Contribution exceptionnelle sur les assurances

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer une contribution exceptionnelle sur les assurances pour concourir à la solidarité nationale face aux conséquences économiques et sociales d'une crise sanitaire majeure, présentée par MM. Olivier Jacquin, Claude Raynal, Mme Sophie Taillé-Polian, MM. Thierry Carcenac et Rémi Féraud.

Discussion générale

M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi instaure une contribution exceptionnelle sur les assurances en cas de crise sanitaire majeure. Le dispositif prévu est juste et proportionné, tout le contraire d'une taxe aveugle... « Nous sommes en guerre » affirmait le Président de la République en mars. Tous, nous appelons à davantage d'État.

Le fonds de solidarité atteint désormais 20 milliards d'euros. « Il n'y a pas d'argent magique » selon les mots du Président. Certes, mais sauver les entreprises qui souffrent constituent une nécessité pour des secteurs comme la restauration, l'hôtellerie, l'aérien, le tourisme ou le petit commerce. Comme dans une économie de guerre, certains secteurs profitent de la situation : les GAFA, les supermarchés, les plateformes numériques et certains acteurs de la santé.

Des mesures d'exception ont été prises au fil des projets de loi de finances rectificative. Début avril, un débat a émergé sur l'impact du confinement, véritable assignation à résidence qui laissait nos automobiles immobiles, entraînant un recul de la sinistralité et, partant, suscitant des surprofits pour les assurances non vie.

Taxer ou ne pas taxer ? That is the question...

Nous proposons un mécanisme sur les assurances non vie. Il ne s'agit pas d'une taxe aveugle, mais nuancée : elle ne s'applique en effet pas au chiffre d'affaires, mais au résultat d'exploitation de 2020 dont 80 % seraient prélevés en fonction de la moyenne des trois années précédentes.

Il ne s'agit pas non plus d'une usine à gaz puisqu'il suffira de prendre la déclaration d'impôt sur les sociétés d'avril 2021 pour l'appliquer. Cela nous paraît préférable à la taxe proposée par M. Husson dans le projet de loi de finances qui s'applique au chiffre d'affaires de toutes les sociétés d'assurance. Nous sommes pour la justice !

Ce mécanisme, en outre, n'est ni systématique ni récurrent, mais exceptionnel, comme le séisme covid qui n'a rien à voir avec les crises cycliques habituelles. Il s'appliquera uniquement en cas d'état d'urgence sanitaire.

M. Nougein, s'inquiète que cette taxe se déclenche quel que soit le périmètre géographique ou le niveau de violence de la crise sanitaire. Mais elle ne s'appliquera qu'aux surprofits. En outre, nous supposons, et espérons, que l'état d'urgence sanitaire restera rare.

Vous affirmez aussi que notre texte reposerait sur le postulat dogmatique selon lequel l'assurance serait systématiquement profitable en cas de crise. Pas du tout ! Les 2 milliards d'euros de surprofits s'approchent de la réalité. Cependant, la situation varie selon les secteurs : si les sinistres de catastrophes naturelles ont crû de 43 % en mars-avril et si les risques professionnels augmentent, le secteur automobile réalise une grosse économie, comme la santé. Les assureurs ont toutefois des inquiétudes sur les contrats de prévoyance santé en 2021, car leur soutien s'applique douze mois après le dépôt de bilan : il n'y a alors plus de cotisations, mais des charges.

Je connais une mutuelle spécialisée dans le spectacle qui perd des sommes astronomiques cette année : 100 millions d'euros de cotisations professionnelles de moins, faute d'activité. Elle ne serait pas taxée par notre dispositif.

Le rapporteur fait également état de la participation des assureurs à la solidarité nationale : 200 millions d'euros annoncés pour le fonds de solidarité, puis, face au tollé provoqué par cette somme ridicule, 400 millions d'euros. Certains évoquent même 4 milliards d'euros... Comme pour le Téléthon ou pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, il faudra comparer promesses et dons réels. Ce n'est qu'en avril 2021 que nous connaîtrons les surprofits des assurances non-vie.

M. Nougein déplore enfin une nouvelle doctrine fiscale opportuniste et conjoncturelle qui taxerait les fabricants de parapluie quand il pleut et les marchands de glace quand il fait beau. Le risque économique s'appréhende sur une échelle supra-annuelle ; en tant qu'agriculteur, j'en suis conscient. Mais notre dispositif est lié à l'état d'urgence sanitaire. Dans le projet de loi de finances, vous avez refusé de majorer le taux d'impôt sur les sociétés et avez supprimé les impôts de production. Voilà qui est dogmatique et aveugle, tout comme la taxe Husson de 2 % sur le chiffre d'affaires des sociétés d'assurances en 2020 ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Vincent Éblé. - Très bien !

M. Claude Nougein, rapporteur de la commission des finances . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des réflexions sur la contribution des assurances au soutien au tissu économique. Nous avons déjà débattu de ce sujet à plusieurs reprises et avons examiné, dans différentes rédactions, ces dispositions dans les deuxième, troisième et quatrième lois de finances rectificatives.

Ce dispositif fiscal est original, car il rétablit un lien causal entre l'état d'urgence sanitaire et la contribution des assureurs. Celle-ci serait assise sur l'augmentation du résultat d'exploitation au regard des trois exercices précédents. L'objectif est clair : taxer les surprofits à hauteur de 80 %.

Ce dispositif repose sur deux présupposés : un lien, d'abord, entre l'état d'urgence sanitaire et les surprofits, que les auditions ont montré peu opérant. Ne perdons pas de vue que l'état d'urgence sanitaire peut entraîner des conséquences économiques et sociales variables ; ce n'est qu'une boîte à outils à la disposition du Gouvernement. Vous ne prévoyez en outre aucune durée ni périmètre géographique minimum dudit état d'urgence pour que s'applique le mécanisme. Je pense par exemple à un accident industriel qui n'aurait qu'une incidence locale. En mars et en avril, les catastrophes naturelles ont augmenté de 43 % par rapport à 2019... Je ne pense pas que l'état d'urgence sanitaire puisse fonder une nouvelle doctrine fiscale.

Le second présupposé considère que la crise sanitaire aurait systématiquement des effets bénéfiques pour les assurances non-vie en raison d'un recul de la sinistralité.

Le Parlement a demandé au Gouvernement, à l'occasion de la deuxième loi de finances rectificative, un rapport sur l'évolution de la sinistralité. Remis en juillet par la direction générale du Trésor, il a montré une baisse de 25 % des sinistres payés, toutes catégories confondues, entre les mois d'avril et mai, soit une diminution de 1,9 milliard d'euros des prestations versées aux assurées. Il convient, toutefois, de rester prudent : l'enquête ne porte que sur deux mois et la direction générale du Trésor a rappelé que la sinistralité globale ne serait connue qu'en avril 2021.

Selon l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), on n'observe pas, à la fin du troisième trimestre, de recul de la sinistralité, à l'exception des sinistres liés à la santé en raison des reports de soins. Les situations sont très variables en fonction des secteurs. Ainsi, la sinistralité liée à l'annulation d'événements est-elle particulièrement élevée. L'ACPR estime également que la sinistralité pourrait augmenter en 2021 en raison de la défaillance des entreprises et des conséquences sur les contrats d'assurance santé collectifs. De fait, les conséquences économiques de la crise sanitaire ont des effets directs plus considérables sur les résultats des assurances que la crise sanitaire elle-même.

La taxation systématique d'un secteur d'activité sous prétexte d'effet d'aubaine créerait un précédent regrettable. Allons-nous taxer les fabricants de crème solaire les années de grand ensoleillement ? La commission des finances n'a pas adopté la proposition de loi et je vous invite à la suivre.

La participation des assureurs à l'économie doit reposer sur leur coeur de métier. Ils ont, du reste, pris des engagements forts, alors que leur solvabilité se trouvera dégradée en 2020. Cette question n'est toutefois pas épuisée en raison, notamment, de la deuxième vague. Le Sénat a apporté une première réponse avec la taxation adoptée dans le projet de loi de finances pour 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - La crise sanitaire a des impacts sur l'ensemble du tissu économique. L'État a pris ses responsabilités pour soutenir l'économie et l'emploi avec le fonds de solidarité, les prêts garantis par l'État (PGE), l'activité partielle, les exonérations et les reports de charges.

Quelque 200 000 commerces et 160 000 restaurants ont dû fermer lors de la deuxième vague. Je pense aux secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, de la culture, contraints de rester fermés à cause d'un virus qui se répand par la vie en société. Nous ne les abandonnerons pas. L'État a été là ; il est là ; il sera là jusqu'au bout. Je mesure leur détresse, en tant que secrétaire d'État, mais aussi comme ancienne entrepreneure. Quand tout s'effondre, on est parfois tentés de chercher des responsables...

Au-delà de l'État, chacun doit faire preuve de solidarité, dont les assureurs. Certains ont montré un bel esprit civique qu'il convient de saluer. Mais nous connaissons tous des entrepreneurs en grande difficulté peu soutenus par leur assureur...

Aussi, Bruno Le Maire les a convoqués dès le printemps pour bâtir une réponse pour les secteurs en danger : ils ont pris des engagements et ont notamment versé 400 millions d'euros au fonds de solidarité. Cet effort était bienvenu, mais la deuxième vague a rendu nécessaire une nouvelle contribution.

Notre demande a été entendue. Je salue l'esprit de responsabilité de la Fédération française de l'assurance (FFA) qui a permis la conclusion lundi d'un nouvel accord sur un gel des primes en 2021 pour les secteurs les plus sinistrés - les TPE et les PME de l'hôtellerie, de la restauration, du tourisme, du sport, de la culture et de l'événementiel ; une couverture d'assistance gratuite pour les chefs d'entreprise et les salariés touchés par la covid-19 avec 3 000 euros pour la convalescence mais aussi la garde d'enfant et la livraison de repas ; une conservation des garanties jusqu'à fin du premier trimestre 2021 même en cas de retard de paiement des cotisations ; l'ouverture de la médiation sur les contrats professionnels en cas de litige, afin de favoriser les règlements à l'amiable. Ces mesures répondent aux difficultés des entreprises.

Le Gouvernement privilégie la logique du dialogue à celle du conflit. Assurés et assureurs doivent mieux communiquer. Le risque pandémique doit désormais intégrer notre logique assurantielle. Nous y travaillons, mais les entreprises ne sont pas encore prêtes à payer de nouvelles cotisations obligatoires. Dans cette attente, des solutions individuelles et facultatives seront proposées : les entrepreneurs pourront ainsi créer des provisions dans des conditions fiscales avantageuses.

Le Gouvernement préfère s'en tenir à cet accord constructif qui apportera des solutions concrètes aux entreprises. L'apaisement vaut mieux que la confrontation.

En outre, le rendement final de la taxe initiée par cette proposition de loi ne dépasserait pas 400 millions d'euros et les assureurs sauront aisément la contourner en annulant leurs surprofits par des provisions : ce n'est donc pas une bonne alternative aux engagements fermes que nous avons négociés.

Le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi. Nous croyons à l'esprit de solidarité dont témoigne l'accord signé avec les assureurs. Nous sortirons de cette crise en aidant nos victimes, pas en cherchant des coupables.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - On reconnaît une bonne idée à ce qu'elle se fraye un chemin dans l'opinion publique et une bonne mesure à ce qu'elle arrive au bon moment dans le débat.

L'idée de faire contribuer l'assurance serait donc bonne, car le secteur dégage des profits faramineux en raison d'une sinistralité qui n'a jamais été si faible. Recul de la sinistralité, diminution des indemnisations et des coûts, le tout sans révision des polices d'assurance : il a résulté de la crise sanitaire une profitabilité exceptionnelle pour les assurances.

Les temps sont difficiles. Les Français ne comprennent pas que des entreprises en tirent profit ; ils demandent de l'équité.

La prise de conscience a été collective et de nombreuses propositions ont été formulées depuis le début de la crise. Le Sénat a très vite relayé la sidération des entrepreneurs privés d'assurance en cas de risque pandémique.

La proposition de loi de Jean-Pierre Decool prévoyait un dispositif assurantiel des menaces sanitaires, mais le Sénat a préféré voter celui de notre rapporteur général Jean-François Husson qui accroît la participation des assureurs à la solidarité nationale. Notre groupe soutient cette mesure exceptionnelle et avait même proposé le doublement du taux applicable. Le Gouvernement a d'ailleurs utilisé cette contribution dans les négociations de l'accord avec les assureurs ! Le crédit en revient au Sénat, force de proposition depuis le début de la crise s'agissant de l'adaptation du cadre assurantiel à l'état d'urgence sanitaire.

Aussi, cette proposition de loi qui créé un dispositif pérenne ne me semble pas arriver au bon moment. Il n'apparaît pas non plus opportun de créer une nouvelle taxe. Notre groupe votera contre ce texte.

M. Éric Bocquet .  - Point d'acharnement de notre part, Madame la ministre, mais Bruno Le Maire n'a décidément que peu d'égard pour le Sénat ! Après avoir ignoré nos travaux ; il les brandit opportunément dans sa négociation avec les assureurs. Il leur dit : soit nous trouvons un aménagement sur le gel des primes, soit nous n'en trouvons pas et le projet de loi de finances reviendra en deuxième lecture ; or le Sénat a voté un prélèvement de 1,2 milliard sur les assurances. Le Sénat, accusé de traiter les problèmes à la hache - la commission des finances appréciera - est utilisé comme un instrument de chantage ! Les députés n'ont, du reste, pas été traités avec plus d'égards.

L'intégralité des mesures votées par notre assemblée s'avèrent complémentaires, justes et proportionnées, parachevant la constitution d'un arsenal pour contraindre les entreprises d'assurance à participer à l'effort de solidarité nationale, auquel elles ont trop longtemps rechigné.

Les 400 millions d'euros des assureurs au fonds solidarité sont un bon début mais largement insuffisants.

La taxe de 1 % - habilement sous-amendée à 2 % par l'UC - sur les primes versées en 2020 est à saluer. Puis le rapporteur général a continué le combat, pour que les entreprises ayant perdu au moins 50 % de chiffre d'affaires bénéficient d'une couverture à hauteur de leurs charges d'exploitation lors de la mise en place d'un état d'urgence sanitaire et Bruno Le Maire a annoncé un gel sur les contrats multirisques 2021. C'est la moindre des choses.

Rappelons à ce stade que les assureurs ont écrit aux restaurateurs pour leur dire que leurs contrats pourraient être suspendus et que leurs pertes d'exploitation pourraient ne pas être couvertes. Un tel chantage est-il digne ? Est-ce une maladresse ? Pour nous, c'est plutôt une offense caractérisée. Le gel était indispensable, mais pas suffisant pour revenir sur les mesures de solidarité adoptées par notre assemblée.

Nous voterons donc cette proposition de loi pour taxer les activités non-vie dont la baisse de sinistralité est manifeste.

La sinistralité automobile - c'est heureux ! - est en chute libre : moins 45 % de blessés de la route entre mars 2019 et mars 2020. La contribution sur les activités non-vie sera donc sans doute d'un rendement faible mais bienvenue.

Les placements des assureurs représentent 91 % de leur bilan, et atteignent 2813 milliards d'euros, soit 200 milliards de plus que l'année précédente. C'est pourquoi nous souhaitions instaurer la taxe sur les réserves de capitalisation, que vous avez refusée. Les établissements bancaires et de crédit sont les grands absents de l'effort de solidarité nationale. Ils tirent parti des 120 milliards de PGE alors qu'ils ne prennent aucun risque. Nous voterons sans réserve cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Teva Rohfritsch .  - Un bon accord vaut mieux qu'une loi hâtive. Bruno Le Maire l'a montré ce lundi avec une négociation rondement menée.

Comme l'a rappelé le rapporteur général, le Sénat a, bon gré mal gré, participé à la réussite de la négociation.

Les assureurs ont consenti non seulement un gel de primes de l'assurance multirisques professionnelle pour les cafés, hôtels, restaurants, mais ils l'ont également étendu aux secteurs de l'évènementiel, du tourisme, du sport et de la culture, ajoutés aux bénéficiaires. Cette proposition de loi est brouillonne et tardive car elle frapperait indifféremment tous les secteurs de l'assurance hors vie.

L'accord signé par Bruno Le Maire favorisera l'aide rapide aux secteurs les plus touchés par la crise. C'est sans doute le souhait des auteurs de la proposition de loi.

L'accord avec les assureurs va encore plus loin pour soutenir les entreprises en difficulté : ils se sont engagés depuis mars, à la demande du Gouvernement, avec 400 millions d'euros pour le fonds de solidarité ; 1,35 milliard d'euros de gestes commerciaux dont 450 millions pour les petites entreprises et les indépendants, 550 millions pour les travailleurs les plus exposés à la covid, 150 millions pour les soignants et 200 millions pour les ménages.

Où placer le curseur et selon quels critères ?

Cette proposition de loi, rejetée par la commission des finances, prévoit de taxer les résultats d'exploitation réalisés lors de l'état d'urgence sanitaire.

Certes il y a eu une baisse des sinistres pour 1,9 milliard d'euros. Mais une vision plus détaillée impose de nuancer. Sur l'ensemble de l'année, la FFA a reconnu une baisse de sinistralité d'1,4 milliard d'euros sur l'année pour l'assurance- dommages ; et pour le reste des secteurs, la tendance s'est même inversée en avril-mai 2020, les sinistres de catastrophes naturelles ont augmenté de 43 %. La proposition de loi ne fait pas de détail : tous les assureurs sont soumis à cette taxe toute l'année, quel que soit l'état du marché...

M. Olivier Jacquin.  - C'est faux !

M. Teva Rohfritsch.  - Il n'est pas acceptable que la taxe proposée par la proposition de loi soit activée même en cas d'état d'urgence sanitaire localisé.

Les assureurs qui se sont bien comportés seraient doublement pénalisés par la taxe.

Cette pandémie a bouleversé nos convictions.

L'État doit permettre aux acteurs économiques d'anticiper les crises mais ne doit pas ajouter des pénalités, de l'instabilité fiscale et des aléas qui se rajoutent à ceux de la crise.

M. Olivier Jacquin.  - C'est une question de volonté !

M. Teva Rohfritsch.  - Nous ne porterons pas cette proposition de loi. Fermons le ban ! Le Sénat a répondu présent.

M. Stéphane Artano .  - La crise de la covid-19 a révélé les carences des assurances. De nombreuses procédures contentieuses ont été ouvertes. Un appel à la solidarité des assureurs a été lancé et ils ont contribué à hauteur de 400 millions d'euros au fonds de solidarité pour les TPE et indépendants, pour des raisons morales et pour faire suite à la baisse de sinistralité qui a engendré des économies imprévues.

Les critiques ne sont pas éteintes car les pertes des entreprises s'élèvent à plusieurs milliards d'euros. Toutefois, certaines sinistralités n'ont pas baissé, comme les accidents domestiques.

Jean-François Husson a voulu clarifier les responsabilités des assureurs et créer une garantie obligatoire et un fonds d'aide à l'indemnisation. Cette proposition de loi instaurerait une contribution exceptionnelle sur la hausse du résultat d'exploitation par rapport aux trois derniers exercices.

Le secteur assurantiel n'est peut-être plus en mesure de couvrir toutes les pertes des secteurs hôtellerie, restauration ou événementiel mais nous devons tout de même les aider. Dans le PLF pour 2021, le Sénat a voté une contribution exceptionnelle de solidarité sur les primes d'assurance dommage. Les différends avec les assureurs portent aussi sur des risques considérés comme normaux.

Cette proposition de loi n'est pas déraisonnable, même si elle aurait mérité des précisions - sur la durée, sur l'étendue géographique. Les membres du groupe RDSE détermineront leur vote à l'issue des débats.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Merci à Olivier Jacquin pour cette proposition de loi. (L'intéressé remercie en retour l'oratrice.) Concourir à la solidarité nationale : telle est bien la question, car nul ne sait dire s'il y aura plusieurs crises sanitaires dans l'avenir. Nous avons tous salué les mesures de soutien à l'économie mais comment les financer ?

En se tournant vers certains ménages qui ont constitué une épargne spécifique, les secteurs économiques qui ont tiré leur épingle du jeu comme Amazon, - qui se félicite, récemment, d'avoir réalisé 60 % de chiffre d'affaires en plus pendant la crise sanitaire -, et les assureurs qui ont réalisé des surprofits.

Selon certains, cette proposition de loi serait brouillonne... C'est notre réponse collective qui l'est ! Certains assureurs ont particulièrement aidé : ce sont les mutuelles, mais cela n'a pas été le cas de tous. Appel à la morale, don forcé, taxe votée au Sénat... Cette proposition de loi vise à ce qu'en cas de nouvelle crise sanitaire, nous ne soyons plus dans le tâtonnement et l'improvisation, et ce, sans évaluation a priori mais sur la base d'un constat posteriori.

On ne gère pas une crise comme celle-là avec des appels à la morale. Certaines compagnies d'assurance ont des moyens : Axa a dépensé 57 869 dollars pour participer à la campagne présidentielle américaine... Comme quoi, les assureurs savent trouver de l'argent quand il faut ! Alors, autant le tourner vers la solidarité et le partage des coûts de la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Michel Canevet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi n'est pas brouillonne mais dogmatique, comme souvent d'un certain côté de l'hémicycle. Elle institutionnalise un aléa. C'est totalement anormal. On revient en 2012 quand un candidat voulait taxer les revenus extraordinaires... (Exclamations sur les travées du groupe SER) Une taxe de 80 % : c'est énorme !

Le groupe UC a lui, eu un raisonnement clair et ordonné depuis le début de la crise. Sur le PLFR2, Françoise Férat a déposé un amendement pour taxer de 10 % les provisions des compagnies d'assurances qui ont réalisé des économies pendant le confinement. Il a été adopté contre l'avis de la commission puis n'a pas été retenu en CMP. Idem au PLFR3, sans succès. Au PLFR4, le président Delahaye a proposé le doublement de cette taxe mais elle n'a pas été retenue au motif que ce serait inclus dans le PLF, ce que Jean-François Husson a fait.

Ainsi, le Gouvernement a pu disposer de cet outil de pression sur les compagnies d'assurances pour les inciter à la modération en 2021. C'est préférable à l'établissement de règles quand nous ne connaissons pas les paramètres des crises.

Pourquoi infliger une peine supplémentaire aux assurances alors qu'elles peuvent agir par différents moyens ?

Nous devons travailler davantage à la couverture la plus large possible des risques, plutôt qu'élaborer des solutions dogmatiques sans application possible.

Le bon sens doit prévaloir. Le groupe UC ne votera pas ce texte qui ne présente aucun intérêt (Protestations sur les travées du groupe SER) et porterait atteinte aux bonnes relations avec les opérateurs, d'autant que son rendement pourrait être très modeste, comme l'a confirmé la ministre, au regard des coûts de la crise. Cette proposition n'est pas à la hauteur, contrairement à celle du président Delahaye, qui rapporterait quelque 1,2 milliard...

M. Olivier Jacquin.  - Ah ?

M. Michel Canevet.  - Cela, c'est du concret !  (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Thierry Cozic .  - Le bonheur des uns fait le malheur des autres - l'adage populaire vaut particulièrement pour les relations entre assurés et assureurs.

Le mécanisme proposé n'a rien de confiscatoire : il taxe le résultat d'exploitation, en complément de la taxe Husson à 20 % et de l'augmentation de la TSA. Mais ces dispositifs présentent des lacunes et celui de cette proposition de loi semble plus opportun.

Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre : nous voulons taxer les surprofits - plus de 2 milliards d'euros - et non les profits.

Cette proposition de loi n'a rien de superflu : les pertes indemnisables liées à la pandémie ne sauraient être laissées à l'appréciation des seuls assureurs. Un simple gel des tarifs pour les assureurs - mais aussi la culture, l'événementiel ou le sport - est loin de faire le compte.

La majorité sénatoriale et le Gouvernement sont d'accord pour ne pas brusquer « la poule aux oeufs d'or » - comme a dit le rapporteur général en commission des finances.

Un ancien assureur, président de la région Hauts-de-France, n'a pas ces pudeurs de gazelle et veut agir.

Les assureurs ont refusé d'indemniser les restaurateurs, même ceux dont les contrats comportaient pourtant une garantie contre les pandémies ! Pour eux, comme pour les catastrophes naturelles, l'État devait intervenir - alors que le mot de pandémie figurait parfois dans les contrats !

D'autres indiquent à leurs assurés qu'à compter de 2021, ils ne seront plus couverts pour le risque pandémique - mais c'est donc qu'ils l'étaient jusqu'à présent !

Un célèbre chef gastronomique en a récemment fait l'amère expérience : après avoir refusé de l'indemniser, son assureur a voulu lui faire signer un avenant qui diminuait ses garanties. Il a refusé, et s'est vu signifier la résiliation de son contrat.

De fait ce mécanisme n'est pas superfétatoire et encore moins obsolète, d'autant que malheureusement la pandémie de la covid-19 risque fort de n'être que la première d'une longue série.

C'est ce que montrent les études. Un groupe d'experts de l'ONU prévient : « les pandémies futures seront plus fréquentes, se propageront plus vite, feront plus de mal à l'économie et tueront plus de personnes si l'on ne fait rien ».

Et de mettre en évidence l'effet des liens de plus en plus étroits entre les humains et les animaux sauvages : jusqu'à 850 000 virus présents chez les animaux seraient capables d'infecter les humains.

Comment peut-on, face à ces chiffres, taxer cette proposition de loi d'obsolescence ? « Gouverner, c'est prévoir; et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte » disait Émile de Girardin.

Une donnée ne varie pas : les profits colossaux des assureurs en cas de baisse de sinistralité.

Ce trait d'esprit d'Edgar Morin traduit le sentiment du groupe SER sur cette proposition de loi : « Je crains le pire qui est probable, mais j'espère en l'improbable. »

J'espère sincèrement que nous n'aurons pas à faire usage de cette proposition de loi mais il est urgent de l'adopter. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les entreprises françaises sont très durement touchées par la crise. Nombre d'entre elles ont été confrontées à une absence de prise en compte de leurs pertes d'exploitation par leurs assureurs - qui ont de leur côté fait d'importants bénéfices.

Je comprends donc l'objectif de cette proposition de loi mais j'en conteste la méthode. On ne peut postuler une hausse des résultats d'exploitation des compagnies d'assurance pendant une crise sanitaire. C'est un raccourci trop simple.

Le deuxième confinement a, à cet égard, été très différent du premier. Des mesures intermédiaires ont été mises en place. En créant une disposition fiscale pérenne, nous ouvrirons la porte à des contestations systématiques en cas de profits réalisés en cas de pandémie.

Mieux valait des mesures temporaires et exceptionnelles, comme celle qu'a fait adopter le sénateur Husson. Davantage soutenir les entreprises est bien plus opérant.

De plus, le ministre Bruno Le Maire a obtenu un gel des cotisations pour les contrats multirisques professionnels pour les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration pour 2021.

M. Olivier Jacquin.  - Cela n'a rien à voir !

M. Cyril Pellevat.  - Je comprends que le ministre tienne à ne pas imposer de nouvelles charges aux entreprises qui sont déjà fortement mises à mal, mais je ne pense pas, à titre personnel, que la solution soit de leur donner uniquement la possibilité d'épargner.

Le soutien des entreprises n'est pas du seul ressort de l'État ; il relève aussi des assurances, au titre de la solidarité, mais d'une façon réfléchie et mesurée. Ce n'est pas hélas pas la démarche de cette proposition de loi.

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise sanitaire a frappé notre économie de plein fouet. Malgré le soutien massif de l'État, beaucoup d'entreprises vont jouer leur survie dans les prochains mois.

Il est normal que les assureurs prennent leur part de l'effort de solidarité. Concrètement, cette proposition de loi cible les sur-bénéfices, au prix de nombreux écueils, en créant une contribution exceptionnelle sur le résultat d'exploitation des entreprises d'assurance non-vie, dès lors que l'état d'urgence sanitaire a été appliqué au cours d'un exercice comptable.

De plus un dispositif pérenne n'est pas souhaitable : mieux vaut une mesure fiscale exceptionnelle comme celle votée par le Sénat dans le PLF 2021.

Les grands assureurs mondiaux que compte la France ne doivent pas être fragilisés par la contribution prohibitive prévue par cette proposition de loi.

De plus, les adhérents à la FFA ont consenti 2,6 milliards de gestes commerciaux, auxquels s'ajoutent 400 millions de contribution au fonds de solidarité.

Il faut s'en tenir au coeur du métier des assurances : l'indemnisation des risques prévus dans les contrats. C'est le sens du travail du Sénat, qui a voté l'inclusion d'une clause prévoyant des indemnisations en cas d'urgence sanitaire.

Je regrette les lenteurs du Gouvernement pour trancher la question de la participation des assurances à l'effort national. Il ne s'est pas saisi de la proposition de loi Husson, a mis en place un groupe de travail sans que l'on connaisse l'avenir réservé à ses propositions, et n'a pas non plus repris les nouveaux mécanismes proposés par la FFA.

La covid-19 nous a fait prendre conscience qu'il n'était plus possible de s'exonérer du risque sanitaire. Mais parce que cette proposition de loi n'offre pas le dispositif le plus adapté pour anticiper ce nouveau risque, ni même pour faire participer les assurances à la solidarité nationale, nous ne pouvons y répondre favorablement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Dumont .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi prévoit un taux de contribution de 80 % de l'augmentation du résultat d'exploitation des assurances pendant l'exercice où l'état d'urgence sanitaire est déclaré. C'est tout à fait prohibitif, alors que le Sénat a voté, comme les précédents orateurs l'ont rappelé, des contributions tout à fait adaptées.

« La crise sanitaire n'a pas de coupables mais les assureurs font de bons boucs émissaires », comme l'écrit Bertille Bayart dans Le Figaro du 1er décembre.

Beaucoup de secteurs de l'assurance pourraient aussi connaître des pertes : les effets précis de la crise sanitaire sur la sinistralité et l'activité n'apparaîtraient que dans les prochains mois. Cette proposition de loi est précipitée.

Enfin, les assurances sont le seul secteur à avoir contribué au fonds de solidarité ; et le ministre Bruno Le Maire vient d'obtenir d'eux un gel des tarifs pour 2021 dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration, l'évènementiel, le sport et la culture.

« Élever la voix ne donne pas raison » dit un proverbe chinois. Attention au jour d'après. Je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

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M. Jean-Claude Tissot .  - La baisse des accidents et sinistres justifie un effort des assureurs. La contribution ébauchée ne saurait être répercutée sur les assurés. Le conseil municipal de Saint-Étienne a adopté un voeu en ce sens, avec le soutien de la majorité Les Républicains et du maire, Gaël Perdriau. Vous voyez que de telles mesures peuvent recueillir l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Jacquin .  - Il n'est pas trop tard pour cette proposition de loi, madame le ministre, puisqu'elle construit un outil récurrent.

Deuxième objection : un rendement faible. Mais il ne s'agit pas d'aller chercher de l'argent, madame la ministre, mais de taxer un surprofit ! Les assureurs ont fait des « gestes », cela a été abondamment rappelé, mais 7 des 12 majors automobiles n'en ont fait aucun. Une grande mutuelle agricole fait 600 millions de chiffre d'affaires dans le Grand Est ; elle a consenti 18 millions d'euros de « geste », soit son résultat d'employabilité moyen.

Si on lui appliquait la taxe aveugle de 2 % sur son chiffre d'affaires - tant vantée par la majorité sénatoriale - elle y perdrait !

M. Patrice Joly .  - Je m'étonne de certaines interventions. Pour écarter cette contribution, on a parlé de « générosité », de « dons » mais qu'est-ce que ce pays où l'on négocie sa contribution ? C'est à la loi de le faire, en fonction des capacités de chacun. Je voterai sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Philippe Folliot .  - L'idée est louable, mais la mise en oeuvre ne tient pas compte des réalités du marché : il y a des sociétés privées, d'autres mutualistes. In fine, il sera toujours possible d'ajuster pour chaque compagnie d'assurances le niveau de contribution demandé à l'assuré et pour ce dernier de choisir sa compagnie d'assurances. Le Sénat a simplifié, par des votes récents, le changement d'assureur. Nous comprenons la démarche mais doutons de l'efficacité de la mesure proposée. Le groupe UC votera contre.

M. Claude Nougein, rapporteur. - Il y a eu un consensus, au Sénat, pour faire participer les compagnies d'assurances à la solidarité nationale, et les taxer. Le principal problème de ce texte est la notion de « surprofit ». Il faut avoir une vision globale du bilan ! Or les actifs vont baisser : immobilier commercial - les assurances sont propriétaires de beaucoup de centres commerciaux - comme obligations d'État... Je pense donc qu'il n'y aura pas de surprofits dans les deux ou trois prochaines années.

À l'avenir, une crise sanitaire locale pourrait entraîner l'application de cette loi alors que des surprofits peuvent avoir d'autres sources. Un bon impôt a une assiette large et un taux faible ; là, c'est tout l'inverse !

La proposition de loi est mise aux voix par scrutin public à la demande du groupe Les Républicains.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°48 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l'adoption 106
Contre 226

Le Sénat n'a pas adopté.