Accord France-Monaco

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

Discussion générale

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises .  - Le 25 février 2019, la France et Monaco ont signé l'accord sur les dons et legs aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, dans le cadre de notre coopération ancienne. Un tel accord est la manifestation des liens étroits qui unissent la France et Monaco.

Politiquement, ces relations se sont renforcées depuis la signature du traité d'amitié de 2002, symbolisée, depuis le 1er janvier 2006, par l'élévation du consulat français au rang d'ambassade.

La commission mixte franco-monégasque coprésidée par le secrétariat général du ministère des Affaires étrangères et le ministre d'État monégasque se réunira très prochainement. Elle n'avait pu le faire en 2020 en raison de la crise sanitaire.

Les liens entre la France et Monaco sont particulièrement importants pour le développement des Alpes-Maritimes. Environ 35 000 Français travaillent à Monaco, 10 000 y résident et 400 Monégasques vivent en France.

Fiscalement, la convention de 1950 a évité les doubles impositions ; elle a défini également les règles successorales. La convention de 1963 portait sur l'impôt sur le revenu.

Celle-ci concerne les dons et legs à des personnes publiques ou des organismes à but désintéressé. Aucune exonération réciproque n'existait jusqu'à présent pour les dons et legs fait dans l'autre État. Depuis 1969, les exonérations pouvaient être attribuées mais uniquement sur la base de décisions ponctuelles, dès lors que l'organisme était éligible à ces exonérations sur le territoire de l'État de provenance.

Ce projet de loi donne un cadre juridique stable à ces exonérations. Il s'agit de définir des règles claires, comme c'est le cas avec nos autres voisins ou d'autres partenaires. Cela mettra fin à la pratique des décisions interministérielles.

Un texte a été approuvé par les parties en 2018 et signé le 25 février 2019. Il précise les personnes morales pouvant bénéficier de ces dons et legs : « les États parties, leurs collectivités locales et territoriales, des établissements publics d'utilité publique et des organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l'un des États parties ». Il sécurise le cadre juridique qui leur est applicable.

Il a un effet rétroactif pour les legs de personnes décédées à partir du 1er janvier 2012. Il témoigne également de la volonté de nos deux pays de faciliter le financement de structures qui concourent à l'intérêt général.

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances .  - La représentation nationale est chargée de la ratification des accords internationaux sans toutefois pouvoir les modifier. Il faut donc en examiner attentivement le contenu.

La principauté de Monaco se singularise par une forte attractivité fiscale. Aussi, deux conventions anciennes permettent d'éviter que des Français ne transfèrent leurs bénéfices ou leur domicile fiscal pour échapper à l'impôt français.

Cet accord comble un vide s'agissant des dons et legs. Depuis 1969, selon une pratique constante, la France et Monaco, hors de toute base conventionnelle, les exonèrent de droits de mutation à titre gratuit lorsqu'ils interviennent dans l'autre État, lorsque le bénéficiaire est une personne publique ou un organisme à but désintéressé.

Les cas sont cependant rares : six demandes de Monégasques depuis 2010 ; en sens inverse, un seul cas, celui d'un Français souhaitant réaliser un legs important au profit d'un hôpital monégasque.

L'accord précise les bénéficiaires des exonérations. L'article 2 pose une condition de stricte réciprocité. Pendant la négociation, toutes les demandes ont été gelées : quatre ont été formulées, concernant 25 millions d'euros de dons et legs, représentant 4 millions d'euros de droits de mutation.

Les pertes de recettes résultant de cet accord devraient être limitées pour la France et son caractère incitatif est difficile à mesurer, car il se substitue à une pratique déjà bien établie.

En tout état de cause, fixer un cadre financier à ces opérations est utile. La commission des finances est favorable à ce projet de loi.

Mme Colette Mélot .  - Ce texte concerne surtout les exonérations des droits de mutation pour les dons et legs à une personne morale établie dans l'autre pays. Un tel régime existe déjà, en application de décisions particulières.

Cet accord renforcera la coopération, déjà importante, entre la France et Monaco grâce à la sécurisation des dons et legs au profit de plusieurs secteurs. La France a déjà signé de tels accords pour éviter une double imposition avec la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne ou encore l'Espagne.

Le groupe INDEP votera ce texte qui renforce nos liens d'amitié avec la principauté.

M. Paul Toussaint Parigi .  - Ce texte entend autoriser l'accord signé entre la France et Monaco sur les dons et legs consentis dans l'autre État. Il sécurise juridiquement une pratique existante et favorise le financement d'entités à but non lucratif.

Il s'insère toutefois dans un contexte problématique. Dans les années 2000, Monaco a été considéré comme un paradis fiscal par le FMI. Depuis, la principauté a coopéré avec Tracfin et elle est sortie de la liste noire de l'OCDE en 2009.

Monaco demeure cependant un simili de paradis fiscal aux portes de la France pour les oligarques russes ou chinois prêts à y résider six mois dans l'année, bien que les Français n'aient plus d'intérêt fiscal, eux, à s'y installer. Les inégalités sont le mal du siècle...

Pour autant, le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Georges Patient .  - La France et Monaco entretiennent une coopération de longue date en matière fiscale. La première convention a été signée le 1er avril 1950, améliorée par celle de 1963 pour éviter les abus. Elle instaurait un impôt sur les bénéfices en principauté et assujettissait les Français résidant à Monaco à l'impôt sur le revenu en France, dans les mêmes conditions que s'ils y avaient leur domicile fiscal.

Toutefois, certaines opérations comme les dons et legs n'étaient pas traitées. Ponctuellement, des exonérations étaient décidées ; mais il n'existait pas de règles claires et pérennes.

Cet accord est donc une bonne nouvelle au regard de la transparence, de la lisibilité et de l'universalité de la loi fiscale. Le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Bilhac .  - Ce projet de loi s'inscrit dans une longue tradition d'accords fiscaux entre la France et Monaco comprenant les conventions de 1950 - sur les doubles impositions et les règles successorales - et de 1963 sur l'impôt sur le revenu des Français installés à Monaco. Aucun texte ne concernait cependant les dons et legs alors que de tels accords existent entre la France et des pays comme l'Allemagne, la Belgique, l'Italie ou le Portugal.

Des exonérations étaient accordées ponctuellement. En 2016, un Français avait ainsi demandé une exonération pour un don à l'hôpital Princesse Grace.

Avec ses deux kilomètres carrés, Monaco est le deuxième plus petit État européen après le Vatican, mais il est membre de l'ONU depuis 1993 et du Conseil de l'Europe depuis 2004. Il fait en outre partie de la zone euro. Pour les Alpes-Maritimes, Monaco est un bassin d'emploi : 35 000 Français y travaillent. Sans oublier la participation de l'AS Monaco à notre championnat de football...

Souffrant d'une réputation de paradis fiscal, la principauté s'attache à plus de transparence depuis 2009. Cet accord sur les dons et legs sera rétroactif, sans que cela ait de réelle portée. Pour le groupe RDSE, rien ne s'oppose à son approbation.

M. Éric Bocquet .  - Selon le général de Gaulle, pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux sens interdits. (Sourires) Ce texte les supprime, afin de ne plus entraver la circulation des capitaux entre la France et le Rocher. Nous allons réduire nos recettes fiscales sur les successions, sous couvert de financement de bonnes oeuvres...

Pourquoi légiférer pour des effets ponctuels et exonérer de droits de mutation une poignée de riches ménages pour leurs dons et legs ?

Nous pourrions certes profiter de l'argent de Monaco ; le département du Nord par exemple...

M. Vincent Delahaye, rapporteur.  - Cela va venir !

M. Éric Bocquet.  - Le projet d'un tel accord conforte encore le développement d'un financement privé du secteur associatif par les entreprises mécènes et de riches particuliers. Ils ont pourtant les moyens de leur générosité... En 2017, les entreprises ont versé 1,7 milliard d'euros au titre du mécénat, et le montant a doublé cette année. Les foyers fiscaux ont déclaré 2,5 milliards d'euros de dons, dont la moitié pour le décile des ménages les plus aisés, grâce aux profits tirés de la multitude d'avantages fiscaux...

Le seul perdant d'un tel accord sera l'État : selon les chercheurs Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude et Nicolas Larchet, « à travers des avantages fiscaux dont ils font bénéficier des organisations philanthropiques, les États subventionnent et donc soutiennent les stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques ». Notre groupe CRCE s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Thierry Cozic .  - Monaco a développé au fil des ans un statut de paradis fiscal, avec l'absence d'impôts et la constitution de sociétés écrans. Le laxisme monégasque a créé un État dans l'État pour nos concitoyens les plus fortunés. Il est heureux que des ajustements aient été réalisés, notamment grâce au blocus opéré par le général de Gaulle en 1962.

La vigilance demeure toutefois de mise, alors que la crise a aggravé les inégalités comme le montre le rapport édifiant d'Oxfam. Les milliardaires ont vu leur patrimoine augmenter de 3 900 milliards de dollars entre mars et décembre, soit l'équivalent de ce que les pays du G20 ont dépensé pour faire face à la pandémie.

Thomas Piketty a montré que la composante patrimoniale était prépondérante dans ces inégalités, et que celles-ci ont retrouvé leur niveau d'avant la Première Guerre mondiale. Aussi les politiques fiscales sont-elles cruciales pour y remédier.

Ce texte aurait donc pu susciter des réactions passionnées. Mais une analyse approfondie montre que la rétroactivité ne posera aucun problème car elle est au bénéfice des contribuables. En réalité, ce type d'accord est fréquent, celui-ci n'aura qu'un coût limité pour l'État.

Le groupe SER le votera. Mais comme le proposait la proposition de loi de notre collègue Thierry Carcenac, il convient pour autant de réformer un système fiscal sur le patrimoine qui n'est plus vecteur de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Ce projet de loi autorise l'accord signé le 25 février 2019 entre la France et Monaco sur certains dons et legs. Les organismes concernés sont des entités publiques, dont des collectivités locales, mais aussi des établissements d'utilité publique et des organismes à but désintéressé. Dès lors, les dons et legs sont exonérés, sous réserve de réciprocité, des droits de mutations à titre gratuit.

Cet accord conforte juridiquement une pratique existante bien que peu fréquente. Malgré l'absence de convention fiscale, les exonérations fiscales de dons et legs frontaliers entre la France et Monaco étaient possibles sur décision ministérielle au cas par cas après, pour les résidents monégasques, une déclaration de leurs dons au service départemental de l'enregistrement de Nice, conformément à ce que prévoit l'arrêté du 13 octobre 2017 précisé par une instruction de la direction de la législation fiscale.

Depuis 2010, six demandes de Monaco vers la France ont été déposées, et dans le sens inverse une seule, pour l'hôpital Princesse Grace.

Cet accord était attendu depuis longtemps, notamment par le groupe interparlementaire d'amitié France-Monaco présidé par Mme Estrosi Sassone et dont je suis membre ; le groupe Les Républicains votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 25 février 2019, la France et Monaco ont signé un accord sur les dons et legs au profit de certaines personnes publiques et organismes non lucratifs. Le présent projet de loi autorise l'approbation de cet accord.

En effet, les deux conventions fiscales actuelles ne couvrent pas toutes les matières fiscales. Les entités bénéficiaires peuvent donc se trouver dans une situation d'insécurité juridique. Ce texte apportera une stabilité juridique aux contribuables et aux praticiens du droit fiscal. Il sera bénéfique aux organismes non lucratifs français et monégasques dont le financement sera facilité et sécurisé. C'est pourquoi le groupe UC l'adoptera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Colette Mélot applaudit également)

L'article unique, constituant l'ensemble du projet de loi, est adopté.

La séance est suspendue à 13 h 5.

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

La séance reprend à 14 h 35.