un vecteur de ces discours mensongers, complotistes et cyniques favorisés par l'anonymat, qui donne un fort sentiment d'impunité. Les paysans seraient des assassins qui nous empoisonnent, les migrants des terroristes... Aucune loi n'empêchera jamais les discussions de comptoir sur internet. Seule l'éducation et la formation seront vraiment efficaces.

Il faut lutter contre l'illectronisme et réguler les plateformes. N'oublions pas leur responsabilité. Comment l'État peut-il renforcer leur rôle de modérateur ? En investissant dans l'intelligence artificielle ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - La question de la compétence et des capacités de l'État est centrale. Les développeurs des GAFA sont les meilleurs du monde et sont très bien rémunérés.

L'État se dote de moyens humains, mais ses capacités sont limitées. Nous avons créé un pôle d'expertise de la régulation, d'une dizaine de personnes, qui sera au service des administrations. Ces compétences sont rares et chères, nous essayons de les mutualiser entre acteurs publics.

M. Éric Gold.  - Le rôle du modérateur est souvent de mettre les contenus sous le tapis, sans action contre leurs auteurs. L'intelligence artificielle doit permettre de connaître la source de ces discours.

Je me réjouis de la création de ce pôle d'expertise.

M. Jérémy Bacchi .  - Le sordide assassinat de Samuel Paty a rappelé la nécessité de réguler les discours de haine en ligne. Mais les outils ne sauraient être les mêmes que pour d'autres supports, compte tenu des spécificités d'internet et de son modèle économique qui favorise la viralité.

Le groupe CRCE souhaite imposer l'interopérabilité pour que les victimes puissent se réfugier sur d'autres plateformes sans perdre leurs contacts. Qu'en pensez-vous ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - J'ai discuté de ce sujet avec votre collègue Pierre Ouzoulias. Sans esprit polémique, je pense que l'interopérabilité est une solution pour accroître la concurrence, mais pas pour lutter contre la haine en ligne. Cela reviendrait à permettre à une victime de quitter un réseau pour un autre, sans sanctionner les auteurs. Or ceux-ci risquent de la suivre sur l'autre réseau. Ce ne peut être la réponse de l'État.

M. Jérémy Bacchi.  - Ce n'est pas l'unique moyen de lutter, mais c'est une aide aux victimes.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - En ligne ou hors ligne, la réponse doit être la même. Encore faut-il des moyens. La justice ne peut s'appuyer que sur trois magistrats spécialisés dans ce domaine !

Je ne suis pas surprise de la censure du Conseil constitutionnel sur la loi Avia. Le Sénat l'avait prédite.

La multiplication des appels à la haine et leur viralité imposent une réponse afin de défendre notre souveraineté.

L'influence des algorithmes sur la radicalisation n'est pas nouvelle. Le scandale Cambridge Analytica avait montré la vulnérabilité des démocraties vis-à-vis des GAFAM. Dans son ouvrage L'âge du capitalisme de surveillance, l'universitaire américaine Shoshana Zuboff met en avant le détournement de notre attention.

Avec le Digital Service Act, l'Union Européenne, je l'espère, aboutira à une responsabilité véritable des plateformes.

Face à ces oligopoles, allez-vous aider au développement d'acteurs européens conformes à nos valeurs ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - J'ai eu l'occasion de discuter plusieurs heures avec Shoshana Zuboff cet été. Le fond du sujet, c'est la puissance de certaines grandes plateformes, liée à la gratuité auxquelles, en tant que consommateurs, nous sommes addicts, et à leur connaissance extrêmement fine de la personnalité de chacun d'entre nous. Ce problème est extrêmement compliqué. Aucune démocratie n'a trouvé la solution. L'Europe va mettre en place une régulation innovante pour limiter l'empreinte oligopolistique de ces acteurs.

Il est effectivement nécessaire de développer des champions nationaux et européens. En France, les investissements dans les start-up ont ainsi doublé en deux ans. L'écosystème français est de taille supérieure à l'écosystème allemand.

Mme Catherine Morin-Desailly. - J'ai été surprise de votre complaisance vis-à-vis des géants du numérique, alors que les Américains envisagent de les démanteler, tout comme Thierry Breton qui s'est fait attaquer par Google.

M. David Assouline .  - Monsieur le ministre, vous nous avez décrit l'énormité du phénomène et conclu qu'il n'était pas possible de le contrôler. Vous dites que c'est une question d'équilibre entre sanction et préservation de la liberté d'expression.

Internet est un reflet et un accélérateur de la haine dans notre société. Sur une chaîne régulée par le CSA, on peut entendre M. Zemmour proférer la haine tous les soirs, ce qui fait monter l'audimat.

M. François Bonhomme.  - Cela n'a rien à voir !

M. David Assouline.  - Il faut créer des consensus contre la haine et ceux qui en font commerce. Qu'en pensez-vous ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - J'essaie de répondre de manière claire et honnête, compte tenu de la complexité du sujet.

Je n'ai pas dit que nous ne pouvions rien faire mais que nous étions confrontés à des difficultés techniques et que nous devions envisager des solutions nouvelles pour être efficaces. Nous n'y sommes pas.

Vos questions relèvent plus du droit de la presse et de la loi de 1881. Comment distinguer ce qui relève du journalisme de ce qui n'en relève pas ? Ce sont des sujets sensibles qui vont au-delà du champ des plateformes.

M. David Assouline. - Il faut des moyens, pour Pharos comme pour la justice. Trois magistrats seulement pour la cybercriminalité, ce n'est pas possible ! (Le ministre le conteste.) Appliquons toute la loi, rien que la loi, sur le numérique !

M. François Bonhomme.  - Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

Mme Laure Darcos .  - Les réseaux sociaux sont un formidable moyen de communication, mais il faut les dénoncer lorsqu'ils véhiculent les thèses les plus abjectes.

Tous les jours, des utilisateurs sont victimes d'un harcèlement devenu ordinaire. Le meurtre ignoble de Samuel Paty doit nous alerter.

Une prise de conscience et une action collective à l'échelle européenne sont nécessaires, comme le dit mon ami Geoffroy Didier, député au Parlement européen.

La fin de l'anonymat complet sur internet ne doit pas être taboue. Obligeons les utilisateurs à scanner une pièce d'identité à l'ouverture de leur compte ou les réseaux sociaux à afficher sur leur page d'accueil le lien vers le site de pré-plainte. Faisons évoluer la nature juridique des plateformes, qui ne doivent plus s'abriter derrière leur statut d'hébergeur pour s'exonérer de toute responsabilité.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêts à vous engager sur ces mesures de bon sens, avec vos partenaires européens ? Il faut protéger les victimes et mettre un terme aux dérives d'internet.

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je fais une petite démonstration. (M. le ministre sort son téléphone portable) Une petite application gratuite, un VPN, me permet de me localiser en Allemagne - cela m'a pris trois secondes. Or l'Allemagne ne demande pas l'identification sur Facebook.

Mme Laure Darcos. - C'est pourquoi il faut agir au plan européen !

M. Cédric O, secrétaire d'État. - L'Union européenne ne demandera jamais l'identification obligatoire.

M. François Bonhomme. - Quel constat d'impuissance.

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Inutile de se battre avec nos partenaires, avec la CNIL - cela n'aboutira pas. Ceux qui voudront contrevenir le feront.

La plupart du temps, on sait retrouver les gens ! Le fond du sujet, c'est de savoir traiter la massification, la viralité. Pharos, c'est quarante personnes, pas trois.

M. David Assouline. - On parlait de la justice, pas de Pharos !

M. Cédric O, secrétaire d'État. - C'est bien plus que trois personnes.

Quand la police interpelle une personne qui a publié des contenus haineux sur internet, elle provoque l'incompréhension : les personnes ne comprennent pas que certaines choses sont interdites sur internet !

Mme la présidente. - Vous avez dépassé votre temps de parole, monsieur le ministre.

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Le fond du sujet, c'est la chaîne police-justice, pas seulement la question des moyens.

M. François Bonhomme. - Ce n'est pas gagné...

M. Franck Montaugé .  - Le projet de loi confortant les principes républicains va donc reprendre la loi Avia. Je m'interroge : vous voulez agir sans attendre la première copie qui sera présentée par la Commission européenne le 9 décembre, mais sur l'encadrement économique qui est au coeur du modèle numérique, vous vous opposez au Sénat. Pourquoi cette volte-face ?

Vous comptez réintroduire les dispositions de la loi Avia par amendement. C'est se priver d'un réexamen par le Conseil d'État... Reprendrez-vous les apports du Sénat ? Les plateformes doivent proportionner leurs actions aux risques encourus. Réduire la visibilité et la viralité d'un contenu peut être une réponse tout aussi pertinente.

Enfin, le texte européen sur le retrait de contenus terroristes semble enlisé. Pensez-vous légiférer sur ce point à cette occasion ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - La proposition de loi Primas pose un problème de timing. Nous sommes d'accord sur le fond mais attendons le projet européen début décembre, en espérant qu'il s'agira d'un règlement d'application directe.

Nous attendons le Digital Services Act sur les contenus haineux avant d'introduire les dispositions de la loi Avia dans le texte par amendement. Nous espérons avoir tout de même le temps de saisir le Conseil d'État, mais sommes tenus par le calendrier européen. Cela dit, je rappelle que sur la loi Avia, le Conseil d'État a été déjugé par le Conseil constitutionnel.

M. Franck Montaugé. - Je partage votre souhait d'agir vite et efficacement. Cela passe par la responsabilisation des plateformes, qui doivent évoluer vers un statut d'éditeur.

Les réseaux sociaux ont profondément affecté notre vie sociale et démocratique. Je souhaite que la lutte contre la haine en ligne renforce notre pacte républicain, fragilisé.

M. Jean-Pierre Grand .  - Les contenus haineux sur internet visent de plus en plus les forces de l'ordre. Les images diffusées sur les réseaux sociaux rendent ces agents facilement identifiables, les transformant, ainsi que leurs familles, en cibles potentielles.

La liberté de l'information prime alors sur le droit à l'image et le respect de la vie privée. Aucune contrainte légale ne permet aux policiers d'obtenir le floutage de leur visage, gage de leur efficacité et de leur sécurité.

Je suis intervenu à plusieurs reprises sur ce sujet qui me tient à coeur. Le projet de loi en cours d'examen à l'Assemblée nationale comporte un article 24, particulièrement commenté, qui prévoit enfin les mesures tant attendues par les forces de l'ordre, permettant de sanctionner la diffusion de leur image dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique.

Le Gouvernement va-t-il tenir le coup et inscrire rapidement ce texte à l'ordre du jour du Sénat, dès janvier ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je ne connais pas la date d'inscription à l'ordre du jour du Sénat, mais je vous confirme que si le Gouvernement défend un texte sur un sujet aussi important, c'est avec la volonté d'aller au bout.

Une partie des problèmes sur internet tient à ce que certains jouent avec les règles existantes. Certains ont souligné que la divulgation de l'identité d'une personne était déjà sanctionnée. Mais ce n'est pas la même chose de hacker la base de données d'une entreprise ou de révéler l'adresse d'un policier et l'école de ses enfants, avec l'intention de lui nuire ! Le débat porte sur la question de l'intentionnalité. Je comprends les réticences de certaines, et les invite à proposer d'autres solutions.

M. Marc Laménie .  - Je remercie le groupe INDEP d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce sujet de société.

N'étant pas sur les réseaux sociaux, ne possédant qu'un tout petit téléphone portable, je témoigne avec une autre vision des choses... (Sourires)

Je pense aux forces de sécurité mais aussi aux personnes fragiles, notamment les jeunes, que nous évoquons souvent à la Délégation aux droits des femmes. Comment les protéger ? Cela ne passe-t-il pas par une meilleure sensibilisation, au niveau de l'Éducation nationale ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Vous êtes au coeur du sujet. De très nombreux Français qui ne sont pas adeptes des réseaux sociaux se demandent comment on a pu arriver à cette folie.

Il faut accepter qu'il n'y ait pas de solution simple.

Une partie de la population ne comprend plus le monde dans lequel nous vivons. Oui, il faut mettre l'accent sur l'éducation. La France est le premier pays de l'OCDE à avoir généralisé la formation au code et à l'environnement numérique, à raison d'1h30 par semaine en seconde.

Nous déployons 4 000 médiateurs numériques, financés à 100 % sur sept ans ou 70 % sur trois ans : faites le savoir aux communes, dont nous attendons les candidatures.

La formation au numérique ne s'adresse pas qu'aux personnes âgées. De nombreux jeunes maîtrisent très bien leur téléphone mais sont incapables de rédiger un CV sur Pôle emploi... (M. François Bonhomme s'exclame.)

M. Marc Laménie. - Monsieur le Ministre, je sais votre compétence sur ces sujets. N'oublions pas toutefois de privilégier les fondamentaux que sont la lecture et l'écriture.

Mme Brigitte Lherbier .  - Si les divergences d'opinions sont essentielles à la démocratie, les discours de haine et les appels à la violence doivent être sanctionnés. Certains ici en ont été la cible.

L'association Point de Contact, créée par le général Marc Watin-Agouard, fondateur du Forum International de la cybersécurité, signale à Pharos les contenus illicites, repérés et triés, pour que les autorités engagent d'éventuelles poursuites.

Ses membres sont exposés à la haine et à la violence qui se déchaînent sans filtre, à des images parfois insoutenables. Les employés sont d'ailleurs suivis par des psychologues.

Les professionnels de la modération de contenu demandent que leur profession soit reconnue par la médecine du travail comme étant particulièrement pénible. Monsieur le ministre, qu'en pensez-vous ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Cette association fait partie du groupe du groupe de contact permanent qui associe le ministère de l'Intérieur, les plateformes et nombre d'associations et d'ONG. Nous parlons bien d'un sujet de société, et nous avons besoin de tout le monde : associations, éducateurs, policiers, professeurs, juges, médias...

Les modérateurs font un travail extrêmement pénible. Je l'ai vécu, à mon humble niveau, lors des attentats au Niger et lors de l'assassinat de Samuel Paty. Voir de telles images n'est pas facile - et ce n'était qu'une fois dans ma journée. Les modérateurs, eux, vident les poubelles de l'internet tous les jours. Je ne saurais vous répondre sur le cadre juridique de la profession, mais la difficulté de ce travail est indéniable.

Mme Brigitte Lherbier. - Je souhaitais mettre en avant ces associations.

M. Guillaume Chevrollier .  - Hors ligne ou en ligne, la loi doit être la même dans un monde complexe.

La liberté d'expression, garantie par la Constitution, recule partout en France. Nous devons la protéger, ce n'est pas négociable. Mais il y a aussi d'autres valeurs : le respect, la décence, le bien commun. Nous devons refuser la banalisation de la violence, décuplée par les réseaux sociaux.

Pourquoi cette explosion ? Il y a un problème d'éducation et un problème moral. La liberté d'expression, ce n'est pas la calomnie et l'injure, sources de violence, mais la contradiction, le débat et la recherche de la vérité.

Régis Debray, après les attentats de 2015, écrivait : « le désert des valeurs fait sortir les couteaux ». Comment s'étonner de l'augmentation de la violence dans un monde relativiste où il n'y a pas une vérité mais des vérités ? Certains débats sont interdits. La solution ne réside pas dans la censure, et les Gafa n'ont pas à se faire la police de la pensée. On ne combat pas un adversaire en le bâillonnant mais avec des arguments. Il faudrait davantage de prévention et d'éducation à l'esprit critique, au débat respectueux.

Mme la présidente. - Votre question ?

M. Guillaume Chevrollier. - Comment créer les conditions d'un débat serein en France ?

M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je remercie le Sénat pour ce débat. Nous avons besoin de plus d'échanges de ce type, dans un cadre apaisé.

La désinformation et sa propagation sont rarement dans l'illégalité - voyez le film Hold-Up, malgré son impact désastreux sur notre débat public, notre démocratie et sur la sécurité sanitaire.

Il y a un travail d'éducation à l'esprit critique. Ce n'est pas en disant que c'est faux et en proclamant la vérité, mais en éduquant les gens, que nous combattrons la désinformation, comme le dit le sociologue Gérald Bronner. C'est un travail de long terme, mais la seule solution pérenne. Jean-Michel Blanquer est conscient de l'urgence.

M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Républicains-République et Territoires .  - Je remercie le Gouvernement et nos collègues pour leurs contributions.

Facebook en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006, Instagram, Snapchat, TikTok rencontrent un succès phénoménal, car ils répondent à des aspirations profondes : s'exprimer, communiquer, partager. Les réseaux sociaux ont bouleversé nos vies. Le JT de 20 heures est remplacé par un fil d'actualités, l'éditorial par un post, le coup de fil à un ami par des notifications et échanges de messages... On peut le regretter, mais nous ne reviendrons pas en arrière.

M. Julien Bargeton. - C'est juste.

M. Pierre-Jean Verzelen. - Si la majorité utilise les réseaux sociaux avec bienveillance, d'autres y déversent la haine, insultent l'intelligence collective. Sous couvert de la liberté d'expression, ils mettent en danger la vraie liberté, celle des idées, des arguments, qui mène au progrès. Ils nous mettent face à nos responsabilités sur le vivre ensemble.

Chaque Français doit, dans sa vie publique, prouver qui il est, assumer son identité, montrer son visage - sauf sur internet. Facebook et Twitter sont trop contents d'accumuler les profils. Finissons-en avec le pseudo-anonymat, l'irresponsabilité qui entraîne les débordements.

La presse, les médias sont responsables devant la loi des contenus qu'ils publient. Pourquoi pas les réseaux sociaux ? Les mêmes règles doivent s'appliquer à tous les éditeurs de contenu.

M. Emmanuel Capus. - Très bien !

M. Pierre-Jean Verzelen. - Les algorithmes de Google et Facebook peuvent connaître la marque de nos chaussures, les lieux que nous fréquentons et les personnes que nous croisons mais ils n'auraient pas les capacités de lutter contre les contenus haineux ? Menteurs, triples menteurs !

Les plateformes sont en réalité obsédées par le nombre de leurs utilisateurs, leur cours en bourse et l'évasion fiscale.

Certains pays européens agissent, avec succès. Un pas avait été fait en France avec la loi Avia, censurée par le Conseil Constitutionnel.

Le législateur, le Gouvernement, l'Europe, doivent mettre les réseaux sociaux devant leurs responsabilités ; le Conseil Constitutionnel doit entendre qu'au nom d'une fausse liberté, on laisse une minorité prendre le pas sur la majorité. On ne doit pas mettre en cause les fondements de la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains)

Échec en CMP

Mme la présidente. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

La séance est suspendue à midi et demi.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 14 h 30.

Projet de loi de finances pour 2021(Première partie)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics .  - (Mme Nathalie Goulet applaudit.) J'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, un PLF particulier, voire exceptionnel.

Même si les chiffres de l'épidémie semblent s'améliorer, la crise sanitaire se double d'une crise économique et sociale. Nous devons faire preuve d'unité et de responsabilité. Le Parlement l'a fait depuis plusieurs mois dans les précédents projets de loi de finances rectificative (PLFR) et l'accord en CMP autour du quatrième PLFR confirme la réponse massive du Gouvernement à la crise : près de 86 milliards d'euros de dépenses, notamment avec les prêts garantis par l'État (PGE) dont les délais de souscription et de rechargement ont été revus, et les conditions de remboursement renégociées avec la Fédération française des banques (FFB).

Le chômage partiel a bénéficié à pas moins de 12 millions de personnes ; le fonds de solidarité concerne désormais les entreprises jusqu'à 50 salariés. Les reports de charges représentent une trentaine de milliards d'euros, et les exonérations de charges plus de 8 milliards d'euros avec le second confinement.

Pour répondre à la seconde vague de l'épidémie, M. Bruno Le Maire a décidé d'ajouter un crédit d'impôt pour les bailleurs, adopté à l'Assemblée nationale.

Le PLF pour 2021 doit permettre au Gouvernement de sortir ce pays de la crise, mais aussi de tenir ses engagements et de financer ses priorités, tout en intégrant dans les prévisions les dernières évolutions de la pandémie, dans le souci de la sincérisation budgétaire.

Le PLF pour 2021 porte le plan de relance à 100 milliards d'euros, dont 14 milliards apportés par BPIFrance, la sécurité sociale et l'Unedic. Sur les 86 milliards financés par l'État, 20 milliards d'euros vont à la baisse des impôts de production qui seront intégralement compensés aux collectivités locales -  je pense à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la contribution financière des entreprises (CFE) et la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).

À cela s'ajoutent 66 milliards d'euros de crédits budgétaires, dont 11 milliards d'euros sont inscrits dans le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA).

Quelque 16,5 milliards d'euros figurent en seconde partie sur des missions autres que « Plan de relance ». Les crédits d'insertion par l'activité économique sont inscrits dans la mission « Solidarité». Le Parlement a déjà adopté une partie de ces crédits, dont la tranche supplémentaire de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), dans le PLFR3.

Enfin, 36,4 milliards d'euros sont inscrits en autorisations d'engagement dans la mission « Relance », sur les trois programmes « Écologie et transition énergétique» pour 18 milliards d'euros, « Cohésion sociale et territoriale » pour 12 milliards et « Compétitivité » pour 6 milliards d'euros. Ainsi, la fongibilité sera possible au sein de chacun, en fonction du retard ou du progrès rapide des projets.

Certains pensent qu'il faudrait reporter le plan de relance - parfois ce sont les même qui le trouvaient trop tardif... Ce n'est en tout cas pas notre analyse.

Le plan doit être mis en oeuvre rapidement, et 50 % des décaissements sont ainsi prévus avant fin 2021 : une dizaine de milliards au titre de 2020 et une quarantaine au titre de 2021.

Ce budget permet également au Gouvernement de tenir ses engagements. Les ministères régaliens voient leurs crédits augmenter, de 430 millions d'euros pour l'Intérieur, 1,7 milliard d'euros pour les Armées et 610 millions d'euros pour la Justice - ce qui est une augmentation inédite de 8 %.

Mme Nathalie Goulet.  - Bien !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Le ministère de la Transition écologique verra ses crédits augmenter de 1 milliard d'euros et le ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur de 500 millions d'euros : 100 pour la vie étudiante et 400 pour la mise en oeuvre de la première tranche de la loi de programmation pour la recherche (LPPR).

Nous poursuivons d'autres priorités : une hausse de 150 millions d'euros pour la Culture, de 40 millions d'euros pour l'Égalité entre les femmes et les hommes.

Si ce PLF est adopté, fin 2021 les prélèvements obligatoires auront baissé de 45 milliards d'euros entre 2018 et fin 2021, moitié pour les ménages, moitié pour les entreprises, en incluant la baisse des impôts de production.

Les 20 % de foyers qui paient encore intégralement la taxe d'habitation bénéficieront en 2021 d'une première diminution, tandis que 80 % ont été exonérés dès cet automne.

En matière de sincérité et de lisibilité, depuis 2018, nous avons adopté un niveau de réserve de précaution à 3 % contre 8 % auparavant, soit 4 % sur les lignes budgétaires et 0,5 % pour les dépenses non pilotables, allocations logement, allocation adulte handicapé et autres dépenses sociales.

Nous poursuivrons deux chantiers : la suppression des petites taxes, avec un coût de suppression plus élevé en 2021, et la modernisation du recouvrement.

Les réformes structurelles se poursuivent. Le PLF porte la contemporanéïsation des aides personnalisées au logement, initie la réforme de la facturation électronique - laquelle sera obligatoire en 2023 pour mieux lutter contre la fraude, en particulier les carrousels à la TVA.

Mme Nathalie Goulet.  - Absolument !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Le rebond épidémiologique nous a poussés à revoir nos hypothèses : nous tablons sur une récession en 2020 non plus de 10 mais de 11 %, un déficit public porté de 10,2 à 11,3 %, une dette portée de 117,5 % à 119,8 % du PIB.

Ces chiffres sont prudents, l'Insee et la Banque de France tablant sur une récession située entre 9,5 et 10 % du PIB. Le Haut Conseil des finances publiques a jugé nos hypothèses plausibles.

Nous devons réviser des sous-jacents comme nous l'avons fait à l'article liminaire du PLFSS ; je vous proposerai un amendement similaire ici.

Le texte initial a évolué depuis sa présentation à votre commission des finances. L'Assemblée nationale l'a enrichi de 400 amendements : maintien pour les non-résidents de la retenue à la source partiellement libératoire, relèvement du plafond de chiffre d'affaires pour l'application du taux réduit d'impôt sur les PME, neutralisation des incidences de la crise covid sur la fraction de TVA versée aux collectivités, abondement de 60 millions d'euros du fonds de soutien aux départements, maintien de la méthode de revalorisation des bases des locaux industriels, mise en oeuvre du protocole d'accord avec les chambres de commerce et d'industrie (CCI) sur la taxe additionnelle de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Concernant la deuxième partie, l'Assemblée nationale a notamment mis fin à la sur-rentabilité des contrats voltaïques, prolongé les PGE, rénové la péréquation régionale, modifié les critères d'attribution du fonds de stabilisation pour les départements ou encore, facilité la mise en oeuvre du plan de relance. Le malus CO2 a été complété, le Pinel et le prêt à taux zéro (PTZ) ont été rendus plus justes.

Le solde budgétaire s'est dégradé de 344 millions d'euros pour s'établir à un déficit de 154,1 milliards d'euros, exceptionnellement élevé.

Les crédits de la mission « Urgence » seront ouverts en deuxième lecture, pour tenir compte de l'actualisation au fil de l'eau des hypothèses macroéconomiques. Nous aurons alors plus de visibilité sur la sortie du confinement.

Nous avons saisi le Haut Conseil des finances publiques de nos prévisions de croissance. Nous escomptions une reprise à 8 %, mais l'avons finalement chiffrée à 6 % par prudence, au vu de la dégradation de la situation sanitaire. Cette hypothèse aura des conséquences sur le déficit, fixé actuellement à 6,7 % mais qui devrait être revu à l'article liminaire.

L'année 2020 se termine dans des conditions dégradées ; l'année 2021 verra un déficit moins important, mais encore élevé ; il en ira pareillement du niveau d'endettement. Un groupe de travail gouvernemental se penchera sur les solutions : cantonnement de la dette, amélioration des procédures de décision budgétaire, perspectives pluriannuelles peut-être. Nous prendrons en compte les travaux du Parlement en la matière.

J'ai la conviction que nos échanges seront l'occasion d'améliorer encore ce PLF. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; Mme Nathalie Goulet et M. Yves Détraigne applaudissent également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) L'an dernier, à mi-mandat du Président de la République, mon prédécesseur pointait le manque d'effort du Gouvernement pour se ménager des marges de manoeuvre tant que les indicateurs étaient au vert, et ce afin de nous préparer à toute éventualité de crise. Hélas, nous y sommes.

Il y a quelques semaines encore, le PLF 2021 devait être celui de la relance, mais les priorités ont changé avec le reconfinement. Nous venons d'apprendre que le Gouvernement révise ses prévisions de croissance. Nous discutons donc d'un texte qui pourrait sous peu être totalement modifié.

Je regrette que vous envisagiez de retarder ces modifications en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, comme je regrette l'absence de Bruno Le Maire. C'est un manque de respect, une faute. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

L'économie française a bien résisté au premier confinement, grâce aux mesures de soutien aux ménages et dans une moindre mesure aux entreprises. Le rebond a été rapide. Le Gouvernement a annoncé début septembre un plan de relance indispensable, qui me semble bien calibré, avec 100 milliards d'euros - même si 15 milliards étaient déjà engagés et si la baisse des prélèvements obligatoires y est comptée deux fois.

Pour être efficace, un plan de relance doit être rapide, temporaire et avoir des effets multiplicateurs.

Or il est trop tardif ! Si le montant du plan allemand est comparable, ce dernier aura été engagé en quasi-totalité lorsque le plan français n'en sera qu'à la moitié.

Son effet sera modéré sur la croissance de 2021 et un cinquième du plan est fait de mesures permanentes qui pèseront durablement sur les comptes publics. Je regrette aussi que les plus fragiles soient oubliés, contrairement à ce qui s'est passé avec le plan Sarkozy en 2009.

Nous souhaitons plus de soutien aux fonds propres des entreprises, aux personnes dans la précarité et aux collectivités.

Malgré vos tentatives de déconcentration, ce plan est trop administré depuis Paris. Monsieur le ministre, appuyez-vous sur les élus locaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Le plan de relance a été remis en cause par le reconfinement. Désormais, le déficit atteindrait 8,6 % et la dette 122,3 % du PIB, alors que le Gouvernement tablait sur 6,7 % et 118,3 milliards d'euros respectivement.

Au-delà de l'évolution du court terme, ne perdons pas de vue l'état des finances publiques à moyen terme. Privilégions les mesures temporaires et puissantes pour cibler la sortie de crise. Le déficit structurel français devrait alors dépasser 5 % du PIB et il faudra réaliser 75 milliards d'euros d'économies pour revenir au niveau de 2019, encore trop élevé.

La France devra retrouver des marges de manoeuvre bancaire pour éviter une spirale récessionniste comme en Italie.

Le déficit de l'État serait de 153 milliards d'euros en 2021, en baisse par rapport à 2020. Les dépenses du projet de loi de finances seraient moins élevées qu'en 2020, et les recettes rebondiraient grâce à la croissance et au plan de relance européen.

La charge de la dette reste à un niveau historiquement bas, mais la dette atteint 2 000 milliards d'euros, conséquence de quarante-cinq ans de déficits accumulés. L'État se finance désormais autant par l'endettement que l'impôt. Si les taux remontent, cela sera insupportable.

Les recettes attendues sont très incertaines ; les transformations des impositions locales et l'attribution d'une fraction supplémentaire de TVA aux collectivités territoriales ne rendent pas la prévision aisée. Les dépenses de l'État, elles, augmentent fortement. Il ne reste plus rien de la réforme Action publique 2022 !

Les crises vont se renouveler tous les cinq à dix ans, avec un potentiel effet amplificateur. Nous devons nous adapter. La réponse à la crise environnementale exige des décisions courageuses, un véritable changement de paradigme de notre modèle de développement. Pour être acceptées, les politiques européennes doivent traiter la précarité économique, sociale et territoriale. Il est bien connu que les précaires consacrent une part plus importante de leurs revenus aux dépenses énergétiques, mais aussi à la fiscalité sur les produits énergétiques. Il faut aider les ménages à modifier leur comportement.

Le plan de relance ne comprend pas beaucoup de réformes d'ampleur en dehors de la baisse des impôts de production.

Si la commission de finances n'a pas remis celles-ci en cause, estimant que les entreprises ont besoin de moins de prélèvements obligatoires pour rester compétitives, elle attend une juste compensation pour les collectivités territoriales. Elle proposera ainsi une compensation de la baisse de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pour le bloc local et communal...

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - ...et elle s'opposera à la modification du mode de calcul de la fraction de TVA octroyée aux départements et EPCI en compensation des pertes de recettes sur la taxe d'habitation. Là où vous voyez un effet d'aubaine, monsieur le ministre, nous voyons un État qui revient sur sa parole.

Les assureurs doivent fournir une contribution exceptionnelle assise sur l'assurance dommages, en considération de la baisse de sinistralité constatée pendant le confinement. Nous entendons aussi appliquer une taxation exceptionnelle aux grandes plateformes de vente à distance, qui ont profité à plein de la fermeture des petits commerces.

Nous complétons le plan de relance par un report en arrière des déficits, par l'amélioration des régimes d'amortissement et de suramortissement. Nous diminuons l'impôt sur les sociétés pour les PME.

Nous voulons aussi soutenir les travailleurs indépendants, ainsi que les TPE, qui ont du mal à tenir la tête hors de l'eau depuis le second confinement. Repensez le fonds de solidarité pour couvrir leurs charges fixes.

Pensons aussi aux étudiants, aux jeunes peinant à rentrer sur le marché du travail. Nous prolongeons l'aide à l'embauche pour six mois, jusqu'à 1,6 Smic.

Évitons la fiscalité écolo-punitive, en étalant sur cinq ans la hausse du malus automobile tout en renforçant la prime à la conversion.

La commission des finances a fait passer d'un à deux ans la durée du nouveau crédit d'impôt pour les travaux énergétiques dans les bâtiments tertiaires des PME.

La commission des finances vous propose d'adopter ses amendements, en attendant de connaître ceux du Gouvernement, à venir dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.) Nous débutons l'examen du projet de loi de finances pour 2021, mais en réalité le marathon budgétaire a démarré en septembre. Le rapporteur général, les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis se sont mobilisés il y a déjà plusieurs semaines. Je salue leur engagement. (Applaudissements sur plusieurs travées au centre et à droite)

Ce budget de relance est marqué par des incertitudes et des hésitations. Le cadrage macroéconomique, mouvant, suit l'évolution de la situation sanitaire, après quatre PLFR.

En septembre, il était question d'une offensive pour relancer l'économie. Le second confinement a apporté un sérieux coup de frein : l'estimation de croissance pour 2021 a été révisée à 6 %, contre 8 % prévus.

Je dénonce des hésitations regrettables : le ministre de l'Économie, le Premier ministre et le Président de la République décideront de mesures complémentaires de soutien à certains secteurs en fonction du contexte sanitaire. Les chiffres révisés de dette seront donnés début décembre, alors que nous terminons l'examen du PLF le 8 décembre...

Nous allons ouvrir des crédits dont une partie sera reportée. Cela pourra se produire sur 47 programmes budgétaires contre 20 l'an dernier, avec des reports à hauteur de plus de 3 % des dotations. La lisibilité est quelque peu brouillée ! Quant à la portée de l'autorisation parlementaire, je préfère ne pas l'évoquer...

Vous avez fait des choix contestables, même si les PGE, le fonds de solidarité, le chômage partiel étaient indispensables, bien qu'onéreux, et s'ils ont été mis en place rapidement. La mission « Plan de relance » prévoit des moyens nouveaux pour la rénovation énergétique mais recycle des mesures plus classiques sur la rénovation du patrimoine, l'équipement des forces de sécurité, la transformation numérique des administrations... Ce n'est pas un plan de relance mais un plan de rattrapage. Avec quels effets réels ? Nous jugerons sur les actes, il faudra voir quels crédits seront consommés.

Soyons attentifs à l'engagement des crédits de relance et à l'association des territoires à la conception des projets.

Le Gouvernement annonce un plan temporaire : pourquoi prévoir des baisses d'impôts de production pérennes, alors que les mesures pour les plus démunis seront ponctuelles ?

Le soutien aux personnes précaires s'élève seulement à 86 millions d'euros. Si des mesures pour les jeunes sont bienvenues, il faudrait une dotation autonomie pour les 18-25 ans, qui ont besoin de ressources pour se lancer dans la vie. Il serait invraisemblable de ne pas aider ceux qui contribueront demain à rembourser ce plan !

Il cumule des dépenses nécessaires, bien qu'insuffisantes, et des baisses de prélèvements obligatoires prises à contretemps et qui pourraient à tout le moins être différées, comme la suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % plus riches, 2,4 milliards d'euros cette année et 7,5 milliards par an pendant trois ans. (M. Patrick Kanner renchérit.)

Vous voulez libérer une épargne qui a beaucoup augmenté durant le confinement, mais vous favorisez un taux d'épargne encore accru ! Ainsi de la baisse de l'impôt sur les sociétés, qui coûtera 3,7 milliards d'euros, ou de la réforme de la fiscalité du capital - 5 milliards par an. De même, les baisses d'impôts de production, 10 milliards d'euros par an, sont ciblées vers les plus grosses entreprises.

Beaucoup doutent de l'efficacité de telles mesures, comme l'Institut des politiques publiques. Dans le même temps, les dépenses publiques explosent. Et les grandes entreprises du numérique, grandes gagnantes de la crise, ne subissent aucun prélèvement exceptionnel. Ce matin, le Commissaire européen Paolo Gentiloni stigmatisait à juste titre la baisse des impôts. Ce n'est pas le moment !

Bruno Le Maire propose des économies sur la protection sociale, les retraites, et une augmentation de la TVA. Or aucun économiste ne s'en remet uniquement à la croissance future comme vous le faites pour espérer revenir à l'équilibre.

Dès septembre 2019, le président Vincent Éblé, mon prédécesseur, avait regretté l'abandon de toute velléité de programmation à moyen terme des finances publiques. Le Gouvernement s'était justifié par la réforme des retraites. Cet argument a fait long feu.

Nous regrettons que cette réflexion s'ouvre au plus mauvais moment, en pleine crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Loïc Hervé, Marc Laménie et Jérôme Bascher applaudissent également.)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°I-1069, présentée par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances pour 2021 (n° 137, 2020-2021).

M. Éric Bocquet .  - Cette motion tendant à opposer la question préalable ne relève pas d'un rituel, ni d'une mesure dilatoire ou d'un pensum. Mais nous voulons prendre du recul sur la situation économique, sanitaire et sociale.

Le marathon budgétaire doublé cette année d'une crise économique ne laisse que peu de temps à la réflexion de fond. La discussion se comprime à l'extrême, d'autant que l'exécutif a une tendance à enjamber le débat parlementaire.

Ce qui nous frappe, c'est la constance du Gouvernement, dont les options ne sont nullement ébranlées par la crise. Il maintient son calendrier de baisse d'impôts - comme la baisse de l'IS à 25 % pour 2022.

Il faut pourtant faire le bilan des choix fiscaux. Les 20 000 foyers les plus aisés ont vu leurs dividendes augmenter de 100 000 euros chacun, utilisés pour acquérir des titres défiscalisés en bourse. Les ménages les plus aisés ont augmenté leurs placements financiers de 45 à 143 milliards entre 2017 et 2018. Nous attendons encore les premières gouttes du ruissellement. Vous espériez le retour des exilés fiscaux : le solde est effectivement positif... de 77 personnes ! On ne peut pas dire que vous ayez mis fin au séparatisme fiscal.

La flat tax, le prélèvement forfaitaire unique, est une bombe à retardement pour les finances publiques. L'écart de 15 points de taxation entre salaires et dividendes coutera 10 milliards d'euros par an en raison de l'optimisation fiscale.

Les inégalités se sont aggravées. Le Monde titre : « La crise a exacerbé les inégalités de revenus ». Oui, il y a un million de pauvres de plus - il y en avait déjà 14,8 millions en 2018. Les milliardaires, eux, ont vu leur fortune augmenter de 439 % en dix ans.

Banque alimentaire, Restos du coeur et autres associations voient affluer de nouvelles familles ; dans certains départements, on constate une augmentation de 40 % des nouvelles demandes de RSA.

Pendant ce temps, l'e-commerce et la grande distribution tirent profit de la situation. Les assureurs devraient davantage contribuer à la solidarité. Que dire des géants du numérique qui, réfugiés au Luxembourg, au coeur même de l'Union européenne, ne paient pas d'impôt ? Monsieur le ministre, vous choisissez les marchés privés et non les prélèvements obligatoires pour financer la dépense publique.

Ainsi que le disait M. Husson, nous sommes désormais financés autant par le marché que par l'impôt, et nous en sommes dépendants. C'est comme cela que l'État s'affaiblit. La dette « souveraine » ne l'est pas quand on dépend du marché, c'est un oxymore, comme le « jeune vieillard » du Malade imaginaire... (M. Bruno Sido rit de bon coeur.)

Dans l'Antiquité, on pouvait être condamné à l'esclavage pour dette... L'État n'est pas le parasite, proliférant dans l'économie privée, que l'on décrit. Depuis le printemps, 460 milliards d'euros d'argent public ont été mobilisés. Le 13 avril, le Président de la République nous appelait à nous réinventer et souhaitait « que le jour d'après ne soit pas le jour d'avant ». Il interrogeait notre modèle de développement. Mais nous ne retrouverons pas ces belles envolées, le PLF est dans la continuité néolibérale...

Le compte n'y est pas. Ce n'est pas un budget de relance ; le volume des dépenses publiques recule sur un an.

Brune Le Maire s'est félicité de l'absence de création d'emplois publics. La pandémie a pourtant mis en évidence les besoins, ne serait-ce que dans les hôpitaux !

Les baisses d'impôts de production touchent lourdement les collectivités territoriales, en première ligne pour faire face à la pandémie, qui assurent 70 % de l'investissement public dans ce pays. Faites donc confiance aux territoires, au lieu de les considérer systématiquement comme une variable d'ajustement !

Ce budget est dans la continuité du quinquennat néolibéral de M. Macron. Vous vous cramponnez à vos fondamentaux : mais vos choix ont des conséquences souvent graves, l'inquiétude sur l'avenir grandit.

Au printemps, le Gouvernement disait : personne ne va payer le surcoût d'endettement. Aujourd'hui les termes du débat ont changé. Il faut se poser la question de la dette comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Belgique. On ne peut l'évacuer de ce débat budgétaire : d'où notre motion. À situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Philippe Dallier.  - En leur for intérieur, nos collèges du groupe CRCE n'ont pas réellement envie que nous votions cette question préalable... (On s'en défend sur les travées du groupe CRCE) Enfin, ils auront eu leurs dix minutes de temps de parole supplémentaires ! (Marques d'approbation à droite) 

Le plan de relance était promis pour juin, puis juillet, puis septembre ; il arrive fin novembre ; nous avons perdu six à huit mois !

Le moins que l'on puisse faire, c'est de discuter. Nous ne pouvons pas nous permettre d'abandonner 2021 sans voter des mesures fortes pour relancer l'activité. Passons à la suite ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE et RDPI)

M. Jean-François Husson, rapporteur général  - Merci à mes camarades (Rires) pour ces dix minutes de temps de parole supplémentaires qu'ils se sont accordées.

J'ai entendu votre regret que le Gouvernement enjambe le Sénat dans la discussion parlementaire. La gravité des circonstances justifie une attention particulière dans le propos, le dialogue, le choix des partenaires, qui doivent être irréprochables, monsieur le ministre -  même si vous n'êtes que le messager.

Ne nous trompons pas de combat ni d'adversaires : nous devons être attentifs aux difficultés et aux risques de déprime qui touchent des commerçants, des indépendants, des petites entreprises, mais leur développement est aussi permis par celui des groupes qui structurent la vie économique de notre pays.

C'est pourquoi il faut soutenir les entreprises. En France, elles avaient le taux d'imposition le plus fort d'Europe. Il faut leur rendre des marges de manoeuvre pour qu'elles préservent leurs emplois. Enfin, pourquoi arrêter la discussion ? On nous reprocherait de refuser le débat alors que nous nous plaignons de ne pas être écoutés. Au contraire, nous devons faire entendre la voix des élus et des territoires qui souhaitent participer au redressement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Avis défavorable, naturellement. Sur la dette budgétaire, la position du Gouvernement est qu'elle doit être remboursée -  d'autres le contestent. La crédibilité de l'État passe par sa capacité à faire face à ses échéances.

La dette ne saurait être perpétuelle - ce serait une rente de situation pour les banques - ni effaçable sous peine de ne plus pouvoir emprunter.

Deuxième remarque : je ne partage pas votre qualificatif de « néolibérale », à propos de notre politique. L'État s'est substitué aux entreprises pour maintenir les salaires ; il met en oeuvre le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le reste à charge zéro. Ceux qui parlent de « rigueur » et « d'austérité » se trompent encore davantage.

Un problème de méthode enfin : je sais que le calendrier n'est pas confortable. Nous avons dû réviser les hypothèses macro-économiques de 2020 ; nous proposons au Parlement une actualisation au fil de l'eau sous la forme d'un amendement de l'article d'équilibre et de coordination en fin de première partie ; nous intégrons nos prévisions dès l'article liminaire et y reviendrons en suite en deuxième lecture, avec, nous l'espérons, des mesures d'accompagnement de la sortie du confinement.

Comme l'a dit Bruno Le Maire, nous avons besoin d'un peu plus de visibilité sur le rythme de sortie du déconfinement pour calibrer les mesures au mieux, nonobstant les risques d'un troisième confinement que personne ne souhaite.

Il n'est donc pas question d'enjamber le Sénat, mais de proposer au Parlement dans son ensemble d'actualiser les mesures d'urgence au rythme de nos prévisions, le Gouvernement souffrant aussi du manque de visibilité, d'où la méthode itérative que nous proposons... (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Le GEST partage beaucoup des propos de M. Bocquet, notamment sur les ménages les plus en difficulté, sur l'insincérité de ce budget qui évolue au fil de la situation et qui dépend d'un plan de relance européenne pas encore adopté...

Mme Cécile Cukierman.  - Ah !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Mais nous nous abstiendrons : il faut un débat sur ce budget. (Mme Éliane Assassi s'exclame.)

La motion n°I-1069 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°27 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 267
Pour l'adoption 15
Contre 252

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce budget s'inscrit dans un contexte sanitaire exceptionnel -  selon vos propres mots, monsieur le ministre  - qui fragilise des pans entiers de notre économie et nos concitoyens les plus vulnérables, met à mal nos finances publiques et limite notre capacité à tracer des perspectives.

L'État a été globalement au rendez-vous pour maintenir le pays debout ; mais les collectivités territoriales ont elles aussi joué un rôle déterminant, notamment en organisant la solidarité dans la proximité...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Très juste !

M. Bernard Delcros.  - Les articles 3 et 4 prévoient un allégement de 10 milliards d'euros des impôts de production -  7 milliards par allégement de la CVAE et 3 milliards pour la réforme du foncier bâti. C'est un pari pour relancer l'emploi. Cette mesure affaiblit les recettes fiscales des collectivités. Quoi qu'il en soit, il faut veiller à la compensation, pour laisser des marges de manoeuvre aux collectivités territoriales.

Concernant l'article 22 bis, j'étais pour la compensation de la perte de la taxe d'habitation par une part de TVA, mécanisme pérenne et péréquateur. Mais il y a une faille : le mécanisme voté l'an dernier n'est sécurisé ni pour l'État ni pour les collectivités territoriales.

L'effet d'aubaine favorable aux départements paraît s'inverser. La solution de l'article 22 bis est juste, mais seulement pour 2022. D'où notre amendement qui sécurise durablement les recettes des collectivités et de l'État en cas de variations exceptionnelles des montants de TVA perçus.

Nous proposerons aussi de corriger, avec des aides de l'État, les iniquités entre les collectivités territoriales qui gèrent certains services en région et d'autres qui les ont délégués.

À chaque nouvelle modification - et cela ne date pas d'aujourd'hui - nous ajoutons des mécanismes de compensation qui, à terme, fragilisent les ressources des collectivités territoriales. Or elles ont besoin de visibilité : concevons un système global et durable. Dans l'attente de ce débat que nous mènerons en deuxième partie, la grande majorité du groupe UC votera la première partie de ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-François Husson, rapporteur général  - Très bien !

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Au Moyen-Âge, il était courant d'intenter des procès aux animaux pour divers délits et crimes. À Autun, l'on fit ainsi au début du XVIe siècle un procès aux rats de la ville, que l'on accusa de ruiner les paysans, privés du fruit de leur travail, incapables de payer la dîme. Les rats une fois condamnés, les paysans furent invités à se remettre au travail pour payer leurs impôts.

Il y a bien longtemps qu'on ne rend plus les rats, pas davantage que les chauves-souris ou les pangolins, responsables de diminuer les ressources fiscales, et donc de dégrader le solde de nos finances...

M. Jérôme Bascher.  - Ah !

M. Emmanuel Capus.  - En 2020, la tentation est grande d'accuser le virus de la situation catastrophique de nos finances publiques -  endettement, déficit public, récession. C'est un budget historique de ce point de vue. Mais il faut aussi rappeler que ce sont les décisions que nous avons prises collectivement pour nous protéger contre le virus qui sont responsables de notre situation, dans le prolongement des quatre PLFR.

Le « quoi qu'il en coûte » présidentiel - lancé en mars et qu'aucun responsable politique n'a contesté - c'est la priorité radicale et sans précédent donnée à la santé. Il a converti, bon gré mal gré, la France entière à un néo-keynésianisme sous stéroïdes.

C'est ce qui a sauvé nos entreprises. Sans plan de sauvetage, il eût été impossible d'espérer renouer un jour avec la croissance et nous laisserions notre économie exsangue face à la compétition mondiale ; il eût été impossible également d'espérer rembourser les dettes astronomiques que nous avons contractées.

Nous sommes nombreux à nous y être résignés. D'autres exultent de voir l'ouverture des vannes de la dépense publique et veulent même inventer de nouveaux impôts.

Le groupe Les Indépendants examinera ce budget hors norme à l'aune de trois critères. D'abord, que chacune des mesures favorise le travail et l'investissement. Je salue à cet égard la baisse ambitieuse des impôts de production, encore plus néfastes en temps de crise, qui nous pénalisent face à la concurrence.

Notre groupe votera donc la baisse massive de la CVAE, en veillant à une juste compensation des collectivités territoriales, partenaires clés de la relance. Il y va de la cohésion de nos territoires.

Deuxième critère, que les dépenses publiques favorisent l'investissement dans l'avenir. Nous soutiendrons les mesures en ce sens, comme la modernisation de l'outil de production ou la transition écologique. Les priorités sont connues. Nous devons agir contre l'artificialisation des sols et améliorer l'efficacité énergétique de notre parc immobilier.

Mais nous ne demanderons pas systématiquement qu'on suive les recommandations de citoyens tirés au sort : la transition écologique doit être adaptée à la réalité des territoires. Plutôt que des taxations, il faut de l'éducation et de l'innovation.

Dernier critère, renforcer notre capacité à rembourser nos dettes à moyen terme. Il n'y a pas d'alternative. La relance n'a de sens que si elle est temporaire.

L'objectif n'est pas de revenir à la situation que nous connaissions en 2019, mais bien de consolider la souveraineté de la France, en renforçant la compétitivité économique et en accélérant la transition écologique. I

« Qui paie ses dettes s'enrichit » écrivait Balzac. Cela vaut autant pour notre dette publique que pour notre dette climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

MM. Michel Canevet et Jean-François Longeot.  - Très bien !

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le 13 avril dernier, le Président de la République promettait une véritable refondation. Au-delà des quatre plans d'urgence, le budget pour 2021 aurait dû être le cadre de cette refondation.

Qu'observons-nous ? Une structure inchangée et des efforts qui vont à la réduction des impôts des entreprises, faisant peser tout le poids de la dépense publique sur les ménages.

Nous reconnaissons là la « stratégie du choc », destinée à faire passer des mesures structurelles pour des mesures conjoncturelles. Guy Sorman le disait en 1984 : le déficit créé par la baisse des impôts de Ronald Reagan est un formidable moyen de pression pour contraindre l'État à rétrécir. C'est la bonne vieille méthode néolibérale ! C'est ainsi qu'il faut comprendre les propos de Bruno Le Maire dans les médias : la réforme des retraites paiera la dette covid...Nous n'acceptons pas ce logiciel libéral éculé !

On agite toujours la menace de la dette publique, oubliant une autre dette que le Conseil d'État nous rappelle ce matin, grâce à la saisine de Damien Carême à Grande-Synthe et d'autres maires : c'est la dette écologique.

Le Président de la République disait, citant les révolutionnaires de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent reposer que sur l'utilité commune ». Là, le Gouvernement protège obstinément les riches, avec un franc succès : UBS nous indique que la France est le deuxième pays où les riches s'enrichissent le plus. Voilà le séparatisme fiscal des riches, qui conduit la France à battre le record de versement de dividendes aux actionnaires. Et ce, dans une période de crise sanitaire où la pauvreté explose et où ce budget prévoit 770 postes en moins pour le ministère de l'environnement.

La République dont on nous rebat les oreilles n'est pas un glaive pour contraindre les citoyens. C'est un projet partagé de vivre-ensemble.

Les mesures fiscales ne sont en rien conditionnées. Avec quel résultat ? Selon le conseil d'analyse économique, dépendant de Matignon, les trois premiers secteurs les plus favorisés par la baisse des impôts de production sont les producteurs d'électricité et de gaz, les industries extractives et la finance !

Le 13 avril dernier, le Président de la République parlait des solutions trouvées au plus près du terrain... Le compte n'y est pas, quand bien des Français ne peuvent faire face à la crise.

Nous avons besoin d'une refondation : réforme fiscale, soutien à l'économie sociale et solidaire, grande oubliée des plans de relance... Vous auriez pu parier sur la transition écologique, soutenir les industries présentes sur tout le territoire.

Vous ne tenez pas compte des études qui montrent que les gains de productivité du numérique et de la robotisation vont faire disparaître les emplois non qualifiés.

Ce budget ne refonde rien, alors que la situation s'aggrave. Monsieur le ministre, vous invoquez la République avec excès, la rendant toujours plus abstraite voire menaçante.

Le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires tentera de montrer un autre chemin, avec l'écologie comme projet et l'égalité comme boussole. (Applaudissements sur les travées du GEST et quelques travées du groupe SER)

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Avec les chiffres on compte ; avec les mots on rêve et on espère...

Je souhaite que nous parlions de l'avenir. C'est pourquoi nous soutiendrons ce budget et préparons l'après-crise pour nous et nos enfants.

Il serait vain de poursuivre cette litanie de chiffres. Nos concitoyens n'attendent pas des considérations savantes sur le taux de croissance effectif ou le taux potentiel, mais des réponses pour leur quotidien, l'assurance que l'État se tiendra à leurs côtés, dans cette crise et que l'économie repartira quand nous sortirons enfin de cet enfer. Nos voisins, nos amis, nos proches, de la Polynésie à la Guyane, en passant par l'Isère, n'aspirent qu'à retrouver un peu d'humanité, au-dessus de cette avalanche d'annonces dramatiques.

C'est pour eux, qui s'inquiètent pour l'avenir, marqués par la crise que nous tentons de traverser, que nous devons travailler.

À situation exceptionnelle, budget exceptionnel. Oui, nous sommes le seul pays du monde à avoir protégé l'emploi de 12 millions d'actifs par l'activité partielle.

Nous, parlementaires, devons être à la hauteur des efforts des enseignants, des soignants, des éboueurs, des ambulanciers, de tous les agents de l'État qui ont déployé des trésors de créativité pour faire face à la crise, avec efficacité.

C'est pour eux que nous devons, avec sérieux, rigueur et ambition, déployer des moyens exceptionnels pour le plan de relance indispensable, avec ses trois objectifs : 30 milliards d'euros pour la transition écologique, 34 milliards d'euros vers la compétitivité et l'innovation ; 3,6 milliards d'euros pour la cohésion des territoires.

À quelque chose malheur est bon... Ces moyens vont à des priorités qui se traduisent par des mesures concrètes, au service d'une transformation profonde de notre économie, de nos infrastructures et de notre rapport à l'environnement. Sur les 100 milliards d'euros annoncés, la moitié sera disponible dès 2021.

Dès la fin de l'année, le recrutement d'assistants d'éducation supplémentaires, dans les collèges et les lycées professionnels, à hauteur de 25 millions d'euros, permettra aux enseignants vulnérables comme Valérie, professeure à Grenoble, personne à risque, d'enseigner à distance, grâce à l'embauche d'un assistant d'éducation dans son lycée.

Jean, jeune propriétaire d'une maison en Isère et entrepreneur, bénéficiera d'un crédit d'impôt prenant en charge 30 % de ses travaux engagés depuis le 1er octobre et la réduction de moitié de la CVAE pour son entreprise. Il pourra aussi bénéficier du chèque export et du volontariat international en entreprise avec une aide de 5 000 euros.

Ce plan n'oublie pas de soutenir les plus démunis, notamment les jeunes, étudiants et diplômés. Le Gouvernement s'attaquera à la précarité en facilitant les nouvelles aides à l'embauche.

Alexandre, jeune boursier de 20 ans à l'université de Grenoble, bénéficie de repas universitaires à un euro, ne verse plus de frais d'inscription depuis 2018 ni de cotisations à la sécurité sociale, et bénéficie d'une aide à l'embauche, en CDI ou en CDD de trois mois, de 4 000 euros pour un an, pour un salaire jusqu'à deux fois le SMIC.

Le soutien de l'État aux collectivités territoriales n'a pas failli tout au long de la crise. Ce PLF s'inscrit dans la continuité des actions telles que les plans Action coeur de ville ou Petites villes de demain ou Territoires d'industrie, entre autres.

Les avances remboursables de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sécurisent les finances des départements. Ce PLF prévoit le maintien du soutien exceptionnel aux collectivités territoriales avec une dotation globale de fonctionnement (DGF) de 26,8 milliards d'euros, pour la quatrième année consécutive, soit 8,1 milliards pour le bloc communal et 8,5 milliards pour les départements.

Les communes et les intercommunalités bénéficieront d'un prélèvement sur recettes de l'État de 3,3 milliards d'euros, sans compter le milliard d'euros de DSIL, fléchée en priorité pour les investissements verts.

Nos collectivités locales ont en effet besoin que l'investissement local se poursuive. C'est pourquoi le PLF pour 2021 reconduit les montants des dotations d'investissement à un niveau record : dotations d'équipement des territoires ruraux (DETR), dotations politique de la ville (DPV), DSIL, DGF seront toutes au rendez-vous.

Ce budget sera aussi marqué par l'entrée en vigueur de l'acte II de la suppression de la taxe d'habitation.

Notre groupe RDPI soutient les bases de ce budget. Solidaire du Gouvernement, il propose quelques amendements pour l'enrichir et faciliter la mise en oeuvre de la relance. Nous saluons l'effort volontaire du Gouvernement dans les mesures d'aides fiscales et financières prévues pour nos concitoyens comme pour nos collectivités locales (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Christian Bilhac .  - Depuis dix mois, nous traversons un scénario digne d'un film de science-fiction. En mars, nous avons dû préserver la vie de nos concitoyens, faisant à cette fin le choix du confinement, dont nous ne mesurons pas encore l'ampleur des conséquences humaines et sociales, mais aussi économiques et budgétaires, d'autant que la pandémie est loin d'être terminée.

Ce PLF s'inscrit dans la continuité des quatre PLFR successifs, sans oublier le plan de relance. Alors que l'été apportait une dynamique de reprise, laissant croire aux perspectives de rétablissement budgétaire, le deuxième confinement en sonne le glas.

Les crédits les plus significatifs restent ceux des missions « Enseignement scolaire », avec 54.9 milliards d'euros, en progression de 1.4 milliard, « Solidarité, insertion et égalité des chances », pour 26 milliards, « Cohésion des territoires » pour 16,9 milliards et « Plan de relance » pour 22 milliards.

Le remboursement des 10 milliards prêtés par l'Union européenne pourrait être lourd à rembourser, avec des annuités de 2,5 milliards d?euros, à partir de 2028.

Avec moi, les membres du RDSE regrettent qu'aucune conditionnalité sociale ou écologique ne soit demandée aux entreprises et ils craignent que les mesures prises ne bénéficient aux grandes entreprises, alors que les plus petites sont davantage pénalisées par le deuxième confinement. Nombre d'entre elles ne pourront pas rembourser les prêts financés par l'État. La plupart se demandent comment elles pourront payer à l'Urssaf les cotisations reportées. Les plus fragiles paient le prix fort. Leur survie est compromise, à l'image des secteurs de la culture, du tourisme, des loisirs, des festivals, de la restauration, des services à la personne.

L'insuffisance des moyens consacrés aux collectivités territoriales est prégnante. Ces dernières pourraient pourtant être un moteur de la relance grâce à l'investissement et la commande publique. Mais le compte n'y est pas.

Néanmoins, nous nous réjouissons des mesures prévues aux articles 2, 3 bis et 3 quater.

La DGF stagne, à hauteur de 26 milliards d'euros, soit 62 % des prélèvements sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales.

Je salue la revalorisation des dotations de solidarité pour 90 millions d'euros chacune - dotation de solidarité rurale (DSR) et de solidarité urbaine (DSU) - même si la dotation par habitant de la DSR est inférieure à celle de la DSU.

Ce PLF suscite de nombreuses inquiétudes dues aux crises sanitaire et économique. Les prévisions de croissance sont fragiles, avec une récession de 6,5 % en 2021. La perte d'activité de novembre serait moindre qu'au printemps mais la restauration et l'hébergement connaissent une baisse de 40 %, qui succède à une autre, de 46 %, en avril.

La dette publique s'élèvera à 119 % du PIB. L'État se financera autant par la dette que les impôts ; mais les emprunts d'aujourd'hui sont les impôts de demain.

Le groupe du RDSE insiste sur la nécessaire solidarité avec les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Je n'aurai pas l'occasion de saluer M. Le Maire, absent et non excusé, et qui n'est que le ministre de l'Économie, des finances et de la relance. Et il n'est même pas au Sénat : cela en dit long ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains)

Le Président de la République et le Gouvernement ont souvent rappelé que nous étions en guerre contre le virus. Cette métaphore guerrière est dangereuse pour la démocratie et l'unité du peuple. Rappelons-le, un couvre-feu et un confinement ont été instaurés : décisions d'exception qui ont une histoire dans la société française. Les mots ont toujours des conséquences.

La crise sanitaire fait des ravages économiques et sociaux. Les économies ont déjà été confrontées à de tels chocs et se sont reposées sur trois piliers : nationalisation et planification des secteurs fondamentaux, taxation des bénéfices exceptionnels réalisés pendant la crise, création d'un circuit de dépenses publiques indépendamment du marché. Ces choix ont été faits au sortir d'événements douloureux.

Or vous reconduisez la même politique de l'offre, déconnectée de la réalité. Cela a permis le coup d'éclat de la droite samedi dernier sur l'âge de la retraite, aggravant l'insécurité sociale.

Il aurait fallu une vision politique plus juste et équitable. Or, vous nous présentez un budget comme toutes les autres années, avec un déficit et une dette plus importants. L'urgence sociale vous échappe : la technocratie et le marché sont vos priorités.

Vous avez récusé le qualificatif de néolibéral, monsieur le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Tout à fait !

M. Pascal Savoldelli.  - Certes, vous n'êtes pas néolibéral ni ultralibéral, mais qu'est-ce que vous êtes libéral, monsieur le ministre ! (Applaudissements et rires sur la plupart des travées)

Et que dire de la méthode ? La dépossession des pouvoirs de vote de l'impôt et de contrôle du Parlement nous inquiète. Que penser de l'absence de concertation ? Vous défendez une autorégulation naturelle et dérisoire, en étant aveugle aux conséquences sociales.

Nous ne sommes pas pris, comme vous le dites, dans un conflit entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Nous voulons un budget d'émancipation humaine et démocratique. Nous voulons un avenir plus juste et égalitaire.

Il faut rééquilibrer le rapport entre le travail et le capital : je pense aux infirmiers, aux ouvriers, aux livreurs, au personnel d'entretien... Le patron des Restos du Coeur s'étonne de voir arriver des livreurs Uber Eats... qui n'ont pas eux-mêmes les moyens de se nourrir !

Quel cynisme : si toutes ces personnes essentielles arrêtaient de travailler, ils entraîneraient la chute du système.

Comment accepter que les 20 % les plus riches continuent de s'enrichir, au détriment des 20 % les plus pauvres ? Les 10 % les plus riches ont amassé la moitié des 32 milliards d'euros d'épargne thésaurisée pendant le confinement. Taxons-les !

L'évidence, c'est d'arrêter la réduction de la dépense publique au profit de privatisations de services qui nous font défaut aujourd'hui. L'énergie, les transports ferroviaires, l'hôpital public, la recherche souffrent d'être considérés comme des secteurs pouvant réaliser des bénéfices.

Il ne faut pas d'aides publiques pour les entreprises qui trichent, comme les Gafam. J'ai noté le double langage de certains ici qui votent un amendement en séance pour le rejeter en CMP. Ayons du cran, relocalisons ! Goodyear, Bridgestone, Carrefour, ce sont les conséquences de choix politiques. L'État de droit est devenu un État de la faveur, où tout se monétise, y compris notre souveraineté.

Que dire de la dette du secteur privé qui a doublé, atteignant 150 % du PIB ? Et comment fermer les yeux sur l'absence de taxation sur les transactions financières ?

La continuité budgétaire existe aussi pour les collectivités territoriales, dont l'autonomie fiscale est menacée : vous offrez aux entreprises 10 milliards d'euros de réduction sur les impôts de production, et vous les compensez par des dotations liées au produit d'impôts nationaux. L'autonomie fiscale des collectivités ne sera bientôt plus qu'un souvenir... Mettez un terme à cette centralisation des budgets locaux. En faisant disparaître la responsabilité fiscale des assemblées locales, vous sapez le consentement à l'impôt, qui responsabilise les élus.

Nos collectivités territoriales ne demandent qu'à s'investir dans la relance. Les commerces de proximité comptent 600 000 entreprises et réalisent 20 % du PIB ; et on n'en parle pas dans ce budget !

Les finances locales subissent des pertes de milliards d'euros et leur endettement devient insoutenable. La commande publique est en baisse de 22 %. Les collectivités territoriales sont fragilisées. Vous ne répondez à l'essentiel que par l'accessoire.

« Le bonheur, il existe, j'y crois » disait Aragon. En ces heures sombres, nous y croyons aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les hypothèses du PLF sont prudentes mais le contexte est incertain, avec le confinement et la poursuite de la crise sanitaire. La crise a fait basculer 1 million de citoyens dans la pauvreté, qui s'ajoutent aux 9 millions qui y étaient déjà. Près de 300 000 personnes sont SDF, trois fois plus qu'il y a dix ans.

Le Gouvernement annonce un plan de relance de 100 milliards d'euros à grand renfort de communication. Or ce plan est moins massif qu'annoncé. Il prévoit des moyens étalés sur plusieurs années : 30 à 35 milliards d'euros seulement sont inscrits pour 2021, auxquels il faut ajouter la réduction de 10 milliards d'euros des impôts de production, sans contrepartie en matière d'emploi, de responsabilité sociale ou de transition écologique... C'est un pari risqué et une réponse décalée face à la gravité de la crise.

Des économistes ont proposé d'autres solutions : ainsi Xavier Timbeau suggère d'annuler les dettes des entreprises liées au Covid-19, comme les charges sociales. Il faut plus de justice fiscale, et revenir sur la baisse des impôts de production ou, du moins, les conditionnaliser.

Nous proposerons le rétablissement de la tranche supérieure sur les salaires pour les entreprises qui ne paient pas la TVA sur la totalité de leur chiffre d'affaires. Supprimons ou réduisons la niche Coppé et modifions les modalités du crédit d'impôt recherche pour les grands groupes. Élargissons la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) aux activités de stockage des plateformes internet et une hausse de la taxe GAFA. Avançons enfin !

Nous proposerons une contribution exceptionnelle des grandes surfaces et de l'e-commerce pour alimenter un fonds de soutien au commerce de proximité. En refusant de taxer ceux qui le peuvent, voire qui profitent de la crise, le Gouvernement fait une grave erreur.

La crise a fait basculer de nombreux citoyens dans la pauvreté. Il convient donc de changer d'approche. Vous aviez été contraints de le faire modestement dans le PLF 2019 après la crise des gilets jaunes. Lors du PLFR4, vous avez refusé nos propositions. Désormais, il est temps : n'attendons pas une nouvelle explosion sociale.

Nous proposerons de rétablir un impôt sur le capital, de supprimer la flat tax, de relever le plafond des dons pour les personnes en difficulté et de créer une dotation autonomie jeunesse pour les 18-25 ans.

La présidente du Secours catholique, ce matin sur France Inter, disait que les jeunes ont besoin d'un accompagnement renforcé et d'une allocation digne. Or, lors du PLFR4, de concert avec le Gouvernement, la majorité sénatoriale a rejeté tous nos amendements pour lutter contre la pauvreté.

« La droite tire la sonnette d'alarme sur la pauvreté » ai-je pourtant lu mardi dans Le Figaro.

M. Roger Karoutchi.  - Très bonne lecture !

M. Rémi Féraud.  - Passons des paroles aux actes !

M. Patrick Kanner.  - Ayez du coeur !

M. Rémi Féraud.  - Les collectivités territoriales sont aussi les grandes oubliées, qui perdent leur autonomie fiscale. C'est une faute politique et économique, dit François Baroin, président de l'association des maires de France (AMF).

Nous espérons un meilleur équilibre pour ce PLF. Le groupe SER est prêt à y contribuer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre, je partage le jugement que la situation économique est difficile.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - C'est un peu court !

Mme Christine Lavarde.  - Nous savions tous que le budget était mort-né avec le deuxième confinement. Nous regrettons une saisine trop tardive du HCFP.

Nous sommes face au dernier vrai budget du quinquennat. Est-ce un budget de relance ou un plan de rattrapage, comme l'a dit le rapporteur général ? N'est-ce pas un budget pour faire plaisir à tout le monde, avant les présidentielles, en ressortant des dossiers perdus dans les placards ?

Mais les plus démunis sont les grands oubliés. L'augmentation générale des minima sociaux doit faire l'objet d'un débat pour favoriser les plus précaires. Nous soutenons les mesures exceptionnelles pour favoriser l'emploi des jeunes.

Il n'y a pas non plus d'économies structurelles, certainement pour ne pas déplaire. Collectivement, il faudra faire des efforts. Augmentation du temps de travail des fonctionnaires d'État, augmentation de la durée des cotisations.

« Le meilleur moment pour réparer sa toiture, c'est quand le soleil brille » disait Kennedy. Les Français ne l'ont pas fait. En 2019, les deux tiers des pays européens étaient en excédent ; nous étions, avec la Roumanie, les derniers pays à 3 % de déficit.

La réduction du nombre de fonctionnaires est insuffisante : 50 000 suppressions de postes annoncées dans le programme présidentiel et 157 dans ce budget !

La relance débute avec six mois de retard alors que nous avions fait des propositions en juillet. D'autant que 90 % des dispositions de ce plan ne s'appliqueront qu'en 2021 ou 2022. La baisse des impôts de production, les mesures pour les jeunes avaient été proposées par la majorité sénatoriale dès cet été. Nous adopterons ces mesures mais elles sont insuffisantes et arrivent trop tard, notamment en comparaison de notre voisin allemand.

Ce budget se finance par la dette. « C'est le temps de la dépense publique » disait Bruno Le Maire le 2 septembre alors qu'en 2008, Laurent Fabius avait le courage de dire que la dépense publique n'était pas forcément la solution et que « plus » n'était pas synonyme de « mieux ». (M. le rapporteur général se réjouit.)

Le surcroît d'épargne des ménages atteint 100 milliards d'euros, le montant du plan de relance : il faut réinjecter cet argent dans l'économie. Les collectivités territoriales sont aussi touchées, alors qu'elles représentent 70 % de l'investissement public.

Le Green budgeting  ressemble plutôt à un budget vert pâle. En septembre, Bruno Le Maire prétendait que toutes les dépenses de l'État étaient verdies. Or seuls 10 % des 574 milliards prévus dans le PLF ont un impact positif sur l'environnement.

À périmètre constant, les crédits pour l'écologie et la mobilité durable baissent de 6 %. Nous devrions disposer d'un organe spécialisé dans ce domaine, à l'instar de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) pour surveiller ces crédits. Nous devrions procéder à une estimation du prix de la tonne de CO2 non émise grâce au plan de relance. Les premières estimations parlent de quelques centaines d'euros...

Le groupe Les Républicains souhaite une écologie moins punitive. Ainsi, nous voterons l'amendement du rapporteur général qui lisse le malus automobile sur cinq ans. Comment prendre en compte le bilan carbone d'une voiture moins lourde mais fabriquée en Chine ?

Nous voterons aussi la suppression du malus sur le poids, mesure démagogique qui ne concerne que 1 % du parc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Pour une écologie positive, nous proposerons un encouragement au télétravail et une revalorisation de la prime à la reconversion. Les aides à l'achat d'un véhicule électrique ne sont accessibles qu'aux plus aisés. Il faut changer cela.

L'incitation à la rénovation thermique reste faible pour les propriétaires bailleurs.

Bref, ce budget ne nous rassure pas puisqu'il faudra rembourser la dette. Bruno Le Maire a beau dire que les prélèvements obligatoires ne seront pas augmentés tant qu'il sera ministre, il est en CDD... (On s'amuse sur le banc de la commission)

Les entreprises s'inquiètent des coups d'accordéon : les milliards pleuvent aujourd'hui, mais demain ?

Les élus, eux, se sentent dépossédés. Seuls dix sous-préfets à la relance ont été nommés. De plus, la parole de l'État est mise en cause avec la non-compensation des pertes de la taxe d'habitation pour les départements, la remise en cause des contrats photovoltaïques signés avant 2011 et la trajectoire du malus écologique...

Ce n'est pas un budget de relance et de souveraineté et il ne donne pas confiance dans l'avenir. L'épargne forcée du premier confinement se transformera durablement en épargne de précaution. Sans confiance, pas de croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce projet de loi de finances est exceptionnel. L'instabilité sanitaire est devenue budgétaire, mais il ne pouvait en être autrement.

C'est un PLF de relance et d'espoir : avec une prévision de croissance de 8 %, il s'inscrit dans la confiance, mais financer la croissance par la relance ne sera pas chose aisée.

Je concentrerai mes propos sur les articles 3 et 4 qui prévoient une baisse de 10 milliards d'euros des impôts de production, « des impôts stupides » dit Bruno Le Maire, qui pèsent sur les entreprises avant même qu'elles dégagent des bénéfices. Mais la cible choisie est mauvaise puisqu'il s'agit des seuls impôts locaux. Le groupe UC proposera la baisse de la C3S pour les entreprises réalisant plus de 19 millions d'euros de chiffre d'affaires.

L'État et les collectivités territoriales partageraient ainsi l'abandon d'un impôt.

Certes, l'État compense la perte de recettes liée à la CVAE, mais les collectivités risquent de perdre au change. (Mme Françoise Gatel applaudit) Notre solution : partager l'effort, supprimer l'impôt local pour les petites entreprises et la C3S pour les grandes.

D'après le Conseil d'analyse économique, la suppression de la C3S pourrait réduire le déficit commercial de plus de 5 milliards d'euros.

L'État a tout autant besoin des collectivités territoriales que celles-ci ont besoin de l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. le rapporteur général applaudit également.)

M. Victorin Lurel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Toutes les doctrines budgétaires ont volé en éclats ; les verrous nationaux et communautaires ont sauté ; l'impossible est advenu. Toutes les missions ou presque sont en augmentation et le plan de relance semble enfin s'engager.

L'Europe, la Cour des comptes le comprennent ; nous aussi, mais souffrez que nous émettions quelques doutes sur l'efficacité de ce budget. Nos voisins européens illibéraux - Pologne, Hongrie et désormais Slovénie  - bloquent l'adoption du plan de relance européen.

Un budget n'est pas une opération arithmétique mais un acte politique. Il me revient une citation : « L'une des caractéristiques de l'économie vulgaire est qu'elle se contente des apparences et se borne à élever pédantesquement en système et à proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui ; le meilleur des mondes possibles. Il ne parvient pas ou renonce même à pénétrer l'ensemble réel et intime des rapports de production dans la société ». Voilà la philosophie du libéralisme à tout crin, du monétarisme.

Cette crise était une occasion pour vous de trouver votre chemin de Damas ; mais vous persistez dans une politique darwiniste qui centralise, fragilise et précarise.

Dans la partie recettes, rien pour les plus démunis contre la voracité des multinationales, rien pour soutenir l'épargne populaire, et si peu pour les collectivités territoriales dont l'autonomie fiscale est encore mise à mal.

Votre surmoi libéral est plus fort que la réalité : augmentation de 9 % du nombre de bénéficiaires du RSA, marché du travail précarisé, hubris spéculatif. Les vices privés font la vertu publique, pensez-vous ; c'est pourquoi vous avez réduit la fiscalité sur le capital et les plus riches.

Seuls 200 millions d'euros du plan de relance iront aux plus modestes.

Mais d'autres voies sont encore possibles : Rémi Féraud a exposé la boîte à outils que nous proposerons. Lacordaire le rappelait en 1844 : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit ». Votre utopie libérale et individualiste s'est muée en dystopie sociale. Quel sera donc votre legs ?

Nous sommes dans l'impasse, dans la dette et l'orthodoxie monétaire et financière la plus étouffante.

Le groupe SER ne désespère pas de corriger les biais darwiniens et kafkaïens de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées SER et CRCE)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Aujourd'hui, c'est le Beaujolais nouveau : est-ce pour cela que tous vos indicateurs sont au rouge ? (Sourires)

Quelques remarques de forme, j'ai repris ma bible : la loi organique relative aux lois de finance (LOLF). Titre II, chapitre 2, article 7 : « un programme regroupe les crédits destinés à mettre en oeuvre une action relavant d'un même ministère ». Or votre mission « Plan de relance » ne répond pas à cette définition. Elle n'est pas lolfique.

Deuxième remarque : titre III, chapitre 1er, article 32 de la LOLF : « les lois de finance présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État ». Or ce budget n'est pas fondé sur les bonnes hypothèses macro-économiques. Comment se prononcer dès lors sur la baisse des impôts de production ?

Sur le fond, vous révisez à bon escient votre prévision de croissance, qui reste cependant trop optimiste. Nos exportations, dont l'essentiel était fourni par la construction aéronautique et l'agriculture, vont mal - sauf celles des armes, mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ?

Toutes les entreprises bloquent leurs investissements, les collectivités territoriales aussi. La consommation repartira, oui, si vous rouvrez les commerces.

Deux missions seulement, dans le budget de l'État, ont de plus de crédits que la mission « Plan de relance » ! On atteint des dépenses publiques à 66% du PIB : avec de tels montants, nous sommes dans un pays communiste ! (Sourires)

Notre pays n'a pas réussi à réduire ses dépenses publiques auparavant. Voyez la trajectoire de réduction des effectifs et de la fonction publique : on devrait réduire de 50 000 le nombre de postes dans la fonction publique, puis ce fut 10 000. Ce sera 1 930 emplois sur quatre ans, soit l'épaisseur du trait et pas dans la réforme structurelle. La valse des milliards - le milliard étant à présent l'unité compte du budget -n'est pas un bon indicateur pour les réformes à venir.

La dette, entends-je dire, sera remboursée par la croissance. Nous sommes passés du quinquennat de la croissance potentielle à celui de la décroissance réelle. Et pas seulement à cause de la covid : c'est aussi dû à l'absence de réformes structurelles.

Il aurait fallu soutenir l'innovation, mais les crédits de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche arriveront après 2022. Vous n'avez rien fait non plus en faveur de la politique familiale ni pour relocaliser nos entreprises.

Les collectivités territoriales ont prouvé leur utilité lors du déconfinement. Un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, avait relayé le hashtag #balancetonmaire. Je ne suis pas, monsieur Savoldelli, dans le #balancetonbrunolemaire - mais nous sommes bien dans #lafrancemoinsforte. (Sourires)

À la fin du quinquennat, la France ira moins bien qu'au début : elle sera plus pauvre et les inégalités auront augmenté et les marges de manoeuvre diminué. Quel bilan ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Avec 520 milliards d'euros de dette de plus en deux ans, contre 100 milliards consacrés au soutien et à la relance. Nous sommes en pleine dérive budgétaire avec l'augmentation des effectifs et des rémunérations des fonctionnaires. Ainsi, 425 emplois sont créés pour les ARS, alors qu'il faudrait transférer les moyens vers les soignants. Il y a 10 milliards de plus pour les ministères, rien pour les collectivités territoriales.

Les effectifs du Conseil d'État et la Cour des comptes augmentent et avec eux le pouvoir des juges !

Le « mal français » dénoncé par Alain Peyrefitte et le « toujours plus » de François de Closets sont toujours d'actualité. En 1958, le plan Pinay-Rueff prévoyait une baisse de 14 % des dépenses publiques. Quel courage a eu le général de Gaulle ! Résultat : dix ans de croissance. Notre gestion de la crise est dénoncée dans les colonnes du Spiegel qui qualifie la France d'Absurdistan. Avec nos voisins allemands, l'écart se creuse.

Merci à la Chine, à l'Arabie Saoudite et aux banques centrales de racheter nos dettes, mais cela affaiblit notre souveraineté. Qui peut croire qu'une croissance perpétuelle remboursera cette dette ? En l'admettant, une telle croissance sera-t-elle compatible avec la lutte contre le changement climatique ?

Nous sommes les plus mauvais élèves de l'Union européenne avec la Roumanie.

Enfin, les réformes structurelles, troisième pilier de la réduction de notre dette, sont une véritable Arlésienne : la gestion catastrophique de la réforme des retraites en est un triste exemple.

Sous couvert de crise, on amplifie la pratique du laisser-aller budgétaire. Les milliards pleuvent, mais le réveil sera brutal et douloureux. A titre personnel, je voterai contre ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)

M. Patrice Joly . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Face à la crise sanitaire, sociale et économique qui ronge notre pays, le projet de loi de finances pour 2021 était attendu pour permettre la relance et redonner du souffle aux Français. Le compte n'y est pas, les mécomptes y sont. Sans surprise, dans la ligne droite - ou plutôt la ligne de droite - d'une politique néolibérale assumée, vous multipliez les cadeaux aux plus riches et renoncez à la solidarité. Vous consentez des réductions d'impôts pour les grandes entreprises et les ménages aisés, en pariant sur une croissance pourtant affaiblie pour rembourser la dette. Or celle-ci, c'est un fait établi, ne reviendra pas au niveau espéré. Il y a urgence à revoir notre définition de la croissance et trouver les moyens de satisfaire aux besoins des Français de manière juste et équitable.

Quelle stratégie guide la nouvelle baisse massive des impôts pour les entreprises ? Pour quelle compétitivité et quel emploi ? Air France et Renault reçoivent des aides, et licencient ! Idem pour Engie, Airbus et d'autres... Comment accepter l'absence de contreparties en matière sociale et environnementale ?

Les 20 % des ménages les plus riches captent 44 % de la baisse de la taxe d'habitation, soit 7 milliards d'euros, tandis qu'avec la réforme de l'assurance chômage, ce sont 3,4 milliards d'euros en moins pour les demandeurs d'emploi. C'est le ruissellement à l'envers !

Le programme « Écologie » n'a rien à faire dans le plan de relance : la transition écologique est par essence un processus de long terme. Ce doit être une mission structurante et non conjoncturelle.

Avant même un plan de relance, il aurait fallu un plan de soutien aux entreprises au bord de la faillite, restaurants, cafés, petits commerces, et aux plus fragiles des Français, de plus en plus nombreux à être au chômage et au RSA, à basculer dans la pauvreté : le nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire a augmenté de 30 à 45 % dans certains départements ! Où sont les crédits pour les plus démunis dans ce PLF ?

L'efficacité de la relance passe par les territoires, notamment ruraux, qui offrent un potentiel économique, social et humain. Or vous vous attaquez à l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales qui perdent la main sur une part importante de leurs recettes au moment même où elles enregistrent des pertes financières, insuffisamment compensées par l'État. Les collectivités doivent pouvoir continuer à investir.

Pour notre groupe, ce PLF manque d'une stratégie sur l'évolution à long terme de la société française. Quel tournant écologique ? Quel plein emploi ? Quelle souveraineté alimentaire, industrielle et technologique ? Quelle justice fiscale et sociale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Philippe Dallier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Jamais le Parlement n'avait eu à examiner un PLF dans un tel climat d'incertitude. Je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre. Vos prévisions de recettes et de dépenses sont-elles trop optimistes ? Ce n'est pas vraiment la question. Entre le déficit de 2020, celui prévu dans ce PLF et celui de la sécurité sociale, la dette publique s'emballe et atteindra 2 800 milliards d'euros fin 2021 ! Grâce aux taux négatifs et à l'action de la BCE et de France Trésor, elle a été indolore, mais 2020 sera la dernière année où le coût de la dette baisse alors que le stock augmente. Il faudra cantonner la dette Covid - mais attention à ne pas recharger la barque dès qu'elle est en passe de se vider, comme on le fait avec la Cades !

Le Gouvernement a choisi, à raison, de ne pas alourdir dès 2021 la fiscalité sur les particuliers et les entreprises. Les mesures de soutien aux entreprises sont-elles bien ciblées, et suffisantes ? Les aides aux plus précaires empêcheront-elles le basculement dans la pauvreté ?

La loi de finances concrétise le plan de relance, annoncé depuis mars, qui a tant tardé. Or les acteurs ont avant tout besoin de visibilité. Le temps perdu risque de rendre inatteignable l'objectif de Bruno Le Maire d'un retour à la normale dès 2022. Il faudrait pour cela préserver le potentiel de croissance, donc soutenir massivement nos entreprises. Malgré les gros efforts consentis en matière de report de charges, de chômage partiel, etc., bien des PME ne survivraient pas à un prolongement du confinement ou à un troisième confinement. Il faut leur dire ce que le Gouvernement entend faire.

Il faut cibler le plan de relance sur les secteurs qui peuvent redémarrer le plus vite. Le tourisme, l'aéronautique ne retrouveront pas le niveau d'avant crise avant des années.

Il faut investir dans les secteurs où la demande intérieure est le principal moteur, comme le logement. Or la construction neuve est l'angle mort du plan de relance, malgré des besoins immenses. Le décalage entre l'offre et la demande renchérit les prix, aggravant la crise. Depuis trois ans, vous ne regardez le logement que comme une source d'économies : baisse des APL, suppression des aides à la pierre et de l'APL accession, resserrement du PTZ et du Pinel, prélèvement de 500 millions d'euros, puis d'un milliard, dans les caisses d'Action Logement. Sans compter qu'un rapport de l'Inspection générale des finances sur la gouvernance d'Action Logement préconise de mettre fin à la gestion paritaire et de transférer son patrimoine à un autre acteur...

Vous parlez d'un « élan nouveau pour la construction », mais pour la première fois, le nombre de mises en chantier est supérieur au nombre d'autorisations de construire : les courbes se croisent, le pire est devant nous ! La mode est aux « Grenelle », alors faites-en un sur le logement, en associant les élus locaux. Il faut lever les freins à la construction que sont la disparition de la taxe d'habitation et la non-compensation de la taxe sur le foncier bâti (TFPB).

« Quand le bâtiment va, tout va », disait-on dans l'ancien monde. Souvenez-vous en, et acceptez dès ce PLF nos amendements sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe SER)

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans sa déclaration de politique générale, Jean Castex s'est présenté comme le Premier ministre des territoires. Ce projet de budget est l'occasion pour le Gouvernement d'engager un acte II du quinquennat axé sur la proximité et de tirer les leçons de la crise sanitaire. Président de l'association des maires du Haut-Rhin, département le plus touché par la première vague, je peux témoigner du dévouement exemplaire des élus locaux, qui ont pallié les défaillances de l'État.

Ce PLF devait en prendre acte. De fait, 5 milliards d'euros du plan de relance sont fléchés vers les territoires, la DGF est stable, la DSIL augmente, comme la dotation générale de décentralisation.

Mais l'entrée en vigueur de la suppression de la taxe d'habitation et de la TFPB inquiète, tout comme la baisse des impôts de production de 10 milliards d'euros car les élus locaux, échaudés, ne croient plus aux promesses de compensation pérenne...

L'autonomie fiscale des collectivités territoriales ne cesse de s'éroder. Pour comprendre le mécanisme de baisse des impôts de production, c'est encore plus alambiqué que pour le transfert de la part départementale de la TFPB aux communes... Une belle tuyauterie, un Centre Pompidou de la fiscalité ! (Sourires)

Les départements vont subir un effet ciseau, entre baisse des recettes et hausse du nombre de bénéficiaires du RSA : plus 12,5 % dans le Haut-Rhin, soit un coût de 10 millions d'euros pour le département.

Il faut rassurer les élus sur l'après 2022, pérenniser les recettes pour qu'ils continuent à investir. Chaque euro dépensé en commande publique a un effet démultiplicateur.

Il faut impulser une nouvelle relation État-collectivités, à rebours des excès de la centralisation. Pourquoi des sous-préfets à la relance plutôt que de faire confiance aux forces vives des territoires ?

Libérons les énergies, capitalisons sur le couple maire-préfet, réduisons les carcans administratifs. À ce titre, l'ajout d'un quatrième D à la loi 3 D, pour « décomplexifier », est une bonne chose. L'État doit être accompagnateur et facilitateur, déployer les maisons France Services dans les cantons.

Ce PLF 2021 ne traduit pas encore un changement de philosophie dans les relations avec les collectivités territoriales.

Nous attendons beaucoup de l'examen de la loi 4 D et serons force de proposition, sur la base des cinquante propositions du rapport du président Larcher pour le plein exercice des libertés locales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué .  - Merci à tous les intervenants. Si certains propos se limitaient à des concours d'adjectifs, beaucoup ont fait apparaître des points de convergence, et de divergence, entre nous.

Il n'y a que 10 % de dépenses vertes, regrette Mme Lavarde. L'élaboration du jaune budgétaire qui retrace le budget vert a coûté de nombreux efforts et a vocation à s'améliorer avec le temps. Beaucoup de dépenses sont en réalité grises car notées favorablement sur certains des six critères retenus, et défavorablement sur d'autres. Nous avons considéré que salaires et les transferts étaient neutres par principe, mais sommes ouverts à une évolution méthodologique sur ce point.

La progression des dépenses « vertes » est sensible, toute comme la baisse des dépenses « brunes » - même si celles-ci, qui relèvent de l'accompagnement fiscal des dépenses énergétiques de ménages et des entreprises, sont politiquement difficiles à diminuer.

Le plan de relance représente 100 milliards d'euros, dont 86 milliards d'euros sont portés par l'État et 66 milliards sont des crédits budgétaires. Il sera engagé pour moitié fin 2021. En 2020, nous dépenserons 10 milliards d'euros - je vous renvoie à l'amendement adopté à l'Assemblée nationale au PLFR4. En 2021, 22 milliards de crédits de paiement sont inscrits sur la mission « Relance », plus 16,5 milliards répartis sur d'autres missions, dont 11 milliards d'euros de PIA.

La rapidité d'exécution du plan de relance sera gage d'efficacité, alors que l'épidémie repart.

La Commission européenne verrait d'un mauvais oeil la baisse des impôts de production, dit le président Raynal. Au contraire, en 2019, elle avait demandé une baisse d'au moins quatre points. Cette baisse ne serait accompagnée d'aucune contrepartie ? Là aussi, je le réfute. L'Assemblée nationale en a votées plusieurs, en matière d'embauche des jeunes, d'émissions de gaz à effet de serre ou d'égalité salariale - bien plus que celles prévues pour le CICE ! Le pari n'est pas plus hasardeux que celui de la création du CICE fin 2013.

La compensation pour les collectivités locales sera intégrale, et dynamique. Je comprends l'inquiétude des élus, pour avoir vécu l'expérience de la compensation de la part salaire de la taxe professionnelle. Le modèle de compensation que nous proposons est plus simple, plus viable, plus dynamique.

Qualifier de « riches » les 20 % de Français qui paient encore la taxe d'habitation à 100 % est abusif : est-on riche avec un revenu fiscal de référence de 27 000 pour un célibataire, de 42 000 euros pour un couple ?

Je sais qu'au Sénat, le débat sur les collectivités locales sera nourri. Le maintien des dotations aux collectivités territoriales pour la quatrième année consécutive et la hausse de la dotation de péréquation sont des assurances pour les élus locaux.

Ce PLF comporte des dispositions importantes pour les zones rurales, avec le maintien des dotations d'investissement et la possibilité de reconduire sur l'exercice 2021 les crédits non-engagés en 2020. Le milliard d'euros de DSIL voté dans le PLFR3 sera ainsi engagé à 100 %.

Un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale proroge de deux ans les régimes zonés, ce qui doit rassurer les élus ruraux.

Le Gouvernement présentera un amendement pour garantir aux communes de moins de 5 000 habitants la compensation de la perte de DMTO en 2021.

Le Gouvernement et l'État sont aux côtés des collectivités territoriales. Le budget de l'État finance les priorités du Gouvernement, cela se traduit par une hausse des crédits des ministères et une stabilité des dotations aux collectivités. On ne peut à la fois revendiquer l'autonomie fiscale et une hausse des dotations...

Il y a eu parfois des concours d'adjectifs, de jeux de mots. M. Bascher s'y est particulièrement illustré. À l'écouter, j'avais l'impression d'entendre une variante de la règle des trois D : dénoncer les déficits et la dette mais augmenter les dépenses...

Avant la crise, le Gouvernement avait tenu ses engagements en matière de trajectoire des finances publiques. Le poids des prélèvements obligatoires est passé de 45 % à 44,1 %, celui des dépenses publiques de 55,5 % à 54 %.

Nous devrons collectivement assumer la dette, qui pourra être en partie cantonnée mais qui est aussi l'héritage de vingt ou trente ans de déficits accumulés.

Suivant le raisonnement de M. Bocquet, nous ne serions plus souverains depuis 1974, première année d'endettement auprès des fonds souverains.

M. Éric Bocquet. - En effet, c'est là que ça a commencé.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Nous aurons à écrire ensemble la trajectoire de finances publiques la plus réaliste possible en matière de résorption et de soutenabilité de la dette et des déficits.

Ce projet de loi de finances est sincère car nous respectons parfaitement l'autorisation parlementaire, comme chaque année, avec l'absence des décrets d'avance, au risque de multiplier les projets de loi de finances rectificative.

M. André Gattolin. - C'est vrai.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - L'actualisation des hypothèses au fil de l'eau est certes une méthode inconfortable, mais gage de la sincérité du document et de l'exercice budgétaire. C'est valable pour le projet de loi de finances comme pour le PLFSS.

Dans une décision du 21 janvier 1993, le Conseil constitutionnel résume la sincérité budgétaire à l'absence d'intention de fausser les grandes lignes budgétaires. C'est bien le cas ici.

L'article 32 de la LOLF dispose que les prévisions du Gouvernement sont étayées par les informations disponibles. À chaque fois que nous disposons d'information, nous clarifions nos hypothèses.

Le sénateur Bascher s'interrogeait sur la lisibilité d'une mission qui concentre 36 millions d'euros en trois programmes relevant du seul ministère de l'Économie. J'assume ce choix, cela assure une plus grande fongibilité, permet la clause de revoyure et le redéploiement des crédits. Selon l'article 7 de la LOLF, mission et programmes sont construits selon la finalité des crédits. Ici, la finalité est la relance.

Je rappelle que le plan de relance de 2008-2009 était concentré en une seule mission, confiée à un ministère ad hoc.

Notre discussion, sincère et loyale, doit nous conduire à nous interroger collectivement sur l'emploi de nos moyens et la manière dont nous redresserons les comptes publics. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE LIMINAIRE

M. le président. - Amendement n°I-1084, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, tableau, troisième colonne

Rédiger ainsi cette colonne :

Prévision d'exécution 2020

-0,6

-7,2

-3,5

-11,3

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Il s'agit d'une actualisation pour tenir compte de la révision des prévisions macroéconomiques en matière de récession et de déficit public.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous sollicitez l'avis du Haut Conseil des finances publiques. Quelles questions précises lui avez-vous soumises ? Seules les prévisions de croissance pour cette année sont revues, pas les perspectives pour 2021 - or c'est le projet de loi de finances pour 2021 que nous examinons.

Certes, vous êtes pris en étau, mais c'est encore plus désagréable pour le Sénat, qui a besoin d'être éclairé.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - La saisine du Haut Conseil vise à tenir compte de l'évolution de la situation épidémique. Il s'agit de mesurer l'impact de la crise dans l'hypothèse d'une sortie progressive du confinement, sans nouveau confinement en 2021, avec une hypothèse de croissance de 6 % au lieu des 8 % initialement prévus à la mi-septembre.

Ces 6 % intègrent le résultat du plan de relance et une sortie progressive du confinement.

Si le Haut Conseil rend, avant la fin de l'examen de la première partie, un avis qui confirme notre hypothèse, nous en tirerons les conséquences dans les prévisions de déficit. Sinon, il faudra attendre la seconde lecture.

Si la prévision de croissance a un impact sur les recettes, elle a également un impact sur les dépenses.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pourquoi ne pas déposer, à ce stade, des amendements de crédit pour la seconde partie qui permettraient un meilleur fléchage ?

À chaque fois, vous enjambez le Sénat !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Les mesures d'accompagnement de la sortie du confinement sont toujours en discussion. C'est au Sénat que nous avons actualisé l'article liminaire du PLFSS, et vous avez modifié l'Ondam.

Si l'avis du Haut Conseil nous est soumis avant la fin de l'examen de la première partie, nous en tiendrons immédiatement compte et l'Assemblée nationale se prononcera en seconde lecture sur le texte que le Sénat aura actualisé.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je demande une brève suspension de séance.

La séance, suspendue à 18h15, reprend à 18h25.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Les éléments concernant 2020 nous ont été communiqués, et le ministre s'engage à nous communiquer les éléments pour 2021 avec la plus grande célérité.

Quand avez-vous saisi le HCFP ? Le nouveau confinement a débuté il y a trois semaines, le Haut Conseil devrait avoir eu le temps de vous fournir des éléments... Je vous sais animé de la meilleure volonté, mais permettez-moi de regretter ce retard, qui nous empêche de travailler dans les meilleures conditions.

Sagesse.

M. Marc Laménie.  - En additionnant les soldes et les mesures exceptionnelles, le solde effectif est de moins 10,2 points de PIB - solde que cet amendement porte à moins 11,3 points.

Compte tenu des implications, je suivrai à titre personnel le rapporteur général sur cet amendement.

Mme Christine Lavarde.  - L'amendement en tant que tel ne pose pas de problème ; en revanche il est plus difficile de se prononcer sur l'article.

Monsieur le ministre, vous ne participez pas au Conseil de défense - quel dommage que M. Le Maire, qui y siège, ne soit pas là ! Le confinement a été annoncé le 28 octobre, et je sais le Haut Conseil des finances publiques capable de rendre un avis dans les trois jours...

Difficile de valider un article liminaire qui n'est pas conforme à la réalité. Cela dit, nous allons vous donner quitus, pour vous encourager, mais nous n'acceptons pas la manière dont le Sénat est traité. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué.  - Je vous indique qu'il m'arrive de siéger au Conseil de défense. Nous avons saisi le Haut Conseil des finances publiques mardi soir, après quinze jours de confinement, le temps d'en mesurer l'impact sur l'activité économique. Nous avions fait l'hypothèse d'une baisse d'activité de 20 % en novembre mais la Banque de France et l'Insee l'évaluent plutôt à 12 %.

Je ne peux dire à quelle date le HCFP rendra son avis - j'espère lundi ; dans ce cas, nous proposerons une nouvelle actualisation de l'article liminaire sur les recettes et le déficit. Quant aux dépenses, nous continuons à y travailler.

Troisième chose que je ne maîtrise pas : sans actualiser l'article liminaire, nous ne pouvons commencer l'examen de la seconde partie.

Notre seule ligne de conduite est la sincérisation pas à pas. Lorsqu'une validation du HCFP est requise par la LOLF, nous proposons au Parlement d'actualiser à chaque étape de la procédure.

M. Pascal Savoldelli.  - On aimerait comprendre... Le rapporteur général demande une suspension de séance ; je ne sais pas qui il réunit - mais ce n'est pas la commission des finances. Dont acte.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - J'ai réuni mon groupe. (M. Philippe Dallier le confirme.)

M. Pascal Savoldelli.  - Soit. Il donne un avis de sagesse, Mme Lavarde donne quitus. Il y a comme un malaise ! Combien y a-t-il de groupes ? Sagesse, cela veut dire : à chacun de se déterminer. Mme Lavarde, qui dit « quitus », se prononce-t-elle au nom du groupe ? La diversité ne me gêne pas ; le groupe CRCE vit très bien ses désaccords. Nous voulons juste comprendre. ..

M. Roger Karoutchi.  - Tout va bien, ne vous inquiétez pas !

M. Pascal Savoldelli.  - Mon groupe, lui, avait de toute façon décidé de voter contre cet article - avant et après la suspension. Mais il faut voter maintenant !

M. Rémi Féraud.  - Cette suspension de séance a permis une concertation à laquelle le groupe SER n'a pas été associé. Mais où est le problème ? Il s'agit d'une actualisation provisoire, il y en aura d'autres en 2020 au cours de cet examen budgétaire, puis en 2021. Nous aimerions être éclairés sur la nature du problème qui semble exister entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement...

Mme Sophie Taillé-Polian.  - (Exclamations à droite) Le GEST se prononcera contre l'article liminaire, avec ou sans cet amendement. Les prévisions de croissance et la construction même des indicateurs sont obsolètes, au regard de la crise.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Monsieur Savoldelli, j'ai exprimé la position de la commission des finances qui s'est réunie ce matin. M. le ministre nous a apporté des précisions, lors de la suspension, sur les délais très courts dont il a disposé.

L'amendement n°I-1084 est adopté.

L'article liminaire, modifié, est adopté.

ARTICLE 31

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances .  - Rappelons que la contribution française au budget de l'Union européenne dépend de l'issue des négociations sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP).

Après deux années de négociations houleuses, l'accord trouvé lors du Conseil européen du 17 au 21 juillet marque un tournant majeur en créant un CFP « socle » de 1 074 milliards d'euros en crédits d'engagement, complété par un instrument de relance de 750 milliards, abondé par le Parlement européen de 16 milliards supplémentaires, en particulier pour le programme Erasmus et la santé.

L'articulation entre les deux est inédite, le second est financé par des ressources levées par la Commission sur les marchés financiers.

Mais le veto de la Hongrie et de la Pologne, rejointes hier par la Slovénie, mettent en péril l'adoption le 1er janvier du nouveau CFP et du plan de relance. Celui-ci est donc suspendu à un désaccord politique qui préexistait à la crise sanitaire. Depuis le début des négociations en 2018, le Sénat n'a eu de cesse d'alerter sur les risques d'un retard qui serait très préjudiciable aux porteurs de projets locaux.

Des interrogations demeurent quant à la gouvernance et à la procédure de décaissement des crédits, longue et complexe, destinée à garantir que les sommes issues de l'endettement commun sont utilisées à bon escient. Dans ces conditions, les plans de relance nationaux restent en première ligne, et ce plan européen n'est en réalité qu'un remboursement a posteriori des premiers.

Autre interrogation, le retour pour la France. Le montant de ses remboursements s'élèverait à 2,5 milliards par an.

Certes, le Conseil européen a fait de l'introduction de nouvelles ressources propres une priorité ; toutefois, la tâche reste immense pour aplanir les divergences entre les États membres en la matière, alors que le Parlement européen estime que le calendrier est juridiquement contraignant, le Conseil européen considère que ce plan est une simple feuille de route. Attention à ce que les ressources propres de l'Union européenne ne soient pas perçues comme un impôt supplémentaire pour nos concitoyens !

Dans ce contexte, l'évaluation du montant de la contribution de la France pour 2021 constitue un exercice de haute voltige... Le montant du prélèvement européen prévu dans ce budget -  de 26,9 milliards d'euros - est en hausse de 13 % par rapport à 2020 mais l'évaluation demeure très incertaine, en raison de la crise qui rend très volatiles les ressources propres. Il y a eu un ressaut de 700 millions d'euros en raison du Brexit. Les rabais sont maintenus, et même renforcés, mais la France a obtenu que la PAC soit privilégiée.

Le coût budgétaire aurait pu être moindre, mais il est certain que le coût politique d'une absence d'accord aurait été beaucoup plus élevé. La France a quand même réussi à faire prévaloir certaines de ses positions, notamment en matière de politique agricole commune. Je recommande donc l'adoption de cet article sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP, Les Républicains)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - L'année 2021 est le premier exercice du nouveau CFP, préparé depuis 2018.

Il doit manquer une étape de solidarité ; le Parlement européen avait obtenu une rallonge de la présidence allemande. Les signaux semblaient au vert, mais le blocage est venu de la Pologne et de la Hongrie, suivies par la Slovénie, sur la conditionnalité des aides en respect de l'État de droit.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé hier que « des solutions pratiques pouvant passer par certaines clarifications techniques de ce mécanisme » étaient à l'étude. Mais d'ajouter : « en dernier ressort, s'il le faut, nous regarderons comment avancer sans les pays qui bloquent, car l'Europe ne peut pas être retenue en otage par un certain nombre de gouvernements ne souhaitant pas respecter le socle essentiel de notre projet politique. ».

Pouvez-vous nous éclairer sur ces « solutions pratiques » et nous garantir qu'il n'y aura pas de décalage entre le CFP et notre plan de relance ?

L'Europe, fondée sur des valeurs communes, doit être un projet d'avenir collectif, assumé et partagé, porteur de sens pour nos concitoyens et destiné à répondre à leurs préoccupations. La clé du problème est ici, au Sénat, et plus largement dans les parlements nationaux qui devront prendre la responsabilité de ratifier ces choix. La commission des affaires européennes prendra pleinement part à ces débats dans les mois et les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP)

M. Patrice Joly .  - Avec une contribution passant de 21,5 milliards à 26,9 milliards d'euros, nous sommes à un tournant. L'augmentation reflète les conséquences du Brexit pour 2,7 milliards d''euros, mais aussi celles de la pandémie, pour 1,6 milliard. Le plan de relance -  d'un montant de 750 milliards pour les trois années à venir  - sera financé exclusivement par les marchés financiers. Certains pays paient moins qu'ils ne devraient. Or le Président de la République et la Chancelière allemande ont accordé un maintien des rabais pour les pays dits frugaux -  Danemark, Pays-Bas, Autriche et Suède  - qui ne représentent que 10 % de la population européenne et qui sont aussi les plus riches. Quel mauvais signal pour la solidarité en Europe !

Pourquoi ne pas taxer dès maintenant les géants du net, les transactions financières, le carbone à nos frontières ? Il faut plus que l'engagement du Conseil européen du 21 juillet sur ce dernier point.

Il vous appartient, monsieur le ministre, de faire avancer nos priorités.

L'accord obtenu sur le CFP la semaine dernière par le Parlement européen est bienvenu, notamment le rééquilibrage en faveur de la santé, du climat, de la jeunesse et de la culture.

Mais les programmes stratégiques vont subir des coupes massives, notamment dans la recherche, l'innovation et l'environnement.

Les crédits pour le développement rural sont en forte régression, or c'est des territoires que viendra la réponse aux défis auxquels nous sommes confrontés. Quant à l'enveloppe de la PAC, elle est maintenue mais ne satisfait complètement ni les agriculteurs, ni les ONG, ni les citoyens.

Nous devons continuer de lutter contre la sous-utilisation chronique des huit fonds de cohésion, dont s'est inquiétée la Cour des comptes européenne.

Les crédits du plan de relance ne seront disponibles qu'à partir de juillet 2021, et ce retard est aggravé par le veto de la Pologne, de la Hongrie et de la Slovénie, qu'il est indispensable de désamorcer d'urgence.

Sous ces réserves, le groupe SER votera l'article 31. Il faut que les négociations s'achèvent au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Emmanuel Capus .  - La participation de la France au budget de l'Union européenne est particulière cette année, à cause de la crise sanitaire et économique, d'une violence inouïe. L'Union européenne consacre des moyens importants à la juguler. Je pense bien sûr à la première émission de dette commune.

L'année 2021 aussi est le premier exercice du CFP, négocié depuis 2018, qui courra jusqu'en 2027.

L'an dernier, nous alertions sur la difficulté à trouver un accord équilibré et puissant. Avec le veto inacceptable de la Pologne et de la Hongrie, rejointes par la Slovénie, l'unanimité nécessaire sur ces sujets est mise à l'épreuve. Se résigner aux douzièmes provisoires serait insatisfaisant.

Trop d'incertitudes planent encore. La contribution des États membres n'est pas la seule ressource budgétaire de l'Union européenne. Quel impact aura la crise sur les recettes propres ?

La crise et le Brexit rendent nécessaire des efforts que nous acceptons. Ainsi, une part de 40 % du plan de relance de 100 milliards d'euros sera financée par l'instrument de l'Union. Ils ne sont pas automatiques, mais soumis au plan national de relance et de résilience que la France présentera à la Commission européenne.

Ces ressources propres font partie de la relance, en particulier du remboursement de la dette à partir de 2028. Nous avons besoin d'Europe. J'appelle à une utilisation juste, claire et efficace de son budget, à long terme comme pour la relance.

Malgré les incertitudes et les limites, le groupe INDEP votera cet article.

M. André Gattolin.  - Très bien !

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Excellent !

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Mesurons le chemin parcouru depuis la crise et, avant elle, le Brexit : nous pensions que c'était fichu, que la désunion européenne était engagée.

Nous sommes face à une nouvelle donne, celle d'une solidarité européenne, d'une concrétisation des engagements climatiques et d'une ambition écologiste.

L'article 31 est sobre et précis : trois lignes pour 26,9 milliards ! Pour nous, un petit bout de soirée de débat. Mais en réalité, c'est bien plus que cela. Nous avons avancé, mais ce n'est pas encore gagné. Les replis à courte vue, les mécanismes unanimitaires et les négociations interinstitutionnelles facilitent les chantages et les blocages. La « frugalité » dont se targuent certains pays est une manière polie de désigner une pingrerie tout à fait inopportune. Monsieur le ministre, ne cédez pas plus ! Tenir, c'est avancer sur les ressources propres selon le calendrier défini.

Dans cette l'Union européenne, 63 ans après sa fondation, où chacun mesure encore le solde qu'il en retire, les ressources propres sont la seule solution pour casser les logiques de ces copropriétaires crispés, « assis, genoux aux dents », que dénonçait Rimbaud.

Les ressources propres seraient inopérantes si elles devaient se faire au rabais, alors qu'elles peuvent être un moyen formidable de hâter la transition écologique et d'entraîner des partenaires dans ce mouvement. Les accords de libre-échange sont désastreux s'ils ne s'inscrivent pas dans le respect des objectifs climatiques fixés par les accords de Paris.

Le GEST votera cet article. Vous pouvez compter sur son exigence pour que cette feuille de route tienne effectivement ses promesses. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI)

M. André Gattolin .  - Cette nuit, j'ai fait un rêve, un très mauvais rêve... (Exclamations) C'est le lot de nombreux citoyens en ces temps d'incertitude. Dans ce terrible cauchemar, la galaxie Europe était percutée par un astre noir, une pandémie portée par un virus inconnu, provoquant une panique attisée par de piètres prophètes de France et de Hollande, cet autre pays des faux mages...(Sourires)

M. Philippe Dallier.  - Quel poète !

M. André Gattolin.  - ...à tel point que notre pays fermait ses frontières et que des Frexiters en liesse inondaient les rues pour célébrer, verres en mains « la fin du diktat de Bruxelles » ! La France éternelle reprenait le contrôle de son destin, tel un chevalier blanc terrassant le dragon...(Exclamations)

Cauchemar dans le cauchemar, en abîme, comment donc allais-je expliquer à mes enfants que malgré mes quarante ans d'expérience, je n'avais rien vu venir, rien pu faire contre l'assassinat de leur avenir ?

Mon réveil en sursaut coupait court à cette ignominie. J'ai pu passer à l'exercice facile de préparation de ma prise de parole - depuis dix ans, on ne change que le montant de cet article. Il suffisait de copier-coller mes interventions d'une année sur l'autre. Avec 34 mots pour une coquette somme, c'est tout de même l'article le plus cher de toute la loi de finances ! (Rires) Une différence de taille cette année : une inflation de 25 % de notre contribution...et une déflation de 33 % de mon temps de parole ! (Murmures) Cette coquette augmentation de 5,9 milliards d'euros mérite pourtant une pédagogie augmentée !

Dans cette période difficile, il faut dire haut et fort qu'on ne saurait rallumer les étoiles du drapeau européen - un peu flétri - avec des bouts de chandelles.

Cela fait des années que je réclame en vain un rapport annuel sur les apports de l'Union européenne. Il devient urgent de dire et redire tous les bénéfices que notre pays tire de son appartenance à l'Union, au-delà de la seule comptabilité budgétaire.

L'Europe a certes des défauts, mais ce n'est pas en rendant imperceptibles ses qualités qu'on protégera son avenir.

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Excellent !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Très bien !

M. Henri Cabanel .  - Crise sanitaire, Brexit, nouveau cadre financier : l'Union européenne est à la croisée des chemins. Dans ces conditions difficiles, reconnaissons qu'elle a choisi le cap de la solidarité - le cadre financier pluriannuel et l'accord sur les ressources propres, trouvé la semaine dernière en témoignent. Le RDSE approuve pleinement cette évolution.

L'article 31, que nous voterons donc, traduit l'engagement financier de la France, qui nous place aux tout premiers rangs en Europe. En échange, il faut obtenir l'Europe que nous voulons ! Mon groupe est favorable à un équilibre entre politiques traditionnelles et nouvelles priorités.

Nous nous réjouissons que la copie de la PAC de 2018 ait été revue. L'Union européenne et, en son sein, la France portent des ambitions pour notre agriculture qu'il faut concrétiser rapidement.

La programmation d'éco-régimes va dans le bon sens.

Le volet environnemental ne doit pas pour autant occulter les autres problématiques, nombreuses : revenus, compétitivité, filières, transmission...Où en sommes-nous du plan national stratégique que chaque État doit rendre en début d'année prochaine?

Les échéances me paraissent bien lointaines : 2023 pour la création de l'autorité sanitaire d'urgence ! L'Europe ne produit pas de paracétamol, est-ce bien raisonnable ? Je regrette la baisse de la part des subventions au profit des prêts.

Le sens de l'Europe, c'est aussi de respecter les valeurs démocratiques en son sein. Quelles solutions au blocage, voire au chantage de la Pologne, de la Hongrie, et désormais de la Slovénie ? Le respect de l'État de droit est une condition forte de l'adhésion communautaire. Gardons le cap de la solidarité qui donne tout son sens à l'Union européenne !

Le RDSE, fidèle à son engagement européen, votera cet article. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Éric Bocquet .  - La crise sanitaire en cours, le plan de relance, le Brexit conjugués à la détermination du CFP pour les sept prochaines années font du débat sur la part de la France une discussion particulièrement importante cette année. Cela représente 7,1 % de nos dépenses, et c'est un blanc-seing car le Parlement n'a pas de pouvoir sur ce montant.

Ce plan de relance n'a rien d'historique. La France toucherait 40 milliards tout de suite, mais devra rembourser 75 milliards sur 30 ans à partir de 2028 ! La solidarité ne saurait être l'apanage de quelques-uns, quand d'autres bénéficient de rabais exponentiels, alors qu'ils hébergent de grands groupes adeptes du dumping social et fiscal. L'Europe de l'argent persiste et signe !

Des solutions existent partout : la première serait de s'appuyer sur le plan de refinancement de la BCE qui s'élève à 2 550 milliards d'euros de dette publique - dont un quart de la dette française.

Le Gouvernement s'honorerait de convoquer une conférence européenne sur la dette, pour en annuler une partie et en restructurer l'autre partie.

Autre solution, la taxe sur les transactions financières. Selon la Commission, elle rapporterait 81 milliards d'euros par an, quelque 50 milliards à 60 milliards sans le Royaume-Uni. Le rapporteur général du budget européen, Pierre Larrouturou, s'est évertué à la réclamer, avec sa grève de la faim terminée il y a quelques jours.

Nous vivons la pire crise depuis la seconde guerre mondiale. Tout est à rebâtir, et les rouages du capitalisme financier sont trop bien huilés et gardés pour être empêchés par quelques grains de sable. Il faut s'en prendre aux mécanismes mêmes et à ceux qui les activent. Ils sont nombreux et puissants. La réponse doit être conséquente et intraitable. (Applaudissements sur les travées du CRCE)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La participation française au budget de l'Union Européenne est un révélateur : sa forte augmentation est un stigma du Brexit et de la nécessité de réponses exceptionnelles à la crise. Les États membres avaient décidé de mettre en oeuvre un plan de relance économique inédit.

Le groupe Les Républicains salue cette capacité à faire bloc et votera cet article. Mais cela n'enlève rien à l'habilité de certains États, qui ont pu non seulement conserver leurs rabais, mais les augmenter. La France, affaiblie politiquement et économiquement, paie aussi ses déficits passés : elle paiera plus en faveur des pays qui ont des revenus par habitants supérieurs... La disparition du chèque britannique était une occasion unique de mettre un terme à ce système injuste. La potion est un peu amère. Je crains que ce renoncement nous conduise à l'avaler après 2027. Ce revenu illustre le fait que l'envolée de la cotisation le fait que l'envolée de la cotisation gouvernementale fixe n'est pas conjoncturelle.

Je n'ignore pas les bienfaits de l'Union européenne, mais la France paiera 28 milliards par an en sagesse par le prochain CFP, contre 20 pour le CFP 2014-2020. Nous ne sommes pas opposés par principe à l'emprunt européen.

La communication du Gouvernement se borne à dire que l'Union Européenne financera 40 milliards des 100 du plan de relance - c'est un peu court alors que la France aurait pour les emprunter directement un taux infini, et elle aura de toute façon à les rembourser, à hauteur de 60 à 70 milliards d'euros ! Cela fait 2 milliards de plus chaque année.

L'accord politique global de la semaine dernière prévoit l'introduction dès 2026 d'un panier de ressources propres bienvenues.

Mais il ne les crée pas -  alors que, par expérience, il y a loin de la coupe aux lèvres dans ce domaine fiscal : rien ne garantit à 100 % que les engagements d'aujourd'hui seront bien les ressources de demain.

Si ces nouvelles ressources propres voient le jour, elles nous feront basculer vers un autre modèle.

Pour certains, il s'agirait d'un retour aux sources à la différence que les nouvelles taxes financeraient les politiques communes mais aussi l'émission d'une dette commune, ce qui est décidemment nouveau !

Si nous ne sommes pas dans un moment hamiltonien, c'est bien un pas supplémentaire vers un fédéralisme budgétaire qui ne dit pas son nom. Cela mériterait un débat large, approfondi et éclairé ; or je ne crois pas que cela ait été présenté en ces termes aux Français.

Les sommes mobilisées doivent bénéficier à la croissance et à la compétitivité des pays de l'Union et des réformes fondamentales devront également avoir lieu afin que l'argent emprunté par les Européens leur bénéficie bien et pas à leurs concurrents. Cela nécessite une politique industrielle et numérique offensive, à l'instar de la Chine et des États-Unis. Ne reléguons pas l'Europe à un espace de libre-échange et à un terminus des flux migratoires.

L'Europe doit se réformer et s'affirmer dans la cohésion face à des États-puissances et des entreprises mondialisées qui, main dans la main, ne font plus de politesses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Fournier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La discussion de cet article intervient dans un contexte bien particulier : 2021 est la première année du nouveau cadre financier pluriannuel jusqu'en 2027, mais elle marque aussi un défi pour l'Europe face à une crise sanitaire et économique sans précédent - entre avril et juin, le PIB de la zone euro a baissé de 12,1 %.

Face à ces enjeux, l'Union européenne a répondu d'une voix, avec le plan de relance et l'endettement européen. La contribution française se montera 26,9 milliards, auxquels s'ajoutera 1,6 milliard de droits de douane. C'est une augmentation de 25,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. En Allemagne, la fausse serait de 42 %. Il s'agit de la conséquence de la crise sanitaire, du Brexit et des rabais négociés par certains États.

L'accord du 10 novembre entérine un complément budgétaire de 16 milliards pour Erasmus plus, le programme Recherche Horizon Europe et le programme EU for health. Mais nous sommes confrontés au blocage de la Pologne, de la Hongrie et de la Slovénie. Où en sommes-nous de ces négociations ?

L'Union européenne doit également faire face à la crise et aux incertitudes que provoque le Brexit dont nous ignorons toujours les conditions dans lesquelles il se fera. Dans le Pas-de-Calais, on s'inquiète pour les zones de pêche.

Malgré cela, le groupe Union centriste se félicite du renforcement des objectifs climatiques dont la part passe de 25 à 30 % dans le plan de relance. Pour la première fois est introduit le mécanisme de la conditionnalité en fonction du respect de l'État de droit.

Nous approuvons la mise en place de ressources propres : la taxe sur les déchets plastiques non recyclés, celles sur les géants du numérique, sur le carbone aux frontières et sur les transactions financières sont autant d'avancées bienvenues.

Si la France reste l'un des principaux contributeurs du budget européen avec 21,5 milliards d'euros, elle en est aussi l'un des principaux bénéficiaires, avec 15,1 milliards en 2019, et le premier pour la PAC, avec 9,6 milliards.

Monsieur le ministre, que devient la dette britannique à l'endroit de l'Europe ? Le montant est-il fixé, les modalités de remboursement définies ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - J'ai noté un assez large consensus pour soutenir le CFP et le paquet budgétaire, et je m'en réjouis. Le CFP 2021-2027 porte plusieurs augmentations de crédits, auxquelles s'ajoutent les 750 milliards du plan de relance, dont 400 milliards de subventions directes. Au total, c'est presque un doublement du budget de l'Union européenne, avec 2 000 milliards d'euros.

Lorsqu'on parle d'un pas historique, inédit, on ne galvaude pas les termes.

Monsieur Allizard, dire que nous emprunterions à des taux moins élevés au niveau national est contestable : les taux européens sont de plus en plus bas et le plan soutiendra aussi une relance chez nos voisins directs avec qui nous commerçons. Il faut donc saluer cette avancée, comme l'a fait M. Fernique.

La discussion institutionnelle a permis d'augmenter le budget européen de 16 milliards d'euros supplémentaires au bénéfice de la santé, du programme Erasmus et de la R&D.

Qu'a obtenu la France ? D'abord la PAC, principal retour sur le budget européen, était menacée d'un recul de 15 milliards d'euros dans la proposition initiale de la Commission. Elle est désormais stabilisée, notamment dans son premier pilier, qui sécurise les revenus de nos agriculteurs.

Les crédits des politiques régionales augmenteront de 5 % lors de la prochaine programmation pluriannuelle.

Il faut relativiser les déceptions : le Fonds européen de défense est certes moins doté que prévu mais il est en soit une avancée importante avec l'amorce d'une mutualisation en la matière.

Nous n'avons jamais perdu de vue l'intérêt de la France dans la négociation. Pour 80 %, la hausse de la contribution française pour 2021 est liée à la double crise du Brexit et de la covid. Oui, cette augmentation se pérennisera dans le CFP, mais c'est la conséquence à long terme du Brexit et des avancées obtenues sur la PAC.

Les rabais témoignent d'un échec européen. Ils ont été introduits en 1984 pour le Royaume-Uni et étendus à cinq autres pays il y a vingt ans. On peut le regretter mais au moins n'avons-nous plus à payer le rabais britannique.

Le plan de relance européen viendra rembourser en partie notre plan de relance national. Ses 40 milliards d'euros arriveront un peu plus tard, mais ils ne ralentiront pas d'un jour la mise en oeuvre complète de notre plan national. Ce plan de relance est une composante essentielle de notre effort national. Ses crédits arriveront dès le premier semestre 2021.

Concernant le blocage sur l'État de droit, une nuance : la Slovénie a soutenu la Hongrie et la Pologne mais n'est pas tout à fait sur la même position. Quoi qu'il en soit, nous ne renoncerons pas à un mécanisme que tous les chefs d'État et de gouvernement ont accepté le 21 juillet, tout comme le principe de nouvelles ressources propres. Les plus prometteuses touchent au numérique et au prix du carbone aux frontières européennes.

Le Parlement européen en a renforcé l'exigence en demandant des engagements précis à la Commission avant la fin du premier semestre 2021, pour statuer avant la fin 2022. Des étapes majeures ont été franchies, même s'il en reste d'autres devant nous.

Il faut des ressources justes qui fassent contribuer ceux qui bénéficient de l'Europe sans participer à son financement.

En écho au rêve de M. Gattolin, le rapport que vous demandez existe : c'est le jaune budgétaire, qui pourrait certes être étoffé. Nous n'insistons pas suffisamment, c'est vrai, sur le coût de la non-Europe. Un seul chiffre pour l'illustrer : depuis 1999, avant l'euro et aujourd'hui, la charge de notre dette est restée la même, alors que son montant a doublé. Cela montre tout l'intérêt de l'euro et d'une Europe de la solidarité et prouve l'absurdité d'une logique de juste retour. (Applaudissements sur les travées RDPI)

M. le président.  - Amendement n°I-794 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, M. Bouchet, Mmes Deromedi et Garriaud-Maylam, MM. Calvet, Charon, Le Gleut, Boré et Le Rudulier, Mme Thomas, MM. Daubresse, Frassa et Pellevat, Mme Micouleau, MM. Vogel et Longuet, Mme L. Darcos, M. B. Fournier, Mmes Dumas, Chain-Larché et Delmont-Koropoulis, M. Bonhomme, Mme Bonfanti-Dossat et M. Meurant.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Dans un délai d'un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conséquences financières pour la France de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, de la mise en place du plan de relance européen décidé le 21 juillet 2020 ainsi que du cadre financier pluriannuel de l'Union 2021-2027. Ce rapport précise en particulier l'évolution des montants des contributions directes et indirectes, notamment concernant le montant pour notre pays de la nouvelle ressource propre au profit de l'Union qui s'appliquera à partir du 1er janvier 2021 qui sera calculée en fonction du poids des déchets d'emballages en plastique non recyclés, de notre pays au budget de l'Union européenne. Il s'attache à déterminer, en tenant en compte l'ensemble de ces montants, la contribution nationale de chaque pays de l'Union par rapport à sa richesse nationale, ainsi que la prise en charge effective par chacun des États membres des conséquences financières de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

M. Sébastien Meurant.  - Pour certains, l'Europe est un rêve, pour d'autres la cause de tous les maux. Pour beaucoup, c'est quelque chose de difficile à identifier. Le rêve d'une Europe puissante bute sur les réalités ; en témoigne son impuissance face au sort de l'Arménie.

Je demande donc un rapport pour donner aux Français les précisions qu'ils méritent.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial.  - J'y serais favorable si ces informations n'étaient pas déjà disponibles sous le titre « Relations financières de la France avec l'Union européenne », dans les documents annexés au budget. Retrait ou avis défavorable.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État.  - Même avis. Ce document sera enrichi l'an prochain du bilan de la première année de mise en oeuvre du CFP et des conséquences financières du Brexit.

L'amendement n°I-794 rectifié est retiré.

L'article 31 est adopté.

Prochaine séance, demain, vendredi 20 novembre 2020, à 11 heures.

La séance est levée à 20 heures.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du vendredi 20 novembre 2020

Séance publique

À 11 heures

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (texte de la commission, n°117, 2020-2021) (demande du Gouvernement)

À 16 heures et le soir

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président Mme Pascale Gruny, vice-président

Suite du projet de loi de finances pour 2021 (A.N., n°3360)

=> Examen des articles de la première partie (Suite)